6
291 J Chir 2005,142, N°5 • © Masson, Paris, 2005 Mini-revue Biothérapies dans le traitement des cancers colorectaux G. Des Guetz Service d’Oncologie Médicale, Hôpital Avicenne – Bobigny. e-mail : [email protected] Correspondance : G. Des Guetz, Service d’Oncologie Médicale, Hôpital Avicenne, F 93009 Bobigny cedex. Résumé/Abstract Biothérapies dans le traitement des cancers colorectaux G. Des Guetz Deux nouveaux médicaments viennent modifier la prise en charge des cancers colorectaux métastatiques. Ils appartiennent à la classe des anticorps monoclonaux et ciblent des éléments tumoraux à la surface des cellules ou circulants dans le sang. Le bévacizumab fixe le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), principal facteur de croissance des néo- vaisseaux tumoraux. En association avec une chimiothérapie, il augmente la survie des patients traités pour des cancers colorectaux métastatiques : la médiane de survie des patients traités en première intention est de 20 mois alors que pour des patients traités par chimiothérapie seule, elle est de 15 mois. Un autre anticorps, le cétuximab a été développé en seconde ligne de traitement. Cet anticorps permet de contrôler 20 % des patients échappant à des chimiothérapies. La cible de cet anticorps est l’EGF (Epidermal Growth Factor). L’EGF est un facteur de croissance cellulaire majeur. Les effets secondaires de ces « biothérapies » sont différents des chimiothérapies. Ils sont la conséquence du blocage du facteur de croissance. Dans le cas du bévacizumab, ils sont vasculaires. L’EGF étant localisé dans l’épiderme, le cétuximab provoque des rashs cutanés. Mots-clés : Côlon. Biothérapie. Cancer. Bevacizumab. Cetuximab. Biotherapy in colorectal cancer G. Des Guetz Strategies for the treatment of metastatic colorectal cancer must take into account the contribution of monoclonal antibodies. A group of new efficient tools in oncology, these drugs target tumor antigens. Bevacizumab recognizes VEGF. Vascular endothelial growth factor (VEGF) is a key mediator in angiogenesis. This antibody combined with chemotherapy increases the survival of patients treated for metastatic colorectal cancer. Median survival of patients treated with antibodies and chemotherapy is 20 months, compared with only 15 months for patients treated with chemotherapy alone. Cetuximab is a monoclonal antibody that binds competitively and with high affinity to the EGF receptor. Cetuximab is currently approved for use in patients with pretreated colorectal cancer. EGF is a major cell growth factor. The side effects of these new biotherapies are different from chemotherapy: bevacizumab affects vascular elements and the most common side effect of anti-EGFR treatment is acneiform skin rash. Key words: Colon. Biotherapy. Cancer. Bevacizumab. Cétuximab. Introduction Le cancer du côlon est très fréquent, évalué à 30 000 nouveaux cas annuels. Pendant des années la chimiothérapie a consistée en du 5FU seul. Le traite- ment chirurgical a démontré son effi- cacité avec la possibilité d’opérer des métastases hépatiques. Des patients ini- tialement métastatiques pouvaient ainsi être guéris. En moins de 15 ans l’asso- ciation de deux drogues de chimiothé- rapie (5FU et Oxaliplatine ou 5FU et Irinotecan) est devenue un standard, aussi bien en situation métastatique qu’en situation adjuvante (après un ges- te chirurgical sur la tumeur primitive). Depuis trois ans le cancer du côlon est un champ d’investigation de nouvelles molécules, les anticorps mo- noclonaux 1 . Ces médicaments vont prendre une place majeure dans le trai- 1. Voir à ce sujet dans ce numéro : « Rationnel de la chirurgie oncologique au sein d’un traite- ment multimodal des cancers. » tement des cancers et notamment celui des cancers coliques. Deux anticorps sont utilisés. Le bévacizumab ou Avas- tin ® a montré son intérêt en augmen- tant la survie des patients atteints de cancers colorectaux métastatiques, si l’on associe l’anticorps à la chimio- thérapie. Cet anticorps cible les vais- seaux tumoraux, en les bloquant il provoque une véritable asphyxie tumo- rale. Ce progrès est équivalent à celui apporté par une nouvelle drogue effi- cace [1]. Un autre anticorps, le cétuxi- mab ou Erbitux ® paraît également très prometteur. Il se fixe à la surface des cellules, sur des antigènes tumoraux responsables de la croissance cellulaire et bloque ainsi le développement tumo- ral. L’Erbitux ® a été utilisé en cas d’échecs à une chimiothérapie métasta- tique : la reprise de la chimiothérapie initiale associée à l’anticorps permet d’obtenir des régressions tumorales, alors que la maladie échappe sous la chimiothérapie seule [2]. L’Erbitux ® et tout récemment l’Avastin ® viennent d’obtenir des autorisations de mise sur le marché (AMM). Ces traitements très efficaces ne sont pas dénués d’effets secondaires. Il est nécessaire d’apprendre à les connaître. Nous détaillerons successi- vement l’Avastin ® et l’Erbitux ® , leurs modes d’action (sur les vaisseaux tumo- raux ou les récepteurs de facteurs de croissance), proposerons des hypothè- ses sur ce qu’ils vont apporter en prati- que dans les années à venir, et sur leur place par rapport à la chirurgie. L’angiogénèse et l’Avastin ® L’angiogénèse Les cellules ont besoin de vaisseaux pour leur apporter nutriments et oxygène. L’angiogénèse est par définition le pro- cessus qui permet l’apparition de nou- veaux vaisseaux vers la tumeur à partir d’une vascularisation pré existante. Il s’agit d’un détournement de la vascu-

Biothérapies dans le traitement des cancers colorectaux

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Biothérapies dans le traitement des cancers colorectaux

291

J Chir 2005,142, N°5 • © Masson, Paris, 2005

Mini-revue

Biothérapies dans le traitement des cancers colorectauxG. Des GuetzService d’Oncologie Médicale, Hôpital Avicenne – Bobigny.e-mail : [email protected]

Correspondance : G. Des Guetz, Service d’Oncologie Médicale, Hôpital Avicenne, F 93009 Bobigny cedex.

Résumé/Abstract

Biothérapies dans le traitement des cancers colorectauxG. Des GuetzDeux nouveaux médicaments viennent modifier la prise en charge des cancers colorectaux métastatiques. Ils appartiennent à la classe des anticorps monoclonaux et ciblent des éléments tumoraux à la surface des cellules ou circulants dans le sang. Le bévacizumab fixe le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), principal facteur de croissance des néo-vaisseaux tumoraux. En association avec une chimiothérapie, il augmente la survie des patients traités pour des cancers colorectaux métastatiques : la médiane de survie des patients traités en première intention est de 20 mois alors que pour des patients traités par chimiothérapie seule, elle est de 15 mois. Un autre anticorps, le cétuximab a été développé en seconde ligne de traitement. Cet anticorps permet de contrôler 20 % des patients échappant à des chimiothérapies. La cible de cet anticorps est l’EGF (Epidermal Growth Factor). L’EGF est un facteur de croissance cellulaire majeur.Les effets secondaires de ces « biothérapies » sont différents des chimiothérapies. Ils sont la conséquence du blocage du facteur de croissance. Dans le cas du bévacizumab, ils sont vasculaires. L’EGF étant localisé dans l’épiderme, le cétuximab provoque des rashs cutanés.

Mots-clés : Côlon. Biothérapie. Cancer. Bevacizumab. Cetuximab.

Biotherapy in colorectal cancerG. Des GuetzStrategies for the treatment of metastatic colorectal cancer must take into account the contribution of monoclonal antibodies. A group of new efficient tools in oncology, these drugs target tumor antigens. Bevacizumab recognizes VEGF. Vascular endothelial growth factor (VEGF) is a key mediator in angiogenesis. This antibody combined with chemotherapy increases the survival of patients treated for metastatic colorectal cancer. Median survival of patients treated with antibodies and chemotherapy is 20 months, compared with only 15 months for patients treated with chemotherapy alone. Cetuximab is a monoclonal antibody that binds competitively and with high affinity to the EGF receptor. Cetuximab is currently approved for use in patients with pretreated colorectal cancer. EGF is a major cell growth factor. The side effects of these new biotherapies are different from chemotherapy: bevacizumab affects vascular elements and the most common side effect of anti-EGFR treatment is acneiform skin rash.

Key words: Colon. Biotherapy. Cancer. Bevacizumab. Cétuximab.

Introduction

Le cancer du côlon est très fréquent,évalué à 30 000 nouveaux cas annuels.Pendant des années la chimiothérapiea consistée en du 5FU seul. Le traite-ment chirurgical a démontré son effi-cacité avec la possibilité d’opérer desmétastases hépatiques. Des patients ini-tialement métastatiques pouvaient ainsiêtre guéris. En moins de 15 ans l’asso-ciation de deux drogues de chimiothé-rapie (5FU et Oxaliplatine ou 5FU et

Irinotecan) est devenue un standard,aussi bien en situation métastatiquequ’en situation adjuvante (après un ges-te chirurgical sur la tumeur primitive).

Depuis trois ans le cancer du côlonest un champ d’investigation denouvelles molécules, les anticorps mo-noclonaux1. Ces médicaments vontprendre une place majeure dans le trai-

1. Voir à ce sujet dans ce numéro : « Rationnelde la chirurgie oncologique au sein d’un traite-ment multimodal des cancers. »

tement des cancers et notamment celuides cancers coliques. Deux anticorpssont utilisés. Le bévacizumab ou Avas-tin® a montré son intérêt en augmen-tant la survie des patients atteints decancers colorectaux métastatiques, sil’on associe l’anticorps à la chimio-thérapie. Cet anticorps cible les vais-seaux tumoraux, en les bloquant ilprovoque une véritable asphyxie tumo-rale. Ce progrès est équivalent à celuiapporté par une nouvelle drogue effi-cace [1]. Un autre anticorps, le cétuxi-mab ou Erbitux® paraît également trèsprometteur. Il se fixe à la surface descellules, sur des antigènes tumorauxresponsables de la croissance cellulaireet bloque ainsi le développement tumo-ral. L’Erbitux® a été utilisé en casd’échecs à une chimiothérapie métasta-tique : la reprise de la chimiothérapieinitiale associée à l’anticorps permetd’obtenir des régressions tumorales,alors que la maladie échappe sous lachimiothérapie seule [2]. L’Erbitux® ettout récemment l’Avastin® viennentd’obtenir des autorisations de mise surle marché (AMM). Ces traitements trèsefficaces ne sont pas dénués d’effetssecondaires.

Il est nécessaire d’apprendre à lesconnaître. Nous détaillerons successi-vement l’Avastin® et l’Erbitux®, leursmodes d’action (sur les vaisseaux tumo-raux ou les récepteurs de facteurs decroissance), proposerons des hypothè-ses sur ce qu’ils vont apporter en prati-que dans les années à venir, et sur leurplace par rapport à la chirurgie.

L’angiogénèse et l’Avastin®

L’angiogénèseLes cellules ont besoin de vaisseaux pourleur apporter nutriments et oxygène.L’angiogénèse est par définition le pro-cessus qui permet l’apparition de nou-veaux vaisseaux vers la tumeur à partird’une vascularisation pré existante. Ils’agit d’un détournement de la vascu-

Page 2: Biothérapies dans le traitement des cancers colorectaux

Biothérapies et chirurgie comme traitements des cancers colorectaux métastatiques G. Des Guetz

292

larisation tumorale de l’organe où lecancer se développe. Les cellules can-céreuses ont la capacité de créer leurspropres néo vaisseaux. Sans apparitionde néo vaisseaux, une tumeur ne peutdépasser la taille d’un à deux mm. Lacroissance exponentielle des tumeurs estdonc liée à la néo vascularisation tumo-rale. Ces néo vaisseaux vont permettrenon seulement à la tumeur de se déve-lopper mais aussi augmenter la probabi-lité de dissémination par les vaisseaux decellules potentiellement métastatiques.

Le principal facteur de croissancevasculaire est le VEGF (VascularEndothelial Growth Factor). Dansles cellules tumorales il existe une sé-crétion de VEGF ; ce marqueur pos-sédant même de ce fait une valeurpronostique [3, 4].

L’angiogénèse et le VEGF sont aus-si essentiels à des phénomènes physio-logiques tels que le développement em-bryonnaire (implantation dans l’utéruset formation du placenta) et la cicatrisa-tion. Il a ainsi été démontré que la cica-trisation d’une blessure implique unaccroissement de la vascularisation, dela perméabilité vasculaire, à l’aide duVEGF. L’inhibition de l’action du VE-GF a donc pour conséquence de retar-der la cicatrisation [5].

L’Avastin® : anticorps ciblant le VEGF, facteur de croissance des vaisseauxDans les tumeurs, le VEGF secrété vase fixer sur les cellules endothéliales,induisant leur prolifération anarchique(figure 1).

L’Avastin® est un anticorps mono-clonal, humanisé, qui fixe sélectivementle VEGF circulant empêchant ainsi sonactivité biologique. Il s’en suit une ré-duction de la vascularisation tumoraleet par conséquent un blocage de lacroissance. Ce traitement peut s’admi-nistrer toutes les 3 semaines.

L’Erbitux®

Les récepteurs de croissance cellulaires EGF (Epidermal Growth Factor)Une famille de récepteurs de typeEGF-R a été identifiée. Quatre typesde récepteurs sont connus de R1 à R4.Le récepteur EGF a été détecté à lasurface de cellules épithéliales. Un desrécepteurs de cette famille, celui appe-

lé R2 ou Her 2/erb2, est le récepteurde l’Herceptine®, utilisé dans le trai-tement efficace du cancer du sein. Cesanticorps bloquent, en quelque sorte,la porte d’entrée dans la cellule auxfacteurs de croissance cellulaire. Ilsempêchent ainsi une cascade de ré-actions qui aurait aboutit à la croissan-ce cellulaire et à sa division [6].

L’Erbitux® : anticorps ciblant les cellules tumorales en croissanceUne meilleure compréhension desmécanismes de la carcinogénèse apermis d’identifier des cibles théra-peutiques potentielles. Les médica-ments de type anticorps anti récep-teur à l’EGF ciblent spécifiquementla partie du récepteur située à l’exté-rieur de la cellule. Ces anticorpss’administrent en injection intra vei-neuse hebdomadaire [6].

Les traitements actuels et futurs

Les traitements actuels en situation métastatique : les associations de la chimiothérapie avec l’Avastin®

Les nouveaux traitements ciblés ontfait une entrée remarquée, lors du

congrès de l’ASCO en 2003, Hurwitzavait rapporté les résultats d’une étuderandomisée sur plus de 800 patientsavec l’Avastin® [7].

• Efficacité en première ligne (figure 2)

Cette étude, publiée en juin 2004, acomparé un schéma classique améri-cain hebdomadaire FUFOL-Irino-tecan (IFL) avec ou sans Avastin®

(5 mg/Kg/14 jours), en traitementde 1re ligne des cancers colorectauxmétastatiques. Les résultats étaienttrès en faveur de l’Avastin®, avec unesurvie globale de 20,3 mois versus15,6 mois (p = 0,00003). La surviesans récidive était de 10,6 mois ver-sus 6,24 mois (p < 0,00001), la ré-ponse objective de 45 % versus 35 %(p = 0,0029), et la durée de réponsede 10,4 mois versus 7,1 mois (1).

• Efficacité en seconde ligne (figure 3)

Cette efficacité a été testée dans uneétude dite E 3200, qui a fait l’objetd’une communication orale à l’ASCOGastro Intestinal Symposium en jan-vier 2005. Les patients étaient pré-traités par une chimiothérapie à basede 5FU associé ou non à l’Irinotecan.Les 579 patients étaient randomisésaprès échappement au traitement enpremière ligne entre un bras FOL-FOX (Acide Folinique + 5FU + Oxa-

Figure 1 : Angiogénèse, développement des vaisseaux et modalités du traitement anti-angiogénèse :1re étape : sécrétion par la tumeur du VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) ;2e étape : action du VEGF avec développement des vaisseaux, ce qui abouti à la proli-fération cellulaire ;3e étape : on applique l’association des traitements, anti-cancéreux propre (chimiothé-rapie) et anti-VEGF (bévacizumab).

Page 3: Biothérapies dans le traitement des cancers colorectaux

293

J Chir 2005,142, N°5 • © Masson, Paris, 2005 Mini-revue

liplatine), ou un bras FOLFOX+ Avastin® (10 mg/kg) tous les15 jours, ou encore un bras Avastin®

seul. L’objectif principal était la survieglobale. Le bras Avastin® seul a dûêtre arrêté précocement. Les résultatssont en faveur de l’association FOL-FOX + Avastin® avec une survie mé-diane de 12,5 mois contre 10,7 moispour le bras FOLFOX seul (HazardRatio – risque relatif – de 0,74, p= 0,0024) [8].

• Toxicité

L’effet secondaire le plus souventobservé est une hypertension arté-

rielle (HTA). Dans l’essai principald’Hurwitz et al., une HTA impor-tante apparaissait dans 22,4 % descas traités par l’association chimio-thérapie et Avastin®, versus 8,3 %pour la chimiothérapie seule (p < 0,01).Cette HTA était contrôlée par trai-tement. Une protéinurie a aussi éténotée dans 20 % des cas, mais descomplications rénales graves n’ontjamais été observées [1].

Un risque hémorragique peut êtrecraint comme conséquence d’un traite-ment bloquant la fabrication des vais-seaux. Cependant, les évènementshémorragiques observés au cours des es-

Figure 2 : Bévacizumab (BV) associé à la chimiothérapie (IFL) en première ligne : augmentation de la survie [1].

Durée de la survie (mois)

Taux

de

surv

ie

0 10 20 30 40

1,0

0,8

0,6

0,4

0,2

0,0

Groupes thérapeutiquesIFL/PlaceboIFL/BV

Hazard Ratio = 0.65, p = 0,00003Survie médiane :15,6 versus 20,3 mois

Figure 3 : Bévacizumab associé à la chimiothérapie (FOLFOX) en deuxième ligne : augmentation de la survie [8].

1,0

0,8

0,6

0,4

0,2

Hazard Ratio = 0,074p = 0,0024

Durée de la survie (mois)

Taux

de

surv

ie

Total Décédés Vivants MédianeGroupes thérapeutiques

sais cliniques ont surtout été des saigne-ments cutanéo muqueux de peu de gra-vité dans 20 % des cas (comme desépistaxis), ou encore des hémorragiesliées à la tumeur. Cependant ces derniè-res ont surtout été observées dans un es-sai sur les cancers bronchiques (9 % descas dont 6 % fatals). Les patients traitésétaient atteints de cancers bronchiquesépidermoïdes à proximité de gros troncsvasculaires. Dans l’essai d’Hurwitz etal., la survenue d’évènements hémorra-giques n’était pas significativement dif-férente, que les patients soient traités parchimiothérapie seule (2,9 %) ou par l’as-sociation chimiothérapie et Avastin®

(5,1 %) [1, 9].En revanche lors d’un traitement

par Avastin®, si l’on considère lestroubles vasculaires en général, ilapparaît plus fréquemment des évè-nements artériels comme des acci-dent vasculaire cérébraux (AVC), desinfarctus du myocarde (IDM) et desaccidents ischémiques transitoires(AIT), soit 4,5 % des cas (45 sur1 004), versus 2 % des cas (15 sur741) pour la chimiothérapie seule.En revanche, les accidents thrombo-emboliques (19 %) n’apparaissentpas plus fréquemment que lors d’untraitement standard [10].

Des complications chirurgicales tel-les que des perforations gastro-intesti-nales ont aussi été mentionnées.

Les traitements actuels en situation métastatique : les associations de la chimiothérapie avec l’Erbitux®

• Efficacité en seconde ligne

L’étude européenne BOND 1 est uneétude randomisée de phase II chez despatients exprimant le récepteur EGF ettraités pour des cancers du côlon métas-tatiques qui ont progressé sous une chi-miothérapie à base d’Irinotecan. Cetteétude a inclus 329 patients. Les patientsont été traités avec Erbitux® + Irino-tecan (218 patients) ou Erbitux® seul(111 patients). Il s’agissait de maladeslourdement pré-traités et atteints d’unemaladie avancée puisque parmi ces pa-tients, 40 % avaient reçus au moins3 lignes de chimiothérapie et plus de60 % un traitement par Oxaliplatine[2]. Le taux de réponse était de 23 %versus 11 % (p = 0,0074), avec un tempsjusqu’à progression (4,1 versus 1,5 mois,

Page 4: Biothérapies dans le traitement des cancers colorectaux

Biothérapies et chirurgie comme traitements des cancers colorectaux métastatiques G. Des Guetz

294

p < 0,0001) en faveur du traitementcombiné. La médiane de survie étaitégalement allongée (8,6 versus 6,9 mois,p = 0,48). Ces résultats étaient indépen-dants aussi bien du nombre de traite-ments reçus par le patient que du tauxde récepteur EGF dans les cellules can-céreuses [2].

• Efficacité en première ligne

Des études sur les traitements propo-sés en première ligne apparaissent déjàtrès encourageantes. Dans le cas duFOLFOX associé à l’Erbitux®, 61 pa-tients ont été traités, avec 50 malades(82 %) positifs à l’EGFR. Chez les 20premiers malades évalués, le pourcen-tage de réponses a été de 70 %(14 cas), avec 25 % (5 cas) de stabilité ;le tout sans toxicité majeure [11].

Dans le cas de l’association au FOL-FIRI (Acide Folinique + 5FU + Irino-tecan) pour 40 patients le taux decontrôle de la maladie était aussi trèsélevé avec 88 % de maladies stables eten réponse partielle [12].

Au total ce traitement au mécanis-me d’action différent du précédent aété étudié en cas de maladie avancée.Un contrôle prolongé de la maladie etdes réponses sont observés. Mais cesréponses semblent aussi importantesen première intention comme en té-moignent les derniers résultats d’étu-des présentées.

• Toxicité spécifque de l’Erbitux®

Pour l’Erbitux®, les effets secondairessont presque essentiellement cutanés,du fait de la présence du récepteur EGFen grande quantité dans la peau. Cettecaractéristique est responsable de réac-tions cutanées acnéiformes qui peuventparfois être sévères. Cet effet secondai-re a paradoxalement un élément positif,puisque l’importante de la réactioncutanée a été reliée à l’efficacité dutraitement [2]. Il a aussi été décrit desréactions allergiques, ce qui nécessiteune prémédication systématique par unantihistaminique.

Les traitements futurs : l’intérêt d’un traitement adjuvant ?Il paraît logique de proposer un traite-ment anti-angiogénique en situationadjuvante, c’est-à-dire après chirurgiede la tumeur colique primitive. Ainsi ledéveloppement de micrométastases hé-patiques par exemple (amas de quelques

cellules en attente de progression c’està dire de néo-vaisseaux), qui mesurentmoins de 1 mm seraient bloqués. Demême l’association de chimiothérapiesavec l’anticorps ciblant l’EGF, paraîtparticulièrement attrayante. On pour-rait ainsi bloquer la croissance de cellu-les tumorales. Cet effet cytostatique, as-socié à la chimiothérapie cytotoxiquepourrait mieux contrôler la maladie àson stade initial.

Des études sont en cours avec desréponses prévues dans les prochainesannées.

Et les associations…L’Étude BOND 2 est la suite deBOND 1, qui déterminait le bénéficede l’association de Erbitux® avec Irino-técan après progression sous Irinoté-can. Cette seconde étude permet d’éva-luer l’association de l’Avastin® et del’Erbitux® avec ou sans chimiothérapiepar Irinotécan. Sur des résultats préli-minaires, l’addition des 2 anticorps à lachimiothérapie permet d’augmenterle taux de réponse comparativement àl’association des 2 anticorps seuls : de23 % à 38 % et la période sans progres-sion de la maladie de 6,9 à 8,5 mois[13].

Ces premiers résultats sont encou-rageants avec des taux de réponse deprès de 40 % pour des malades pré-traités. Il paraît que des anticorps serontintégrés de plus en plus souvent dansdes traitements de façon prolongée.

Chirurgie et traitement anti angiogénique

Les complicationsDans l’étude d’Hurwitz et al., des per-forations intestinales ont été observéeschez 6 patients (1,5 %) traités par Avas-tin® associé à la chimiothérapie, alorsqu’elles n’avaient pas été constatés pourles patients traités par chimiothérapieseule. Sur 55 patients traités par Avas-tin® et opérés en cours de traitement,5 patients (9 %) ont eu des anomalies decicatrisation ou des hémorragies. Cescomplications étaient des désunionsanastomotiques (n = 2), ou des hémo-thorax (n = 2) et une hémorragie aprèscolostomie. Elles étaient notées respec-tivement après 13, 89, 32, 47 et 39 joursd’arrêt du traitement [1, 14].

Enfin dans l’essai en seconde ligne(E3200), de rares perforations digesti-

ves (1 %) ont été observées, ellesétaient notées uniquement dans le brasAvastin® [8].

Les traitements néo adjuvants de la tumeur primitive et des métastases avant le geste chirurgicalLe traitement néo-adjuvant avant unechirurgie du cancer du rectum a étéévalué. Il consistait en une association àbase d’Avastin® et une radiothérapiepré-opératoire. Dans cette étude sur6 patients, les effets des traitementsétaient évalués très précisément et pardifférents procédés avec notamment uneendoscopie pré-opératoire et une éva-luation anatomopathologique de la piè-ce opératoire. Les patients étaient opé-rés 7 à 9 semaines après le traitementsans complication notoire et avec d’ex-cellentes réponses aux traitements [15].

En ce qui concerne la chirurgie desmétastases hépatiques, il n’existe aucuneétude spécifiquement centrée sur cettequestion. Il est donc difficile d’apporterdes conclusions pour ce cas de figure.On pourrait cependant considérer que lachirurgie de métastases hépatiques doitêtre envisagée ou planifiée avant la miseen route du traitement, mais ceci n’estpas consensuel. Une réflexion sur ce su-jet devrait être proposée.

En pratiqueLes termes de l’AMM vont permettred’utiliser le produit en première lignemétastatique en association avec la chi-miothérapie.

Selon les recommandations diffu-sées : le traitement par Avastin® ne doitpas être débuté avant un délai de28 jours suivant une intervention chi-rurgicale importante (il s’agissait descritères d’inclusion dans les études).Mais pour une intervention moins im-portante (telle que la pose d’un Port àCath par exemple), le délai demandéavant de débuter l’Avastin® est de7 jours (au moment où on peut consi-dérer la cicatrisation comme complète).Il n’est donc pas envisagé d’initier un teltraitement avant la cicatrisation totaled’une plaie et il devra être interrompujusqu’à la cicatrisation d’une plaieapparue pendant le traitement.

Pour des patients devant être opé-rés, alors que le traitement avait été ini-tié, il sera a priori nécessaire d’attendreque l’Avastin® soit éliminé, c’est à dire

Page 5: Biothérapies dans le traitement des cancers colorectaux

295

J Chir 2005,142, N°5 • © Masson, Paris, 2005 Mini-revue

2 à 3 demie vies du produit (qui est de21 jours), soit au moins 42 jours [16].

Au total, il sera préférable d’avoiropéré le patient de la tumeur primitiveavant de débuter un traitement de cetype pour éviter des risques supplémen-taires, notamment hémorragiques, oudes complications liées à la nécessitéd’une chirurgie en urgence (occlusion,perforations). Pour les même raisons, siles métastases hépatiques sont opérablesinitialement, on préfèrera les opéreravant d’initier les traitements.

Chirurgie et traitement anti-EGF

Moins de risques ?Il n’a pas été trouvé d’effets majeurssur la vascularisation tumorale et parconséquent de troubles de la cicatrisa-tion dans les essais à base d’Erbitux®. Leprincipal essai ayant permis l’AMM,avait inclus des patients évolués, avecvraisemblablement des carcinoses péri-tonéales, il n’a cependant pas été notéde perforations. L’Erbitux® paraît ainsimoins difficile d’utilisation, notammentchez des patients avec des risques hé-morragiques ou des tumeurs en place.

Des résultats encourageants en néo-adjuvantLes études de phase II présentées lorsde l’ASCO 2004, permettent d’envisa-ger une utilisation également pour aug-menter les taux de réponse des chimio-thérapies classiques de type FOLFOXou FOLFIRI. Ceci pourrait ainsi faireproposer cette association chimio-thérapie + Erbitux® en cas d’inopérabi-lité des métastases.

En pratiqueL’apport de ces molécules, en associa-tion avec des chimiothérapies, permetdonc de rattraper des maladies évoluées.

Conclusion

De nouvelles classes de médicamentsont fait leurs preuves, il s’agit d’anti-corps monoclonaux comme le béva-cizumab (Avastin®) ou le cétuximab(Erbitux®).

Ces molécules ne sont pas des chi-miothérapies (peu spécifiques). Ils sedistinguent des chimiothérapies parleurs cibles bien identifiées et par les ef-fets secondaires qui en découlent quin’ont rien à voire avec ceux des chimio-thérapies (c’est-à-dire l’aplasie ou l’alo-pécie ou encore les troubles digestifs).Ces médicaments rentrent dans le nou-veau groupe des biothérapies ciblées. Ilsciblent en effet les vaisseaux tumoraux ;des effets vasculaires ou hémorragiquessont donc prévisibles. Mais ce sont sou-vent directement les cellules tumoralesqui sont visées. Néanmoins, ces traite-ments sont peu efficaces seuls. Il existedonc des systèmes dans la cellule tumo-rale lui permettant de résister d’emblée.Cependant, leur efficacité est montréeen association à la chimiothérapie. Leurplace par rapport à la chirurgie est im-portante à préciser1. Augmenteront-ilsla survie des patients à fort potentielmétastatique (envahissement ganglion-naire massif ou métastases hépatiques

Points essentiels• Le bévacizumab est un anticorps anti VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), bloquant

la fabrication des néo-vaisseaux.

• L’association de cet anticorps avec la chimiothérapie permet une augmentation de la survieglobale en première ligne mais aussi en seconde ligne métastatique.

• Les effets secondaires du bévacizumab sont vasculaires (hypertension artérielle, accidentsvasculaires rarissimes) ; des cas de perforations digestives ont été décrits.

• Le cétuximab est un anticorps ciblant l’EGF (Epidermal Growth Factor) situé à la surface descellules.

• Le cétuximab est efficace en association à la chimiothérapie et notamment dans des situa-tions de progression de la maladie.

• L’intensité des réactions acnéiformes observées fréquemment lors de son administrationconstitue un facteur prédictif de réponse à ce type de traitement.

1. Voir à ce sujet dans ce numéro : « Rationnelde la chirurgie oncologique au sein d’un traite-ment multimodal des cancers. »

réséquées) ? À quel moment de lastratégie thérapeutique faudra-t-il opé-rer les malades et comment évaluer aumieux ces malades ? Les essais qui doi-vent inclure ces nouvelles molécules de-vraient répondre à ces questions dansun avenir proche.

Références

1. Hurwitz H, Fehrenbacher L, Novotny Wet al. Bevacizumab plus irinotecan,fluorouracil, and leucovorin for metas-tatic colorectal cancer. N Engl J Med2004;350:2335-2342.

2. Cunningham D, Humblet Y, Siena S etal. Cetuximab Monotherapy and Cetuxi-mab plus Irinotecan in Irinotecan-Re-fractory Metastatic colorectal cancer. NEngl J Med 2004;351:337-345.

3. Garcea G, Lloyd TD, Gescher A, Den-nison AR, Steward WP, Berry DP. An-giogenesis of gastrointestinal tumoursand their metastases-a target for inter-vention? Eur J Cancer 2004;40:1302-1313.

4. Fernando NH, Hurwitz HI. Targetedtherapy of colorectal cancer: clinical ex-perience with bevacizumab. Oncologist2004;9:11-8.

5. Howdieshell TR, Callaway D, Webb WLet al. Antibody neutralization of vascularendothelial growth factor inhibits woundgranulation tissue formation. J Surg Res2001;96:173-182.

6. Veronese ML, O’Dwyer PJ. Monoclonalantibodies in the treatment of colorectalcancer Eur J Cancer 2004;40:1292-1301.

7. des Guetz G. 39e Congrès de l’AmericanSociety of Clinical Oncology. J Chir2003;140:249-250.

8. Giantonio BJ, Catalano PJ, Neal J et al.High-dose bevacizumab in combina-tion with FOLFOX4 improves survivalin patients with previously treated ad-vanced colorectal cancer: Results fromthe Eastern Cooperative OncologyGroup (ECOG) study E3200. Procee-dings of the 2nd ASCO GI Symposium;2005 January 27-29; Hollywood, FL,USA.

9. Johnson DH, Fehrenbacher L, Novot-ny WF et al. Randomized phase II trialcomparing bevacizumab plus carbopla-tin and paclitaxel with carboplatin andpaclitaxel alone in previously untreatedlocally advanced or metastatic non-small-cell lung cancer. J Clin Oncol2004;22:2184-2191.

10. Novotny WF, Holmgren E, Nelson B,Mass R, Kabbinavar F, Hurwitz H. Be-vacizumab (a monoclonal antibody tovascular endothelial growth factor) doesnot increase the incidence of venousthromboembolism when added to first-line chemotherapy to treat metastatic co-lorectal cancer. Proceedings of the 40th

ASCO annual meeting; 2004 June 5-8;New Orleans, US.

11. Tabernero JM, Van Cutsem E, Sastre Jet al. An international phase II study ofcetuximab in combination with oxalipla-tin/5-fluorouracil (5-FU)/folinic acid(FA) (FOLFOX-4) in the first-line

Page 6: Biothérapies dans le traitement des cancers colorectaux

Biothérapies et chirurgie comme traitements des cancers colorectaux métastatiques G. Des Guetz

296

treatment of patients with metastaticcolorectal cancer (CRC) expressingEpidermal Growth Factor Receptor(EGFR). Proceedings of the 40th ASCOannual meeting; 2004 June 5-8; NewOrleans, US.

12. Rougier P, Raoul JL, Van Laethem JL etal. Cetuximab+FOLFIRI as first-linetreatment for metastatic colorectal CA.Cetuximab+FOLFIRI as first-line treat-ment for metastatic colorectal CA. Pro-ceedings of the 40th ASCO annual mee-ting; 2004 June 5-8; New Orleans, US.

13. Saltz LB, Lenz HJ, Kindler H et al. Inte-rim report of randomized phase II trialof cetuximab/bevacizumab/irinotecan(CBI) versus cetuximab/bevacizumab(CB) in irinotecan-refractory colorectalcancer. Proceedings of the 2nd ASCO GISymposium; 2005 January 27-29; Hol-lywood, FL, USA.

14. Hurwitz H, Fehrenbacher L, Cart-wright T et al. Wound healing/bleedingin metastatic colorectal cancer patientswho undergo surgery during treatmentwith bevacizumab. Proceedings of the

40th ASCO annual meeting; 2004 June 5-8; New Orleans, US.

15. Willett CG et al. Direct evidence that theVEGF- specific antibody bevacizumabhas antivascular effects in human rectalcancer. Nat Med 2004;10:145-147.

16. Gaudreault J, Bruno R, Kabbinavar F,Sing A, Johnson DH, Lu J. Clinicalpharmacokinetics of bevacizumab fol-lowing every 2- or every 3-week do-sing. Proceedings of the 40th ASCO an-nual meeting; 2004 June 5-8; NewOrleans, US.