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1 Le rapport du droit international et du droit interne M. Bastien Lignereux Maître des requêtes 21 avril 2017 Bien que définie depuis 1958 par la Constitution ellemême, l’articulation entre le droit interne et le droit international a, sous l’effet de l’emprise croissante du droit européen d’une part, et de l’introduction en 2010 du mécanisme de question prioritaire de constitutionnalité de l’autre, fait l’objet, dans la jurisprudence récente du Conseil d'Etat, de plusieurs décisions qui ont contribué à préciser ses principes. I. Principes de l’articulation entre doit interne et droit international I.1. Les traités et la loi Le rapport entre les traités et la loi est réglé par l’article 55 de la Constitution, aux termes duquel : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » Cette règle pose ainsi clairement le principe de primauté des engagements internationaux par rapport à la loi 1 . La question du contrôle du respect de cette règle de hiérarchie des normes a toutefois fait l’objet d’évolutions. Le juge administratif s’est d’abord estimé incompétent pour contrôler la loi au regard de toute autre norme 2 . En effet, dans la tradition juridique issue de la Révolution française, la loi, « expression de la volonté générale » en vertu de l’article 6 de la Déclaration des droits de 1789, est la norme « première et inconditionnée » 3 , dont les juridictions doivent se borner à faire application. C’est la théorie dite de la « loiécran ». Ainsi le Conseil d’Etat 4 , tout comme la Cour de cassation 5 , se refusaientils classiquement à examiner la compatibilité de la loi à un traité. Outre la théorie classique de la « loiécran », cette réticence trouvait également sa source dans l’idée qu’il appartenait au Conseil constitutionnel, et à lui seul, d’assurer le contrôle de la loi au regard des règles constitutionnelles, y compris de la règle posée à l’article 55 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel a toutefois refusé, dans une importante décision de 1975 sur la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, d’effectuer le contrôle de conformité de la loi aux traités, couramment dénommé « contrôle de conventionnalité », lorsqu’une loi lui est déférée avant sa promulgation 6 . Il juge, dans cette décision, qu’ « une loi contraire à un traité ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution ». 1 A cet égard, l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 est plus clair que l’article 26 de la Constitution du 27 octobre 1946, qui disposait que « Les traités diplomatiques régulièrement ratifiés et publiés ont force de loi dans le cas même où ils seraient contraires à des lois françaises, sans qu'il soit besoin pour en assurer l'application d'autres dispositions législatives que celles qui auraient été nécessaires pour assurer leur ratification. » 2 Cf., s’agissant de la conformité à la constitution, CE Sect. 6 novembre 1936, Arrighi. 3 Raymond Carré de Malberg, La Loi, expression de la volonté générale, 1931. 4 CE Sect. 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France. 5 Cass. Civ. 22 décembre 1931, aux conclusions Matter. 6 CC 7444 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse.

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 Le rapport du droit international et du droit interne 

 M. Bastien Lignereux  Maître des requêtes 

21 avril 2017 

  Bien que définie depuis 1958 par la Constitution elle‐même, l’articulation entre le droit interne et le droit  international a, sous  l’effet de  l’emprise croissante du droit européen d’une part, et de l’introduction en 2010 du mécanisme de question prioritaire de constitutionnalité de  l’autre, fait l’objet, dans la jurisprudence récente du Conseil d'Etat, de plusieurs décisions qui ont contribué à préciser ses principes.   

I. Principes de l’articulation entre doit interne et droit international  I.1. Les traités et la loi  Le rapport entre les traités et la loi est réglé par l’article 55 de la Constitution, aux termes duquel : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès  leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » Cette  règle pose ainsi  clairement  le principe de primauté des engagements  internatio‐naux par rapport à la loi1.  La question du contrôle du respect de cette règle de hiérarchie des normes a toutefois fait l’objet d’évolutions. Le  juge administratif s’est d’abord estimé  incompétent pour contrôler  la  loi au  re‐gard de toute autre norme2. En effet, dans la tradition juridique issue de la Révolution  française, la  loi, « expression de  la volonté générale » en vertu de  l’article 6 de  la Déclaration des droits de 1789, est  la norme « première et  inconditionnée »3, dont  les  juridictions doivent se borner à faire application. C’est la théorie dite de la « loi‐écran ». Ainsi le Conseil d’Etat4, tout comme la Cour de cassation5, se refusaient‐ils classiquement à examiner la compatibilité de la loi à un traité.   Outre  la  théorie classique de  la « loi‐écran », cette  réticence  trouvait également  sa  source dans l’idée qu’il appartenait au Conseil constitutionnel, et à  lui seul, d’assurer  le contrôle de  la  loi au regard des règles constitutionnelles, y compris de la règle posée à l’article 55 de la Constitution.  Le Conseil constitutionnel a toutefois refusé, dans une importante décision de 1975 sur la loi rela‐tive à  l’interruption volontaire de grossesse, d’effectuer  le contrôle de conformité de  la  loi aux traités,  couramment  dénommé  « contrôle  de  conventionnalité »,  lorsqu’une  loi  lui  est  déférée avant sa promulgation6. Il juge, dans cette décision, qu’ « une loi contraire à un traité ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution ».   

1 A cet égard, l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 est plus clair que l’article 26 de la Constitution du 27 octobre 1946, qui disposait que « Les traités diplomatiques régulièrement ratifiés et publiés ont force de loi dans le cas même où ils seraient contraires à des lois françaises, sans qu'il soit besoin pour en assurer l'appli‐cation d'autres dispositions législatives que celles qui auraient été nécessaires pour assurer leur ratification. » 2 Cf., s’agissant de la conformité à la constitution, CE Sect. 6 novembre 1936, Arrighi.  3 Raymond Carré de Malberg, La Loi, expression de la volonté générale, 1931. 4 CE Sect. 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France. 5 Cass. Civ. 22 décembre 1931, aux conclusions Matter. 6 CC 74‐44 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse.

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La Cour de cassation en a déduit, la même année, la compétence des juridictions judiciaires pour écarter l’application d’une loi contraire à un engagement international, même antérieur à celle‐ci7. Le Conseil d'Etat n’en a, dans un premier temps, pas tiré les mêmes conséquences8. Cette position n’était pas  le  fruit d’un vain nationalisme  juridique, mais d’une conception stricte de sa compé‐tence. D’ailleurs, dans ses formations consultatives, le Conseil d’Etat a toujours veillé à ce que les projets de loi respectent les engagements internationaux souscrits par la France.  Dans la seconde moitié des années 1980, deux décisions du Conseil constitutionnel ont toutefois conduit  le  juge administratif à abandonner cette solution. D’abord, dans une décision du 3 sep‐tembre 19869, il a indiqué « qu’il appartient aux divers organes de l’Etat de veiller à l’application des conventions internationales dans le cadre de leurs compétences respectives ». Surtout, statuant non plus en tant que juge constitutionnel des lois qui lui sont déférées, mais comme juge électoral (le contentieux des élections  législatives  lui est en effet attribué),  il s’est reconnu compétent, dans une décision du 21 octobre  1988, pour examiner  la conformité à un  traité d’une  loi, même plus récente que celui‐ci10.   En outre, la France ayant ouvert en 1982 le droit au recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme, il devenait indispensable que le juge administratif joue un rôle de « filtre » dans le contrôle du respect de la Convention EDH par la loi française.  Au terme de ces évolutions, le Conseil d'Etat s’est, par une décision d’Assemblée du contentieux du 20 octobre  1989, Nicolo,  reconnu compétent pour écarter  la  loi contraire à un  traité, même lorsque ce dernier lui est antérieur.  Depuis,  le  contrôle dit de  « conventionnalité »  a  connu un essor  considérable et  conduit  à plu‐sieurs prolongements jurisprudentiels. En 1999, le Conseil d'Etat en a déduit que le gouvernement doit refuser de prendre les mesures réglementaires d’application d’une loi contraire à une norme internationale11. En 2007,  il a  jugé que  la  responsabilité de  l’Etat du  fait des  lois est  susceptible d’être engagée, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conven‐tions internationales par les autorités publiques, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résul‐tent de  l’intervention d’une  loi adoptée en méconnaissance des engagements  internationaux de la France12. Dans ce cadre, le juge administratif accorde une indemnisation intégrale du préjudice subi, alors que, jusqu’alors, la responsabilité de l’Etat du fait des lois ne pouvait être engagée que lorsque le préjudice revêt un caractère grave et spécial, dans la logique de  la responsabilité sans faute.  Enfin, le juge des référés, qui statue en urgence, se prononce sur l’incompatibilité des dispositions législatives avec le droit international, en cas de méconnaissance manifeste des exigences qui en découlent13.   En  revanche,  le  juge administratif n’exerce pas de contrôle du  respect par  la  loi de  la coutume internationale14 ni des principes généraux du droit international15 puisque l’article 55 de la Consti‐tution ne mentionne que les « traités ou accords » conclus par la France. 

7 Cass. Ch. Mixte, 24 mai 1975, Administration des douanes et Sté des cafés Jacques Vabre. 8 CE Ass. 22 octobre 1979, Union Démocratique du Travail. 9 CC 86‐216 DC du 3 septembre 1986, Loi relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. 10 CC 21 octobre 1988, Elections dans la 5e circonscription du Val d’Oise. 11 CE 24 février 1999, Association des patients de la médecine d’orientation anthroposophique. 12 CE Ass. 8 février 2007, Gardedieu. 13 Cf., pour le droit de l’Union européenne, JRCE 16 juin 2010, Diakité puis, pour le droit international en gé‐néral, CE Ass. 31 mai 2016, Gonzalez Gomez. 14 CE Ass. 6 juin 1997, Aquarone. 15 CE 28 juillet 2000, Paulin.

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 I.2. Les traités et la Constitution  L’articulation entre les engagements internationaux et la Constitution est plus complexe.  La Constitution du 4 octobre 1958 a prévu que les éventuels conflits de norme soient réglés avant la  ratification ou  l’approbation du  traité. Son article 54 dispose ainsi que « Si  le Conseil constitu‐tionnel, saisi par  le Président de  la République, par  le Premier ministre, par  le président de  l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement inter‐national  comporte une  clause  contraire à  la Constitution,  l'autorisation de  ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution. »   Si le Conseil constitutionnel, saisi sur ce fondement, a déclaré un traité contraire à la Constitution, l’Etat a donc le choix entre procéder à une révision de la Constitution ou abandonner le processus de ratification16.  Il en va de même  lorsque  le Conseil constitutionnel, saisi d’une  loi autorisant  la ratification d’un  traité préalablement à sa promulgation,  juge ce dernier contraire à  la Constitu‐tion17.  Néanmoins, la saisine du Conseil constitutionnel préalablement à la ratification ou à l’approbation d’une  convention  internationale  est  relativement  rare  en  pratique,  si  bien  que  les  conflits  de normes entre  traités et Constitution ne  sont pas  tous purgés avant que  les premiers n’entrent dans  l’ordonnancement  juridique  interne,  loin de  là. Dans ces cas,  il est donc revenu aux  juridic‐tions administratives et judiciaires de se prononcer sur leur articulation.  Tout d’abord,  le  juge administratif tente de prévenir ces conflits de normes par  la technique de l’interprétation conforme : dans une décision de 199618, le Conseil d'Etat se livre ainsi à une inter‐prétation d’un accord  franco‐malien d’extradition à  la  lumière du principe constitutionnel selon lequel  l'Etat doit  refuser  l'extradition d'un étranger  lorsqu'elle est demandée dans un but poli‐tique. Cet exercice peut conduire à une  interprétation constructive du  traité : en  l’espèce, alors que l’accord ne prévoyait la possibilité pour les Etats parties de refuser une extradition que lors‐que l’infraction pour laquelle elle est demandée est une infraction politique, le Conseil d'Etat juge que ces stipulations ne sauraient  limiter  le pouvoir de  l'Etat français de refuser  l'extradition à ce seul  cas  (qui n’épuise pas  l’ensemble des hypothèses dans  lesquelles  l’extradition,  justifiée par une infraction de quelque nature que ce soit, est en fait demandée dans un but politique).  Lorsque l’interprétation conforme n’est pas possible, le  juge refuse de faire prévaloir une norme sur une autre.  D’une part,  le Conseil d'Etat refuse de contrôler  la conformité d’une règle constitutionnelle à un traité. Il juge en effet, par une décision Sarran et Levacher du 30 octobre 1998, que la suprématie 

16 La décision du Conseil constitutionnel CC du 15 juin 1999, Charte européenne relative aux langues régionales et minoritaires, a été suivie de l’abandon de la procédure de ratification par la France. 17 Lorsqu’une  loi autorisant  la  ratification d’un  traité  lui est déférée sur  le  fondement de  l’article 61 de  la Constitution, le Conseil constitutionnel examine la convention dont la ratification est ainsi autorisée : CC 80‐116 DC du  22  juillet  1980,  Convention  franco‐allemande d’entraide  judiciaire.  En  revanche,  la  compatibilité entre un traité et la Constitution ne peut être examinée à l’occasion d’une question prioritaire de constitu‐tionnalité (QPC) dirigée contre  la  loi autorisant  la ratification du premier, car  le Conseil d'Etat  juge qu’une telle  loi, qui n’a d’autre objet que de permettre  la  ratification, est, par sa nature même,  insusceptible de porter atteinte à des droits ou libertés que la Constitution garantit (CE 14 mai 2010, Rujovic). 18 CE Ass. 3 juillet 1996, Moussa Koné. Cf. aussi CE Ass. 23 décembre 2011, Kandyrine de Brito Paiva, qui juge que, saisi d’un moyen tiré de l’incompatibilité entre deux traités, il incombe au juge administratif de définir les modalités d’application respectives des normes internationales en débat de manière à assurer leur con‐ciliation, en les interprétant le cas échéant au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle.

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conférée aux engagements  internationaux par  l’article 55 de  la Constitution « ne s'applique pas, dans  l'ordre  interne, aux dispositions de nature constitutionnelle »19. Dans cette décision,  il refuse ainsi d’examiner la conformité de l’article 76 de la Constitution relatif à la consultation des popu‐lations de la Nouvelle‐Calédonie aux stipulations du pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques et de la Convention EDH. La Cour de cassation a retenu la même solution par un arrêt du 2 juin 200020.  D’autre part toutefois, le Conseil d'Etat refuse également de se prononcer sur le bien‐fondé d’un engagement  international  au  regard de  la Constitution,  comme  il  l’a  jugé  lorsqu’il  examine  les recours dirigés contre les décrets portant publication de traités21.  La jurisprudence du Conseil constitutionnel se fait l’écho de cet équilibre : s’il juge que le principe pacta sunt servanda a valeur constitutionnelle dès lors qu’il figure parmi les règles du droit public international, auxquelles  la République entend se conformer en application du Préambule de  la Constitution22,  il proclame également que  la Constitution a sa place « au sommet de  l’ordre  juri‐dique interne »23.   

II. La place spécifique du droit de l’Union européenne  Au regard des principes qui viennent d’être énoncés,  la place de  la convention européenne des droits de l’homme n’est pas spécifique. En revanche, les particularités de l’ordre juridique issu du traité de Rome ont justifié des aménagements aux règles d’articulation avec le droit interne.  II.1. Le droit de l’Union et la loi  Il résulte de ce qui précède que, depuis 1989,  le  juge administratif écarte  la  loi contraire au droit de l’Union européenne : l’arrêt Nicolo portait précisément sur l’application du traité de Rome.   Cette primauté s’étend à  l’ensemble dans  règles du droit de  l’Union qui sont directement  invo‐cables,  notamment  aux  règlements  européens24  ainsi qu’aux  dispositions  dotées  d’effet  direct des directives25.  La spécificité du droit de l’Union a conduit à reconnaître une valeur supérieure à celle de la loi aux principes généraux de  l’ordre  juridique européen26, que  la Cour de  justice de  l’Union déduit des traités, alors que, comme on l’a vu, le juge administratif ne contrôle pas la conformité de la loi aux principes généraux du droit international. La jurisprudence retient toutefois que les principes gé‐néraux du droit de l’UE, de même que les principes posés par la Charte des droits fondamentaux de  l’UE, ne trouvent à s’appliquer dans  l’ordre  juridique national que dans  le cas où  la situation juridique en litige est régie par le droit de l’UE27. 

19 CE Ass. 30 octobre 1998, Sarran et Levacher et autres. 20 C. cass. 2 juin 2000, Pauline Fraisse. 21 CE  3 novembre  1999, Groupement national de défense des porteurs des  titres  russes ; CE 8  juillet  2002, Commune de Porta ; CE Ass. 9 juillet 2010, Fédération nationale de la libre pensée. 22 Cf. CC 92‐308 DC du 9 avril 1992. Le quatorzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution de 1958, proclame que la République française "se conforme aux règles du droit public international". 23 CC 2004‐505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe. 24 CE 29 septembre 1990, Boisdet. 25 CE Ass. 28 février 1992, Stés Rothmans International et Philip Moris. 26 CE 3 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, s’agissant des principes de confiance légitime, de sécurité juridique et de loyauté. 27 CE 4 juillet 2012, Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes.

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 Dans  l’exercice de ce contrôle,  lorsqu’est en cause une  loi entrant dans  le champ d’application d’une  règle du droit de  l’Union, et notamment d’une  loi de  transposition d’une directive euro‐péenne,  le  juge  administratif  interprète  la  législation  française  à  la  lumière des dispositions du droit de l’Union afin de concilier les deux normes par une interprétation conforme de la loi28. Dans la lignée de la jurisprudence Leur‐Bloem de la CJUE29, même lorsqu’est en cause une situation pu‐rement  interne qui n’est pas dans  le champ de  la directive  invoquée,  le  juge administratif  inter‐prète la loi conformément à celle‐ci lorsqu’elle a pour objet de la transposer et que le législateur, à l’occasion de cette  transposition, n’a pas entendu  traiter moins  favorablement  les situations  in‐ternes par rapport aux situations transnationales qui sont dans le champ de la directive30.  En revanche, la contrariété au droit de l’Union31, pas plus que la méconnaissance du droit interna‐tional en général32, ne fait pas partie des questions qu’il appartient au juge administratif de soule‐ver d’office : c’est  seulement  s’il est  saisi d’une argumentation en ce  sens que  le  juge examine cette question.  Mais c’est surtout l’office du Conseil constitutionnel dans l’examen de la loi qui est bouleversé par la  spécificité  du  droit  de  l’Union.  En  effet,  la  présence  dans  la  Constitution,  en  son  titre  XV, d’articles consacrés à la participation de la France à l’Union européenne, l’a conduit à exercer un contrôle au regard des directives européennes des lois prises pour leur transposition, par déroga‐tion à sa jurisprudence Interruption volontaire de grossesse.  Dans une décision du 10 juin 200433, il a déduit de l’article 88‐1 et la Constitution, qui pose le prin‐cipe  selon  lequel  « La République participe à  l'Union  européenne  (…) », que  la  transposition des directives européennes en droit  interne constitue une exigence constitutionnelle. Sur ce  fonde‐ment, il juge qu’il lui appartient, lorsqu’il examine une loi de transposition, de veiller au respect de cette exigence. Toutefois, dès lors que, lorsqu’une loi lui est déférée avant sa promulgation, il doit statuer dans un délai d’un mois (art. 61 de  la Constitution), qui ne  lui permet pas d’interroger  la CJUE à titre préjudiciel sur l’interprétation à retenir de la directive, il ne peut censurer qu'une dis‐position  législative « manifestement  incompatible avec  la directive qu'elle a pour objet de trans‐poser »34. Par ailleurs, lorsque la loi contrôlée n’est pas prise pour la transposition d’une directive européenne,  le principe posé par  la décision  IVG retrouve ses droits : seules  les  juridictions ordi‐naire sont compétentes contrôler la conventionnalité de la loi35.  Ceci permet donc que soit opéré, avant même l’entrée en vigueur de la loi, un premier contrôle de la violation « manifeste » de  la directive transposée, sans préjudice du contrôle entier que pour‐ront  ensuite  effectuer  les  juridiques  administratives  et  judiciaires  à  l’occasion de  litiges nés de l’application de la loi et auxquelles il est possible de saisir la CJUE à titre préjudiciel. 

28 CE Sect. 22 décembre 1989, min. c. Cercle militaire mixte de la Caserne Mortier ; CE 30 juillet 2003, Associa‐tion « Avenir de la langue française ». 29 CJCE 17 juillet 1997, Leur‐Bloem, aff. C‐28/95. 30 CE 17 juin 2011, SARL Méditerranée Automobiles. 31 CE Sect. 11 janvier 1991, SA Morgane ; CE 28 juillet 1993, Bach et autres. 32 Cf., CE Ass. 6 décembre 2002, Maciolak et, avant cette date, pour la CEDH, CE 16 janvier 1995, SARL CIPA. Il faut  toutefois  réserver  le cas des conventions  fiscales  tendant à éviter  la double  imposition : CE Ass. 28  juin 2002, min. c. Société Schneider Electric. 33 CC 2004‐496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique. 34 CC 2006‐543 DC du 30 novembre 2006, Loi  relative au  secteur de  l’énergie.  Il  faut noter que  l’exigence constitutionnelle de transposition des directives n’est pas  invocable à  l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité dès  lors qu’elle ne constitue pas un « droit ou  liberté que  la Constitution garantit », qui seuls, en  application de  l’article 61‐1 de  la Constitution, peuvent être utilement  invoqués  à  l’appui d’une QPC. 35 CC 2011‐217 QPC du 3 février 2012, M. Mohammed Alki B.

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 II.2. Le droit de l’Union et la Constitution  La possibilité d’un dialogue entre les juridictions nationales et la Cour de justice de l’UE, à travers le renvoi préjudiciel, conduit à aménager les principes d’articulation entre les normes issues de la Constitution et du droit de l’Union.  Devant  le  juge administratif,  lorsqu’est  invoquée  la méconnaissance, par un acte  réglementaire transposant des dispositions précises  et  inconditionnelles d’une directive européenne, de prin‐cipes constitutionnels,  le contrôle s’effectue selon des modalités particulières précisées par une décision de principe Arcelor du 8 février 200736.  Il appartient d’abord au  juge de rechercher si  le principe constitutionnel invoqué trouve, dans l’ordre juridique européen (et notamment dans les traités), une  règle équivalente, qui garantit suffisamment  l’effectivité du  respect du principe en cause. Dans l’affirmative, c’est au regard de cette règle européenne que le juge contrôle la validité de la directive, en renvoyant, en présence d’une difficulté sérieuse, une question préjudicielle à la CJUE,  seule  compétente  pour  invalider  un  acte  du  droit  de  l’Union.  C’est  donc  seulement  s’il n’existe pas de règle ou de principe général du droit de  l’Union équivalent au principe constitu‐tionnel invoqué qu’il revient au juge administratif d’examiner directement la constitutionnalité de l’acte contesté.  Cette  logique  inspire  également  le  contrôle  qu’opère  le  Conseil  constitutionnel  des  lois  prises pour la transposition de directives européennes. Il juge en effet qu’il n’appartient en principe qu’à la CJUE, saisie  le cas échéant à titre préjudiciel, de statuer sur  la validité d’une directive37. Toute‐fois, il juge que « la transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France »38. Ainsi, c’est seulement lorsqu’est en cause un principe  spécifique  à  l’ordre  constitutionnel  français, qui n’a pas d’équivalent dans  le droit de  l’Union, que  le Conseil constitutionnel se prononce sur  la directive que  la  loi qui  lui est soumise  a  pour  objet  de  transposer.  A  ce  jour,  le  Conseil  constitutionnel  n’a  jamais  fait d’application positive de cette réserve, si bien qu’il est difficile de dessiner les contours de la no‐tion de « principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France ».  Lors de la création en 2010 de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil consti‐tutionnel a transposé ces principes. Lorsqu’un justiciable conteste, à l’occasion d’un litige, la con‐formité à  la Constitution d’une  loi qui se borne à  tirer  les conséquences nécessaires de disposi‐tions inconditionnelles et précises d’une directive, il ne se reconnaît compétent pour statuer sur la question que  lorsqu’est en cause une règle ou un principe  inhérent à  l’identité constitutionnelle de  la France39.  Il en  résulte que  le Conseil d'Etat, à qui  il appartient de ne  renvoyer au Conseil constitutionnel que les QPC qui présentent un caractère sérieux, refuse de lui renvoyer les ques‐tions portant sur de telles dispositions  législatives, sauf mise en cause de  l’identité constitution‐nelle de la France40.  Pour finir,  il  faut noter que,  lors de  la création de  la QPC, s’est posée  la question du respect du principe d’effectivité du droit de l’Union par ce mécanisme, qui commande aux juridictions de se prononcer  de manière prioritaire  sur  la QPC  invoquée,  avant  d’examiner  les  autres  arguments soulevés, notamment,  le cas échéant, ceux qui  se prévalent d’une méconnaissance du droit de 

36 CE Ass. 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres. 37 CC 2004‐496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique. 38 CC 2006‐540 DC du 27  juillet 2006, Loi  relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans  la  société de l'information. 39 CC 2010‐79 QPC du 17 décembre 2010, Kamel D. 40 CE 8 juillet 2015, n° 390154 ; CE 14 septembre 2015, Société NotreFamille.com

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l’Union. La  jurisprudence convergente du Conseil constitutionnel41 et du Conseil d'Etat42 a toute‐fois estimé que le juge qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité, qui peut pren‐dre  toutes  les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires avant que  le Conseil constitu‐tionnel se prononce, peut suspendre  immédiatement  tout éventuel effet de  la  loi  incompatible avec  le droit de  l'Union et, si c’est nécessaire, saisir à  tout  instant  la CJUE à  titre préjudiciel. La Cour de justice de l’UE, interrogée par la Cour de cassation sur ce point, a, par un arrêt de Grande Chambre  du  22  juin  201043,  confirmé  que  l’article  267  du  TFUE  relatif  au  renvoi  préjudiciel  ne s’opposait pas à  l’instauration d’une procédure de contrôle de constitutionnalité qui n’empêche pas  aux  juridictions  nationales  de  saisir  la  Cour  à  titre préjudiciel  à  tout moment  et  d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection provisoire des dans conférés par le droit de l’Union.  Dans la logique de ces principes, l’Assemblée du contentieux a jugé : 

- par une décision du  13 mai 201144, que,  lorsque  seules certaines des dispositions  législa‐tives contestées par la voie de la QPC ont été déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel,  il appartient au  juge du  litige d’examiner, dans  l’hypothèse où  il est saisi d’une argumentation en ce sens, s’il doit, pour statuer sur  le surplus des conclu‐sions du requérant, écarter  les autres dispositions  législatives en  litige du fait de  leur  in‐compatibilité avec une règle du droit de l’Union européenne ou les engagements interna‐tionaux de la France ; 

- et plus récemment, par une décision du 31 mai 201645, que  lorsque  l'interprétation d’une directive soulève une difficulté sérieuse et conditionne  l'interprétation d’une disposition législative contestée par la voie de la QPC, il appartient au juge de saisir d’abord la Cour de justice à titre préjudiciel et, selon la réponse qu’elle apporte, de réexaminer la question de la conformité de la disposition législative à la Constitution. 

 On voit donc les possibilités de dialogue avec le juge constitutionnel et la Cour de justice permet‐tent au  triangle  juridictionnel –  juge ordinaire, Conseil constitutionnel et CJUE – d’apporter une protection effective aux principes  issus à  la  fois de  la Constitution et de  l’ordre  juridique euro‐péen.   

III. L’exemple de l’influence de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit d’asile et le droit des étrangers 

 Nous  avons  convenu d’illustrer  ces questions par  l’influence de  la Convention EDH  sur  le droit d’asile et le droit des étrangers. L’objet des développements qui suivent est donc de donner des exemples,  issus de  la  jurisprudence  récente du Conseil d'Etat, du  contrôle opéré dans  ces ma‐tières au regard de la convention, sans prétendre à l’exhaustivité.  a) Naturellement, le juge administratif sanctionne les violations du droit au respect de la vie fami‐liale, protégé par l’article 8 de la convention, qui peuvent résulter des arrêtés ordonnant la recon‐duite à  la frontière des demandeurs d’asile46. Par exemple, a été annulé par  le Conseil d'Etat un arrêté prescrivant, plus de 7 ans après le rejet de sa demande d’asile, la reconduite à la frontière d’un réfugié marié à une ressortissante zaïroise en situation régulière en France et père de trois 

41 CC 2010‐605 DC du 12 mai 2010, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne 42 CE 14 mai 2010, Rujovic. 43 CJUE gde ch., 22 juin 2010, Melki et autres, aff. C‐188/10. 44 CE Ass. 13 mai 2011, Mme M’Rida. 45 CE Ass. 31 mai 2016, Jacob. 46 Cf. récemment CE 15 mars 2017, Préfet de la Loire‐Atlantique.

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enfants à l'entretien et à l'éducation desquels il participe47. Récemment, dans le sillage d’un arrêt de la Cour de Strasbourg du 18 mars 201448, il a jugé que l’article 3 de la convention prohibant les traitements  inhumains ou dégradants fait obstacle à l'extradition d'une personne exposée à une peine incompressible de réclusion perpétuelle, sans possibilité de réexamen49. Sont aussi contrô‐lés au regard des stipulations de la convention, et notamment de son article 8, les refus de renou‐vellement d’un titre de séjour50.   b) En application de sa jurisprudence Nicolo, le juge administratif examine également la compatibi‐lité avec  la convention EDH des dispositions  législatives régissant  le droit d’asile. Ainsi, dans une décision du 22 juillet 201551, le Conseil d'Etat s’est livré, dans l’objectif d’assurer leur conformité à cette convention, à une interprétation constructive des dispositions de l’article L. 514‐1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Cet article prévoit qu’à Mayotte, le  recours dirigé  contre  les obligations de quitter  le  territoire  français  (OQTF) est dépourvu de caractère suspensif. Or, par un arrêt de grande chambre De Souza Ribeiro c/France52,  la Cour de Strasbourg a précisément condamné la France pour violation des articles 13 et 8 de la convention, dans le cas d’un étranger s’étant, en Guyane, vu reconduire à la frontière avant l’examen de son recours contre la décision d’éloignement, en raison de l’absence d’effet suspensif du recours qu’il avait déposé devant le tribunal administratif, et malgré le dépôt d’un recours d’urgence de référé‐suspension qui, du fait de sa reconduite, s’était soldé par un non‐lieu. Le Conseil d'Etat en a déduit que les dispositions législatives contestées devaient, conformément aux exigences découlant du droit au recours effectif garanti par la Convention EDH, être interprétées comme impliquant que la mise en œuvre des mesures d'éloignement forcé soit différée dans  le cas où  l'étranger qui en fait l'objet a saisi le juge des référés du tribunal administratif.  c) Le droit de l’asile étant, pour une large part, régi par le droit de l’Union, il arrive que le juge ad‐ministratif soit saisi d’une contestation portant sur le respect de la convention EDH par des dispo‐sitions  législatives prises pour  la  transposition d’une directive. Dans ce cas, en cas de doute sé‐rieux sur la compatibilité de la directive avec ces stipulations,  il lui appartient de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel ; en l’absence de question sérieuse, il écarte lui‐même la contestation53.  Ainsi, dans une décision du 20 juin 201654, le Conseil d'Etat a été amené à se prononcer sur la con‐ventionnalité du statut de résident de  longue durée mis en place par  la directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de  longue durée. Dans cette décision,  il a  jugé que  l’exigence fixée par  l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, qui  subordonne  la  reconnaissance du  statut de  résident de  longue durée à  l'existence, pour  le demandeur  et  les membres de  sa  famille, de  ressources  stables,  régulières et  suffisantes pour subvenir à  leurs besoins sans  recourir au système d'aide sociale de  l'Etat membre concerné, ne méconnaissait pas  les stipulations des article 8 et 14 de  la convention EDH qui proscrit  les discri‐minations fondées sur le handicap, sans qu’il y ait lieu de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel, dès lors que cette exigence est justifiée par l'objectif légitime de n'ouvrir le statut de résident de longue durée qu'aux étrangers jouissant d'une autonomie financière et nécessaire et proportion‐née au but en vue duquel elle a été prise.  

47 CE 31 juillet 1992, Loko. 48 CEDH, 18 mars 2014, Ocalan c. Turquie, n°s 24069/03 197/04 6201/06 10464/07. 49 CE 9 novembre 2015, n° 387245, revenant sur une décision CE 6 novembre 2000, n° 214777. 50 Cf. CE 15 mai 2013, n° 344716. 51 CE 22 juillet 2015, GISTI et autres. 52 CEDH, 13 décembre 2012, n° 22689/07. 53 CE Sect. 10 avril 2008, Conseil national des barreaux et autres. 54 CE 20 juin 2016, n° 383333.

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d) La situation des étrangers souffrant d’une maladie ou d’un handicap a été à  l’origine de nom‐breux contentieux au regard du principe d’interdiction des discriminations garanti par  l’article 14 de la convention EDH.  A cet égard, si le Conseil d'Etat n’a pas eu de doutes s’agissant de la conformité à ce principe des règles de  résidence de  longue durée posées par  la directive 2003/109/CE,  il a en  revanche  jugé que, pour rejeter une demande de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, l'autorité administrative ne peut se fonder exclusivement ni sur l'existence d'une maladie ou d'un handicap ni  sur  le  fait que  l'intéressé ne dispose pas d'autres  ressources que  celles provenant d'allocations  accordées  en  compensation  d'un  handicap,  dès  lors  qu'un  tel motif  priverait  de toute possibilité d'accéder à la nationalité française les personnes dans cette situation55.  De même,  il  juge que  l’administration ne  saurait, pour  rejeter une demande de  regroupement familial présentée par un ressortissant algérien qui, du fait de son handicap, est titulaire de l'allo‐cation aux adultes handicapés, se fonder sur l'insuffisance de ses ressources, sans introduire, dans l'appréciation de son droit à une vie privée et familiale normale, une discrimination à raison de son handicap prohibée par les stipulations combinées des articles 8 et 14 de la convention56.  Ainsi, les principes posés par la convention européenne des droits de l’homme, tels qu’interprétés par  la Cour de Strasbourg,  contribuent à  construire  l’équilibre  résultant de  la prise en  compte, dans le droit d’asile et le droit des étrangers, des exigences de respect de la vie familiale, de non‐discrimination et du droit au recours effectif.  

*  Au terme des riches évolutions qu’ont connues  les dernières décennies,  le droit  international, et en particulier le droit de l’Union européenne, a trouvé avec le droit interne une articulation qui lui confère une portée effective. Le juge national garantit sa supériorité par rapport à la loi en écar‐tant les dispositions législatives, mêmes postérieures, qui lui sont contraires. Si le droit internatio‐nal et européen n’a pas, dans  l’ordre  interne, une place supérieure à celle de  la Constitution,  les protections offertes par ces deux niveaux de normes semblent, grâce notamment aux possibilités de renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg prévues par le droit de l’Union, se compléter bien davantage que de se contredire.        

55 CE 11 mai 2016, n° 389399. 56 CE 15 février 2016, n° 387977.