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BIOTECHNOLOGIES VERTES Un enjeu stratégique …€¦ · et l’haplodiploïdisation. Autre avancée déterminante, la biologie moléculaire a conduit à la découverte de l’ADN

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Page 1: BIOTECHNOLOGIES VERTES Un enjeu stratégique …€¦ · et l’haplodiploïdisation. Autre avancée déterminante, la biologie moléculaire a conduit à la découverte de l’ADN

Semences & Progrès n° 182 / octobre 2017

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n groupe d’experts de l’Académie d’agricul-ture de France a réa-lisé une vaste enquête

auprès de la plupart des centres de sélection privés et publics, afin de mesurer l’impact des biotechno-logies vertes sur la filière semen-cière française.Plus de 80 responsables d’entre-prises de sélection ont été inter-rogés (1). Les questions portaient à la fois sur l’utilisation passée et actuelle des biotechnologies dans leurs activités, sur le développe-ment programmé de ces techniques au sein de leurs entreprises et sur leur vision de l’évolution à 15 ans.

Une sélection en constante progressionLes avis sont unanimes. Si la France est leader sur le marché international des semences, elle le doit à la puissance de sa recherche en sélection. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La France compte quelque 70 entreprises de sélection, de taille petite ou moyenne. Celles-ci consacrent une moyenne de 13 % de leur chiffre d’affaires à la recherche. Cette part est presque identique à celle des laboratoires pharmaceutiques (14 %), et de beaucoup supérieure à celle de l’électronique (9 %). Sur les cinq dernières années, le budget de la recherche privée française a bondi de plus de 65 %, pour atteindre 400 millions d’euros en 2016. Environ 4 000 chercheurs mobilisent leurs forces et les progrès de la science pour apporter innovation et per-formance. Chaque année, sont ainsi créées plus de 600 nouvelles variétés. Le taux de renouvellement est très élevé : en France l’âge moyen des 10 premières variétés des principales espèces des grandes cultures est inférieur à 7 ans. Ce turno-ver s’explique à la fois par l’évolution des

modes de culture, par la segmentation croissante des marchés, par la multipli-cation des maladies et ravageurs, par le souci de diversification… Voilà comment la France est devenue le premier expor-tateur mondial de semences et de plants, et le troisième producteur mondial après les États-Unis et la Chine.Faut-il le rappeler, les progrès de sélec-tion sont étonnants. À titre d’exemple, depuis les années 1970, les rendements du blé ont été multipliés par 3, grâce à l’introduction de gènes de nanisme, puis au meilleur tallage, à la productivité par épi… ; les rendements du maïs ont été multipliés par 4, grâce à l’introduction des hybrides. Pour ces deux espèces majeures, on estime la contribution de l’amélioration génétique respectivement de 40 et 70 %. Autre exemple, la tomate, quasi absente des marchés il y a un siècle, est devenue, grâce à l’innovation variétale, le premier légume consommé en France.Progressivement, dans chacun des pro-grammes de sélection, les « biotechnologies vertes » sont devenues incontournables. Ce terme est vague et peut paraître abs-trait à l’esprit de beaucoup d’entre nous. Les biotechs désignent en fait toutes les interventions in vitro et au laboratoire sur les embryons, les organes, les tissus,

les cellules, l’ADN, soit pour maî-triser ou accélérer leur production, soit pour modifier leurs carac-téristiques. Certaines méthodes de sélection sont utilisées depuis près d’un siècle. Notamment, la mutagénèse par irradiation est pratiquée depuis 1927, permet-tant de façon un peu aléatoire la modification des génomes. Ainsi, les plantes « mutées » (par des agents chimiques, ou physiques comme l’irradiation) qui nous font si peur aujourd’hui, existent autour de nous et dans nos assiettes.

On dénombre en 2016 environ 3 200 varié-tés issues de mutagénèse chez plus de 200 espèces cultivées dans le monde. De son côté, la culture in vitro de plantes a été initiée en 1939, avec successivement la culture d’embryons immatures, la fusion de protoplastes, la micro-propagation et l’haplodiploïdisation. Autre avancée déterminante, la biologie moléculaire a conduit à la découverte de l’ADN dans les années 1950, puis à la transgénèse. Quant aux techniques de marquage molé-culaire, elles se montrent indispensables pour prédire la valeur des plantes can-didates à la sélection et pour accélérer les programmes de croisements.

Mutagénèse aléatoire ou dirigéeEnfin est venue « l’édition de gènes » ou la génétique de précision. Ces nouvelles techniques sont le plus souvent désignées sous l’acronyme NBT, pour « New bree-ding technologies » (2). Parmi elles, citons la mutagénèse dirigée par oligonu-cléotide (ODM), la mutagénèse/insertion ciblée par nucléase (SDN), la cisgé-nèse ou Crispr-Cas9, l’agrofiltration de tissus foliaires, la génomique de syn-thèse… Évidemment, la mutagénèse diri-gée va non seulement apporter une plus

BIOTECHNOLOGIES VERTES

Un enjeu stratégique pour la France

Les entreprises semencières prévoient pour les 10 prochaines années une forte progression de la sélection génomique et de l’édition de gènes (NBT).

A condition que ces biotechnologies bénéficient d’un cadre réglementaire adapté.

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La plupart des plantes sélectionnées par les NBT ne sont pas des OGM.

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grande précision que la mutagénèse aléa-toire, mais elle permet un gain de temps considérable dans la création de nouvelles variétés, et dans l’introduction de carac-tères d’intérêt portant sur des résistances aux maladies, au stress hydrique, sur des qualités nutritionnelles ou technolo-giques… Cela, sans affecter le reste du génome. Ainsi, pour plusieurs espèces majeures, la mutagénèse dirigée peut conférer une résistance génétique à un champignon si néfaste comme le mil-diou, contribuant à diminuer fortement les traitements fongicides. Actuellement par la méthode conventionnelle du rétro-croisement, il  faut de l’ordre de 25 à 30 ans pour introduire une résistance, tandis qu’avec  la mutagénèse dirigée, l’insertion pourrait être réalisée en 5 ans et avec une plus grande précision.

Prenons l’exemple du blé tendre, une des premières espèces de céréales culti-vées dans le monde avec le riz et le maïs. C’est dire combien il est important d’amé-liorer la productivité de cette culture, pour assurer l’alimentation d’une population en forte augmentation. Cette espèce est embêtante pour le sélectionneur, de par son génome hexaploïde complexe, com-posé de plus de 120 000 gènes, soit cinq fois plus que le génome humain ! Depuis longtemps, les chercheurs s’efforcent de sélectionner des variétés de blé résistantes à l’oïdium, une maladie responsable de lourdes pertes. En utilisant une méthode d’édition génomique (Talen, méthode qui a précédé la désormais célèbre Crispr-Cas9), des chercheurs chinois ont réussi à obtenir la mutation simultanée de trois gènes mlo portés par trois chromosomes des trois génomes du blé. Ce même exploit aurait été illusoire en sélection tradition-nelle : la probabilité d’une telle mutation spontanée étant de 10-21. Dit autrement, le sélectionneur aurait eu une chance sur un milliard de milliard de milliard de voir la mutation se produire !La plupart des responsables de sélec-tion qui ont répondu à l’enquête recon-naissent qu’ils utilisent déjà dans leurs laboratoires une ou plusieurs NBT. Au total, si l’on regroupe toutes les réponses, 28 espèces cultivées (16 plantes agri-coles et 12 potagères) font l’objet de programmes d’amélioration par ces tech-niques. Ensemble, ces vingt-huit espèces couvrent 80 % des cultures arables du territoire.

Un cadre réglementaire non discriminatoireAu cours des dix prochaines années, les obtenteurs contactés prévoient une forte progression de la sélection géno-mique. Mais ils ajoutent de façon presque unanime que ce développement ne pourra se faire dans les meilleurs délais que si ces techniques d’édition de gènes « bénéficient d’un cadre réglementaire adapté ». Si l’on considère la mutagé-nèse dirigée, par exemple, c’est un fait que les plantes qui en sont issues ne se distinguant pas des plantes classiques, il est donc indispensable qu’elles soient soumises à un encadrement réglementaire « non discriminatoire » qui permettra leur développement effectif en Europe. À l’inverse, préviennent les experts, une

réglementation discriminatoire favori-serait les importations de semences et de produits agroalimentaires des pays tiers, au détriment du secteur semen-cier français.Après avoir gagné leur combat contre le maïs OGM, désormais interdit de culture en France, les détracteurs s’en sont pris aux plantes issues de mutagénèse, en les désignant sous le terme de « OGM cachés ». Sont spécialement visés des colzas et tournesols résistants aux her-bicides. Mais la directive européenne 2001/18 qui donne la définition d’un OGM a explicitement exclu ces plantes de son champ d’application. Concrètement, dans l’Union européenne, aucune évaluation, étiquetage ou traçabilité n’est donc imposé à ces variétés.Actuellement, les NBT sont à l’étude à la Commission européenne. OGM ou pas ? Une chose est sûre : chacune de ces nou-velles techniques sera examinée séparé-ment. Plusieurs fois, le délai a été repoussé. Il semble que le Conseil d’État rendra son avis définitif, au regard des réponses apportées par la Cour de justice de l’UE, d’ici début 2018.Le rapport de synthèse sur les résultats de cette enquête conclut que « c’est la mobilisation de l’ensemble des outils et méthodes biotechnologiques et tout par-ticulièrement l’édition de gènes qui per-mettra le maintien de la position forte de la France sur le marché international de la semence végétale, un des rares mar-chés où nous sommes positionnés dans les trois premiers mondiaux ».

Laure Gry

(1) Au total environ 80 personnes ont été interrogées. Soit les dirigeants d’entreprises, soit les responsables des divers centres de recherche privés et publics. Parmi les sélectionneurs et entreprises semencières privés qui ont participé à cette enquête : Agri Obtentions, OBS, Barenbrug, RAGT Semences, Caussade Semences, Saaten-Union, DSV France, Sakata, Euralis Semences, Secobra, Florimond Desprez, Syngenta, HM Clause, SESVanderHave, Jouffray-Drillaud, Soltis, KWS, Terre de Lin, Limagrain, Unisigma, Maïsadour Semences, Vilmorin-MKS, Monsanto. (2) Parmi les NBT, on peut citer la mutagénèse dirigée par oligonucléotide (ODM), la mutagénèse/insertion ciblée par nucléase (SDN), la cisgénèse ou Crispr-Cas9, l’agro-filtration de tissus foliaires, la génomique de synthèse…

L’INFO EN

LES BIOTECHNOLOGIES VERTES SONT INCONTOURNABLES

À chaque fois qu’il est question d’amélio-ration variétale et d’innovation, le recours aux biotechnologies vertes apparaît comme la solution incontournable.• En octobre 2015, le plan Agriculture Innovation 2025 a bien identifié l’amélio-ration des plantes et les biotechnologies comme « un des leviers majeurs » pour une agriculture compétitive et respec-tueuse de l’environnement.• Selon la FAO (Symposium des 15 et 16 février 2016), les biotechnologies sont une véritable fenêtre d’opportunité pour contribuer à rendre l’agriculture plus durable. Selon le directeur de la FAO, « nous avons besoin de tous les outils disponibles, de toutes les solutions, pour  répondre aux défis d’aujourd’hui, dont les biotechnologies ».• Dans son rapport de décembre 2016, sur  les  perspectives de la science, la technologie et l’innovation, l’OCDE dévoile les 10 tendances technologiques émergentes  les plus prometteuses et qui s’articulent autour de 4 grands axes stratégiques : encore  une fois « les  biotechnologies et l’ingénierie du vivant » y figurent en bonne place.• Le Plan Écophyto de réduction de l’usage des produits de protection des plantes a explicitement cité « l’amélioration variétale et les biotechnologies » comme le levier pour atteindre ses objectifs.