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Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 925-7 © 2005 SPLF, tous droits réservés Doi : 10.1019/200530186 925 Éditorial Asthme sévère, IgE et anti-IgE : de l’attente sceptique à l’apprentissage par les faits F.-X. Blanc Lors d’un lancement à grand renfort de communiqués destinés à un public médical déjà submergé d’informations dont les sources peuvent parfois prêter à caution, il est sou- vent difficile pour un praticien d’apprécier avec discernement l’apport d’une nouvelle thérapeutique pourtant annoncée au minimum comme « majeure ». Deux attitudes s’imposent alors assez naturellement : l’attente sceptique ou l’apprentis- sage par les faits. Si le médecin considère ne pas avoir reçu suffisamment d’informations convaincantes pour prescrire à ses patients le tout dernier médicament mis sur le marché, il aura générale- ment tendance à ne pas prescrire ce traitement mal connu de lui et dont les effets bénéfiques lui semblent encore quelque peu obscurs. Primum non nocere. Cette attitude tout à fait défendable sur le fond comporte cependant quelques inconvénients : quand et comment le médecin considérera-t- il que les informations dont il dispose lui permettent de chan- ger d’avis ? Quelle sera la source de ces « nouvelles » informations ? Combien de temps faudra-t-il pour que l’actualisation des connaissances thérapeutiques permette aux patients de ce médecin de bénéficier éventuellement du traite- ment concerné et avec quelles conséquences en termes de perte de chance ? Pas très facile à évaluer. Le plus souvent, force est de constater que le changement d’attitude s’effectue au décours d’une lecture de revue générale écrite par un spé- cialiste reconnu dans sa discipline et dont l’objectivité ne sau- rait être remise en cause. On perçoit bien alors l’importance de telles revues. L’autre attitude consiste à se forger assez rapidement sa propre opinion en utilisant l’innovation thérapeutique comme moteur de prescription. Le raisonnement qui sous- tend de telles pratiques incite le médecin à croire que, si tel produit a franchi avec succès les différents obstacles chevau- chant la voie tortueuse de son développement clinique, c’est que des experts ont apprécié le service rendu comme satisfai- sant. Le praticien apprend alors à connaître avantages et inconvénients du nouveau produit, adapte souvent les pres- criptions au risque de sortir rapidement des indications ou Réception version princeps à la Revue : 6.10.2005. Acceptation définitive : 8.10.2005. Correspondance : F. X. Blanc Unité de Pneumologie, Service de Médecine Interne, CHU Bicêtre, 78, rue du Général Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, France. Unité de Pneumologie, Service de Médecine Interne, Centre Hospitalier Universitaire de Bicêtre, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, Le Kremlin-Bicêtre, France. [email protected]

Asthme sévère, IgE et anti-IgE : de l’attente sceptique à l’apprentissage par les faits

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Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 925-7 © 2005 SPLF, tous droits réservésDoi : 10.1019/200530186

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Éditorial

Asthme sévère, IgE et anti-IgE : de l’attente sceptique à l’apprentissage par les faits

F.-X. Blanc

Lors d’un lancement à grand renfort de communiquésdestinés à un public médical déjà submergé d’informationsdont les sources peuvent parfois prêter à caution, il est sou-vent difficile pour un praticien d’apprécier avec discernementl’apport d’une nouvelle thérapeutique pourtant annoncée auminimum comme « majeure ». Deux attitudes s’imposentalors assez naturellement : l’attente sceptique ou l’apprentis-sage par les faits.

Si le médecin considère ne pas avoir reçu suffisammentd’informations convaincantes pour prescrire à ses patients letout dernier médicament mis sur le marché, il aura générale-ment tendance à ne pas prescrire ce traitement mal connu delui et dont les effets bénéfiques lui semblent encore quelquepeu obscurs. Primum non nocere. Cette attitude tout à faitdéfendable sur le fond comporte cependant quelquesinconvénients : quand et comment le médecin considérera-t-il que les informations dont il dispose lui permettent de chan-ger d’avis ? Quelle sera la source de ces « nouvelles »informations ? Combien de temps faudra-t-il pour quel’actualisation des connaissances thérapeutiques permette auxpatients de ce médecin de bénéficier éventuellement du traite-ment concerné et avec quelles conséquences en termes deperte de chance ? Pas très facile à évaluer. Le plus souvent,force est de constater que le changement d’attitude s’effectueau décours d’une lecture de revue générale écrite par un spé-cialiste reconnu dans sa discipline et dont l’objectivité ne sau-rait être remise en cause. On perçoit bien alors l’importancede telles revues.

L’autre attitude consiste à se forger assez rapidement sapropre opinion en utilisant l’innovation thérapeutiquecomme moteur de prescription. Le raisonnement qui sous-tend de telles pratiques incite le médecin à croire que, si telproduit a franchi avec succès les différents obstacles chevau-chant la voie tortueuse de son développement clinique, c’estque des experts ont apprécié le service rendu comme satisfai-sant. Le praticien apprend alors à connaître avantages etinconvénients du nouveau produit, adapte souvent les pres-criptions au risque de sortir rapidement des indications ou

Réception version princeps à la Revue : 6.10.2005. Acceptation définitive : 8.10.2005.

Correspondance : F. X. Blanc Unité de Pneumologie, Service de Médecine Interne, CHU Bicêtre, 78, rue du Général Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, France.

Unité de Pneumologie, Service de Médecine Interne, Centre Hospitalier Universitaire de Bicêtre, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, Le Kremlin-Bicêtre, France.

[email protected]

F.-X. Blanc

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des posologies ayant motivé l’autorisation de mise sur le mar-ché et se construit de nouvelles références qu’il intègre à sesconnaissances antérieures avec plus ou moins de bonheur. Làencore, les inconvénients d’une telle attitude sont faciles àpercevoir et la nécessité d’un recadrage éventuel des pratiquesprofessionnelles peut se faire sentir à plus ou moins courteéchéance. Au final, il en va pour les médecins comme pour lespatients : celui qui apprend est le principal acteur de sonapprentissage [1].

Dans ce numéro de la Revue des Maladies Respiratoires,deux articles méritent sans aucun doute d’être lus avec atten-tion pour qui s’intéresse à l’asthme allergique et aux innova-tions thérapeutiques. La revue de Girodet et coll. [2] offre unpoint de vue actuel et particulièrement pertinent sur lesimmunoglobulines (Ig) E. Elle permet d’appréhender nonseulement les mécanismes de la réponse IgE dans son ensem-ble mais aussi le rôle de ces IgE dans certaines maladies respi-ratoires au premier rang desquelles figure l’asthme allergique.L’article de Humbert et Tonnel [3] constitue une mise aupoint claire et détaillée sur les données cliniques disponiblesen 2005 concernant les effets d’un anticorps monoclonalanti-IgE, l’omalizumab, qui constitue une innovation théra-peutique intéressante pour les asthmes allergiques difficiles àcontrôler. Ces deux articles se complètent parfaitement et nemanqueront pas de faire référence, tout comme, espérons-le,des revues sur le même sujet publiées en langue anglaise cetteannée [4-8].

Depuis la découverte simultanée des IgE par une équipesuédoise et une équipe américaine en 1967 et la reconnais-sance formelle de ces IgE par l’Organisation Mondiale de laSanté à Lausanne en février 1968, des progrès considérablesdans la compréhension non seulement de leur structure maisaussi des mécanismes régulant leur synthèse par les lymphocy-tes B et leurs interactions avec les deux types de récepteursprésents sur les cellules effectrices ont permis d’aboutir audéveloppement de l’omalizumab, disponible aux États-Unisdepuis 2003. Dans l’asthme allergique, sept études contrôléesde phase III ont été menées chez l’adulte et l’adolescent. Sixd’entre elles sont déjà publiées [9-14]. On peut globalementretenir de ces études que l’omalizumab améliore la qualité devie et réduit le nombre d’exacerbations, de visites aux urgen-ces et d’hospitalisations. Son profil de tolérance semble accep-table et près de 45 000 patients ont déjà été traités par cemédicament, certains depuis trois ans et quelques-uns depuissix ans. L’actualisation des recommandations du GINA inclutd’ailleurs l’omalizumab comme une possibilité thérapeutiquedans les asthmes allergiques persistants sévères insuffisam-ment contrôlés par une association de fortes doses de corticoï-des inhalés et de bronchodilatateurs de longue durée d’action[15]. L’asthme sévère constitue encore un défi pour le pneu-mologue [16, 17], même s’il existe des perspectives de déve-loppement de nouvelles classes thérapeutiques ciblantspécifiquement tel ou tel acteur de l’inflammation et/ou del’hyperréactivité des voies aériennes. Les données concernantle ciclésonide, les inhibiteurs spécifiques de phosphodiestéra-

ses, MAP kinase ou NFkB, les anticorps anti-interleukine 5(mepolizumab, SCH55700), anti-interleukine 13 (CAT-354)ou anti-TNF alpha (etanercept) devront notamment être exa-minées avec attention dans les prochaines années.

L’avenir dira si l’omalizumab constitue réellement uneavancée thérapeutique majeure pour certains de nos patients.La sélection rigoureuse des profils d’asthmatiques susceptiblesde bénéficier de ce traitement onéreux administrable unique-ment par voie injectable, la détermination du moment opti-mal pour juger de l’efficacité du traitement chez un patientdonné, les critères d’évaluation permettant de dire qu’unpatient est ou n’est pas répondeur au traitement, l’extensiondes indications vers d’autres pathologies devront être précisés.Selon que le lecteur préfère plutôt l’attente sceptique oul’apprentissage par les faits, les deux articles de ce numéro dela Revue consacrés aux IgE et aux anti-IgE l’aideront au mini-mum à actualiser rapidement ses connaissances sur le sujet et,peut-être, à lui donner des arguments solides pour choisir, entoute connaissance de cause et sans pression aucune, de pro-poser ou non de l’omalizumab à quelques patients sélection-nés selon des critères stricts définis au préalable. Rien quepour cela, leurs auteurs doivent en être remerciés. Souhaitonsqu’ils aient en tout cas contribué à vérifier une nouvelle fois leproverbe chinois : j’entends et j’oublie, je vois et je me souviens,je fais et je comprends.

Références

1 Lacroix A, Assal JP : L’éducation thérapeutique des patients. Paris,Vigot, 1998.

2 Girodet PO, Casset A, Magnan A, De Blay F, Chanez P, Tunon deLara JM : Immunoglobuline E et maladies respiratoires. Rev MalRespir 2005 ; 22 : 967-81.

3 Humbert M, Tonnel AB : Traitement par anticorps anti-IgE del’asthme allergique difficile à contrôler. Rev Mal Respir 2005 ; 22 :983-90.

4 Buhl R : Anti-IgE antibodies for the treatment of asthma. Curr OpinPulm Med 2005 ; 11 : 27-34.

5 Poole JA, Matangkasombut P, Rosenwasser LJ : Targeting the IgE mol-ecule in allergic and asthmatic diseases : review of the IgE moleculeand clinical efficacy. J Allergy Clin Immunol 2005 ; 115 : S376-85.

6 Holgate S, Casale T, Wenzel S, Bousquet J, Deniz Y, Reisner C : Theanti-inflammatory effects of omalizumab confirm the central role ofIgE in allergic inflammation. J Allergy Clin Immunol 2005 ; 115 :459-65.

7 Jonkers RE, van der Zee JS : Anti-IgE and other new immunomodu-lation-based therapies for allergic asthma. Neth J Med 2005 ; 63 :121-8.

8 Holgate ST, Djukanovic R, Casale T, Bousquet J : Anti-immunoglob-ulin E treatment with omalizumab in allergic diseases : an update onanti-inflammatory activity and clinical efficacy. Clin Exp Allergy2005 ; 35 : 408-16.

9 Humbert M, Beasley R, Ayres J, Slavin R, Hebert J, Bousquet J,Beeh KM, Ramos S, Canonica GW, Hedgecock S, Fox H, Blogg M,Surrey K : Benefits of omalizumab as add-on therapy in patients with

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severe persistent asthma who are inadequately controlled despite bestavailable therapy (GINA 2002 step 4 treatment) : INNOVATE.Allergy 2005 ; 60 : 309-16.

10 Ayres JG, Higgins B, Chilvers ER, Ayre G, Blogg M, Fox H : Efficacyand tolerability of anti-immunoglobulin E therapy with omalizumabin patients with poorly controlled (moderate-to-severe) allergicasthma. Allergy 2004 ; 59 : 701-8.

11 Vignola AM, Humbert M, Bousquet J, Boulet LP, Hedgecock S,Blogg M, Fox H, Surrey K : Efficacy and tolerability of anti-immuno-globulin E therapy with omalizumab in patients with concomitantallergic asthma and persistent allergic rhinitis : SOLAR. Allergy2004 ; 59 : 709-17.

12 Soler M, Matz J, Townley R, Buhl R, O’Brien J, Fox H, Thirlwell J,Gupta N, Della Cioppa G : The anti-IgE antibody omalizumabreduces exacerbations and steroid requirement in allergic asthmatics.Eur Respir J 2001 ; 18 : 254-61.

13 Busse W, Corren J, Lanier BQ, McAlary M, Fowler-Taylor A,Cioppa GD, van As A, Gupta N : Omalizumab, anti-IgE recombi-nant humanized monoclonal antibody, for the treatment of severeallergic asthma. J Allergy Clin Immunol 2001 ; 108 : 184-90.

14 Holgate ST, Chuchalin AG, Hebert J, Lotvall J, Persson GB,Chung KF, Bousquet J, Kerstjens HA, Fox H, Thirlwell J,Cioppa GD : Efficacy and safety of a recombinant anti-immunoglob-ulin E antibody (omalizumab) in severe allergic asthma. Clin ExpAllergy 2004 ; 34 : 632-8.

15 National Heart Lung and Blood Institute : Global strategy for asthmamanagement and prevention. Updated 2004. Bethesda : NHLBI;2002.

16 Heaney LG, Robinson DS : Severe asthma treatment : need for char-acterising patients. Lancet 2005 ; 365 : 974-6.

17 Chung KF, Blanc FX : Asthme sévère : comment mieux faire ? RevMal Respir 2003 ; 20 : 495-500.