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Éthique et douleur - Éthique et douleur en pratique quotidienne ATS23 PLACEBO À VISÉE ANTALGIQUE : CE QUEN PENSENT LES SOIGNANTS A. Tellier, B. Le Nouvel, R. Bedoian, B. Gallais et le GTS « éthique et douleur ». Introduction : Dans le but de mieux connaître les pratiques soignantes hospitalières concernant la prescription et l’administration du placebo à visée antalgique, le Groupe Travail Spécifique Éthique et Douleur de la SETD - Société d’Etude et Traitement de la Douleur a réalisé une enquête quantitative sur ce thème. Si les résultats (basés sur les répon- ses de 219 IDE et de 100 médecins exerçant dans 19 unités de soins) ont conforté notre hypothèse initiale – à savoir : l’usage de placebos dans le traitement de la douleur était cor- rélé aux connaissances générales relatives à la douleur et en particulier à la compréhension des bases psychophysiolo- giques de l’effet placebo ainsi qu’au contexte organisationnel de l’unité de soins ou du service hospitalier –, l’analyse des commentaires des professionnels nous amène à probléma- tiser ces résultats, notamment en ce qui concerne ce lien contexte institutionnel, connaissances et pratiques. Des discordances dans les discours des professionnels exer- çant dans des services où les moyens institutionnels (réfé- rent douleur,fiches d’évaluation,feuille de titration des mor- phiniques, etc.) sont optimaux, nous amènent à considérer que l’utilisation du placebo à visée antalgique est déterminée par les représentations de la douleur qui, méconnaissant la complexité de la plainte douloureuse ainsi que les mécanis- mes d’action du placebo, guident les pratiques soignantes. Objectifs : Approfondir la compréhension de l’utilisation du placebo et de l’appréhension du phénomène douloureux chez les médecins et infirmiers (IDE), par une enquête qua- litative sur ce sujet, permettant d’identifier les déterminants de la persistance du recours au placebo à visée antalgique et d’informer les démarches de formation à développer. Ce travail pouvant avoir, à terme, des retombées d’ordre pragmatique : de par la diffusion des résultats auprès des présidents des Comités de Lutte contre la Douleur des éta- blissements hospitaliers publics, il s’agirait de proposer des contenus et des méthodes pédagogiques qui puissent favo- riser le changement d’attitude chez ceux qui tendent à répondre à la plainte douloureuse par le placebo. Méthodologie : Portant sur la perception subjective que les soignants ont du placebo (et donc, de la douleur, des rap- ports corps/psyché, de la relation soignant-soigné) et sur les attitudes qui en découlent en ce qui concerne le recours aux médicaments, notre étude se base sur l’analyse du dis- cours des infirmières et médecins ayant souhaité participer à l’étude. Les moyens alloués à l’étude déterminent la restriction du recueil de données à la région parisienne ; néanmoins, la diversité des types de services hospitaliers concernés est respectée : gériatrie, rééducation, oncologie médicale, méde- cine interne, rhumatologie. Le recueil des données se fait à travers des entretiens semi- directifs (guidés par la grille d’entretien préétablie) réalisés par des professionnels formés à ce type de méthode. Dix entretiens par service sont effectués – six IDE (matin, après- midi et nuit) et quatre médecins (interne, chef de clinique ou chef de service). Les entretiens, d’une durée d’environ une demi-heure sont enregistrés et transcrits Résultats : L’analyse du discours des soignants permet de dégager les axes thématiques et les catégories discursives qui organisent les représentations sous-jacentes à l’utilisa- tion du placebo à visée antalgique. Cette utilisation est « ciblée » : il s’agit de douleurs dites « psychogènes », d’échecs des traitements antalgiques, de douleurs chroniques et de malades jugés « difficiles »... Les notions de « test », d’abus» et de « cause psy » servent à inter- préter les plaintes douloureuses des patients dits « angois- sés », « anxieux », « insomniaques », « psychosomatiques », « hypocondriaques », « hystériques », « seuls » « mal dans leur peau », etc. L’efficacité du placebo vient là légitimer à la fois son usage et l’interprétation que font les soignants du comportement du patient ainsi désigné (voire stigmatisé) –, alors même qu’« aucun profil “placebo-répondeur” n’a pu être défini et [qu’]apparemment beaucoup de sujets varient dans leur réponse au placebo au cours d’une maladie pro- longée (...) ». Les propos des soignants montrent que c’est la notion de « douleur fausse » qui sous-tend l’utilisation du placebo, ce qui laisse supposer que l’appréhension du phénomène dou- loureux reste centrée sur la notion d’organicité... Conclusion : Ces données semblent confirmer l’hypothèse selon laquelle les professionnels sont porteurs de représen- tations dont un noyau profond (principalement situé dans le registre de l’imaginaire) perdure au travers de leurs expé- riences, constituant des filtres vis-à-vis des informations scientifiques et techniques que ces professionnels sont amenés à recevoir. Cette hypothèse pourrait expliquer les discordances entre contexte institutionnel et pratiques indi- viduelles dans l’utilisation du placebo à visée antalgique. En effet, « ce ne sont pas seulement les malades qui intègrent leur douleur dans leur vision du monde, mais également les médecins et les infirmières qui projettent leurs valeurs, et souvent leurs préjugés sur ce que vivent les patients dont ils ont la charge (...) ». Douleurs, 2006, 7, hors-série 2 2S73

ATS23 - Placebo à visée antalgique : ce qu’en pensent les soignants

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Éthique et douleur -Éthique et douleur en pratiquequotidienne

ATS23 PLACEBO À VISÉE ANTALGIQUE : CE QU’EN PENSENT

LES SOIGNANTS

A. Tellier, B. Le Nouvel, R. Bedoian, B. Gallais et le GTS « éthiqueet douleur ».

Introduction : Dans le but de mieux connaître les pratiquessoignantes hospitalières concernant la prescription etl’administration du placebo à visée antalgique, le GroupeTravail Spécifique Éthique et Douleur de la SETD - Sociétéd’Etude et Traitement de la Douleur a réalisé une enquêtequantitative sur ce thème.Si les résultats (basés sur les répon-ses de 219 IDE et de 100 médecins exerçant dans 19 unitésde soins) ont conforté notre hypothèse initiale – à savoir :l’usage de placebos dans le traitement de la douleur était cor-rélé aux connaissances générales relatives à la douleur et enparticulier à la compréhension des bases psychophysiolo-giques de l’effet placebo ainsi qu’au contexte organisationnelde l’unité de soins ou du service hospitalier –, l’analyse descommentaires des professionnels nous amène à probléma-tiser ces résultats, notamment en ce qui concerne ce liencontexte institutionnel, connaissances et pratiques.Des discordances dans les discours des professionnels exer-çant dans des services où les moyens institutionnels (réfé-rent douleur, fiches d’évaluation, feuille de titration des mor-phiniques, etc.) sont optimaux, nous amènent à considérerque l’utilisation du placebo à visée antalgique est déterminéepar les représentations de la douleur qui, méconnaissant lacomplexité de la plainte douloureuse ainsi que les mécanis-mes d’action du placebo, guident les pratiques soignantes.

Objectifs : Approfondir la compréhension de l’utilisation duplacebo et de l’appréhension du phénomène douloureuxchez les médecins et infirmiers (IDE), par une enquête qua-litative sur ce sujet, permettant d’identifier les déterminantsde la persistance du recours au placebo à visée antalgiqueet d’informer les démarches de formation à développer.Ce travail pouvant avoir, à terme, des retombées d’ordrepragmatique : de par la diffusion des résultats auprès desprésidents des Comités de Lutte contre la Douleur des éta-blissements hospitaliers publics, il s’agirait de proposer descontenus et des méthodes pédagogiques qui puissent favo-riser le changement d’attitude chez ceux qui tendent àrépondre à la plainte douloureuse par le placebo.

Méthodologie : Portant sur la perception subjective que lessoignants ont du placebo (et donc, de la douleur, des rap-ports corps/psyché,de la relation soignant-soigné) et sur lesattitudes qui en découlent en ce qui concerne le recoursaux médicaments, notre étude se base sur l’analyse du dis-cours des infirmières et médecins ayant souhaité participerà l’étude.

Les moyens alloués à l’étude déterminent la restriction durecueil de données à la région parisienne ; néanmoins, ladiversité des types de services hospitaliers concernés estrespectée : gériatrie, rééducation, oncologie médicale, méde-cine interne, rhumatologie.Le recueil des données se fait à travers des entretiens semi-directifs (guidés par la grille d’entretien préétablie) réaliséspar des professionnels formés à ce type de méthode. Dixentretiens par service sont effectués – six IDE (matin, après-midi et nuit) et quatre médecins (interne, chef de cliniqueou chef de service). Les entretiens, d’une durée d’environune demi-heure sont enregistrés et transcrits

Résultats : L’analyse du discours des soignants permet dedégager les axes thématiques et les catégories discursivesqui organisent les représentations sous-jacentes à l’utilisa-tion du placebo à visée antalgique.Cette utilisation est « ciblée » : il s’agit de douleurs dites« psychogènes », d’échecs des traitements antalgiques, dedouleurs chroniques et de malades jugés « difficiles »... Lesnotions de « test »,d’abus» et de « cause psy » servent à inter-préter les plaintes douloureuses des patients dits « angois-sés », « anxieux », « insomniaques », « psychosomatiques »,« hypocondriaques », « hystériques », « seuls » « mal dans leurpeau », etc. L’efficacité du placebo vient là légitimer à la foisson usage et l’interprétation que font les soignants ducomportement du patient ainsi désigné (voire stigmatisé) –,alors même qu’« aucun profil “placebo-répondeur” n’a puêtre défini et [qu’]apparemment beaucoup de sujets varientdans leur réponse au placebo au cours d’une maladie pro-longée (...) ».Les propos des soignants montrent que c’est la notion de« douleur fausse » qui sous-tend l’utilisation du placebo, cequi laisse supposer que l’appréhension du phénomène dou-loureux reste centrée sur la notion d’organicité...

Conclusion : Ces données semblent confirmer l’hypothèseselon laquelle les professionnels sont porteurs de représen-tations dont un noyau profond (principalement situé dansle registre de l’imaginaire) perdure au travers de leurs expé-riences, constituant des filtres vis-à-vis des informationsscientifiques et techniques que ces professionnels sontamenés à recevoir. Cette hypothèse pourrait expliquer lesdiscordances entre contexte institutionnel et pratiques indi-viduelles dans l’utilisation du placebo à visée antalgique. Eneffet, « ce ne sont pas seulement les malades qui intègrentleur douleur dans leur vision du monde, mais également lesmédecins et les infirmières qui projettent leurs valeurs, etsouvent leurs préjugés sur ce que vivent les patients dont ilsont la charge (...) ».

Douleurs, 2006, 7, hors-série 2 2S73