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Au nom de l'aventure

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20 ans de Grand Reportage

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Au nom de L’Aventure

« 20 ans de Grands Reportages »

Marc d’Haenen Je dédie ce livre à ma fille : Julia « La passion est le moteur de l’action… » Table des matières

Remerciements Introduction

Chapitre 1 : Le Klondike – Le chemin de la ruée vers l‟or – Sur les traces de Jack London. Chapitre 2 : La Tanzanie – Trekking sur le Kilimandjaro. Chapitre 3 : Chamonix, mont Blanc – Guide de haute montagne. Chapitre 4 : Colombie-Britannique – Pilote d‟hydravion dans le Grand Nord. Chapitre 5 : Indonésie – Les Hommes Fleurs de Siberut. Chapitre 6 : Les Rocheuses canadiennes – Le paradis pour les amoureux de sport et de

nature. Chapitre 7 : Les Alpes françaises – Le Snowscoot. Chapitre 8 : Sénégal – Mali – Mauritanie – L‟aventure du jet raid. Chapitre 9 : Sumatra – Le pays Minangkabau. Chapitre 10 : Toujours Chamonix – Paparazzi volant. Pilote d‟hélicoptère en montagne. Chapitre 11 : Le parapente. Chapitre 12 : Le Sud marocain – Agadir, côté loisirs. Chapitre 13 : Ecotourisme en Alaska – « Glacier Bay ». Chapitre 14 : Passion – Le scaphandre « Pieds lourds » Chapitre 15 : Trappeur au Yukon. Chapitre 16 : Parachutisme extrême. Chapitre 17 : Bart « The Bear » (L‟ours) Chapitre 18 : A la découverte du Sud marocain « Autrement » Chapitre 19 : Le Groenland – Sur la banquise avec les Inuits. Chapitre 20 : Alaska – Canada – Aventures sur Taku River.

Epilogue

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Introduction Pour l’une des premières fois de ma vie je vais devoir utiliser la première personne dans un récit. Je vais utiliser le « JE » au lieu du « NOUS » employé généralement dans tous mes reportages. Je vais devoir raconter ma vie et mes aventures au lieu de ce que je fais d’habitude : raconter la vie et les aventures des autres… C’est un exercice de style auquel je ne suis pas habitué. Je ne veux pas tomber dans le narcissisme, mais je suis bien obligé quelque part de raconter ce que j’ai vécu, pour garder une trace, pour mes proches, pour ma fille, pour qu’un jour elle comprenne quelle était la vie de son papa avant qu’elle ne soit là. Comment en quelques pages raconter par des mots et quelques images vingt années de reportages, de voyages, d‟aventures, de rencontres, de passion, d‟amour du sport (extrême de préférence), de découverte des grands espaces et de la nature sauvage,… Vingt ans d‟une vie bien remplie,… ??? Je ne sais pas comment faire, mais je vais essayer ! « Je veux être para commando ou grand reporter !!! » C‟est la réponse que le petit garçon de douze ans que j‟étais, fit à l‟employé du centre PMS qui me posa la question sur « Mon avenir tel que je me le représentais »… Pourquoi ? Pour l‟aventure… L’aventure… Le maître mot, le moteur de ces vingt années sur les routes du monde. C‟est au nom de l‟aventure que j‟ai fait tout cela… L‟aventure dans laquelle je baigne depuis l‟enfance. La chance d‟avoir grandi au milieu des bois, dans un énorme domaine forestier, à proximité de Bruxelles. Tout petit j‟étais déjà un trappeur ou un coureur des bois. La chance d‟avoir un grand-père qui travaillait à l‟Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique et qui m‟emmenait avec lui durant chacune des vacances scolaires. Là je découvrais les animaux empaillés, les squelettes des iguanodons, je discutais avec les scientifiques, et je me forgeais une culture générale qui me servirait bien des années plus tard. Si les sciences naturelles m‟intéressaient, je n‟ai jamais pensé en faire mon métier. Les heures de travail dans des bureaux austères n‟étaient pas pour moi. J‟avais besoin de vivre au grand air, de faire du sport et de courir le monde. Aussi loin que je me souvienne j‟ai toujours eu ce besoin en moi. Depuis tout petit je montais des expéditions dans notre domaine, partant à la découverte de ruines inconnues, allant à la pêche ou à la chasse, ramassant des fossiles ou des spécimens de roches… Curieux de tout et toujours en quête d‟explications sur tout. Puis un jour c’est arrivé ! Après des études commerciales dans le secteur de l‟alimentation, c‟est le déclic. Et en 1986, un magazine bruxellois me commande mon premier reportage. Les coulisses du Paris Dakar. La sortie de cet article sera éclipsée par l‟actualité dramatique de la mort de Thierry Sabine et de Daniel Balavoine dans un accident d‟hélicoptère. Depuis ce moment-là, le Paris Dakar sera toujours une grande source d‟inspiration pour moi, sans jamais y avoir participé ! Quoique ayant été presque à toutes ses grandes étapes. Faire le Dakar, comme concurrent, en moto ou en voiture, reste toujours un de mes plus grands rêves, et qui sait si un jour j‟arriverai à le réaliser ? Ensuite, pendant vingt ans je vais sillonner le monde, écrire des centaines d‟articles et prendre des milliers de photos. Les rencontres et les hasards, ou les hasards des rencontres, feront que je passerai d‟une aventure à l‟autre, en surfant sur les opportunités. Zigzaguant à travers les temps forts de notre époque, à travers la folie de cette fin de siècle, à travers les vingt dernières années d‟un millénaire. Jouant sur les mots-clefs, sur ce qui peut résonner dans mon inconscient, pour devenir ensuite une histoire vécue, une histoire voulue, une partie de mon histoire… Journaliste, reporter, photographe, mais aussi selon les besoins : barman, videur dans les boîtes, ouvrier à six kilomètres sous terre au tunnel du mont Blanc, gérant de pizzeria à Walibi ou d‟un garden-center au Yukon, agent de sécurité dans les Rocheuses canadiennes ou moniteur de ski à

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Chamonix… Pêcheur de saumon, chercheur d‟or, trappeur,… coureur des bois,… cueilleur d‟aventures,… Clodo, mendiant, SDF, j‟aime bien ce nom : sans domicile fixe, ça c‟est génial et ça me va tellement bien. Citoyen de la terre, mon village c‟est le monde, ma religion l‟aventure et ma politique la liberté. L‟argent m‟attire peu ; pour moi il ne sert qu‟à financer mon prochain voyage ou ma prochaine aventure. A chaque fois que j‟en ai eu, je l‟ai réinvesti dans le projet suivant. Toujours à fonds perdus, jamais je n‟en ai gardé pour « plus tard ». Mes seules possessions tenaient dans mon sac à dos, ma seule fortune dans mon sac photo, mon seul capital s‟entassait dans des mallettes de dias et dans des cartons de textes et de documentation qui traînaient dans le grenier de mes parents. La chance : c‟est vrai que la chance a joué pour beaucoup dans ces vingt années d‟aventure, mais la chance il faut savoir aussi la saisir. Il faut avoir le courage de suivre ses instincts. Il faut savoir renoncer à tout. Il faut pouvoir s‟éloigner du chemin qui semble tracé devant soi et ne pas avoir peur de prendre les méandres, plus sombres ou plus clairs, à la place de la voie rectiligne toute tracée d‟avance. Souvent des connaissances me disaient : « tu as de la chance de voyager comme ça à travers le monde, tu es tout le temps en vacances,… » D‟abord ce ne sont pas des vacances tous les jours, même si parfois c‟est franchement génial, souvent c‟est la galère. Ensuite, je trouve que vous avez de la chance, avec vos femmes, vos enfants, vos maisons, vos voitures et tout ce que vous possédez. Vous savez ou vous dormirez demain : dans votre lit ! Moi je ne sais pas de quoi sera fait demain, je n‟ai pas de femme, ni d‟enfants, ni de maison,… Je n‟ai pas été non plus un loup solitaire, j‟ai presque toujours eu un compagnon de voyage, un pote. J‟ai rarement fait de grandes choses tout seul. L‟aventure c‟est génial si on peut la partager. Ces compagnons sont pour beaucoup dans ce que j‟ai fait et je leur rends ici hommage, d‟avoir osé me suivre, d‟avoir pu m‟épauler et m‟aider. Même si parfois j‟ai été trahi, abandonné, volé,… Je ne regrette aucune de ces amitiés. Nombre d‟entre eux se reconnaîtront dans ce livre. Enchaînements L‟aventure m‟attire et je visite simplement le salon des vacances de Bruxelles. Là, je rencontre Jerry Serret le patron de Sea Land Safari, une société d‟organisation d‟événements et de location de 4x4. Ils ont un stand où ils exposent des Toyota et leur dromadaire Momo fait l‟attraction. Jerry m‟invite à visiter son « ranch » de Hoeilaart. Quelques jours après, j‟y vais et je suis engagé comme « guide 4x4 ». Lors d‟un autre salon, je travaille pour Sea Land Safari, sur leur stand. Là, je rencontre Roger Wittamer. Un représentant en textiles, véritable psychopathe, qui s‟intéresse aux parachutes ascensionnels et autres articles de loisirs. Il me propose de tirer ses parachutes avec les 4x4. Je deviens vite moniteur de parachute ascensionnel. Un jour Roger Wittamer vient avec un parapente. C‟est un tout nouveau sport qui consiste à s‟envoler des montagnes avec ce parachute. Cool, on va essayer !!! Sur une butte herbeuse non loin de l‟hôpital Erasme, puis sur les terrils des charbonnages de Charleroi… Je deviendrai le premier moniteur de parapente en Belgique et très vite, je vais aller vivre en Suisse où j‟ouvrirai une école de parapente à Kandersteg, dans l‟Oberland. Je participe au Forum de l‟Aventure, organisé par Continents Insolites, où j‟ai un stand avec des parachutes et des parapentes. Là je rencontre André Beukelaers, qui s‟occupe des guides de l‟organisation. Il deviendra mon « parain » dans l‟aventure. Ils recherchent un responsable pour la Maison du Voyage. Je suis engagé, je gère la maison, le bar et les conférences,… Plus tard je deviendrai « grand voyageur guide ». André me fait rencontrer Philippe Soreil de RTL-TVI. On réalise quelques émissions sur l‟aventure en Belgique et ensuite je deviendrai chef d‟équipe de RTL pour l‟Aventure Nordique dans le Vercors (une compétition en ski de rando, raquettes et traîneaux à chiens). Philippe me fera découvrir et me donnera le goût de la télévision. Durant l‟Aventure Nordique je rencontre les équipes russes et je me lie d‟amitié avec leur boss, Eugène Granov, colonel du KGB, directeur du VNIPI SPORT, une branche du comité olympique

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russe. Ils sont très intéressés par mes prestations sur un mur d‟escalade et par mes vols en parapente. Six mois plus tard, Eugène m‟appelle et m‟invite en Russie, pour y devenir conseiller technique pour les sports non conventionnels auprès du comité olympique russe. Une magnifique aventure dans la Russie de l‟époque, encore communiste… La chute du mur de Berlin et la dissolution du comité olympique russe mettront un terme à cette belle aventure. Pour la première fois de ma vie je vais me faire expulser d‟un pays… Voilà le genre d‟enchaînements qui peuvent se produire dans une vie d‟aventurier. C‟est ainsi que se mêlent toutes les possibilités. Il suffit de tirer sur les bonnes ficelles, de faire les bons choix, de rencontrer les bonnes personnes… L’inspiration – Les Maîtres Pour l’écriture En cinquième année primaire notre instituteur nous faisait lire les livres de Roger Frison-Roche. Son roman « Premier de cordée » sera mon livre fétiche. Un livre que Frison en personne me dédicacera bien des années plus tard, alors qu‟il sera devenu mon ami et mon conseiller pour certaines de mes plus belles aventures. Jack London sera lui aussi, une grande source d‟inspiration pour mes récits. Je suivrai sa trace de San Francisco jusqu‟en Alaska et au Klondike. J‟aurai le privilège de m‟asseoir à son bureau, dans son ranch devenu musée, au nord de San Francisco. Mes autres inspirations littéraires me viennent entre autres de Bernard Clavel, James Michener et Joseph Kessel. Sans oublier mon livre préféré « ORO » de Cizia Zykë (les connaisseurs apprécieront !) Pour le sport et l’aventure Jean Bourgeois (le grand alpiniste et explorateur belge). Avec sa famille, c‟étaient nos voisins les plus proches. Sa petite sœur était ma complice de jeux et d‟aventures dans le domaine dans lequel j‟ai grandi. Les histoires, les livres et les récits d‟explorations de Jean & Danièle Bourgeois ont bercé mon enfance. Je suis content de l‟avoir retrouvé il y a peu, dans sa retraite de Chevetogne. J‟ai pu revoir sa femme Danièle, un peu avant qu‟elle ne nous quitte, vaincue comme on dit, par une longue et pénible maladie. Son dernier livre « Les voies abruptes » m‟a beaucoup interpellé. Philippe de Dieuleveult (présentateur Télé) Il fut le modèle de mon adolescence. Ces émissions de télé m‟ont donné l‟envie des grands reportages et de l‟aventure. Je me voyais comme lui, fonçant accroché au patin d‟un hélico, la caméra à l‟épaule,… J‟étais loin d‟imaginer que ça fichait autant la trouille d‟être accroché à l‟extérieur d‟un hélico… Quoique, à la longue, on finit par apprécier ce genre d‟exercice ! Philippe disparut avec toute son équipe lors de la tentative de descente en raft du fleuve Congo. Disparition mystérieuse et jamais élucidée !!! Jean-Marc Boivin (Alpiniste et parachutiste) Le grand maître de l‟extrême, que j‟ai eu la chance de côtoyer à Chamonix. Le seul à l‟heure actuelle à avoir réussi le décollage en parapente du sommet de l‟Everest. Malheureusement disparu trop vite dans un accident de base jump (parachutisme), au Salto del Angel, la plus grande chute d‟eau au monde, au Venezuela. Un saut qu‟il réalisait pour une émission de télé. Bruno Gouvy (surfeur extrême et parachutiste) Un des plus grands « fêlés » de la tribu de Chamonix. Il m‟amènera à réaliser mon premier record du monde en parapente. Il se tuera en surf extrême lors d‟un tournage télévisé, en tentant la descente du couloir « Couturier » à l‟aiguille Verte à Chamonix. Cet accident se passa quelques jours avant que nous ne partions pour réaliser une série d‟exploits en Russie. Nous avions prévu, entre autres, de réaliser le premier saut en base jump de la tour de télé de Moscou. C‟était à cette époque la plus haute du monde. Nous voulions aussi faire des vols en paramoteur au-dessus du Kremlin (j‟avais eu les autorisations grâce à mes amis russes du comité olympique).

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Eric Escoffier (alpiniste et parapentiste) Mon ami, mon pote,… On savait qu‟on pouvait compter l‟un sur l‟autre. On a passé de bons moments à Chamonix, de belles soirées à écumer les bars,… Et réalisé de beaux vols en parapente… Lui aussi nous a quittés trop tôt. Il a disparu à proximité du sommet lors d‟une ascension en Himalaya. Tony Bernos (sportif extrême et surfeur) Mon frangin et modèle d‟aventurier média et businessman… Un des rares rescapés survivants de la tribu de Chamonix. Il est devenu réalisateur de cinéma, spécialisé dans les documentaires. Il vit maintenant dans les Pyrénées. Grâce à lui j‟ai découvert la tribu indienne des « Haidas » sur la côte du nord-ouest de l‟Amérique. Les grandes lignes directrices – ma « personnalité » Voler Du planeur au Boeing 707, en passant par le parapente, le delta-plane, le cesna et autres hydravions,… Le vol est ma seconde nature. Je ne suis plus moi-même lorsque je pilote un engin volant. J‟ai eu la chance d‟accumuler de nombreuses heures de vol sur toutes sortes de machines et autres « inventions » qui servent à voler. Je pense avoir un bon « feeling » de l‟air, j‟adore les sensations fortes et j‟ai un excellent sens de l‟orientation. L‟Extrême Sportif extrême, records du monde, premières, exploits,… En parapente, escalade, alpinisme, ski extrême, chute libre,… Les années ‟80 et ‟90 furent les plus exaltantes de ma vie. L‟adrénaline était ma drogue préférée, à condition qu‟elle soit secrétée de façon naturelle par mon organisme…. Le niveau de ma folie extrême me valut de faire partie de la « tribu des fêlés » de Chamonix dans ses plus belles années. J‟ai été aussi l‟un des photographes et journalistes privilégiés de ces exploits. Le Canada La découverte de ce pays merveilleux et l‟amour que j‟en ai éprouvé, m‟a sauvé la vie en m‟éloignant de Chamonix et de sa tribu. L‟hécatombe qui a suivi mon départ, la surenchère de l‟extrême et de l‟exploit amenèrent beaucoup de nos amis à en faire « un peu plus ». Malheureusement la plupart n‟y ont pas survécu. C‟est désormais en explorateur, coureur des bois, chercheur d‟or, trappeur, pêcheur de saumons,… que je vais m‟épanouir. J‟ai parcouru le Canada, l‟Alaska et les USA de long en large durant plusieurs années. Le Yukon étant mon territoire de prédilection, ma base, mon « chez-moi »,… C‟est là que je construirai « ma cabane au Canada » !!! J‟en serai chassé par la force, suite à des problèmes de papiers et des soucis avec l‟immigration du Canada. L‟Asie Mon premier voyage en Asie est un fiasco total. Je découvre l‟Indonésie d‟un côté qui ne me plait pas du tout, sans y être préparé et en compagnie de gens que je n‟aime pas. Mon deuxième voyage en Asie, dans le Nord de la Thaïlande, sera vraiment différent ; là je tombe amoureux de ce coin du monde, au point de devenir par la suite un spécialiste de l‟Asie du sud-est et de l‟Indonésie en particulier. Je sillonnerai cet archipel de plus de quinze mille îles durant plusieurs années. Vivant même avec des tribus dans la jungle. L‟Afrique Des plages de l‟Atlantique aux rivages de l‟océan Indien, du Fleuve Sénégal aux grands parcs nationaux d‟Afrique de l‟Ouest, en passant par le sommet du Kilimandjaro ou les profondeurs de la vallée du Rift,… L‟Afrique me fascine dans son entièreté et c‟est une découverte incessante à chaque voyage. Le Grand Nord Sibérie, Groenland, Arctique Canadien ou Alaska,… Je terminerai par là cette présentation rapide de ce qui m‟a influencé dans ma vie. Le Grand Nord exerce une véritable attirance sur moi. C‟est là que je me sens le mieux, c‟est là que je suis dans « mon élément ». Les chiens de traîneaux, la pêche sous la glace, les aurores boréales, le soleil de minuit,… C‟est dans les pays du Nord que j‟ai passé les plus beaux moments de mon existence.

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Et si maintenant vous me demandiez « où voudrais-tu aller immédiatement ? » sans réfléchir ma réponse serait : dans le Grand Nord !!! Justement : allons-y !!! En route pour quelques-unes de mes plus belles aventures…

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Chapitre 1 Le Klondike Ce n’est pas mon premier voyage, mais c’est certainement celui qui m’a le plus marqué. En 1991, à l’invitation du Bureau du Tourisme du Yukon, je me rends dans ce territoire du Grand Nord canadien, en tant que journaliste, afin d’y préparer le centenaire de la ruée vers l’or du Klondike. Je serai accompagné par deux amis français : Sophie et Yann, et d’une journaliste suisse : Joëlle. Le but de notre voyage : retracer le chemin complet de la ruée vers l’or, comme les chercheurs d’or le faisaient à l’époque. Au retour de cette aventure j’ai écrit le texte suivant. A ce jour, avec le Paris Dakar, la ruée vers l’or du Klondike est le sujet sur lequel j’ai publié le plus d’articles. Le chemin de la ruée vers l’or Sur les traces de Jack London… La voix nasillarde du commandant résonne dans les hauts parleurs et me tire de ma torpeur: « Baleine sur la gauche » !!! Les passagers présents sur le pont quittent leur chaise longue et se dirigent vers le bastingage. Durant quelques instants, nous admirons le souffle puissant, jet de vapeur intermittent, qui trahit la présence de ce géant des mers. Puis la queue du cétacé se dresse au-dessus de la surface; elle a plongé ! On ne la reverra pas... Je contemple encore le paysage plusieurs minutes. Un frisson de nostalgie parcourt mon corps, sans raison! Est-ce le paysage glauque et ces centaines d'îles noyées dans le brouillard qui me produisent cet effet; ou est-ce le rythme lancinant du bateau qui me plonge dans cet état ? Depuis que nous sommes montés à bord de ce ferry, hier matin, pour nous rendre de Prince Rupert à Skagway, par l'Inside Passage, je ne suis plus moi-même. Des images de mon enfance surgissent du fond de ma mémoire. Je me sens mélancolique. Je me surprends à fredonner des chansons que ma grand-mère me chantait quand j'étais haut comme trois pommes. A plus de quinze mille kilomètres de chez moi, je revois parfaitement le domaine forestier qui m'a vu grandir. Mentalement, je me promène dans les sentiers. Je reconnais les arbres, je me fonds dans le paysage, je ressens même les odeurs du sous-bois. Je me roule dans les feuilles mortes. Je deviens trappeur, coureur des bois, chercheur d'or.... Les ronces griffent mes jambes que des culottes courtes ne protègent pas; je suis sur la piste du Klondike comme dans ce livre de Jack London que l'on a lu à l'école... Rêves d'enfant qui se mélangent dans ma tête… Aujourd'hui j'ai vingt-huit ans. Vingt ans me séparent de ces jeux d'enfant et pourtant c'est la réalité. Je suis sur les traces des chercheurs d'or du Klondike, sur la piste de Jack London, à la recherche de Croc Blanc. Comme les chercheurs d'or l'ont fait, à l'époque, en 1897, je remonte l'Inside Passage en bateau. Arrivé à Skagway, le sentier du col Chilkoot m'emmènera à Whitehorse, d'où je rejoindrai Dawson City en canoë par le fleuve Yukon. De là, je me rendrai au coeur du Klondike pour retrouver le ruisseau Bonanza où, paraît-il, il suffisait de se baisser pour ramasser l'or… Deux mille kilomètres me séparent encore de ce lieu de légende. Autant de kilomètres d'aventure, de rêves d'enfance qui vont se réaliser. Sophie, Joëlle et Yann, mes compagnons de voyage, viennent me retrouver. C'est l'heure de passer à table. Mes pensées reviennent à des considérations plus matérielles : j'ai faim ! Je me régale du saumon servi au restaurant du bateau. Il est vrai que nous sommes au pays de ce poisson, tant recherché chez nous. Ici, c'est un mets quotidien, vraiment abordable, tant il abonde dans les eaux glacées du Pacifique. Tout l'après-midi durant, nous rêvons sur le pont, admirant le paysage, découvrant sans cesse de nouvelles îles prises dans leur écrin de coton nuageux. Souvent la vue est irréelle, baignée dans une lueur blafarde. Soudain, une baleine fait un bond prodigieux hors de l'eau, soulevant sa masse énorme puis retombant dans un jaillissement d'écume. Quel instinct pousse donc ce cétacé à faire de tels bonds hors de l'eau sans raison? Est-ce un jeu? Nul ne le sait. Nous remercions la nature de nous offrir un tel spectacle. Puis, tout redevient calme à nouveau. Le bateau continue de tracer sa route parmi les chenaux étroits de ce passage intérieur.

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Skagway, nous voici en Alaska. Aux portes du Grand Nord. A peine débarqués, c'est le choc! On se croirait revenu cent ans en arrière, ne serait-ce la présence des touristes avec leurs camping-cars. La ville a gardé son caractère typique de l'époque: trottoirs en bois, saloons, général stores ... tout y est! Cette fois, nous sommes au coeur de l'histoire. Le fantôme de Soapy Smith, célèbre bandit du siècle dernier, qui faisait régner la terreur dans la région, hante encore les lieux. Un show pour les touristes le fait revivre, tous les soirs, avec duels, bagarres et coups de feu ... Un peu à l'écart de la ville, un petit cimetière abrite sa tombe avec celles d'autres chercheurs d'or malchanceux, venus pour trouver la fortune et n'ayant trouvé que la paix éternelle ... Tout le chemin jusqu'à Dawson City sera parsemé de ces tombes simples et muettes, qui pourtant racontent l'hostilité et la rigueur de ce pays. La nature, les animaux et les hommes ne connaissaient aucune pitié à cette époque héroïque. C'était la loi du plus fort qui l'emportait! Après avoir acheté quelques provisions, nous trouvons un abri sympathique pour passer la nuit aux abords de la ville. A partir d'ici, fini le confort, nous avons décidé de vivre à la dure, comme à l'époque. Notre aventure doit être authentique. Nous bannirons tous les hôtels et autres endroits confortables. Vive les bivouacs, les sacs de couchage, les feux de camps et les nuits à la belle étoile. Après un repas cuisiné au feu de bois, et la veillée propice aux rêves d'aventure, nous nous endormons au plus profond de nos sacs. Les nuits sont fraîches sous ces latitudes. Il est vrai que nous sommes déjà bien plus au nord que Moscou !!! Au petit matin, nous sommes réveillés en sursaut par un sifflement strident. Quelle n'est pas notre stupeur en voyant passer, à quelques mètres de nos duvets, une authentique locomotive à vapeur tirant des wagons bondés de touristes! Dans la pénombre, nous n'avions pas remarqué la proximité de la voie ferrée. Cette voie a été construite en 1898 pour acheminer les vivres et le matériel jusqu‟à Whitehorse, par le col White. Aujourd'hui, elle revit une seconde jeunesse en emmenant les touristes pour une balade vers les terres désolées des hauts plateaux et de la toundra, environnant la frontière entre l'Alaska et la Colombie-Britannique, tantôt longeant des gouffres vertigineux ou enjambant des gorges sur des ponts de bois. Un voyage fascinant qui vaut la peine d'être parcouru. Bientôt, nous songeons à prendre la route. La piste du col Chilkoot nous attend. Soixante-dix kilomètres de sentiers qui nous conduiront jusqu'à Bennet. Ceci à travers l'un des paysages qui fut le théâtre de la scène la plus tragique et la plus connue de la ruée vers l'or. La montée à quarante-cinq degrés du Chilkoot Pass. Des milliers de chercheurs d'or ont escaladé, plus de trente fois consécutives, ces marches de glace et de neige. Autant de trajets leur étaient nécessaires pour transporter la tonne de vivres et de matériel pour leur survie et exigée par la police montée canadienne. Le chargement était contrôlé au sommet du col, dans le but d'enrayer la famine qui menaçait Dawson City. L'image de ces chercheurs d'or, peinant dans la neige, fut reprise dans de nombreux films tels : "La ruée vers l'or" de Charlie Chaplin ou "Croc blanc" d'après le roman de Jack London, adapté par les studios Walt Disney. Nous étions impatients d'en découdre, nous aussi, avec cette fameuse montée... La première démarche était de réaliser notre inscription au bureau des rangers et d‟assister au briefing obligatoire pour prendre la piste: consignes pour les campements, les feux, les ours, la protection de la nature et du site. Ce sentier est appelé « le plus long musée du monde », en raison des nombreux vestiges laissés en place par les chercheurs d'or et conservés en l‟état par les gouvernements canadien et américain. Nous voici donc en route pour le site historique de la ville de Dyea, commencement réel de la piste. Il ne reste actuellement aucun vestige de cette ville, totalement abandonnée après la ruée vers l‟or, à l‟exception d‟un cimetière où l‟on trouve de nombreuses tombes de chercheurs d‟or, une bonne partie d‟entre eux victimes des avalanches sur le sentier du Chilkoot. Vu l'heure avancée de la journée, nous décidons, une fois arrivés, de camper sur place et d'attaquer le sentier le lendemain matin. Aux premières lueurs de l'aube nous démarrons. Le poids des sacs, mal équilibrés, nous meurtrit les épaules. Les pieds rechignent dans les chaussures, ils se heurtent sans cesse aux nombreuses racines et pierres instables du sentier. Mais, rapidement les muscles s'échauffent, les mouvements s'automatisent et la marche devient plaisir. Plaisir des sens, de la vue, de l'odorat,... Nous traversons

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la forêt primaire qui borde la côte Pacifique, appelée «Rain Forest », la forêt des pluies : abondance de mousses, profusion de lichens et de champignons. Les odeurs fortes de l'humus nous taquinent les narines. Heureusement que le sentier est bien dessiné et entretenu par les rangers, car la forêt est dense est inextricable. Il serait impossible de s'y déplacer sans devoir tailler son chemin à la machette. Aussi loin que le regard porte, ce n'est que fouillis de troncs et de branches enchevêtrés. De temps en temps, une ombre, non dentifiée, disparaît dans le sous-bois, prouvant que la région est habitée par de nombreux animaux. Dont le maître des lieux : l'ours brun, que nous n'aurons pas la chance d'apercevoir... Il daignera tout de même nous laisser quelques traces dans la boue du sentier, histoire de nous rappeler sa présence et d'être vigilants. Le soir, nous camperons à Sheep Camp, ayant parcouru vingt et un kilomètres. Nous faisons connaissance avec les autres randonneurs présents à cet endroit. Un couple de Québécois, une tribu d'Allemands et une bande de scouts américains. La fatigue se faisant rapidement sentir, nous attachons nos vivres en hauteur, pour ne pas tenter les ours, et rejoignons la douceur de nos duvets pour une bonne nuit réparatrice. Le lendemain, le rythme est vite retrouvé. La mécanique fonctionne bien. Plaisir de l'effort, joie de la marche, découverte de vestiges : ici, un vieux sac, là, une chaussure ou un crâne de cheval blanchi par le soleil... La végétation change rapidement au fur et à mesure que l'on s'élève en altitude. Bientôt il ne reste plus que quelques sapins rabougris. L'univers minéral prend possession de notre horizon. Arrivés au lieu-dit « Les scales », en raison de balances placées là pour contrôler le poids des charges, le col Chilkoot apparaît à nos yeux. Hostilité de l'endroit! Rochers noirs, neige sale, nuages bas masquant les sommets ... L'endroit est vraiment dramatique. Un fouillis de poutres et de câbles, provenant d'installations de téléportation, construites à l'époque pour transporter les charges des plus fortunés, ajoute une note mystérieuse à cet endroit. Pas une seule touche de couleur ne vient égayer les lieux, si ce n'est les fanions rouges, qui balisent le chemin dans la neige menant au col et servant de point de repère dans le brouillard. Les rangers font bien les choses. La sécurité des randonneurs est vraiment prise au sérieux dans ces régions hostiles. Bientôt nous attaquons la montée du col. L'escalade n'est pas aidée par le poids des sacs qui crée un certain déséquilibre. Mais l'obstacle est facilement franchi. Moment d'émotion au sommet en découvrant la plaque commémorative des évènements. Simples inscriptions gravées dans le cuivre,témoins des drames qui se sont produits ici il y a près de cent ans. Quelle folie, quelle cupidité ont pu pousser ces milliers d'hommes et de femmes à affronter les caprices du Grand Nord? A venir se perdre sur ces pistes, dans des lieux inhospitaliers? A plier sous le poids des fardeaux cent fois trop lourds pour eux? A parcourir ces milliers de kilomètres avec, souvent, un équipement inadapté? La réponse est jaune. Elle a des éclats brillants. Elle est métallique. Elle à une forte densité, se trouve parfois au fond des ruisseaux et surtout, elle apporte la richesse à celui qui en possède une grande quantité ... La réponse c'est «L'OR» !!! L'or, mot magique qui court sur toutes les lèvres, depuis Seattle jusque Dawson City. L'or qui fait la une des journaux du monde entier, depuis ce jour où trois hommes ont débarqué à Seattle avec une tonne de ce précieux métal, arraché à la terre gelée du Klondike. Georges Carmack et ses compagnons de pêche, Jim Skookum et Charlie Tagish, devenus riches à millions depuis ce 17 août 1896, quand sur les conseils d'un vieux prospecteur, ils se sont rendus au ruisseau Bonanza et y ont ramassé les premières pépites ... En trois ans, près de trois cent mille personnes ont tout quitté pour se rendre, eux aussi, vers cet Eldorado, vers le Klondike !!! Mais combien d'entre eux arrivèrent à Dawson City? Combien d'entre eux firent réellement fortune ? L'histoire ne le dit pas avec exactitude. Ce qui est sûr, c'est que bien peu vécurent le bonheur de voir l'éclat brillant de l'or au fond de leurs tamis. Beaucoup plus par contre, après s'être ruinés financièrement et physiquement, entreprirent le chemin du retour. Leur seule consolation était d'avoir vécu une expérience extraordinaire, une aventure sans pareil !!! Après le col Chilkoot, la piste prend un aspect totalement différent. Nous sommes maintenant au Canada. Le col marque la frontière entre l'Alaska et la Colombie-Britannique. Les nuages et les

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précipitations du Pacifique sont arrêtés par les montagnes. C'est donc, accompagnés par un beau soleil, que nous entamons notre descente vers le lac Bennet. Au début, nous cheminons dans la neige, en admirant de nombreux lacs couleur émeraude. Puis, une sorte de lande tapisse le sol, Les lichens, saules arctiques et autres arbustes forment une forêt miniature qui s'accroche, tant bien que mal, à ce sol couvert de neige neuf mois par an. De temps en temps, une marmotte émet son sifflement caractéristique, signalant à ses congénères la présence d'intrus sur leur territoire. Des sapins font peu à peu leur apparition. Ce ne sont pas les traditionnels sapins du nord, que nous avions l'habitude de voir dans la région, mais plutôt des pins méditerranéens! Il est vrai que la chaleur se fait de plus en plus sentir. C'est en tee-shirt que nous continuerons notre randonnée. Nous décidons de nous arrêter à Deep Lake. Nous avons parcouru dix-sept kilomètres dans la journée, avec un dénivelé positif de mille mètres. Le campement est dressé au milieu des sapins et, après une rapide collation, le sommeil a tôt fait de nous gagner. On s'endort l'esprit empli des images du jour, de paysages fabuleux. Le lendemain nous paressons un peu. Vers dix heures nous reprenons le chemin pour les quinze kilomètres qu'il nous reste à faire avant Bennet. Là, un petit train nous ramène à Log Cabin, d'où nous rejoignons Whitehorse par la route. En chemin nous faisons un arrêt à Carcross, petite ville qui marque la frontière entre la Colombie Britannique et le Yukon. Cette petite bourgade a également gardé le caractère typique des villes de l'époque: maisons en rondins, façades genre Lucky Luke,… Les plus belles étant celles du général store et de l'hôtel Caribou, strictement conservées dans leur état d‟origine. La carcasse d'un vieux bateau à vapeur gît à moitié consumée le long de la rivière, victime de vandales n'ayant pas hésité à enflammer ce trésor du passé, qui sillonnait le fleuve Yukon et les grands lacs de la région à l'époque où les routes n'existaient pas. Les seules voies de communication étaient faites de l'élément liquide. L'hiver venu les traîneaux à chiens reprenaient les mêmes routes gelées... WHITEHORSE : La première vision de la ville est assez aérienne. On y accède par un plateau supérieur. La route serpente le long de falaises de sable fossilisé et transformé en un conglomérat jaune plus résistant que le béton. Cette ville de vingt et un mille habitants semble figée entre les falaises qui l'enserrent de toutes parts, excepté cette faille au loin où s'engouffre le fleuve Yukon. Whitehorse (cheval blanc) tire son nom d'une légende indienne. Des rapides barraient le courant du fleuve à cet endroit. L‟écume des vagues faisait penser aux crinières d‟un troupeau de chevaux blancs au galop. Aujourd'hui ces rapides ont disparu, suite à la construction d'un barrage hydroélectrique alimentant la ville. Certaines légendes ne survivent pas au progrès!!! Whitehorse occupe à présent le rôle de capitale administrative des territoires du Yukon. Elle compte à elle seule les deux tiers de la population de cet état canadien qui a la même superficie que la France. En tout trente et un mille habitants se partagent le territoire, ce qui au niveau de la densité en fait un véritable désert. Contrairement aux autres, cette ville n'a pas gardé son caractère typique de l'époque. Immeubles modernes, grandes avenues, feux tricolores et tout ce qu'il faut pour mériter, semble-t-il, le titre de capitale... Néanmoins, il reste quand même des traces de la ruée vers l'or. Un musée, des shows de French Cancan et un magnifique bateau à vapeur: le SS Klondike, en bon état celui-ci... C'est ici que nous prenons possession de nos canoës pour descendre le fleuve Yukon, sur sept cent trente-six kilomètres, jusqu'à Dawson City. Nous resterons, toutefois, quelques jours à Whitehorse. Le temps de se renseigner exactement sur ce qui nous attend pendant la descente du fleuve, de faire du shopping, de compléter le matériel nécessaire à cette expédition. Ceci fait, nous embarquons dans nos canoës et c'est avec une certaine satisfaction que nous quittons la fébrilité de la ville. Nous avons hâte de retrouver le calme des grands espaces. Après seulement deux heures de navigation sans histoire, nous abordons sur une petite île qui sera notre premier lieu de campement. Sur les indications de Brent, le patron de Kanoe People (la société où nous avons loué les canoës), nous trouvons un véritable tepee indien qu'il a monté là. Il nous conseille d'y passer la nuit. C'est une expérience qui vaut la peine d'être vécue et nous ne manquerons pas de la vivre pleinement. Yann, qui a déjà vécu sous un tepee, se charge d'aménager l'intérieur pour y passer une nuit confortable.

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Nous commençons la veillée autour du feu de camp. Soudain, un bruit de moteur parvient à nos oreilles. Peu de temps après, un bateau accoste. Brent débarque, l‟air rieur, une bouteille de whisky à la main III On dirait un cow-boy surgi du passé, avec son long manteau en toile graissée et son chapeau. Il ne manque que les colts. Il ne cessera de nous raconter des histoires du « Bush » que quand la bouteille sera vide. Des histoires de loups, d'ours et de descentes en canoës, qui nous travailleront l'esprit avant que l'on ne trouve le sommeil, tapis au fond de notre tepee. Au petit matin, je me rends, avec la canne à pêche que Brent nous a laissée, vers la pointe de l'île pour taquiner le poisson. Je prends pied sur un monticule de branches et de terre qui est bien dégagé, et je lance la cuillère dans le courant. Quand soudain un grand « plouf » me surprend. Un castor nage à quelques mètres de moi et renouvelle ce bruit en tapant la surface de l'eau avec sa queue. Il nage en rond, en émettant un sifflement agressif. Je me rends compte, en fait, que cette butte sur laquelle je me trouve, n'est autre que le toit de sa maison ... Il n'a vraiment pas l'air d'apprécier ma présence sur celle-ci. Je le contemple encore quelques instants puis je m'en vais, le laissant à ses préoccupations !!! Au campement, la vie a repris. Une bonne odeur de café s'élève de la bouilloire qui siffle sur le feu. Tout le monde rigole de mon aventure avec le castor. Bientôt, il faut se préparer à repartir. Charger les canoës, équilibrer les paquets, monter à bord ... Les gestes sont déjà devenus machinaux: pagayer, barrer, éviter les remous et les contre-courants ... Tout l'art de la navigation sur ces embarcations instables n'aura bientôt plus de secrets pour nous. Après peu de temps, nous abordons le lac Laberge, le seul grand lac que nous aurons à traverser. Septante kilomètres durant lesquels nous peinerons en luttant contre les vagues et les vents contraires. Mais les berges du lac nous réserveront beaucoup de surprises !!! Comme la découverte d'un village fantôme : des cabanes de rondins et d'autres commodités témoignent de la vie passée de la région à l'époque de la ruée vers l'or. Vers la fin de la journée, alors que nous allions aborder une plage, qui nous paraissait accueillante pour y dresser notre campement, un énorme grizzly bondit hors des taillis en grognant dans notre direction!!! Vu les intentions belliqueuses de l'habitant de ces lieux, nous effectuons une retraite précipitée vers les eaux du lac. Je précise que nous étions équipés de bombes répulsives de défense contre les attaques d'ours, ceci évite de devoir se déplacer avec des armes qui, elles, auraient un effet nettement plus préjudiciable sur les animaux. Si le gaz est douloureux sur le moment, il ne met nullement la vie de l'animal en danger et ne produit aucune séquelle irréversible. Mais dans ce cas-ci, les intrus c'était nous et nous n'avions aucune raison valable de contester le territoire de ce grizzly. La seule chose raisonnable à faire était de fuir. Quatre heures de navigation seront nécessaires pour trouver une autre plage accueillante pouvant abriter notre campement! Les rives du lac étant le plus souvent constituées de falaises rocheuses, qui, soit dit en passant, vaudraient la peine que l'on s'y intéresse pour l‟escalade: des centaines de milliers de voies sont à ouvrir dans tous les niveaux de difficultés ... Ces heures de cabotage tardives nous apportèrent quand même une nouvelle satisfaction, celle de découvrir les lueurs du soleil de minuit. En effet, sous ces latitudes, le soleil ne se couche presque pas durant l'été. Pendant des heures, le ciel n'est que flamboiement. Toutes les teintes, du rouge sang aux jaunes les plus subtils, colorent le bleu profond de la nuit, qui ne parvient pas à gagner le combat face à l'astre du jour qui ne daigne pas disparaître. La nuit ne viendra jamais totalement et quand nous entrons dans nos tentes, vers trois heures du matin, le jour se lève pour de bon. A partir de ce jour-là, nous pagaierons tous les soirs afin de profiter de ce spectacle. Après deux jours d'efforts, nous atteignons enfin le bout du lac. C'est avec plaisir que nous retrouvons le courant du fleuve. Il nous fait gagner en vitesse, tout en économisant nos forces. On ne pagaye que pour rester au centre du courant et éviter les obstacles éventuels. Peu après la sortie du lac, l'épave d'un bateau à vapeur dresse le squelette de son armature, plantée là, comme pour nous rappeler le passé historique des lieux. Plus loin, c'est un nouveau village fantôme qui borde la rive du fleuve, avec au centre la carcasse d'un authentique camion arrivé là on ne sait trop comment puisqu'il n'y a aucune route!

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Nous entamons maintenant la partie du fleuve appelée « Thirty miles » Cinquante kilomètres d'une beauté à couper le souffle !!! Cette partie de la rivière a été classée patrimoine national du Canada. S'il est une image pour se représenter le Canada dans toute sa splendeur, c'est bien ici qu'on la trouve. Les mots sont trop faibles pour pouvoir expliquer la beauté de cet endroit. Les forêts d'épinettes (sapins du Grand Nord) alternent avec des parties de feuillus. Des collines remplissent l'arrière-plan et, de temps en temps, des falaises jaunes et ocre bordent la rivière. Soudain, un amoncellement rocheux apparaît au détour d'un méandre. Quelle n'est pas notre stupeur de constater qu'il est couvert de mouflons de Dall, animal très rare, de couleur blanche, qui tranche net sur les tons bruns et noirs de la roche. Ils ne nous prêtent pas la moindre attention et continuent de brouter nonchalamment les quelques herbes et lichens, qui abondent dans ces endroits, sûrs de leur impunité en ces parois escarpées. Plus loin, nous abordons une île qui sera notre lieu de campement pour ce soir. Je taquine un peu le poisson et rapidement j'attrape un magnifique omble arctique. Ce genre de poisson, facilement reconnaissable à sa nageoire caudale en forme de voile, abonde dans les eaux claires du fleuve Yukon. Yann en pêchera trois à son tour, ce qui améliorera l'ordinaire de nos repas. L'omble arctique a une chair très fine et un goût délicieux. La descente se poursuit lentement au rythme du fleuve et au rythme de la nature ... Une autre île nous offrira un spectacle de choix: l‟épave d'un bateau à vapeur conservée dans son état d‟origine, mis au sec en cet endroit pour je ne sais quelle raison, monte la garde au milieu d'une clairière. Nous visitons les lieux puis nous nous éloignons par un sentier qui mène à une sorte de petit cimetière. Les quelques tombes nous rappellent que les lieux peuvent être hostiles et qu'il faut faire attention à ce que l'on fait. A cet endroit nous sommes à plusieurs jours du premier point habité et de toute possibilité de secours. Un accident grave et ce serait la mort assurée ... Mais tel n'est pas notre cas et nous reprenons notre navigation. Celle-ci est souvent entrecoupée par la visite d'un habitant de ces lieux : ours noir, grizzly, castor... Parfois le regard accroche le vol d'un aigle pêcheur, on suit quelques instants les cercles majestueux, puis le courant nous emporte et nous replongeons dans nos rêveries. Ces longues heures de méditation sont propices à l'égarement de l'esprit qui, pour ma part, retourne à nouveau vers mon enfance. Tour à tour, les membres de ma famille et mes proches viennent peupler mes songes. Je revois des scènes qui se sont produites il y a plus de vingt ans. Pour peu je me mettrais à pleurer. Pourquoi, si loin de chez moi, tout cela me revient-il ainsi en mémoire? Un psychanalyste pourrait peut-être me donner la réponse, mais je n'en ai pas sous la main !!! Je me contente donc de fredonner bêtement ces chansons qui proviennent du fin fond d‟un placard obscur et oublié de mon cerveau qui se serait ouvert par hasard. A d'autres moments, par contre, c'est l'exaltation qui prend le dessus. Conscient de vivre une aventure extraordinaire, je contemple le paysage avec force, comme pour en imprimer les images dans un autre placard que je pourrai ouvrir une fois rentré en Europe ... Je vis chaque minute, chaque instant, chaque seconde comme si c'était la dernière. Comme si le paysage allait disparaître au prochain méandre du fleuve, laissant la place à une usine, une banlieue, une décharge municipale ... Je savoure le plaisir de vivre un rêve éveillé. Je me dis que, cette fois-ci, j'y suis. Que c'est à mon tour de vivre une grande aventure. Ce n'est pas le héros d'un film ou d'un livre qui contemple ces merveilles, c'est moi !!! Mes rêveries sont troublées par un cri. C'est Yann qui vient d'apercevoir un ours escaladant une colline ... Plus tard, ce sera à mon tour d'apercevoir une maman grizzly, accompagnée de trois petits (phénomène assez rare car, en général, elles n'ont que deux petits par portée). Après cinq jours de navigation, nous arrivons à Carmaks. Petite bourgade infâme, sans caractère, peuplée d'indiens alcooliques et de blancs qui nous ignorent proprement ... Cette petite ville est constituée d'une centaine de maisons en planches, toutes pareilles et parfaitement alignées en carré. Le seul point intéressant, c'est qu'il y a un supermarché. Nous refaisons notre provision de produits frais et surtout, nous prenons une douche aux bains publics, luxe suprême après cinq jours de rivière, nous contentant d'une toilette sommaire dans le fleuve. Il y a une

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seule chose à laquelle nous refusons de nous réhabituer: LE BRUIT !l! Voitures, camions, cris ... Nos oreilles rejettent ces sons. Après le calme des grands espaces, c'est une véritable torture. Comme rien ne nous retient ici, c'est avec plaisir que nous quittons cet endroit. Peu après Carmaks, un grand moment nous attend. Le passage des "Five Fingers Rapids ". Les seuls vrais rapides de ce fleuve. De gros rapides violents et meurtriers, comme en témoignent les récits que l'on nous a racontés ou que nous avons lus dans les livres! Ces rapides étaient, paraît-il, l'endroit préféré de Jack London. Il était tellement habitué à les passer qu'il louait ses services de barreur aux chercheurs d'or inexpérimentés. Dans un certain sens, nous appréhendions le passage de ces rapides. Car un naufrage se solderait, dans le meilleur des cas, par la perte de notre matériel et de nos bagages ... Plus d'un candidat à la descente du fleuve a vu son périple se terminer ici, à cause de la perte de tous ses biens. Sans parler de ceux qui y ont carrément perdu la vie !!! Mais, dans un autre sens, nous étions pressés d'en découdre avec le fleuve; nous avions besoin d'action. A l'approche des rapides, les parois des berges se resserrent pour former bientôt de véritables falaises. Le courant s'accélère. Une dernière vérification à l'arrimage des bagages et on y va ... Le fleuve semble barré par les rochers sur toute sa largeur. Quatre blocs de plus de vingt mètres de haut divisent le courant. A l'origine, il y en avait cinq, d'où le nom de « Five Fingers » (cinq doigts), qui se trouvaient au milieu du courant. Le rocher de droite a été miné au siècle passé, pour permettre le passage des bateaux à vapeur. Toutes les recommandations qui nous avaient été faites nous disaient de passer à droite : « ne dérivez pas vers la gauche », furent toutes les paroles que nous entendîmes de la part de ceux qui connaissaient le coin. Nous luttons donc contre le courant pour nous maintenir à droite du fleuve. Nous engageons nos canoës dans le couloir conseillé, puis, d'un coup, le fleuve disparaît! Nous plongeons dans un creux pour ressortir aussi vite sur la vague suivante. Le canoë monte chaque fois à plus d'un mètre de haut. A chaque fois, nous embarquons des paquets d'eau. Par deux fois, nous manquons d'être déséquilibrés, mais quelques coups de pagaie nous rétablissent de justesse. Enfin, après quelques secondes qui nous ont paru des heures, tout se calme et le fleuve reprend sa bonhomie habituelle. Nous arrêtons nos embarcations le long de la berge pour regarder le passage de Sophie et de Joëlle qui s'engagent à leur tour dans les rapides. Parfois elles disparaissent totalement dans le creux des vagues, parfois elles sont catapultées par la force de l'eau à plus d'un mètre de haut. Tout se passe bien pour elles aussi, et bientôt, le seul souvenir de ces rapides n'est que l'eau qui stagne au fond de nos canoës. Nous écopons l‟eau en vitesse, pour que nos bagages n'en souffrent pas. Nous avions pris la précaution de tout emballer dans des sacs poubelles étanches, heureusement !!! Notre progression a repris son cours normal, et les rêveries ont tôt fait de revenir à la charge. Je m'interroge sur le caractère de Jack London. Qui était-il, pourquoi est-il venu par ici ? Dans ses livres, j'en apprends un peu sur sa vie. Il est né à San Francisco, le 12 Janvier 1876. Il est pauvre et passe sa jeunesse dans la rue et les bars. Il connaît la misère et s'en sort par de menus larcins. Tantôt livreur de journaux, puis travailleur dans une fabrique de conserves, il finit par s'enrôler comme marin. Mais une saison de chasse aux phoques le dégoûte de ce métier. Il se passionne pour la littérature, puis sombre dans le vagabondage. Il a dix-sept ans quand il se retrouve en prison au Canada. Il en sort avec un esprit nouveau et décide d'entreprendre des études. Il découvre la politique, adhère au parti socialiste et milite activement pour celui-ci. Il ne se sent pas bien dans ce milieu et décide de devenir écrivain, mais les journaux refusent de publier les textes qu'il leur envoie. En février 1897, il décide de quitter l'université. Pendant quelques mois, il travaille dans une blanchisserie, lorsqu‟arrive la nouvelle de la découverte de l'or au Klondike. Jack n'a plus qu'un rêve: se rendre sur les champs aurifères. Il décide son beau-frère à l'accompagner et le pousse à vendre sa maison pour financer leur voyage. Le 25 juillet 1897, tous deux s'embarquent sur le vapeur « UTAMILLA » pour remonter l'Inside Passage. Arrivés à Skagway, son beau-frère juge l'aventure trop difficile et renonce. Il laisse Jack poursuivre seul sa route vers l'Eldorado. Il se lance dans le Chilkoot Pass, arrive à Whitehorse, construit un bateau et descend le fleuve Yukon. A l'automne 1897 il sera à Dawson City. Il s'associe avec trois

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hommes qui possèdent déjà une concession. Ils ne trouvent pas d'or. Les conditions de vie sont épouvantables. Jack passe l'hiver enfermé avec ses trois compagnons. Ils n'ont pratiquement rien à manger. Atteint du scorbut, suite aux privations, il décide de rentrer à Dawson pour se soigner. Il a compris qu'il n'y avait rien à gagner dans ces terres glacées. Toutefois, s'il n'a pas trouvé de pépites, il possède désormais un filon: il écrira plus tard: ""Je n'ai jamais touché un centime sur les concessions que j'avais là-bas. Et pourtant, c'est depuis ce voyage que « je gagne ma vie » !!! En août 1898, Jack est de retour à San Francisco. Il se met à écrire avec acharnement. En deux ans, il rédige environ quatre cents textes. Enfin, en janvier 1899, un journal publie l'une de ses histoires du Klondike: « L'homme sur la piste ». Puis d'autres suivent. En avril 1900, son premier livre paraît: « Le fils du loup ». La machine ne s'arrêtera plus pendant seize ans. Il publiera plus de cinquante ouvrages. Il finit par gagner plus de septante mille dollars par an. Il sera le romancier le mieux payé des USA. « L‟Appel de la forêt » sera vendu à plus de six millions et demi d'exemplaires, uniquement pour la langue anglaise. Le 21 novembre 1916, âgé de quarante ans, Jack London, ruiné physiquement par l'alcool, la drogue et les femmes, s'administre une dose mortelle de morphine. On ne saura jamais si c'était un accident ou s'il a voulu se suicider. Destin bizarre pour un homme de ce tempérament. Il fut l'un des rares écrivains à devenir célèbre de son vivant et à profiter réellement de cette gloire acquise par ses expériences de la vie. Son esprit est encore très présent sur la piste des chercheurs d'or du Klondike. Partout, des indices nous rattachent à sa vie, son aventure, ses romans... Le soir, un ancien campement de pêcheurs nous servira d'abri pour la nuit. Nous montons quand même les tentes. Sauf Sophie qui décide de se coucher sous un toit qui lui servira d'abri en cas de pluie. Dans la faible clarté de la nuit du Grand Nord, un bruit résonne. Instantanément nous sommes réveillés, les sens aux aguets. Une masse sombre se déplace dans le sous-bois, faisant craquer les brindilles sous ses pas... Sophie tente de se dégager de son sac de couchage. Elle ajuste ses lunettes, pleines de buée, dégoupille la sécurité de la bombe de protection contre les ours. Elle aperçoit une vague silhouette qui s'éloigne dans les bois. L‟alerte est passée... Au petit matin, les traces laissées dans la boue nous confirmeront que le visiteur de cette nuit n'était autre qu'un grizzly... Ce sera la dernière fois que l'on aura la visite d'un ours, maître incontesté de ces lieux. Nous lisons dans un dépliant d‟information du gouvernement canadien que la population de grizzlys recensée au Yukon est dix fois supérieure à celle des hommes. Si les ours deviennent plus rares, nous arrivons maintenant dans une zone peuplée d'élans. Ces drôles de mammifères ne sont pas gâtés par la nature. Leur démarche d'échassier et leur tête indescriptible ne donnent qu'une envie: éclater de rire. Ils suscitent toutefois un intérêt différent chez Yann qui veut, à tout prix, ramener un de ces trophées aux cornes plates en Europe. Nous en sommes arrivés à un stade où le corps et l'esprit se suffisent des préoccupations quotidiennes que nous amène notre nouvelle vie. L'adaptation de l'homme est fabuleuse. Manger, dormir, faire du feu ... Des préoccupations primaires qui nous comblent. Qu'elle est loin la France, avec les problèmes, les tracas, le stress de la vie occidentale. Qu'il est bon de ne plus penser à rien de tout ça ... Quel jour sommes-nous? Quelle heure est-il? Tout cela n'a plus la moindre importance... Si nous avons faim, c'est qu'il est l'heure de manger! Si nous avons sommeil, c'est qu'il est l'heure de dormir! Si l'on se réveille, c'est qu'il est l'heure de se lever! De temps en temps, quand un miroir tombe par hasard sous nos mains, c'est un visage nouveau qui s'offre à nous. Buriné par le soleil et le vent, noirci par l'absence de savon, à moitié mangé par une barbe de plusieurs semaines ... Mais toutefois serein par l'absence de tracas et les bienfaits de la vie dans la nature. Puis, un jour, sans prévenir, une embarcation à moteur se dirige vers nous. Le pilote nous lance un formidable "'WELCOME TO DAWSON CITY !! La ville est juste derrière le coin ... En effet, après un dernier méandre, la ville est là! Tapie au pied d'une montagne caractéristique, avec un grand pan érodé, comme si une main géante armée d'une hache en avait coupé un bout. Les locaux appellent

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cela la « moose hide » c'est-à-dire la peau de l‟élan… C‟est comme si on avait mis une peau d‟élan géante à sécher sur le flanc de la montagne… Dawson City, la capitale du Klondike ... nous y sommes !!! Voici le terme de notre périple. Un sentiment étrange nous envahit. Joie d'être arrivés et peine que ce soit déjà fini. Nous étions si bien sur nos canoës. Elle nous plaisait la vie sauvage et naturelle. Nous étions prêts à continuer encore longtemps comme ça ... En neuf jours, nous avions parcouru sept cent trente-six kilomètres sur ce fleuve qui nous était devenu familier. Déjà, il faudra oublier le balancement des embarcations, le rythme des pagaies, tous ces mouvements que nous avions appris durant notre périple. Maintenant, il nous faut retrouver le bruit, la civilisation, les voitures, l'électricité, l'eau qui coule du robinet... La première chose qui s'impose est une vraie douche!!! Puis des vêtements propres, ensuite, un vrai repas. Il nous est offert par un ethnologue américain qui étudie les indiens du Yukon. Il nous invite à partager son campement. Au menu: saumon grillé et rations de l'armée américaine rachetées dans les excédents de stock de la guerre du Golfe! Pas mal les rations... Ensuite, petite visite de la ville. Nous plongeons la tête la première dans un véritable western!!! Rues en terre battue, trottoirs en planches, maisons d'époque, saloons, théâtre et aussi le casino. D'authentiques cow-boys se baladent dans les rues et l'atmosphère des saloons est telle qu'on se croirait de retour au bon vieux temps de la ruée vers l'or. Nous commandons un « Yukon Jack » au comptoir, un tord-boyaux local que Brent nous avait conseillé. Une vieille indienne édentée me sourit et un gars, taillé comme une armoire à glace, la barbe à la « ZZ TOP », commence à me parler de l'or ... Je ne sais pas si le colt qu'il porte à la ceinture est chargé ou si c'est pour faire « typique », mais en tout cas, je me garderai bien de le lui demander!!! Nous continuons la soirée au casino. Au programme: roulette, black-jack, french cancan et croupières en robes à crinoline. La balance de précision trône encore sur le comptoir du caissier et l'on peut toujours payer en poussière d'or ... Le gérant nous explique que les bénéfices du casino sont reversés intégralement à l'association qui s'occupe de la restauration et de la conservation de Dawson City dans son état d'origine. Pour terminer la soirée en beauté, vers minuit, nous montons au sommet du « Midnight Dôme », une montagne qui surplombe la ville, accessible en voiture. Là, nous assistons au plus beau flamboiement du soleil de minuit que nous n‟ayons jamais vu!!! Le fleuve Yukon étincelle sous les lueurs du soleil, en continuant sa route vers l'Alaska, qu'il traverse dans son entièreté, avant de se jeter dans la mer de Béring à plus de deux mille kilomètres d'ici... Le lendemain, Bill, le père de Scotty, l‟associé de Brent, vient nous récupérer avec un van américain et nous emmène pour une visite des champs d'or du Klondike et de Bonanza Creek. Nous avons entamé cette visite comme un pèlerinage. Après avoir parcouru tout ce chemin, nous voici devant la concession de la découverte. Tout autour, le paysage est ravagé par cent ans d'exploitation de l'or. On dirait que des taupes géantes ont remué les entrailles de la terre, faisant ressortir des quantités de graviers et de sable stérile. La végétation ne peut pas repousser sur un tel terrain. Toute la vallée présente le même aspect sur des dizaines de kilomètres ... Bill nous emmène chez des amis qui exploitent encore une concession. Ils sont encore à peu près cinquante à vivre de ce travail dans la région. Prospecteurs et mineurs qui travaillent maintenant avec des moyens techniques et du matériel moderne permettant une bonne rentabilité. Les bulldozers ont remplacé les pelles et les trieuses automatiques, la battée. Néanmoins, ils perpétuent une tradition et l'or qu'ils récupèrent approvisionne les magasins de souvenirs de Dawson City. Les touristes américains s'arrachent toutes sortes d'articles réalisés avec cet or. Ray Jarvis, le prospecteur de cette concession, nous invite à essayer le maniement de la battée, outil indispensable de l‟orpailleur. Il charge le récipient et nous explique le mouvement de rotation caractéristique qui permet à l'or de se déposer au fond du récipient et au sable de s'en aller. Après quelques minutes de manipulation, des paillettes brillent au fond du récipient III

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A notre tour, nous tentons notre chance. Quelle n'est pas notre stupeur, quand nous voyons nous aussi, l'éclat caractéristique de l'or ... Ce métal nous a conduit jusqu‟ici, de la même façon que des milliers d'autres personnes en 1897. Pour peu, la fièvre aurait tôt fait de nous gagner nous aussi. La fièvre de l'or, qui surprend tous ceux qui ont la chance d'en trouver. Mais Bill nous appelle, il est temps de prendre la route qui nous ramène à Whitehorse. Voici un mois que nous avons entamé ce périple. Un mois d'aventures extraordinaires. Un retour en arrière de près de cent ans. Et surtout, la chance d'avoir réalisé un rêve d'enfance ... So long Jack… L‟année suivante je reviendrai au Yukon pour m‟y installer et réaliser mon rêve de me bâtir « ma cabane au Canada ». J‟y habiterai jusqu‟à fin 1996. Brent deviendra mon ami et m‟apprendra tout sur la vie dans ces régions et la survie en forêt, été comme hiver… Et surtout, grâce à lui je deviendrai un « pro » de la pêche à la ligne…

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Chapitre 2 LA TANZANIE Un jour j’ai fait « un rêve éveillé », dans une demi-conscience je me suis vu, suivant une file de porteurs africains, escalader une montagne aux flancs recouverts d’une jungle luxuriante, tout en chantant des complaintes lancinantes dans leur langue maternelle.. Cette montagne, je le savais, était le Kilimandjaro… Bien des années plus tard, ce songe m’est revenu, quand je suivais mes guides tanzaniens sur les flancs de ce magnifique volcan, toit de l’Afrique. Cette vision et cette aventure n’ont rien de « colonial » ou de dégradant envers nos guides ou nos porteurs locaux. En fait il s’agit là même d’une des plus importantes sources de revenus des populations locales. Le gouvernement obligeant les touristes à faire appel à une agence locale et réglementant le nombre de guides et de porteurs obligatoires par rapport au nombre de participants dans le groupe. Trekking sur le Kilimandjaro Depuis les premiers explorateurs, qui ont aperçu son cône neigeux dominant la savane, jusqu’aux chanteurs, qui vantèrent la blancheur de ses neiges,... le Kilimandjaro, sommet de l’Afrique, avec ses 5.895 mètres d’altitude, n’a jamais cessé de fasciner ! Cette montagne n‟est autre qu‟un volcan, surgi des entrailles de la terre le long de la vallée du Rift. Lieu de contrastes par excellence, il offre sur ses flancs des paysages variés : forêts luxuriantes, déserts de pierre, plantes d‟altitude,... Son sommet, couvert de glaciers et de neiges éternelles est, en fait, un des rares endroits où l‟on trouve de la neige en Afrique. Bien souvent, les candidats à son ascension empruntent la voie traditionnelle de “ Marangu ”, aussi appelée la voie “ Coca-Cola ”, en référence aux nombreux touristes s‟abreuvant de cette boisson. C‟est en effet la voie d‟accès la plus facile et aussi la plus fréquentée. L‟ascension par cette voie se résume à suivre les talons du touriste qui vous précède, à passer la nuit dans des refuges surpeuplés, à souffrir sans autre but que de dire : « j‟ai fait le kili »… Depuis quelque temps, certains organisateurs de voyage se sont tournés vers d‟autres voies d‟accès, certes moins directes, mais beaucoup plus esthétiques et surtout beaucoup plus sauvages. Loin des foules, on peut à loisir se replonger vers cette époque des premiers explorateurs. Un véritable voyage au cœur de l‟Afrique profonde. Dans cette formule ce n‟est plus le sommet qui est visé à tout prix, mais une aventure que l‟on va vivre au long des flancs du volcan. Bien souvent en prenant son temps. Le temps de découvrir la végétation, d‟admirer la vue,… Le sommet étant une option pour les plus sportifs et la dernière ascension vers ce sommet n‟est absolument pas obligatoire… Le Kilimandjaro a été décrété “ parc national ” dans son entièreté. Il est donc nécessaire de se plier à certains règlements avant de s‟aventurer sur ses flancs. Le passage par une agence de trekking local est obligatoire, de même que la présence d‟un guide et de porteurs. Mais cela renforce les contacts avec les populations locales. Rien ne vous empêche de lier des amitiés avec vos guides. Ce sont des gens charmants et très compétents qui se font une joie de tout vous expliquer sur leur mode de vie et sur la nature qui vous entoure. La voie que nous avons choisie est la “ Machamé ”, plus qu‟une voie d‟accès au sommet, il s‟agit d‟un chemin serpentant tout au long de la grandiose face sud-ouest. Cinq jours de trekking sont nécessaires pour rejoindre le cône sommital du volcan et tenter, éventuellement, l‟ascension du pic Huhuru, sommet réel du Kilimandjaro. Mais cette ascension finale est optionnelle, souvent réservée aux plus sportifs. A cette altitude, tout effort paraît inhumain. Ensuite deux jours sont nécessaires pour redescendre dans la plaine. Il n‟empêche que le trekking en lui-même vaut la peine. Le logement se fait en bivouac, la cuisine est assurée par les porteurs et l‟ambiance est souvent irréelle. Les cinq jours de marche en montée se passent à une altitude moyenne de 3 500 à 4 500 mètres. Ce qui n‟est pas trop dur à supporter physiquement. Les marches quotidiennes n‟excèdent pas 5 à 6 heures, chacun à son rythme, les guides s‟adaptant à la cadence du groupe. Les porteurs partent en avant pour monter le campement.

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De ce fait, quand vous arrivez à l‟étape, tout est déjà prêt. Le repas vous attend et il ne vous reste plus qu‟à monter votre tente. La première journée se passe dans la jungle des contreforts : hurlement des singes et des perroquets, bruits furtifs et présence d‟animaux sauvages, de quoi vous prendre pour “ Indiana Jones ”. Les porteurs sont rapidement hors de vue. On se retrouve seuls avec le guide chef. Son surnom est « Good Luck », une bonne étoile pour grimper à près de 6000 mètres… Seul un petit sac à dos avec l‟appareil photo et la gourde nous encombre. Rien à voir avec les grandes ascensions dans les Alpes avec un gros sac de vingt-cinq kilos sur le dos. Ce premier jour on trouve ça génial de marcher avec les mains en poche. Les jours suivants, avec l‟altitude on sera vraiment reconnaissant envers le travail de nos guides. Je suis sûr que sans eux, le nombre de candidats à monter au sommet serait beaucoup moindre. En fin de journée, nous rejoignons notre lieu de campement de Baranku Caves. Là de petites grottes offrent un abri sommaire pour nos guides. Ils monteront la garde toute la nuit, en alimentant le feu, car des lions sont encore présents dans cet endroit. Plus haut en altitude on n‟en rencontre plus. La nuit je me réveille. Un besoin pressant me tire hors de mon sac de couchage. Je sors de la tente et là, je tombe en arrêt devant une des plus belles voûtes étoilées qu‟il m‟ait été donné de voir dans ma vie. En effet, aucune distraction lumineuse ne vient troubler la vue des étoiles. Pas de ville ni d‟éclairage artificiel à des centaines de kilomètres à la ronde. L‟altitude aussi favorise l‟observation des étoiles, avec la couche de pollution et de brouillard habituels loin en-dessous de nous. Ensuite, le deuxième jour, ce seront les forêts de bruyères géantes, recouvertes de lichen qui, telles des draperies, recouvrent les arbres de parures éclatantes. On monte doucement en altitude. On longe des précipices insondables. Les paysages sont magnifiques. Les draperies de lichen constituent un décor surréaliste… Le bivouac se fait près d‟un abri métallique dans lequel nos guides et porteurs dormiront. Le repas est vite avalé et on rejoint nos duvets sans tarder. Viennent après, au cours du troisième jour les “ lobélies ” et les “ séneçons ”, plantes typiques des hautes altitudes africaines. Jusque-là on aurait encore pu se croire n‟importe où, sur une quelconque montagne africaine ou asiatique. Mais là, face à ces plantes incroyables on sait qu‟on est sur le Kilimandjaro. Ces plantes sont en fait des merveilles d‟adaptation aux conditions extrêmes des hautes altitudes africaines. Tout est fait pour conserver l‟humidité et éviter le gel au cœur de la plante. Mais, en dehors de tout cela : qu‟est ce qu‟elles sont belles !!! Le paysage encore une fois est surréaliste. Génial ! Ce soir, pas d‟abris, tout le monde dort sous la tente. Le quatrième jour, on découvre les déserts de pierres volcaniques et les glaciers du sommet semblent à notre portée. La montée devient pénible. La vue s‟élargit pour finalement ne plus avoir d‟obstacles. Aucun arbre, aucune plante ne nous cache la vue sans fin sur la savane africaine qui se déroule loin en contrebas. Plus de quatre mille mètres plus bas… D‟un coup je me rends compte de ce qui cloche ! Quelque chose dans cette vue devant moi ne tourne pas rond. Je suis perturbé sans le savoir vraiment. En fait le Kilimandjaro est un volcan, seul et unique de cette altitude aux alentours. On n‟est pas dans un massif montagneux, il n‟y a pas d‟autres montagnes dans la perspective. La vue porte au loin, sans obstacles ni repères, sur la plaine et la savane africaine, à des dizaines de kilomètres à la ronde. Le cinquième jour on passe la barre des 5 000 mètres. A cette altitude, il est nettement plus difficile de respirer : les arrêts sont plus fréquents, le rythme ralentit et les jambes deviennent lourdes. Au dernier campement de “ Baraffu Hut ”, on se croit déjà sur une autre planète et les moins sportifs arrêteront là leur ascension. Pour les conquérants, le réveil se fera en pleine nuit, de façon à arriver au sommet vers le lever du jour. Magie d‟un instant, moment éphémère, où, dans un état proche de l‟euphorie, vous contemplez l‟astre du jour se levant sur la savane endormie. Peu importe la fatigue et l‟engourdissement général, le spectacle est vraiment unique. Ensuite, après un dernier regard vers le gouffre du cratère sommital, commence la descente, par la voie “ Umbwè ”, vers le dernier bivouac. On se repasse le film à l‟envers, et en accéléré !!! En effet on

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descend beaucoup plus vite qu‟on est monté. Avec la descente l‟organisme retrouve de l‟énergie. L‟altitude nous a vraiment « cassés »… Le lendemain, on rejoint la plaine et la “ gate du parc ” dans le jargon, l‟entrée du parc national, avec des souvenirs impérissables plein la tête. Au total, sept jours d‟aventures que je ne serai pas prêt d‟oublier.

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Chapitre 3 Chamonix – mont Blanc Chamonix, « Cham » pour les intimes… une ville, une vallée, un lieu unique… Capitale mondiale de l’alpinisme et du ski. La Mecque du parapente et des sports extrêmes. Mon premier contact avec cette ville se fait de nuit, lors d’un passage entre la Suisse et le lac de Serre-Ponçon. A cette époque je suis débutant en parapente et je vais voler dans différents endroits. Le magnétisme se fait ressentir très vite. Je sais que je reviendrai ici. Je traverse la rue principale, je bois un café à une terrasse, je prends le pouls de cette ville de dingues. Il est dix heures du soir, je m’en vais… Un an plus tard un copain, importateur de matériel d’alpinisme en Belgique, me propose de l’accompagner à Chamonix où il doit se rendre « pour affaires ». Il sait que je fais beaucoup de parapente et il dit qu’il va me présenter à deux ou trois gars qu’il connait et qui m’emmèneront certainement voler avec eux. La première personne que je rencontre est Martial Moïoli, alpiniste de renom, ouvreur de « premières » et surtout concepteur de chaussures de montagne, à cette époque pour la marque « ONE SPORT » et ensuite pour « MILLET ». C’est lui qui concevra les chaussures pour Alain Hubert dans ses aventures aux pôles. Dans son bureau, je rencontre Bruno Gouvy. Il part voler en parapente l’après-midi avec quelques potes et m’invite à aller avec eux. « On va faire un vol de l’aiguille du Midi » prends des bonnes chaussures et viens avec… » Je me retrouve dans la benne du téléphérique, avec quelques têtes connues, que j’ai déjà vues dans les magasines de montagne et de parapente… Le plus connu étant Jean-Marc Boivin, mais il y a aussi Eric Escoffier, Laurent Sohn et bien d’autres. A la sortie du deuxième téléphérique on est à trois mille huit cents mètres d’altitude. A cette époque c’est le plus haut où je sois jamais allé. Mon organisme habitué à la Belgique souffre pas mal. Mais je mords sur ma chique… L’arrête de l’aiguille du Midi se déroule devant moi. Il est difficile de s’imaginer devoir marcher sur cette arête comme sur le toit d’une maison, avec onze cents mètres de vide à gauche et cinq cents à droite. Juste la place pour mettre un pied devant l’autre. Et certainement pas le droit à l’erreur. A ce moment de l’année (automne) les cordes fixes ne sont pas encore placées. En hiver ces cordes aident les centaines de skieurs qui descendent cette arête, point de départ de la « vallée blanche ». C’est presque à quatre pattes que je parcours les quelques centaines de mètres rejoignant une petite « épaule » de neige qui nous servira de décollage. Naturellement, l’orientation du vent au nord ne permet qu’un décollage face aux onze cents mètres de vide… Les talons contre la voile, trois à quatre pas en avant et c’est le vide. Encore une fois, pas de droit à l’erreur. On retient son souffle, on lève la voile face au vent, on court et on plonge dans le vide… Et,… On vole !!! Youppie. Je n’ai pas flanché, je suis accepté dans la tribu. Deux mille huit cents mètres plus bas je suis attendu par mes nouveaux amis, on va faire la fête au Bar de la plage… Je passerai six magnifiques années à Chamonix. Une période qu’on appellera plus tard « les années Ushuaia ». Ci-dessous un petit florilège d’écritures de montagnes, fruit de mes pérégrinations chamoniardes… Guide de Haute Montagne C’est bien connu : les extrêmes s’attirent ! C’est sans doute pourquoi les Belges, habitants d’un pays réputé plat, sont attirés par les cimes inaccessibles… Bon nombre de nos compatriotes se sont illustrés en montagne, participant à l’écriture des plus belles pages de l’histoire de l’alpinisme. Notre bon Roi : Albert 1

er était le porte-étendard d’une génération de

grimpeurs issus de la noblesse, il entraînait dans sa suite des personnalités, tel l’industriel Ernest Solvay. Avec son guide « Ravanel Le Rouge », notre Roi arpenta les sommets du massif du mont Blanc et parcourut la plupart des grandes voies de l’époque. On le retrouvera sur les Drus, les Grand Charmoz, le Grépon et bien d’autres voies célèbres, qui sont encore aujourd’hui des objectifs ambitieux. Son décès accidentel sur la falaise de Marche-Les-Dames, pendant un entraînement d’alpinisme, en fit un héros pour tous les grimpeurs. Le « Club Alpin Belge » est très actif et participe à la promotion de ce sport. Il soutient des projets d‟expéditions, des camps en montagne et des entraînements sur les falaises de notre pays. Depuis le « boom » de l‟escalade en salle, le club alpin soutient les athlètes belges, dont Muriel Sarkany, championne du monde de la discipline. Nombreux sont les membres du club alpin belge à s‟être

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illustrés dans des hauts faits en montagne et la manne de premières ou de grandes réalisations ne cesse de s‟accroître, continuant ainsi à affermir l‟image réputée des alpinistes du plat pays. Chamonix-mont Blanc : Capitale mondiale de l’alpinisme L‟alpinisme, en tant que tel, est né il y a un peu plus de 200 ans, dans cette petite localité de Haute-Savoie. Bien entendu, les habitants de ces lieux couraient la montagne depuis la nuit des temps, mais jamais dans le but d‟escalader un sommet. Ils chassaient le chamois, récoltaient les cristaux,… et avaient une peur bleue de l‟inconnu des montagnes ! La notion d‟escalader un sommet pour une autre raison que la nécessité matérielle ou financière fut imaginée par un ecclésiastique genevois : l‟abbé Horace Bénédicte de Saussure. Alors qu‟il était en villégiature à Chamonix, il fut pris d‟une irrésistible envie de vaincre ce sommet d‟un blanc immaculé, réputé inaccessible. Il offrit une récompense, en écus sonnants et trébuchants, au premier être humain qui foulerait le dôme neigeux du mont Blanc. Nombreux seront ceux qui tenteront leur chance, mais les craintes ancestrales, liées à la difficulté de ce territoire glaciaire auront raison de leur détermination. La règle numéro un des coureurs de montagne dit qu‟il ne faut jamais dormir sur un glacier, or pour réussir l‟ascension du mont Blanc, un bivouac en zone glaciaire est absolument nécessaire. Le premier à tenter l‟expérience d‟une nuit en altitude et à en sortir indemne sera le cristallier chamoniard Jacques Balmat. Il fera part ensuite de cette aventure au médecin François Paccard. C‟est ensemble qu‟ils tenteront l‟ascension du sommet et qu‟ils réussiront à l‟atteindre, au prix de deux nuits passées en haute altitude. Jacques Balmat deviendra ainsi le premier « Guide de haute montagne ». Ce sera lui qui emmènera les candidats suivants, dont l‟Abbé de Saussure lui-même. L‟instigateur de cette course au sommet sera le troisième à fouler le toit de l‟Europe. Par la suite, l‟histoire s‟emballe et la quête de sommets sera insatiable. Le massif du mont Blanc sera exploré dans son entièreté, de même que la majorité des sommets de notre globe. Mais cela prendra quand même presque 200 ans. Deux siècles d‟histoire de l‟alpinisme, avec en toile de fond, l‟inévitable Compagnie des Guides de Chamonix. Cette association corporative s‟emparera du monopole de cette activité lucrative. Les candidats aux sommets se faisant de plus en plus nombreux, les cristalliers et chasseurs de chamois deviendront tous guides et la réussite suprême sera de faire partie de cette compagnie très élitiste et très fermée. Ce monopole amènera bien des excès et suscitera bien des polémiques, Mais aujourd‟hui encore, l‟aura des guides de la compagnie brille encore sur les sommets des Alpes et Chamonix reste la capitale mondiale de cette activité. Le phénomène « Roger Frison-Roche » Roger Frison Roche est né à Paris, dans une famille originaire du Beaufortin. Il bousculera le mythe de la Compagnie des Guides de Chamonix, en devenant le premier « étranger » à être accepté en tant que guide titulaire au sein de cette corporation. A cette époque, tous ceux qui n‟étaient pas nés à Chamonix depuis au moins cinq générations étaient considérés comme étrangers ! Il ouvrira ainsi la voie du modernisme de cette compagnie, qui depuis, malgré un examen d‟entrée très exigeant, accepte les étrangers en son sein. Mais, il faut dire que le personnage est quelque peu extraordinaire. Pour s‟en convaincre, il suffit de lire son autobiographie « Le versant du soleil », où il raconte lui-même son tracé peu banal et son existence exaltante. Si la carrière de cet écrivain de montagne fut très productive (il publiera plus de 50 livres et romans), son chef-d‟œuvre restera son roman « Premier de cordée », publié pendant la deuxième guerre mondiale et lu depuis par des milliers d‟écoliers et de passionnés de montagne. Le moins que l‟on puisse dire c‟est que ce roman suscitera des centaines de vocations montagnardes, professionnelles ou amateurs. Roger Frison-Roche nous quittera à plus de 90 ans, à la veille de l‟an 2000. Un drapeau belge au sommet de la Pointe Albert A l‟annonce du décès accidentel de sa Majesté le roi Albert 1

er, les Chamoniards sont en émoi. Ils

veulent marquer leur respect pour ce roi alpiniste et décident de nommer l‟une des aiguilles de Chamonix : « la Pointe Albert ». Roger Frison-Roche et Arthur Ravanel, le fils de Ravanel-le-Rouge, seront chargés d‟aller dresser un drapeau belge au sommet de cette pointe. Ils seront accompagnés par Georges Tairraz, le photographe et compagnon d‟expédition de Frison-Roche. D‟autres traces restent encore, perpétuant la mémoire du roi alpiniste: l‟hôtel le plus luxueux de Chamonix s‟appelle « l‟Albert 1

er », un refuge de montagne dans le bassin glaciaire d‟Argentière a été financé, de son

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vivant, par la cassette personnelle du roi et porte toujours son nom. Il y a également un refuge « Ernest Solvay », dans le bassin glaciaire du « Tour ». Frison-Roche me confie à l’époque lors d’une interview : « Je me souviens parfaitement de ce jour, c‟était dans les années 1930. On était tous ensemble dans le bureau de la compagnie, quand la nouvelle est tombée : le roi Albert est mort en grimpant ! On s‟est tous dit qu‟il fallait faire quelque chose. Je n‟avais jamais grimpé avec Albert 1

er, ce privilège était

réservé à Ravanel-le-Rouge, mais j‟avais souvent croisé le roi en montagne. Par la suite, je grimperai beaucoup avec son fils, le roi Léopold III. Il restait une pointe rocheuse, dans le groupe des « aiguilles de l‟M » qui n‟avait pas encore été nommée. Le bureau décida de la baptiser la « Pointe Albert ». Les vieux de la compagnie demandèrent des volontaires pour y monter un drapeau. Tout de suite je voulus y aller et le fils du Rouge aussi. Georges Tairraz nous accompagnera pour faire une photo. On était en plein hiver, en février et à cette époque le téléphérique de l‟aiguille du Midi n‟existait pas. On est donc partis à pieds, avec les skis de rando accrochés au sac. Arrivés au « Plan de l‟Aiguille » on a chaussé les skis pour rejoindre le pied de la paroi. Il nous a fallu un peu plus d‟une heure pour atteindre le sommet ; là on a planté un drapeau belge et un drapeau français, on s‟est recueillis et Georges a fait une photo. On ne s‟est pas trop attardés et on est redescendus avec la nuit. » Frison-Roche continue à égrener ses souvenirs, accoudé au bar de la Crécelle. Cet établissement est tenu par Didier Alain, compagnon de voyage et chauffeur de Frison-Roche lors de ses tournées de conférences en Europe. Ensemble, ils se rappellent le bon vieux temps, les courses en montagne, les expéditions dans le Grand Nord canadien,… L’affaire « Vincendon et Henry » C‟est bien malgré eux et dans des circonstances tragiques que ces deux compagnons de cordée suscitèrent la création d‟une unité de secours professionnelle en montagne : le PGHM (peloton de gendarmerie en haute montagne). Jean Vincendon était aspirant guide et François Henry son client belge. Coincés dans un passage difficile, en décembre 1956, ces deux alpinistes agonisèrent lentement, sans que les nombreuses tentatives de sauvetage n‟aboutissent. Ils furent même les premiers à bénéficier d‟un secours aérien, qui échoua lamentablement par l‟accident de l‟hélicoptère sensé les ramener dans la vallée. Avant cette affaire, les secours étaient organisés par des bénévoles de la compagnie des guides de Chamonix. Depuis lors, les gendarmes secouristes sont formés à ce dur métier et bénéficient du soutien d‟une unité aéroportée, équipée d‟hélicoptères de type « Alouette 3 ». La dernière évolution dans le secours aérien en montagne est la médicalisation sur place des blessés. Avant, le but était de ramener le blessé le plus vite possible à l‟hôpital. Aujourd‟hui, c‟est l‟hôpital qui se déplace vers le blessé, avec des médecins et des unités mobiles de réanimation, pour assurer le plus rapidement les soins urgents, avant de transférer le malade, déjà soigné, vers un hôpital où il recevra les compléments de soins. L‟hôpital de Chamonix et les services de secours ont toujours été un véritable laboratoire pour l‟évolution des pratiques médicales liées aux accidents en montagne. Ceci est dû, en partie, aux nombreux accidents qui se produisent dans le massif du mont Blanc, environ un millier par an. Il faut dire que ce massif est hyper fréquenté par des alpinistes venus du monde entier. Les jours d‟affluence, en été, on dénombre parfois 300 personnes sur la voie normale du mont Blanc. Un Belge, guide de haute montagne Elie Hanoteau est originaire du petit village de Boignée, près de Namur. Depuis plusieurs années, il vit à Chamonix, au hameau des Bossons. Il exerce le dur métier de « Guide de haute montagne » auprès de la prestigieuse Compagnie des Guides de Chamonix. « Cette passion pour la montagne a débuté quand j‟avais 14 ans, après avoir lu le roman -Premier de Cordée- de Frison-Roche. Déjà à cet âge, je savais que j‟allais devenir guide.», nous confie-t-il. C‟est vers l‟âge de 17 ans qu‟il commence à grimper à Freyr et à Marche-les-Dames, puis il rejoint le Club Alpin Belge et participe aux camps d‟été de l‟abbé Fagot, dans la vallée de Chamonix. Durant de nombreuses années l‟abbé Fagot organisera ces camps d‟été aux Houches, emmenant de nombreux jeunes belges dans des courses de haute montagne et leur apprenant à aimer la montagne. Aujourd‟hui, le bâtiment abritant ces camps porte le nom de l‟abbé Fagot. Après avoir effectué son

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service militaire au 2ème

régiment de para-commandos de Flawinne, Elie s‟installe définitivement au pied du mont Blanc, voulant vivre de sa passion et être plus près de ces montagnes. Des petits boulots d‟employé de remontées mécaniques ou de bûcheron, lui permettent de se préparer à l‟examen d‟aspirant guide. La formation au métier de guide passe par deux stades, l‟aspirant guide est une sorte de stagiaire. Pendant cette période il doit réaliser une série de courses en montagne avec des clients et d‟autres en compagnie d‟alpinistes chevronnés. Par la suite il peut prétendre au passage de l‟examen de guide proprement dit. La formation complète s‟étale sur une durée de 5 à 6 ans. Elie demandera la nationalité française, car à cette époque, seuls les français pouvaient prétendre à passer cet examen. Il est nommé guide en 1976. Deux ans plus tard, il aura l‟infime honneur d‟intégrer la Compagnie des Guides de Chamonix, grâce aux grandes courses d‟envergure qu‟il réalise et à son professionnalisme sans faille. Cette institution est garante de la tradition de l‟alpinisme et les services qu‟elle offre sont parmi les plus réputés des Alpes. Depuis l‟initiation et l‟approche de la montagne en douceur, jusqu‟aux « grandes courses » pour amateurs avertis, votre guide vous emmènera vers le « Nirvana de l‟alpinisme ». Connaissance du terrain, techniques de progression, mais surtout sécurité, sont les maîtres-mots de ces professionnels du vide. Le déplacement dans cet univers minéral dépend de nombreux facteurs, comme la météo, les conditions de la neige et les risques d‟avalanche,... Une simple balade peut aussi se transformer en cauchemar. C‟est dans de telles conditions que l‟on apprécie un encadrement de qualité. L’Arête des Cosmiques La montagne, sans exemple pratique reste un mystère pour le profane, nous avons donc voulu en savoir plus et avons réalisé une course avec Elie Hanoteau : l‟ascension de « l‟arête des Cosmiques », un objectif raisonnable pour les débutants, tout en étant très impressionnant et dégageant une atmosphère de haute altitude. Les deux premiers jours sont mis à profit pour parfaire nos connaissances des techniques d‟escalade sur rocher et sur glace. Un petit entraînement profitable, car une fois engagé dans cette « course », on est content de savoir poser ses crampons correctement. L‟entraînement en rocher se fera au site des « Gaillands », une falaise école à proximité de la ville. Là, nous nous initions au maniement des cordes, des mousquetons, à la descente en rappel,… L‟entraînement en glace se fera à la « Mer de Glace », un magnifique glacier facilement accessible grâce au train à crémaillère du « Montenvers ». Cramponnage à plat, cramponnage frontal, utilisation du piolet, pose d‟une broche à glace et rappel sur des lames de glaces, vont parfaire notre entraînement. Le troisième jour, fin prêts, nous embarquons dans la première benne du téléphérique de l‟aiguille du Midi. A cette heure matinale, les passagers de la benne sont tous des alpinistes : amateurs, accompagnés de guides ou non, professionnels, et même un groupe de militaires à l‟entraînement, les célèbres Chasseurs Alpins. Durant la montée en téléphérique, Elie nous montre les différentes voies qui parcourent la face nord de l‟aiguille du Midi, des objectifs bien au-delà du nôtre, demandant une très bonne maîtrise des techniques glaciaires et comprenant une bonne dose d‟engagement. Nous apercevons même une cordée dans un grand couloir de glace, petits points noirs aux prises avec la grandeur de la montagne. Cette référence humaine nous permet d‟apprécier combien nous sommes minuscules face à la nature toute-puissante. Destination : 3 842 mètres... On sort de la cabine et on parcourt les couloirs taillés dans la roche. Nous débouchons dans un autre couloir, taillé cette fois-ci dans la glace. La lueur du soleil brille à l‟extrémité. Le paysage est grandiose. La vue embrasse d‟un seul coup cette partie secrète du massif, la vallée Blanche. Après s‟être équipés, le souffle court et les jambes vacillantes, nous descendons la célèbre arête. Onze cents mètres de vide à notre gauche et cinq cents à droite, avec juste suffisamment de place pour placer les pieds l‟un à côté de l‟autre. Elie, sanglé dans sa combinaison de guide, serein et franchement rigolard, s‟occupe de la corde qui nous retient à la vie. « Les premiers pas sont toujours les plus durs » nous lance-t-il, après ça ira mieux. Après une petite heure de marche, nous rejoignons le pied de l‟arête des Cosmiques : une masse de neige et de rochers qu‟il nous faudra escalader, pour rejoindre les plates-formes du téléphérique que nous apercevons loin au-dessus de nous. La première pente est avalée à grande vitesse ; Elie nous

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conseille d‟aller moins vite et d‟économiser nos efforts. Il faut adopter le pas du montagnard, volontairement ralenti pour garder des réserves. Les petits obstacles rocheux sont autant de jeux, qu‟il nous faut négocier à grand renfort de contorsions et gestes peu élégants. Pas facile avec ces crampons aux pieds ! Mais, la course étant en majorité en neige et glace, nous ne pouvons pas nous permettre de déchausser les crampons à chaque caillou rencontré. Elie continue à nous parler d‟histoires de montagnes, à nous apprendre les techniques d'assurage, à nous décrire cet univers qu'il aime tant. Ca, c‟est un « gendarme », une protubérance rocheuse se dégageant de l‟arête et remontant d‟une vingtaine de mètres à la verticale. Ca, c‟est un « dièdre », sorte de pli dans le rocher formant comme un livre ouvert. Ca, c‟est une belle fissure, qu‟on va remonter, avec la technique dite du ramoneur. Rien de bien difficile ni de surhumain, mais cette ascension est une expérience fantastique, d‟une durée de quatre à cinq heures, constituée d‟images en kaléidoscope, de vide, de granit et de glace, rythmée par le bruit des crampons raclant le rocher. Elle est faite de franchissements de barres rocheuses, de vires neigeuses, de passages délicats aériens et de descentes en rappel. Peu avant la fin, nous abordons le passage le plus impressionnant. En remontant une fissure d‟une cinquantaine de centimètres de large, on se retrouve bloqués sous un gros rocher. Le premier réflexe est de se dire : ça ne passe pas ! Mais, la corde qui monte prouve qu‟Elie, lui, est passé. Malheureusement, le bombement rocheux nous cache sa vue et ses paroles sont emportées par le vent. Il faut se débrouiller seul ! Dur de se rejeter en arrière, hors de cette fissure protectrice et de s‟exposer, dos au vide, à environ 1100 mètres de verticale. Les crevasses du glacier des Bossons, semblent nous attendre là, en bas… Finalement, une fois sa peur repoussée, on agrippe le gros rocher à plein bras et on se hisse péniblement au- dessus. Ouf, on est en sueur, mais on est vivant. Quoique, s‟il nous était arrivé de glisser, la corde nous retenait, avec à l‟autre bout notre ami Elie bienveillant. Une dernière pente de neige nous amène vers le point le plus élevé de l‟arête. On pose un instant sur ce gros rocher, matérialisant notre premier sommet. Là on se rend compte de l‟effort accompli et la tension se relâche. On a vaincu la montagne et les récits de Frison-Roche nous reviennent en tête… « La prochaine fois, tu seras premier de cordée », me confie Elie en souriant !

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Chapitre 4 Colombie-Britannique – Canada Lors de mon premier voyage au Yukon, en 1991, le bureau du tourisme me proposa de passer quelques jours dans un coin typique du Canada. Un de leurs partenaires touristiques nous invitait sur son camp en pleine nature et se proposait de nous promener en hydravion sur les grands lacs, source du fleuve Yukon. Bien que situé géographiquement en Colombie-Britannique, le seul accès vers le camp se fait par le Yukon. C’est donc tout naturellement que Jim Brook dépend du bureau du tourisme du Yukon et non de celui de Colombie-Britannique. Notre reportage sur le Yukon terminé, on décide de se consacrer à une semaine de découvertes de ses grands lacs, avant de reprendre la traversée complète du Canada et le retour vers l’Europe. Mon attirance vers tout ce qui vole promet une semaine de plaisir intense… Je n’ai jamais été en hydravion, et encore moins piloté un de ces engins. Avec un peu de chance… On prend la Alaska highway de Whitehorse vers Atlin, petite ville au bord du lac du même nom. Un petit lac de 200 Km de long ! Ce lac, interconnecté à plusieurs autres forme la source du fleuve Yukon, qui s’écoule ensuite sur plus de 3600 Km en direction de la mer de Bering, à un jet de pierre de la Russie ! On rejoint Jim Brook et sa maman, venus nous chercher en bateau, et en même temps faisant leur shopping mensuel à la ville. On charge le bateau à moteur, on se couvre avec des cirés et des bâches plastiques, puis on lève l’ancre. La navigation est mouvementée, le lac est grand et large et les vagues semblent les mêmes qu’en pleine mer. On comprend l’utilité des cirés et des bâches plastiques. Nous sommes constamment aspergés d’embruns. Ensuite, Jim engage le bateau dans une rivière que l’on n’apercevait pas quelques minutes auparavant. On voit qu’il connaît bien le coin. Il négocie les rapides et passages rocheux avec une certaine dextérité. Puis, la rivière se déverse dans un autre lac, d’apparence plus petit. Erreur, en fait il est beaucoup pus grand ! Il s’agit du lac Tagish, long de 280 Km et large de 150 Km. Nous ne sommes que sur l’un des nombreux « bras » de ce lac énorme, quasi aussi grand que la Belgique tout entière !!! Après une demi-heure de navigation, plus calme cette fois car il y a moins de vagues sur cette partie du lac, on arrive en vue de Brookland Wilderness Camp. On s’installe dans les cabanes de rondins et on va profiter pleinement de cette semaine de « vacances ». Jim deviendra un ami intime et fera partie de mes nombreuses futures aventures. C’est lui qui viendra me « sauver » sur Taku River, quelques années plus tard. Mais ça c’est une autre histoire… Pilote d’hydravion dans le Grand Nord C‟est dans l‟extrême coin nord -ouest de la Colombie-Britannique, à un jet de pierre de l‟Alaska, que se trouve « Brookland ». Propriété de la famille Brook depuis trois générations, cet authentique camp de trappeurs aligne ses cabanes de rondins au bord d‟un lac, long de 280 kilomètres ! ! ! Papy Brook, ingénieur en géologie minière, participa à la fameuse ruée vers l‟or du Klondike en 1898. Alors que les concessions minières du Yukon tombent en désuétude, il se souvient de cette montagne sur les bords du lac Tagish, aperçue lors de son voyage vers Dawson City. Il y retourne et fonde « Ingenieur Mine », l‟une des exploitations d‟or les plus productives de la région. Cette mine sera exploitée pendant plus de quarante ans et fera vivre près de deux cents personnes. Après l‟abandon de l‟exploitation, papy Brook décide de rester sur place, il en a assez de courir après la fortune. Il s‟établit, avec sa femme et son fils, à un endroit nommé « Golden Gate », non loin du site de la mine, ils vécurent de la pêche et de la trappe. Ce mode de vie est idéal pour ceux qui savent renoncer au luxe et à la civilisation, préférant la vie active dans la nature. Leur fils se passionna pour les avions, il fut l'un des premiers à posséder un hydravion dans cette région et pilota un Spitfire durant la seconde guerre mondiale.

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La survie de nombreuses personnes dépendent de son avion Le petit-fils, Jim Brook, pilote lui aussi dans l‟armée de l‟air canadienne, se tourne tout naturellement vers l‟hydravion taxi. A bord de son « Cesna 180 », il sillonne ces grandes étendues pour porter le courrier, le ravitaillement et amener les trappeurs sur leur lieu de travail. Au cours de la saison d'été, il transporte, vers la civilisation, les saumons fraîchement pêchés. Plus qu'un métier, Jim considère sa profession comme un sacerdoce. La vie ou la survie de nombreuses personnes dépendent de lui et de son Cesna, jamais il ne fera faux bond et chacun sait que l'on peut compter sur lui. Nous avons eu la chance de partager la vie de ces hommes rudes, mais accueillants, durant quelques semaines. Jim nous a emmenés sur des missions de ravitaillement de campements, dans les confins de la grande forêt bordant le Pacifique Nord, la "Tongass National Forest". Coincée entre la chaîne de montagnes côtière et l'Inside passage. Cette région est probablement l'une des plus difficiles d'accès de notre planète. Pour y arriver il faut survoler de fantastiques champs de glace, issus de la dernière grande glaciation, le passage de certains cols demandant plus de sang-froid que de réelles connaissances techniques. « Ici on pilote à l'instinct, nous confie Jim ». Que pourrait-on faire avec un hydravion, en cas de panne moteur, au-dessus de tels glaciers. Situation quelque peu incongrue ne manquant pas de nous venir à l'esprit. En effet, les flotteurs ne fonctionnent pas très bien sur la glace vive et crevassée !!! Un bon pilote est un pilote qui finit ses jours dans son lit Jim raconte : « Beaucoup de jeunes sont tentés par ce métier, le problème est que, si la fougue et l'insouciance de la jeunesse pourraient être un atout, rien ne vaut l'expérience d'un vieux baroudeur. Dans ces conditions de vol, où il existe peu de marche de manoeuvre, c'est souvent le bon réflexe qui sauve le pilote. Mais celui-ci ne s'acquiert qu'après une longue expérience de vol. Le mieux est encore d'être né là-dedans. A l'âge de 9 ans je pilotais déjà l'avion de mon père ! J'ai rencontré beaucoup de jeunes et excellents pilotes, mais le terme de bon pilote ne s'adresse, pour moi, qu'aux vieux renards finissant leurs jours, bien heureux, dans leur lit. Trop de jeunes loups se sont "brûlés" les ailes, au-dessus de la grande forêt ou sur le flanc de nos montagnes. Certains jours, je ne sais pas dire pourquoi, je n'ai pas envie de voler, comme un sixième sens qui me dirait "pas aujourd'hui Jim"... Et souvent je constate par la suite que le mauvais temps, imprévisible, est arrivé du Pacifique, noyant toute la région sous un épais brouillard! Ou encore que le vent des glaciers s'est mis à souffler du Canada vers l'Alaska, plaquant au sol tout ce qui passe dans les airs... Cette région il faut vraiment la connaître, avant de vouloir sillonner le ciel du Grand Nord. Mais malgré tout cela, je n‟échangerais ma vie contre rien au monde. Aux commandes de mon Cesna je me sens libre. Et l'environnement dans lequel je vis n'existe pas ailleurs. C'est certainement une vie beaucoup plus difficile que dans les lieux civilisés, mais ici j'ai la paix et je fais ce que je veux. Le stress, je connais pas !!! Qui pourrait en dire autant de nos jours ? Par contre, si j'ai oublié d'acheter du beurre en ville, il faudra s'en passer car le magasin le plus proche est à une heure et demie de vol... » Avec la venue du tourisme dans la région, Jim décide de transformer Brookland en base d‟accueil pour amateurs de pêche et de nature. Six cabanes de rondins, construites de ses mains, abritent les visiteurs. Le camp est rustique, mais comporte toutes les nécessités. Les transferts se font en hydravion et sont, à chaque fois, une réelle aventure... Il est vrai que cette région offre une densité de population inférieure au désert du Sahara. Le moindre ennui mécanique a des conséquences bien différentes ici que dans la majeure partie des régions habitées. Mais la vue de ces immensités sauvages vaut à elle seule le "petit risque" d‟y voler en avion. Un paradis pour les pêcheurs Toute la magie du Grand Nord s‟offre aux visiteurs, lacs aux eaux turquoise, poissons de taille supérieure à la moyenne. On parle souvent ici de prises « record ». La plus grosse truite capturée dans ses eaux pesait quelque soixante kilos ! ! ! Le soleil de minuit offre des heures de clarté insoupçonnée et des couchers de soleil à couper le souffle. Les montagnes, collines et forêts permettent des trekkings à volonté. La faune, plus qu‟abondante, ravira les amateurs de chasse

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photographique : ours, loups, élans, chèvres blanches des montagnes et bien d‟autres peuplent cette région fantastique. On ne tarit pas d‟éloges sur cette destination de voyage vraiment hors du commun, sur la gentillesse et la disponibilité des habitants. Que dire alors des pizzas à la viande de caribou : la spécialité de Mamy Brook, qui s‟occupe des fourneaux ...Ou encore du silence et du calme serein que l'on découvre: pas de bruits de moteur, pas d'autoroute, pas de klaxon,... rien que le souffle puissant de la nature qui réveille en nous des sensations oubliées depuis longtemps. En vol !!! On ne va pas dire « en route » puisqu‟il n‟y a pas de routes ici !!! Un matin Jim nous dit : il fait beau aujourd‟hui et l‟air est calme, c‟est le moment idéal pour faire un « scenic flight » un vol panoramique… Les appareils photo sont prêts, on se dirige vers le débarcadère et on se prépare à embarquer dans le magnifique cesna 180, couleur « alu » qui flotte là tranquillement. C‟est un avion un peu spécial, transformé pour le métier de Jim, le ravitaillement des camps de pêcheurs et de trappeurs. Un moteur surpuissant, deux sièges à l‟avant, un espace « cargo » au milieu et un strapontin dans la queue, pour un éventuel passager supplémentaire. A ma grande joie, l‟avion est équipé de doubles commandes. En plus de la vue magnifique et des photos superbes que je vais faire, je vais avoir droit à ma première leçon de pilotage en hydravion. Jim sais bien que j‟adore piloter et que je me débrouille pas mal. On en a déjà parlé longuement au coin du feu. On a évoqué chacun ses expériences de pilotage dans différents coins du monde et sur différents appareils ou engins volants. Jim m‟explique : au décollage ce n‟est pas un avion que tu pilotes, mais un bateau avec lequel tu navigues. Le palonnier dirige le gouvernail qui se trouve à l‟arrière de chaque flotteur. Pas de flaps au décollage, l‟avion s‟enfoncerait dans l‟eau. Prise de vitesse, face au vent, déjauge des flotteurs, on passe sur ce que l‟on appelle le deuxième étage de flottaison. La force d‟attraction de l‟eau se fait moins forte. Un petit coup de manche à gauche pour soulever le flotteur de droite et soulager encore de moitié cette fameuse force de retenue de l‟eau, et puis dans un dernier effort un coup de manche en arrière pour soulever le flotteur de gauche…ça y est, c‟est laborieux, mais on vole… Une fois en l‟air, la force de dérive est très grande. Les flotteurs font l‟effet de « voiles » et répondent à la moindre sollicitation du vent. On corrige constamment au palonnier. L‟avion paraît beaucoup plus lourd, moins maniable, mais la sensation de survol de cette région est magnifique. On comprend rapidement en s‟élevant que ce lac est énorme et qu‟il est fort découpé. Des centaines de bras, de baies, de chenaux interconnectés forment comme un patchwork d‟eau et d‟îles. L‟eau des lacs brille au soleil et les montagnes ou les collines forment des écrins à ces joyaux aux couleurs émeraude ou turquoise… Jim repère un énorme élan mâle qui broute des algues dans un petit marais. Un passage à basse altitude lui fait à peine lever la tête, pas du tout impressionné par cet étrange oiseau. On a le temps d‟admirer son panache, ç‟est un sacré mâle et les cornes sont énormes. On s‟élève à nouveau et on vole quelques minutes. Bientôt on survole un lac aux couleurs fantastiques. Un vert émeraude du plus bel effet, entouré de rochers gris et de magnifiques épinettes (sapins du Grand Nord). Des petites îles rocheuses parsèment le lac et feront un magnifique point de vue pour les photos que j‟aimerais faire. Un ou deux tours à basse altitude pour prendre ses repères et Jim pose l‟avion de main de maître en m‟expliquant la manœuvre. Le prochain atterrissage c‟est toi qui le feras me dit-il ! On navigue au ralenti jusqu‟aux berges d‟une petite île. Jim me débarque et reprend son vol pour une suite de « touch and go » mémorables. Il fera même certains passages en rase-mottes à pleine vitesse, les flotteurs au ras de l‟eau. Waow ! Quel sacré pilote et quelles belles photos cela fera ! Jim me reprend dans l‟avion et en avant pour un survol des glaciers de la chaîne côtière. Là, c‟est le règne minéral. Plus de vert, rien que du gris et du blanc, dans toutes les nuances de la gamme.

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Roche et glace de tous genres et de toutes teintes composent une palette des plus surréalistes. Au loin on aperçoit les eaux vertes du Pacifique et les multiples bras de mer de l‟Inside passage. Cela fait plusieurs heures que l‟on vole ainsi, ne se lassant pas de la vue. Mais le plein d‟essence diminue, et je n‟ai plus de pellicule. Toute bonne chose à une fin. Jim me dit de prendre les commandes et de nous ramener à Brookland. Mon sens de l‟orientation l‟interpelle et il ne me croyait pas capable de retrouver mon chemin dans cette région immense. J‟ai beau lui expliquer que j‟ai un sens de l‟orientation hors du commun, que c‟est un don que j‟ai en moi, que j‟ai un GPS interne qu‟on m‟a greffé à l‟intérieur quand j‟étais petit,… Rien n‟y fait et il croit à un coup de bol !!! Je lui dis qu‟il n‟a qu‟à refaire le plein et essayer ensuite de me perdre quelque part, rien n‟y fait. Quelques années plus tard et de nombreuses heures de vol en plus Jim sera bien obligé d‟admettre que j‟ai un très bon sens de l‟orientation ! Par contre le premier atterrissage que je fais ne sera pas digne de figurer dans les annales, je suis trop branché sur les avions à roues et je prendrai pas mal de temps à me faire aux flotteurs… Mais un jour j‟y arriverai. En attendant on se fait peur et on « mouille » pas mal l‟avion. Heureusement sans casse. Mais on est bien secoués. Je suis trop lent pour relever les flaps et l‟avion s‟enfonce dans l‟eau. La force de réaction fait ensuite qu‟il rebondit comme un bouchon hors de l‟eau. Nos estomacs en prennent un coup et les appareils photos vont se balader au fond de la carlingue, avec tout le reste des trucs qui n‟étaient pas bien attachés. On passe l‟après-midi au bord de l‟eau à se remettre de nos émotions et à discuter des plus belles frayeurs qu‟on s‟est déjà faites dans notre vie. C‟est bon de discuter de trucs virils comme ça avec un pote, dans un endroit tel que celui-ci. Vie intense d‟aventures et d‟aventuriers, aux confins de notre monde. Ces instants valent toutes les fortunes et tous les biens matériels auxquels j‟ai renoncé en embrassant cette carrière et en vivant cette vie de dingue. Mais toutes les belles choses ont une fin et déjà il faut penser à quitter cet endroit. Jim nous dépose en avion à Atlin et les adieux sont rapides. Il doit ravitailler un campement avant que le mauvais temps ne s‟installe sur la région. Une dépression arrive du Pacifique et il ne lui reste que quelques heures de vol possible avant la tempête. L‟avion s‟éloigne dans un vrombissement de moteur et dans une écume d‟eau… Pas de doute, Jim exerce le plus beau métier du monde, dans une des plus belles régions du monde. Bye, bye Jim. On se reverra bientôt !

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Chapitre 5 INDONESIE Un jour, il y a très longtemps, j’ai entendu parler des Hommes Fleurs de l’île de Siberut. Je ne sais plus à quel propos, je ne sais plus par qui ni à quelle occasion… Mais ce nom m’est resté gravé dans la tête. Bien des années plus tard, la responsable pour le Benelux de la compagnie aérienne « Garouda Indonésia » m’invite à choisir une destination, n’importe où en Indonésie pour aller y faire un reportage, pour le magazine Cap Aventure. Au choix, n’importe où ??? Hé bien, pourquoi pas aller voir les Hommes Fleurs de l’île de Siberut !!! Je ne peux pas dire pourquoi j’ai pensé à cela, mais le premier moment d’étonnement passé, cette responsable me dit : oui ! Pourquoi pas ? Au moins c’est un sujet original. Bien peu de monde connait ces peuplades primitives qui vivent au plus profond de la jungle… Au fait, ils sont où ces Hommes Fleurs ? Et comment on y va ? Et bien c’est pas évident, c’est même pas évident du tout. Pour la première fois Internet va entrer dans ma vie ! On vient d’être branchés au bureau chez Ciné-Revue et comme un grand je tape dans le navigateur « Hommes Fleurs Siberut » et oh miracle, je reçois un tas d’infos auxquelles je ne m’attendais pas. En quelques clics le voyage est bouclé. Je viens de rentrer dans l‘aire du journalisme moderne. Moi qui sors de la forêt canadienne, où je vivais sans eau courante ni électricité !!! Les « Hommes Fleurs » de Siberut Loin des remous de la civilisation, loin des problèmes politiques, loin des émeutes de ces derniers temps, vivent des hommes que l’on appelle « primitifs ». Au plus profond de la jungle, sur une petite île difficilement accessible, ils coulent des jours heureux depuis la nuit des temps, perpétuant un style de vie qui leur convient à merveille. Une vie près de la nature, une vie harmonieuse et tranquille… Une île difficile d‟accès Le premier facteur positif pour ces hommes est l‟éloignement et la difficulté d‟accès de leur île. Siberut se trouve au large de l‟île de Sumatra. Des récifs de coraux et une mer très dangereuse ont souvent rebuté les voyageurs à s‟en approcher. L‟absence de mouillages sûrs au long des côtes n‟a pas facilité la tâche des marins non plus. Encore aujourd‟hui aucun bateau ne peut approcher le port et le déchargement des passagers et du fret se fait à l‟aide de pirogues. C‟est ainsi que les hommes blancs ne commencèrent à visiter cette île qu‟à la fin du siècle passé. Quelques missionnaires hardis se sont enfoncés dans la jungle. Pas trop loin toutefois… Aujourd‟hui cela reste toujours un challenge que de tenter de rejoindre Siberut. Le voyage en lui-même est déjà toute une aventure. Néanmoins certains « hommes d‟affaires » ont découvert des richesses qu‟ils tentent d‟exploiter : bois précieux, minéraux et patchouli. Ces incursions restent toutefois très limitées. Le tourisme, lui aussi a fait son apparition, mais le manque de structures d‟accueil fait que les visiteurs potentiels restent de sérieux « routards », rompus à la dure réalité du trekking et du camping dans la jungle. Tout cela fait qu‟à la fin du 20

ème siècle, cette peuplade des « Mentawaï » comme on les appelle là-

bas, a su conserver son identité et sa culture à peu près intactes. Malgré les tentatives du gouvernement de recentrer tous les habitants dans des bourgades de la côte, malgré les essais des missionnaires pour les convertir au christianisme, et malgré toutes les atteintes de la vie moderne, on peut encore rencontrer aujourd‟hui des « Hommes Fleurs » authentiques. Un dur voyage Entre dire : « Je vais aller à Siberut » et s‟y rendre vraiment il y a un monde de différence. Très vite on se rend compte que cette destination est exceptionnelle. Les premiers contacts pris d‟Europe se sont

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avérés infructueux. De judicieux conseils découverts sur Internet m‟ont été très précieux. La clef du mystère se trouvait à Bukkitingi, petite ville de Sumatra, nichée dans les montagnes. C‟est là qu‟il serait possible de recruter un guide capable d‟emmener quelqu‟un sur l‟île de Siberut. Un très long voyage en avion, parsemé d‟escales, m‟emmène vers la ville de Padang, où se trouve l‟un des quelques aéroports de Sumatra. De là, une folle aventure en taxi me transporte vers Grand Nord, distante de 90 km. Folle aventure car la façon de conduire des Indonésiens s‟apparente plus à une initiation « kamikaze » qu‟a une balade de santé. C‟est les jambes tremblantes et le stress à son maximum que je m‟extirpe de la voiture, heureux d‟être encore en vie et en un seul morceau. Pourtant la route était très belle, serpentant entre les massifs volcaniques, errant à travers la jungle et les rizières. Rapidement je me rends à l‟adresse que l‟on m‟avait indiquée et je rencontre Yan, un guide indonésien parlant un très bon anglais. Les explications sont vagues, Siberut n‟est pas un voyage facile, cela va coûter beaucoup d‟argent. Il faut engager un porteur et trouver une pirogue, le voyage en bateau est long et éprouvant,… Une vraie litanie qui tente à vous décourager tout de suite. Mais devant le sérieux et la détermination de la demande on arrive à un accord. Le départ se fera le lendemain à l‟aube. Je ne pensais pas pouvoir partir aussi vite, mais tant mieux. Après une courte nuit de repos, qui ne parviendra pas à effacer la fatigue du voyage et le décalage horaire, me revoici déjà sur la route me ramenant à Padang. Mais, cette fois, dans un transport affrété par Yan. Le chauffeur semble plus sérieux et moins pressé de mourir que le taximan de la veille. Je profite d‟autant mieux du paysage car le minibus possède de larges vitres panoramiques. Quelques arrêts photos seront même possibles. A Padang il faut à nouveau palabrer, il n‟est pas facile d‟obtenir des tickets pour le bateau, quelques « pourboires » arrangeront l‟affaire. On réussira même à obtenir une « cabine ». Vers 22h00 nous embarquons dans ce qui semble être un ancêtre de bateau en bois ! Je suis étonné par la foule hétéroclite qui se masse sur le quai. Plus de cent personnes, avec bagages, animaux (familiers ou non) et une masse de fret, attendent de pouvoir embarquer. Comment tout cela va-t-il rentrer dans un aussi petit bateau ? En moins d‟une heure l‟affaire sera réglée ! Mais, il ne reste plus un espace de libre dans le moindre recoin du rafiot. J‟espère qu‟il ne prend pas l‟eau… Nous sommes très heureux d‟avoir obtenu une cabine. Il s‟agit en fait d‟une sorte de cage à lapin, protégée par du treillis et des planches de bois brut. Quatre couchettes, de taille correcte pour un Indonésien (pas pour mon mètre nonante) et la possibilité de fermer la porte, nous garantiront un luxe et un confort relatifs. Je suis surtout heureux de pouvoir ouvrir un petit « guichet » qui donne sur l‟extérieur et apporte un peu d‟air chaud et humide. Toujours moins chaud et moins vicié que l‟air de l‟intérieur. Cap Aventure fait sensation Les moteurs se mettent en route, dur de l‟ignorer car les moteurs indonésiens ont la particularité de faire énormément de bruit, et le bateau quitte lentement le port. Les petites embarcations de pêcheurs illuminent la nuit, telles des lucioles. L‟air du large est un peu plus frais et tout le monde semble revivre ? Heureusement la mer est calme et le bateau avance vite. L‟ambiance commence à monter et tous les passagers s‟intéressent à ce grand Européen qui partage leur bateau. Les questions fusent, toujours les mêmes : d‟où tu viens ? Comment t‟appelles-tu ? Quel âge as-tu ? Est tu marié,… Le tout dans un anglais plus qu‟approximatif, très charmant. Le magazine Cap Aventure que j‟ai emporté fait sensation, tous veulent découvrir et apprécier les photos, les questions pleuvent à nouveau et mon guide doit jouer les interprètes. Les sujets en rapport avec la neige et le Grand Nord les laissent très perplexes. La température actuelle doit allègrement dépasser les trente degrés! Petit à petit, les uns après les autres, les visiteurs se retirent et vont tenter de trouver un peu de sommeil. Je passerai le reste de la nuit à transpirer en cherchant une position plus ou moins confortable. Au petit matin, les premières lueurs de l‟aube nous font découvrir la côte embrumée de Siberut. Quelques palmiers se découpent en ombres chinoises sur fond de ciel gris. Le bateau ralentit, jette l‟encre, les moteurs se coupent et c‟est l‟attente. Des pirogues à moteur approchent et le

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débarquement commence. Les hauts-fonds empêchent toute approche de la côte. C‟est dans une joyeuse pagaille que le déchargement se fait. Quelques minutes de pirogue et nous débarquons dans le petit port de « Muara-Siberut », la seule et unique ville de l‟île. Presque instantanément un mini marché s‟improvise. A peine débarqués du bateau, les victuailles et les produits sont installés sur le sol et proposés à la vente. Nous n‟avons guère le temps de profiter de ce spectacle. Il nous faut trouver une pirogue avec un pilote consentant à nous amener en aval de la rivière. Car tout transport vers l‟intérieur des terres se fait obligatoirement par la voie des eaux. Aucune route n‟existe sur Siberut ! Une rivière dangereuse Cette rivière n‟est pas facile à naviguer. De nombreux troncs d‟arbres charriés par le courant créent des obstacles dangereux et parfois difficiles à franchir. Les palabres durent des heures et sans la présence de mon guide il serait probablement impossible de trouver la perle rare. Elle se matérialise pourtant en un Indonésien jovial, à la bouille toute ronde. Ce sera notre pilote, l‟appât du gain a été le plus fort. Il nous emmènera où l‟on veut aller. Un dernier repas de nouilles chinoises, derniers achats (bouteilles d‟eau, allumettes,…) et l‟on charge notre barda sur la pirogue. Un gamin prend place à l‟avant, il indiquera la direction à prendre dans les passages difficiles et écartera les troncs d‟arbres flottant le cas échéant. Bye-bye, Muara,… l‟aventure continue. Durant toute la journée nous ne cesserons de croiser de multiples embarcations : pirogues à moteur, sans moteur, sans rames même,… Toutes chargées d‟une population multiple et variée. Mais les premiers Mentawaï sont rapidement identifiés. Malgré leurs t-shirt on découvre les premiers tatouages, symboles de leur appartenance au peuple des « Hommes Fleurs ». Quand ils se rendent en ville ils abandonnent leur vêtement traditionnel en fibre végétale, pour un short et un t-shirt. Finalement nous arrivons au dernier point dit « civilisé », en fait la dernière mission, au lieu-dit « Badarogok ». Après, aux dires de notre pilote, c‟est le monde de la forêt, le monde des sauvages,… Là, il fera ses adieux aux amis et s‟assurera qu‟ils viendront à notre recherche si notre absence se prolonge trop longtemps ! Pas très rassurant tout cela,… L‟univers des Mentawaï Nous remonterons encore la rivière sur une bonne distance, avant de nous arrêter près d‟une cabane. Des Mentawaï s‟approchent timidement et nous n‟avons aucune peine à engager un « guide-porteur » pour nous mener vers notre destination. Notre trekking en jungle commence, enfin j‟ai l‟impression de me rapprocher du but. Très vite la chaleur et l‟humidité deviennent dures à supporter. La jungle est très épaisse. Les grands arbres doivent approcher les 50 mètres de haut et sont couverts de lianes. La lumière du soleil à du mal à se frayer un chemin à travers ce dédale de végétation. Les bruits des animaux : insectes, singes, oiseaux,… sont presque assourdissants. Je tente vainement de les identifier. Soudain, le semblant de sentier que nous suivons se termine sur un ruisseau. Notre guide s‟engage dans l‟eau et un à un nous le suivons. Une explication ou un conseil a dû m‟échapper, car je n‟avais pas compris qu‟il fallait marcher sur un tronc d‟arbre immergé ! Mes pieds d‟Européen n‟ont pas senti le piège et je me retrouve dans l‟eau jusqu‟aux coudes, alors que mes compagnons n‟en avaient que jusqu'à mi-cuisses… Hilarité générale, je supporterai les commentaires moqueurs pendant une bonne heure. Jusqu'à ce que ce soit Yan qui loupe un tronc et s‟étale dans la boue. Je discerne des chants de coqs parmi les bruits de la jungle ! Le sentier s‟élargit, la présence humaine se remarque de plus en plus. Nous approchons de notre but. Soudain la forêt s‟éclaircit et une maison de bambou au toit recouvert de feuilles de palmier est en vue. Notre guide Mentawaï commence à parler dans sa langue d‟une voix très forte. Ce sont les paroles d‟introduction destinées à prévenir les habitants de « l‟uma » (nom donné à la maison en langage Mentawaï) de notre approche et de nos intentions. Personne ne vient à notre rencontre, c‟est normal ! Nous escaladons le tronc taillé qui sert d‟escalier et abandonnons nos sacs à dos dans la première pièce de l‟habitation. Un à un nous pénétrons dans la grande pièce commune de l‟uma et nous nous présentons au maître des lieux. Aman Talajat est le nom de ce superbe Mentawaï, au corps athlétique couvert de tatouages. Très vite il me paraît sympathique. Yan, qui est déjà venu ici, lui offre les

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présents de bienvenue : du tabac, de la nourriture,… et demande si nous pouvons rester ici quelques jours. Pas de problèmes, nous sommes acceptés. La fin de la journée sera passée à faire les présentations et à visiter la maison. Elle est beaucoup plus grande que l‟on s‟imagine en arrivant. Différentes pièces s‟étalent en enfilade. Quand nos yeux s‟habituent à la pénombre on discerne des crânes d‟animaux, des plumes et d‟autres choses étranges qui pendent un peu partout, reflet de leurs croyances animistes. La maison tout entière repose sur des pilotis, à plus ou moins deux mètres du sol. En-dessous c‟est le royaume des cochons semi-sauvages. Yan me prévient de ne rien laisser tomber sur le sol, car les cochons mangent tout ce qui arrive à leur portée. Ils sont friands, paraît-il, de chaussures ! De nombreux candidats trekkeurs ont dû rentrer, pieds nus, leurs chaussures ayant terminé dans l‟estomac des cochons… Le point positif est que ces sympathiques animaux font office de poubelles familiales, rien ne se perd au pays des Hommes Fleurs. Rien à voir avec des sauvages Nous sommes introduits auprès des autres membres de la famille. L‟épouse d‟Aman et la mère de ses cinq enfants. Puis, les enfants eux-mêmes. Du petit bébé de deux ans, à l‟aîné d‟une vingtaine d‟années, tous viennent nous saluer. Yan explique le but de notre visite, la réalisation d‟un reportage sur leur mode de vie. Le Cap Aventure que j‟ai amené les intrigue beaucoup et ils sont ravis de savoir qu‟ils auront leur photo dans le magazine. C‟est bon, je peux commencer à travailler. Je passerai beaucoup de temps à leur expliquer le fonctionnement de mes appareils photos, afin qu‟ils ne soient pas intrigués sans cesse par ce que je fais. On les appelle primitifs, mais à la vitesse à laquelle ils comprennent la manipulation de ce matériel électronique, on se rend compte qu‟ils ont en fait une intelligence incroyablement développée. Rien à voir avec des sauvages. Cette constatation ne fera que se confirmer tout au long de mon séjour. Après un bon repas, nous dressons notre campement dans la pièce commune de la maison. On tend les moustiquaires, on déroule les matelas et l‟on se couche en rêvant d‟une bonne nuit de sommeil. Rêve utopique… à cause des insectes qui ne cesseront de nous harceler durant toute la nuit. Des petites mouches microscopiques se faufilent sans peine par les petits trous de la moustiquaire ! Le pire c‟est qu‟elles « mordent » férocement toute surface de peau qui n‟est pas couverte. Même les lotions anti-moustiques ne les dérangent pas. Au petit matin, je serai couvert de gourmes sur tout le corps. Nous ne serons épargnés durant aucune de nos nuits. La préparation du sagou Dans la matinée, j‟assisterai à la préparation du « sagou » base alimentaire des Mentawaï. Il s‟agit en fait de la pulpe d‟un palmier qui est récoltée selon un procédé original. L‟arbre est d‟abord abattu et débarrassé de son écorce dure. Ensuite la partie tendre est râpée avec un outil approprié. La mixture récoltée est mélangée avec de l‟eau dans un grand récipient en bois et malaxée pendant un certain temps. Une sorte de farine se dépose alors au fond du récipient. Celle-ci est récupérée et en séchant devient une sorte de bloc dur de couleur blanche. C‟est ainsi qu‟il sera stocké pour un usage ultérieur. De retour à la maison, la jeune fille en charge de la préparation du repas réduira ce bloc en poudre. Celle-ci sera ensuite introduite dans des morceaux de bambou verts qui seront mis à cuire au-dessus du feu. Un peu plus tard, les bambous seront fendus en deux et le sagou sera prêt à être consommé. Je n‟hésiterai pas à en goûter, ce n‟est pas mauvais du tout, avec même un petit goût de noisette… Cette nourriture, riche en hydrates de carbone remplace le riz ou les pommes de terre qui sont inexistantes par ici. Ce repas est accompagné de sources de protéines telles que des larves ou chenilles (que je ne goûterai pas), de poissons ou de gibier (singes, oiseaux,…). Parfois, aux grandes occasions un poulet ou un cochon seront sacrifiés. Les légumes sont rares, voire inexistants, mais les vitamines sont apportées par les nombreux fruits qu‟ils consomment. Nous sommes à la saison du « Jack fruit », une sorte de gros fruit vert, allongé et recouvert de piquants. Lorsqu‟il est fendu en deux, on découvre une chair rose, très sucrée et quelques noyaux de la taille d‟un œuf. Les fruits disponibles varient selon les saisons, mais jamais ils n‟en manquent. Ce sont surtout les jeunes garçons qui sont en charge de la

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cueillette. L‟épouse, quant à elle, ne s‟occupe presque exclusivement que du bien-être des plus petits et… de la volaille. Les morceaux du tronc de sagou qui sont moins beaux servent à nourrir les cochons et les poules. Ils sont jetés tels quels sur le sol et c‟est la curée. Je ne voudrais pas être en compétition avec ces cochons pour trouver de la nourriture… La ration des poules est déposée sur la terrasse à l‟avant de la maison et les unes après les autres, elles viennent picorer joyeusement. Il semble que toute la maison se nourrisse de sagou. A part peut-être les nombreux chiens et chats qui gambadent partout. Eux se contentent des restes de poisson et de viande. Durant le plus clair de mon temps, j‟accompagne Aman dans ses occupations quotidiennes. Nous faisons de longues balades en jungle, à la recherche des différentes choses qui assurent le bien-être quotidien. C‟est incroyable comme il peut tirer sa subsistance de cette forêt hostile. Telle liane deviendra un panier lorsqu‟elle sera tressée. Il enlève l‟écorce d‟un tronc, la pèle et en tire un morceau d‟un bon mètre de long. A la rivière il la martèlera contre un tronc d‟arbre et l‟humidifiera plusieurs fois. C‟est ainsi que ce bout d‟écorce se transformera en vêtement de fibres végétales. Il me fera d‟ailleurs cadeau de ce pagne, que la décence ne me permettra pas de revêtir ! A part les hommes adultes, les jeunes et les femmes ne revêtent d‟ailleurs plus l‟habit traditionnel des Mentawaï, ils leurs préfèrent les jupes ou shorts et les t-shirts. Les cadeaux, par contre, font partie du quotidien de ces gens simples. Etant averti de cela j‟en ai amené de nombreux, qui serviront à tisser un lien d‟amitié avec toute la famille. Briquets, tabac, cartes postales de Belgique,… tous en recevront. De mon côté je ne manquerai jamais de fruits et plein d‟autres « babioles » que les enfants me ramènent.

Vive les sangsues La vie s‟écoule paisiblement dans cet environnement qui me paraît de moins en moins hostile, au fur et à mesure que je m‟y habitue. Mes balades quotidiennes en compagnie d‟Aman ou des enfants m‟en apprennent davantage jour après jour. Quelques aventures viennent bien briser le quotidien, telle cette rencontre avec une énorme araignée (j‟ai horreur de ces bestioles), ou cette tribu de sangsues qui ont envahi mon dos pendant le passage d‟une rivière à gué. Près d‟une quarantaine de

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ces suceuses de sang seront collées entre mon sac photo et ma peau. Mon dos ressemblera à un énorme suçon pendant quelques jours. Aman m‟apprend comment les décoller avec une décoction de tabac, j‟en serai quitte avec de grandes crises de chatouillements. Mais, déjà le séjour touche à sa fin. Il va nous falloir entamer le périple dans l‟autre sens pour rejoindre la civilisation. Je n‟irai pas jusqu'à dire que je voudrais rester ici, j‟en ai marre des insectes, de la chaleur et de l‟humidité constante,… Mais c‟est clair que je laisserai une partie de mon cœur dans la jungle de cette île du bout du monde. Jamais je ne pourrai oublier cette famille si paisible, vivant dans une telle harmonie avec la nature. Les adieux seront de courte durée, leurs préoccupations allant vers le quotidien qu‟ils doivent assurer. Un dernier signe de la main et l‟image d‟Aman restera pour longtemps gravée dans ma mémoire. Le voyage du retour se passera sans encombre, à part une petite frayeur concernant le retard de la pirogue au point de rendez-vous. Un petit problème moteur nous certifiera notre pilote. Nous avons bien cru devoir construire un radeau pour descendre la rivière… L‟aventure du bateau dans l‟autre sens sera encore accrue par la mer moins clémente qu‟à l‟aller. Vive le mal de mer et les paquets d‟eau salée entrant par le guichet : c‟est cela ou mourir de chaud ! Une petite bagarre m‟opposera à une tribu de cafards dodus dans ce qui sert de toilettes du bateau…Et finalement le rivage de Sumatra pointera à l‟horizon. Bilan de l‟aventure : c‟était un sacré voyage !

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Chapitre 6 Les Rocheuses canadiennes Ma première vision des Rocheuses se fait à travers la vitre du train « transcanadien ». Un arrêt des quelques jours à Jasper durant mon premier voyage au Canada en 1991, me suffit pour apprécier la région. Un vrai paradis pour les sportifs. L’année suivante, je débarque à Jasper avec mon parapente biplace et j’y passe un été complet. Ouvrant par la même occasion la première école de parapente des Rocheuses. Je m’y suis fait de vrais amis, tel le photographe Joe Valcourt, avec qui je suis toujours en contact. Et Guy Meilleur avec qui je partis découvrir le Yukon en hiver. Guy travaille aujourd’hui sur les champs pétrolifères de Fort Mc Murray, dans le nord de l’Alberta comme conducteur d’engins lourds. Difficile pour moi de ne pas parler aussi de l’ACFA, l’association franco-canadienne de l’Alberta, et de son bureau de Jasper. Ce sont des gens formidables qui m’ont aidé à de nombreuses reprises, surtout le président de l’époque Gaétan Pelletier. Grâce à eux j’ai fait ma première émission de radio sur les ondes de « Radio Canada » à Edmonton. Ne sachant pas encore à l’époque que je deviendrais pour quelque temps l’animateur « vedette » de l’émission « Café Rencontre » tous les vendredis soirs, sur « Radio Canada » en national… J’ai aussi écrit mes premiers articles dans les journaux nord-américains grâce à eux. Quand j’y repense, sans ces fichus papiers d’immigration j’aurais pu faire une belle carrière de journaliste là-bas. Mon travail, mon dynamisme et mon énergie plaisaient aux auditeurs et aux lecteurs canadiens… Le paradis pour les amoureux de sport et de nature… Imaginez un ensemble de parcs nationaux, dont la surface totale dépasse largement la superficie de la Belgique. L’expérience et les bénéfices d’un siècle de conservation de la nature. Une volonté de cohabitation harmonieuse entre les pratiquants sportifs et les animaux vivant dans ces contrées. Placez le tout dans un environnement montagneux, dont le plus haut sommet avoisine les 3.900 mètres d’altitude. Mélangez cela avec des lacs, des rivières, des forêts et des vallées mystérieuses… Vous obtiendrez ce paradis terrestre que sont les Rocheuses canadiennes. Cinq parcs nationaux sont contigus dans cette région : Banff, Jasper, Yoho, Kootenay et Mt.Revelstoke/Glacier. Un peu d’histoire Toute l‟histoire de la découverte et de l‟exploration de Canada est intimement liée à la traite des fourrures. Il existait trois grands axes de pénétration de ces énormes territoires : Le fleuve St Laurent et les grands lacs occupés par les Français, La baie d‟Hudson au nord-est et la vallée « Fraser » en Colombie-Britannique, de l‟autre côté du pays, fief des Anglais. Ces deux nations seront en compétition constante, pendant de nombreuses années, pour trouver un passage entre l‟est et l‟ouest du Canada. Mais, ce passage nécessitait obligatoirement de vaincre la barrière naturelle des montagnes Rocheuses. C‟est au début des années 1800 que les trappeurs s‟aventurèrent sur les pistes indiennes menant au cœur des montagnes. Entre le col « Athabasca » et la passe de « Yellow Head », se trouvait une magnifique vallée. Un poste avancé de traite des fourrures sera aménagé à cet endroit en 1811, sur le site de « Old Fort Point ». Il ne s‟agissait que d‟une simple cabane, tenue par un dénommé William Henry. Elle permettait aux trappeurs de se reposer, avant de braver la montagne. En 1813, un autre trappeur construit une cabane de repos, un peu plus à l‟est. L‟individu répondant au nom de Jasper Hawes, était connu de tous et rapidement son prénom désigna la région tout entière. Pendant une bonne centaine d‟années, les trappeurs seront les maîtres incontestés de cette contrée. C‟est durant ces années qu‟un prêtre belge, le père Desmet, arpentera la région, découvrant entre autres, le réseau hydrographique de la « Maligne river ». Ce nom est l‟interprétation anglaise de ce que raconta le père : « Cette rivière est vraiment malicieuse ». En effet, le cours d‟eau est

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partiellement souterrain, causant des variations de niveau d‟eau dans les lacs, la disparition inexplicable de la rivière et sa réapparition, tout aussi inexpliquée, un peu plus loin… En 1907, l‟état canadien décida la création d‟un parc national de 11.000 km carrés, englobant la vallée de Jasper, la plus grande partie de ce parc étant encore inexplorée à cette époque. Le but était justement de préserver ces espaces pour protéger la nature et les animaux dans leur état originel, mettant fin aux spéculations des promoteurs. En effet, d‟énormes problèmes s‟étaient présentés quelques années plus tôt, lors de la construction de châteaux dans la région de Banff et de Lac Louise. Les propriétaires de ces châteaux voulant interdire au public l‟accès de sites magnifiques. D‟autres encore se livrèrent de véritables batailles pour l‟exploitation de sources d‟eau chaude et l‟établissement de bains, destinés à une richissime clientèle attirée par les vertus du thermalisme. La création du parc national de Banff permit de sauver les sites et d‟en permettre l‟accès à tous les citoyens. La venue du chemin de fer transcanadien, en 1911, permettra le développement de la ville de Jasper. Escale importante pour le ravitaillement des locomotives, après les passages du col Athabasca, ou dans l‟autre sens, de la passe de Yellow head. Mais, ce développement étant postérieur à la création du parc, la construction de la ville sera pensée en fonction de la protection du site et d'un impact minimum sur la nature environnante. Encore aujourd‟hui, la ville de Jasper reste un modèle de gestion et de cohabitation d‟une communauté humaine dans un parc national. De nombreux experts, venant parfois d‟Afrique, étudient les comportements des hommes et des animaux dans ce laboratoire à taille réelle. Certaines idées et théories seront d‟ailleurs reprises de Jasper pour la gestion du parc national du Serengetti en Tanzanie. La ville de Jasper compte aujourd‟hui quelque 4.500 habitants et reçoit près de deux millions de visiteurs par an. Les « Rangers », gardes des parcs nationaux, sont nombreux et surveillent activement toute activité dans les limites des parcs. Fort heureusement, ils exercent leur mandat de façon informative plus que répressive. Un trait de caractère bien « canadien », ils sont appréciés et respectés de tous, bien que représentant l‟ordre suprême. Dans chaque parc, un « visitor center » est établi, géré par les rangers, permettant à tous de s‟informer sur les règlements en vigueur, les consignes à suivre, les meilleurs sentiers de randonnées, les alertes aux ours, etc.… Les rangers guident souvent des randonnées d‟interprétation, permettant au public de se familiariser avec la nature. En voiture Notre périple débute à Vancouver, capitale de la Colombie-Britannique, nous empruntons la Hyghway 1, la fameuse « Transcanadienne », qui nous mène rapidement vers le premier parc national « le Mont Revelstoke », jumelé au parc des « Glaciers », formant un ensemble de 1.350 km carrés. Ce parc est connu pour ses fabuleux glaciers, sa flore alpine et ses torrents impétueux. Nous ne ferrons que les traverser, nous contentant que de quelques arrêts photos. Après, nous nous octroyons une pose dans la sympathique ville de Golden, histoire de faire connaissance avec quelques parapentistes locaux. C‟est de cette ville que débutent les espoirs de vols de distance au Canada et que fut établi l‟actuel record du pays, avec plus de 170 km parcourus. Nous abordons par la suite le parc national de Yoho. En guise de bienvenue, une chèvre blanche des montagnes semble se jouer de la pesanteur, en escaladant une falaise bordant la route. Arrêt photo et contemplation de notre premier animal digne de ce nom, c‟est-à-dire un grand mammifère. Après avoir été menacée d‟extinction, cette race d‟antilopes (appelée chèvres à tort !) est à nouveau abondante dans les Rocheuses. Nous ferons une halte randonnée pour admirer le lac Emeraude, plébiscité dans les guides touristiques, ainsi qu‟aux chutes « Takakkaw ». C‟est d‟ailleurs au camping du même nom que nous passerons la nuit. Un seul regret, Il y a un peu trop de monde à notre goût. La passe de « Kicking Horse » nous mène vers le lac Louise et le parc national de Banff. Si les sites naturels sont magnifiques, les hordes de touristes nous incitent à fuir encore plus en avant, non sans visiter les incontournables du coin. Dans le désordre je citerai : Le lac Louise, très beau panorama, malheureusement gâché par cet immense château transformé en hôtel. Il faut jouer des coudes pour

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accéder au point de vue, bain de foule garanti ! Le centre-ville de Banff, ressemblant étrangement à une station alpine de luxe bien connue. Nous apercevrons néanmoins notre premier « wapiti » (grand cerf d‟Amérique), dans le parc public en plein centre- ville… Un coup de cœur, le magnifique musée des Indiens des plaines, retraçant fidèlement le mode de vie des premiers habitants des lieux. Nous prenons un repos bien mérité au camping municipal, surchargé mais calme, les Canadiens sont extrêmement bien disciplinés et n‟ont pas tendance à faire du tapage nocturne. L‟aventure commence au départ de Banff, pour rejoindre Jasper, par la fabuleuse « promenade des glaciers ». 300 km de route dans un décor digne de toutes nos attentes. Cols, passes, falaises, montagnes, lacs, glaciers, animaux,… Rien ne manque. Petit arrêt randonnée au col Athabasca, lieu historique de la conquête des Rocheuses et à « Rocky Mountain House », le premier poste de traite des fourrures établis dans la région. Un autre arrêt au glacier « Columbia », le plus grand champ de glace des Rocheuses. Histoire de regarder les touristes, chargés dans des bus « big foot » aux roues énormes, se rendre sur le glacier même, pour une excursion dont ils parleront longtemps. Le paysage change, les montagnes se resserrent, les pics deviennent plus acérés,… Nous arrivons à Jasper. Dés le franchissement de l‟entrée du parc, les animaux sont là, au bord de la route. Mouflons, wapitis, cerfs mulets,… leur présence sera continue pendant tout notre séjour dans ce parc. Dés l‟arrivée au centre-ville, on se sent chez soi. Jasper est bien différente des autres villes que nous avons traversées. Les touristes sont nettement moins nombreux et surtout moins envahissants. Si Banff a une réputation touristique de masse et de luxe, Jasper est le repère des sportifs purs et durs, ou encore des amateurs de nature et d‟écologie. Sur les conseils d‟un ami, nous nous rendons dans un établissement du nom de « Pizza Place », le repère des sportifs québécois (francophones). Ils sont toute une bande, passant la saison ici, travaillant dans le secteur du tourisme et dédiant tout leur temps libre à courir la montagne, faire du VTT, de l‟escalade et du rafting. Rapidement on se rend compte qu‟ils forment une communauté soudée, qu‟ils appellent eux-mêmes la « french connexion » ! A côté des saisonniers, se trouve également une communauté de Québécois résidents à l‟année à Jasper et réunis au sein d‟une association : L‟ACFA (Association canadienne française de l‟Alberta). Grâce à ces francophones, nous allons découvrir Jasper en profondeur et apprécier notre séjour ici. Rapidement on prend le rythme du coin : petit-déjeuner au « Coco‟s Café », l‟établissement en vogue, servant une quinzaine de cafés différents, présentés dans des thermos garnies d‟une étiquette aux noms évocateurs. Notre préféré : le « Mountain Grizzly ». Ensuite, direction « Free Wheel Cycle » pour déterminer le programme de la journée et louer le matériel nécessaire. VTT, escalade, trekking, rafting, randonnée à cheval,… Les activités ne manquent pas. Tous sont contents d‟emmener des francophones d‟Europe à la découverte de leurs terrains de jeux. C‟est ainsi que nous découvrons le site d‟escalade de « Boulders Garden », traduction : le jardin de blocs. Ce site est constitué d‟un amas de blocs de rochers abandonnés là par le retrait des glaciers. Des centaines de voies d‟escalade ont été ouvertes par les grimpeurs locaux. Shawn Van Hasten en tête, l‟un des dix meilleurs grimpeurs canadiens. Il nous conduit de blocs en blocs, expliquant les différentes voies qu‟il a ouvertes, s‟échelonnant du 5 au 8b (cotations des difficultés de la voie). Nous passerons la journée à grimper dans cet endroit idyllique, pique-niquant au milieu des rochers et nous racontant des histoires. L‟une d‟entre elles vaut la peine d‟être contée. Histoires d’ours… C‟est Dave Van Hasten, le frère de Shawn, qui fut l‟acteur involontaire de ce qui est devenu aujourd‟hui une légende des Rocheuses. Grand amateur de descente en VTT, discipline que l‟on appelle ici le « downhill », il était monté avec son vélo au sommet d‟une montagne. La descente débute, avec des pointes de plus de 80 km/h, dévalant les sentiers. A son entrée dans les bois, dans une section qu‟il connaissait bien, Dave ralentit pour négocier un virage en angle droit. A la sortie du virage, l‟horreur ! Une maman grizzly se trouve au milieu du chemin, en compagnie d‟un ourson. Impossible de freiner, ni d‟éviter le choc… Il percute le grizzly de plein fouet. Difficile de dire qui des deux, lui ou l‟ours, sera le plus surpris. Toujours est-il que le grizzly donnera deux coups de pattes, pour se dépêtrer de cet humain inopportun, avant de s‟enfuir dans les bois. Sérieusement blessé, Dave reprendra néanmoins son VTT pour rejoindre la civilisation, distante de 7 km du point de

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l‟accident. A moitié exsangue, il sera sauvé de justesse. Près de 2.500 points de suture seront nécessaires pour recoudre toutes les blessures infligées par l‟ours. Heureusement, aucun point vital ne sera touché et Dave ne garde pas de séquelles de cette rencontre imprévue. Depuis lors, les vététistes équipent leur vélo de clochettes, prévenant les ours de leur arrivée… Vous avez dit « Malicieuse »… La découverte suivante sera celle de la vallée de la rivière « Maligne », avec la descente en raft de la partie supérieure du cours de cette rivière très spéciale. Notre guide du jour, David, un Québécois exerçant la profession de « raft master », pour le compte d‟une compagnie locale, tente de nous expliquer les mystères hydrologiques de ce cours d‟eau. Les roches locales sont en grande partie faites de calcaire, extrêmement poreux. La rivière a donc un cours partiellement souterrain. Le lac Maligne , un joyau des Rocheuses, aux eaux cristallines entourées d‟un écrin de montagnes, est en fait la source de cette rivière. Elle suit un cours aérien entre ce lac et le suivant « Médicine lake ». Là, le mystère débute. La sortie du lac est constituée d‟une partie souterraine de la rivière. Le niveau du lac varie constamment, parfois de plusieurs mètres par jour, sans que l‟on voie d‟eau s‟écouler ! On retrouve la rivière un peu plus loin surgissant au milieu de blocs rocheux. Mais, une partie de celle-ci continue son cours souterrain, pour ressortir à de nombreux kilomètres de là, dans le lac Anneth, le lac Edith et le lac Beauvert. La découverte de ce fait à été établi récemment à l‟aide de colorants fluorescents déversés dans la rivière. Tout le monde à été surpris de voir l‟eau de ces lacs se colorer ! Mais, retrouvons le cours logique de la rivière Maligne, qui ensuite, a creusé le superbe « Maligne canyon », une gorge escarpée, de quelques mètres de large à peine et de 53 mètres de profondeur. Une passerelle et un sentier aménagé permettent de découvrir ce lieu étrange. On entend la rivière gronder au fond de la gorge, mais on peut difficilement l‟apercevoir au fond du gouffre. A la sortie du canyon, la rivière devient enfin un cours d‟eau normal, qui se jette dans la rivière Athabasca, au centre de la vallée de Jasper. La descente en raft par elle-même, débute sur le lac Maligne, puis rejoint le déversoir de celui-ci. Là, rapidement, les flots deviennent violents. Les rapides de classe III et IV, se succèdent à un rythme effréné. Une heure de délire pour rejoindre la fin de cette aventure, peu avant le lac Médicine. Autre particularité de la vallée Maligne, c‟est l‟abondance d‟animaux. Le long de la route est véritablement parsemé de grands mammifères, peu effrayés par le passage des voitures. Les règlements du parc sont très stricts : interdit de nourrir, d‟approcher ou de déranger les animaux. C‟est pourquoi ils ne craignent pas les voitures. Malgré le fait que de nombreux touristes n‟hésitent pas à quitter leur voiture pour assurer une photo souvenir en compagnie d‟un mouflon ou d‟un wapiti… Tentative parfois risquée, car, même s‟ils paraissent inoffensifs, Ils n‟en restent pas moins des animaux sauvages. Plusieurs incidents sont à déplorer chaque année, dus à des tentatives d‟approche d‟animaux. Les cornes d‟un wapiti ou d‟un mouflon peuvent êtres des armes redoutables. C‟est là aussi que nous apercevrons notre premier ours. Moment d‟émotion intense, à la vue de ce petit ours noir, gambadant joyeusement entre les bouleaux. Une photo furtive, qui restera l‟un de nos plus beaux souvenirs. L‟ours est l‟animal emblématique de ces contrées et l‟observation de ceux-ci reste malgré tout une question de chance. Ces animaux sont souvent très discrets. Le canoë-camping Difficile de venir au Canada et de ne pas faire de canoë. Nos nouveaux amis nous invitent à partager un week-end de canoë, dans les environs du lac Pyramide. Ce lac est surplombé par la montagne du même nom. Il n‟est pas difficile de s‟imaginer la forme de celle-ci : parfaitement pyramidale. Il ne nous faut pas longtemps pour maîtriser la technique de cette embarcation, grâce aux conseils de Jocelin notre instructeur improvisé, exerçant accessoirement la profession de conducteur de train et… photographe nature. On retrouve ses photos d‟animaux dans de nombreux livres et cartes postales à Jasper. Ses conseils nous seront précieux pour réaliser de belles photos animalières. Nous passerons ces deux jours à canoter, pêcher la truite, la faire griller au barbecue, dormir sous la tente et apprécier les joies du feu de camp. Nous sommes étonnés de voir que la truite se marie agréablement avec les « t-bones » steaks et les traditionnels « beans » (haricots préparés avec de la mélasse), sans lesquels une partie de camping ne serait pas ce qu‟elle est… C‟est-à-dire : une grande fête.

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La tradition des Cow-boys Après cet intermède nautique, un autre ami, Daryl (décidément c‟est incroyable le nombre d‟amis que l‟on se fait ici), nous emmène chez son père. Il tient un « Lodge », juste à la frontière nord du parc, en direction d‟Edmonton. Le Lodge Overland er est un site historique, datant de l‟époque ou l‟on voyageait en diligence. Il s‟agissait en fait d‟un poste de relais, permettant aux hommes et aux chevaux de se reposer, avant ou après le passage des Rocheuses. L‟énorme bâtiment en rondins abrite une salle à manger magnifique, ayant conservé la décoration d‟époque. Une cheminée de pierres monumentale trône au milieu de la pièce à l‟atmosphère chaleureuse. D‟autres cabanes de rondins servent au logement des invités. L‟activité actuelle des lieux est la balade à cheval, en compagnie d‟authentiques cow-boys. Nous partons dans les bois, chevauchant notre monture et admirant les points de vue sur « Roche Perdrix » ou « Roche Miette », des monolithes rocheux ressemblant à ceux que l‟on peut voir dans « Monument Valley » en Arizona. Ambiance western garantie. Au retour, le père de Daryl nous croise, conduisant une charrette tirée par des chevaux de trait. Les traditions sont bien ancrées par ici… Il nous sera bien difficile de quitter cet endroit enchanteur, profitant une dernière fois de l‟atmosphère du feu de camp, au camping de « Whistler », faisant connaissance avec la tradition bien américaine des « marshmallows» grillés, consistant à placer une de ces douceurs sur une pique de bois et à la faire caraméliser près des braises du feu. Toute la technique réside dans le fait qu‟il ne faut pas les enflammer, ni les laisser tomber dans le feu. Parties de rire garanties. Nous reprenons la route par la « Yellow Head » hyghway, nous menant au pied du Mont « Robson », le point culminant des Rocheuses canadiennes, avec ses 3.900 mètres d‟altitude. Ensuite, c‟est par la vallée « Fraser », le couloir historique de la pénétration des trappeurs anglais dans l‟ouest du Canada, que nous rejoindrons Vancouver. Au passage, nous visiterons « Barkerville », une ville fantôme, datant de la période des ruées vers l‟or, remise en état d‟origine par une poignée de passionnés. Aujourd‟hui, elle est transformée en musée à ciel ouvert, à la gloire des pionniers du temps passé. Vancouver, une ville très attachante, très verte, pleine de parcs publics, entourée par un écrin de montagnes et surtout un port ouvert sur le Pacifique. Une ville à découvrir…

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Chapitre 7 Alpes Françaises Chamonix encore ! Tout tourne autour de Cham !!! J’y suis maintenant depuis un petit temps. Je m’y suis fait ma place : Marc le Belge, le fou de parapente, le photographe de l’extrême. L’ami des autres fous et des originaux. Je traîne partout mon pote Yann, Français paumé à l’âme d’Indien, original perdu dans ce monde pas fait pour lui. C’est à Cham qu’il se sent le mieux car là son originalité passe un peu inaperçue. Tout simplement parce qu’il y a bien pire que lui ici !!! Pire, oui !!! Ghirardini et Démarchi, avec leurs aéroskis. Le premier me fait découvrir la montagne extrême, avec en point d’orgue les Grande Jorasses, et l’expérience unique de se faire abandonner en montagne par son guide ! Dans un itinéraire quelque peu chaotique. Il en avait marre tout simplement et il est parti prendre l’air, l’ascension était finie, vous êtes au sommet, en bas c’est par là !!! abandonnant ses clients à une mort certaine, face au vide et à la complexité de la descente de la face sud des Grandes Jorasses.. Heureusement qu’on se démerdait un peu en montagne et surtout qu’on voulait vivre encore un peu sur cette terre. Une avalanche et une chute en crevasse plus tard, une culbute sans filet de la part de Sophie, et nous voici tous les trois en Italie, on fait du stop pour rejoindre Cham par le tunnel du mont Blanc. En trois jours on aura traversé intégralement le massif, de Chamonix à Courmayeur, par le chemin le plus long et le plus difficile. Seule consolation, à ce jour Ghirardini est toujours en prison. Comme quoi, même les plus fous finssent par se faire « griller » à Cham !!! Par contre entre Sophie, Yann et moi c’est maintenant « à la vie, à la mort » une expérience pareille tisse des liens très solides… A cette époque je travaille comme journaliste à la radio NRJ de Chamonix. J’exerce le fabuleux métier de reporter dans une fabuleuse vallée, avec des gens fabuleux autour de moi. Je rencontre tous les grands noms de l’époque et aussi de l’époque d’avant et de celle d’après, les uns très vieux et les autres tout jeunes… Je les interviewe, je les côtoie, je deviens l’ami de certains, j’en vois beaucoup disparaître en montagne,… Parmi ceux-là, Franck Petoud. Venu à la radio pour présenter son Snowscoot. On deviendra potes et je serai le premier photographe officiel de ce nouveau sport qui démarre. Le Snowscoot Révolution dans le monde des sports de glisse. Après le skateboard (devenu snowboard), c'est le vélo qui laisse ses roues au garage pour devenir le Snowscoot, s’équipant, à cette occasion, de planches de surf des neiges... Un cadre de vélo bicross, modifié et renforcé, deux mini-surfs et beaucoup d’ingéniosité, sont les maîtres mots de ce nouvel engin qui ne passe pas inaperçu. Vive la trottinette des neiges... L'inventeur, Franck Petoud, reste modeste quand il explique sa démarche : « l‟idée est née d‟une volonté d'associer mes deux sports préférés : le vélo et le surf ». Ancien compétiteur en bicross, amateur de surf des neiges, il rêvait de descendre les pistes de ski à vélo... C‟est dans son garage qu‟il découpe, soude et assemble le premier prototype. Dés les premières glissades il est sûr de son coup, l‟engin est stable et fiable. De beaux jours s‟annoncent pour le « Snowscoot ». Restera à convaincre des fabricants de la fiabilité de ce projet pour lancer l‟aventure de la commercialisation de ce nouveau produit. Ce qui, somme toute, sera relativement aisé, avec la participation de « Sunn » et de « Free-Surf », deux fabricants français de renom. Encore une nouvelle invention dangereuse, penseront certains. Hé bien non ! Actuellement, le Snowscoot se taille une belle place au soleil de nos montagnes, grâce à sa redoutable facilité, tant au niveau de l'apprentissage qu'au niveau de la pratique plus sportive. A peine une demi-heure d'initiation, et le novice peut évoluer, en toute sérénité, sur les pistes de difficulté moyenne. Quelques jours après, il appréciera les joies du hors-piste et de la poudreuse. A notre connaissance, peu de sports de glisse s'apprennent aussi facilement.

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Cette facilité est due en grande partie à la présence du guidon, qui offre un point d'appui supplémentaire non négligeable, contribuant à un meilleur équilibre. La position, face à la pente, est, elle aussi plus naturelle. Les deux pieds, calés sous une sangle de maintien (appelée "Foot Strap"), ne sont pas fixés. Il est donc facile de sortir un pied, comme en moto, pour rétablir un équilibre devenu précaire. Constatation après usage: les chutes sont peu fréquentes en Snowscoot ! La sécurité est encore renforcée par la présence d'une longe (appelée « leash ») avec effet de ressort, fixée entre l'engin et le mollet du pratiquant. De cette façon, en cas d'incident, le Snowscoot ne continue pas sa route tout seul, au risque de percuter les autres usagers des pistes. Une preuve supplémentaire de la sécurité et la fiabilité de l‟engin est son approbation par le comité des exploitants de remontées mécaniques, pour une utilisation non restrictive dans toute la France (avis STRM: DR.624). Au niveau du pilotage, les sensations sont partagées entre le plaisir du vélo, du motocross et celui de la glisse. Virages coupés, sauts de bosses, grandes courbes, tout le monde y trouve son compte, Même les pratiquants plus calmes, voire les familles, peuvent découvrir les joies de la balade tranquille sur les chemins enneigés. Certaines personnes, rebutées par la difficulté du ski, trouveront là une alternative intéressante. Les amateurs d'extrême et de compétition seront heureux d'apprendre qu'un championnat d'Europe est mis sur pied, avec plusieurs épreuves dans différents pays de l'arc alpin. La compétition finale, la « World cup », se dispute à Avoriaz. Le principe de ces compétitions est très simple : un couloir de quatre mètres de large et de plusieurs centaines de mètres de long est taillé en descente. Des virages relevés et des bosses agrémentent le parcours. Quatre concurrents s‟élancent en même temps, avec un départ façon « motocross ». Le premier en bas a gagné ! Chaque manche est éliminatoire, seuls les deux premiers sont classés pour la manche suivante. D'autres préfèrent les exploits médiatiques, comme la descente de la face nord du mont Blanc... Ou encore, ce cascadeur de l'équipe de Rémi Julienne, qui effectua le premier saut périlleux arrière au guidon d'un Snowscoot ! De nombreux exploits restent à réaliser, avis aux amateurs.

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Chapitre 8 Sénégal, Mali, Mauritanie Etre journaliste chez Ciné-Revue a des avantages. Notamment celui que l’on vous prend au sérieux et que l’on vous propose de participer à un tas d’événements auxquels on ne vous aurait même pas invité avant. On ne vous aurait peut-être même pas accepté à la présentation de presse !!! C’est ça le dur métier de journaliste ! Et quand on a un poste à responsabilités chez Ciné-Revue, on en profite !!! Et on se fait plaisir en participant à des aventures telles que celle du Jet Raid. J’ai quand même une petite hésitation en laissant ma femme Asma, seule, enceinte de 7 mois, dans notre maison de La Hulpe. Ma cousine viendra lui tenir compagnie de temps en temps… Seul bémol, ce genre d’aventure draine un public de gros « cons » friqués, jeunesse dorée et parvenus, dont les 4X4 Toyota et autres Porsche reflètent leur personnalité à grand renfort de chevaux-vapeur et de chromes rutilants. J’ai toujours eu dur de me farcir ce genre de personnages. Mais bon, l’aventure est parfois à ce prix et participer à ce qui est considéré comme la première édition du « Dakar du jet ski » vaut bien quelques sacrifices… L’article qui suit est une version « publiable » de cette aventure, destinée à figurer dans des magazines belges. La réalité était un peu différente, non pas au niveau de la course, de l’Afrique et des populations rencontrées, mais bien au niveau de l’organisation déplorable et de l’amateurisme évident des organisateurs, ne connaissant rien à la navigation en rivière et encore moins en mer. La première stupidité étant d’organiser un pareil événement en plein mois de ramadan dans un pays extrêmement musulman. Cette cohorte de touristes n’hésitait pas à bâfrer, boire et fumer en plein jour devant les populations incrédules… La deuxième grosse stupidité à été de ne pas annuler la première étape dans la rivière Falémé, le niveau d’eau n’étant pas suffisant. La troisième erreur, de forcer les jets à naviguer « au pas » dans la Falémé, au lieu de naviguer à vitesse régulière. En effet, à petite vitesse les jets ne déjaugent pas, les turbines sont profondément enfoncées dans l’eau et avalent quantité de sable. A vitesse régulière, le tirant d’eau n’est que de quelques centimètres, la majorité des jets s’en seraient tirés sans casse. Mais pour cela il aurait fallu avoir une certaine expérience de la navigation en rivière. Sortant de plusieurs années de navigation extrême dans les pires rivières du Canada et de l’Alaska, j’ai tenté de leur apporter mes lumières… Mais le niveau d’égocentricité des organisateurs et des participants ne leur a pas permis de comprendre le message. Résultat, la majorité des machines abîmées. Seuls deux participants, moins stupides que les autres s’en sont sortis indemnes, en n’écoutant pas les organisateurs et en fonçant à pleine vitesse au-dessus des bancs de sable… Ces deux pilotes gagnèrent le raid ce jour-là. Le Jet Raid à connu quelques éditions, jamais il n’a eu la notoriété que les organisateurs auraient voulu lui donner. L’aventure se termina lamentablement par la faillite des organisateurs, et beaucoup d’argent détourné ou volé… Ce qui devait être le « Dakar » du Jet ski n’a jamais été qu’une mascarade pour petits nerveux friqués… Dommage, c’était un beau projet. Et ça n’enlève rien à la beauté de l’Afrique. Cette aventure m’apprend aussi que je ne suis décidément pas fait pour les grandes organisations de groupe. Je ne suis pas vraiment un ours solitaire, mais je ne suis pas fait non plus pour vivre en troupeau. A deux ou trois, tout va bien, surtout avec des compagnons triés sur le volet. Mais en groupes ça ne colle pas avec ma personnalité. C’est juré, on ne m’aura plus… L’aventure du « Jet Raid » Bakel - Saint-Louis - Dakar Naissance d’une idée, d’un pari fou… illustration de la passion de l’Afrique et du jet ski. Patrick Nassogne, organisateur de voyages aventures en Afrique de l’Ouest, découvre le jet et rapidement est persuadé que le Sénégal serait le pays idéal pour effectuer un raid nautique.

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L'idée fait son chemin et devient un projet. Le monde belge de la compétition en jet ski se prend au jeu. Les acteurs de la scène « endurance » mordent à l‟appât. Benoît Doppagne et Tony Ernst, les champions de Belgique de la discipline seront les moteurs de ce défi. Car il s‟agit bien d‟un défi de taille : parcourir 2000 kilomètres en jet-ski, sur les fleuves, les rivières et en mer, au Sénégal. Défi logistique, financier, mécanique et physique, que les organisateurs et les participants devront résoudre au quotidien. Finalement, 16 machines seront chargées dans un container et envoyées vers Dakar. En tout, près de 40 personnes, participants, organisateurs, photographes et accompagnants se retrouvent au Sénégal, pour vivre cette fabuleuse aventure du 1

er Jet Raid.

Carnet de route Un mois précédant l’arrivée des participants Côté course L‟organisation effectue des repérages en ULM et en 4X4 des fleuves Sénégal et de la rivière Falémé. Le niveau de l‟eau de la Falémé a baissé de 14 mètres par rapport aux premiers repérages; de plus, des informations circulent sur des problèmes politiques aux alentours du début du fleuve. L‟organisation décide de modifier le parcours et de faire 50 kilomètres dans la Falémé au lieu des 400 prévus. Pas de problème pour le fleuve Sénégal. Il sera possible de récupérer les kilomètres «perdus» en faisant le tour de l‟île Amorphile, avec 200 kilomètres supplémentaires sur le fleuve Doué. Un repérage rapide en ULM et en voiture est alors programmé. Côté technique Au Sénégal, 200 fûts de 200 litres d‟essence super sont entreposés, nettoyés et marqués. Pour le nettoyage des fûts, 1.000 litres d‟essence seront nécessaires et 20 hommes travailleront durant 3 jours afin d‟obtenir un résultat impeccable. Pas question de risquer des impuretés dans l‟essence. Les 200 fûts d‟essence et 20 fûts de diesel sont alors remplis chez l‟importateur « Total » à Dakar. Ils sont ensuite acheminés par camion aux 27 endroits de ravitaillement de la course, sur 1.700 kilomètres de route, dont les deux tiers sont des chemins de brousse, praticables uniquement par des camions aux multiples roues motrices. Deux camions 4x4, un camion 8x8 et un camion 6x6 sont nécessaires pour accomplir cette tâche. Côté politique Un carrousel de visites est nécessaire pour finaliser toutes les autorisations demandées un an plus tôt. Les organisateurs font le tour des Ministères du Tourisme, de l‟Environnement, de la Jeunesse et des Sports, de l‟Hydraulique, de l‟Environnement, de l‟Intérieur et des Armées. Côté transport Une série de visites aux différents chefs de la douane sont nécessaires pour obtenir les papiers des droits à l‟importation temporaire des jets-skis et du matériel des participants. Difficile ou carrément impossible d‟éviter toutes les surtaxes sauvages et autres qui sont imposées. Le Raid 21 et 22 décembre La grande aventure commence, nous arrivons à Dakar et sommes transférés au campement de la Langue de Barbarie à St-Louis du Sénégal. Quatre heures de taxi brousse seront nécessaires pour couvrir cette route et nous prenons la « température » de l‟Afrique. En finale, nous traversons le fleuve Sénégal de nuit en pirogue, avant de prendre possession de nos tentes « Maures ». Une journée de repos est accordée, que nous mettons à profit pour visiter St-Louis. Cette ville fleure bon le colonialisme français et les aventures de l‟Aéropostale. Les ombres de Mermoz et St-Exupéry planent encore dans le ciel bleu cobalt. L‟hôtel de la poste est toujours là et les quais où s‟amarraient les hydravions géants aussi. La ligne de l‟Aéropostale partait de Toulouse pour rejoindre St-Louis du Sénégal, d‟où décollaient les hydravions qui rejoignaient l‟Amérique du Sud. C‟est ainsi qu‟avant la seconde guerre mondiale, une lettre pouvait décoller de France et rejoindre le sud du Chili, en quelques jours, empruntant uniquement des avions français. Une petite visite au marché nous permet d‟acheter les « chèches » et autres boubous, vêtements qui seront fort utiles sur les routes poussiéreuses.

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22 décembre Transfert de St-Louis à Kidira par la route Nous partons en camion « Tatra 8x8 », un monstre digne du Paris-Dakar, pour ce qui sera une grande aventure. On mettra une bonne vingtaine d‟heures pour couvrir les 700 km de pistes. De multiples incidents agrémenteront le parcours, telle cette crevaison en traversant un village Peul, où l‟on fera de magnifiques photos des populations et des cases en terre et en paille. Ce sera là notre premier contact avec le Sahel. Ou encore, cet arrêt ordonné par les autorités en raison d‟une rébellion locale dite des « coupeurs de routes » ! Certains participants du Paris-Dakar en feront les frais quelques semaines plus tard, se faisant voler leurs véhicules. Finalement, c‟est au petit matin que nous rejoignons le bivouac de Kidira, sur les rives de la rivière Falémé. On s‟écroule sous la tente après avoir ingurgité un petit-déjeuner et admiré les lueurs du lever de soleil sur la brousse. 23 décembre Briefing général en compagnie de tous les participants. L‟attente du container des jets-skis débute ! Il aurait dû être livré dans la journée, transporté par la route depuis Dakar. Il arrivera le lendemain matin, vive l‟Afrique... Cette journée sera mise à profit pour se familiariser avec la région, lier connaissance avec les habitants, se baigner dans les eaux tièdes de la rivière, se balader dans la brousse,… L‟hydro-ULM est mis en route et la valse des baptêmes de l‟air commence. Chacun aura la chance de voler avant la fin de la compétition. 24 et 25 décembre Etape de liaison entre Kidira et Bakel : 97 km. Finalement, le container arrive et est déchargé à toute vitesse, les compétiteurs ont la manette des gaz qui démange. Cette étape de liaison sur la rivière Falémé, frontière naturelle entre le Sénégal et le Mali est initialement prévue sur une journée. Elle durera deux jours ! En effet, le niveau d'eau de la rivière ayant baissé de manière anormalement rapide (50 cm le jour avant le départ du raid, après les 14 mètres de baisse déjà enregistrés le mois précédant), les participants sont confrontés à de nombreux bancs de sables rendant la progression lente et difficile. Une partie de l'étape est d'ailleurs réalisée de nuit et à pied en poussant les jets-skis dans 20 cm d‟eau. En fin de parcours, la rivière Falémé se jette dans le fleuve Sénégal qui sépare le Sénégal de la Mauritanie. Quelques hippopotames seront aperçus à l‟embouchure. 8 machines sont abandonnées le long du fleuve pour des raisons techniques, le sable aspiré par la turbine ayant bouché les conduites de refroidissement des moteurs. Il faudra toute la nuit à l‟organisation pour les rapatrier sur Bakel, prochain bivouac de la course : 7 machines sont tractées par le bateau d‟assistance à travers les bancs de sable de la Falémé et 1 machine est rapatriée sur une remorque tractée par un quad 4x4. Quelques bons souvenirs pour les participants du raid qui passent cette nuit de Noël en deux groupes séparés : l‟un d‟eux dort le long du fleuve, dans la brousse autour d‟un feu de fortune et l‟autre dans une des cases du chef d‟un petit village tout proche. Le reste des accompagnants et techniciens sont au bivouac de Bakel autour d‟un bon repas de Noël, en se demandant ou sont passés les compétiteurs. 26 décembre Remise en état des machines à Bakel. Les Jets-skis ayant été fortement sollicités, une journée d'arrêt est décidée à Bakel. Elle permet la remise en état des machines endommagées (évacuation du sable, réparation des durites...). Longue journée de travail pour les mécaniciens et le spécialiste polyester ! Certaines bagues d‟usure de turbines sont totalement détruites par le sable. Ces pièces détachées n‟étant pas disponibles, il faut en refaire de nouvelles en polyester. Le ferronnier du coin est mis à contribution, pour fabriquer des durites… en fer, remplaçant les manquantes. Un esprit d‟équipe parfait et une implication totale des concurrents fait que la course peut redémarrer le jour suivant, après une dure journée et une nuit complète de mécanique, souvent dans des conditions invraisemblables. Le système « D » sauvera le raid. 27 décembre Etape de liaison de Bakel à Bohou : 157 km. Les concurrents partent individuellement pour une étape de liaison à gérer seul. Le raid démarre enfin comme il devrait. Les concurrents sont contents de pouvoir naviguer normalement. Les plus rapides s‟offrent des pointes de vitesse frôlant les 100 km/h. La majorité des concurrents arrivent à Bohou à

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la tombée du jour. Seul le bateau-balai, tractant un jet en panne, devra passer la nuit sur la rive mauritanienne du fleuve, ses trois occupants dormant dans la brousse autour d‟un feu de camp… 28 décembre Etape de navigation de Bohou à Kaskas : 258 km. Les concurrents partent individuellement pour effectuer la première étape de navigation chronométrée. En fin de journée, Yves Noël est obligé d‟abandonner suite à une forte gastro-entérite. Il sera rapatrié sur l‟hôpital de St-Louis. Les Sea Doo semblent imbattables sur le fleuve. En général, les machines engagées semblent fiables, bien qu‟elles aient été fortement sollicitées lors de la première étape dans la Falémé. On assiste à une très belle performance des deux hommes qui s‟installent en tête de la course, et qui vont y rester : le Français Philippe Chesnel sur son Sea Doo XP et l‟Anglais Russell Marmon sur son Sea Doo GTX. Ils ont admirablement géré les premières étapes, y compris l‟étape délicate de la Falémé de laquelle ils sont sortis indemnes. 29 décembre Etape de navigation de Kaskas à Podor : 148 km. Nouvelle étape de navigation avec chronométrage individuel. Les Sea Doo marchent fort, ils confirment leur suprématie sur ces étapes de fleuve tranquilles. Les paysages africains défilent à toute vitesse. 30 décembre Le matin : première spéciale à Podor. Course sur circuit traditionnel avec bouées. Les participants se défoulent et la foule se régale ! Le public est formidable, il participe vivement à la compétition. Grosse ambiance. Toute la ville est réunie sur les quais. C‟est la première fois que l‟on voit des jets-skis au Sénégal. Suite à une collision en course, Benoît Doppagne ressent des douleurs à l‟épaule et sera obligé de ralentir jusqu‟à la fin du raid. Il apprendra en Belgique, après son retour que son épaule était cassée ! Le Belge Tony Ernst sur son Kawasaki STX prend la première place, les courses de bouées étant sa spécialité. Le Français Philippe Chesnel termine deuxième. Russell Marmon arrive dernier, c‟est sa première participation à une course sur un circuit avec bouées. Il garde néanmoins la deuxième place du classement général, grâce aux points accumulés dans les étapes précédentes. L’après-midi : Etape de navigation de Podor à Richard Toll : 98 km. Un participant percute le ponton à l'arrivée ! Coque en polyester endommagée à l‟avant de son GTX ! Etape de liaison entre Richard Toll et St-Louis : 196 km. La progression se fait en groupe à la tombée du jour avec arrivée au barrage de Diama et passage de l'écluse. Fin de l'étape réalisée de nuit, arrivée à St-Louis. Cette étape à traversé le parc national du Djoudj, troisième réserve d‟oiseaux du monde. Deux jets-skis tombent en panne d‟essence juste avant l‟écluse de Diama et sont remorqués par les autres concurrents. Philippe Chesnel ne participe pas à cette étape de liaison à cause de soucis mécaniques. Russell est magistral, sa machine est très bien préparée, sa navigation est très régulière et il aide en permanence les retardataires. 31 décembre Etapes spéciales à St-Louis. Deux spéciales de courses sur circuit avec bouées. Avec une participation active et les encouragements de la population locale. Un millier de personnes se pressent sur les quais et le pont de la ville. Une des plus belles étapes de la course. Philippe Chesnel confirme son écart, Russell Marmon apprend vite sur circuit. Notons que Benoît Doppagne fera les deux fois 45 minutes de la course avec son épaule cassée. 1er janvier Etape offshore St-Louis, Mauritanie, St-Louis : 108 km. Etape offshore, en mer, avec départ sur le fleuve, passage de l'embouchure et course en mer vers la Mauritanie : aller et retour ! L‟épreuve est rendue difficile par une mer agitée...Peu de concurrents terminent l'étape dans les vagues de plusieurs mètres de creux. Finalement seuls Russell Marmon, habitué des courses en mer, et le Belge Eric Léonard finissent la course. Les autres doivent abandonner.

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2 janvier Etape de liaison entre St-Louis et Mboro : 113 km. Etape de liaison en mer. Peu de participants risquent de s'attaquer à une mer agitée. Russell Marmon et Tony Ernst s‟avèrent les meilleurs en mer. Les vagues sont toutefois nettement moins hautes que la veille. La majorité des participants suit la course en camion, sur la plage. 3 janvier Etape de liaison entre Mboro et Dakar : 98 km. Nouvelle étape de liaison en mer. 4 machines auront fait la totalité du voyage : le Sea Doo XP de Philippe Chesnel, le Sea Doo GTX de Russell Marmon, le Kawasaki STX d‟Eric Léonard et le Yamaha XL de Françoise Harray (piloté par Tony Ernst sur les deux dernières étapes, son STX ayant cassé). L‟arrivée finale se fera presque intimement sur la plage de Ngor, lieu habituel de l‟arrivée du Paris-Dakar. Après 2000 km d‟aventures inoubliables. Nombreux sont ceux qui pensent déjà à la prochaine édition.

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Chapitre 9 Toujours Chamonix !!! Paparazzi volant !!! Je me sens de plus en plus à l’aise à Chamonix, dans mon métier de journaliste mondain des montagnes. Reporter auprès de la radio NRJ, responsable des plateaux de situation et reporter pour FR3 montagne et TV8 mont Blanc. Rédacteur et Chroniqueur pour le journal « l’Hebdo du moniteur valdotain », Pigiste pour le Dauphiné libéré, reporter accrédité de l’agence de presse Diamétrages en Belgique et journaliste pour le magazine Bleu pétillant, toujours en Belgique. Ajoutez à cela un rôle de « cascadeur en montagne » pour l’émission « La Nuit des Héros » sur Antenne 2. Une reconnaissance comme sportif extrême, avec une place dans le top 10 mondial en parapente, ski extrême et escalade sur glace… Plus des nombreuses premières et autres records du monde dans mes disciplines favorites… Pas vraiment le temps de s’ennuyer… D’autant que mon ami Pascal Brun, pilote d’hélico, viens de fonder sa propre compagnie et me propose un marché. Il n’a pas les moyens de s’offrir un photographe professionnel pour réaliser les images nécessaires à sa promotion. Et d’un autre côté je n’ai pas les moyens de m’offrir des heures de vol en hélico pour mes reportages. DEAL ! On fait un échange. Je passerai des heures de vol dans son hélico, me faisant déposer un peu partout dans le massif pour « shooter » Pascal dans son travail. Je deviendrai un spécialiste de la pose de boîtiers à l’extérieur de l’hélico, travaillant avec des objectifs ultra grands angles et des télécommandes. Certaines de mes plus belles photos viendront de cette collaboration et de beaux articles aussi, dont celui qui suit. Mais aussi de franches rigolades et de belles aventures. Comme celle de se faire abandonner encore une fois en pleine montagne, en hiver… Pascal étant appelé sur un secours urgent et ayant besoin de place libre dans son hélico. Reste là, je reviens te chercher !!! Deux heures d’angoisse, livré à soi-même, en pleine solitude, en pleine montagne, en plein hiver !!! Et personne qui sait que je suis là ! Si le secours se passe mal et que Pascal se crashe personne ne viendra jamais me sauver dans cette partie paumée du massif du mont Blanc. Une autre belle aventure viendra de Catherine Destivelle. La belle grimpeuse décide de s’en prendre à la face ouest des Drus, en solitaire et en hiver, façon Big Wall, en escalade artificielle. Dix jours en pleine paroi, à essayer de prouver quelque chose au monde ou à elle-même. Ou alors c’est pour faire plaisir à Lothar, son compagnon de l’époque, avide de scoops et de médias… Ce qui est sûr c’est qu’ils montent l’affaire en cachette, avec uniquement Paris-Match sur le coup et un seul photographe accrédité. Ben tiens, comme si on peut faire ça à Cham… Faut pas rêver. Rapidement on est au courant que quelque chose se passe sur les Drus. Y a pas moyen de faire ses besoins en montagne sans que dix paires de jumelles ne soient braquées sur vous, alors tu parles si Catherine Destivelle pourrait faire un exploit sans que l’on soit au courant. Ha ! Tu veux jouer Catherine, hé bien nous on aime ça de jouer. On va se la faire à la façon paparazzi des montagnes. Un scanner nous permet rapidement de capter les conversations radio entre la belle et son Lothar. Du coup on sait tout ce qui se passe. On apprend même qu’elle est sponsorisée par une marque de poulet industriel. L’enjeu de cette ascension c’est de faire une « directissime intégrale solitaire hivernale » ce qui implique des règles très strictes pour être homologué comme « exploit ». Personne ne contrôle vraiment ces règles, il n’y a pas de juges, mais chacun se doit d’être régulier à ce jeu et les tricheurs ne sont pas bien vus. Surtout s’ils sont connus comme Catherine. Dés le début c’est la foire totale et on constate des « irrégularités » dans le déroulement de cette première. On ne comprend pas si c’est Lothar qui la pousse ainsi, ou si c’est le poids du sponsor,… Toujours est-il que rien ne se passe comme cela devrait. Comme ils ont joué la carte de « je vais vous le faire dans le dos » on ne va pas faire de cadeau à cette fine équipe. Le scanner est allumé jour et nuit et on enregistre toutes les conversations. Catherine s’est fait aider pour amener son matériel au bas de la paroi. Mauvais point, une intégrale solitaire se fait depuis Cham jusqu’au retour à Cham en solitaire. Pas question qu’un pote te porte ton

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sac jusqu’au pied de la paroi. Même si t’es une faible femme, même si t’as peur des crevasses comme c’est le cas de Catherine (depuis qu’elle est tombée dans l’une d’elles)… On planque au Montenvers avec de gros « télés » pour photographier ce petit point jaune au milieu de l’énorme paroi. Mais les photos ne sont pas assez jolies, pas assez proches,… Mon boss affrète un avion et longe la paroi en rase-mottes. Il filme pour la télé. Les images sont belles, mais en photo ça irait trop vite. Je passe la journée avec Pascal et son hélico sur des photos de travail en montagne. Quand au retour il me dit « si on allait dire bonjour à Catherine ». Super, je me retrouve en stationnaire face au bivouac de la belle. Clic, Clac, c’est dans la boîte. Un petit coucou et c’est bon, j’ai les photos… Paparazzi des montagnes. Après tout dérape ! Le sponsor de Catherine lui propose de lui faire déposer des fraises par hélico. Elle se fait ravitailler en pleine paroi. Une équipe l’attend à l’épaule des Drus. On les soupçonne d’avoir posé des cordes ou des spits pour aider Catherine. Et finalement elle se fait hélitreuiller et elle redescend en hélico dans la vallée. La fin de cette aventure n’enlève rien au fait qu’elle ait passé dix jours en pleine paroi, mais la validité de l’ascension est nulle au regard des règles de l’alpinisme. Elle s’est fait aider pour arriver au pied de la paroi, elle s’est fait ravitailler et elle est redescendue en hélico. Tout faux Catherine : c’est pas une première en solitaire, c’est un travail d’équipe… Mais c’est une belle ascension quand même…

Pilote d’hélicoptère en montagne S’il est des professions qui se conjuguent avec le mot passion, les pilotes d’hélicoptères en montagne font partie de ceux-là... Pascal Brun, 37 ans, exerce son métier depuis 17 ans déjà. Récit d’une carrière qui commença sous les drapeaux... C‟est à l‟age de vingt ans que Pascal entre à l‟école de l‟aviation militaire française. Très vite, il se familiarise avec les hélicos. Trois années de service se clôturent par une campagne au Tchad. Epris de grands espaces et de liberté, il décide alors de quitter l‟armée, qui ne correspond pas à sa vision de la vie.

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Fils de Haut-Savoyard, Pascal retrouve sa vallée et tout naturellement propose ses services à une compagnie d‟hélicoptères locale. Commence alors l‟apprentissage délicat du vol en montagne, discipline à part entière, probablement la plus dure de toutes. Au fil des ans, il affine son pilotage et développe ses capacités. En peu de temps, il devient l‟un des « Top Pilotes » et ses services sont appréciés pour tous les travaux difficiles. C‟est en avril 1992, que Pascal décide de voler de ses propres ailes. Il crée sa compagnie : Chamonix-mont Blanc Hélicoptères. Il acquiert un hélico « Lama » de l‟aérospatiale, considéré comme le 4X4 du ciel. Cet engin offre une surface vitrée très importante, procurant une visibilité exceptionnelle, un poids de 1100 Kg pour une turbine développant 880 chevaux et une possibilité de transport de 450 Kg à 4000 mètres ; l‟engin idéal pour le travail en montagne. Mais quel travail ? Les vols panoramiques pour les touristes et les photographies aériennes sont courantes. L‟approvisionnement des refuges et la dépose de matériel pour les chantiers d‟altitude constituent l‟essentiel des activités. Parfois, des déclenchements d‟avalanches par explosifs, voire des secours en montagne, sur réquisition de la gendarmerie, peuvent briser le quotidien. Juste assez pour que ce boulot ne soit pas monotone. L‟activité préférée de Pascal reste le soutien logistique à la réalisation d‟exploits sportifs en montagne. La vague d‟engouement pour les sports extrêmes l‟ont amené à travailler pour la plupart des « stars » du monde vertical. Que ce soit pour des déposes de matériel ou pour véhiculer des équipes de télévision, il est toujours présent sur les gros coups médiatiques. Les souvenirs s‟égrènent tout au long des neuf mille heures de vol qu‟il totalise. Qu‟il s‟agisse de la dépose d‟un piano à queue, pour le tournage d‟un film, ou encore de secours qualifiés d‟impossibles, Pascal est intarissable d‟anecdotes sur son métier.

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Chapitre 10 SUMATRA Le Pays Minangkabau Je prends la photo machinalement, en une sorte de réflexe, tellement je suis perturbé par la vue qui se dévoile devant moi. Perturbé dans le bon sens du terme, car cette vue est idyllique. J’étais loin de m’imaginer qu’il était encore possible, de nos jours, de contempler une telle scène. Je me croirais volontiers dans l’Asie profonde au siècle dernier. Un paysan retourne la terre de sa rizière, à l’aide d’une antique charrue tirée par un buffle. Le paysage ressemble à une estampe, patchwork de rizières aux multiples tons verts, arrière-plan de volcans noyés dans la brume, même les palmiers semblent êtres plantés là pour rehausser le décor,… Sans m’en rendre compte, j’ai fait cette photo en noir et blanc, ce qui rajoute un caractère mystique à la scène. Cliché intemporel : témoin de la vie quotidienne au pays des Minangkabau. Si la survie de telles scènes campagnardes est possible, c‟est grâce à un certain désintéressement des tours-opérateurs pour cette région de Sumatra. Pourtant elle vaut la peine que l‟on s‟y attarde. C‟est une région riche en histoire, en traditions et en beautés naturelles. C‟est un pays qui incite au voyage d‟aventure, à la découverte des sentiers perdus, idéal pour la pratique du trekking ou du VTT. Avec, en prime, la certitude de ne jamais croiser des hordes de touristes. La preuve en est faite par les réactions de la population à la vue d‟un étranger. Vous avez le sentiment profond que c‟est vous « la bête rare », tout le monde se presse sur votre passage, pour vous dévisager, vous analyser, tenter de faire votre connaissance,… Un rêve pour le voyageur hors des sentiers battus. Il est très facile de lier le contact, les Minangkabau sont curieux de nature et très ouverts. Parfois, ils viennent vers vous avec un appareil photo et vous demandent timidement de poser avec eux, pour garder un souvenir de votre passage. Un peu d’histoire Les premières traces d‟occupation humaine des lieux remontent à quelque 2000 ans avant J.-C. Les anthropologistes soutiennent la thèse d‟une origine malaise, les populations auraient traversé le détroit de Malacca, pour coloniser progressivement toute l‟île de Sumatra. Suite à différents conflits, notamment avec les Javanais, ce peuple aurait été repoussé vers l‟actuelle province de Sumatra-Ouest. Cette thèse ne se base que sur des suppositions et des légendes, car il n‟existe que peu d‟éléments historiques concrets avant l „émergence de l‟Islam dans la région, vers les années 1500 apr. J.-C. L‟une de ces légendes expliquerait l‟origine du nom des Minangkabau. Vers le XIIIème siècle, un roi javanais tenta de s‟emparer du territoire de Sumatra-Ouest. Les populations ne voulant pas céder, ni se battre, proposèrent un marché : on organiserait un combat entre un buffle javanais et un buffle sumatranais. Le peuple vainqueur deviendrait souverain de la région. Les Sumatranais, très astucieux, envoyèrent au combat un jeune buffle, non sevré, séparé de sa mère depuis quelques jours et visiblement affamé. Ils prirent soin auparavant de garnir ses cornes de métal tranchant. Lorsque le combat débuta, le jeune buffle se rua sous le ventre du gros buffle javanais, dans une quête effrénée de lait maternel. Ce qui lui déchiqueta le ventre ! Lorsqu‟il tomba raide mort, les Sumatranais s‟écrièrent dans leur langue « minangkabau », « minangkabau »,… ce qui veut dire littéralement : le buffle est mort, le buffle est mort,… Depuis lors, ce nom leur est resté. La tradition veut encore que depuis ce combat, les Minangkabau construisent leurs maisons avec des toits en forme de cornes de buffles. Un style architectural demeuré très présent aujourd‟hui, bien que les toits, originellement en paille de riz, soient maintenant remplacés par de la tôle ondulée. Suite à l‟implantation de l‟Islam, la région, fut découpée en petits sultanats. Lors de l‟arrivée des premiers Européens, la province de Sumatra-Ouest était découpée en petits villages, sur lesquels régnaient des souverains musulmans. Au début du XIXème siècle, une véritable guerre civile éclata entre les Islamistes et les Minangkabau traditionnels pratiquant « l‟adat », la loi coutumière locale. Lors de leur arrivée, en 1821, les Hollandais ont de suite soutenu les chefs traditionnels, préférant les coutumes laxistes de l‟adat à la religion stricte des Musulmans. Aujourd‟hui encore, les Minangkabau pratiquent un mélange original de croyances ancestrales et de religion musulmane.

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Peu avant la seconde guerre mondiale, la révolte gronda contre l‟occupant hollandais. Les combats pour l‟indépendance furent stoppés par l‟occupation japonaise de l‟île. Cette dernière laissa des traces indélébiles dans la région de Bukittinggi. Les Japonais y ont construit une énorme réseau de grottes sensé abriter des fabriques d‟armes et des pièces d‟artillerie défensive. Ils n‟hésitèrent pas à employer la population, réduisant les Sumatranais à l‟esclavage. On peut visiter ces grottes aujourd‟hui et admirer un bas-relief, ornant l‟entrée, représentant des Japonais emmenant de force les habitants qu‟ils exploitaient. A la fin de la seconde guerre mondiale, quand les Japonais quittèrent l‟île, les Hollandais ne tentèrent pas de récupérer leur colonie de Sumatra. Un gouvernement musulman autonome dirigea la région jusqu‟à la déclaration d‟indépendance de l‟Indonésie en 1949. Depuis lors, mis à part quelques troubles politiques rapidement résolus, la région est réputée calme. Premier contact En général, c‟est par la ville côtière de Padang, bénéficiant d‟infrastructures aéroportuaires modernes, que l‟on accède au pays des Minangkabau. Cette ville est la capitale administrative de la province de Sumatra-Ouest. Le centre est en pleine expansion et la population atteint les 700.000 habitants. Mis à part ce rôle de porte d‟entrée ou de sortie de la région, cette ville ne vaut pas vraiment la peine que l‟on s‟y attarde. Bien que quelques plages paradisiaques, bordées de palmiers, se trouvent à proximité et valent le détour. Le marché permanent, se tenant en plein centre ville, est un excellent moyen de se plonger dans l‟atmosphère trépidante de l‟Asie profonde. Là, vous aurez vraiment le sentiment de sentir battre le cœur de la masse populaire indonésienne, comprenant deux cent millions d‟âmes. On en ressort généralement avec la tête qui tourne. Les origines de la « table de riz » Un peu partout, en Indonésie et de par le monde, les restaurants indonésiens proposent la célèbre table de riz. Un assortiment de dix à quinze plats de viande et de légumes, servis en accompagnement avec un grand bol de riz. Cette coutume à ses origines dans la ville de Padang. D‟ailleurs, les restaurants en Indonésie annoncent rarement la « Rice tafel », mais plus tôt la « Padang food ». La coutume locale veut que l‟on dépose effectivement un grand assortiment de plats sur la table. Vous pouvez alors goûter (gratuitement) la sauce de tous les plats et manger ceux qui vous plaisent. Vous ne paierez que les plats que vous avez consommés. Le plat Padang le plus célèbre est le « randang », de la viande de buffle, mijotée dans du lait de coco et des piments. En général cette cuisine est très épicée. Bukittinggi Si la ville de Padang est la capitale administrative de la région, c‟est la ville de Bukittinggi qui en est la capitale culturelle. La distance entre ces deux villes n‟est que de 90 km, mais les différences sont énormes. Padang, ville de plaine, est écrasée sous la chaleur moite du bord de mer. Bukittinggi respire véritablement d‟aise dans la fraîcheur de l‟air des montagnes, la ville se trouve à 930 mètres d‟altitude. Les 90 km de route se font presque exclusivement en montée, traversant des paysages superbes et variés. Notamment au niveau de la réserve naturelle de « Lembah Anai », très facile à repérer car une magnifique cascade s‟écrase au bord de la route dans un jaillissement d‟écume. Une randonnée s‟impose dans les environs, à la recherche des orchidées sauvages. Cette route en lacets, serpentant à côté du vide et surplombant des gorges profondes, vous permet d‟apprécier la conduite sportive des Indonésiens. Taxis, bus, camions et voitures semblent se livrer en permanence à une course de côte ou un rallye de classe internationale. Quelques carcasses tordues jonchent les fossés, témoignant des drames qui se déroulent quotidiennement. Le seul moyen de ne pas y penser est de faire comme tous les Musulmans : remettre son âme dans les mains de Dieu et prier pour que tout se passe bien. On aborde les hauts plateaux du pays Minangkabau vers la petite ville de Padangpajang, 19 km avant Bukittinggi. A partir de là, le paysage se compose de rizières et de petits villages perdus dans le temps. Les maisons aux toits en cornes de buffles jalonnent la route. Difficile de ne pas s‟arrêter sans cesse pour prendre des photos. L‟arrivée sur Bukittinggi surprend un peu, la ville semble protégée par la silhouette des trois volcans qui l‟enserrent : le Mérapi, le Singgalang et le Sago. Cette ville est bâtie tout en niveaux, reliés entre eux par des escaliers. La rue principale : Jl Ahmad Yani, est en pente et part de la place de l‟horloge, pour relier les bas quartiers. Toute la vie active de la ville est centrée aux abords de cette rue.

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Découverte du pays Minengkabau On peut visiter la région de différentes façons : la plus simple est de faire appel à une compagnie locale, pompeusement appelée « Tour Opérator », qui pour une somme modeste vous proposera un tour complet. Vous pouvez également vous débrouiller seul, en louant un vélo ou une petite moto. Une autre alternative est de lier connaissance avec un habitant des lieux et de le suivre hors des sentiers battus. C‟est cette dernière option que nous avons suivie. Le hasard m‟amena à rencontrer « Jub », un jeune Sumatranais, désirant devenir guide. Nous avons longuement parlé de nos professions respectives. Il était très intéressé de savoir ce que je voulais voir dans son pays. C‟est tout naturellement qu‟il me proposa de me guider à travers la région. L‟échange fut très constructif, j‟ai pu voir le pays Minangkabau d‟un autre œil, alors que lui apprenait son métier en pouvant guider un Européen. La première journée fut consacrée à la découverte même de la ville de Bukittinggi. Le marché quotidien est des plus intéressant, on y trouve une multitude de produits locaux : artisanat, vêtements, fruits et légumes. L‟architecture du marché est intéressante également : mélange de galeries coloniales couvertes, de style hollandais, souvent en piteux état et d‟étals en plein jour, recouverts d‟une simple bâche de plastique. Quelques boutiques proposent des antiquités, on peut y dénicher quelques pièces rares. Le « fort » dominant la ville, est un autre cadeau des Hollandais, la visite vaut la peine, surtout pour la vue plongeante sur le bas de la ville. Une passerelle mène au musée et au zoo. Si le musée vaut le détour, surtout pour la beauté du bâtiment de style « Minangkabau » et les deux greniers à riz qui en ornent la devanture, il n‟en est pas de même du zoo. Si vous aimez les animaux et êtes respectueux de leurs conditions de vie, je ne peux que vous recommander de ne pas y aller, vous serriez horrifiés. Nous continuons notre randonnée à pied en nous rendant au « Panorama park », la vue y est surprenante sur le « grand canyon de Sianok », des falaises de 300 à 400 mètres enserrent une vallée verdoyante. De là, on peut également pénétrer dans les grottes japonaises. Par la suite, nous passerons nos journées à découvrir l‟arrière-pays, passant de longues heures à randonner dans la campagne et les rizières. C‟est le meilleur moyen pour apprécier ce pays où presque tout se fait à pied, loin des routes carrossables. Les villageois nous expliquent leurs cultures et leur mode de vie. La majorité de ce que je prenais pour des bosquets de végétation sauvage, s‟avère en fait être des cultures multiples. Les plantes ont besoin les unes des autres pour se développer. On y retrouve pêle-mêle : des girofliers, des cannelliers, des poivriers, mélangés à des palmiers et autres bananiers. La culture du café est aussi très présente. Nous visiterons également des coopératives produisant du café en poudre, des beignets de banane ou des chips de manioc. Chacune de ces visites s‟accompagne d‟une dégustation et de rencontres avec les ouvriers. L‟un des points forts sera la visite du village de Jub, ainsi que de sa maison familiale. Là, sa grand-mère expliquera ses propres cultures : café, riz et un petit élevage de poissons. Une vie très simple, près de la nature. Ce village de Palupuh est célèbre par sa proximité avec la réserve de « rafflésies » La plus grande fleur au monde, s‟épanouissant aux pieds des grands arbres. Il s‟agit de la fleur d‟une liane rampante. Les plus grands spécimens fleurissent d‟août à novembre et peuvent mesurer un bon mètre de circonférence. Ces fleurs dégagent une odeur putride, nauséabonde, sensée attirer les insectes pollinisateurs. Comme nous n‟étions pas à la bonne période, nous avons dû nous contenter d‟une simple balade en forêt, très agréable néanmoins. Jub nous racontant que des tigres s‟avancent parfois très près des villages, ainsi que des rhinocéros et des ours malais, mais lui n‟en a jamais vu. Une seule précaution à prendre : ne jamais se balader seul en forêt. Chaque petit village des environs à sa spécialité : le village des orfèvres, le village des tisserands, le village des sculpteurs,… renseignez-vous auprès de l‟Office du Tourisme pour connaître toutes ces destinations et le moyen le plus simple pour s‟y rendre. La location d‟une voiture avec chauffeur est relativement abordable, mais rien ne vaut les transports locaux, hauts en couleur et favorisant les contacts. Les sportifs peuvent se mettre quelques volcans sous la dent. Le plus simple est de se renseigner auprès des agences de trekking local, dans la rue principale de Bukittinggi, et de comparer les programmes qu‟elles offrent. L‟ascension des volcans se fait souvent la nuit, pour apprécier le lever du soleil depuis le sommet. Ne tentez pas d‟ascensions, seul. De nombreuses personnes ont déjà disparu en prenant de tels risques.

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Reste encore la découverte des lacs de cratères, anciens volcans qui se sont effondrés et remplis d‟eau. Le plus beau d‟entre eux est sans conteste le « Danau Maninjau », à 40 kilomètres de Bukuttinggi. 20 kilomètres de long, 10 de large et quelque 500 mètres de profondeur,… des eaux bleues et claires,…en font un endroit idéal pour les amateurs de baignades. Une activité idéale, le tour du lac en VTT, par les routes de campagne et les pistes qui longent les berges. Notre dernière journée sera consacrée à l‟activité traditionnelle la plus importante pour les Minangkabau, un combat de buffle. Si cela peut nous paraître brutal ou inhumain, les villageois eux sont attirés en nombre par ce genre de réjouissance. Fort heureusement, les combats de buffles ne se terminent pas par la mort de l‟un des combattants, mais par l‟abandon de celui-ci face à son adversaire. Les deux buffles se poussent l‟un l‟autre par les cornes, pendant parfois plusieurs minutes, puis, en un instant, l‟un d„eux prend peur et s‟enfuit poursuivi par le gagnant. En soirée nous assisterons à une représentation de danses traditionnelles, dont la célèbre danse de la porcelaine, où les danseurs sautent pieds nus… sur de la porcelaine brisée ! Les costumes traditionnels sont magnifiques et hauts en couleur, les Minangkabau sont également connus pour la qualité de leur tissage, souvent rehaussé de fils d‟or. La musique d‟accompagnement ressemble au « gamelan », un mélange de percutions, auquel se rajoute le son de la flûte. Je quitte cette région avec un sentiment de « trop peu », il est vrai que l‟on passerait facilement un mois complet, voire plus, à la découverte de cette culture, de ces paysages idylliques et de cette atmosphère d‟Asie profonde. Une certitude : je reviendrai ! Coup de cœur : Un établissement assez particulier vaut la peine d‟être connu à Bukittinggi. Il s‟agit du restaurant chinois Monalisa , dans la rue principale. Tout le monde le connaît, vous n‟aurez aucune peine à le trouver. Ce restaurant à la particularité de proposer des plats non épicés, ce qui est très rare par ici, les estomacs sensibles apprécieront. Le Patron, Mister Thomas, propose également une salade de fruits spéciale, qui est composée de 24 fruits locaux différents. Pendant que vous la dégustez, il vous explique les bienfaits de chacun de fruits qui la composent et où l‟on peut trouver ces fruits, comment ils poussent,… Un véritable voyage dans une assiette ! Mais ce n‟est pas tout : à la fermeture de l‟établissement, quand les clients s‟en vont, Mr. Thomas tient une officine quelque peu particulière, il est en fait Maître bouddhiste, guérisseur et prédit l‟avenir ! Une foule hétéroclite se presse dans la salle de restaurant et l‟atmosphère devient vite mystique. Je ne vous dévoilerai pas les secrets et les pratiques, mais cela vaut la peine d‟être vu.

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Chapitre 11 Le Parapente Les joies du vol libre Voici près de deux décennies que le « parachute de pente », comme on l’appelait à ses débuts, fit son apparition dans le ciel de nos montagnes. Quelques apprentis « fous volants » utilisèrent des voiles de parachutes de saut pour s’élancer de falaises abruptes. Ces vols s’apparentaient plus à des chutes contrôlées qu’au vol des oiseaux…Bien peu d’entre eux imaginaient, à ce moment, avoir inventé une nouvelle discipline qui compterait, quelques années plus tard, des milliers de pratiquants à travers le monde. C‟est la conjonction de nombreux facteurs qui ont fait le succès de cette nouvelle discipline. La fin des années 70‟ à vu se développer un engouement pour les activités dites « extrêmes ». Ce courant allait encore être amplifié par la naissance d‟émissions télévisées comme « Ushuaia », faisant découvrir aux téléspectateurs les exploits de nombreux sportifs dits « extrêmes ». C‟est, lorsqu‟un alpiniste fou s‟élancera du sommet de l‟aiguille Verte à Chamonix, suspendu sous son parachute de pente, que le grand public prendra connaissance de cette nouvelle activité. Très vite, la communauté montagnarde verra en cette invention un moyen pratique pour redescendre des sommets. Le « par alpinisme » était né. Toutefois, cette même communauté déchantera presque aussi vite, en prenant connaissance des aléas de l‟aérologie de la haute montagne et des limites de vol de ces voiles. Dés que le vent est supérieur à 30 km/h ou que son orientation n‟est pas en face du décollage, les problèmes surgissent. La descente doit alors se faire à pied. Beaucoup de ces alpinistes maudissent alors leur sac alourdi par les 5 à 10 kg de la voile inutile. Malgré quelques hauts faits des ténors de l‟escalade, le parapente ne sera qu‟une activité très occasionnelle. Le vol 4807 A contre-courant de tout se qui se fait, une compétition réunit chaque année les amateurs de parapente. C‟est la municipalité et le club de parapente de Saint-Gervais, au pied du mont Blanc qui l‟organise. Le principe est simple, il faut monter, à pied, au sommet du toit de l‟Europe à 4.807 mètres d‟altitude et décoller en parapente. Les premières années le but, alors, était d‟atterrir le plus loin possible, mais comme les parapentes devenaient plus performants le but changea. Pendant un certain temps il fallut tenir le plus longtemps en l‟air avant de se poser à Saint-Gervais. Actuellement ce temps à été ramené à deux heures de vol. L‟analyse de cette compétition est intéressante : depuis plus de dix ans qu‟elle existe, rares sont les années ou un décollage du sommet du mont Blanc à été possible. Ceci en raison des conditions aérologiques défavorables. Souvent, il fallut se contenter d‟un vol du dôme du Goûter, un sommet voisin moins élevé. Comme quoi, la montagne a toujours le dernier mot. C‟est vers les pentes débonnaires et les sites de vols reconnus que le parapente prendra son élan. Sous l‟impulsion de constructeurs et de pilotes audacieux, les performances de ces bouts de chiffons vont grimper. Les premiers records tombent, de quelques minutes, les vols passent à quelques heures, avec l‟apprentissage du vol thermique. Les passionnés de delta-plane apportent leurs connaissances en la matière. L‟aérologie commence à livrer ses secrets, les premiers manuels de vols et magazines spécialisés font leur apparition. Les premières écoles et les premières fédérations suivent. Les assureurs proposent une police spéciale couvrant l‟utilisateur en responsabilité civile, car malheureusement les premiers accidents apparaissent aussi. La course aux performances verra son apogée vers le milieu des années 80, avec son cortège d‟accidents mortels qui indignent l‟opinion publique et alarment les autorités. Dès ce moment, le parapente amorce ce que l‟on pourrait qualifier « l‟âge mûr ». Les cours et les brevets deviennent obligatoires, l‟assurance aussi, les constructeurs mettent en place des tests sévères qui qualifient les voiles : voile école, voile intermédiaire et voile de compétition. Ces tests ne feront que s‟affiner et les voiles deviendront de plus en plus sûres. Le matériel de secours, passif ou actif, commence également à équiper la panoplie du parapentiste : parachute de secours, sellette renforcée et protégée, radio,…

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Aujourd‟hui, le parapente reste une activité classée « à risques », mais n‟est plus une activité nécessairement dangereuse. Quand vous quittez l‟école, votre brevet en main, vous êtes censé connaître la majorité des pièges de l‟aérologie de montagne et la façon de les déjouer. Vous pouvez acheter, en toute connaissance de cause, un matériel adapté à votre niveau et au type de vol que vous pratiquez. Vous pouvez passer beaucoup de temps à visiter et à voler dans des sites sûrs et reconnus, sous la direction de directeurs d‟écoles. Seule la compétition, et dans une moindre mesure, le vol sauvage au départ de sites non agréés peut encore vous réserver des surprises. Mais si vous respectez les règles, rien de fâcheux ne pourrait vous arriver. A l‟heure actuelle, il est prouvé que la majorité des incidents de parapente sont à imputer à une faute de pilotage ou à une erreur ou négligence du pilote. Le matériel n‟est presque plus mis en cause dans les accidents. Les joies du vol libre Mais qu‟est ce qui pousse le commun des mortels à vouloir planer avec les oiseaux ? Grande question que se posent les spectateurs, nez en l‟air, aux alentours des sites de vols les plus fréquentés. La question est différente autour des décollages. Ca doit être génial ! Se dit-on en voyant ces extra-terrestres s‟élever dans les airs après quelques pas. Ca a l‟air facile en plus ! Se disent les spectateurs d‟un air incrédule. Bien sûr que c‟est facile, il s‟agit là de l‟aéronef le plus simple au monde. Tant que les règles de bases sont respectées et que les conditions aérologiques sont bonnes, il est très facile de gonfler sa voile, de courir quelques mètres et de s‟élever gentiment dans la pente. Les conditions thermiques moyennes permettent de prendre de l‟altitude en utilisant les colonnes d‟air chaud comme des ascenseurs. On assiste alors à un ballet gracieux de voiles multicolores qui planent et volent tels de grands rapaces. Que c‟est joli, dit encore cette « mamy », j‟essayerais bien moi ! Pour débuter en parapente, une formule facile existe : le vol tandem. Une voile spéciale, plus grande que la normale et deux sellettes reliées entre elles, permettent à un moniteur chevronné d‟emmener un passager néophyte. Quelques conseils de base sont prodigués au départ, à peine une dizaine de minutes tout en enfilant la sellette et en s‟équipant. Rien de bien traumatisant, la seule condition est de pouvoir courir une dizaine de mètres dans une pente. Le moniteur vous met en confiance tout en vous harnachant. Ensuite, lui-même prend place dans sa sellette qui se trouve derrière vous. Hé oui, vous serez aux premières loges et le spectacle en vaut la peine. L‟attention est ensuite braquée vers la manche à air, qui normalement équipe tous les sites de décollage. Le moniteur analyse le vent, c‟est bon : go, go, go… la course commence dans la pente. A l‟heure actuelle et ce depuis bien longtemps déjà, on ne se lance plus d‟une falaise, on décolle dans une pente. Rapidement vous sentez une résistance qui vous empêche de courir en avant. C‟est bon signe, la voile se lève et se place au-dessus de votre tête. Le moniteur contrôle cette phase critique, si la voile est bien positionnée et que tout est bon, vous êtes partis. Dans le cas contraire, le moniteur tirera ses freins et avortera la tentative. Dans ce cas on se repositionne et on recommence. Mais, dans la majorité des cas c‟est bon, donc vous sentez que vous pouvez à nouveau courir. Là, il faut donner tout ce que vous avez dans les jambes. Plus vous aurez de vitesse, plus facile le décollage sera. Vous sentez que vos pieds ne touchent plus le sol, il faut encore courir, car parfois on retouche le sol pour quelques pas et c‟est seulement quand votre moniteur vous le dit que vous vous asseyez correctement dans la sellette. Il est important de bien vous positionner, d‟être assis bien au fond du siège de toile. Après, vous n‟avez plus qu‟à profiter du spectacle. Les montagnes défilent, le moniteur se dirige vers les sites d‟activité thermique. Vous sentez réellement que cela monte quand vous abordez la première « pompe », une ascendance dans le jargon des initiés. Sous l‟action du soleil, les masses d‟air se réchauffent de façon inégale, créant des zones où l‟air chaud monte. Les parapentistes ont appris à localiser ce genre de phénomène et l‟exploitent pour s‟élever dans les airs. C‟est ainsi, par exemple, qu‟en décollant vers les 2000 mètres d‟altitude, un parapentiste peut se retrouver rapidement à 4000 mètres, voire plus dans des circonstances exceptionnelles. Les ascendances puissantes peuvent vous faire monter à plus de 10 mètres/secondes. L‟effet que cela produit est semblable à une main géante qui soulèverait votre parapente : c‟est « puissant » ! ! ! Mais c‟est cela le « vol libre ». Généralement, après avoir réalisé un certain gain d‟altitude et après vous avoir fait vivre les sensations thermiques, votre moniteur passe à une autre phase du vol, il vous fait découvrir la maniabilité du parapente. Il entame alors une série de virages, de boucles, de huit, et de « 360 » (virage complet serré). De quoi vous convaincre que l‟on peut tout faire, ou presque, en parapente.

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Vient alors la balade et s‟il en est équipé, le moniteur vous passe les doubles commandes des freins et vous laisse piloter à votre tour. Là, c‟est vous le seul maître à bord. Vous comprendrez les règles de base des virages et vous rendrez compte que le pilotage d‟un biplace est assez « musclé », ça ne tourne pas tout seul. Tout cela vous emmènera vers la deuxième phase importante du vol, l‟approche d‟atterrissage. Importante car, si l‟atterrissage en lui-même est facile, il convient d‟être positionné correctement. A l‟inverse de l‟avion, on n‟a qu‟une seule chance. Pas question de remettre le moteur et de recommencer l‟approche. Il faut se présenter en entrée de terrain avec la bonne altitude et effectuer un arrondi correct. Mais, rassurez-vous, votre moniteur est un pro et il a déjà fait cette manœuvre des milliers de fois. Vous relevez les jambes et touchez le sol en douceur. Un apprentissage progressif Si vous êtes conquis, la prochaine étape sera la pente école, seul sous une voile. Là, vous devrez vous entraîner au gonflage de la voile, la clef du vol en parapente… Face au vent, tenir les élévateurs avant, courir dans la pente, tenir la voile aux freins pour qu‟elle ne vous dépasse pas, que de choses à faire en même temps ! Tous les débutants sont un peu perdus, mais rassurez-vous, après quelques essais et un peu d‟entraînement tout va bien. Le moment le plus important est la première fois où vous sentez vos pieds quitter la pente pour quelques secondes : vous volez… Après quelques jours ce sera le moment du premier « grand vol » guidé par radio. Votre moniteur vous ramènera pile au centre du terrain. Puis à la longue il parlera de moins en moins dans la radio et vous volerez seul. Il ne reste plus qu‟a passer le brevet et acheter votre parapente. Les cours se donnent en général à la semaine et souvent deux semaines sont nécessaires pour atteindre une relative autonomie. Les cours de base sont généralement suivis de cours de perfectionnement avant le passage du brevet. Ensuite d‟autres stages existent encore, pour se familiariser avec le vol thermique notamment. Ne négligez pas votre formation, elle sera la clef d‟une longue carrière parapentiste sans bobos et sans grandes frayeurs. Un sport pour tout le monde Le parapente est un sport qui s‟adresse à tous. Si vous êtes capables de courir quelques mètres vous pouvez voler. Aucune condition physique exceptionnelle n‟est nécessaire. Toutefois, il est bon d‟être patient et minutieux. En effet, on passe souvent pas mal de temps à attendre que le vent soit favorable et le démêlage des suspentes a rendu quelques débutants fous de rage…Mais rassurez-vous, cela vient vite et la joie de voler compense ces quelques aléas. De nombreuses parapentistes sillonnent le ciel de leur vol gracieux. Ce n‟est pas un sport macho, on se souviendra de la magnifique prestation de Laurence Claret-Tournier, une jeune fille de 20 ans sacrée « Championne du monde de parapente » devant de nombreux prétendants masculins, tous coiffés au poteau. Donc, mesdames à vos parapentes. En Belgique Peu ou pas de montagnes, mais beaucoup de pentes écoles et une aérologie généralement calme, font de notre pays un endroit idéal pour les débuts. Par la suite, il faudra vous rendre en pays montagneux ou découvrir les joies du vol treuillé. Cette dernière discipline est typique des régions de plaines. Le principe du cerf-volant est appliqué au parapente. Un treuil enroule un câble auquel vous êtes reliés avec votre parapente. La réaction ainsi induite vous fait prendre de l‟altitude. Une fois l‟altitude désirée atteinte, vous larguez le câble et effectuez un vol normal. Il est même possible de trouver des thermiques en plaine. Quelques beaux vols ont été réalisés dans notre pays. La dernière alternative sera le parapente à moteur, pour ceux que le bruit du moteur ne gêne pas.

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Chapitre 12 SUD-MAROCAIN AGADIR, côté loisirs… Ville de contrastes: adossée aux montagnes de l’Anti-Atlas et faisant face à l’océan Atlantique, mélange de traditions et de modernisme, ville industrielle et touristique, Agadir est une perle, un joyau qui brille aux portes du désert. Depuis la nuit des temps, cette cité à toujours réussi à attirer le voyageur. Qu‟il soit commerçant, aventurier, explorateur,… celui qui veut joindre le sud ou le nord passe par Agadir. Aujourd‟hui encore ce fait est une réalité. Tous ceux qui sont intéressés par la découverte du sud de l‟Atlas passent inévitablement par cette ville. Point de départ de toutes les aventures, Agadir a su développer les infrastructures nécessaires pour accueillir le touriste le plus exigeant, comme le plus aventurier. A l‟aube du 2

ème millénaire, Agadir est la ville marocaine qui enregistre la plus forte concentration

touristique, s‟appropriant à elle seule 23% des revenus du pays dans cette branche. Une ville attirante Sa large baie abritée offre de magnifiques plages, une sorte de « promenade des Anglais » longe la partie commerçante du front de mer, bordée de buildings et d‟hôtels modernes. Les eaux de la baie sont chaudes, calmes et transparentes. De quoi ravir les amateurs de farniente et de sports d‟eau calme. Au nord et au sud de la baie se découpe un littoral rocheux entrecoupé de jolies criques. Là, sans la protection de la baie, les vagues de l‟Atlantique déferlent à la plus grande joie des surfeurs. Les vents généreux, venant souvent du large, ravissent également les amateurs de sport de voile. L‟ensoleillement quasi constant, tout au long de l‟année, assure une saison touristique ininterrompue, avec toutefois un « pic » aux alentours des fêtes de fin d‟année. Il est très agréable de fêter Noël avec un bon 25 ou 30°C et de pouvoir se baigner dans la mer en cette saison, tout en pensant à ceux qui grelottent en Belgique ! Sans parler de l‟arrière-pays et des multiples possibilités qu‟il offre au point de vue loisirs et pratiques sportives. De nombreuses excursions partent de la ville. Outre la vallée du Sous, on peut se rendre dans la région pré-désertique de Goulimine, un centre commercial très important aux portes du désert, ou chaque samedi se tient le traditionnel marché aux chameaux. L‟occasion unique de rencontrer les « Hommes bleus », nomades sahariens, dont les amples vêtements bleus déteignent sur la peau, leur donnant ce surnom. A proximité se trouve encore la ville impériale de Taroudant, celle de Tafraout et la ville de légende de Tiznit. Mais, le grand atout d‟Agadir est aussi son côté culturel. Le modernisme cohabite harmonieusement avec les traditions et la culture. Les monuments historiques ne manquent pas, les souks apportent une note d‟authenticité où l‟artisanat et les produits de la vie courante sont vendus et vantés par une foule de marchands. C‟est là que l‟on peut nouer des contacts avec la population, par le jeu du marchandage, véritable phénomène social en soi. Il est facile ainsi de lier la conversation, sur les points les plus divers : on aborde le marchand, on lui demande un prix et le dialogue s‟anime, les autres commerçants et clients s‟en mêlent, pour terminer dans une véritable foire où tout le monde rigole et s‟amuse. Les petits potins, comme les grandes nouvelles sont colportés, commentés et analysés par tous les acteurs de ces grands marchés. La ménagère qui se rend ici sera aussi bien informée de l‟actualité que celle qui passerait sa journée devant la télévision. Le port aussi est un lieu où il fait bon flâner (votre passeport vous sera demandé pour entrer dans l‟enceinte du port). Entre les pêcheurs, déchargeant leur cargaison de poissons sur les quais encombrés de filets rouges ; les chantiers où les bateaux de bois sont construits et assemblés ; les docks où s‟entassent des tonnes de marchandises,… tout ce monde bouge, évolue, vit et communique. Il ne faut pas hésiter à se mêler à la foule, à aborder les gens, à faire connaissance… Ne vous étonnez pas de recevoir une invitation, c‟est courant par ici ! Nous-mêmes avons été invités à partager un repas par Ali, le patron de l‟agence de location de véhicule.

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Ces invitations sont des moments intenses de partage et de découverte de la culture marocaine. L‟hospitalité n‟est pas un vain mot au Maroc, et souvent, aucun signe de richesse extérieure n‟est perçu. La maison ne paie pas de mine, vue de la rue. Mais à l‟intérieur il en est tout autrement. Plafonds sculptés, meubles en provenance de l‟Afrique profonde, réalisés sur mesure dans des bois nobles, ainsi que tout l‟équipement électronique de grande marque,… Traditions et modernisme se mélangent encore une fois dans un ensemble harmonieux. Le repas est, lui aussi, à la hauteur de l‟hospitalité. Le méchoui est de rigueur : un mouton entier est cuit, pendant toute la journée, dans un trou creusé à même le sol. Les gens ne font pas cela chez eux, ils commandent le mouton et on l‟apporte, tout prêt, à l‟heure choisie. On le mange avec les mains, dans le plat en argent trônant au milieu de la table. Ensuite, ce sera le couscous, un énorme plat de légumes et de semoule, copieusement garni de viande… de mouton ! Puis viendront encore le dessert et les fruits. Le tout généreusement arrosé de thé à la menthe. Un repas que l‟on n‟est pas prêt d‟oublier. Les conversations s‟animent au fur et à mesure que la soirée s‟avance, on parle culture. Nos hôtes reviennent d‟un récent pèlerinage à La Mecque. Ils nous expliquent la signification de cet acte important dans la vie d‟un musulman. Ali nous raconte ensuite comment il est arrivé à s‟imposer comme loueur de voitures dans cette ville. Un ami travaillant dans un grand hôtel lui a permis d‟avoir une clientèle régulière. Une vie simple, une histoire simple, une famille heureuse dans un environnement qui leur convient à merveille. L’historique d’Agadir L‟histoire d‟Agadir ressemble à un éternel recommencement. Lorsque la ville atteint son apogée, une catastrophe naturelle ou politique précipite toujours son déclin ! Le nom d‟Agadir désigne une forteresse ou une demeure fortifiée dans la langue berbère. Si les traces d‟habitat remontent à la nuit des temps, c‟est en 1505 qu‟elle devient une véritable ville, avec l‟installation des Portugais. Le nom qui sera donné à ce port de pêche est « Santa Cruz ». Mais, en 1541, la population se rebelle et l‟envahisseur est chassé. Une sorte de village fortifié sera construit sur la colline, pour parer à une éventuelle reconquête, d‟où le nom d‟Agadir. Le port se développe et la ville devient le centre des échanges entre le Nord et le Sud. Au XVIII siècle, un tremblement de terre détruit une bonne partie de la ville et ralentit ainsi son développement. Avec le temps, Agadir récupère sa place et son rôle de centre d‟échange dans la région. En 1913, les Français attaquent la ville et en font une place militaire de premier plan pour la soumission du Maroc. Pendant plus de dix ans, le port sera bloqué et toute activité économique stoppée. Dans les années vingt, l‟économie reprend doucement, mais il faudra attendre les années quarante pour qu‟Agadir reprennent à nouveau une place prépondérante dans la prospérité de la région. Avec l‟avènement de l‟indépendance, un véritable « boom » économique relance toutes les activités de la ville. Le port fonctionne à plein rendement, justifiant, une fois encore, le rôle de carrefour d‟échange entre le Nord et le Sud. Le 29 février 1960, un tremblement de terre extrêmement violent détruit la majorité de la ville, en faisant 15.000 victimes. Agadir à cessé d‟exister ! Mais, grâce à la détermination du sultan Mohamed V, les Marocains lancent le défi de sa reconstruction. Le site de l‟ancienne cité est comblé de terre. Seules quelques murailles de la casbah historique restent dressées sur la colline, comme les témoins d‟une splendeur passée. La nouvelle ville sera entièrement reconstruite sur un nouveau site, plus proche de la baie, pour finir par enserrer totalement celle-ci. Depuis sa reconstruction, Agadir est devenue plus belle, plus dynamique et plus active encore, devenant entre autres, le premier port de pêche du royaume. Sa population actuelle dépasse les 120.000 habitants. La naissance d’un « Surf-Camp » Avec l‟avènement des nouveaux sports dans la région et l‟attrait pour le surf, une nouvelle clientèle était en demande d‟infrastructures répondant à leur vision du tourisme. Les surfeurs ne s‟accommodent pas vraiment des formules hôtelières classiques, souvent trop onéreuses et trop luxueuses. L‟association de plusieurs bonnes volontés ont débouché sur la création de la villa « Dynamic Loisirs », à Tamgarht. Ce petit hameau adossé à une colline, situé à 16 km d‟Agadir, fait face aux principaux sites de pratique du surf. La villa traditionnelle, de style marocain, est tenue de main de maître par « mamy Salerno ». Polyglotte par excellence (elle parle couramment le français, l‟arabe, l‟italien et l‟espagnol), on la retrouve aussi bien à l‟accueil, qu‟aux fourneaux et surtout dans son activité favorite : les achats quotidiens aux souks. Elle ne manque d‟ailleurs pas d‟emmener les pensionnaires du surf-camp dans cette activité typique. On peut alors se rendre compte de sa

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dextérité pour le sport national qu‟est le marchandage. Elle se prête volontiers au jeu pour vous obtenir le souvenir que vous convoitez au plus juste prix. La villa en elle-même est un exemple typique des maisons des alentours. Un magnifique salon, genre patio, trône au milieu de l‟enceinte principale. Toutes les chambres donnent sur ce salon. Le toit plat constitue une terrasse, sur laquelle les repas sont servis. La terrasse est aussi un point de vue splendide, que les surfeurs occupent pour guetter les vagues. Dés que celles-ci se brisent de façon régulière, c‟est le branle-bas de combat. Tout le monde se rue sur les combinaisons et les planches pour descendre le chemin menant à la plage. En moins de temps qu‟il ne faut pour le dire, la maison est désertée. Tout le monde se retrouve à la « Pointe du Diable », le spot de surf par excellence. Entre les mois de septembre et d‟avril on peut espérer des vagues de deux à quatre mètres de hauteur, avec une houle du large très régulière. L‟idéal pour l‟apprentissage et la pratique de ce sport. La session de surf se termine souvent au coucher du soleil, c‟est également le moment où les barques des pêcheurs reviennent du large. On assiste alors à un ballet millénaire. Les pêcheurs mettent leurs barques dos aux vagues et surfent littéralement jusqu‟à la plage. Viens ensuite le déchargement des poissons, puis en groupe, ils hâlent les barques de bois jusqu'à proximité de leurs cabanes. Une dizaine de familles vivent ainsi à la Pointe du Diable, perpétrant une tradition séculaire. L‟école de surf française « Bo & Co » prend d‟ailleurs ses quartiers d‟hiver à la villa « Dynamic Loisirs », assurant ainsi un encadrement de qualité pour l‟apprentissage de ce sport. Les moniteurs, originaires de Lacanau dans le sud-ouest de la France, sont tous « Brevetés d‟Etat ». Généralement, après une semaine d‟apprentissage, les débutants sont à même de s‟éclater sur leur planche, en surfant la crête des vagues marocaines. De quoi réjouir les amateurs de sensations de glisse. Notre premier cours de surf Comme tout le monde, nous avions de vagues notions de ce sport, découvert à travers les films et autres documentaires du genre : « les nuits de la glisse ». A voir ces grands champions surfer les vagues géantes d‟Hawaï ou d‟autres contrées exotiques, cela paraissait très facile. Bien entendu : il n‟en est rien ! Le surf est un sport très difficile. Les notions d‟équilibre, de répartition du poids et de la poussée sur la planche, ainsi que l‟évolution sur un monde liquide et mouvant, sont franchement déroutantes au début. Les premières armes se font sur une planche de type « long board ». La longueur, l‟épaisseur et la très bonne flottabilité de cette planche en font l‟arme absolue des débutants. Mais, malgré cela, on passe de longues heures à « ramer » après les vagues. L‟endroit où l‟on se trouve est déterminant. Il faut discerner le point exact, toujours changeant, où les vagues atteignent leur apogée avant de se briser dans une gerbe d‟écume. Une fois ce point déterminé, on se place un peu en avant de celui-ci et on guette la vague idéale. Ce guet se fait en position assise sur la planche, une jambe de chaque côté, face au large. Avec un peu d‟entraînement cet exercice devient très facile. Ensuite, il faut anticiper sur l‟arrivée de la vague et se positionner correctement, on se retourne face à la plage et on commence à ramer avec les bras. De cette façon on aura acquis une certaine vitesse quand la vague nous rattrape. C‟est après que cela se complique… La vague nous soulève, et, si la position est bonne, le timing est idéal, la vitesse est suffisante, ou d‟autres paramètres (qui vous échappent souvent) sont respectés, vous entamez une descente de la vague et une prise de vitesse. Dans le cas contraire : soit vous n‟avez pas assez de vitesse ou vous avez pris la vague trop tôt et celle-ci vous dépasse. Soit, vous êtes un peu trop tard et la vague casse sur vous ou vous retourne comme une crêpe. C‟est ce qu‟on appelle la « machine à laver ». Pas évident de retrouver ses sens après un passage dans une telle vague ! Par contre, si vous entamez correctement la prise de celle-ci, il faudra ensuite vous lever, avant d‟en avoir atteint le bas. Cet exercice, vous le connaissez par cœur. Vous l‟avez exécuté des dizaines de fois sur la plage, couchés sur le sable. On ramène les mains latéralement, sans saisir le bord de la planche et d‟un bon coup de rein, on se soulève et on ramène les jambes sous le corps, dans la bonne position. Facile, sur la terre ferme, pas facile sur une planche qui dévale la face abrupte d‟une vague. Si tout s‟est bien passé et que par un heureux hasard vous vous retrouvez debout, là l‟extase est totale. La vague vous pousse gentiment vers la plage et vous vous prenez à rêver aux magnifiques virages possibles, avant de revenir à la réalité et de vous retrouver la tête dans l‟eau. Mais rassurez-vous : après quelques jours de perspicacité vous ne raterez plus beaucoup de vagues et les virages vous sembleront faciles. Tout est question d‟entraînement. La suite logique sera l‟apprentissage des mêmes mouvements sur un surf court. Mais… c‟est une autre histoire.

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Les autres loisirs actifs Par la suite, les activités proposées se sont étoffées, comblant le vide des jours sans vagues, ou simplement pour ceux qui veulent varier un peu leurs activités de vacances. Le VTT à pris une place prépondérante dans cette structure, permettant des balades dans l‟arrière-pays, à la découverte des villages oubliés. C‟est ainsi que nous enfourchons nos bécanes pour une randonnée d‟une journée. Notre guide nous emmène à la conquête d‟un sentier qui n‟en finit pas de monter. On ne s‟était pas rendu compte que les collines fussent aussi hautes par ici. Mais l‟effort en vaut la peine, c‟est un nouveau monde qui se dévoile à nous. Notre attention est soudain attirée par un petit berger qui garde un troupeau invisible ! Après quelques instants nous comprenons pourquoi : les chèvres grimpent aux arbres, pour brouter les feuilles. Certains épineux sont ainsi remplis de chèvres, jusqu‟aux plus hautes branches ! La scène nous fait bien rire. Parfois, la route en corniche nous fait découvrir un panorama idyllique, la mer scintille dans le lointain, prise dans un écrin de collines vertes et rousses. Nous arrivons finalement dans un village constitué de maisons de pierres sèches, disposées au milieu de champs cultivés. C‟est le grenier à grains d‟Agadir. De jeunes enfants nous accompagnent un certain temps, chevauchant de vieilles bicyclettes toutes rouillées. Un groupe de femmes s‟éloigne dans le lointain, vaquant à leurs occupations, sans même nous adresser un regard. Nous doublons un vieillard qui marche nonchalamment sans but apparent, avant qu‟il ne disparaisse entre deux murs. La vie a réellement l‟air paisible par ici, pour peu on se croirait dans les alpages des Alpes de Haute-Provence. Soudain, le ciel se noircit, un orage éclate sur la baie d‟Agadir. Nous restons un moment à contempler ce spectacle des éléments en furie, avant de nous abriter de la pluie dans la cour d‟une ferme. De l‟extérieur elle semblait abandonnée, mais en fait un groupe de femmes nous surveille, d‟un air effarouché. La pluie cesse aussi subitement qu‟elle est venue et nous continuons notre exploration. Après le casse-croûte nous attaquons la descente sous une lumière irréelle. Nous sommes secoués et ballottés par les inégalités du chemin et finalement nous rejoignons la route côtière qui nous ramène à la villa. Nous sommes étonnés d‟avoir mis si peu de temps à descendre ce chemin qui nous avait paru interminable à la montée. Mais, ce petit exercice de vitesse nous à tous mis de bonne humeur et nous à fait oublier les souffrances de l‟ascension. D‟autres activités sont encore possibles, telles des randonnées en quad ou en moto. Des balades à dos de chameau ou à cheval. Voire encore des sorties en mer à bord d‟un catamaran, avec la possibilité de taquiner le poisson pour les amateurs de pêche à la ligne. Pas de doute : Agadir et la région proche sont vraiment un lieu de découvertes et d‟aventures qui valent la peine que l‟on s‟y attarde.

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Chapitre 13 ECOTOURISME EN ALASKA « Glacier Bay » Les plus beaux glaciers au monde… Située au sud-est de l’Alaska, la baie des Glaciers offre un paysage étonnant : d’énormes glaciers descendant du sommet des montagnes, tels de longs fleuves pétrifiés, pour se jeter ensuite dans l’eau noire des fjords, en créant de magnifiques icebergs. La forêt primaire recouvre le flanc des montagnes et abrite une faune menacée en bien d’autres endroits : ours bruns, mouflons de dall, chèvres des montagnes,… Les eaux des fjords, profondes de plusieurs centaines de mètre, constituent, quand à elles, des aires de reproduction ou de nourriture pour de nombreux mammifères marins, entre autres les baleines à bosses, les orques, les otaries et les phoques,… Visite aérienne de ce site grandiose. Le parc national de Glacier Bay à été crée par les Etats-Unis en 1980, pour protéger cet environnement unique au monde. D‟une superficie d‟un million et demi d‟hectares, c‟est le plus grand parc national des USA. Sa particularité : aucune route ne le relie au reste du monde. Aucun véhicule ne peut y circuler. Personne n‟y habite. Il s‟agit là d‟un véritable sanctuaire naturel, dédié aux animaux qui peuplent ses forêts et ses eaux. Les humains y sont tolérés en petit nombre, venant par bateau ou le survolant en avion. Plus rares encore sont ceux qui ont le privilège d‟y effectuer un « trekking », véritable expédition vu l‟absence d‟infrastructure et la nécessité d‟autonomie totale. Glacier Bay a également été désignée en tant que « Biosphere Reserve » en 1986 et « World Heritage Site », par l‟UNESCO, en 1992. Des mesures de contrôles draconiennes ont été mises en place par les autorités et surveillées par une troupe de rangers. C‟est ainsi que seulement 160 bateaux à moteur sont autorisés à pénétrer chaque année dans le sanctuaire (toutes tailles confondues, du zodiac au paquebot de croisière). Des permis de trekking sont nécessaires pour toutes incursions terrestres et tout survol aérien est sujet à autorisation. Le survol aérien reste le meilleur moyen de se faire une idée exacte de la taille et de l‟ampleur de ce parc national hors normes. Au départ des villes de Juneau ou de Skagway, de petits avions « Cesna » offrent le vol charter pour Glacier Bay. Un vol d‟une heure et demie qui vous transporte dans le temps, un véritable retour vers l‟aire glaciaire. A l‟époque où une grande partie de l‟Hémisphère Nord était recouvert par de tels glaciers. Bienvenue dans l’histoire de notre planète En entrant dans Glacier Bay, on survole les rives des fjords qui étaient encore recouverts de glace il y a seulement 200 ans. A l‟époque où le Capitaine Georges Vancouver explore cette région (en 1794), Glacier Bay n‟était, en fait, qu‟un énorme glacier. Epais de 1.300 mètres, large de 36 kilomètres et long de plus de 160. En 1879, lorsque le naturaliste John Muir visite la région, il découvre que le glacier s‟est retiré de plus de 70 kilomètres, libérant des glaces les magnifiques fjords que l‟on aperçoit aujourd‟hui. D‟ailleurs, de nos jours, la retraite des glaciers s‟est encore amplifiée, libérant plus de 100 kilomètres de fjords. Une retraite des glaces aussi rapide n‟a jamais été mesurée sur aucun autre glacier de notre planète. Les scientifiques s‟interrogent encore pour savoir si cette retraite est à imputer au changement de climat ou si d‟autres facteurs sont à prendre en compte. Un fait certain est que tous les glaciers du monde sont dans un stade de retraite. Les glaciers et les calottes polaires enferment plus d‟eau que les lacs, les rivières et les nappes aquifères réunies. Dix pourcent de notre planète sont recouverts de glace, ce qui représente la même superficie que la totalité des terres cultivées de notre globe. Si toute la glace présente sur terre venait à fondre, la moitié des villes de la planète seraient submergées par la montée des eaux. Les glaciers se forment quand les chutes de neige excèdent la fonte de celle-ci. Cette neige s‟accumule et se transforme progressivement en glace sous l‟effet de la pression. Si ce phénomène se produit sur un relief (montagne), la gravité entraîne la mise en mouvement de la glace vers le bas, d‟où l‟avancée des glaciers. Certains glaciers avancent de plus d‟un mètre par jour, cela dépend de

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l‟angle de pente. Le parc national de Glacier Bay comporte 12 glaciers descendant jusqu‟à la mer. Ce qui provoque souvent un spectacle fantastique : d‟énormes morceaux de glace se détachent du front du glacier et tombent dans l‟eau, formant de véritables icebergs. Certains de ces blocs de glace mesurent plus de 50 mètres de haut, se détachent de falaises de glace de quelque trois cents mètres et créent de véritables « raz de marée » en s‟écrasant dans l‟eau. C‟est ainsi qu‟il est interdit de s‟approcher à moins de trois kilomètres des glaciers les plus actifs. Les glaciers d‟aujourd‟hui proviennent d‟un âge glaciaire avancé appelé « le petit âge glaciaire », qui débuta il y a 4.000 ans. Il n‟approcha toutefois en rien la dernière grande glaciation du pléistocène. Le petit âge glaciaire atteignit son maximum vers les années 1750, ensuite la fonte générale commença. Aujourd‟hui, l‟avance ou la retraite des glaciers est le résultat de nombreux facteurs, tels : la quantité des chutes de neige, la topographie et la tendance générale du climat. C‟est ainsi que l‟on observe différents phénomènes dans la baie des Glaciers : La retraite continue à l‟est et au sud-ouest de la baie, alors que certains glaciers à l‟ouest avancent régulièrement. Ce sont les chutes de neige sur la chaîne de montagnes de « Fairweather » qui alimentent tous les glaciers de la région. Le mont Fairweather, la plus haute montagne du parc, culmine à plus de 5.000 mètres d‟altitude, alors que les montagnes proches de la côte atteignent les 3.000 mètres. Ces montagnes semblent énormes vu leur proximité du niveau de la mer. Par exemple : si l‟on observe la chaîne des Alpes depuis Chamonix, on se trouve déjà à une altitude de 1.000 mètres, ce qui réduit les 4 .800 mètres du mont Blanc à 3.800 mètres de dénivelé. Alors qu‟ici, ce sont 5.000 mètres réels qui se dressent face à vous depuis la plage. Les énormes vallées remplies de glace et les fjords ont été sculptés par les glaciers eux-mêmes, au cours des millénaires, sous l‟action de l‟érosion. Le plus long glacier du parc atteint les 200 kilomètres. Une fois dans l‟eau, les icebergs peuvent mettre plus d‟une semaine à fondre. Ils forment souvent des perchoirs providentiels pour les aigles pêcheurs et les mouettes, guettant le poisson. Si l‟on s‟approche de ces masses de glace on peut entendre distinctement l‟action de la fonte. Des bulles d‟air sont libérées sous la surface, des gouttes d‟eau s‟écoulent des parties hautes et des craquements intérieurs se font entendre. La glace semble « vivre ». La couleur varie également en fonction de la qualité de la glace : les icebergs blancs enferment beaucoup d‟air, ils ne mettront pas longtemps à fondre, Les bleus sont fait de glace dense, alors que les noirs proviennent du fond des glaciers, cette glace noire peut avoir plusieurs milliers d‟année. Tout comme les icebergs des pôles, on n‟aperçoit qu‟une petite partie de celui-ci à la surface. Les deux tiers, au minimum, sont immergés. La glace fondant plus rapidement au contact de l‟eau, l‟iceberg se retourne donc plusieurs fois, sans prévenir, avant de fondre totalement. Ce qui entraîne un certain danger pour les petites embarcations. La dextérité des pilotes d‟avion de Glacier Bay n‟a d‟égale que leur connaissance de ce fantastique parc national. Ainsi, tout en pilotant leur avion de main de maître, ils vous expliquent à l‟interphone, toutes les subtilités et l‟histoire de la formation de ces lieux magiques. Les sensations sont garanties, elles aussi, par des « rase-mottes » à proximité de la surface des glaciers. Histoire de vous faire apprécier les « gueules » des crevasses béantes. Certains glaciers sont pris en enfilade et on a l‟impression de remonter une autoroute de glace. Le final consiste au survol du mont Fairweather, d‟où le regard embrasse d‟un seul coup la totalité du parc. Là, on peut se rendre compte des proportions gigantesque de cette région. Mais, l‟avion n‟est pas la seule façon privilégiée de découvrir Glacier Bay. Au départ de la petite bourgade de « Gustavus », à quelques kilomètres de l‟entrée de la baie, certains guides proposent des balades en kayak de mer. De 1 à 10 jours, ces randonnées vous permettent d‟apprécier les splendeurs de la baie de tout près. Les nuitées se passent en bivouac, sous la tente. La visite nocturne d‟un ours curieux n‟est pas à exclure, ce qui rajoute un peu de piquant à l‟aventure. Quelques règles de base bien connues vous éviteront toutefois de mauvaises surprises. Votre guide vous emmènera à proximité de falaises de glace, d‟icebergs et avec un peu de chance vous approcherez des baleines ou des orques. Pour les amateurs de sensations fortes : l‟une des descentes en raft les plus fantastiques au monde se termine dans Glacier Bay. La rivière « Alsek », qui prend sa source au Canada, serpente sur plusieurs centaines de kilomètres à travers la chaîne côtière, avant de se jeter dans la mer à cet endroit. La mise à l‟eau à « Dalton Post », au Canada, assure 224 kilomètres de descente en raft, à travers des rapides allant jusqu'à la classe VI. Un minimum de 6 jours est nécessaire pour effectuer

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cette descente, mais généralement le « trip » se fait en 10 jours. Une expérience à réserver aux véritables accros du raft.

Les habitants originels de Glacier Bay. Les indiens Tlingit (apparentés aux Esquimaux), ont habité cette région depuis des temps immémoriaux. Chasseurs et pêcheurs de saumons, ils trouvaient ici de larges sources de subsistance. Ils ont été repoussés hors de la baie par l‟avancée des glaciers durant le petit âge glaciaire, mais la tradition orale des tribus rapporte des histoires de l‟occupation de cette région bénie. D‟ailleurs, ils continuent à considérer la baie des Glaciers comme leurs terres ancestrales, bien que le gouvernement des blancs refuse qu‟ils s‟y réinstallent. Si le navigateur Georges Vancouver aperçut le premier l‟entrée de la baie recouverte de glace, l‟exploration de celle-ci est attribuée au naturaliste John Muir. Peu après sa visite, le tourisme débuta dans la région. Les paquebots de croisière avaient pris l‟habitude d‟entrer dans la baie et de donner un coup de corne de brume, déclenchant immanquablement la chute d‟icebergs des parois de glace. Les touristes, confortablement installés sur le pont jouissaient ainsi du spectacle des tonnes de glace s‟écrasant dans l‟eau. Si les bateaux de croisière entrent encore dans la baie aujourd‟hui, les coups de cornes de brume sont, quand à eux, interdits. Quelques hardis pionniers blancs se sont installés à Gustavus, la seule localité proche de la baie. Ils ont été attirés dans la région, au début du siècle, par l‟ouverture de grandes conserveries de saumon. Ces usines sont heureusement fermées aujourd‟hui et la seule ressource de Gustavus est le tourisme. Plusieurs « lodges » et autres « bed and breakfast » assurent l‟hébergement des touristes aventureux désirant découvrir la baie. C‟est également à Gustavus que se trouvent le quartier général des rangers et le « visitor center » du parc. On peut y retirer les permis de trekking et de navigation dans la baie. Les baleines Chaque été 15 à 20 baleines à bosse viennent se nourrir dans les eaux de la baie. Elles émigrent depuis leur résidence d‟hiver dans les eaux chaudes de l‟archipel hawaïen. Des règles de navigation spéciales sont mises en place quand les baleines sont présentes dans la baie. Il faut savoir que les baleines ont besoin d‟une certaine quantité de nourriture chaque jour afin qu‟elles puissent entamer leur voyage de retour vers leur site de reproduction. Chaque minute compte donc pour elles et tout temps perdu dans leur quête de leur nourriture les empêche d‟emmagasiner les énormes quantités de graisse dont elles ont besoin. Les gros bateaux les perturbent et le temps qu‟elles mettent à les fuir peut tout simplement les conduire à la mort. Il semblerait que ce ne soit pas le cas pour les petites embarcations sans moteurs, toutefois, les rangers demandent que les kayaks ne s‟approchent pas trop près des baleines. Les grands bateaux de croisière, notamment ceux de la compagnie « Princess Cruise » organisent en été des croisières le long des côtes de l‟Alaska, incluant la visite de Glacier Bay. Se renseigner auprès des agences de voyages vendant ce genre de produit en Belgique. Trekking : Envisager un trekking dans un lieu aussi sauvage est une affaire sérieuse, pour ne pas dire réservée aux randonneurs expérimentés. Documentez-vous largement à ce sujet. De nombreux livres existent sur les randonnées en Alaska. Internet vous sera également de grande utilité pour trouver les petits trucs qui aident beaucoup à préparer un tel voyage. Les trekkings se font toujours en autonomie totale. Un bateau peut déposer et reprendre les amateurs de randonnée à différents points de la baie. Ce service se fait au départ du Visitor Center, non loin de Gustavus. Le Visitor Center se trouve en fait à « Bartlett Cove », ce point est accessible depuis Gustavus par un sentier qui longe la côte. Une sorte de taxi peut vous y emmener, ce sentier est la seule route carrossable du parc (sa longueur totale est de 11 km). Vous trouverez tous les derniers renseignements concernant les conditions de trekking au Visitor Center et vous devrez y prendre un permis (gratuit). Il vous sera rappelé qu‟il est interdit de nourrir les animaux et une brochure concernant la conduite à tenir dans un pays infesté d‟ours vous sera remise. Il est possible de louer les services d‟un guide (très cher).

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Kayaks de mer : Il n‟est pas nécessaire d‟avoir une grande expérience du kayak pour voyager à bord d‟un kayak de mer, rien à voir en fait avec le kayak d‟eau vive. L‟embarcation est très stable et l‟eau de la baie est calme. Une fois à bord tout se passe pour le mieux, le plus dur est de prendre place dans le kayak. C‟est surtout au niveau de l‟autonomie totale que la difficulté se trouve. Une fois dans la baie vous êtes livrés à vous-mêmes. Des « tours » guidés sont possibles au départ de Gustavus, c‟est souvent une bonne idée de prendre un guide si on n‟est pas habitué à voyager dans des zones sauvages. Ce service reste très cher. Nourriture et équipement : Dans les deux cas, kayak ou trekking, le poids est l‟ennemi numéro un. Il faut donc se rabattre vers de la nourriture lyophilisée et un matériel performant. En plus, la nourriture fraîche attire les ours. Il est préférable de ne pas cuisiner et ni de prendre ses repas là où l‟on va dormir. Les odeurs de cuisine restent imprégnées longtemps dans les environs. Emporter toutes vos poubelles avec vous, dans des sacs étanches (odeurs). Ne rien brûler et ne pas faire de feu dans le parc. Un réchaud de type « Camping Gaz » fera l‟affaire. Ranger toutes vos affaires dans des sacs étanches. Ne pas stocker de nourriture dans les tentes (même pas un morceau de chocolat, ni son emballage). La pêche est autorisée dans la baie, sous certaines règles et avec un permis en bonne et due forme (disponible au Visitor Center), les poissons fourniront un excellent complément alimentaire lors de randonnées de plusieurs jours. Toutefois, ne comptez pas uniquement là-dessus, il arrive qu‟on n‟attrape rien à la pêche… Nettoyez et consommez le poisson loin de votre campement et lavez-vous après avoir fini (les ours adorent le poisson par-dessus tout). N‟utilisez que du savon biodégradable pour toutes vos ablutions. D‟une règle générale, suivez tous les conseils qui vous sont donnés dans les brochures à votre disposition au Visitor Center, mêmes celles qui vous paraissent les plus incongrues, elles sont le fait de nombreuses expériences vécues sur le terrain.

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Chapitre 14 PASSION Le scaphandre « pieds lourds » Depuis la nuit des temps, l’homme essaie de domestiquer les profondeurs de nos mers et océans. Léonard de Vinci, entre autre, imagina des machines qui permettaient de respirer sous l’eau et d’explorer les fonds marins. Mais, tous ces projets ne virent pas le jour, les techniques permettant de les réaliser n’étant pas encore au point. Il faudra attendre les années 1700 pour voir naître les premières expériences réelles en milieu immergé. Edmund Halley, le célèbre astronome britannique (à qui l‟on doit la découverte de la comète qui porte son nom) sera le premier à mettre au point une cloche de plongée. Il inventa également un casque de plongée, sorte de bocal en verre reposant sur les épaules du plongeur et alimenté en oxygène depuis la cloche de plongée. Le seul défaut : le plongeur devait absolument rester en position verticale, car le bocal était ouvert en-dessous. Toute chute entraînait inévitablement la fuite de l‟oxygène. De nombreuses autres tentatives virent le jour, plus ou moins fructueuses et plus ou moins dangereuses, mais, au début des années 1800, la grande révolution allait arriver. Pas moins de trois nations se disputent le titre d‟inventeur du scaphandre dit « pieds lourds ». En effet, un Anglais du nom de Dean, un Allemand du nom de Siebe (qui se fera naturaliser Anglais par la suite) et trois Français : Cabirol, Rouquayrol et Denayrouze, inventent le même appareil presque simultanément. Il s‟agit d‟une combinaison étanche, coiffée d‟un casque de cuivre comportant des hublots, le tout relié à la surface par un tuyau amenant l‟air nécessaire à l‟alimentation du plongeur et à la répartition de la pression dans le scaphandre. La grande particularité, qui donnera son nom au procédé : le plongeur chausse des semelles de plomb, lui permettant de garder une position debout. D‟où le nom de « pieds lourds ». Ce procédé, révolutionnaire pour l‟époque, entame l‟ère de gloire des scaphandriers. Les rois des profondeurs donnent ses lettres de noblesse à la plongée, sans aucune concurrence durant plus d‟un siècle. Seul l‟avènement du scaphandre autonome ralentira un peu leurs activités. Mais, encore aujourd‟hui, certains travaux sont réalisés en scaphandre. S‟ils ont un peu évolué, le principe en reste le même. Durant les années de gloire, les scaphandriers étaient considérés comme des surhommes. Tout ou presque leur était permis. C‟était eux qui décidaient quand ils plongeaient, c‟est eux qui décidaient de l‟équipe de surface et surtout qui serait le responsable de la ligne de vie, cette corde qui servait à transmettre des messages avant l‟invention de l‟interphone. C‟était des bons vivants, des fous pour certains. Car ils risquaient sans cesse leur vie. Pendant très longtemps les dangers dus à la pression étaient méconnus. Bon nombre de plongeurs ont payé de leur vie l‟établissement des règles de base de la plongée. Le plus grand de ces dangers est ce que l‟on appelle communément l‟accident de décompression. Cet accident se traduisait, dans les cas légers, par la maladie des profondeurs et dans les cas lourds, tout simplement par la mort. Les plongeurs qui travaillaient régulièrement pendant des durées de 3 à 4 heures, à des profondeurs de 40 mètres, avaient inévitablement leurs tissus saturés en azote. S‟ils remontaient trop vite, l‟azote n‟avait pas le temps de s‟éliminer de lui-même, d‟où la formation de bulles d‟azote dans les tissus, amenant souvent une paralysie, des douleurs et des blocages articulaires, conduisant au décès dans les cas les plus graves. Ce n‟est que plus tard, par expérience, que les plongeurs ont appris à remonter lentement. La technique employée était de remonter main contre main le long de la corde les reliant à la surface, les forçant ainsi à aller doucement. Mais, malgré tout, ils finissaient par avoir des accidents un jour ou l‟autre. Ce n‟est qu‟avec l‟avènement des études scientifiques que les paliers de décompression furent déterminés et que les accidents diminuèrent. Une autre grande découverte allait encore améliorer les chances de survie : la chambre de décompression. Le plongeur accidenté peut être placé dans un caisson qui sera comprimé, d‟où un résultat égal à une redescente dans les profondeurs. Différents gaz, injectés dans le caisson, seront respirés, permettant alors de dissoudre l‟azote dans les tissus.

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L‟autre accident grave possible est le « coup de ventouse », dû à l‟absence de soupape anti-retour sur les premiers modèles de scaphandre. Cet accident se produit quand la descente est trop rapide. La différence de pression entre l‟air qui est dans le costume et l‟air qui y arrive est trop grande. Résultat : une inversion se produit, appelée effet « squeeze », le plongeur est alors écrasé dans la combinaison et aspiré vers le casque. Une fin atroce dont nous vous épargnerons les détails. L‟invention de la soupape anti-retour, montée depuis sur tous les casques, permet de supprimer cet accident. Avec la généralisation de la plongée en scaphandre, on retrouve ces héros des profondeurs sur tous les fronts. Depuis le renflouage des épaves, les travaux aquatiques de soudure et de découpage, la recherche des éponges et la chasse au trésor. Les deux grandes guerres firent apparaître les plongeurs démineurs. De nombreux faits héroïques, contribueront à forger la légende des scaphandriers et à en faire une élite respectée de tous les marins. Ce monde légendaire fait encore des émules aujourd‟hui. Collectionneurs nostalgiques, acquérant à gros prix les différentes pièces rares, amateurs avertis, désirant reconstituer un appareillage en état de marche, et plongeurs proposant leurs services pour différents travaux aquatiques. Un Belge spécialiste du scaphandre C‟est ainsi que nous avons rencontré Françis Vandermeirsch, un Bruxellois de 42 ans, considéré dans le milieu comme l‟un des spécialistes du scaphandre pieds lourds. Il nous emmènera à la découverte de sa passion. « Cette obsession pour le scaphandre me vient de ma plus tendre enfance, quand j‟ai vu le film « Vingt mille lieues sous les mers » adapté du roman de Jules Vernes. Vers l‟âge de 14 ou 15 ans j‟ai demandé à mes parents pour faire de la plongée sous-marine. Ils m‟ont traité de fou ! J‟ai voulu ensuite entrer à la marine pour mon service militaire, mais les places étaient limitées et je n‟ai malheureusement pas été accepté. Plus tard, quand j‟ai été marié, j‟ai vu une superbe exposition sur la plongée au Passage 44. Là, ça m‟a repris, mais ma femme n‟a pas voulu. J‟avais toujours cela en tête et après mon divorce, je me suis payé mon premier cours de plongée,… » « J‟ai ensuite entamé une progression normale avec la fédération et j‟ai obtenu les différents brevets « LIFRAS ». C‟est un jour, en lisant un bouquin de plongée hollandais, que j‟ai vu une publicité pour un baptême en scaphandre pieds lourds. Inutile de vous dire que je m‟y suis précipité. Par la suite j‟ai suivi des cours sur la plongée en scaphandre. Je me suis ensuite renseigné sur l‟acquisition du matériel, c‟était horriblement cher, on me demandait 85.000 FB pour l‟achat d‟un casque Siebe-Gorman. Je n‟avais pas les moyens et j‟ai donc cherché d‟autres filières. Mais, j‟ai rapidement dû me rendre à l‟évidence, il n‟est pas facile de trouver, ne fusse que de la documentation sur ce type de matériel. » « J‟ai donc continué à plonger, à emmagasiner les brevets, à tester tous les types d‟équipement, y compris le matériel de plongeur offshore, professionnel. Je peux dire que j‟ai essayé tout ce qui est « plongeable ». Je suis d‟ailleurs aujourd‟hui moniteur de plongée sportive et récréative. Et j‟ai toujours cette passion pour les pieds lourds. » « J‟ai fait beaucoup de rencontres avec des personnages qui m‟ont aidé dans ma « quête du graal », notamment avec un plongeur démineur de la marine nationale, et avec des collectionneurs. C‟est ainsi que, petit à petit, j‟ai commencé à acquérir du matériel de collection et du matériel en état de marche. » « Le rêve de ma vie à commencé à prendre forme et j‟ai réussi, il y trois ans, à constituer un équipement complet de scaphandrier, en parfait état de fonctionnement. C‟est un matériel éclectique de provenances diverses : Russie, Allemagne, Hollande,… Pour un budget dépassant allègrement les cent mille francs belges. Mais cela fonctionne très bien. J‟ai donc pu commencer à réaliser des baptêmes et des initiations à la plongée en scaphandre pieds lourds. Actuellement j‟essaye de former un opérateur de surface pour pouvoir plonger moi-même. Le plus important est bien entendu cet opérateur vu que tout est réglé depuis la surface, débit d‟air, mélange, etc.… « Le scaphandre pieds lourds est une passion comme une autre, j‟y trouve un réel plaisir et un réel intérêt. Depuis la lecture d‟anciens documents relatant les hauts faits des scaphandriers de l‟époque,

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jusqu'à la plongée elle-même et les sensations qu‟elle procure : ambiance, odeurs,.... Savez-vous que le costume est communément appelé « peau de bouc » ! En référence aux odeurs qu‟il dégage généralement. il est vrai qu‟a l‟époque les plongeurs restaient environ quatre heures dans leur costume, la transpiration et même parfois les besoins naturels s‟écoulaient dedans ! Pourtant, pour les plongées de longue durée, l‟équipement recevait une sorte d‟urinoir interne (qui ne fonctionnait pas toujours à 100 %). Aucune crainte concernant le mien, il ne sent pas mauvais. » Constitution du matériel « Le plus important et certainement le plus onéreux est le casque, le mien est un casque de fabrication russe, en cuivre, qu‟un ami à trouvé et ramené de Cuba, pour 45.000 FB. Le costume étanche est polonais, le narguilé (tuyau amenant l‟air depuis la surface) se trouve en Hollande et est vendu par longueur de 15 mètres. L‟installation d‟interphone (permettant à l‟opérateur de surface de converser avec le plongeur) vient d‟Allemagne et date de 1960. Les chaussures à semelles de plomb, ainsi que les poids médaillons, sont russes et proviennent de collectionneurs. Il reste le tableau de commande de surface, qui vient d‟Allemagne, et que j‟ai adapté pour recevoir des bouteilles d‟air comprimé traditionnelles. Par la suite et surtout par nostalgie j‟ai fait l‟acquisition d‟une pompe à bras, d‟origine russe et en parfait état de marche, mais actuellement je ne l‟emploie pas, c‟est beaucoup plus facile et plus sûr avec des bouteilles. » Initiation à la plongée en scaphandre Suite à la rencontre entre Françis et Christian Birchen (responsable de la société Zones Xtreme), lui-même ancien plongeur démineur de la marine nationale-, les deux compères ont décidé de mettre sur pied une formule d‟initiation au scaphandre pieds lourds. Ces initiations se font sur le site des barrages de l‟Eau d‟Heure, où ont lieu généralement les activités de Zones Xtreme. La formule proposée est constituée de deux heures de cours théoriques, durant lesquels vous apprendrez toutes les procédures de plongée et le maniement du matériel, ainsi que les règles de sécurité. Ensuite il vous faudra quelques 20 minutes pour vous équiper. Pas facile de rentrer dans le costume et ensuite de recevoir tout ce matériel encombrant sur le dos. C‟est tellement lourd que vous serez aidés par deux personnes pour entrer dans l‟eau. Mais, là le miracle de la densité de l‟eau et de la flottaison fera disparaître tout ce poids. Votre plongée durera en moyenne 20 minutes et vous pourrez suivre un parcours sous-marin éducatif. L‟eau des barrages est relativement claire et permet d‟apprécier pleinement les sensations de la plongée. Lors de la réalisation de ce reportage, des algues microscopiques étaient en suspension dans l‟eau, donnant cet aspect verdâtre, assez étrange, mais très beau, à tout ce qui nous entourait. Chaque plongée est accompagnée d‟un surveillant en scaphandre autonome, prêt à intervenir en cas de problème. Vous êtes aussi en liaison constante avec la surface grâce à l‟interphone. Une telle plongée est physiquement éprouvante et c‟est relativement fatigué que vous rejoindrez la surface. Un diplôme d‟initiation vous sera remis, attestant de votre expérience. Par la suite, si vous êtes mordus de plongée, vous pouvez suivre des cours et obtenir les brevets techniques de plongée en scaphandre.

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Chapitre 15 Trappeur au Yukon Les territoires du Yukon se trouvent dans le nord-ouest du Canada, ils forment la frontière entre le Canada et l’Alaska. Ce territoire, grand comme la France, ne supporte qu’une population d’à peine 32.000 habitants, autrement dit c’est un vrai désert... Ceci s‟explique par un hiver très long (neuf mois) et des températures descendant allégrement sous la barre des moins cinquante degrés. En hiver, les jours deviennent plus courts, voire, dans le nord du Yukon, la nuit totale sévit durant plusieurs mois. A l‟inverse, en été, il fait clair vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C‟est ce que l‟on appelle « le soleil de minuit ». Le Yukon s‟est surtout fait connaître pour la grande ruée vers l‟or du Klondike de 1898. Et de nos jours pour la célèbre course de chiens de traîneau « la Yukon Quest », reliant les villes de Whitehorse (capitale du Yukon) à Fairbanks (en Alaska), ceci en suivant le cours gelé du fleuve Yukon. Les trappeurs Au Yukon, les trappeurs ne font pas partie d‟un certain secteur social ou d‟un type spécifique d‟individus. N‟importe quel Yukonnais peut obtenir une licence de trappe, pour peu qu‟il réponde aux conditions d‟application et se soumette aux règlements spécifiés par le gouvernement. Ceux-ci sont repris dans « l‟acte de la protection de la vie sauvage ». Chaque personne peut obtenir un territoire de trappe, appelé « Trappe-Line », ou assister une personne en possédant une. Plus de sept cent cinquante trappeurs sont enregistrés au Yukon et la moitié d‟entre eux possède une trappe-line. L‟autre moitié est constituée d‟assistants trappeurs. Il faut encore souligner que soixante pour cent des trappeurs sont d‟origine indienne. La plupart des trappeurs poursuivent cette occupation uniquement pour le style de vie qu‟elle procure. Elle permet d‟être son propre patron et de travailler dans l‟un des plus beaux des environnements : Le Grand Nord canadien. Cette activité peut être personnellement gratifiante et économiquement rentable. Pour les Indiens, il s‟agit également d‟une tradition ancestrale et culturelle remontant bien avant l‟arrivée des hommes blancs au Canada. La trappe-Line Une trappe-line est une parcelle de terrain dont l‟exclusivité de collecte d‟animaux à fourrure est donnée à un individu : Le trappeur. Il ne peut exercer son activité que dans les limites de cette parcelle. Aucun autre trappeur ne peut y placer de pièges, à l‟exception d‟un ou plusieurs assistants dûment enregistrés. La taille moyenne d‟une trappe-line est de soixante kilomètres sur vingt. La protection du capital « animal » de la trappe-line est nécessaire pour assurer un avenir au trappeur. Ceci se fait par une protection des espèces et une régulation du nombre d‟animaux capturés. Le trappeur se charge lui-même de gérer sa trappe-line, de la même façon qu‟un agriculteur gère sa terre et ses cultures. Il y a trois cent quatre-vingt trappe-lines enregistrées au Yukon et ensuite cinq régions protégées par un statut spécial, qui sont en fait de grandes trappe-lines gérées par des tribus indiennes et qui correspondent à des territoires ancestraux. Le gouvernement exerce une activité de contrôle sur toute l‟activité de trappe au Yukon. Ceci afin d‟être sûr qu‟aucune espèce animale ne souffre d‟une sur-trappe qui la mettrait en danger. Le facteur économique Les retombées économiques de cette activité est très importante. Elle est la source de maintien de nombreuses petites communautés. La trappe apporte une ressource économique à un moment crucial de l‟année. Dans beaucoup de cas, si la personne ne trappait pas elle serait dépendante du chômage ou des institutions sociales durant cette période hivernale. Cette activité génère un capital annuel de plus d‟un million de dollars (pas loin de neuf cent mille euros). La revente de ces fourrures par les grossistes rapporte trois fois plus. Il faut rajouter à cela la revente d‟une partie de la viande à des sociétés de production d‟aliments pour animaux domestiques.

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Une partie des rentrées financières est réinjectée dans l‟économie locale par les trappeurs qui achètent l‟équipement nécessaire à la pratique de leur activité. La gestion des ressources animales Il y a quatorze espèces d‟animaux à fourrure qui sont trappés au Yukon. Les plus prisés étant : le lynx, le loup, le glouton et la martre. Une récente étude approfondie a démontré que septante pour cent des animaux trappés seraient de toute façon morts durant l‟hiver, ceci dû à la sélection naturelle : manque de nourriture, prédateurs naturels, rigueur de l‟hiver et maladies. En plus de la gestion très minutieuse par le trappeur, le gouvernement exerce des contrôles rigoureux. Des lois et règles sont dictées chaque saison, avec parfois des interdictions de capture de certaines de ces espèces. Ces contrôles sont effectués localement et concernent la reproduction des animaux, leur nombre, mais également les techniques de trappe employées. Des programmes d‟éducation, des réunions de travail et d‟information, ainsi que des recyclages sont organisés chaque année pour tous les trappeurs. Ces programmes concernent les méthodes de contrôle de la reproduction des animaux, les techniques de trappe et le matériel à employer, mais aussi la façon de récolter les fourrures (dépeçage). De cette façon, aucun acte de cruauté n‟est infligé aux animaux, la survie des espèces n‟est pas mise en danger et aucune perte de fourrure n‟est occasionnée. Pour devenir trappeur Un cours obligatoire est organisé chaque année par le gouvernement. Après un examen final, le candidat trappeur doit suivre un stage d‟une saison au moins, sous la surveillance d‟un trappeur confirmé. Après le contrôle du certificat de stage, le candidat peut travailler librement. Il devra, toutefois, se soumettre aux recyclages et autres réunions de travail. La vie sur la trappe-line Sur son territoire, le trappeur aménage un circuit de cent à deux cents kilomètres de sentiers, généralement en boucle. Sur cette distance le trappeur va poser entre cent et deux cents pièges et collets. Le trappeur a le droit de construire deux cabanes sur sa trappe-line. En général, une où il réside durant la période de trappe, et une autre à l‟autre extrémité de celle-ci, servant d‟abri en cas de mauvais temps soudain. Selon la distance, la nature du terrain ou la personnalité du trappeur, il se déplace en « skidoo », en skis, en raquettes à neige, voir en traineau à chien. Le plus souvent la relève des pièges prend de deux à quatre jours. Ensuite deux jours de repos sont nécessaires, ceux-ci sont mis à profit pour le dépeçage des animaux et la préparation des peaux récoltées. Les carcasses sont utilisées, soit pour faire des appâts pour les pièges, soit si l‟animal est comestible la viande sera récupérée pour la consommation personnelle du trappeur et de sa famille, soit encore pour des entreprises d‟aliments pour animaux domestiques. En cas de famine ou de manque de nourriture pour certaines espèces sur la trappe-line, le trappeur disposera des carcasses sur son territoire, ceci afin d‟éviter des migrations. Ce procédé est souvent employé pour le lynx, qui a tendance à suivre le gibier, et à déserter certaines régions quand celui-ci fait défaut. Selon l‟éloignement de la trappe-line, le trappeur rentre chez lui une fois tous les quinze jours en moyenne, parfois moins souvent ! Dans certains cas extrêmes, le trappeur est déposé en hydravion en automne et est repris au printemps ! ! ! Les pièges Les pièges « trappes », ont été l‟objet de nombreuses polémiques. Il fut un temps où le piège traditionnel à mâchoires d‟acier (piège à loup) était le seul outil employé pour la trappe. Celui-ci occasionnait des blessures sévères à l‟animal, qui parfois agonisait durant plusieurs jours, la patte prise dans le piège. Parfois des situations insoutenables se produisaient, telles que : l‟animal se rongeant la patte pour se libérer,... Dans de nombreux cas, le trappeur devait achever l‟animal à coups de bâton ou à coup de carabine 22 long rifle (un calibre plus gros abime la fourrure). Depuis plusieurs années, une loi est passée, interdisant l‟emploi de tels pièges, favorisant une nouvelle génération de trappes appelées « Quick kill » (tue rapidement). Ce piège a l‟avantage de se refermer autour de la nuque de l‟animal, le tuant généralement sur le coup. L‟usage du collet d‟acier est également autorisé, l‟animal meurt alors, par suffocation, en quelques minutes.

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Beaucoup moins de barbarie donc envers les animaux. Ceci à la grande satisfaction des trappeurs eux-mêmes, qui avouent tous ne pas aimer faire souffrir les animaux inutilement. L‟un d‟eux nous confie : Si j‟ai choisi ce genre de vie c‟est parce que j‟aime la nature, les animaux et la vie au grand air. Comment quelqu‟un qui aime la nature pourrait-il s‟amuser à faire souffrir les animaux. Si tu respectes la nature, la nature te respectera et te le rendra...Si tu trappes tous les animaux sur ta trappe-line, l‟année suivante il n‟y en aura plus et tu devras choisir un autre métier... C‟est juste une question de logique et d‟équilibre. Il faut souligner que dans la vie courante, la mort d‟un animal se fait souvent par l‟action d‟un prédateur, dans ce cas la mort est beaucoup plus cruelle et violente que si l‟animal était pris dans un piège « quick kill ». Contraintes Beaucoup de personnes ne se rendent pas compte des rigueurs et de la difficulté de cette occupation. La saison de la trappe s‟étend d‟octobre à fin février, donc au plus profond de l‟hiver arctique. Au nord du soixantième parallèle l‟hiver est présent neuf mois par an. Les zones de « permafrost » sol gelé en permanence, s‟étendent sur presque la totalité du Yukon. Durant l‟hiver, l‟ensoleillement est limité à quelques heures par jour. Selon la localisation, certaines régions du Nord sont plongées dans la nuit polaire durant parfois deux mois. Les températures sont très basses, flirtant couramment avec les moins cinquante degrés. La température la plus froide enregistrée au Yukon est de moins soixante-huit degrés. C‟est dans cet univers hostile de semi-obscurité et de froid intense, que les trappeurs exercent leur métier. Il n‟est certainement pas aisé de manipuler des pièges métalliques, de se déplacer sur de longues distances et parfois tout simplement de survivre dans de telles conditions. La recette de la réussite : « la passion et l‟amour du Grand Nord ». Un trappeur nous explique Durant l‟hiver, si t‟as pas grand chose à faire et que tu restes en ville, tu finis par passer tes journées dans les bars. Les problèmes d‟argent arrivent vite, les problèmes conjugaux et familiaux suivent et ensuite tu commences à perdre tes amis : c‟est la déchéance... Passer quatre ou cinq mois dans le froid et la semi-obscurité c‟est pas évident ! En ville ça l‟est encore moins et au chômage c‟est l‟enfer, l‟équilibre psychologique en prend un coup... Malheureusement, le taux de suicide est très élevé en hiver, dans le Grand Nord, et ce principalement dans les villes ou quand les gens n‟ont rien à faire. La réponse à ces problèmes se trouve dans l‟activité. Il faut bouger, faire quelque chose. Un trappeur n‟a pas le temps de s‟ennuyer ou de penser à ses problèmes. Il faut relever les pièges, observer les animaux, lire les traces dans la neige, faire le recensement des populations,... De retour à la cabane il faut dépecer les prises, couper du bois pour le feu, réparer les pièges endommagés, assurer la maintenance du matériel,... Beaucoup d‟occupations ! ! ! Sans parler que quand on est dehors à relever les pièges on prend l‟air et on fait de l‟exercice physique. Mais il faut faire très attention : la moindre erreur par moins cinquante et c‟est la mort presque assurée, ou au mieux, quelques doigts ou orteils en moins... Mais, quel plaisir de traverser un lac gelé, sous le flamboiement des aurores boréales, quand l‟air est tellement froid qu‟il en devient « croustillant »... Je ne changerais ma vie pour rien au monde. L’exemple concret de trappeurs Larry Tricker à 34 ans, ile est Yukonnais de naissance, il a appris la trappe de son père et gère la trappe-line familiale depuis 14 ans. Celle-ci porte le numéro 150 et se trouve à 15 kilomètres de la ville de Carmacks, dans le centre du Yukon. Elle a une dimension de 34 Km sur 64 Km. Durant l‟année 1992, il a attrapé : 10 gloutons, 45 lynx, 6 loups, et un certain nombre de plus petits animaux tels que, martres, hermines,... Il a négocié la peau de lynx aux environs de 20.000 FB, le glouton 12.000 FB, le loup 8.000 FB, et les autres petits animaux nettement moins cher. Cette année était exceptionnelle pour les lynx, car normalement il en prend une vingtaine par saison et parfois moins. Il passe quatre jours sur sa trappe-line et quatre jours en ville, ceci du premier novembre à la fin-février. Il se déplace en skidoo et en raquettes à neige. L‟été, il exploite une mine d‟or, autre activité traditionnelle du Yukon.

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Larry est l‟exemple type du trappeur moderne. La rentabilité de sa trappe-line est assurée par une bonne régulation des espèces. Il est fortement impliqué dans les programmes d‟éducation des nouveaux trappeurs et chaque année il accueille un stagiaire. Bien avant que la loi ne passe il avait abandonné les vieux pièges au profit des « quick kill ». Cette vie il l‟aime et la respecte. « Je suis né ici, mon père aussi. Nous sommes trappeurs et chercheurs d‟or de père en fils. Mon grand-père est arrivé au Yukon durant la ruée vers l‟or de 1898, ensuite il est resté et s‟est établi à Carmacks. Là, il a démarré un « trading post » et un « général store ». Aujourd‟hui c‟est ma sœur qui gère cette affaire. C‟est en fait le seul grand magasin de la localité, avec maintenant une station d‟essence, un bar, un motel et un restaurant. C‟est avec la construction de la route « Klondike highway » que le commerce s‟est agrandi. Avant cela la seule voie de communication c‟était le fleuve Yukon et les bateaux à vapeur. Nous sommes donc très attachés à notre héritage et nos valeurs culturelles. Je voudrais transmettre tout cela à mon fils, qu‟il devienne lui aussi un trappeur et un chercheur d‟or ». Sam Garry lui est Indien, ce qu‟on appelle ici « First Nations » ou encore « Autochtones »... Il est responsable du bureau des Affaires Indiennes et siège au conseil de sa tribu : les « Northern Tutchone ». Son savoir-faire et ses connaissances en matière de nature sauvage lui ont valu un poste de conseiller technique pour le combat des feux de forêts, qui ravagent le Yukon chaque été. Sam a été l‟un des plus grands guides de chasse que le Yukon ait connu. A son âge respectable de 75 ans il reste très actif, quoique ses fonctions soient plutôt honorifiques qu‟actives. Quoi qu‟il en soit Sam reste une référence en matière d‟évolution des coutumes et de la vie dans le Grand Nord. Quand il est né, sa tribu pratiquait encore le semi-nomadisme, la vie était rythmée par les activités saisonnières : L‟été c‟était la pêche au saumon, l‟automne on ramassait les baies et les champignons, au début de l‟hiver on chassait le gros gibier -caribou, élan,...- l‟hiver c‟était la trappe et le printemps la pêche au brochet et à la truite de lac. La vie s‟égrenait ainsi, bien accordée aux rythmes ancestraux. Les campements étaient semi-permanents, constitués de huttes recouvertes de peaux de bêtes. Sam garde des souvenirs de son enfance, surtout ceux qui ont fait sa renommée de bravoure. Il nous explique : Un jour, j‟étais encore tout jeune, je pêchais le saumon. Un beau tas de poissons se trouvait à côté de moi, la pêche était bonne. Quand, soudain, un énorme grizzly a surgi. Je n‟ai pas eu peur et je lui ai parlé dans ma langue. Je lui ai dit : mon ami ours, je m‟excuse de prendre ces poissons, mais j‟en ai besoin pour nourrir ma famille. J‟en ai beaucoup et si tu veux je peux partager avec toi. Je lui ai tendu un poisson qu‟il a pris et qu‟il a mangé. Ensuite, il est parti et ne m‟a fait aucun mal. Le lendemain, l‟ours était de retour et je lui ai donné un poisson tout en lui parlant et ainsi de suite durant un certain temps. Les autres membres de la tribu étaient très impressionnés. Depuis ce temps-là Sam est « celui qui parle aux ours ». Un jour, l‟ours n‟est pas revenu et je ne l‟ai jamais revu, nous dit Sam, d‟un air mélancolique... Après la seconde guerre mondiale, la construction de la « Alaska Highway » désenclava le Yukon et amena un flot de touristes venant des USA. Ses qualités de guide étaient très prisées par les chasseurs, il a guidé de nombreuses personnalités durant sa carrière. A l‟heure actuelle, Sam continue toujours son activité sur la trappe-line communautaire de la tribu. Plus par respect des traditions que par l‟appât du gain... Mais surtout pour communiquer, une fois encore, son savoir aux jeunes générations. Il dirige entre autre certains ateliers pour les jeunes, tels que : la fabrication de raquettes à neige, la pose des trappes ou le fumage des saumons. C‟est, dit-il, « la seule façon de garder notre esprit fort et de conserver le savoir de notre peuple ».

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Chapitre 16 Parachutisme extrême

Analyse d’une première mondiale…

Pour tout amateur de sports extrêmes, la réalisation d’une « première mondiale » est souvent l’aboutissement de longues années de passion, de pratique et d’entraînement dans un sport déterminé. Souvent seuls les pratiquants de haut niveau peuvent prétendre à ce genre d’exploit, sauf pour les nouvelles disciplines, où, à ce moment, toute réalisation est une première, mais dans ce cas, il reste l’inconnue de la découverte.

Dans le cas qui nous intéresse, la chute libre, ce n‟est certainement pas un sport nouveau, donc il ne reste de place que pour l‟élite mondiale en matière de premières.

C‟est accompagné de Marc Sluzny, 3ème

aux championnats du monde de sky-surf, de Gary Neiman, compagnon de chute de Marc et de la passagère de Gary, que nous nous rendons à Bourg Léopold pour notre « première ». Depuis longtemps Marc Sluzny pensait à cette première. Une nouvelle figure appelée « double tandem assis ». Marc s‟est spécialisé dans la réalisation de sauts en tandem, c‟est-à-dire qu‟un passager est attaché au moniteur ; la particularité de Marc est de faire de la voltige avec son passager. Il a déjà expérimenté bon nombre de figures classiques, dont le saut assis, mais jamais il n‟a fait de voltige à deux en vol relatif. Gary et sa passagère sont prêts à relever le défi. Je serai le passager de Marc.

Séance de briefing au sol : Marc explique la manœuvre, les positions, les risques aussi… Ce n‟est pas une mince affaire ! Généralement en tandem, après la sortie de l‟avion, on lance un petit parachute qui sert à stabiliser le couple moniteur-passager dans la bonne position, mais aussi à ralentir la chute vers les 180 Km/h. Dans notre cas, vu que nous serons sur le dos, pas moyen de lancer ce parachute, à cela il faut ajouter la masse de l‟ensemble des 4 personnes. Marc estime que notre vitesse de chute dépassera les 300 Km/h !!! Jamais un tandem n‟a été aussi vite, donc une somme d‟inconnues assaille nos champions. Comment la chute va-t-elle se passer ? Ne risque-t-on pas de se percuter en vol ?… Sera-t-il possible de revenir dans une position normale après avoir relâché la figure ? Le parachute va-t-il s‟ouvrir normalement ensuite ????? Waow, l‟adrénaline monte.

Après avoir mesuré toutes nos chances, la décision est prise de quitter l‟avion accrochés par nos jambes dans la position assise, à quatre en même temps. Ca va secouer, amis, on n‟aura pas à se soucier de se retrouver dans l‟espace.

Autre problème, les caméramans. Car sans images une première n‟a pas grande valeur. 3 caméramans chuteurs de haut niveau vont nous accompagner dans notre chute. Deux sauteront presque en même temps que nous, un troisième partira derrière nous de l‟avion.

Etape suivante, analyse de l‟avion (un « Super Twin Otter), de la porte de sortie, de la place des caméramans. Deux des caméramans sortiront avant nous et se tiendront au fuselage de l‟avion en plein vol. Ensuite il nous faudra prendre la position à la porte. Gary au-dehors, face à nous, dos au vide… sa passagère pendant dans le vide. Marc et moi, assis face au vide, ainsi je pourrai crocheter les jambes de la passagère de Gary pour maintenir l‟ensemble. La position ne sera maintenue que par la pression de mes jambes, et la pression sera forte… Pourrai-je tenir le coup ? Après cela, on s‟équipe et on embarque dans l‟avion.

La pression et l‟excitation montent au fur et à mesure que l‟on s‟élève en altitude… Dernières recommandations, déjà nous dépassons les 4000 mètres d‟altitude. L‟avion se positionne, le feu vert arrive. On se positionne, les caméramans sortent de l‟avion, le vent s‟engouffre dans la carlingue. Gary et sa passagère sortent de l‟avion en reculant. Nous nous asseyons au bord du vide, la force du vent me gène pour attraper les jambes qui pendent devant moi. Tout va très vite, Gary se penche vers moi et attrape ma sangle de poitrine, je suis happé par le vide. Tout tourne, nous effectuons un salto avant, à 4 attachés ensemble. La force sur mes jambes est supportable, je réussis à maintenir

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l‟ensemble. Nous sommes dans la bonne position, la figure est réussie. Nous sommes assis face-à-face. Je profite un instant des sensations, je me détends et analyse ce qui se passe autour de moi. Je n‟ai pas l‟impression de chuter. Mais déjà Gary me fait signe de rompre notre attachement. Je détends mes jambes et là c‟est la folie… Nous sommes projetés en arrière dans un mouvement de centrifuge, j‟ai le réflexe de prendre la position cabrée, jambes et bras ouverts, tel que Marc me l‟a appris au sol. On se stabilise et la chute libre normale débute. Marc déploie le petit parachute. On est ralentis et on chute normalement. C‟est gagné, on a réussi !!! Après de longues secondes de chute, marc ouvre le parachute. L‟ouverture de ce biplace de fabrication américaine est très souple. Pas de gros choc à encaisser. Maintenant nous volons sous la voile et Marc me passe les doubles commandes.

Après une succession de virages, le sol se rapproche et Marc reprend les commandes pour l‟atterrissage. Youpi !!! On est au sol, on est vivants et on a fait une première mondiale.

C‟était mon premier saut en parachute. C‟était mon cadeau d‟anniversaire. Merci Christian (le boss de Zones XTremes), merci les potes

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Chapitre 17

Bart « The bear » (L’ours)

Il était un petit ours, né en captivité, de parents nés aussi dans un zoo. Très vite il s'est retrouvé orphelin. Son destin aurait été de vivre derrière les cages d'un zoo pour le reste de ses jours. Sa rencontre avec Doug Seus l'a transformé en star du cinéma. Sa vie a été faite de rêves, d'amour, de voyages et d'aventures. Grâce à lui et à ses cachets de cinéma, Doug a lancé la fondation Vital Ground. Cette fondation achète et gère des terres aux pieds des montagnes rocheuses américaines pour protéger l'habitat des grizzlys.

Après une vie bien remplie, Bart s'est éteint l'année dernière, à l'âge de 22 ans. (L'espérance de vie d'un ours de cette race est de 20 ans en moyenne dans la nature). Une mort naturelle donc, pour un ours surnaturel et surdoué. Le commun des mortels se souviendra des films "L'ours" de JJ Annaud et "The edge" avec Antony Hopkins et Alec Baldwin. Les amoureux des ours se souviendront qu'il était l'ambassadeur de Vital Ground.

Journaliste auprès du magazine Cap Aventure à l'époque, Barbara Jacobs me proposa un voyage de presse pour découvrir les Rocheuses. Je donnai mon accord rapidement pour un départ en juin 1998. Mais je voulais rencontrer Bart, qui je le savais vivait avec Doug dans les Rocheuses. L'affaire fut rapidement conclue, Bart se trouvait non loin de Salt Lake City, dans le ranch de Doug. Le problème fut d'obtenir l'autorisation de Doug de rencontrer son ours. Il faut dire que sa réputation de star attirait beaucoup de farfelus dans les environs et que Doug se méfiait des admirateurs encombrants. Il fallut donc montrer patte blanche et promettre que l'article qui suivrait cette visite serait rédigé dans le but de promouvoir "Vital Ground" et non dans un quelconque but commercial. No problems.

Direction Heber City et rencontre avec la famille Seus, dont Bart était un membre à part entière. Le courant passa bien avec Doug et sa femme Lyne. Des gens vraiment très charmants, pas du tout le profil de "star" ou de parents de star. Tout le fonctionnement et les objectifs de Vital Ground me furent expliqués, ainsi que l'adoption de Bart, ses premières semaines où il fut nourri au biberon, sa vie au sein de la famille et sa croissance vers l'âge adulte. D'une petite boule de poils il se transforma en un ours Kodiak adulte de 700 Kg et de 3 mètres de haut quand il était debout.

Doug m'expliqua sa venue au cinéma. Il était un dresseur dans l'âme. C'est par des amis qu'il vint un jour assister au tournage d'un spot publicitaire mettant en scène différents animaux venant de différents propriétaires. Personne n'arrivait à les faire jouer ensemble et Doug y est arrivé. Rapidement sa réputation se répandit comme une traînée de poudre. Très vite il se prit au jeu et commença à dresser spécifiquement des animaux pour le cinéma. Loups, pumas,... Tous pouvant jouer ensemble. C‟est là que Bart est arrivé. Bart fut sans conteste la star animale à percevoir les cachets les plus importants et à jouer dans le plus grand nombre de films incluant de gros succès hollywoodiens tels que: L'ours, Croc blanc, A couteaux tirés (The edge), Légende d'automne,... En tout plus de 11 films et une bonne dizaine de spots publicitaires.

A cette époque Doug possédait, outre Bart, deux autres grizzlys et 14 loups, tous dressés pour le cinéma.

Le moment était venu pour la confrontation: Doug m'emmena vers l'arrière de sa maison et me présenta à Bart. Ma première impression fut sa taille. Bien que prévenu qu'il était très grand, je ne m'attendais pas à une telle masse. Doug entra dans la cage et commença à jouer avec Bart. Il me fit une démonstration des capacités de l'ours en rejouant certaines scènes connues des films que Bart avait jouées. Quel acteur ! ! !

Après cela on rendit visite aux autres pensionnaires, Buba et Tank, les deux grizzlys et les 14 loups.

Déjà il fallait se séparer et après un dernier coucou à Bart je reprenais la route.

So long Bart.

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Après le décès de Bart, Doug fut très affligé et décida de tout abandonner. Mais, il fut averti que deux oursons Kodiak recherchaient une famille... Et Doug est maintenant l'heureux "papa" de ces deux oursons. Il semble qu'ils soient promis à une grande carrière sous les sunlights de Hollywood. L'avenir de Vital Ground est lui aussi assuré.

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Chapitre 18

A la découverte du Sud marocain « autrement » Le Maroc, nous en avons tous entendu parler et depuis longtemps, certains noms résonnent à nos oreilles au point de devenir familiers. Agadir, Ouarzazate, le Haut-Atlas… C’est là, dans le sud, que nous avons choisi de faire connaissance avec le pays. Autrement… Philippe Salerno, dont le nom trahit les origines italiennes, n‟en est pas moins natif du Maroc, tout comme sa famille, depuis trois générations. Il est parfaitement intégré, manie la langue du pays, respecte ses coutumes et connaît tous les recoins de cette région du Sud. Il sera notre « laissez-passer » pour aller à la rencontre des populations et de leur hospitalité légendaire. Après notre installation dans un hôtel d‟Ouarzazate, nous faisons aussi la connaissance de Rémi et de Michel, respectivement responsables des quads et des VTT, les deux moyens de transport que nous utiliserons pour nous déplacer. Tous deux sont belges, mais passent beaucoup de temps au Maroc. Inutile de dire qu‟ils sont tombés sous le charme du désert, terrain de prédilection pour la pratique de leurs activités favorites. La première journée est destinée à nous familiariser avec le pays. Nous en profitons pour visiter la kasbah de Ta Ourirt, sorte de château féodal, abritant des centaines de familles. L‟architecture est typique du pays, les toits sont plats et les nombreuses ruelles et passages très étroits,, contribuent à donner à la cité des allures de ville fortifiée, mais fragile, faite de pisé - un mélange d‟argile, de paille et de petit gravier-, tassé, compacté, séché par le soleil, mais que la pluie érode et oblige sans cesse à recommencer. Des hauteurs, la vue s‟étend jusqu‟au désert. Au-delà de l‟oued et des palmeraies, on aperçoit les montagnes, le lac du barrage Mensour Ed-dahbi, les oasis et la féerique vallée du Draa. Un guide nous permet de visiter la partie en cours de rénovation. Ces bâtiments datent de 1928 et nous découvrons de superbes fresques et peintures murales, un art étonnamment fin, caché par des murs aussi grossiers. Le lendemain nous partons en quad. Les VTT, eux, sont chargés dans le véhicule balai. Nous les retrouverons plus loin, dans le désert. La traversée de la ville est entamée à vitesse réduite, sécurité oblige. Nous sommes surpris par l‟intérêt que les populations portent à nos machines. Les gens sourient ou nous adressent des signes amicaux. Nous profitons de cette traversée pour admirer la façon dont la ville est agencée : il s‟agit en fait d‟un désordre hétéroclite relativement bien ordonné. On ne peut pas dire qu‟Ouarzazate soit une belle ville, mais elle ne manque pas de caractère. Philippe nous explique alors qu‟une maison est généralement construite sur un étage, avec une pièce centrale et une salle de séjour, entourées par les différentes chambres. Le tout forme un carré au toit plat. Quand les enfants grandissent et se marient, on construit un second étage. Par la suite si nécessaire, on bâtira d‟autres annexes latérales. Les maisons se collant les unes aux autres finissent par donner une allure de casbah à l‟ensemble. Presque sans transition, nous passons de la ville au désert. Nous quittons la route pour bifurquer vers une piste de terre rouge. Le paysage devient « lunaire », le sol sablonneux est parsemé de cailloux jusqu‟à l‟horizon formé de collines arrondies. Chaque endroit où l‟eau est présente se distingue immanquablement par des buissons épineux et des palmiers. Ces mini-oasis apportent une touche de gaieté dans cet univers minéral. On ne se lasse pas de quitter la piste pour serpenter entre les plantes et les arbres. Les quads sont des engins idéaux pour ce type de découverte. Un peu plus loin, on croise un Marocain, très fier, chevauchant une antique mobylette. On s‟arrête et on fait les présentations : il s‟appelle Azioune et est le fils du chef de l‟oasis de Fint, le but de notre périple. Il amène les repas pour les instituteurs de l‟école. Sa mobylette lui cause quelques soucis et il nous demande de prendre en charge l‟acheminement de son précieux fardeau. Les victuailles sont chargées dans notre véhicule balai, au milieu des VTT.

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Finalement, Azioune nous accompagnera dans notre randonnée, s‟amusant de notre présence et chevauchant l‟arrière d‟un de nos quads ! Quelques dizaines de kilomètres plus loin, nous arrivons en vue de l‟oasis de Flint. Rien à voir avec les mini-oasis que nous avons croisées jusqu‟ici. Du haut du plateau desséché où nous nous trouvons, nous contemplons l‟étendue de ce véritable jardin d‟Eden perdu au milieu du désert. D‟énormes falaises de grès ocre enserrent une vallée tapissée d‟un canevas de végétation. Les palmiers prédominent, mais la découpe nette des cultures décline toutes les gammes de verts que compte la création… Nous sommes époustouflés par cette vue panoramique. L‟oued serpente au milieu de la vallée. L‟eau, source de vie, conditionne la présence des êtres humains dans cette région. Ici, elle abonde et permet à plus de 500 personnes de survivre dans ce lieu béni des dieux. Ailleurs, elle manque et le sable du désert chasse les habitants vers d‟autres contrées. Après la descente par une piste en lacets qui longe les parois verticales des grès rouge, nous abordons le bas de la vallée. Nous traversons l‟oued à gué et sommes accueillis par le chef du village en personne. Le « téléphone berbère » a fonctionné et notre visite n‟est déjà plus une surprise pour personne. Le chef est âgé de 94 ans (paraît-il), mais il est toujours vaillant. Bon pied bon œil, il prend place à l‟arrière d‟un quad et demande à traverser la rivière en sens inverse. Visiblement, l‟engin l‟amuse beaucoup. Nous serpentons finalement dans les sentiers de l‟oasis et recueillons de plus en plus de passagers clandestins. Nos montures ne ressemblent plus qu‟à des grappes humaines, tant les enfants que nous embarquons sont nombreux. Notre venue se transforme en fête pour tous les gamins de l‟oasis. Finalement, totalement submergés, nous arrêtons les quads devant la partie résidentielle de Fint et partons, à pied, à la découverte de cet ensemble d‟habitations. La disposition des lieux est habituelle et les constructions anarchiques s‟étalent sur une vaste surface. Nous errons entre les murs de pisé dans un dédale de ruelles et de passages ombragés. De temps en temps, une silhouette de femme disparaît à notre venue. Là, une fillette nous espionne par une porte entrouverte. La loi de l‟Islam est stricte et les femmes ne doivent pas se montrer aux étrangers. Une coutume qui n‟est pas prête de changer. Mais, comme toute autre coutume, nous sommes tenus de la respecter et nous nous abstenons de prendre les femmes en photo. Du moins pas les jeunes, car les plus âgées ne semblent plus être concernées par cette loi… Le chef nous fait l‟honneur de nous offrir le thé dans sa maison. Là, nous découvrons toute la subtilité de l‟agencement de l‟espace façon marocaine. La pièce centrale ressemble à un patio, avec une ouverture dans le toit qui laisse passer la lumière. Tout autour, des tapis couvrent le sol et des sofas moelleux invitent à un moment de repos bienvenu durant ces heures chaudes de la journée. L‟épouse du chef amène le brûleur au gaz, la théière et les ingrédients nécessaires à la préparation rituelle de cette boisson nationale : un peu de thé vert, de la menthe fraîche et un pain de sucre brut. Notre ami Guy sera chargé de le réduire en morceaux à l‟aide d‟une petite barre de fer. La préparation s‟éternise, le chef verse du thé dans les verres, qu‟il remet ensuite dans la théière pour faire chauffer à nouveau le tout. Ce manège se reproduit plusieurs fois avant qu‟il ne serve définitivement le breuvage. La suite se passera en palabres, traductions franco-arabes et gestes des mains qui nous expliqueront la vie et l‟administration de l‟oasis. Les mariages sont souvent arrangés et les époux sont issus des mêmes familles. Cousins et cousines s‟unissent pour garder les biens familiaux. Si une fille se marie avec un étranger, elle quittera l‟oasis et ce sera une perte sèche. Mais ces pratiques engendrent aussi des problèmes graves de consanguinité. En écoutant ces explications, nous prenons conscience que la vie, ici, ressemble très fort à celle de nos ancêtres, au Moyen Age. L‟évolution est nettement plus lente dans cette région, même si l‟un des murs de la maison est orné de photos offertes par des touristes. Visiblement, ils ne refusent pas le progrès, mais ils prennent ce qui les intéresse et rejettent le reste…

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Dans l‟après-midi, nous retrouvons les VTT pour une balade dans les sentiers de l‟oasis. Le VTT est plus adapté que le quad pour serpenter entre les cultures et flâner le long de l‟oued. Nous découvrons des figuiers, grenadiers, orangers, bananiers, des cultures de maïs et beaucoup d‟autres encore, que nous ne reconnaissons pas. La chaleur est tout à fait supportable dans ces sentiers ombragés. Des centaines d‟enfants accourent, piaillent et s‟enfuient dans tous les sens lorsque nous approchons. Certains gardent des troupeaux de chèvres. Toute l‟oasis vibre de vie, de joie et de cris. Nous pourrions rouler ainsi pendant des heures tant la superficie des cultures est énorme. Un jeune garçon nous sert de guide car il serait aisé de se perdre dans tous ces sentiers. De retour au village, il nous fera encore visiter l‟atelier du potier et la cuisine de sa maman. En fait de cuisine, il s‟agit d‟une pièce toute noire avec trois fourneaux différents : un pour le pain, un autre pour le tajine et un troisième pour le couscous. Seul un petit trou dans le plafond apporte un peu de lumière et permet à la fumée de s‟échapper. Les ustensiles se résument aux plats de terre cuite caractéristiques, à couvercle conique, dans lesquels sont cuits les tajines et couscous. La balade en VTT nous a mis en appétit et nous prenons notre « quatre heures » constitué de dattes, de biscuits et d‟un petit verre de thé à la menthe préparé par Azouine, dont le père, quelque peu fatigué par notre visite, est parti faire la sieste. Ses gestes sont tout aussi rituels, car Azouine se prépare à devenir chef de l‟oasis lorsque son père se retirera. L‟après-midi touche à sa fin et nous quittons à regret ce lieu magique. Les VTT sont rechargés dans le véhicule et nous faisons nos adieux, non loin du site où certaines scènes du film « Moïse » furent tournées. La piste qui rejoint le plateau est avalée à toute vitesse. Pour le retour, nos guides décident de prendre une autre piste. Une route oubliée qui nous fera découvrir une vallée perdue. Il y a très longtemps, une oasis devait se trouver à cet endroit, mais le désert a eu le dernier mot. Tout n‟est plus que sable et pierres, à perte de vue. Les falaises environnantes donnent une impression de western, un peu comme en Arizona. Les collines ont un sommet plat, les falaises forment des canyons et la couleur ocre fait penser au décor d‟un vieux film de John Wayne. La voiture a de plus en plus de mal à nous suivre sur ces pistes oubliées. Les ravages du temps ont eu raison du travail de l‟homme et de profondes ornières traversent le chemin. Nous devons les combler à grand renfort de pierres pour permettre au chauffeur de négocier en douceur ces passages scabreux. Souvent, la tôle de protection du carter racle le sol. Finalement la piste rejoint notre point de départ du matin et c‟est par la route que nous regagnons notre hôtel. Une bonne douche nous permettra d‟évacuer la poussière rouge du désert qui nous couvre des pieds à la tête, tête pleine de formidables souvenirs.

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Chapitre 19 Groenland Sur la banquise, avec les Inuits… Avec une superficie de 2,2 millions de Kilomètres carrés, soit X fois la Belgique, le Groenland est de loin la plus grande île au monde. Cette île est recouverte aux deux tiers par une énorme calotte glaciaire, atteignant par endroits 3500 mètres d’épaisseur. Seules des portions de côte, le long du littoral sont exemptes de glace et permettent à quelques 60.000 personnes de peupler ces lieux. Quatre-vingts pour cent d’entre eux sont d’origine inuite… Les archéologues nous apprennent que des tentatives d‟immigration se sont produites depuis 4500 ans avant notre ère, mais elles se sont toutes soldées par des échecs. Le climat très rude et la nature inhospitalière du Groenland en sont les causes principales. C‟est seulement vers l‟an 800 ou 900 après Jésus-Christ que les Inuits actuels sont arrivés, venant du Canada, et ont réussi à s‟implanter durablement dans ces régions. Il faut savoir qu‟au Groenland les Inuits sont appelés Esquimaux. C‟est en 982 que le Viking Erik le Rouge débarque en venant de Norvège et colonise le sud de l‟île. Une légende dit que c‟est lui qui donnera le nom de Groenland, « Le pays vert », à cette région. En effet pour susciter des vocations de colonisateurs à ses semblables il vantera la fertilité et l‟abondance de végétation qu‟il a soi-disant découvertes ici. Les Vikings s‟accrocheront à cette bande de terre jusqu‟aux années 1500, avant de succomber à la rudesse du climat et de tout simplement disparaître, morts de faim, de froid et de maladie. Actuellement seuls restent quelques vestiges de cette occupation. En 1721, ce sont les Danois qui s‟installent et prennent possession du Groenland, pour que finalement, en 1775 l‟île soit officiellement déclarée « colonie danoise ». Les colons danois ont activement travaillé à l‟amélioration des conditions de vie et au développement industriel de l‟île, ses principales ressources étant la pêche et l‟industrie minière. La plus grande difficulté pour l‟expansion de ce territoire reste les moyens de communication qui sont limités. En effet, aucune ville n‟est reliée à une autre par la route. Il n‟y a même pas vraiment de place pour construire des aéroports dans chaque ville. Le moyen de déplacement le plus courant entre les agglomérations reste aujourd‟hui l‟hélicoptère. Il serait imagé de dire qu‟on prend l‟hélico comme on prendrait le train, mais c‟est presque cela. Le bateau en été, et le traîneau à chiens ou la motoneige en hiver complètent la panoplie des moyens de déplacement ! Quoique certains n‟hésitent pas à rouler en voiture sur la mer gelée… Le but de notre voyage était de prendre contact avec les populations inuites, pratiquant encore la chasse à la traditionnelle des phoques sur la banquise. A l‟initiative de la Fédération Belge de la Fourrure et du gouvernement territorial groenlandais, il nous était demandé de témoigner de différents faits, en désaccord avec les campagnes écologistes contre la chasse au phoque et la commercialisation de leur fourrure depuis plus de 20 ans. Au départ, la campagne était dirigée contre la chasse aux bébés phoques, appelés « blanchons », en raison de leur fourrure d‟un blanc immaculé, pour ensuite s‟étendre à tous les phoques. Décision selon eux erronée ! La protection des blanchons est tout à fait logique et nécessaire et surtout le procédé de chasse relevant du barbarisme est à revoir. Mais, il faut savoir que les phoques mettent bas sur la banquise au large de Terre-Neuve au Canada et non pas au Groenland, distant de plusieurs centaines de kilomètres. Les phoques migrent ensuite vers le Groenland et perdent leur fourrure blanche en route. Il n‟y a donc jamais eu de massacre de bébés phoques au Groenland, pour la simple et bonne raison qu‟il n‟y en a jamais eu dans ce pays !!! Par contre les Inuits ont toujours dépendu du phoque (juvénile ou adulte) pour sa subsistance. Les Inuits dépendent du phoque, depuis la nuit des temps pour manger en premier lieu, ensuite pour se vêtir et pour fabriquer leurs embarcations avec la peau, pour s‟éclairer et se chauffer avec les lampes à la graisse de phoque, etc.…

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De nos jours, seule la viande est consommée. Les peaux sont jetées, vu l‟interdiction de les commercialiser et du fait que rares sont encore ceux qui s‟habillent de peau de phoques ou utilisent ces peaux pour faire des embarcations. A part pour le folklore. Les Inuits s‟habillent comme nous, ont l‟électricité dans les maisons et ont des canots en métal ou en polyester, avec des moteurs. D‟où l‟idée de la création d‟un label de peaux de phoques, certifiées de provenance de phoques adultes, chassés de manière traditionnelle et non industrielle, par des résidents du Groenland uniquement. Ces peaux pourraient êtres mises à ces conditions sur le marché mondial de la fourrure. Procurant ainsi une source de revenus supplémentaires pour les populations inuites. Un autre argument favorable à la reprise de la chasse au phoque est la disparition des stocks de poissons et plus principalement du cabillaud. Il faut savoir qu‟un phoque adulte dévore une très grande quantité de poissons. Depuis l‟arrêt quasiment complet de la chasse au phoque, la population a plus que triplé. Ceci, ajouté à la surpêche entre Terre-Neuve et le Groenland amène à des déséquilibres écologiques importants. Il est des fois où la vie de journaliste est bien plus désagréable que cela. Se faire offrir un tel voyage au Groenland, inaccessible à de nombreuses bourses, vu le coût des transports, et de la vie en général dans les contrées nordiques reculées. Tout ou presque doit y être importé, à l‟exception du poisson et du phoque. Le moindre clou ou la moindre vis doit y être expédié à grands frais. J‟ai accepté cette mission avec joie. Ma première vision du Groenland est le survol de la calotte glaciaire dans l‟avion qui nous emmène vers l‟un des rares aéroports de l‟île à Kangerlussuaq. De là un hélicoptère Sikorsky nous transporte dans le Sud, à Narsarsuaq. Nous passons quelques jours à nous familiariser avec ce pays, profitant de la relative clémence du climat. Ici c‟est déjà le printemps. Nous sommes fin avril. La mer est libre de glace à l‟exception de quelques icebergs, déposés là comme pour nous dire « vous êtes au Groenland ». Nous visitons les sites historiques des ruines vikings. Et l‟usine pilote de tannerie des peaux de phoques. Nous faisons de belles balades dans la toundra et rencontrons nos premiers Inuits. De magnifiques sculptures traditionnelles ornent les falaises de bord de mer, représentant des faces humaines ou des mammifères marins. Nous faisons quelques repas typiquement groenlandais, à base de viande de baleine, de phoque et de truites arctiques. Un délice !!! Après cette mise en jambes, nous reprenons l‟hélico en direction de Umanaq, Cette ville est bien plus au nord. Nous passons largement le cercle polaire et notre arrivée se fait au bord de la banquise. Nous voyons tous les bateaux de pêche reposer sur un lit de glace. Le temps est magnifique et la neige brille de mille lumières. Un régal pour les photographes. Le contraste des maisons multicolores et de la neige si blanche est saisissant. Nous avons rendez-vous avec un vrai chasseur de phoque inuit. Il nous emmène dés le lendemain pour une superbe balade en traîneau à chiens. Nous parcourons des kilomètres de banquise, slalomant entre d‟énormes icebergs. Il s‟excuse pour ce qui est de la chasse, nous expliquant qu‟il est fort peu probable que nous voyons un phoque, vu que nous, Européens, faisons tellement de bruit sur la banquise. Ces animaux sont d‟un naturel très farouche et ne se laissent approcher que par des spécialistes super entraînés. Mais pour nous il s‟est habillé en vrai chasseur, avec ses culottes en peau d‟ours blanc et son parka blanc immaculé. Il va nous mimer l‟approche du phoque. Il s‟arme de sa carabine et d‟un écran de tissu blanc monté sur un cadre de bois, reposant sur des patins de bois. Le fusil est placé au centre de ce dispositif. Avançant à plat ventre sur la neige et poussant son écran devant lui, il est parfaitement invisible pour le phoque. Reste à ne pas faire de bruit et à savoir tirer juste. Si le phoque n‟est pas tué net sur le coup, il disparaîtra dans son trou d‟eau et sera perdu à jamais. Le lendemain, nous partons en motoneige sur la banquise voir les pêcheurs de flétan. Un poisson de grand fond à la chair délicieuse. Des lignes sont posées sur le fond au départ de trous faits dans la glace. Au bout de la ligne se trouve une plaque en métal qui sert à entraîner l‟ensemble par le courant marin se déplaçant sous la banquise. De ce fait la ligne se déroule plusieurs kilomètres sous l‟eau. Un hameçon est fixé à un bas de ligne tous les mètres environ. Ce sont donc des milliers d‟hameçons qui tapissent le fond de l‟océan.

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Une autre surprise nous attend le jour suivant. Une balade en voiture de 60 kilomètres, sur la mer gelée !!! Petite randonnée qui va nous permettre de visiter un village traditionnel inuit. Là, ce ne sont plus des maisons multicolores, mais des huttes de pierre recouvertes de lichen pour l‟isolation, qui abritent la majorité des habitants. Seules quelques cabanes en bois donnent un air un peu civilisé à l‟endroit. Partout des poissons sèchent sur des claies de bois. Un des habitants nous montre des jeunes chiens de traîneau âgés de quelques jours et à peine plus gros que des rats. Un saut de puce en hélico nous emmène vers la ville d‟Illulisat, dans la fameuse baie de Disko. C‟est ici que se déversent les plus gros glaciers du Groenland. Les masses de glace issues de la calotte glaciaire se jettent dans la mer. Un seul des glaciers rejette autant d‟eau douce dans la mer chaque jour que n‟en consomme la ville de New York en un an. Ici la banquise n‟est plus que partiellement formée et nous pouvons faire une randonnée en mer. Un homme aux allures du capitaine Igloo de la pub bien connue nous emmène sur un antique bateau de pêche en bois. Aidé de son fidèle second, il trouve son chemin au milieu des centaines d‟icebergs. Nous approchons de la gueule du glacier d‟où se détachent d‟énormes blocs de glace. Ces masses de plusieurs tonnes se fracassent dans l‟eau avec un bruit de tonnerre. A chaque fois de mini-raz-de-marée secouent notre bateau. C‟est franchement impressionnant. Le lendemain nous avons la joie d‟essayer des costumes traditionnels en peau de phoque. Ces vêtements nous sont prêtés pour un test en grandeur nature. Nous allons faire une randonnée en traîneau jusqu'à la grande calotte glaciaire. Après plusieurs heures de balade, nous prenons pied sur l‟un des plus grands « glaçons » du monde, étant par la même occasion l‟une des plus importantes réserves d‟eau douce de la planète. A la fin de la randonnée nous ne pouvons que constater l‟efficacité des vêtements en peau de phoque. Confortables, très chauds et isolants contre le froid, mais surtout « respirant », ne laissant pas la transpiration captive entre le vêtement et la peau. Je ne suis pas sûr que nous ayons été aussi à l‟aise dans nos « Gore Tex »… A nouveau l‟hélico nous arrache à ces paysages merveilleux pour nous déposer à Nuuk, la capitale du Groenland. Nous n‟avons plus vraiment l‟habitude de voir des buildings, des rues, de la circulation automobile. Le contraste est saisissant. Là nous allons rencontrer les officiels, les politiques, les scientifiques qui vont tenter de nous exposer leur point de vue. Corvée nécessaire pour justifier les budgets qu‟ils nous ont alloués pour ce voyage. Message reçu : ils sont cool les Esquimaux et ils ne risquent pas de dépeupler les océans de leurs phoques, vu la difficulté de les chasser !!! Et en plus la viande de phoque c‟est très bon… Nous aurons droit à quelques représentations folkloriques, les danses des Inuits sont sympas et leurs costumes très beaux. Un dernier saut de puce en hélico nous ramène vers l‟aéroport et déjà nous survolons la banquise et puis la calotte glaciaire. Au retour nous aurons une magnifique vue au survol de l‟Islande. Nous croiserons aussi quelques magnifiques icebergs en haute mer, provenant directement du Pôle Nord. L‟un de ces géants a d‟ailleurs coulé le Titanic. Une escale à Copenhague et puis c‟est le retour en Europe

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Chapitre 20 Alaska – Canada AVENTURES SUR TAKU RIVER La rivière Taku est l’une des dernières grandes rivières sauvages au monde. Elle fut magnifiquement décrite dans le roman « ALASKA » de James A. Michener. Cette rivière prend sa source au cœur des montagnes de la chaîne côtière, dans l’extrême coin nord-ouest de la province canadienne de la Colombie-Britannique. Après un trajet sur le territoire canadien, elle entre en Alaska, pour ensuite se jeter dans l’océan Pacifique, créant le magnifique « Taku Inlet ». La traduction de « inlet » en français est « fjord ». Sur toute la longueur de la rivière, le paysage est constitué de pics montagneux et de glaciers. Ceux-ci sont soit suspendus aux montagnes ou encore se jettent dans la rivière ou dans les eaux glacées du fjord. La rivière Taku ne connaît une occupation humaine que durant quelques mois par an, au printemps et au début de l‟été : la présence des hommes à cette période étant due au fameux « Run » des saumons. En effet, cette rivière est l‟une des dernières au monde supportant une population entièrement native des cinq espèces de saumons du Pacifique. Les pêcheurs commerciaux sont donc présents, chaque année, au rendez-vous des saumons, qui remontent la rivière pour se reproduire. Le reste du temps, cette région, comprenant des milliers de kilomètres carrés, est laissée totalement à l‟abandon, sous la garde de mère Nature... Les seuls habitants de ces lieux sont alors les animaux sauvages. Du fait de l‟absence d‟êtres humains, ces animaux sont abondants et peu craintifs, on retrouve ainsi des ours, des loups, des élans et une foule d‟autres mammifères,... Quand un ami canadien, Brent Scott, me signala qu‟il venait d‟acquérir une île sur Taku River, afin d‟y monter une sorte de base d‟accueil pour des séjours d‟aventure et de pêche, je cherchai à me documenter sur cette région. A part le roman de Michener, il fallait se rendre à l‟évidence : rien de disponible ! Aucune publication, aucun atlas, aucune bibliothèque ne put m‟éclairer sur ce coin perdu du Canada. Il me fallait donc m‟y rendre moi-même pour combler cette lacune. Je suis, en effet, attiré par mon métier et par passion vers les contrées du monde les plus reculées, afin de pouvoir réaliser les photos et écrire les articles les plus originaux possible. Le rendez-vous fut donc pris pour le printemps et l‟été 1996. Après m‟être libéré de toutes mes occupations pour plusieurs mois, je me retrouve à Juneau, ville capitale de l‟Alaska, seul lien d‟accès vers Taku. Mon ami Brent vient me chercher au petit port de Douglas et après les retrouvailles, nous embarquons à bord de son bateau de sept mètres : une coque en aluminium, une petite cabine permettant de s‟allonger à trois et un moteur hors-bord de 90 cv. Brent est très fier de son bateau car, me dit-il, ce n‟est pas facile de trouver le compromis idéal pour naviguer aussi bien en mer, que sur la rivière au cours capricieux, mais surtout, de pouvoir passer la zone critique des bancs de sable, appelés « tide flats », là où la rivière se jette dans le fjord. La cabine est très utile dans le cas où le bateau serait prisonnier d‟un banc de sable à marée descendante. Il faut alors patienter une dizaine d‟heures, en attendant la marée montante, pour pouvoir se dégager. On est content dans ce cas de pouvoir s‟allonger au sec dans la cabine... Nous voici donc en route, ou plutôt « en mer » direction Taku. Dés l‟entrée dans le fjord, le paysage se fait magnifique. L‟ambiance de nuages cotonneux et de bancs de brouillard est presque irréelle. L‟eau du fjord est calme comme un lac. Les glaciers énormes descendent des sommets et se jettent dans l‟eau, créant de mini-icebergs, qui flottent au gré des courants et des marées. Les mammifères marins nous font la fête : phoques, otaries, orques et baleines peuplent ces eaux durant l‟été. Nous ne manquerons pas de les admirer à distance. Le passage des « tide flats » se fait sans trop de problèmes. Deux ou trois fois nous touchons un banc de sable, mais nous avons le temps de sauter à l‟eau, munis de bottes montant jusqu'à la taille pour repousser le bateau vers des eaux plus profondes. Après un certain temps, nous longeons un mur de glace énorme, provenant d‟un glacier aux proportions fantastiques. Celui-ci marque l‟entrée de la rivière. A l‟inverse des « tide flats », le lit de la rivière est assez régulier et avec un peu de pratique on parvient à discerner aisément les endroits où l‟eau est suffisamment profonde pour le passage du

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bateau. Le danger de cette rivière provient des « log jams », me dit Brent, en me montrant un amas de troncs d‟arbres enchevêtrés, sous lesquels le courant s‟engouffre avec fracas. Sans cesse, la rivière érode les berges et déracine de gros arbres qui, emportés par le courant, se bloquent et s‟accumulent à certains endroits pour former des barrages. Si l‟on est aspiré par les remous vers ceux-ci, les chances d‟en réchapper sont minimes car vous êtes inexorablement entraînés sous les troncs. De nombreuses personnes ont ainsi perdu la vie... Après avoir remonté la rivière sur quelques dizaines de kilomètres, nous arrivons au lieu-dit « Canyon Island », la rivière se rétrécit entre des parois rocheuses et s‟engouffre dans un couloir de cinq cents mètres de long. A l‟entrée et à la sortie de celui-ci se trouvent des roues à saumons, sortes de trappes avec des filets tournants, actionnés par la force du courant. Ils permettent aux officiers des pêches et océans de capturer un certain nombre de poissons, afin de contrôler l‟état des stocks et de marquer les saumons avant de les relâcher dans la rivière. Le travail de ces chercheurs détermine les quotas de pêche attribués aux pêcheurs commerciaux. Peu après ce passage, nous arrivons à la frontière entre l‟Alaska et le Canada. Là, sur une portion de la rivière de deux kilomètres, aux berges très régulières, une flotte d‟une vingtaine de barques de pêche mènent une ronde incessante. Les hommes lancent des filets en amont et dérivent avec le courant. Juste avant la frontière, ils remontent leurs filets dans lesquels sont emprisonnés les saumons, à un rythme de deux à cinq saumons par descente. Cette technique de pêche s‟appelle « Drifting ». Ensuite, ils remontent le courant avec leur moteur et répètent l‟opération. Les bons jours, les pêcheurs peuvent attraper jusque cinq cents kilos de saumon par bateau. Mais la pêche n‟est ouverte que trois jours par semaine. Les autres jours, les saumons sont libres de remonter la rivière pour se reproduire et assurer ainsi la persistance de la race. Les jours d‟interdiction de la pêche sont mis à profit, par les pêcheurs, pour réparer les filets, entretenir le matériel et surtout expédier les saumons attrapés vers la civilisation. Ce service est assuré par des hydravions. Encore quelques dizaines de kilomètres de navigation sur la rivière, entrecoupés par la vue d‟un élan, qui broute nonchalamment la végétation marine dans une anse calme et par un grizzly, à la recherche de carcasses de saumons, morts après avoir pondus. Nous arrivons enfin en vue du camp de Brent, sur cette île de quatre kilomètres de long, appelée « Tulsequa island ». Ce camp est constitué d‟une cabane en rondins, d‟une grande tente tunnel (le quartier des invités), comprenant quatre chambres et une salle commune, ainsi que divers petits bâtiments abritant la salle de bain, les toilettes et les remises pour le matériel. Tout doit être enfermé car les ours visitent le camp régulièrement et détruisent tout ce qui attire leur attention ou qui dégage une odeur. Brent partage sa vie sur cette île avec ses trois bergers allemands. Si les ours ne craignent pas les chiens, au moins ceux-ci avertissent de leur présence dans le camp. Brent alors, sort avec son fusil et tire quelques coups en l‟air pour les effrayer. Il me dit n‟avoir jamais eu à tuer un ours, les coups de feu suffisent à les faire fuir. Brent fait partie de cette nouvelle génération de guides canadiens, conscients de l‟apport de revenus que procure le tourisme, mais très respectueux de la nature qui les entoure et faisant tout pour la protéger. Il guide donc quelques clients privilégiés dans ces territoires qu‟il connaît bien, tout en leur apprenant à vivre à la dure et à protéger les ressources qui les entourent. Ainsi, Brent refuse de chasser ou de guider des clients à la chasse. Il se contente de la pêche, et encore, pas à n‟importe quel prix... Il impose un respect total des règlements et des limites de prises quotidiennes. Dès ces quotas atteints, il fait pratiquer la technique du « catch and release », attraper et rejeter le poisson, ceci sans le blesser ou le malmener. Pour se faire, on emploie des hameçons sans barbillons. Il exige également que tout poisson conservé soit consommé par les participants. Pas de gaspillage. Pour ce faire, le camp est équipé d‟un fumoir à saumon et d‟une machine à emballer sous vide. Ainsi, les clients peuvent emporter avec eux le saumon qu‟ils ont pêchés. L‟apport d‟énergie sur le camp est fourni par un générateur diesel et l‟eau chaude par une installation au gaz propane. Un téléphone satellite assure la liaison avec la civilisation et garantit une certaine sécurité. Les participants arrivent et repartent par hydravion, de Juneau en Alaska ou d‟Atlin au Canada, les deux villes les plus proches. Le décor est planté pour ce qui sera un été de rêve. Je passerai mon temps à prendre des photos de paysages, d‟animaux, de portraits de pêcheurs commerciaux,... J‟accompagnerai Brent et ses clients

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dans des parties de pêche mémorables. Je me régalerai de saumon fumé et régulièrement nous partirons explorer des endroits qu‟il ne connaît pas encore, à la recherche de nouveaux coins de pêche. Ces explorations nous procureront de nombreuses aventures, repoussant de plus en plus loin les limites du bateau, en s‟aventurant dans les petits affluents de la rivière, souvent en continuant à pied quand le bateau ne passe plus,... C‟est alors un combat incessant contre la végétation dense des vallées. Mais, dès que l‟on s‟élève à flanc de montagne, des paysages magnifiques s‟offrent à la vue, la perspective permettant une vue plus large. C‟est là qu‟on se rend compte des dimensions réelles de cette région. Côté animaux, nous surprenons souvent des chèvres blanches des montagnes, et la crainte des grizzlys est présente tous les soirs au bivouac. Les semaines coulent tranquillement, dans ce que je considère comme « un petit paradis sur terre ». Je comprends de mieux en mieux la vie de ces pêcheurs, qui seize heures par jour, remontent inlassablement leurs filets. Qui pourrait rêver d‟un cadre de travail plus idyllique que celui-ci ? Et surtout, je me dis que j‟ai bien fait de consacrer trois mois à la réalisation de ce reportage, car en trois semaines je n‟aurais rien vu de tout cela... Je me lie d‟amitié avec les officiers des pêches, qui passent leur été à contrôler les stocks de poisson et à faire respecter les règlements en matière de pêche. Ils m‟expliquent leurs choix de cette vie au grand air, leur amour et leur connaissance de la nature. Cet amour qui les pousse à passer trois à quatre mois, loin de tout : maison, famille, amis,... Puis, tout doucement, l‟été touche à sa fin. Les jours commencent à raccourcir. Les pêcheurs nous disent au revoir les uns après les autres, avant de retourner vers la civilisation. Les camps se ferment pour l‟hiver, portes et fenêtres barricadées par de grosses planches pour éviter la visite des ours pendant leur longue absence. Un soir, une meute de loups hurle de l‟autre côté de la rivière. Avec le froid de l‟automne qui arrive les loups descendent des montagnes et rejoignent les fonds de vallées. Dés lors, presque tous les soirs ils répéteront leur concert envoûtant. Les ours aussi se font plus nombreux. L‟un d‟eux ira même jusqu'à détruire notre séchoir à saumon, emportant une dizaine de poissons avant que nous n‟ayons le temps de réagir. Brent me confie un jour qu‟il aimerait faire une dernière reconnaissance vers « Yellow Bluff », un lieu-dit en amont du camp, où semble-t-il, il y aurait une grande concentration de saumons rouges. Nous partons donc, pour la journée, dans cet endroit magnifique. L‟eau est cristalline et peu profonde, des centaines de saumons exécutent leur danse nuptiale, avant de pondre dans les graviers. Je passe plusieurs heures à admirer ce ballet de la nature, miracle de ces poissons qui, après cinq à sept ans passés dans l‟océan, retrouvent l‟endroit exact de leur naissance pour se reproduire à leur tour, avant de mourir. Le retour vers le camp n‟est pas aisé, car il y a de nombreux bancs de gravier au fond de la rivière. Le niveau de l‟eau ayant baissé dramatiquement avec la fin de l‟été. Soudain, un bruit se fait entendre à l‟arrière du bateau, l‟hélice touche le fond ! Rapidement, Brent coupe le moteur et le remonte, pour ne pas endommager l‟hélice. Le courant, assez fort, nous emmène par dessus le banc de gravier. Brent redescend alors le moteur et tourne la clef de contact pour redémarrer. Rien ne se passe ! ! ! Il effectue plusieurs essais, tous infructueux, le moteur refusant de tourner. Quand soudain, on se rend compte que le courant nous entraîne vers un énorme « log jam », barrant plus de la moitié de la rivière. J‟attrape une gaffe et me précipite à l‟avant du bateau pour tenter d‟amortir le choc. Le bateau percute les troncs d‟arbres violemment, mon effort est resté vain. Sous la violence du choc l‟avant est soulevé et je suis projeté dans les airs. Tout se passe comme dans un film, je suis spectateur de ma propre chute. Puis, comme dans un rêve, je me vois atterrir sur les troncs enchevêtrés. Je ne ressens aucune douleur. Je me retourne et constate avec effroi que le bateau est en train de couler. L‟eau s‟est engouffrée à l‟arrière et l‟embarcation se trouve compressée contre les troncs, le nez en l‟air. Je saute de troncs en troncs, pour apercevoir mon ami, tenant toujours le gouvernail d‟une main, l‟autre se trouvant sous l‟eau. Il me fait comprendre qu‟elle est coincée entre le bord du bateau et les troncs. Au moment du choc, il se tenait au rebord et la puissance du courant a broyé ses doigts, poussant toujours plus fort le bateau contre les troncs. Il n‟a pas voulu lâcher sa prise, de peur d‟être entraîné sous les troncs par l‟eau bouillonnante. Réunissant toutes mes forces je m‟arc-boute contre le bateau. Le courant m‟empêche de le faire bouger... Donnant tout ce qui me reste d‟énergie, je réussis à le faire bouger sur le côté et, dans un cri de douleur, Brent dégage sa main ensanglantée. Mais à ce moment, les tourbillons l‟entraînent sous les troncs. Il me lance désespérément sa main valide et après de lourds efforts je réussis à l‟arracher

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à la force mortelle du courant. Epuisés et commotionnés, nous restons quelques minutes sans pouvoir bouger, couchés sur les troncs, à quelques centimètres des remous qui ont bien failli nous êtres fatals... Après avoir repris notre souffle et nos esprits, je guide Brent, tant bien que mal, vers le banc de gravier, au milieu de la rivière. Sa main commence à le faire souffrir. Je jette un coup d‟œil rapide, qui ne me rassure pas ! Trois doigts ont déjà doublé de volume et les chairs sont éclatées dans un amas sanguinolent. Brent a besoin de soins au plus vite. Je déchire un bout de mon tee-shirt pour faire un bandage sommaire. Je retourne au bateau et par la fenêtre brisée de la cabine je récupère quelques affaires : le sac étanche contenant mes appareils photo, quelques vêtements trempés flottant dans l‟eau et un bidon d‟essence. De retour sur l‟île de gravier, je ramasse un peu de bois mort et l‟asperge d‟essence, dans mon sac étanche je garde toujours un briquet en réserve, bon réflexe ! J‟allume le feu et je tente de réchauffer Brent qui grelotte : il est en état de choc... Je le rassure quelque peu et lui fait part de mes plans : trois kilomètres nous séparent de l‟endroit où vivent les officiers des pêches. Muni d‟un pantalon de plongée en néoprène, que j‟ai sauvé dans le bateau, de mon gilet de sauvetage, que nous portons toujours, ainsi que de mon sac étanche, vidé de son contenu et rempli d‟air, je pourrai me laisser emporter par la rivière jusqu'à leur camp. De là, cinq cents mètres de marche à travers bois et je serai en vue de leur cabane. Brent tente de me dissuader, car deux « log jams » barrent encore le courant en aval. Il veut alimenter le feu et attendre qu‟un hydravion nous localise. Mais la saison de pêche touche à sa fin et les avions se font de plus en plus rares. De plus, il ne reste pas beaucoup de temps avant la tombée de la nuit. Il faut prendre une décision rapidement. J‟enfile le pantalon de néoprène, amène plus de bois près de Brent et je me lance à l‟eau. Je dérive au gré du courant et je réussis habillement à négocier les « log jams ». En quelques minutes, qui paraissent des heures, je suis en vue du petit affluent, en amont duquel se trouve le camp des gardes-pêche. Je prie pour qu‟ils soient présents et non partis en mission. Je prends pied sur la berge et tente de m‟enfoncer dans le sous-bois. Quand ayant parcouru quelques mètres, je me trouve en face du garde-manger d‟un grizzly ! ! ! Il faut savoir que les ours aiment la viande « faisandée ». Ils ont donc l‟habitude d‟enterrer leurs proies sous un monticule de terre, le temps que celle-ci soit à leur goût. Bien entendu, ils gardent jalousement leur nourriture et le moindre intrus est impitoyablement attaqué... Prudemment je recule donc vers la rivière et me remets à l‟eau, ne voulant pas entrer en compétition avec un ours protégeant son repas. Assez d‟aventures pour aujourd‟hui ! J‟essaye tant bien que mal de nager à contre-courant, en m‟aidant des branches de la berge, auxquelles je m‟agrippe pour ne pas être emporté. Après une demi-heure de combat contre la force de l‟eau, je remonte, exténué, sur la berge et je me trouve en vue de la cabane. Etant sur la rive opposée de la petite rivière, je siffle, je hurle et je bouge les bras pour tenter de me faire apercevoir. L‟un des officiers me détecte, saute dans son bateau et me rejoint rapidement. Le temps de prendre sa trousse des premiers secours et nous voici navigant vers le lieu de l‟accident. Brent nous voit arriver avec joie et après quelques minutes nous sommes de retour à notre camp de base. Par téléphone satellite nous contactons un hydravion. Il sera là dans quarante-cinq minutes. Il n‟y a pas suffisamment de place dans l‟avion pour deux personnes et trois chiens plus toutes nos affaires. De plus, il faut fermer le camp pour l‟hiver, tâche que Brent ne pourrait accomplir avec une seule main valide... Comme il me reste à peu près quinze jours de vivres, je décide de rester sur le camp pour terminer tout cela, ainsi que pour fumer et emballer le reste du saumon qui se trouve dans les congélateurs. Quand cela sera fini, j‟appellerai un hydravion avec le téléphone satellite et je rejoindrai Brent. L‟avion s‟envole et je me retrouve seul sur l‟île, en compagnie des trois chiens, coupé du monde... Deux jours plus tard, les officiers des pêches viennent m‟annoncer leur départ. Nous sommes au début du mois de septembre, la saison est finie pour eux, ils reviendront au printemps prochain. Ils me disent qu‟il ne reste que deux ou trois pêcheurs commerciaux sur la rivière, attendant de partir eux aussi. Je vais donc me retrouver totalement seul au milieu de ces milliers de kilomètres carrés de nature sauvage. Quelle expérience... Avant de partir, les officiers s‟assurent que je ne manque de rien. Tout est O.K. ! ! !

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Ma petite vie s‟organise rapidement. Je fume du saumon, je l‟emballe, je fais de longues balades avec les chiens, je coupe du bois,...La nuit je suis réveillé par les loups et les ours,... J‟apprécie pleinement cet isolement si rare de nos jours. Je commence à m‟inquiéter, quand après une semaine, je me rends compte que la réserve de diesel est épuisée. Je devrai donc me passer d‟électricité. Rien de dramatique à cela. J‟ai tout un stock de chandelles et une lampe à pétrole. J‟ai un poêle à bois pour le chauffage, pour la cuisine et l‟eau chaude. Par contre, je n‟aurai plus de musique... Ce n‟est que plus tard que je constate que le téléphone ne fonctionne plus. Les batteries se déchargent rapidement et sont normalement rechargées tous les jours avec le générateur diesel ! ! ! Comment vais-je pouvoir contacter l‟hydravion qui doit venir me rechercher ? Pas de panique, ne me voyant pas arriver, Brent m‟enverra bien un hydravion... Mi-septembre, le temps va se dégrader rapidement et les tempêtes d‟automne arrivant du Pacifique, tout proche, font rouler de lourds nuages menaçants. L‟air froid, venant du Nord, transforme la pluie en neige. Celle-ci couvre d‟abord les sommets avoisinants, puis descend de plus en plus bas, vers le fond des vallées. Une autre semaine passe encore et je dois me rendre à l‟évidence : les provisions diminuent sérieusement ! Chaque jour quelque chose de nouveau manque... Aujourd‟hui plus de beurre, demain plus de café, puis plus de pain, plus de pommes de terre,... Une autre semaine passe encore, ça devient de plus en plus inquiétant. Désormais, la neige recouvre tout le paysage et il gèle en permanence. Dorénavant, il va falloir cuisiner au feu de bois, il n‟y a plus de propane. J‟entame la réserve de saumon fumé, heureusement, je dispose de grandes quantités. Je passe mes journées à couper du bois, à pêcher au bord de la rivière, les truites Dolly Varden abondent et cela me change du saumon ! ! ! Je ramasse également des champignons et des baies. Des sensations de manque commencent à se faire sentir... Un bon café, un morceau de chocolat, une part de pizza,... Jamais je ne souffrirai de la faim, mais le choix de nourriture n‟est plus très large. Je commence à en avoir assez du poisson ! Un couple de canards, passant par là, seront les victimes de ma frustration... Je ne suis pas chasseur, je n‟aime pas tuer les animaux, mais là je n‟ai plus guère le choix. Je me délecte de leur chair et ça me redonne du courage, les chiens ne faisant qu‟une bouchée des viscères et des carcasses, il faut dire qu‟ils commencent à en avoir assez du saumon eux aussi. Si les chiens me donnent un peu de compagnie, je commence néanmoins à me sentir seul. L‟envie de parler à quelqu‟un se fait ressentir de plus en plus souvent. Pauvre Robinson sur son île... J‟aimerais beaucoup avoir un Vendredi ! Cela fait un mois déjà que je suis seul ici. Des idées de plus en plus farfelues commencent à me passer par la tête. Que fait Brent ? Pourquoi ne m‟envoie-t-il pas un hydravion ? Quand vais-je pouvoir sortir d‟ici et comment ? A pied, pas question, toute la région est entourée de montagnes et de glaciers ! Cent cinquante kilomètres me séparent de la première route ou de la première ville... Je me trouve sur une île, il me faudrait nager pour rejoindre la terre ferme...Et ensuite ? Par contre, la rivière ne va pas tarder à geler, rendant l‟accès de l‟hydravion impossible, mais pour que la glace soit assez solide pour permettre l‟atterrissage d‟un avion avec des skis, il faudra encore beaucoup de temps... La construction d‟un radeau me permettrait de descendre la rivière, mais comment éviter les « log jams », et ensuite, une fois dans le fjord, comment rejoindre Juneau ? Le courant me poussera peut-être vers le large... Une aventure à ne pas tenter. Non, il vaut mieux rester sur l‟île ! Je m‟accroche. Seul avec trois chiens... L‟esprit vagabonde, je suis de retour en Belgique, dans mon enfance. Je voyage autour du monde dans les nombreux pays que j‟ai visités... L‟Afrique, L‟Indonésie, la Guadeloupe... Comme j‟aimerais me retrouver en Guadeloupe maintenant, sur une plage de sable fin, admirant les palmiers et l‟eau turquoise des lagons... Mais ce n‟est qu‟un rêve. Jamais, par contre, je ne penserai à la mort. Je suis confiant en mes capacités de survie. Je sais que, même si je dois passer l‟hiver ici, je m‟en sortirai. J‟ai un fusil et suffisamment de munitions, même si je n‟aime pas la chasse, je sais que je serais capable de tuer un élan ou une chèvre des montagnes. J‟ai assez de saumon fumé pour tenir jusqu'à ce que la rivière gèle complètement pour que je puisse la traverser. Ensuite, je sais comment approcher les animaux avec mes appareils photos. Avec un fusil, ce sera dur, mais je tiendrai le coup...

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Mais que fait donc Brent ? Le 17 octobre 1996, je suis dans la cabane, occupé à lire et à relire une vieille édition du National Géographic. C‟est une très belle journée, le ciel est dégagé, le soleil brille. Depuis longtemps le camp est fermé pour l‟hiver. Je n‟ai laissé que la cabane de rondins ouverte, avec à l‟intérieur, tout ce dont j‟ai besoin. Quand soudain, un bruit de moteur se fait entendre ! Je ne rêve pas ! Est-ce un avion ? Non, c‟est un bateau remontant la rivière. Je sors de la cabane en emportant mon manteau au passage, oubliant mes chaussures. Je cours en chaussettes dans la neige ! Je rentre prestement et enfile mes chaussures, je ne veux surtout pas manquer ce bateau... Je cours vers la rivière, escorté des trois chiens. Un pêcheur commercial aborde en souriant : « Is somebody still alive around here ? » (Quelqu‟un est encore en vie par ici ?), me crie-t-il jovialement, visiblement aussi content que moi de cette rencontre inopinée... Il m‟explique que sa radio est en panne et qu‟il ne peut pas contacter l‟hydravion pour venir le rechercher ! Il était resté seul après la fermeture de la pêche, pour réaliser quelques travaux de construction sur son camp. Il était coincé, comme moi, depuis quinze jours, sans nourriture et sans bière, ce qui semble l‟accabler profondément ! ! ! Il s‟était décidé à remonter jusqu‟ici pour tenter de forcer la porte de la cabane et utiliser notre téléphone, persuadé que plus personne ne se trouvait sur le camp depuis longtemps. Cette effraction lui aurait été pardonnée, vu l‟urgence de la situation. Mais, à son grand désespoir, je lui apprends que le téléphone est en panne, les batteries sont à plat. Il me dit que l‟on peut certainement utiliser la batterie de son bateau. Le voltage est le même et après quelques minutes, le téléphone satellite fonctionne. Nous contactons Jim Brook, de la compagnie Ospray Air à Atlin. Le rendez-vous est pris pour le lendemain matin. Le temps est stable et il n‟y aura probablement aucun problème. Le second appel est destiné à Brent, qui n‟était pas inquiet ! Il se la coulait douce, en convalescence, dans le chalet d‟une amie et avait adopté le bon vieux dicton : « pas de nouvelles, bonnes nouvelles » ! ! ! Il se donnait encore deux bonnes semaines avant de s‟inquiéter de mon sort... Il pensait que je devais me plaire sur son île et que je finirais bien par réapparaître un de ces jours ! Il faut dire que sa situation personnelle n‟était pas réjouissante, car finalement, il perdit dans l‟aventure, l‟usage de ses trois doigts. Il me dit que les différentes interventions chirurgicales qu‟il devait subir, ne garantissaient pas le retour à une mobilité dans les doigts, mais qu‟il me rejoindrait néanmoins, en voiture, à Atlin. Dernière nuit sur mon île avec les trois chiens. Pour la dernière fois, j‟entends hurler les loups dans le lointain. Ce sera une nuit calme, ils ne viendront pas dans le camp. Vers minuit je sors de la cabane et admire une magnifique « aurore boréale ». Le ciel est rempli de draperies vertes et mouvantes. Au petit matin, le pêcheur me rejoint. Je ferme la cabane et la barricade avec des planches. J‟embarque les trois chiens et mes sacs dans le bateau à fond plat. Quelques minutes de navigation et nous arrivons au camp de John. Rapidement l‟hydravion arrive et se pose. Deux voyages seront nécessaires, John part le premier, avec le matériel et les bagages. Deux heures d‟attente et l‟avion est de retour. Le chargement des chiens n‟est pas aisé, nous les attachons au fond de la carlingue. L‟avion s‟éloigne du bord et nous voici en l‟air. La vue aérienne de la région est magnifique, nous survolons l‟île. Le sentiment d‟isolement et de solitude prend une autre ampleur vu du ciel... Après un vol de quarante-cinq minutes, nous amerrissons devant la petite communauté d‟Atlin, sur les bords du lac du même nom. Je suis de retour à la civilisation, après un mois et demi de solitude totale et cinq mois de vie dans un des coins les plus sauvages du Canada. Mon premier souci sera de me rendre au Général Store pour acheter de la nourriture pour les chiens. Je les ai attachés le long du baraquement d‟Ospray Air, juste au bord du lac. Ensuite, je me rends à l‟Atlin Inn où John m‟attend devant un amoncellement de bouteilles de bière vides. Pour ma part, je commande un coke, ainsi qu‟un hamburger et une pizza. J‟ai de la peine à croire que je suis de retour dans le monde civilisé. Un bon bain terminera cette journée, avant de monter ma tente à côté des chiens et de m‟écrouler dans mon sac de couchage.

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Les jours suivants seront consacrés à mon retour en douceur vers cette civilisation : lecture de journaux, séances télé, hamburgers et pizzas,... Toutes ces choses qui m‟ont cruellement fait défaut durant mon séjour sur Taku river C‟est durant un journal télévisé que j‟apprends qu‟une « marche blanche » déferle sur Bruxelles, que rien ne va plus dans mon pays, que des monstres s‟en prennent aux enfants... J‟entends pour la première fois le nom de Dutroux. Je ne suis pas fier d‟être belge et je n‟ai pas vraiment envie de rentrer en Belgique... Dix jours après, l‟atterrissage sera dur et douloureux à Bruxelles National. Mon esprit restera très longtemps sur une île au milieu de Taku River.

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Epilogue Taku River n‟est pas mon dernier voyage, loin de là ! Mais ce sera ma dernière grande aventure en « free lance » à ce jour. En revenant en Belgique je trouvai ma maman en phase terminale d‟une longue et pénible maladie. J‟allai l‟accompagner durant les quelques mois qu‟il lui restait à vivre. Ce fut là aussi une grande aventure et un profond voyage intérieur qui restera à jamais gravé au fond de moi. Je fus très peiné, blessé dans mon âme à tout jamais, mais d‟un autre côté je suis heureux d‟avoir pu passer tout ce temps avec elle et de pouvoir vraiment m‟en occuper à fond. Dans tout ce malheur on aura le réconfort de la voir partir paisiblement dans sa maison, entourée des siens, et non pas seule dans un de ces mouroirs où l‟on place en général les gens dans son état. Elle nous quitta, sans bruit, un matin d‟août, âgée de 54 ans. C‟est trop jeune pour partir, elle qui aurait tant aimé me voir devenir papa. Après la perte tragique de ma maman, je devins journaliste attitré en Belgique, habitant et vivant en Belgique, rencontrant ma femme et faisant un enfant !!! Finis les grands barouds de plusieurs mois. J‟allais découvrir les reportages au pas de course, sur des objectifs très ciblés, le tout bouclé en huit à dix jours… Je pense à ce moment-là avoir atteint une « maturité » me permettant de remplir ces objectifs de « stabilisation ». Quelques années plus tard, je fus obligé de mettre un frein à mon activité de journaliste pour me consacrer au commerce. Activité un peu plus lucrative, me permettant de nourrir ma famille et de construire un avenir à ma fille. Peu avant l‟an 2000 Brent décida de quitter ce monde pourri. Il avait accumulé une série infernale de malchances et fait quelques grosses conneries. Il avait perdu son île sur Taku River, n‟arrivant pas à décider les touristes à venir passer leurs vacances chez lui. Tout ce qui était mécanique était tombé en panne, par manque de maintenance et d‟argent pour assurer leur entretien. Ses deux plus jeunes Bergers Allemands s‟étaient fait écraser par un poids lourd le long d‟une highway en Alberta. Son troisième Chien « Chief », un énorme mâle berger qui m‟avait sauvé plusieurs fois la vie, était atteint de cette maladie des hanches typique des Bergers allemands. Brent dut le faire euthanasier !!! Il se retrouva face à ses vieux démons, dans un appartement au-dessus d‟un bar mal famé à Red Deer, petite ville de l‟Alberta, près de sa ville d‟origine. Il se faisait harceler par une fille aux mœurs légères prétendant avoir eu un enfant de lui et réclamant des pensions alimentaires exorbitantes… L‟alcool, la drogue et les médicaments étaient devenus son quotidien, sa seule façon de ne pas penser à Taku River. Il décida d‟arrêter de se battre et dans une dernière lettre il m‟exprima son ras-le-bol et me dit vouloir en finir. Sa nièce que je connaissais me fit parvenir cette lettre quelques temps après qu‟il eut mit fin à ses jours. Je suis sûr qu‟aujourd‟hui il navigue sur les plus belles rivières du paradis, dans un magnifique bateau, qui ne tombe jamais en panne, avec ses trois chiens, museaux au vent. Il est debout aux commandes, avec son long manteau et son chapeau de cow-boy… Et il fout un de ces bordels là-haut !!! Au point que souvent je crois l‟entendre rire jusqu‟ici…

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Je m‟en veux de ne pas avoir été là pour l‟aider, mais qu‟aurais-je pu faire ? Sa détresse était grande et ses blessures très profondes. Je voudrais vraiment lui dire : Brent, depuis que t‟es plus là, le Yukon Jack n‟a plus le même goût et les parties de pêche sont trop calmes… Tu me manques vieux pote !!! La fin de ce livre est bien triste et je ne voudrais pas terminer ainsi. Je n‟ai jamais pu oublier ces années d‟aventures et le virus n‟est pas encore tout à fait endormi. Je suis loin d‟être « guéri » !!! J‟ai vu les plus belles choses que l‟on puisse voir sur cette terre et j‟ai enduré les pires souffrances… Ce livre est une façon pour moi de renouer avec l‟écriture, le journalisme et l‟aventure. Une façon de remettre le pied à l‟étrier. Une façon aussi d‟évacuer certaines choses que j‟avais à dire, de vider mon sac... J‟aimerais, dans un avenir plus ou moins proche, déléguer quelque peu mes activités commerciales et repartir à l‟aventure. Je n‟ai pas fini d‟explorer cette terre. J‟ai encore beaucoup de rencontres à faire. C‟est sur que je voyagerai différemment, que les grands défis sportifs ne sont plus à l‟ordre du jour. Je voudrais être plus proche encore des gens, des peuples,… Le monde arabe et les populations musulmanes m‟attirent beaucoup. Il y a beaucoup de choses à dire, à découvrir et à partager avec eux. L‟Islam est mal connu et mal perçu. La nature aussi m‟interpelle et les problèmes du réchauffement climatique deviennent alarmants… Il faut en parler, il faut réveiller les consciences. Le militantisme, qu‟il soit écologique ou autre ne m‟intéresse pas, mais le témoignage de choses vues ou vécues a toujours été ma vocation. J‟aimerais repartir dans le Grand Nord et témoigner des changements que vivent ces populations aujourd‟hui. J‟ai encore de beaux projets…