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Benacquista, Tonino - Tout a l'Ego

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L'ego dans ses différentes représentations.

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  • ToninoBenacquista

    Toutlego

    Gallimard

  • ditionsGallimard,1999.

  • ToninoBenacquistaaexercdiverspetitsboulotsquiontservidecadresespremiersromans : accompagnateur de wagons-lits, accrocheur duvres dart ou parasite mondain.Depuis1985,ilacritplusieursouvragesdontSagaquiareuleGrandPrixdesLectricesdeElleen1998.

  • TABLELABOTENOIRELAVOLIREUNTEMPSDEBLUESTRANSFERTLAPTITIONLE17JUILLET1994ENTRE22ET23HEURESBOBINAGESSIPARUNJOURDTUNSDENTAIREOPPORTUNEQ.I.NOTICEBIBLIOGRAPHIQUE

  • AlainetBertrand

  • LABOTENOIRE

    Il y a eu cet norme rayon de lumire blanche. Jai senti que mon corps slevait laplomb,danslestnbres,unevitessefolle.Jaieupeurdeheurteruneborneinvisibleducosmos. Un souffle dair chaud ma ramen sur terre et ma couch, lentement, au beaumilieudunpaysdhorreur.L, immobile, incapabledemehissersurmesjambesoummedouvrir les yeux, je nai pu que les entendre : chiens hurleurs et loups affams, hynesmeurtriesaurireaigre,feulementsdefauvesautourdemacarcasse.Lesilenceetloubliontmisdessiclestisseruncocono,enfin,jaipumelovertoutentier.

    JusqucequunDieudemisricordemerendelavue.Etlavie.

    *Une femmeapoussun soupirde soulagementquand je suis revenu la conscience.

    Jaicruquilsagissaitdunemreoudunesur.Ctaitlinfirmire.Pas de mal au crne, pas dangoisse particulire. Ils ont d me farcir les veines de

    morphineoudetrucscommea.Ellemeparledunaccidentet,toutdesuite,jailespharesdecettevoituredans lesyeux.Londedechocquia suivi rsonneencoredansmacolonnevertbrale.Etpuis,plusrien.Jeluidemandecombiendetempsadurleplusrien.Unenuit?Unenuitseulement?Jai limpressiondavoirparcourulternitensensinverseettoutanadurquunedouzainedheures.Jusquosontallsceuxquiontpasstoutunhiverdanslecoma?

    Mon pre a demand quon le rappelle ds mon rveil. Je ne veux pas quil fasse levoyagejusquici, jenaipaslintentiondemoisir longtempsdanscettecliniqueperduedanslesPyrnes.Lemdecindoitpasserpourmerassurersur lavenir.Dansquelques jours, jeredeviendraiceluiquejaitoujourst.Dansquelquesannescetaccidentneseradansmonsouvenir quun vague trou noir suivi dun court et interminable sjour dans un lit blancentourdeneigepertedevue.

    LavoitureenquestiontaituneB.M.W.Personnenarienpufairepourleconducteur.Jailintimeconvictiondenavoircommisaucuneimprudence.samanire,linfirmiremeleconfirme:personnedanslecoinnajamaisvuunvhiculeprendrelaroutedesGoulesunevitessepareille.

    Onsaitquitaitcetype?UnassureurbasLimoges.Lautopsiedirasiltaitsol,maiscestcourudavance.Toutcoup,jemesensbeaucoupmieux.Unpochardafaillimecoterlavieetjebnis

    lecieldenepasavoirsamortsurlaconscience.LagrandeFaucheusechamboulelesesprits.Jedoisconcentrertoutemonnergiesurmanouvellevie,onneressuscitepastouslesjours.Ilparatqueceuxquiontvulamortenfaceviventlerestedeleurexistencedanslasrnitetlajoie.Sicestlecas,celavalaitpeut-trelecoup.

  • Linfirmireauncomportementtrange,ellevaqueautourdemonlitenmelanantdesilladesladrobe,mi-amuse,mi-intrigue.Commesijtaisunevedette.Cetaccidentnemapourtantpasrenduamnsique:jemappellebienLaurentAubier,jaitrente-cinqans,jerparedesphotocopieurs, je suis clibataire, etmagrandeambitiondans lexistence estdedcrocherlepremierprixduconcoursLpine.Lafemmeenblancconfirmelensembleaveclesouriredecellequisaittout,commesielleconnaissaitlemoindrerouagedemavie.Jeluienfaislaremarque,unpeuagac.

    Jensaispeut-trebienplusquevous-mme,rpond-elleenquittantlachambre.

    *Jairassurtoutceuxquiledsiraientpartlphone,parentsetamis.Jenepensaispas

    en avoir tant. La plupart neme demandent habituellement que des photocopies gratuites.Linfirmirema apport le dner.Commentpeuvent-ils promouvoir lidedunhpital visagehumain silsne serventquede labouffequednonceraitAmnesty International ?Plustarddanslasoire,jesonnepourquelleviennemedbarrasserdecercipientpleindepissedont jenesaisque faire.Commetous lesalitsdumonde, jehaiscette intimitavecunefemmequejeneconnaispas.Desonvivant,mapropremrenenajamaisvuautant,etmesfiancesdepassage,Paris,nemontmmejamaisentenduternuer.

    Neregardezpaslatltroptard,sinonjeviendraimoi-mmelteindre.Vousprenezvotrerletropausrieux,madamemadame?Janine.Jevousremerciede toutcequevous faitespourmoi,madameJanine,mais la tl

    mendormira beaucoup plus vite que vos pilules. De toute faon, jai limpression davoirdormipourlesdixansvenir.

    Ellemegrondegentiment,jelaremerciedunsourire.Toutcoup,jeralisequecettebravedamepapillonneautourdemoidepuiscematin,sansaidenirelche.

    Je vous ai dj veill toute la nuit dernire, pendant votre coma. Cest une petiteclinique,monsieurAubier,etjaiunecollguemalade,uneautreenvacances.Jevaisessayerdedormirquelquesheures.Sivoustesmoinsbavardquelanuitdernire

    Jenaipasletempsdeluidemandercequelleveutdire,elleestdjpartieavecunpetitclindilquiseveutpleindemalice.Daussiloinquejemesouvienne,personnenemafaitremarquer que je parlais en dormant, ni au pensionnat ni dansma garonnire o jattireparfoisquelquesbellesinsomniaques.Pendantcesheureshorribles,jaidfaireuncarnavaldecauchemars.Onveillesansdoutelescomateuxpourviterquilsnesagitent.Engnral,jemesouviensdemesrves,ilsmlentallgrementlangoissemtaphysique,lesfilmsgoreetlessymbolesbunuliens.Janineadenentendredebelles.moinsquelanuitdernirejenemesoisrepasslaccidentenboucle,avecunrlesinistreaumomentdelimpact.Jedoisoublier touta leplusvitepossible.Leprogrammede tlque jeviensdemeconcoctervasansdoutemyaider:unfilmdeJerryLewis,undocumentairesurlevaranduKomodoet,pour finir, la rediffusion du dernier festival de Bayreuth. Si mes calculs sont exacts, LeCrpusculedesdieuxprendrafinaumomentmmeoJaninemapporteralepetitdjeuner.Lavieesttropcourteettropprcieusepourlapasserdormir.

    *

    asentencoreletabacdansvotrechambre.

  • Jesorsquand,bordel?Cesoir,jevouslaiditcentfois.Maissivousteneztantvousagiter,onpourraitbien

    vousgarderquelquesjoursdeplus.Frache et repose, la Janine. Elle aurait mis une petite pointe de maquillage, a ne

    mtonnerait pas.Depuis le dbut demon sjour ici, jai vuMarielle, Bernadette, Sylvie etMmeBranger,toutesplusaimableslesunesquelesautres,maisaucunenedtrneraJaninedansmoncur.

    Ilestcomment,votremari?Voustesbienindiscret,monsieurAubier.AllezJenesuispasmarie.Vousavezbienunamoureux,non?Sesjouesrosissentpeine.Ilestbienmoinsturbulentquevous.Dites,Janine(jebaissedunton)ondittoujoursquelesinfirmiressontnuessous

    leurblouse.Elle hausse les paules en donnant quelques gifles un oreiller avant de le replacer

    sousmatte.aresteraun fantasme,sivous levoulezbien.Dailleurs,question fantasmes,vous

    tesdjbienpourvu.Quest-cequevousensavez?ImaginezunpeucequediraitBettysiellevousentendaitmediretoutescesidioties?QuelleBetty?Jeneseraipasldetoutelajourne,maisjeviendraivoussalueravantvotredpart.Nevousfoutezpasdemoi!DequelleBettyvoulez-vousparler?!Cettefois,vousnelavezpasvol,monsieurAubier.Passezunebonnejournequand

    mmeJanine,reveneziciIMMDIATEMENT!Lagarce!Ellenapasdaignreparatredetoutelajourne.Leconvalescentquejesuislapiste,

    sanssuccs,danstoutelaclinique.BettyJauraisparlduneBettydurantmonsommeil?JeneconnaisaucuneBetty.

    Oubiensi.MaisasemblesiloinUnetabledcolierdeuxplaces,commeilnyenaplus.Unencrierdanschaquecoin

    quelamatressevenaitrempliravecunebouteille.Unepetitetrappesouvreauloin,dansmammoire.JavaisgravBetydanslebois,avecuneplumeSergent-Major.Ellesestmoquedemoi, jai rajout un t, bien coll au premier. Je me souviens, maintenant Ses dentsblanchesSesyeuxincroyablementpursLefroissementdenosblousesquandnoscoudesse frlaient.Nousnous sommes fait traiterdamoureuxplusdune fois. Jemesouviensdenos regards qui se cherchaient dans le couloir, ds le matin. Elle sappelle comment tafiance?Betty!lammequestion,ellerpondaitLaurent.

    Jenesaispassijairellementtamoureuxdepuis.La nuit tombe. Je range mon rasoir dans une petite poche de la valise. La journe

    entire, je nai cess de rechercher ces doux instants du pass. En traversant le hall de laclinique,jaiencoreenttelesouriredunepetitefille.

    Je suis prt retrouver lemonde enmarche,mme sil sest fort bien pass demoi

  • durantcesdixjours.BernadetteetSylviesontderrirelehalldaccueil.Jemeprometsdeleurenvoyer quelque chose de Paris. Janine apparat en tenue de ville, un grand sourire auxlvres. Elle mentrane vers les normes fauteuils rouges de la salle dattente ou pluspersonnenattend.

    Votretaxinevapastarder.Avecunpeudechance,ilseraenretard.Jenevousaipasencoreremerciepourtout

    cequevousavezfait.Cestmontravail.Grcevousjairetrouvlesouvenirduneamourettedejeunesse.Elleavaitsapetite

    placebiencacheaufonddemoi,etsansvousjenelauraisjamaisfaitremonterensurface.Cestvousquejedoiscespetitesbullesdenostalgie.

    Elle laissechapperunpetit riremaisse reprend trsvite.Une lueurdegravitpassedans ses yeux.Ellehsite, retient le silence,nosepas se lancer. Jenperds le sourire,moiaussi.

    Vousvoussouvenezquejevousaiveilldurantvotrecoma,monsieurAubier?Vousmelavezditlelendemain. Vous tiez dans ce quon appelle un coma vigile . Un coma plutt lger o le

    patient sexprime et ragit. Il ressasse des phrases incomprhensibles, un flot de parolesdunedensitincroyablependantdesheuresetdesheures.Undlireorganisquepersonnedautreque luinepeutcomprendre,et, laplupartdutemps, ilnencomprendpas lamoitilui-mme.DixheuresVousvousrendezcompte?Unedriveverbalededixheuressanslamoindreinterruption?

    ?Cestunechancefabuleuse,monsieurAubier,unechancenepasrater.Uneantenne

    directesurlabotenoire.Labotenoire?Linconscient,sivousprfrez.UneJaninequejeneconnaispasvientdapparatresousmesyeuxpouvants.Untre

    fbrileetpassionn,mi-prtresse,mi-sorcire. Cette nuit-l, vous vous tes racont, vous tes all jusquau bout de vous-mme,

    vous avez brass trente-cinq ans de morale, dinterdits et de souvenirs. Vous les avezdpoussirs, dfroisss, dchiffrs et organiss dans un ordre connu de vous seul. Bettynestquunegouttedeaudanslocan,elleestsortiedelabotenoirecommetoutlereste.

    Unaiguillondepeurmepiqueversleventre.Unebouffedechaleurmaparcourulesbrasetledos.Levoyantdutaxiapparatderrirelavitre.

    JanineVoustesentraindemedirequevousquevousavezviolmonintimitmentale?

    Ellemeprendlesmainsetlesserredanslessiennes.Laurent,jefaisunepsychanalysedepuisquatorzeans.Etenquatorzeans,jenaipas

    ditlamoitidecequevousavezfaitsortirenuneseulenuit.Ellemetendunbloc-notesspirale.Jecroisquejevaisdevenirdingue.Pour une fois, la nuit de garde tait plutt calme, et jai lhabitude de prendre des

    notesLeblocmatterritdanslesmains.Toutsebrouilledansmatte.Letaxiklaxonne.Vousvousfoutezdemoi?Ctaitunservicevousrendre,jaimeraisquonfasselammechosepourmoidans

    depareilles circonstances.Tous vosmystres et tous vos oublis, tout votre amour et toute

  • votrehaine,tousvosmessagesrestssanscoute,toutesvoscraintesetvosfantasmessontconsignsl-dedans.Faites-enbonusage

    Jeveuxlaretenirparlebrasmaisellemchappeetdisparatdanslesvestiaires.Letaxiestsurlepointdepartir.

    Jerestel,commeuncon,incapabledeprendreunedcision

    *Jenaiosouvrir lebloc-notesquedanslavion.Lhtessemaserviunebonnerasade

    dalcooletmonvoisinacrubondemexpliquerquelapeurdelavioncachaitsrementautrechose, langoisse dun dpart ou celle dun renouveau. Encore un qui veut fourrer son nezdansmes rouages.LespagesgriffonnesparJanine sontbienplusdangereusesque touteslesphobiesdumonde. Jepourrais les dchirer enpetitsmorceaux et tirer la chassedeau,personnenensauraitrienet jecontinueraisvivrecommesiriennestaitpass.Elleestbanale,ma petite vie,mais je laime comme elle est, je nai pas besoin den connatre lessecrets. quoi bon saventurer dans les zones interdites ? On ne peut y trouver que desembrouilles,cestbienconnu,ilnyaquvoirtouscesfilmsquisepassentdanslajungle.quoiboncouter les tuyauteriesde sonme?Ctaitun servicevous rendreTu parlesdunservice,mapauvreJanine.Quiaenviedesavoircequisepassedelautrect?Quinapas peur douvrir la trappe de lego ? a ne doit pas sentir bon, l-dedans. Faites-en bonusageEtsidanslaffairejavaisbienplusperdrequgagner?

    Maislavraiequestionest:commentrsister?Monvoisinsestassoupi,lecrnecontrelehublot.Jesoulvelacouverturebistredubloc. Faudrait y retourner voir, chez le pre Tape-dur, on y retrouverait peut-tre son

    livret de Caisse dpargne, eh oui ! (rires) Dix ans boire du Schweppes, a laisse destraces,heinNathalie?Touttaitencoreplusblancsoussonaube,onnepouvaitpasplusblanc,afaisaitmmemalauxyeux,perdudanslegrandcnetoutblanc,ctaitcecondePascalquimavaitobligLesclochesettoutRiencomprisaufilm,lePascalmasuraimetroplargent,masuraimetroplargent, tusavaisdirequea,DuconTyespasallvoir,toi,souslegrandcneblanc

    Jevousaccompagnejusquaulavabo?Lhtesseapos lamainsurmonpaule.Ellesortunsacenpapierblanc,perdudans

    les prospectus coincs dans une poche du dossier, au cas o je voudrais vomir. Elleprfreraitlasolutiondulavabo.Ai-jelairaussimalquejelesuis?Ellemetenduncachet,unverredeau, javale le tout.Docile. Jeme force sourirepour lloigner. Janine estunedrledegarce.Ellenauraitpasdfairea.Sondevoirtait,cettenuit-l,defermerlaporte,de respecter mon dlire, de le laisser se perdre dans le grand inconscient de lunivers. Jefermelesyeux,prendsunelonguebouffedairetparslarecherchedugrandcneblanc.Ildoittrequelquepart,si loin,siproche,perduencoursderoute,oublidepuisdes lustres,maistoujoursaussiblanc.Quest-cequisecachaitsouslegrandcneblanc!Ilestl,toutprs.Toutprs

    Monsieur,vousavezlaisstombervotrecahier.Hein?Je remercie cet imbciledevoisindunsignede tteet reprends leblocquiagliss

  • mespieds.Legrandcneblancnedevaitplustretrsloin.Tantpis,jyreviendraiquandjeseraiseul.Ilyaquarante-huitfeuilletsdenotesserres.Avecparfoisdessriesdebisnenplusfinir.Jenesaisplussijedoisliredanslacontinuitoupuiserauhasard.Jallumeunecigaretteensachantquecestdsormaisinterditmaisjenepeuxpasrsister.

    Jai pleur, putain, tout lemonde la vu, je ne veux pas quonmappelleRoland, je

    mappelleLaurent,pasRoland,Laurent,Lorenzaccio!Putaindemerde!Nempcheiltaitgrandetmaigre,cecon,maigredaccord,maissurtoutgrand,etjavaislatrouilleparcequilavait lebondroitpour luiTas toujoursaimte foutrede lagueuledesgens, fallaitbienquil y en ait un quiMonorgueilmarquau fer rougeavec ses initiales dessusA. L.AugusteLespinasseTuparlessi jenavaisbrod,desconneries,surAugusteLespinasseUnergaladeMoicestLaurent,Lau-rent,compris?

    Un grand type lunettes. larme. Montbliard. Une humiliation devant toute la

    chambre.Javaispousslebouchontroploin.Desvariationsidiotessursonnom,personnenavaitri,etamavaitvalusonpoingsurlagueule.Toutmerevientenmmoire,mmelesillondeslarmessurmesjoues,lebridgetoutmtaldroitedanssabouche.Pourlapeine,ilma appelRoland jusqu la quille.Chaquenuit, commeun lche, jai eu enviede le tuerpendantsonsommeil.

    Jenavaispasoubli cet pisodemais jamais jeneme seraisdoutde la tracequil alaisseenmoi.Plusjamaisjenaicherchblesserautruidepuiscejour-l,etcestpeut-treAugusteLespinassequejeledois.Lapeurquejprouvetenircesfeuilletsbrlantsentrelesmainssemueenquelquechosedeplus intenseetdeplusgrisant.EtsiJanineavaiteuraison?EtsiellemavaitoffertlesclsdelaConnaissance,laplusprcieusedetoutes,cellede soi-mme ? Jai peut-tre un trsor, l, pos sur les cuisses commeune petite bote dePandore. Il peut me donner les rponses aux questions essentielles, celles qui nousapparaissent,dit-on, le jourdenotremort. Ilmediraqui je suisetdo jeviens.Et jauraipeut-treunechancedesavoirojevais.Bienavantmonheure.Aumilieuduparcours.

    Lhtesse me demande dteindre ma cigarette. Ds quelle sen va, jen allume uneautre. Jebravedes interditsquine sontplusdemongeet jemen fous.Nousvolonsau-dessusdeParis.Monvoisinadjlamainsursonporte-documents.Jaiencoreletempsdefaireunpetittourdanslamachineexplorerlme.

    Indcrottable!Indcrottable!EllesavaitdirequeacettevieillesalopePapatu

    doismecroire,moi !Paselle, jene suispas indcrottableNe jouepasauxvoituresdanslescalier ! Je veux pas redoubler, elle ment et cest elle que vous croyez ! -.. Faitesattention !LegrandescalierenmarbredeparrainDumarbredItalieIndcrottable !CestdgueulasserienquentendrePleindemerdedanslattePuisquecestcommeaje vais vous faire la Piste aux toiles (roulements de tambour avec la langue)Lindcrottablevanousexcuterunsautdelange!Lemarbrecestbeaumaiscestfroid

    Sans mmemen rendre compte, je suis dans un taxi. Je ne sais pas comment sest

    pass latterrissage, ni comment jai rcupr ma valise. Je suis toujours dans les airs.Presqueenapesanteur.Jusquaujourdhui,laseuleimagequimerestaitdecettechutetaituneminervequimedonnait lairdunpetitvieux.Javaissixans.Unescalierquiauraitpumecoterlavie.Quiestcettevieillesalope?Etquest-cequelleavoiraveccettechute?Unepiledecourriermattendderrirelaporte.Sansmmeprendreletempsdenlevermon

  • manteau,jemeprcipitesurletlphone.Papa?Tesrentr,mongrand?Jauraispuvenirtechercherlaroport.Tutesouviensdemonaccidentdanslescalierdeparrain?Sijemesouviens?Tamreetmoi,onacruquettaismort.Quest-cequisestpass,cetteanne-l,lcole?Jaibesoindesavoir.Ettuastoujourssuivideprsmascolarit. Tes drle, toi Tume demandes a aujourdhui Je crois que tu tais au C. P.,

    laccidentestarrivenmaiettunesretournlcolequenseptembre.Jairedoubl? Non mais cest ce que voulait ton institutrice, une vieille peau avec qui tu te

    chamaillaistoujours.Entre-temps,tuasfaitcettechuteetontadonndescoursparticulierspendant toute ta convalescence. la rentre, tu avaismmeunniveaubien suprieur auxautres.

    Commentjaifaitpourtomberdanscetescalier?Jenesaispas,ontaittoustable,onaentendutadgringoladeetontaretrouven

    bas,inconscient.Tonparrainenafaitunejaunisse.Je le remercieunmillierde fois et raccroche.Toutdevientbeaucoupplus clair.Cette

    vieillepeaumedtestait,etleredoublementquivalaitunecondamnationmort.Onditquelidemmedusuicidenepeutpasvenirlespritdunenfant.Jaiconnula

    dtressequivouspousseverslamort.Jenavaisquesixans.

    *Troissemainesplustard,jenaipasencorereprisleboulot.Jepasseleplusclairdemon

    tempsdansmonappartementoudanslesjardinspublics.Moninertieapparentenelaisseenrienimaginerlextraordinairetravailmentalquejefournischaqueinstant.Latemptesousmoncrneestsifortequellecharrieavecelledespromessesoubliesetdinsouponnablestabous.Jerestepenchsurlebloc-notescommeontudielacartedunEldorado,jeplongeen moi-mme comme un explorateur sous-marin et nen remonte quau prix dunedouloureuse preuve. Beaucoup de choses mchappent encore dans ces quarante-huitfeuillets,etleszoneslesplushermtiquessontcellesqui,biensr,mintriguentleplus.

    Quandjeseraigrand,jeseraifaucheurdespaghettis,acestunbeauboulotQuand

    jeseraigrand,jeseraifaucheurdespaghettis,acestunbeauboulotRachatavantmarsdelaFinoilparlA.C.GroupQuandjeseraigrand,jeseraifaucheurdespaghettis,acestunbeauboulot

    Faucheurdespaghettis.Aprsuneffortdemmoire terrible, jai revucegrandconde

    Pascal,lamaternelle,entraindemexpliquerquelesptespoussaientdansleschampsetquon les fauchait comme lesbls.Faucheurde spaghettis, ctait le job rv.En revanche,impossible de savoir do surgit cette Finoil qui ne me dit absolument rien. Mon copainJrmy,boursicoteurprofessionnel,maexpliququunepetitemaisoncommelA.C.GroupnepouvaitenaucuncasracheterleplusgrostrustptrolierdEurope.Lepire,cestlafaondont ces deux mots se sont glisss dans ma tte et y sont rests accrochs comme des

  • oursins.Avons-nouslecortexchargdemilliardsdinsignifiancesstockesaufildesges?Ilyasrementderrirecetteformulesibyllinequelquechosedebongrattermaisjenesaiscommentmyprendre.Certainsparagraphes sont encoreplus troublants, surtoutquand ilsdisentexactementlecontrairedemapenseconsciente.

    Onnetrahitjamaisquelesamis,ordure!RiriFifietLoulouDemandeJudas!

    aenfaitdespartiesdeflipper,nomdeDieu!MonpauvreRiriElleteplaisaittantquea, la petite Sophie 7Fallaitme le dire, pauvre conToutes ces parties de flipper pour enarriverl

    Fifi ctait Philippe,Riri ctaitRichard et Loulou ctaitmoi. Le triumvirat. Toujours

    fourrsensembledepuislelyce.Jaitlepremierminstalleravecunefillequelesdeuxautresontacceptedanslabandesansfairedhistoire.SurtoutPhilippe.Ondittoujoursquelesfemmesontuntelsoucidudtailquellesaventcacherleuramantdesannesdurant,oudpisterunematresseavecunsimplecheveu.Dansmoncas, aat linverse.Aprshuitjours de stage Toulouse, jai retrouv dans le cendrier de la table de nuit la bague duncigareRomeoyJulietaque javaisoffertPhilippe.Labotedevingt-cinqmavaitcotunprixfou,maispourlanniversairedunpoteonnecomptepas.JenaipardonnniSophienilautresalaud.Ctaitilyadixans.

    Lennui,cestquelabotenoirenestpasdaccordaveccetteversionEtjenevoispaspourquoielleseraitmieuxrenseignequemoi.Cestcritl,noirsur

    blanc,de lamain fbriledeJanine.MonpauvreRiriElle te plaisait tant que a la petiteSophie ?Elle a pu se tromper, aprs tout. Riri ou Fifi, prononc toute vitesse aumilieudunebourrasquedemots.Riri,monpotedetoujours, lindfectibleRichard.Jenevoispascequemoninconscientinsinueproposdunehistoirequimacotassezcher.

    Maisilfautquejenaielecurnet.

    *Le serveurpose lesdeux cafs sur la table et jallume lapremire cigarettede tout le

    dner.Richardsortuncigaredesontuisansinterrompresabrillanteanalysesurltanchitdesclassesmoyennes.Contretouteattente,jeluicoupenetlaparole.

    CestPhilippequitafaitaimerlecigare?Ilmarqueuntempsdarrtetmeregarde,tonn.LongtempsquonnapasparldeluiJepensaisquetunevoulaisplusentendrece

    nom-l.LetempsapassDix?Douzeans?Toutsoublie,tusais.Jaibienrussioublier

    Sophie,etjenemencroyaispascapable.Ilyadeschosesquonnepardonnepas.Jeneteparlepasdepardon,chacunsedmerdeavecsamorale.Loubliestunbesoin

    vital, comme boire oumanger. craser les souvenirs qui nous encombrent est la garantiemmedenotresantmentale.Borgesacritdetrsbellespagesl-dessus.Imaginelhorreurqueceseraitdenerienoublier.Imaginequenousayonstousennousunesortederceptacleotoutseraitconsign,lemeilleuretlepire,etsurtoutlepire.

    Unesortedebotenoire,quoi,commedansunavion.Exactement.Richardme regarde, immobile. Troubl. Puis il allume lentement son cigare selonun

  • rituelquejeconnaisbien.Quelquechoseachangdepuistonaccident.Nousnaurionsjamaisparldecegenre

    dechoses,avant.Jemaintiensunvaguesilenceambigu,commepoursoulignerunpeuplusltrangetde

    notredialogue.Sicetteboteexiste,ilnefaudraitenaucuncasyavoiraccs,dit-il.Noussommesle

    produit de nos erreurs et de nos doutes. quoi pourrait bien nous servir une infinit depetitescertitudes?

    saisirunechanceuniquedecomprendrecommentlonestdevenucequelonest.Leserveurposeladditionsurlecoindelatableetromptunduelduregardquiaurait

    pudurerdesheures.Pourrpondre taquestion,cenestpasPhilippequima faitaimer lecigare,mais

    toi.Moi?Tu tesouviensdesRomeoyJulietaque tu luiavaisofferts? Ilna jamaisos te le

    dire mais lodeur mme du cigare lui donnait la nause. Jen ai got un et a a t larvlation.Jaifumtoutelabote,etdepuisamecotesixseptmilleballesparmois.

    Aprsquelquessecondesdesilence,unpetitriremchappe.Unrireinnocent,niamernivengeur.Larcenteintimitavecmabotenoireadmodifiermonrapportaumondeetaux autres.Comment ai-jepupenserquelle stait trompe, dailleurs ?Cest cequenousappelons trop navement la raison qui nous fait croire ce qui nous arrange le mieux.Linconscient, lui, est impitoyable de vrit. Il y a dix ans, dj, je savais que Richard etSophie avaient couch ensemble.Nous ne sommes jamais dupes que de nous-mmes. Lesannesquiontsuivi,jaibannilinnocentpourtoujoursetjesuisrestamiavecletratre.

    Lestablessevidentuneune.Richarddonneungrospourboireauserveur,sansdoutepourquilnouslaisseenpaixlepluslongtempspossible.Aucundenousnaprononcunmotdepuisdelonguesminutesetnousnavonsjamaisautantparl,luietmoi.Sabotenoiredoitenregistrer un tas dinformations vitesse grand V. Ces petites mcaniques-l sont ultra-performantes.

    Quil est intense, cemoment o lesmots nont plus aucun intrt. Ils ne sont l quepourconclureenbeaut.

    Cequejenemexpliquepas,cestpourquoicecondePhilippenariendit,lesoirojelaitraitdordure.

    Unsouriresansmalicesedessinesurles lvresdeRichard.Celuidelanostalgie,sansdoute.

    Unchoixcornlien,pourlepauvrePhilippe.Sedisculper,ctaitmetrahir.Ilaprfrgarderlafautepourlui.

    Lesensdelamitipoussjusque-lconfinelaconnerie,heinRichard?Quisait?Il se lve et passe sonmanteau, le cigare entre les lvres. Sur le seuil du restaurant,

    nousnousserronslamain,longuement.Laprochainefois,cestmoiquiinvite.Daccord.

    *Onsedemandesouventceque lon ferait si lachancenoustaitdonnede lirenotre

  • avenir. Je sais aujourdhui que connatre son pass a quelque chose de bien plusextraordinaire.Lapeurdulendemainestuneplaisanteriecomparecelledelaveille.Etledestinnestrienquunpeudepassenretard.

    Jenai toujourspas repris le travail depuis deuxmois. Jai racontnimporte quoi autoubibet ilmacru:tourdissements,mauxdette,sommeilagit, intensefatigue, toutadepuis ce terrible accident. Jai gagn encore quelques semaines et mon patron na rientrouv redire.Un typedu concoursLpinema appelpourmedireque jtais enbonneplacepourlepremierprixetjaifaitsemblantdentreflatt.Silssavaient,tous,quejesuisdevenu dpendant dune drogue dure. Un junkie, voil ce que je suis. Accro ma proprepsychettributairedemonmoicaptif.Passionn,aussi,parlasommedervlationssurledrledetypequejesuis.Etjenveuxplus,toujoursplus,commetouslesdrogus.Jeconnaispratiquement ces quarante-huit feuillets par cur. Il marrive parfois den dclamer despassagesentiers,commelecomateuxque jtais,dans lesPyrnes,allongprsdeJanine.Victimeduneabjectecopulationentremonaetmonsurmoi.Certainsmystressersolventdeux-mmes mais dautres se refusent cder, quelques formules restent toujours aussiopaques et me mettent dans des tats de rage impuissante. Jai russi en isoler unetrentaine comme autant dnigmes dun impitoyable sphinx. Certainesme donnent parfoisenviedehurler.

    MonpauvremonsieurVernier,avasejoueraufinish,maisjaidjgagnellesdeux,ctaitLeDjeunersurlherbeetLaChienneandalouse. Jimagine bien Bertrand,majestueux et dodu, avec une petite bulle de verre sur le

    ventre!Quelacteur!Ilfautfairegrossirletrucdeviedesixfoissonvolume,cestalesecretEt bien dautres dlires inexplicables. Je ne connais ni les noms ni aucune situation,

    rien,ettoutaprovoquelemanque,obsdant,lebesoindesavoir.Toutcoup,lasonneriedutlphone me ramne dans le prsent. En maudissant dj celui qui vient troubler cetteintimitavecmoi-mme,jedcroche.

    Commenttuassu?Jrmy?Commenttuassu,bordel!Quoi?LerachatdelaFinoilparlA.C.GroupnomdeDieu!?Uncataclysme!Unrazdemare!Quitavaitdonnletuyau?Jenesaispas. Tu te fous dema gueule ? Si javais pu croire une seconde que ctait possible, je

    seraismilliardairelheurequilest.JeneconnaislaFinoilnidvenidAdam.Cestsigros?Gros?Cestplusunholding, cest laBourseelle toute seule.Avecdes tentacules

    dans tous les secteurs, lagro-alimentaire, linformatique, tout, des filiales ne plus savoirquenfaire.LaComecoetlaSoparep,cesteux,laN.W.D.aussi,etla

    La National Ware Distribution ! Jy vais tous les quinze jours pour moccuper de lamaintenancedequatre-vingtsphotocopieurs.Cestsrementlojaidimprimerundtailmoninsu,untoutpetitdtailquemaraisona laissdectmaisque labotenoiresestbienchargedarchiver.Jrmynemecroitpasquandjeluidisquejenensaispasplus.

  • quoibonluiexpliquerlhistoiredubloc-notes,delapsychanalysedeJanineetdugrandcneblanc. Il me prendrait pour un dingue. Ce que je suis, sans doute. Jai demand moncollgue Pierrot de fouiller dans les fiches de service pour savoir quand remonte madernire intervention la National Ware Distribution. En juillet dernier, jai rpar sixphotocopieurs,dontceluideladirectiongnrale.Lattedelasecrtairemestviterevenueenmmoire,unebruneauregardcoquinquiselamentaitparcequesonphotocopieuretsamachinecaftaienttombsenrideaulemmejour.Enouvrantlabcane, jaidtectlapanne la plus courante et lai rpare en dixminutes. Comme je le fais chaque fois quundocumentrestecoincdanslappareil,jaijetunilsurlafeuilleavantdelabalancerdansune corbeille. Cest sans doute par cette lettre confidentielle que jai appris le rachat de laFinoil.Unesimplephrasequiseseraitvaporedansmoncerveaubrumeuxsilabotenoirenelavaitpasgarde.

    Mais pour cette pitre victoire surmammoire, je connaismille dfaites accablantesquimerongentunpeuplustouslesjours.Cequimerestederaisonmexhortetoutlaissertomber,maislautre, lapartieimmerge, insistepourrapparatreJeveuxsavoirquiestLaChienne andalouse, et cemonsieur Vernier qui intervient sept fois dans les quarante-huitfeuillets.Jeveuxsavoircequest le trucdevieetcomment le fairegrossir.Et tout lereste,toutcefatrasabsurde,maistellementchargdesens.

    Jeveuxtoutsavoir.Tout.

    *Jenotedsormaismesrvessurunpetitcalepin,raisondesixseptfoisparnuit.Il

    nyapasdheurepourlesdrogus.Hlas,lamoissondumatinasouventunairdedj-vu.Silesrvessontdesmanationsde linconscient, ilssontencombrsduntasdepetitsdtailsquotidienssanslamoindreimportance,etletoutdonneuneforteimpressiondegratuit.Ilfautpourtantquejetrouveunmoyensretdirectdentrernouveauencontactaveclabotenoire.

    Jai reluLesPortesde laperception dAldousHuxley.Ce type-ldevait tre accro labotenoire, tout commemoi. Il vamme jusquprconiser lusagede substancesbizarrespour les ouvrir, ces fameuses portes. Nayant pas lhabitude de consommer ce genre dedenres, jai demand Pierrot (qui senferme rgulirement dans les toilettes de notreatelierpour fumerunptard)deme trouver tout cequi est disponible sur lemarchpourperceruntunnelversmonmoileplussecret.Lebilandeloprationatparticulirementdcevant.Lesdiversjointsmontcrasdanslecanapdusalon,desheuresdurant,avecladsagrable impression davoir un trente-cinq tonnes pos sur chaque genou. Les rails decoke ( pure 80 % daprs Pierrot) ont provoqu chez moi une irrpressible fureurmnagre, jai pass laspirateur et briqu largenterie quatre heures du matin tout enchafaudant une thorie qui rfutait en blocNewton et Copernic. Lopiumnema procurstrictementaucuneffet,larelecturedeTintinetlelotusbleuauraittbienplusefficace.JaiterminenbeautenavalantcettedosedeL.S.D.quima fait fairenimportequoidurantune quinzaine dheures, comme affronter une lgion romaine en 3D ou faire le dcompteexactdunombredemolculesdhydrognedansmonbain.JenenveuxpasPierrot,jenenveuxpas Huxley, je saisque jepoursuisunebaleineblanchequidrive au creuxdemesentrailles.

  • *MonsieurAubier,sivousvoulezbienmesuivre.Enentrantdans le cabinetde lhypnotiseur, jepensais trouver touteunebimbeloterie

    defteforaineetnyaivuquunlargefauteuiloilmademanddemasseoir.laquestionquepuis-jefairepourvous?jenaipassuquoirpondre.Jenaipuqueluifournirunelonguelistedenomspropresetdephrasessansqueuenitteenluidemandantdelespasseren revue pendant la sance avec le secret espoir que lun dentre eux me ferait ragir.Vaguementdconcertpar la listeenquestion, ilmaexpliqude faonrationnelle toute larigueurscientifiquedesontravailmaisjenairienvoulusavoir.

    Onpeut tenter lexprience,mais ce que vous demandez est impossible.Avez-vousessaylapsychanalyse?Jepeuxvousdonnerdesadresses.

    Lapsychanalyse?Vousnemecroirezsansdoutepassi jevousdisque jesaisdjtout sur mon pre, ma mre, mes scnes primitives et ma libido. Et a na rien de trsfolichon.Jeveux savoirqui sontmonsieurVernier et les autres.Vous croyezque jai vingtansdevantmoipourlesfaireresurgirunun?

    Lequartdheurequia suivi resterapourmoiunmomentpaisibleet agrable, demiendormidanscegrandfauteuil.Jaipufairelevidependantdelonguesminutesetamafaitdubien.

    Dsol,monsieurAubier,voustesunsujetpluttrceptifmaiscequevousappelezlabotenoirearefusdesouvrir.Siunjour,vousyparvenez,faites-le-moisavoir.

    Pendant quil me raccompagnait la porte, jai sorti machinalement mon paquet deGitanesetquelquechosedtrangesestpassaumomentmmeojaiportunecigarettemeslvres.Commeunlgerhaut-le-cur.

    Undtail,monsieurAubier.Dsquevousavezouvertlabouche,amafaitpenserun cendrier deP.M.U.Pendant votre tat dhypnose, jen ai profit pour en toucherdeuxmotsvotrebotenoire.Vousneserezpasvenupourrien.

    *

    forcedemechercher,jesuisdevenuunautre.Unesortedeflicdelme,oupire,un

    dtectiveprivquinirajamaisauboutdesonenqute.Messouvenirsnesontquechimresetmonaveniruncauchemar.Parfois jemerveille terroris,une imagedans lesyeux:mabotenoireattaqueauburinjusqucequellecde.Ellesaigneetsecabossemaisriennensort. Je navais pas mrit a, ma pauvre Janine. Aprs tout, je ntais quun simplerparateur de photocopieurs. Je dis tais parce que jai perdumon job.MmePierrot sestlass demes questions absurdes (je tai dj parl dune chienne andalouse ? Tu connaisBertrand?Ilporteunepetitebulledeverresurleventre)Monpremeregardecommeundtraqu.Pire,untrangerquiparleunelangueinconnue(ItchiMitchiBo,jenedisaispasaquandjtaispetit?).JecrveraisansdoutesanssavoirquiestmonsieurVernier.Dommage.Jecommenaisbienlaimer.Javaisfaitunepetiteplacepourlelogerdansmatte.Ctaitpeut-trequelquundimportant,quisaurajamais?

    CematinjaireuunlettreduconcoursLpinequiminformequejaigagnlepremierprix.Onme leremettrademain,pour louverturede laFoiredeParis.Silssavaientquelpoint tout a est drisoire. La seule invention providentielle serait une sorte de pincecrocodile qui relierait la bote noire un moniteur quinze pouces. Un jour, peut-tre, jemettraiaupointleprototype.Jaitouteuneviepoura

  • *

    Jy suis all commeonva chez ledentiste, en tranant lapatte, sansaucunespoirdy

    passerunbonmoment.Cohue,badauds,stands,discours,javaisattenducetinstantdesmoisentiers,maisaujourdhuitoutcelanestquebruitsansfureuretvaguedcorum.Jesuisloindetouta.Jaiungrandcneblancdanslatte.

    LepremierprixestdcernM.LaurentAubierpoursonphotocopieurPolaroid!Applaudissements.Lafumemincommode.Lebruitplusencore.Pierrotmriteraitce

    prixautantquemoi,nouslavonsbricoldansnotreateliernosmomentsperdus.forcedephotocopier toutes les parties de notre corps comme lont fait tous les bureaucrates dumonde,lidemtaitvenuedecombinerlamachineavecunbotierdepelliculeinstantane.Un simple gadget que javais russi optimiser en amliorant la qualit du clich et saduplicationlinfini.Lesapplicationssontinsouponnablesetvontdudessinindustriellabureautique en passant par le marketing, et mme lart contemporain. Cest Pierrot quimavait pouss le prsenter au concours. Tout ce cirque me fatigue, dsormais. On meremetleprix,onmetapesurlpauleetonfaitsigneaupublicdefairesilence.

    UnprixdhonneurseradcerntitreposthumeauregrettAlainVernier,mortilyaquelquesmoisdansunaccidentdevoiture.Vouspouvezlapplaudir.

    Alainqui?M.Vernier,poursuit-il, taitunhabituduconcours.Pendantdesannes ilnousa

    propos ses inventions qui dsormais font partie de votre quotidien. Jamais, pourtant, ilnavaitobtenulepremierprix.Rendons-luihommagecesoir!

    Lesjambescotonneuses,jemassoissurlerebordduneenceinte.Lepublicsedispersedanslesalles.Jattrapelanimateurparlebras.

    Ilsestpasso,cetaccident?DanslesPyrnes,enoctobredernier.Personnenasucequilfaisaitl,M.Vernier

    taitassureuretquittaitrarementlargiondeLimoges.Si.Moijesaiscequilfaisaitl.

    *Jtaisuneproie,cesoir-l,surlaroutedesGoules.Noussavionsquenoustions lesdeuxderniers finalistes.Jenyavaisattachaucune

    importance,maisluinavaitpensqua.Illevoulait,cepremierprix,M.Vernier.Aprstantdannes,cotequecote.Si,cesoir-l, ilavaitrussimebalancerdans le foss, tout lemondeauraitcruun

    accident.Etmmemoi,siJaninenemavaitdonnlabotenoire.Onnelouvrequencasdaccident,aprstout.

  • LAVOLIRE

    Jevivais Budapestquandmononclemaappel son chevet. Jenemedoutaispasquilvoulaitmourirdansmesbras.Enlevoyantseredressersursonlitettendrelamainversmoi,jaicomprisquejenavaispasfaitlevoyagepourrien.Linfirmirenousalaisssseuls,auplusmauvaismoment,maiselleavait lemtierpourelle.afaitbizarredesentirquonestunefamillesoitoutseul.Javaisbeautreassisl,surcesdrapsbleus,moncuretmespenses restaient en apesanteur, quelque part entre Buda et Pest, entre une chambremeubleetunesalledeclasse.Pourtant,jelavaistoujoursbienaim,lebonhomme,cepourquoijemeretrouvaisl,unemainptriedanslasienne,lheureoonaimeraittantquellevousguideendouceur,quelquepartparl-bas.

    Ilmavait toujoursparlcommeunadulte,et ilnyapasdedsirdegosseplus fortque celui-l. Je me souviens mme de ce jour o je suis tomb malade et refusais quequiconqueentredansmachambre.Sauflui.Javaishurldedouleur,javaisditquelpointtout a tait injuste et que ce monde pourri ne mritait pas quon le subisse. Il mavaitrpondu que je finirais bien par en trouver une autre, plus jolie encore, et que celle-lmriteraitquonlaccompagneunevieentire.

    Jaipaspeur,tusais,meditlevieux.Biensrquejesais,tunemaspasapprisa. Tu te souviens quand jattrapais des scorpions derrire les vignes, et que je les

    encerclaisdansuneboucle,etquejymettaislefeu?Commesictaithier.Ehbien,cestseulementmaintenantquejeregrettedavoirfaita.L, jenousairevusaccroupisdans la terre, lesyeuxrivssurunedecespetitesbtes

    prise de folie en se voyant prisonnire des flammes. a ne manquait jamais, elle faisaitrebiquersondardverselle-mmeetsedonnait lamort.Ctaitbeau,ctaithorrible,ameposaittantdequestionsquivenaientdesiloin.

    Toutcoup,ilaretenusonsouffleavantdedire:Jeveuxtreenterrprsdelavolire.Etsajoueacaressloreillercommeunflocondeneigefinitsachute.Dis,tonton?Tesmort?Cestbienaquejedoiscomprendre?Onenavumourir,des

    choses,quandonsepromenaitdanslalande,toietmoi.Desmouchesenhiver,deschatstropcurieux, des arbresmal aims. Cest a qui tarrive, h le vieux ? Tume demandais : Lenotaireet lecurentrentcheztonvoisin,quest-cequisepassechezlevoisin?Levoisinmeurt.

    Aujourdhuicesttontour,etilnyaninotairenicur,tunasjamaisrienpossdettunasjamaiscruenDieu.Ilnerestequemoi.

    Jenesaispasotuesdsormais,jenesuispascurieuxdelesavoir.Jaienviedetedirequonfinirabienparseretrouver,maisjenycroisqumoiti.Tunemenvoudraspassijelaisselesgensdumtiertenterrersansmoi?Jauraislairdequoi,toutseuldansuncortge

  • funraire, sans personne avec qui comparer nos douleurs ? Jai toujours trouv dommagedorganiserunecrmoniedontleseulintressseraabsent.Jesaisdsormaisquelessoirsoilmarriveradedouterdelhumanittoutentire,jetimaginerai,tenduquelquepart,entraindervertouslessecretsquilnousrestepartager.

    tenduquelquepart.Quelquepartmaiso?Je suis sr et certain quil a dit Je veux tre enterr prs de la volire . Pas une

    voliremaislavolire!Quest-cequecestquecettevolire,nomdeDieu!?EtilnapasditJaimeraisbienouJauraistantaim,non,JEVEUXtreenterrprsdelavolire.Onnedemanderait pasmieux que de tenterrer prs dune volire, tonton,mais tu aurais pumefaciliterlatche!Linfirmirerevient,mefaitsescondolances,meditdeschosesdfinitivessurlavieetlamort,etjacquiescebtementpendantquedansmattetournoieunouragandevolires.

    Dites-moi,madame, ilny auraitpasdans le coinunpigeonnierouun trucdans legenre,prsduncimetire?

    Linfirmire,habitueauxcontrecoupsmotionnelslannoncedundcs,meregardedunairbizarre.Jinsiste:

    Vousnavezjamaisentenduparlerduncimetiredelavolire? Demandez aux gens des pompes funbres, ils ont toujours plein de rponses aux

    questionslesplusdlicates.Jusqu ce quelle dise a, jtais persuad davoir fait le plus dur en venant jusquici

    mais,sanssavoirpourquoi,jemesuisditquepourassurerlternitunmourantilnesuffitpasdeluitenirlamainpendantunquartdheure.JepourraisprendrelevoldedemainmatinpourBudapest,meslvesmattendrontsansdouteunjourdeplus,letempsdetirerauclaircettehistoireabsurde,justepourmviterlesremordsquejesensdjpoindre.JeveuxtreenterrprsdelavolireEtmerde!Ilauraitpudiredeschosesplussimples,plusbanales,destrucscommeRosebudouNoubliejamais,monpetit,queseulleromantismeestabsolu,maispourquoifaut-ilquuntypequiajouauball-trapavectoutcequiadesplumesveuilletreenterrprsdunevolire?

    Nous, sortis du cimetiremunicipal Y a bien un columbarium au Pre-Lachaise,maiscestuniquementpourceuxquiveulentsefaireincinrer.

    Iladitclairementquilvoulaittreenterr. Cest vous qui voyez.Mais dici trois jours, on va bien tre forcs de lemettre en

    bire.Troisjours?Engnral,ceschoses-isedcidentbienavant lheure fatidique.Aprs trois jours,

    onseraobligsdesuivrelaprocdurehabituelle.

    *Troisjours.Cesttoutcequejaipuobtenirdudirecteurdemonlyce,voyagecompris.

    Trois jours pour trouver une volire o faire reposer le tonton. Il parat que les derniresvolontsdunmortsontsacres.Jaiessaydecompterlenombredheuresquelevieuxavaitpassesmescts,patientetattentifaupetitbonhommequejedevenais,etjailargementfranchilabarredessoixante-douze.Noustionslundimatin,etsijenavaispasmislamainsurunevoliredicijeudi,tontonseretourneraitdanssatombepourlessiclesvenirsanstrouverlerepos.

  • Lelendemain,jesuisalldanslepetitmeublducentre-villeoilavaittoujoursvcu.Lendroitnavaitpaschangdepuisquaranteans,jyairetrouvtousmespetitsbonheursdujeudi, laptisserieo jemempiffraisavec luidechosesnormes, lecinmao lonpassaitdesfilmspourlesgrands,lecafojeleregardaisjoueraubillard.Savoisinedepalier,uneternelleclibataire,vivaittoujoursl.Aveclesannes,ellenestaittoujourspasdcidedevenirunevieillefille.

    MaiscestJeannot?amefaitdrleRemarque,bienteregarderonretrouvelespetitsyeuxespiglesdetononcleQuandtutepromenaisavecleLouis,onsavaitjamaisquitaitleplusvoyoudesdeux.

    Il ne vous a jamais parl dune volire ? Un endroit o il aurait voulu finir sesjours?

    Jai bien t oblig daccepter son infusion ae romarin, soi-disant que a laidait rflchir. Au bout de deux tasses, elle a sorti une goutte de fine pour passer la vitessesuprieure.

    Ton oncle tait un srieux zigoto. On pouvait sinsulter un jour entier comme deschiffonniers travers la cloison, le soir il venait partager un Fernet-Branca, et on parlait,jamaisdenous,maisdumondeentier etde cequildevenait.Pour tedire, le21 juillet69,deuxheuresdumatin,ontaittouslesdeuxdevantlatl,icimme,lendroitotesassis,pourregarderlAmricainquiamarchsurlaLune.

    Etmavolire?Eh benCette histoire de volireme dit quelque chose. a se passait le vendredi.

    Incapabledetedirequoi,maisctait tous lesvendredis,pendantbiendixans.Je luidisaisVousvenezvoirlewesterncesoir,msieurLouis?.EtilrpondaitVoussavezbienquelevendredicestlejourdelavolire.Ildevaittrecolombophileouuntruccommea,yadesamateurs,adevaitsenvoyerdesmessagesdanslespattesdespigeons,allezsavoir.Tousles vendredis dix-huit heures ptantes, son copain Ferr, le garagiste du quartier de laBornetutesouviens?

    Jamaisentenduparler. Eh ben, le Ferr venait le chercher pour aller cette satane volire. Ton oncle

    revenait tard dans la nuit, et puis plus rien jusquau vendredi suivant. Cest tout ce que jepeuxtedire,mongars.

    Des messages dans les pattes des pigeons Mme si le tonton avait des passionsbizarres,cettesoudaineaffectionpourdestrucsemplumsparaissaitsuspecte.Maislapisteavaitlairdesuivresoncours.Lesoirmme,jaiaboutidansunesupretteduquartierdelaBorneojadissetenaitlegaragedEtienneFerr,vnrablevieillardquihabitaitdsormaisdansunecitdortoirtroisencabluresdel.Deuxheuresplustard,javaistrouvlabonneportedubonescalier.Unemarmailletonitruantemaouvert.

    Tuvienspourlanniversairedeppetmm?Danslesalon,unevingtainedindividusdetousgesentouraientungteaugigantesque

    otrnaitlechiffrecinquante.tienneetJosetteFerrftaientleursnocesdor.Jaieubeaujurerquejepassaislparhasard,personnenavoulumecroire.QuandjemesuisprsentcommeleneveuduLouis,tiennemesttombdanslesbras.Ilaretenuseslarmesquandjeluiaiannoncquesonpotedetoujoursavaitpasslarmegauche.

    Tucroisquilauraitprvenuquilsesentaitpasbien?CesttoutLouis,a.Fautdirequecesderniresannesonsevoyaitplusbeaucoup.CMlenterrequand?

    Quand,jepeuxvousledire,cestjeudimatin,maisleproblmecesto.Un gossema servi doffice une part de fraisier.On tait encore loin de la saison des

  • fraises.Dansunderniersoupirilainsistpourquonlenterreprsdunevolire.Daprsce

    quejaicompris,mononcleetvousfrquentiezunclubdecolombophilestouslesvendredissoir.Sivouspouviezmclairerunpeul-dessus.

    Je ne sais pas ce qui sest passmais, juste aprs avoir dit a, il y a eu une sorte desilenceunpeucraquant,commeunecordedependuquisedtend justeaprs le lynchage.tienneablanchiduncoupetsacanoniquepouselaregardavecunelueurdedoute.

    Disdonc,tienneLevendredi,ctaitpaslesoirotutapaislabelotechezLouis?Turevenaismmedesheurespaspossibles,etdansdestats!

    Jesuisvieuxetjaiplusmatte,mafaittienne.Jesuisdsolpourtononcle,maisce soir mon couple a atteint lge dor et je te souhaite de vivre a un jour. Sur ce, je teraccompagne,cestquandmmeuneftedefamille.

    Etcestcequilafait,levieuxFerr.Endeuxsecondesilmepoussaitsurlepalieravecunenergieinsouponnepoursonge.Avantdemeclaquerlaporteaunez,iladit:

    Cinquanteansdeboulotquotidienpourenarriverlettuviensfoutrelamerdejusteaujourdhuiavectavolire!Remuelepasstantquetuveuxmaispaslemien!LavolireLavolireVavoirductde lHteldesTilleuls,Granville,maisnerepassesurtoutpaspourmedirecequilestdevenu.

    Iltaitonzeheuresdusoir.PlusaucuncarnepartaitpourGranville.Fautedetrouverlesommeildansmachambredhtel,jairveillleveilleurdenuitquijaiparlduDanubejusquaupetitmatin.

    *

    Vu de lextrieur, lHtel des Tilleuls avait ce cachet modeste qui ninspire que les

    vagabondsetlestouristesensacdos.Maisdsquonpassaitleseuil,onseretrouvaitdansunpetitpalacelaisslabandonmalgrsesheuresdegloire.Desboiseries,duveloursrouge,unescalierdoublervolutionsoutenupardesatlantes,bref,unvraidcordecinma.Onmademandsijevoulaisunechambre.Malgrunecertainefatigue,jaieulecouragededirenon.Le jeuneconciergenapu rpondreaucunedemesquestions, lendroitavait changtroisfoisdepropritairesentrenteansavantdtrereprisparuntrusthtelier.Legrantmaditpeuprslammechoseetpersonnedanstoutlepersonnelnapumefaireavancerdunpouce.forcedinsister,jaibienvuquejecommenaisfatiguertoutlemonde.Jaipassuncoupdefilautypedespompesfunbresquisapprtaitclouerlecercueildetonton.Pourmelaisserletempsdedcider,jaiprisunechambrelHteldesTilleuls.Laprs-midi,jaitrandanslecoinenposantdautresquestionssansrponses, jusqucequuncantonniermemontrelecimetire,unpetitcarrdiscretborddarbres,unjetdepierredelhtel.Jaitrouvtrangeque,dansunegentillevillecommecelle-l,ilyaitunhtelaussichicpouruncimetireaussidsuet.

    La tte vide, sur les coupsde vingt-troisheures, devant la tldema chambre, jemesuisaffaldans lapositiontypiquedeceluiquivientdepasser lamain.Jairepensmononclequi,sanstrefierdemoi,devaitsansdoute,del-haut,rendrehommagemabonnevolont.Cestlquonatoqumaporte.Unjeunehommeavecunettedeconspirateur.

    Je travaille ici, lconomat.Cestma grand-mrequi tenait lhtel il y a quaranteans.EllesesouvientdevotreoncleLouis.

    Je lai suivi dans la nuit noire et nous nous sommes retrouvs dans un pavillon lasortiedelaville.

  • Cestgentildefaireapourmoi,riennevousyobligeait. Faut respecter la mmoire des vieux. Grand-mre, il ny a plus personne pour

    lcouter,cestcommeunehontepourtoutelaville.Jaimebiencequevousfaitespourvotreoncle.

    La grand-mre navait pas dge, elle vivait dans quelques mtres carrs o elleparvenaitcasertoutlebric--bracdesessouvenirs.

    LouisMagnavalettienneFerrlpoquejauraispluttmissur lepremier,etcestlautrequiestrest.

    Lavolire,avousditquelquechose?Ellealaisschapperunpetitrirequigrinaitcommeunevieilletable.Quest-cequonvousapprenddelavie,denosjours?Unevolire,tusaispasceque

    cest?Tononcletapasapprisa?Uncland,unetaule?Non?Unclaque,unboxon?Unemaisonclose?Ctaitcommeaquelesbravesgensdisaient.Lesparentsdeceuxquimemontrent

    dudoigtaujourdhui.Les ingrats !Ondevraitmedonner lamdailleduMrite.Mais,pourcomprendrea,faudraitremonterlpoque.Tiens,regarde

    Elleaposdevantmoiunevieillecaissechampagnerempliedephotosspia.Surlunedelles on la voyait entoure de ses filles, sur une autre un couple dansait prs dungramophone,surtoutessemblaitrgnerunefranchebonnehumeur.

    AttendsquejeretrouvelabonneElleafourragunmomentdansletaset,triomphante,menamisunesouslesyeux.Tonton ! Un sourire bat, une guitare entre lesmains et un beau brin de fille qui le

    tenait par les paules. Jai repens tous ces vendredis qui suivaient de prsmes jeudisPersonne chez moi ne pouvait se douter, sinon on maurait interdit de le frquenter, onmauraitditquectaitunmonstre,etaujourdhuijeseraisunautre.Nimeilleurnipire,maisunautre.

    LeFerr,ctait leclientbanal, le tout-venant,unpassionn lapetitesemaine,onarrive avec une envie folle de faire la fte et on repart avec la honte aux yeux. Ton onclectaitdiffrent.Ilvenaitenamoureux.

    Pardon?Tuvoislafillequiilchanteuneaubade?Ctaitlamourdesavie.Ah,cesdeux-l

    Fallaitvoiraajamaisroucoulautantdansunevolire!Illaregardaitcommeuncrapaudmortdamour,ellesefaisaitunsangdencrequandilarrivaitenretard.aadurdixans.Etcestchezmoiquilssesonttrouvs,onchoisitpas.

    Ellesemblaitdireaavecunebonnedosedefiert.Ilauraitpulpouser,lemmeneraveclui,jenesaispasTelquejeconnaissaismon

    oncle,ctaitlegenredechosesdontilauraittcapable.CestdifficilededireaaujourdhuiCtaitcommeuncontratentreeuxetpersonne

    navaitriendire.Lespactesentreamoureux,yenapasdeuxquiseressemblent.Quest-cequelleestdevenue?Unbeaumatinelleestpartiesansriendire,personnenasupourquoi.Lesannes

    ontpass.Etilyatroisanspeine,elleestrevenuesefaireenterrerici.Tusaiscequilterestefaire.

    *Je lai reconnue tout de suite. Sur sa tombe, on avait plac un mdaillon avec son

  • portrait.Unbeauvisagedejeunefemmequisouriait.nenpasdouter,ctaitmononcleLouis. Personne na fait de difficult pour les faire reposer cte cte. Les pactes entreamoureux,yenapasdeuxpareils.

    EtjesuisrentrBudapestaveclirremplaablebonheurdudevoiraccompli.Danslesmoisqui se sont couls, jai failli cent fois raconter lhistoiredemononcleLouis,mais ilaurait fallu commencer par le dbut, depuis la premire fois o il a pos les yeux surmoijusquaumomentojaifermlessiens,etjeneconnaispersonnedotdunetellepatience.

    DansunbardeSzeged,aumomento jemyattendais lemoins, jai rencontrAnna.Jai toutdesuite reconnuenellecellequimritaitquon laccompagneunevieentirecomme disait tonton pour consoler le jeune adolescent qui lchait ses premires plaiesdamour.Jemesuispromisdenelaquitterquunseuljourparan.laToussaint.

    Fairelalleretretourpourunpotdechrysanthmes?Tontonnendemandaitpastant.Jesuisrestunbonmomentdevantsatombe,leregardperduentrelHteldesTilleulsquonapercevaitau loin,et la lgreeffervescencedescimetires le1ernovembre.Cest lquunefemmedpeuprsmongeestvenueserecueillirsurlatombequijouxtaitcelleduLouis.

    Sans faire attention moi, elle a pos son bouquet de fleurs, jet lancien, et donnquelquescoupsdebalayettepourrectifier lesanglesdeterre.Jaieuunpetitpincementaucurquandjaireconnuquelquechosedefamilierdanssonvisage.Srementlespetitsyeuxespiglesdontparlaitlavoisinedetonton.

    Vousntespasducoin,jaidit.Non,jhabiteParis.Jenaijamaissupourquoimamanavoulutreenterreici.JemappelleJean.JemappelleLouise.Jaiunehistoirevousraconter,Louise.Etvousaumoins,jesuissrquevousaurez

    lapatiencedelcouter.

  • UNTEMPSDEBLUES

    Tremp comme une soupe. Pas la petite onde quimouille sans le faire exprs, non.Linstantesttropical.Unetemptequivientdesiloinquelledracinelespassantsetinondelestrottoirs.Jesaisquellemestdestine,lavienemelaissejamaisenpaix.Lesgensautourdemoiouvrentdesparapluies, trouventdesporchesetdesencoignuresdecaf.Lenseigneteintedunbarmattiretrangementsurletrottoirdenface.Jepensaisbienconnatrecetterue par cur. La pluie ne sert qu faire draper de sa trajectoire habituelle. Je vaismaccorder un petit quart dheure, rien qu moi, avant que le monde ne se remette enmarche.

    Du vieux bois, des bouteilles ambres, du silence. Mon imper qui ruisselle sur leperroquetdelentre.Unlongcomptoirojesuisseul.Untabouret.Uncouple,auloin,quiboitdelabireenparlantvoixbasse.Unserveurimpassibleetlent.

    Vraitempsdechien,hein?Jevoudraisunbourbon,sansglaceUnjuke-box,dansuncoin.aexistedoncencore.amarcheavecdespices?Peut-tre

    montre-t-il des images, comme les scopitones dan-tan. Apparemment non. Hasard ouconnivence, le serveur slectionne unmorceau et me regarde. Je crains que ses gots neviennent troubler mon quart dheure de solitude. Javale une gorge de bourbon qui merchauffelacarcasseplusvitequetoutlereste.

    Pregher!PertechehailanottenetcuoreStandbymechantparCelentano.anevapasmerajeunirmaislepireestvit.Jai

    toujours aim la voix de Celentano, mme quand il se risquait reprendre un standardamricain.Lamlodiemefaitfaireunbondenarrire,lpoqueolgedhommetardaitvenir.

    Ctaitilyaplusdevingtans.Ilsallaientvoircequilsallaientvoir,tous.Quelquechoseallait bien finir par arriver. Jtais un type exceptionnel. Je le savais. Javais russi enconvaincrecertains.Ilnemerestaitplusquattendrequeavienne.StandbymeOhoooStand by me Ctait langoureux, un poil ridicule, mais on aimait a. En attendant lesgrandesheuresdenotrevie,onchantait.Desheuresquitardaientvenir,maisonavaittoutle temps.Malheur celui qui doute, il est dj en train de flchir ! Honte celui qui sesoumet!Onallaitluienfairebaver,aurestedumonde.Jtaispluttbeaugosseetlesfillesmcoutaientprorer.Plage,rvolutionetsoutien-gorge.StandbymeOhoooStandbymeLes grandes heures tardaient venir. Et lentement, sans que je men aperoive, jaicommencdireouitout.

    Le couple, l-bas, se regarde sans mot dire. Amoureux. Celentano les inspire, cesmalheureux.

    Jai dit oui tout, mme au temps qui passe. la longue, mme lui vous faitcomprendrequilpeuttrsbiensepasserdevous.Jaiditouisanstroplefaireentendre.Despetits oui, une longue srie de petits oui qui mont conduit jusque dans ce bar minable.

  • Commentai-jefaitpouroublierdestrescherssurlauteldusacrifice?StandbymeOhoooStandbymePourquoiai-jeditouicellequilevoulaitbienplusquemoi?Pourquoiai-jevouluquemesenfantsmeressemblent?Aujourdhui,jenesaisplusquoiilsressemblent.Ilsnemevoientplus.Ilsontlecouragequejenaipaseuaummege.Pourquoiest-cequejeme force trouvermescollguesaimables?Pourquoiai-je laisscettemaladie imbcilesinstallerdansmonpauvreestomac?StandbymeDela jrmiade,niplusnimoins.Enitalien, cest encore pire quen anglais. Pregher per te Personne na pri pourmoi,personnene prie jamais pour personne, pourquoi les chansonsnous feraient-elles croire desmensonges?

    Lapluienecessepasmaislemorceausi.Iltaittemps.Jesuisaussiminablequecebar.Je demande un autre verre. Dans cinqminutes, que je le veuille ou non, je serai dehors.Javaisdroitunquartdheure,pasplus.Etcecrtindeserveurmenavollamoiti,avecson juke-box.Et levoilquiremeta.Luiaussimenveut. Iladciddemechasser.Allezsavoirpourquoi.Quest-cequilatrouvpourmemettredehors?Unevaritsansme?UnconcertodeBrahms?Unechansonraliste?Toutestpossible,ici.

    IwokeupthismorningUn blues ? a y ressemble. Des strings de guitare, rpeux et mtalliques. Encore

    lhistoire dun type qui il est arriv plein demmerdements depuis le rveil. Pourquoipersistent-ils vouloir sortir du lit, tous ? quoi bon sentter ? a ne risque pas desarranger.Etchaquematinserapluspniblequelaveille.Jelesais.Jelesens.Lapremiremoititaitdjlassante,cellequimeresteparcourirvamedemanderuncouragequejenai jamais eu. La voix de ce type est chaude et dense,malgr tout. Ilme fait penser unvieuxsageindiennostalgiquedelagrandenationquilguidait.Legotdubourbonnenestquemeilleur,sansdouteunehistoirederacines,deterroir.Cestlavodkadutzigane.IwokeupthismorningQuandjemesuislevcematin,jenepensaispasquilpleuvraitautant.

    Jemesouviensdelpoqueojesavaisarrterlapluie.Commeunsorciersioux,maislenvers. Les gens ne me croyaient pas et, pourtant, ils finissaient par le reconnatre. Jaimme gagn des paris. On ne me croirait plus si je le racontais. Il suffisait que je meconcentreunpeu,seul,etlapluiecessaittoutcoup.Combiendefillesai-jepatesaveccetruc.Jenesaismmeplussilyavaituntruc.Jycroyaisfort,cesttout,etamarchait.Jairendulesoleiltoutunvillagequinycroyaitplus.Javaisoublia.

    Leserveurmeverseuntroisimeverresansquejeleluidemande.Cestceluidelamaison.Jeleremerciedunsourire.Lasecondemoitiseradure.Maispourquoinepaslafaire,

    aprstout?Pourquoisepriverdea?Etquisait.Jeconnaismieuxlamusique,dsormais.Jene serai jamaisunvirtuose,mais jepeuxme jouerquelques solos,pour leplaisir.Cestpeut-tre a quil faut comprendre. Apprendre la gamme, longtemps, patiemment, pourpouvoir en jouer,plus tard.Lebourbonmemmneailleurs, chez ce typequi fait la longuelistedesmisresdelajourne.IwokeupthismorningSilnestaitpas levcematin, ilnauraitpascritunesibellemusique.Ilnyapasquelesgensdous,encebasmonde.Ilyaaussi les laborieux, comme moi. Ceux qui nont pas fait grand-chose mais qui ont de lammoire.Etpeut-trequesiquesijemeconcentrais,l,uninstant,enfermantlesyeux

    Jevousparieunautrebourbonquelapluievacesserdansmoinsdedeuxminutes.Leserveurmeregarde,unsourireencoin.Vousplaisantez,lesgouttessontencoregrossescommedesverresdewhisky.Vouspariezoupas?Ilregardesamontreetmedonneletop.Lejukeboxsetait.Jailesyeuxcrisps,fort.

  • Quandjelesouvre,leserveur,unpanderideauenmain,regardedehors.Ilseretourneversmoi,berlu.

    Jemelveraidemain

  • TRANSFERT

    Dansuneviedecouple,ilyatoujoursunmatinolautrevousregardeavecunepetitelueur de doute au fond des yeux.De doute ou dautre chose. Et cet autre chose a quelquechosedhypnotisant.Pourlapremirefois,onperoituneinquitudechezceluioucellequi,jusqualors,partageaitavecvouscettedouceetroutinireinsouciance.Cequevousnesavezpasencore,cestquevoustescesujetdinquitude.

    Tuasbiendormi,Minou?MinoucestCatherine,lafemmedemavie,jelaipouseilyadouzeans.Elleseplaint

    depuislongtempsdavoirlesfessesquitombentetcherchemenpersuader,maisjenenoteaucune diffrence. Entre amis, elle a parfois limpression de ne pas tre la hauteur danscertainesconversations,etelleatort.Quandaluiprend,ellesedemandesinousavonsfaitlesbonschoixdevie,etjenenimaginepasdautres.CestpourtoutescesraisonsquejaimeCatherine.Jenaigurequuneseulechoseluireprocher:mescinqsecondesdavancesurelle.Cinqternellessecondes.

    Tuveuxcombiendetoasts,Minou?Unseul.Jeluienfaisgrillerdeux,parceque,cematin,nousavonsdelaconfituredairelles.Avec

    labricotoulorange,elleneprendeffectivementquunseultoast,maisaveclairelle,ellevase laisser tenter par un second, elle ne le sait pas encore,maismoi si. Les voil, les cinqsecondes davance. Je suis capable de terminer la plupart des phrases quelle commence.Dans un magasin, jarrive reprer lobjet qui va immanquablement attirer son regard.Quandnousfaisonslamour,jepeuxdterminerlasecondeexacteoellevavouloirchangerde position. Je sais quelle va utiliser ladjectif curieux chaque fois quelle gote au sorbetgingembre, etvolubile quand elle croise un bavard. Elle ne rencontre jamais personne deloquace,deprolixeoudeverbeux,maisquedesgensvolubiles.Jesaistoujoursquelsoutien-gorgeelleportesoussarobegrisperle.

    Jemeferaisbienunedeuximetartinedeconfiture,moi!Si je luiconseilleunfilmque jaivu, jenotesurunboutdepapier les troisouquatre

    argumentsquellevautiliserpourlencenserouledescendre.Jamaisjenaisortilepapierdemapochepourluiprouverquelpointellemestprvisible,jimaginetropbienlascnequisensuivraitetsamaniredemelefairepayer.Catherineestcommea.Toutletemps.Silonimagine,parexemple,lepetitdjeunerquenousprenonsencemomentmme,jesais,grceunlgercalculdeparamtres(samedimatin,beautemps,coupdefildesasurhiersoir),quelle va vouloirme reparler de cette semaine prvue dans les Landes, o sa sur nousinvitedepuisdesmois.Pourcefaire,ellevavouloirmappteravecunepartiedepche.

    Tusais,monamour,nosgesondevraitplusselaisseraller,prendreletempsdeseretrouver,soccuperdesoi.Toi,parexemple,tuenasvraimentbesoin,encemoment.

    Cestpasbtea,Minou.Quest-cequetusuggres?Unepsychothrapie.

  • ?Tupeuxrpter?Tudevraisfaireunepsychothrapie.Jecroisquecest lapremire foisendouzeansquelleprononcecemot.Ellevientde

    mefaireunsouriregravequejeneluiconnaissaispas.Ettumedisacommea,debutenblanc,aprsdouzeansdemariage,entredeux

    tartines?Jaiattendulongtempsavantdetenparlermais,cematin,lemomentestvenu.Quiestcettefemme,enrobedechambre,quimefaitface?a faitdesmoisquonne separlepratiquementplus, tu esmaussade, tunasplus

    gotrien,mmelesenfantsfinissentparlesentir,etaleurfaitpeur.Maussade?Pourquoina-t-ellepasutilismorose?Ilstenontparl?Touslesdeux.?Lorsquetuaseutonmalaise,lannedernire,onafaittouslesexamenspossibles,

    etDieumerci tunavais rien quunpeude surmenage.Nousnavonspas de gros soucis, moinsquetunemecachesquelquechose?

    Jeneluicacherien,etnaiaucunmallenconvaincre.Donctugardessurlecurdeschosessansmmetenrendrecompte.Ilfautquetu

    teconfiesquelquun.apeutsarrangerplusvitequonnelecroit.Est-cebienmaCatherinequiparle,cellequejeconnaismieuxquelle-mme?Cellequi

    posesatteendormiesurmonpaulelasecondeojteinsmalampedechevet?Cellequisecontorsionneensortantdevoiture,depeurquonnaperoivesescuisses?Cellequioubliesystmatiquementsesclssurlaboteauxlettresquandellereoitunavisderecommand?Est-ce bien la mme ? Si elle a dcid de me prendre contre-pied une bonne fois pourtoutes, si elle veut me prouver quelle est bien plus imprvisible que a, elle ne peut pasmieux trouver que cette histoire de psychothrapie.Moi, une psychothrapie ?O est-elleallechercheruneideaussisaugrenue?

    Disdonc,Minou,tunauraispasrevutacopineFranoise?Biensrquenon.TuasfeuilletLeNouvelObservateur,chezlesMoreau? Au lieu de raconter nimporte quoi, pense ce que je tai dit, tu peux trouver

    quelquundebiensituymetsdutien.Est-cebientoi,maCatherine?

    *TuastodieuxaveclesMoreau.Pasplusquedhabitude,Minou.Etnetefouspasdemoi,enplus!JelesaimaisbienavantquilsachtentcettebaraquedanslePerche.Ilsnenousont

    pasfaitunramdampareilquandilsonteuleurpremiergosse.DispluttquetutessentiremisenquestionquandJacquesaparldesonanalyse.Quoi?!Ilalecouragequetunaspas.Tunevaspasremettrea,non?Ilestdeuxheuresdumatin,jevaistournercomme

    undingueavantdetrouveruneplace,etjaienviedallermecoucher.

  • Ilsenestsorti,lui.Jeannemenaparl,danslacuisine.Ilnestplusdpressifpourunouioupourunnon.Ilaconsult,etaluiafaitunbienfou.

    Cestpaslemoment!Tuasvulamaniredonttumerponds?Tuntaispasaussiirritableavant.Chaque

    jourtuesunpeupluscran.Non,jesuiscranchaquefoisquetumeparlesdecettepsychothrapielacon.Parcequeaterenvoieunevidencequetupersistesnier. Si quelquun a besoin de consulter dans cette voiture, cest toi ! Fais-la, cette

    psychothrapie,sipourtoicestlacldubonheur!Normalement,aprsunephrasepareilleelledevraithausserlespaules,maisellenele

    faitpas.Voyonsleschosesautrement.Quandtuasmalauxdents,tuvaschezledentiste?Oui.Ehbien,situasdesangoissestuvaschezunpsy,cestexactementpareil,ilssontl

    poura.Cesontdesspcialistescommelesautres.Maisjenaipasdangoisses,nomdeDieu!!!Hausserletonsursafemmepourlapremirefoisendouzeans,cestlesignedune

    angoisse, faire lagueulematinetsoir,cest lesigneduneangoisse,trimballeruncomplexedchec cest le signeduneangoisse, lapeurdaller enparler unpsy, cest le signeduneangoisse,etjenaipleindautres.

    Uncomplexedchec?Nejamaisvouloirsebattre,etsurtoutpascontresoi-mme,considrerquelecombat

    estperdudavance,tuappellesacomment?Monte,Minou,jevaisgarerlavoituretoutseul.

    *Aujourdhui,aubureau,jaitprisdenostalgieenpensantMinou.LaMinoudhier,

    celle-quejattendaistouslescarrefoursdenotrevie,cellequitissaitnotrequotidienaveclapatience et le talent dune dentellire. Cette Catherine qui vit sous mon toit est un tresurprenant,sauvage,ellemebousculeetsedrobe,etilmestdevenuimpossibledanticipersesractions.Ilnyaquunseulsujetquejevoisvenirdeloin.Etencore,pastoujours.

    Dis,chri,tupenseslaftedelcole,samedi.Biensr.Ilfauttreldixheuresauplustard,cestlheureoJulienfaitsonsketchavecle

    petitClment.Unsketch,lepetitClment?Cestpassoncopainquibgaie?Ilnebgaieplusdepuisquesamrelaemmenvoirunpsychothrapeute.Entrois

    sancesctaitrgl.Pascesoir,Minoua fait desmois que adure, onnepeut pas continuer comme a ! Tu fais tout le

    tempslagueule,tunesjamaislmmequandtuesl,riennetintresse,tunemevoisplus,jai limpression dtre transparente, je ne tai jamais connu comme a. Tu veux que je tedise?Tufaisunedpression.Etlepire,cestquetulesais.

    Jemassois,prisdefaiblesse.Jenedevraispas,cestcommeavouerquellearaison.

  • Oui,unedpression,jesaisquecestunmotquitefoutlatrouillemaisilfautquetuladmettes,sinonanesarrangerajamais.Cestunemaladiecommeuneautre,asesoigne.Quelque chose te rendmalheureux, onva trouverquoi. Si tune veuxpas le fairepour toi,fais-lepournous.

    Ellemeposelamainsurlpaule.Jaienviedehurlermaislesenfantsdormentdanslapicect.

    Toutcequejeveux,cesttevoirheureux.

    *

    En quittant limmeuble, je jette un dernier coup dil la plaque :Franois RGENT.Psychiatre. Psychanalyste. Je ne sais mme plus comment jai eu son adresse. Mongnraliste, sans doute. Ou Jean-Luc, mon collgue. Peu importe. Catherine mattend,appuyecontrelecapotdelavoiture,ellejetteunecigarettedanslecaniveauquandellemevoitetsourit.

    asestpasscomment!?Dmarre.Jaiacceptcerendez-vousparcequilmeterrorisait.Raisonsuffisantepourvoircequil

    yavaitderrire.Ai-jedonctantdechosesqueamecacher?Jenaijamaiseupeurderien,avantaujourdhui.

    Alors,raconte!Le docteur Rgent ma fait asseoir dans un fauteuil en vis--vis du sien, et le quart

    dheurelepluspnibledemonexistenceacommenc.Tusavais,Minou,quilyavaitsoixantesecondesparminute??JelaiapprislcoleTu las appris,mais tu nen as aucune preuve tangible. Tunas jamais prouv ces

    soixantesecondes,tunyasjamaissurvcu.Etquarante-cinqfoissoixantesecondes,cestunpeuplusquelternit.

    Maisquest-cequisestpasspendantcetteternit,nomdenom!Dusilence.Uniquement.Etdes yeux.Fixes.Surmoi.Unpetit sourirede tempsen

    temps,onsedemandebienpourquoi.Etnouveaubeaucoupdesilence.Onnesaitpassionvaenressortirvivant.Plusjamaisjenoublieraiceregard-ldetoutemavie.

    Tumasdjditaduprcdent.Leprcdentvoulaitmevoirtouslesjourspendantunanoudeux.Ensuiteilaurait

    consentidescendretroissancesparsemaine.AutantallerdirectementSainte-Anne.Etletoutpremier?Letoutpremierctaitunefemme.Quest-cequeachange?Commentquest-ceque a change ?Tumevoisparlerdemavie intimeune

    femme?Luiracontermesfantasmes?Quest-cequilsontdespcial,tesfantasmes?Cestdestrucsdegarons,a.Quest-cequellepourraitbienycomprendre?Cestquoicesfantasmesdegaronsquonnepeutpasraconterunefemme?Cest

    inavouable ? Des choses que tu ne peux pas vivre avecmoi, cest a ? Je ne suis pas lahauteur?Maisvas-y,parle!

    *

  • Toutsurcrotdetravailestdsormaislebienvenu,jenerentrejamaislamaisonavant

    vingt-deuxheures.Lesamedi,lemoindreprtexteestbonpourlafuir.Ledimanche,jesuisprtaccepternimportequelleinvitationpourqueCatherineetmoinerestionspasenttette.Lesraresfoisoanousarrive,nousneparlonsplusquedea.Jevaisfinirparcroirequellearaison.Jesuisdunehumeurexcrable,jenaiplusgotrien,etquandjerentre,lesoir,jenaipasmmeunregardpourlesmiens.Lemotestterriblemaisjesuisbienforcdeladmettre:jefaisunedpression.MmeJean-Luc,moncollgue,senestaperu.

    Ilest tard, tudevraisrentrer, tedcapsulerunebireet tepasserun filmdesMarxBrothers.

    Pasenvie.Rentre chez toi, Catherine tattend, jiraimoi-mme chez larchitecte lui dposer le

    dossier.Nonjyvais.Avecunpeudechance,elledormiraquandjerentrerai.Est-cemafautesi jesuis terroris lidedeparlerdemoiun inconnu,quitteme

    rendreplusmalheureuxencore?Catherineveutque jeminterrogesur laviolenceduntelrefusetjenesaisplusquoipensernicommentfairepoursortirdecettespirale.Ondevraitformerdesspcialistesdelapeurdelanalyse.Desgensquivouscouteraient,bienveillants,desannessillefaut,pourunjourvouslibrerdecetteangoisse.

    Le porche dun vieil immeuble. Le dossier ne rentre pas dans la bote aux lettres delarchitecte,ilnyapasdeconcierge.JecherchelinterphoneRonsart.

    JevousapporteledossierGuyancourt.Jevousouvre,cestautroisime!Dixminutesdegagn,cesttoujoursadepris.Hier,jaitranunebonnedemi-heure

    aucafpourtresrquelleaitfinidedner.Jenaiplusfaimderienetleface--facenenestquepluspnible.

    Laportesouvre,unesilhouetteapparat.Desbouclesroussesquientourentlovaledunvisagedunedouceurinoue.Acclrationdurythmecardiaque. Jai honte de vous avoir fait monter jusquici, entrez une seconde. Vous tes bien

    Jean-Luc?Bouffedechaleur.Frissonsdanslanuque.Tempesquibattent.Non,soncollgue,Alain,maisjetravaillesurlemmedossier.Etvous,voustes

    larchitecte?Jenenaipaslair?Ellemetendlamain,quejeserre,viril,empot.Estomacvrill.Jambescotonneuses.Jentredans levestibule, ledossiermeglissedes

    mains,jelerattrapedejustesse.Je vais y passer la nuit, il faut absolument que jen parle demainmatin au conseil

    rgional.OnnapaspuavoirlerapportdeGaillacplustt,dsol. Je sais bien que ce nest pas votre faute. Cest dj tellement gentil dtre venu

    jusquici.Jeprenaisunpetitapritif,avoustente?

    *Il y a des gens que lon a toujours connus et qui sombrent dans loubli ds quils

  • disparaissentdupaysage.Jeviensdequitterlisabethdepuisdixminutesetjevaisdevoirmeforcer faire comme si elle navait jamais exist.Nous avons pris un verre de bourgogne,parlunmoment,elle,assisesurunbrasdefauteuil,lajupelgrementrelevemi-cuisse,etmoi, lair empruntdansmavesteen tweed,essayantdepasserpourungaronbrillant.Jauraisdonnunandemaviepoursentir sonparfumdeprs.De toutprs.Lepiredanstouta,cestquilyavait,danssonattitude,unpeuplusquedelasimplepolitesse.Pourentresr ilmaurait falluallerbienplus loinqueceverredebourgogneet jenesauraisansdoutejamaissiquelquechoseenmoiluiaplu.Onsedemanderaitbienquoi,aveclattequejaidepuisdesmois.

    Turentresencoreplustardquedhabitude.Jenesaispasquoirpondreetmetais,donc.Jetailaissuneassiettedanslacuisine.lisabeth,tunaurastquunrvequisedissipedjdanslebrouillardfilandreuxdun

    Valiumde 150milligrammes.Unplatde lapinencore tidemattend sur leplande travail.Catherine,tristeetdouce,mepasselamaindanslanuque.Ilparatquenousnavonsdroitquuneseulefemmedesavie,etcestsansdouteelle.

    Tumaimes,Alain?Oui.Etmonlapin,tulaimes?Oui.Petitbaiserfurtifetcomplice. Tu sais, chri, pendant que je faisais la queue chez le volailler, jai entendu une

    femmeracontercommentelletaitsortiedesadpression.afaisaitplaisirvoir,elledisaitque

    Jclateensanglots,sansprvenir.Catherinemeprenddanssesbras.Tuvoisbien,monamour. Il fautque tu trouvesquelquun, chezqui tu te sentes

    laise,quelquundebien.Jai pleur un bon moment, comme un gosse, et je me suis calm dun seul coup,

    commeparmiracle.Ensortantunmouchoir,jaidit,apais:Cesttoiquiasraisondepuisledbut,Minou.

    *tablissement Legrand. Graveur. Un ouvrier travaille sur unemachine. Celui que je

    prendspourlepatron,plusg,sapprochedemoi.Bonjourmonsieur,jevoudraisuneplaquecommecelle-l.Laplusclassique,cestendor,maisjaidautresmodles.Vousavezuneprfrence

    pourlatypo?Non,jeveuxexactementlammechose.Quelnomjinscris?HeumettezProfesseurGuyancourt.Psychanalyste.Surrendez-vous.Toutcoup, lepatron lanceunregardmfiantverssonouvrieretpassesamainsous

    monbraspourmentranerdansunearrire-salle.Dites,professeurJauraisbesoindunconseil.Ilbaisseencoredunton.Impossibledecomprendrecequisepasse.Onpeuttoutvousdire,vous,cestvotremtier.

  • ?Jefaislemmerve,aumoinsdeuxfoisparsemaine,depuisunan.Jesuisavecma

    femmesurunGrandHuit,dansunefteforaine.Moijesuishabillcommedhabitude,maiselle,elleportesarobedemarie.Elleapeurduvide,alorsellehurle,etmoi,jemeretourneetjevoisderrirenousdeuxespcesdeclownsblancsquisefoutentdenous,demafemmeetmoi.Cestcemoment-lquejaidespalpitations,etlesrailsduGrandHuitsedvissentet on est tousprojetsdans ledcor, et jehurle encoreplus fort quelle. Jeme rveille ensueur,compltementterroris.Aprsa,essayezdoncdevousrendormir.afaitunanqueadure.Jenenpeuxplusetmafemmenonplus!Quest-cequevousendites,professeur?

    chaud,cestdifficile.LeGrandHuit ? Les clowns ?La robedemarie ?Quest-ce que a peut vouloir

    dire,professeur?Quandpuis-jevenirchercherlaplaque?Pasavantmercredi.Jevousdonnerailadressedunconfrre,jaiunelistelonguecommea.

    *Tuntaispasobligedemaccompagner,Minou.Oh toi, je te connais.Tu vas trouverun tasdexcusespournepas y aller, tu serais

    mmecapabledoublier,asappelleunactemanqu.Elleveutmevoirtroisfoisparsemaine,aumoinsaudbut.Tutournesdroite,l,et

    onyest.Lespremierstempsjetaccompagneraichaquesance,pourunefoisquetutrouves

    quelquunquiteconvient.Commetuveux,Minou.Ellesarrteaubasdelimmeuble,justedevantlaplaqueduProfesseurGuyancourtqui

    brilleenlettresdor.Ellemembrassesurlefront.Vas-y,jetattends,necrainsrien.Jesorsetluifaisunpetitsignedelamainavantdepasserlaportecochre.Etsoislahauteur,hein!Jegrimpequatrequatrelesmarchesquimnentautroisime,lisabethmaentendu

    arriver etmouvre les bras.Nous basculons terre tous les deux, nous nous battons pourarrachernosvtements,noscorpsroulentjusqulabaievitredubalcon,jelarelveetluiplaqueledoscontrelavitre,jenepeuxpasrsisterlenviedelaprendrel,debout,faceaucieldeParis.

    Ettafemme,ellenesedoutederien?Je retiensundernier instant toute la fureurdemes senspour jeter unil enbas de

    limmeuble.Catherineestl,unecigaretteaubec,appuyecontrelecapot.vuedenez,jediraisnon,mabelle.

  • LAPTITION

    Ila entenducegosse chialer,au loin,dans les cellulesduquartierE.Pendant tout letempsquadurlaplainte, longueet lancinante,mlederessacsdecolre,JosFamennessestsouvenudesestoutespremiresminutesdanscetrou,quandilavaitencoreluiaussilaforcedepleurer.Lespleursntaientenfaitquelesignedunlgermieux,commeunretouren surface aprs stre vu noy, incapable de remonter en apne dans le tourbillon desmurailles.Lespleurs,ctaitune longueplagedo londriveavec langueur,accroch lachanedubat-flanc,jusquseretrouver,sanssenrendrecompte,aubeaumilieudelocan.Etpuislegosseafiniparsetaire,commetouslesautres.

    JosFamennesnauraitpusendormiravant.Encebasmonde,certainesrencontresnesefontjamais.Unpriapiquenerencontrepas

    denymphomane,unanonymenerencontrejamaislessosiesdonttoutlemondeluiparle,unathenerencontrepasDieudansuneguerredetranches,unparanoaquenerencontrepaslacohortedespionsqui le traquent,etunbureaucratemalnotnaura jamais lachancederencontrersonpatronsortantdunhtelborgne.

    Mettezadectuninstantetimaginezquejefaisdesreportagespourunepetiteradioparisiennequinammepasdenom,toutlemondelappelle99.1,mmenosraresauditeurs.Imaginez-moi, Alain Le Guirrec, en train de quadriller la ville la recherche dun sujetdcent,oudunesimple interview,etvous serezendede lavrit.Lavrit, cestque jepassemontempsfairecauserdessemi-vedettesaussividesqueleuragenda,etdesgenspasplusdousquetoutlemondequinontpasplusdechosesdire.Sijedevaisrsumerlanneencours,jediraisquemesplusgroscoupssontuneinterviewdeladernirerecrueduCrazyHorse Saloon, celle dun pote hongrois qui refusait une question sur deux, et celle duncrtindegymnastedontilvautmieuxtairelenom.Maintenantrevenons-encettehistoirederencontresimpossiblesetvouscomprendrezquunminablejournalistedansmongenrenepeutcompterquesurunmiraclepourdcrochersonquartdheuredegrce.Vousmecroirezsijevousdisquilasuffidunsimplecoupdefil,aubonendroitetaubonmoment,pourquelattachedepressedelacteurHarrisonFordmaccorde,contretouteattente,quinzeminutesdesontemps,surleplateaudufilmquiltourneParis?HarrisonFordsoi-mme?Trouveruneexplicationunphnomneaussi invraisemblablenariendefacileetnincitepas lagloriole. La dame avait dmal entendremonnomou confondrema radio avec une autre,mais le rendez-vous tait pris et rien ne pouvait plusmempcher de faire cette interview,cellepourquisedamneraitlamoitidesjournalistesdelaplace,cellequattendaitlatotalitdupublic.99.1, a tunepetite rvolution.M.Bergeron, lepatron,ma regardpour lapremirefoiscommeunvraiprofessionnel,ungaronbrillantetpleindavenirquijamaisnedevaitoublierquilmavaitdonnmachance.Toutelanuitdurant,jairvislafilmographiede lastar, revuquelquespassageschoisisparmisesplusbellesprestations,etmisaupointdesquestionsquimesemblaientbienplusoriginalesquecequonavaitfaitjusquprsent.

  • Sans aucundoute,HarrisonFord se souviendrait longtempsde notre entrevue, et qui sait,lorsdundesesprochainspassagesParis,ilmedemanderait,enpersonne,etpasunautre.Roger,monfidletechnicien,devaitpassermechercher13h00pourtretrenteminutesplustardsurletournage,boulevarddeGrenelle,avecuneheuredavancesurlerendez-vouspourviter les imprvus.12h55onasonnmaporte, je suisallouvrirensaluant laconscienceprofessionnelledemoncollgue.

    En fait de Roger, jai eu la visite de quatre types dont trois mtaient parfaitementinconnus.

    SalutAlain.JeteprsenteDidier,Jean-PierreetMiguel,onpeutentrer?Celui qui parlait sappelait Baptiste, je lavais interview lpoque o il essayait de

    lancerunmensuelsurlactualitparisiennepasseauvitriol.Sonintervention99.1luiavaitservi lancer un appel la souscription mais, malgr toute sa bonne volont, cette belleaventureavaitcapottrsviteet,enlevoyantdbouler,jaicruquilvoulaitremettrea.

    Jesuispress,Baptiste.Onvapassermechercherpouruneaffaireurgente.Ilnepeutpasyavoirplusurgentquenotreaffairenous.Tues journaliste, tuvas

    comprendre.OnfaitpartieducomitdesoutiendeJosFamennes.Ilaattenduquelejournalisteenmoiragissecesimplenomquillchaitcommeune

    bombe. Il se trouve que le journaliste en moi na pas mouft. Et je ne sais pas si ctaitlagacementdavoirdes importuns chezmoiou limportancedugrand rendez-vous venir,maisjaicoutduneoreilledistraitelatristehistoiredunprisonnierpolitiqueretenudansunegelesud-amricaine,dontlacondamnationmortnedevaitplustarder.

    Cest une question dheures. On a organis une manif cet aprs-midi devantlambassadeduSanLorenzo,onadesappuis,onnepeutpaslelaissercrevercommea.Onfaitcirculeruneptition.

    Ilmatenduunfasciculecouvertdenomsetdadresses.aarveilldestrucsoublis,enfouisauplusprofonddemesjeunesannes.Quelquechosedegraveatraverslapice.

    Deuxcentquarante-troissignatures,quedesgensmotivsetmobiliss.Onaunex-ministre,vingt-huitdputs,descrivainsenpagaille,vingt-sixjournalistes,etpleindautres,toustrissurlevolet.Aveca,ilnousresteunechance,maisonnaplusbeaucoupdetempspour la communiquer lambassadeur. Aprs, il sera peut-tre trop tard. Il faut que tu enparlestaradio,ilfautmobiliserdumonde!

    Le pote Jean-Pierrema regard. Le poteMiguel aussi. Et le pote Didier. Comme ungosseprisenfaute,jaibaisslesyeux.

    Enparlerlaradioavatredifficiledicidemain,jaiungroscoupassurertoutlheure,unestar,etjepassesoninterviewdanslasoire.

    Famennesvatreexcut,mec.Tuypassesmaintenant, aditMigueldun tonpresqueautoritaire.Tu faisun flash

    spcialpourunappellamanifdecetaprs-midi,tunepeuxpasnepaslefaire!Dans la foule, ilma tendu laptitionetunstylo.Legesteque jeredoutaisdepuis le

    dbut.Ilnepouvaitpassedouterdequelgenredetypejtais.Untypequi,unjour,aeupeurdallerenprisonaprsstremlsanslevouloirune

    manifestationdinfirmires.Untypequiprfreviterlessondages,desfoisquesesrponsesfinissent entre les mains de services secrets. Un type qui na pas vot au derniresprsidentielles parce que ce jour-l on venait de lui livrer unmagntoscope. Voil ce quejavaisenviededire,sansgloire,Baptisteetauxautres,maispouravoueruntelmanquedecourage, ilme fallaituncourageque jenavaispas.Avecunairdecitoyenresponsable, jaiajout,aubasdelaliste:

  • AlainLeGuirrec,reporter,151ruedeFlandre,75019Paris.Ctait le maximum que je pouvais faire, sinon leur souhaiter daller le plus loin

    possibledansleurcombat,conditionquilsmefoutentlapaix.Enparcourantmachinalementcesquinzefeuilletsagrafs,lenomdundessignataires

    maaccrochlil, justeaumomentoBaptistemelesreprenaitdesmainspourlesrangerdansunechemisebleue.

    Tufaispartiedesgarssurquioncompte,Alain.Marlne?Ondoitallerchezungarsdelatlpouravoirsasignature.MARLNE?aseraitbienquetupuissespassertaradio,tenaspaspourlongtemps.Fais-le.MARLNEMARLNEMARLNEMARLNEMARLNETout sest imbriqu en une fraction de seconde, Baptiste, le nom deMarlne, la fte

    quil avait organise pour le lancement de son journal, elle tait prsente, je navais vuquelle,Marlne,Marlne.Aussibellequesonprnom,blonde,desyeuxverts,uncocktaildebeautmodesteetdeperversitrentrequimavaitmis le feuauxsens.Javais toutessaypour avoir son numro, javais sorti le grand jeu, parl damour, je lavais demande enmariage,etsielleavaitditoui,lheurequilestjauraistrouvunjobplussrieuxetnousaurionsdjdeuxoutroisgosses.Javaischerchlarevoirsansyparveniretilmesuffisaitdeliresonnomparmitantdautrespourmerendrecomptequejtaisloindelavoiroublie.JemesuisdemandsiBaptisteetsonhistoiredeprisonnierpolitiquenemedonnaientpasunesecondechance.

    Alors?Pourlaradio?Ilyadesmomentsdans lavieoonseditque ledestinvientdevous faireunsigne,

    quand on sy attendait le moins, et que ce signe est forcment tordu, sinon il seraitimpossibledelevoir,commeunnomperdusuruneliste.Enlelaissantpasser,onrisquedeleregrettercinquanteansplustard,quandonseraassisdansunrocking-chairavecunplaidsurlesgenoux.

    Laptitionbienrangeaufonddesaserviette,Baptistetaitprtpartir.Jenesuispassrdavoirbienmismonadresse.Ressors-la,pourvoir.Cestpasgrave,Alain,pensepluttlaradio.Sisi,jinsiste,cestrucs-lcestsrieux,sors-l.Unpeusurpris,ilmamontrlesfeuillets.Jaifaitsemblantdevrifierenlesgardantle

    pluslongtempspossibleenmain,sousleregardimpatientdequatrepairesdyeuxvaguementdconcerts.

    Bon,onyva,tupensesnous,Alain.Jairetenusamainuneseconde,etcestlquejesuisretombsur:MarlneKirshenwald,journaliste,3rueduTemple,75004Paris.Je les ai raccompagns la porte en cachantmal une vague excitation qui partait du

    nombril.Ilsmontserrlamainpendantquejerptaismentalementlenometladressedela demoiselle, et je me suis prcipit sur un bloc-notes peine avais-je ferm la porte.MarlneKlarwein,3rueduTemple,75004Paris.

    Linterview de ma vie, et maintenant la femme de ma vie, un jour marquer dunepierre blanche.MarlneKalwein 3 rue rue du Temple ou ou rue Vieille-du-Temple ?KlarweinouKersheval?IlyaaussiunboulevardduTemple,dansleIIIe!Ctaitle43!Oule31?MarlneKlarKlarweld!EtilyaunboutdelarueVieille-du-TempledanslenietlautredansleIV!Jaifrappdupoingsurlatable,ivrederage,etmesuisrusurlebalcon

  • pourvoirBaptisteet lesautresgrimperdans leurvoiture.Ledestin !Ledestinestpervers,cestbienconnu,ilnenvoiepasunsignesansunepreuve,ilfautfaireunepartieduchemin,cestcequiprouvequecestvraimentledestin.

    Baptiiiste!jaihurl,pourcouvrirlesondudmarreur,avantdedvalerlesescaliersquatrequatre.

    coutez,jairflchi,etjaiunepropositionexceptionnellevousfaire.Inquiets,ilsontattenduquejereprennemonsouffle.La star que je dois interviewer tout lheure, cestHarrisonFord. Est-ce que vous

    vousrendezcompte?Vuleursttes,ilsneserendaientpascompte.Cestlegenredegarsquinerefuseraitjamaisdesigneruneptitionpourunecause

    aussiimportante.Vousconnaissezplusgrossestarinternationale?Vousimaginezsonnoml-dessus?Cestmieuxquetout,mieuxquunpolitique,mieuxquunprsentateurdetl.

    HarrisonFord?Tucroisqueaferaitsrieux,danslaliste?Jenaimmepaseurpondre,Miguellafaitmaplace.Srieux?Ce type-lestunhrospour les troisquartsde laplante,un jour il sera

    candidatlaMaison-Blanche.Ilestdjbienpluscoutqueleprsidentamricain,afaitDidier.Si legouvernementduSanLorenzoapprendquuntypecommeluisestmobilis,a

    ditJean-Pierre,apeutchangertouteladonne.anapastran,Baptistearessortilesfeuillets.Ellepassequand,toninterview?Cesoir.SiturussisluifairedireunmotsurFamennes,tuauraspeut-tresauvunevie,a

    dit Baptiste avec une sincrit inoue. On se retrouve vers dix-neuf heures devantlambassade,jeseraientteducortge,tuasmonnumrodeportable?

    Jaifaitunsignedette,ilssontremontsdanslavoiture.Avantdedmarrer,Baptisteetlesautresmontditmercidufondducur.amenapresquegn.Dansquelquesheuresmacarrireauraprissavitessedecroisire,jauraipeut-tretrouvlafemmedemavie,et,lairpenaud, je rendraiBaptistesaptitionen luidisantque lastarna rienvoulusavoir.Pasdepot.

    Rogerestarrivetmademandcequejefaisaisl,enpleinmilieudelarue,avecmesfeuilletslamain.Jeluiaiditdepatienteruneseconde,letempsderemonterprendremesaffaires.

    *

    MarlneKirshenwald,journaliste,3rueduTemple,75004Paris.Enmoinsdedeuxminutes,leminitelmadonnlenumrodelabelle.All,Marlne?Oui.CestAlainLeGuirrec,lejournalistede99.1.Qui?Jemarquepeulesgens,cestvrai.Maisjavaisdjdelachancedelatrouverchezelle.

    DestinOnsestvuslasoiredunumroZrodumensueldeBaptiste.?

  • IlvientdemefairesignerlaptitionpourlalibrationdeJosFamennes,tuvaslamanif?

    Oui.Jenepourraipas,jintervieweHarrisonFordaummemoment.(adevraitmarcher,adevraitmarcher,adevraitmarcher)HarrisonFord?LevraiHarrisonFord?(Jentaissr!Jentaissr!)Oui, le vrai, cest boulot-boulot. Pour Jos Famennes, jeme suis dit quon devrait,

    nous les journalistes, faire une action commune, on pourrait se grouper au lieu de resterchacundenotrect,tuvois.

    Jeproposequonsevoiepourendiscuter,dsquejenaifiniavecFord.O?(Jesuisungnie!Jesuisungnie!)AuPalatino,cestunbardansleMarais.Rogersestmisklaxonnercommeunfou,enbas.quelleheure?Vingtheures?O.K.,elleadit,avantderaccrocher.NousappelleronslepremierdenosenfantsJos.Pour combler un lger retard, jai roul tombeau ouvert, sans cesser de penser aux

    hanches deMarlne, aux yeux deMarlne, ses chevilles cassantes comme du verre, et touscespetitsbonheursquimattendaient.Roger,nerveux,maparldesondestinlui,ilsevoyaitcreverpaisiblementdansunpetitmasdeNoirmoutiersur lescoupsdequatre-vingtsans,etpasdansunevoitureconduiteparunfurieuxlarecherchedunacteur,sousprtextequil a joudansStarWars. Sur place, on a commenc prparer le set avecune certainebonnehumeur,enpleinsoleil.Jaidemandotaitlastar.

    Ilbouffedansunrestaurantaveclaproduction,personnenesaito.Onaretardleplandetournagecausedelamto,vousnavezplusquattendreverscinq,sixheurescesoir.

    Avecsonairbonasse,cetypetaittoutsimplemententraindemexpliquerquemavietaitfoutue.Encebasmonde,certainesrencontresnesefontjamais,quelfouavais-jetdecroirequejeferaisexceptionlargle.tropconvoquerledestin,ilstaitsenticoincetnepouvaitdoncplusmedsignerpourvivredeuxvnementsdanslammejourne.Quest-cequejallaisdireBergeron?Quest-cequejallaisdireMarlne?Fordaprfrreprendreundessertpluttquerpondremesquestions?Jemesuisassisuninstantsurlesrailsdutravellingpourfaireimplosermadception.Envoyantmoncoupdeblues,Roger,diplomatecommeilsaitltre,adit:

    Tenfaispas,vieux,ilnousrestelinterviewdudisc-jockeyduB.O.A.Danscedsert,jaireprunphotographedeplateauquiavaitlairdensavoirplusque

    lesautres.IlmaassurqueFordntaitpasdugenreposerdeslapinsetquilseraitldix-huitheuressonnantes,commeleproquilest.Nenousrestaitplusquattendretroisheuressansbouger,siroterducafentredeuxlamentations.CestlqueRogeradit:

    Toi, tu fais ceque tu veuxenattendant,maismoi je vais enprofiterpourpasser monclub,y?queaquimecalme,cestdeuxruesdici.

    Unclub?Unendroitformidable,untrucultra-priv,jyvaisdeuxfoisparsemaine.Tudevrais

  • venir,atedtendrait,aulieudetournerenrond.MonpauvreRoger,jaienviedebuterquelquunettumeproposesdallermepavaner

    dansunclub?Justement, cest le seul endroit o il faut se rendredurgencequandon a enviede

    tuerquelquun.(Ilabaissdunton.)Maisvaudraitmieuxquearesteentrenous.Personnenesaitquejyvais,mmepasmafemme.Cestmonvoisinquimaproposdessayerunefoisetjyaiprisgot.

    Vouscomprendrezquonnersistepasbienlongtempsunetelleproposition.

    *Cinqminutesplus tardnousentrionsdansunebtisseenbriquerouge.Auboutdun

    couloir un peu austre et dun escalier en bton, nous avons dbouch dans un hangarinsonoris.Quinze typesenenfilade, tousmunisduncasqueantibruitetdun flinguegroscomme a, canardaient commedesmalades sur des silhouettes en carton animes par desfilins. Jaimme cru recevoir une balle perduedans le tympan, peine franchi le seuil dustanddetir.

    Quest-cequilfaitdanslavie,tonvoisin?Flic.Roger,parfaitement laise,maprsent tout leclubde tir, etenunriende temps

    nous nous sommes retrouvs chacun avec un P38 dans les mains. Je me suis dit que lajourneprenaitdescheminsdtourns,inattendus,etparfaitementgrotesques.

    Quest-cequetuveuxquejefassedea?jaiditenmontrantlaptoire.Essaie, tuvasvoir.Cestcommedans les films.MmeFordaappris tirerdansce

    genredendroits.Tuvasvoircommeacalme.Roger,toutanemeditrienquivaille.Pourtouterponse,ilavidsonchargeurduntrait,etjaitobligdemeprotgerles

    oreillesavecundecestrucs.Pluspersonnenafaitattentionmoietjemesuisretrouvseulavec le revolverdans lamain, commeunesortedinterlocuteur rest trop longtempsmuet.Rogernavaitpastotalementtort:peut-trequeledtourparcestanddetirallaitmefairecomprendrequelquechosedefondamentalsurlamaniredontonfabriqueunhros.Ilnyapasdehasard.

    Et puis je nai plus pens rien, jai shoot et shoot et shoot, et le monde sestvapordansunnuagedepoudre.

    *

    Rogerma bouscul dans lemonde rel et tout nemest revenu enmmoire qu la

    lueur du jour. Je puais la cordite et javais dans les yeux des espces de flammches quidansaient encore. Le film a continu un moment quand je me suis retrouv devant unemachinerie hollywoodienne de dcors et de figurants. Au beaumilieu de cemaelstrm, lephotographede plateaumamontr lagent deFord qui hurlait des trucs bizarres vers unecaravane.Jaivitecomprisledramequisejouait:pourdesraisonsconnuesdeluiseul,lundesplusgrandsacteursdumonderefusaitobstinmentdesortirdesaloge.Toutlemondeadfil sous son vasistaspour le supplier. Jai essaydemapprocher, tendreunmicro, direquemacarrirese jouait l,quilnavaitquunmotdiresur99.1pourmerendreclbre,maissesgardesducorpsmontdcouragrienquenmeregardantduhautdeleursRay-Ban.

  • Mon apathie sest vite transforme en rage noire. Jai commenc penser que Ford allaitpeut-tre mourir avant notre rencontre, que jallais faire sa ncro comme tous lesscribouillards dumonde, que jallais dire les mme banalits, et que plus tard, sous monplaid,jemesouviendraisdtrepasssiprsdelui.

    Ctait tropgrospournous, aditRoger,quine songeaitqu rentrer chez lui aprsunejournedeboulotpeinemrite.

    Ilavaitsansdouteraison.Lesoleilcommenaitbaisser,lechefoprateuraditqueleplantaitfoutuetquilvalaitmieuxremballer.Uninstant,jemesuisvuretournerillicoaustand de tir pour reprendre mon P38 et tirer sur cette putain de caravane jusqu cequIndianaJonesensorteetmesuppliedcoutersesraisons.

    19h30mamontre.Jevenaissansdoutederaterlinterviewdemacarriremaispasquestionde rater la femmedemavie.Lephotographedeplateauaditque toutntaitpasperdu,laproductiondufilmavaitorganisunepetitefteleson-mme,auWyatt,unebotedenuitdesHalles,toutelquipetaitinviteetFordavaitpromisdepasser.

    Harrisonestuntypeimprvisible,ilestcapablederpondreuneinterviewdansunebotedenuit,sijtaisvousjenejetteraispaslpongetoutdesuite.

    Jaihauss lespaulesen le remerciant toutdemme,puis jai sautdans lavoiture,directionlebarduPalatino,oRogerallaitmedposer.Jemesuisrepeign, jaimchunchewing-gumpourmerafrachir lhaleineettuninstantmachemisepour ladbarrasserdecetteodeurdepoudrecanonenluifaisantprendrelairtraverslavitre.

    On en auradautres.Meryl Streep ! JackNicholson ! Tiens, jaimmeunpote quitientunrestaurantoDepardieuvasouvent.

    Lavoituresestviteembourbedansunembouteillageet jaiconstatune foisencorequelaloiditedelemmerdementmaximaltaitlaplusinviolabled