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- 1 – Article disponible sur le site de la revue Ecole Numérique n°5 d’octobre 2010 http://www.cndp.fr/ecolenumerique/tous-les-numeros/collecticites/article/article/dix-ans-et-apres-operation-un-collegien-un- ordinateur-portable.html Bilan et perspectives d’avenir pour l’opération « Un collégien, un ordinateur portable » Pierre LACUEILLE IA-IPR de sciences physiques, ancien CTICE de l’académie de Bordeaux Article intégral, celui publié dans le cinquième numéro de la revue École Numérique s’arrêtant juste avant le chapitre Accéder à l’Information. « Voilà maintenant dix ans que le conseil général des Landes a mis en œuvre l’opération « Un collégien, un ordinateur portable ». Dans l’univers des technologies numériques, où les nouveautés sont en permanence condamnées à bousculer les nouveautés, cette décade a presque le poids d’un siècle. L’ordinateur portable est un objet qui s’est aujourd’hui banalisé. Surfant sur des débits hertziens de plus en plus performants (WiFi, 3G), l’Internet, dorénavant omniprésent, s’est complètement imposé dans la téléphonie en faisant émerger une nouvelle génération d’ordinateurs ultraportables et, plus récemment, en créant un nouveau marché de tablettes à écrans tactiles susceptible, selon certains, de sauver une presse écrite économiquement moribonde. Pour le grand navire de l’Éducation nationale, dix années pèsent beaucoup moins et représentent à peine quelques manœuvres dans le port. Le collège n’a pas connu de bouleversement majeur dans sa structure ou dans ses modalités de fonctionnement. Quelques dispositifs nouveaux comme les PPRE (parcours personnel de réussite éducative) ou l’ODM (option découverte des métiers) ont toutefois illustré la volonté institutionnelle d’individualiser les apprentissages. Le collège unique reste encore marqué en effet par un chiffre noir : plus 100 000 jeunes quittent chaque année le système éducatif sans véritable qualification. Les premiers adolescents bénéficiaires de l’opération « Un collégien, un ordinateur portable » ont aujourd’hui, pour la plupart, achevé leurs études supérieures et seront bientôt trentenaires. Ceci nous invite à nous défier du type de relativisme temporel évoqué plus haut, relativisme spécifique à une école qui ne voit finalement jamais vieillir ses élèves. Au regard des efforts financiers consentis par le contribuable landais, l’école doit également se garder de la routine et de la banalisation, en considérant localement comme définitivement acquis un niveau d’équipement informatique très largement supérieur aux moyennes nationales. L’exigence de bilan exprimée par la collectivité territoriale est certes parfois ressentie de façon quelque peu intrusive par l’école. Si les perspectives calendaires ne sont bien évidemment pas les mêmes, le « laisser au temps le temps » scolaire ne peut en tout état de cause trouver de légitimité et d’efficacité qu’à travers une hygiène intellectuelle du bilan et de la prospective. UN BILAN POINTILLISTE L’usage de l’ordinateur touchant à des domaines extrêmement variés des apprentissages, le bilan d’une telle opération prendra inévitablement un caractère pointilliste. Le constat le plus immédiat porte sur la maîtrise technique de l’outil par les collégiens et les professeurs. Rappelons que, lors du lancement de l’opération, l’égalité d’accès à l’outil informatique (et en particulier à l’Internet) était loin d’être acquise pour l’ensemble des adolescents landais. En équipant tous les élèves de 3e, puis de 4e, ainsi que tous les enseignants intervenant dans les collèges du département, le conseil général a incontestablement « boosté » l’appropriation technique de l’informatique par l’ensemble des acteurs scolaires. Les modalités de validation du B2i dans les Landes, même si elles sont encore perfectibles, sont très largement supérieures aux constats effectués dans les autres départements de l’académie. Si le principe d’une mise à niveau technique et d’une large pénétration de l’outil informatique dans les collèges et les foyers landais est acquis, les effets de l’opération « Un collégien, un ordinateur portable » sur les performances scolaires des collégiens landais sont quant à eux beaucoup plus difficiles à mesurer. Il convient tout d’abord de préciser que la spécificité de cette attente n’a jamais été explicitée en tant que telle par les partenaires ou les observateurs de cette opération. Il s’agit donc d’une forme d’attendu implicite basée sur le postulat que la modernité technique impliquerait inévitablement une modernité pédagogique à effets immédiats sur les performances du système

Bilan et perspectves d'avenir

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Dans le n°5 (octobre 2010) de la revue Ecole numérique (Scéren-cndp), Pierre Lacueille ancien CTICE du Rectorat de Bordeaux revient sur l'expérience landaise

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Article disponible sur le site de la revue Ecole Numérique n°5 d’octobre 2010 http://www.cndp.fr/ecolenumerique/tous-les-numeros/collecticites/article/article/dix-ans-et-apres-operation-un-collegien-un-ordinateur-portable.html

Bilan et perspectives d’avenir pour l’opération « Un collégien, un ordinateur portable »

Pierre LACUEILLE IA-IPR de sciences physiques, ancien CTICE de l’académie de Bordeaux

Article intégral, celui publié dans le cinquième numéro de la revue École Numérique s’arrêtant juste avant le chapitre Accéder à l’Information.

« Voilà maintenant dix ans que le conseil général des Landes a mis en œuvre l’opération « Un collégien, un ordinateur portable ». Dans l’univers des technologies numériques, où les nouveautés sont en permanence condamnées à bousculer les nouveautés, cette décade a presque le poids d’un siècle. L’ordinateur portable est un objet qui s’est aujourd’hui banalisé. Surfant sur des débits hertziens de plus en plus performants (WiFi, 3G), l’Internet, dorénavant omniprésent, s’est complètement imposé dans la téléphonie en faisant émerger une nouvelle génération d’ordinateurs ultraportables et, plus récemment, en créant un nouveau marché de tablettes à écrans tactiles susceptible, selon certains, de sauver une presse écrite économiquement moribonde. Pour le grand navire de l’Éducation nationale, dix années pèsent beaucoup moins et représentent à peine quelques manœuvres dans le port. Le collège n’a pas connu de bouleversement majeur dans sa structure ou dans ses modalités de fonctionnement. Quelques dispositifs nouveaux comme les PPRE (parcours personnel de réussite éducative) ou l’ODM (option découverte des métiers) ont toutefois illustré la volonté institutionnelle d’individualiser les apprentissages. Le collège unique reste encore marqué en effet par un chiffre noir : plus 100 000 jeunes quittent chaque année le système éducatif sans véritable qualification.

Les premiers adolescents bénéficiaires de l’opération « Un collégien, un ordinateur portable » ont aujourd’hui, pour la plupart, achevé leurs études supérieures et seront bientôt trentenaires. Ceci nous invite à nous défier du type de relativisme temporel évoqué plus haut, relativisme spécifique à une école qui ne voit finalement jamais vieillir ses élèves. Au regard des efforts financiers consentis par le contribuable landais, l’école doit également se garder de la routine et de la banalisation, en considérant localement comme définitivement acquis un niveau d’équipement informatique très largement supérieur aux moyennes nationales. L’exigence de bilan exprimée par la collectivité territoriale est certes parfois ressentie de façon quelque peu intrusive par l’école. Si les perspectives calendaires ne sont bien évidemment pas les mêmes, le « laisser au temps le temps » scolaire ne peut en tout état de cause trouver de légitimité et d’efficacité qu’à travers une hygiène intellectuelle du bilan et de la prospective.

UN BILAN POINTILLISTE

L’usage de l’ordinateur touchant à des domaines extrêmement variés des apprentissages, le bilan d’une telle opération prendra inévitablement un caractère pointilliste. Le constat le plus immédiat porte sur la maîtrise technique de l’outil par les collégiens et les professeurs. Rappelons que, lors du lancement de l’opération, l’égalité d’accès à l’outil informatique (et en particulier à l’Internet) était loin d’être acquise pour l’ensemble des adolescents landais. En équipant tous les élèves de 3e, puis de 4e, ainsi que tous les enseignants intervenant dans les collèges du département, le conseil général a incontestablement « boosté » l’appropriation technique de l’informatique par l’ensemble des acteurs scolaires. Les modalités de validation du B2i dans les Landes, même si elles sont encore perfectibles, sont très largement supérieures aux constats effectués dans les autres départements de l’académie.

Si le principe d’une mise à niveau technique et d’une large pénétration de l’outil informatique dans les collèges et les foyers landais est acquis, les effets de l’opération « Un collégien, un ordinateur portable » sur les performances scolaires des collégiens landais sont quant à eux beaucoup plus difficiles à mesurer. Il convient tout d’abord de préciser que la spécificité de cette attente n’a jamais été explicitée en tant que telle par les partenaires ou les observateurs de cette opération. Il s’agit donc d’une forme d’attendu implicite basée sur le postulat que la modernité technique impliquerait inévitablement une modernité pédagogique à effets immédiats sur les performances du système

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Article disponible sur le site de la revue Ecole Numérique n°5 d’octobre 2010 http://www.cndp.fr/ecolenumerique/tous-les-numeros/collecticites/article/article/dix-ans-et-apres-operation-un-collegien-un-ordinateur-portable.html

éducatif. Passé le cap des enjeux techniques, il apparaît nécessaire de s’interroger plus spécifiquement, à l’aube de cette nouvelle décennie, sur les finalités d’un usage pédagogique élargi de l’outil informatique. Le débat ne saurait se limiter à une mesure du taux d’usage ou à une confrontation stérile entre « conservateurs » du stylo et du papier et « progressistes » de l’écran et de la souris car, en la matière, l’outil ne crée pas nécessairement la valeur.

L’outil informatique apporte schématiquement trois types de service : il facilite la communication de nature essentiellement textuelle et visuelle (la communication sonore, largement pratiquée sur la téléphonie ou la visioconférence par Internet, ne correspondant que très marginalement à des usages scolaires), il offre des possibilités d’accès à l’information très étendues et très diversifiées au niveau des sources, des formats et des contenus, il constitue enfin un outil de production pour des travaux touchant à l’écriture, au traitement de données, d’images ou de sons. Dresser le bilan d’une politique d’équipement de l’envergure de l’opération « Un collégien, un ordinateur portable » revient finalement à s’interroger sur le positionnement actuel des pratiques pédagogiques vis-à-vis de ces trois fonctions de communication, d’accès à l’information et de production. On admettra aisément que le niveau d’usage scolaire d’un outil n’est pas uniquement fixé par ses possibilités techniques intrinsèques mais dépend étroitement des représentations culturelles du moment relatives à l’acte d’apprendre. Si l’outil informatique constitue indéniablement un vecteur important dans toute stratégie de changement, encore faut-il que ce changement se construise dans une cohérence institutionnelle et une intégration effective des pratiques de terrain.

COMMUNIQUER

Les pratiques à valeurs ajoutées dans le domaine de la communication sont aujourd’hui à nos yeux essentiellement observées au niveau des échanges au sein de la classe. Ces deux dernières années, le conseil général des Landes a généralisé le concept de classe communicante, infrastructure particulièrement propice à la mise en œuvre des orientations pédagogiques données récemment dans le champ des sciences expérimentales et valorisant la contextualisation des apprentissages et les productions écrites des élèves. La mise en synergie d’un tableau numérique, d’un « visualiseur » et d’ordinateurs individuels crée en effet les conditions idéales pour engager une véritable démarche d’investigation de l’élève (voir le lien dans la rubrique « Pour en savoir plus ») en permettant à l’enseignant de passer harmonieusement d’une logique de travail individuel ou de groupes à une logique de travail collectif en classe entière. La mutualisation immédiate des différentes productions d’élèves, que ces dernières soient manuscrites ou numériques, encourage une réflexion commune autour des différentes propositions tant du point de vue de leurs contenus (changeant ainsi profondément le statut de l’erreur) que de leurs qualités formelles. Précisons à ce niveau que l’usage de l’ordinateur individuel de l’élève n’est pas systématique et que la mise à disposition généralisée de « visualiseurs » a créé la continuité manquante entre la très grande diversité des supports matériels utilisés (écrits ou schémas d’élèves, montages et objets divers) et l’univers du numérique.

L’utilisation des fonctions plus traditionnelles de communication faisant appel à la messagerie électronique reste, à notre connaissance, plus marginale. Certains pourraient également regretter l’absence de mise en œuvre d’un environnement numérique à vocation pédagogique susceptible de favoriser un accompagnement personnel de l’élève. Si ce type d’accompagnement est aujourd’hui assez régulièrement proposé dans le cas d’enfants malades, sa généralisation à l’ensemble des élèves apparaît difficile en collège compte tenu des effectifs globaux encadrés par les professeurs (dans certaines disciplines, un enseignant encadre chaque année plus de 300 élèves). Les enseignants n’ont ainsi pas manifesté le besoin d’un outil spécifique pour assurer un suivi du travail des élèves en dehors du temps scolaire alors que de nombreux collèges ont pris l’initiative de gérer, grâce à l’outil informatique, les échanges d’informations de nature administrative (notes, absences, vie de l’établissement).

ACCEDER A L’INFORMATION

La capacité de l’ordinateur portable de stocker localement un grand nombre de ressources et d’accéder à l’infinité d’informations disponibles sur Internet constitue incontestablement un des intérêts majeurs de cet outil pour les apprentissages scolaires. Le conseil général des Landes avait parfaitement intégré cet aspect du problème dès le lancement de l’opération et il faut souligner ici

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l’engagement exemplaire de cette collectivité dans l’achat et la mise à disposition de ressources auprès des professeurs et des élèves. Cet engagement a bien entendu créé des attentes et, sans doute, est-il nécessaire ici de clarifier un certain nombre d’enjeux pour éviter d’éventuels malentendus touchant aux incontournables taux d’usage.

Il convient tout d’abord de préciser que la possibilité matérielle offerte à chaque élève de consulter individuellement des ressources multimédias a incontestablement favorisé la mise en œuvre de l’une des réformes majeures de ces dix dernières années, à savoir le plan de rénovation de l’enseignement des langues vivantes. Saluons au passage l’engagement des nombreux enseignants qui se sont investis sans compter dans une réforme ambitieuse tant d’un point de vue technique que pédagogique. D’autres professeurs ont abordé cette transformation des pratiques avec plus de réserve et de prudence. Cette rénovation est loin d’être achevée et il est heureux de constater que les manuels scolaires les plus récemment publiés ont fait la part belle aux ressources multimédias. Il paraît difficile, dans ce domaine, de revenir en arrière, même si on peut sans doute regretter que les usages individuels de ces ressources soient insuffisants dans le cadre du travail personnel de l’élève à la maison (mais ceci renvoie à un autre débat qui dépasse largement la politique d’équipement mise en œuvre spécifiquement dans les Landes).

Un ordinateur portable peut-il totalement remplacer des manuels scolaires ? Ce débat a été posé dès le début des années 2000 sans qu’une réponse tranchée ait pu vraiment y être apportée. Si l’on pouvait a priori penser qu’il était pertinent de regrouper, dans un même outil, un ensemble volumineux d’ouvrages, réduisant du même coup le poids des cartables et diversifiant le type de supports accessibles (écrits, vidéos, animations numériques), l’expérience a montré que l’opération « Un collégien, un ordinateur portable » n’a pas pu bénéficier d’un effet de masse suffisant pour donner au livre numérique un statut différent de celui qui reste encore le sien aujourd’hui au sein de l’économie numérique. En effet, autant les modalités de vente et de distribution de la musique et (dans une moindre mesure) de la vidéo ont su aisément tirer profit de la dématérialisation offerte par les nouveaux réseaux informatiques, autant la presse écrite et l’édition littéraire restent encore, en 2010, tributaires du papier. Ceci n’est sans doute pas le fruit du hasard car il faut bien convenir que lire sur un écran au format « paysage » un document initialement conçu au format « portrait » ne relève pas de l’évidence ergonomique. Des solutions techniques plus adaptées à la lecture sont d’ailleurs apparues récemment sous la forme de tablettes tactiles. Ces considérations matérielles expliquent sans aucun doute la timidité des éditeurs à engager des frais importants dans le développement de manuels numériques touchant un public scolaire limité à quelques départements (la numérisation d’un livre papier au format PDF n’apportant pour sa part guère de valeur ajoutée pédagogique). À l’aune de ces constats, on peut donc aisément mesurer que les usages de la vidéo et de l’image, au sens large du terme, ont été beaucoup plus immédiatement valorisés par cette opération d’équipement en ordinateurs portables que des activités basées sur la lecture et l’analyse de textes longs (et ce, tout particulièrement dans une discipline comme le français).

L’accès à des ressources documentaires via Internet pose un débat d’une autre nature. Si, en référence à certaines compétences du B2i, des travaux de recherche ont été proposés aux élèves dans de nombreuses disciplines, la mise en œuvre d’une politique cohérente d’éducation à l’information reste encore absente dans bon nombre d’établissements. Cette approche transversale a pourtant été largement favorisée par l’inspection pédagogique régionale en charge de la documentation et par la mission TICE académique. En dépit parfois d’un réel volontarisme des professeurs documentalistes, la majorité des enseignants continue, avec toutefois une certaine logique institutionnelle, à privilégier des démarches pédagogiques davantage centrées sur les contenus disciplinaires que sur des méthodes transversales de recherche et de traitement de l’information. Le collège reste en effet culturellement un « petit lycée » et les dispositifs transversaux (IDD, thèmes de convergence, B2i, éducation à l’information et aux médias) ont toujours eu la plus grande difficulté à émerger et à se maintenir. On sent toutefois aujourd’hui que la mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences est susceptible de faire bouger profondément les lignes au sein du système éducatif français. Si l’on peut regretter que le champ de compétences « apprendre à apprendre », initialement présent dans les huit compétences clefs définies par la communauté européenne, ne figure plus parmi les piliers du socle (sans doute

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par excès de prudence), la logique de ce dernier dispositif ne peut que favoriser dans l’avenir le recours à des situations authentiques et complexes pour mesurer les acquis et le degré d’autonomie méthodologique des collégiens français.

Je ne peux clôturer cette réflexion sur l’accès à l’information numérique sans évoquer les aspects éducatifs qui lui sont liés. Pour de nombreux acteurs et usagers de l’école, l’idée d’Internet reste en effet étroitement associée à la notion de danger. Certains parents d’élèves sont même allés jusqu’à regretter qu’un ordinateur portable ait été mis à la disposition de leur enfant ouvrant ainsi la porte, à leurs yeux, à toutes les dérives possibles. La sécurisation de l’accès à Internet a, dans de nombreux établissements et fort logiquement, pris le pas sur les possibles utilisations pédagogiques de ce même réseau. La « customisation » des écrans des ordinateurs portables montre également à quel point ces objets sont bien positionnés aujourd’hui, pour la grande majorité des élèves, à l’interface de la vie privée et de la vie sociale. Un des intérêts majeurs de l’opération d’équipement « Un collégien, un ordinateur portable » est bien justement de fait le pont entre les usages sociaux (en l’occurrence, ici, scolaires) et les usages domestiques et privés de l’ordinateur (celui-ci « accompagnant » l’élève du domicile au collège) et d’ouvrir ainsi presque frontalement un débat éducatif et citoyen sur les usages du numérique. Les techniques du numérique évoluant sans cesse en performances et facilitant la miniaturisation de l’accès à l’Internet, il est vain de rêver à la création d’une enclave « amish » dans le département des Landes mais sans doute plus urgent et nécessaire d’engager une réflexion sur les enjeux de nature presque anthropologique posés par la mise en réseau permanente des individus. Si le débat s’est essentiellement focalisé jusqu’à aujourd’hui sur les interdits les plus flagrants, d’autres thématiques mériteraient dorénavant d’être abordées. Citons pour exemples la délicate notion d’identité numérique (quelle image de moi je construis sur l’Internet ? comment appréhender un espace social où le jeu de rôle est omniprésent ?) ou le besoin compulsionnel observé chez de nombreux adolescents d’être en permanence reliés numériquement à leurs proches.

PRODUIRE

Dès le lancement de l’opération « Un collégien, un ordinateur portable », les enseignants se sont emparés sans véritable difficulté des fonctions de production de l’outil informatique. Le traitement de texte (et plus largement de certains outils de PAO) et le tableur (figurant explicitement dans le référentiel du B2i et dans les programmes de certaines disciplines) ont été tout naturellement les plus utilisés avec les élèves. Dans le cadre d’approches disciplinaires plus spécifiques, signalons également les logiciels en rapport avec le traitement du son (création musicale, évaluation de l’expression orale en langues vivantes), la création graphique (arts plastiques), la cartographie (géographie), la géométrie dynamique (mathématiques), la simulation ou la conduite de processus (sciences expérimentales et technologie). Moins connus du grand public, ces logiciels spécialisés n’en constituent pas moins une part non négligeable de l’utilisation quotidienne de l’ordinateur portable.

Les usages des fonctions de production peuvent-ils être considérés aujourd’hui comme suffisants au regard de l’investissement matériel réalisé ? Cette question renvoie inévitablement à l’utilisation du traitement de texte, tant cet outil est susceptible d’être sollicité très fréquemment en milieu scolaire. Précisons tout d’abord que la production systématique, à l’aide d’un traitement de texte, de documents parfaitement normés d’un point de vue formel ne constitue pas en tant que telle une finalité pédagogique généralisable à toutes les situations d’apprentissage. La majorité des enseignants ont par ailleurs continué à préconiser l’usage par les élèves de cahiers individuels, la prise de notes informatisées étant pratiquée, à notre connaissance, de façon très marginale. Le recours à la graphie traditionnelle est resté majoritaire pour des raisons de commodité et dans le souci d’une évidente continuité scolaire. L’usage du traitement de texte reste donc d’une certaine façon limité à des productions « exceptionnelles ». Signalons pour exemple les travaux tout à fait pertinents qui sont menés dans le cadre de l’ODM. La réalisation d’un compte rendu de stage ou d’une note de synthèse relative à la découverte d’une entreprise offre l’occasion de valoriser les productions écrites d’élèves bien souvent en rupture avec le français. Dans le cadre de la mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences, il faut espérer que ces productions « exceptionnelles » tendent à se généraliser davantage, plaçant ainsi régulièrement l’élève en

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situation de mobiliser des ressources de façon plus transversale, plus authentique et moins répétitive.

QUELQUES PERSPECTIVES POUR LES DIX PROCHAINES ANNEES

L’opération d’équipement « Un collégien, un ordinateur portable » a incontestablement accompagné de façon très positive les évolutions des pratiques pédagogiques observées ces dix dernières années dans les collèges. Elle a créé un environnement matériel qui a favorisé la communication au sein de la classe, l’accès au multimédia et à Internet, la pratique individuelle et régulière de l’informatique à partir d’un ensemble d’activités centrées sur l’outil et de « micro-usages » quotidiens. Cette infrastructure a ainsi très fortement contribué à la maîtrise technique de l’outil numérique par les élèves. Elle a également facilité, de façon sans doute moins visible et moins mesurable, la mise en œuvre, dans le département des Landes, d’enseignements rénovés dans des domaines aussi divers que les langues vivantes, les sciences expérimentales, l’éducation à l’image, la découverte des métiers, l’éducation à l’information…

Les usages dépendent aussi, bien entendu, des acteurs. Le choix fait initialement de la systématisation des équipements doit intégrer l’idée que l’outil ne sera pas exploité avec la même pertinence et la même intensité d’un collège à l’autre et d’un professeur à l’autre. Ces équipements informatiques font aujourd’hui partie de l’école. Ils l’accompagnent dans ses succès, ses échecs, ses doutes, ses tâtonnements. Ils font également partie de la société et n’échappent pas au débat sur la difficulté grandissante à déterminer ce qui sépare l’univers culturel des adultes de celui des adolescents, à gérer des interdits et des tabous mis à mal par le « tout accessible » d’Internet, à apprendre à de futurs citoyens à sélectionner et valider une information devenue de plus en plus pléthorique et multiforme.

Ces équipements accompagneront également le collège dans les chantiers à venir. La mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences est le premier d’entre eux. Ne nous y trompons pas : par-delà les inévitables tâtonnements institutionnels dans la définition des conditions administratives de sa validation, il constitue bien l’enjeu majeur de notre système éducatif pour les dix prochaines années. Les deux notions clefs qui sous-tendent le socle, à savoir la « transférabilité » et la sédimentation des connaissances et des compétences, nous interpellent sur le sens même qu’un grand état démocratique et industrialisé doit donner à son école. Elles nous invitent à repenser profondément notre vision de l’activité supposée de l’élève pendant le temps scolaire. Car le collège reste encore quelque part l’héritier de l’université médiévale basée sur une transmission du savoir par la seule parole du maître et sur une intelligence du monde découpée en disciplines parfois trop cloisonnées. La complexité du monde moderne tend sans doute aujourd’hui à échapper à ces schémas : les canaux d’accès au savoir se sont multipliés, les prises de décisions ne relèvent plus de paramètres simples et univoques, les loisirs sont devenus partie prenante dans les processus de croissance économique. Pour maintenir la qualité de notre école, nous devrons donc chercher à mieux utiliser le temps scolaire. Nous devrons faire le pari de concilier à la fois un temps pour l’écoute et l’apprentissage disciplinaire au sens classique du terme et un temps de mise en situation, de production, de conduite de projet en autonomie dans lequel l’outil informatique prendra une place incontournable.

En dix ans, la technologie a également considérablement évolué. Les choix initiaux étaient essentiellement axés sur une stratégie de terminaux informatiques portables associés à une infrastructure en réseaux filaires internes aux établissements. En 2000, le taux de connexion des familles restait assez modeste dans le département et, dans un souci d’égalité des chances très cohérent, le recours à des technologies Web avait à l’époque été écarté. Les outils pédagogiques mis en place peuvent-ils aujourd’hui ignorer Internet ? La question mérite d’être posée compte tenu du fait que le taux de connexion a considérablement évolué, plaçant ainsi une très grande majorité d’élèves dans un « bain quotidien » d’Internet duquel l’école est étonnamment absente. Il ne s’agit pas non plus de faire du déploiement d’un ENT une finalité en soi tant cette dénomination recouvre dorénavant des outils et des usages très divers. Fort de ces dix années d’expérience, de nombreux acteurs de l’opération « Un collégien, un ordinateur portable » sont en capacité d’exprimer des besoins pédagogiques parfaitement ciblés dans les domaines de l’accompagnement scolaire, de

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l’individualisation des apprentissages, du travail et de l’écriture collaboratifs. Plaidons également aujourd’hui pour une réflexion à la fois technique et pédagogique plus approfondie sur l’ergonomie des écrans. Dorénavant, que ce soit à travers les tableaux numériques ou les écrans des ordinateurs portables, la diffusion de l’information dans un contexte pédagogique doit davantage se professionnaliser en prenant appui sur les travaux et les réflexions d’autres secteurs d’activité. Cette logique d’adaptation entre le regard et l’écran a sans doute été sous-estimée et l’apparition récente de nouvelles solutions techniques nous invite à repenser certaines fonctionnalités de l’outil nomade en vue d’une amélioration de l’accès aux informations. »