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EUROPE RENAUD DENUIT GREXIT, BREXIT… ET SURSAUT MANQUANT 1 Depuis quelques semaines, les medias regorgent des expressions Grexit et Brexit, deux mots valises nés de contractions de l’anglais, parfois associés à des commentaires pessimistes, voire alarmistes, sur l’avenir de l’Union européenne. Celle-ci compte 28 Etats, dont 19, parmi lesquels la Grèce, ont adopté la monnaie unique et sont donc membres de la zone euro. La Grande-Bretagne, membre de l’Union, ayant fermement conservé sa propre monnaie, l’expression Brexit ne peut évoquer que sa sortie de l’Union. En revanche, le Grexit peut théoriquement évoquer la même perspective, mais de fait, il désigne plutôt un retrait de la zone euro, un tel retrait étant compatible avec le maintien de l’appartenance à l’Union, même si le cas ne s’est pas présenté jusqu’ici. Sans exclure le pire : attention au « passage à niveau » - un Grexit peut en cacher un autre. Alors que le Grexit est évoqué comme hypothèse récurrente depuis au moins trois ans, et spécialement depuis la victoire du parti d’extrême gauche aux dernières élections nationales, le Brexit a surgi brutalement dans l’actualité récente, en mai dernier, dès l’annonce du maintien, au 10 Downing Street, de David Cameron, fort d’une indiscutable majorité parlementaire ; lié par une promesse antérieure d’organiser un référendum populaire sur le retrait de l’Union, le Premier ministre n’a pu qu’inscrire ce projet dans le discours du Trône. Qu’un tel referendum ait lieu effectivement au plus tard en 2017, relève donc de la certitude et pour cette raison, études et spéculations se multiplient quant à son issue. Une consultation du même type n’est pas prévue, officiellement, par Athènes ; si Grexit il y a un jour, sans qu’on puisse actuellement le situer dans l’agenda, il résultera d’une banqueroute de l’Etat hellénique, contraint de réintroduire d’urgence la drachme et de mener à nouveau sa propre politique monétaire. Entre les deux pays, le contraste des opinions publiques est également saisissant. La tiédeur, pour ne pas dire l’hostilité des Britanniques à l’Union européenne a un caractère structurel - elle ne date pas d’hier, loin s’en faut - tandis que conjoncturelle est la révolte hellénique, dirigée davantage contre une Troïka 2 honnie et une classe politique discréditée, que contre l’intégration européenne elle-même. Lors de leurs derniers scrutins nationaux, les Grecs plébiscitent un nouveau parti radicalement de gauche, emmené par un néophyte, les Anglais confortent un vieux parti de droite, conduit par un chef de gouvernement expérimenté. Mais les uns et les autres laissent percevoir un point commun : ces peuples se veulent de vrais acteurs politiques. En reconduisant Cameron, les électeurs du Royaume-Uni savent qu’ils détiendront, à court terme, un pouvoir que ne leur offraient pas les autres formations en lice : choisir, ou non, le retour à l’insularité. Quant au triomphe de Syriza, c’est aussi la volonté d’un peuple humilié de relever la tête et de se faire respecter, voire de servir d’exemple à d’autres vivant une situation 1 La rédaction de ce texte a été achevée le 15 juin ; au moment où le lecteur en prendra connaissance, des événements nouveaux se seront produits, spécialement à propos de la Grèce dans la zone euro et des revendications exactes de M. Cameron ; puisse le présent article au moins aider le lecteur à les comprendre dans leur contexte général. 2 On désignait ainsi, jusqu’à ce que le nouveau gouvernement grec en bannisse l’expression, les représentants de la Commission européenne, de la Banque Centrale européenne (BCE) et du Fonds Monétaire international (FMI) qui tenaient régulièrement réunion à Athènes.

Brexit, Grexit Article Rg

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Article de Renaud Denuit, membre du Comité de Soutien de Stand Up publié dans La Revue Générale, édition juillet - août 2015.

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EUROPE RENAUD DENUIT GREXIT, BREXIT ET SURSAUT MANQUANT1 Depuis quelques semaines, les mediasregorgentdes expressionsGrexit et Brexit, deux mots valises ns de contractions de langlais, parfois associs des commentaires pessimistes, voire alarmistes,surlavenirdelUnioneuropenne.Celle-cicompte28Etats,dont19,parmi lesquelslaGrce,ontadoptlamonnaieuniqueetsontdoncmembresdelazoneeuro.La Grande-Bretagne,membredelUnion,ayantfermementconservsapropremonnaie, lexpressionBrexitnepeutvoquerquesasortiedelUnion.Enrevanche,leGrexitpeut thoriquement voquer la mme perspective, mais de fait, il dsigne plutt un retrait de la zone euro, un tel retrait tant compatible avec le maintien de lappartenance lUnion, mme si le cas ne sest pas prsent jusquici. Sans exclure le pire : attention au passage niveau - un Grexit peut en cacher un autre. AlorsqueleGrexitestvoqucommehypothsercurrentedepuisaumoinstroisans,et spcialement depuis la victoire du parti dextrme gauche aux dernires lections nationales, le Brexit a surgi brutalement dans lactualit rcente, en mai dernier, ds lannonce du maintien, au 10 Downing Street, de David Cameron, fort dune indiscutable majorit parlementaire ; li par une promesse antrieure dorganiser un rfrendum populaire sur le retrait de lUnion, le Premier ministre na pu quinscrire ce projet dans le discours du Trne. Quun tel referendum aitlieueffectivementauplustarden2017,relvedoncdelacertitudeetpourcetteraison, tudes et spculations se multiplient quant son issue. Une consultation du mme type nest pas prvue, officiellement, par Athnes ; si Grexit il y a un jour, sans quon puisse actuellement lesituerdanslagenda,ilrsulteradunebanqueroutedelEtathellnique,contraintde rintroduire durgence la drachme et de mener nouveau sa propre politique montaire.Entre les deux pays, le contraste des opinions publiques est galement saisissant.La tideur, pour ne pas dire lhostilit desBritanniques lUnion europenne a uncaractre structurel- elle ne date pas dhier, loin sen faut - tandis que conjoncturelle est la rvolte hellnique, dirige davantage contre une Troka2 honnie et une classe politique discrdite, que contre lintgration europenneelle-mme.Lorsdeleursderniersscrutinsnationaux,lesGrecsplbiscitentun nouveaupartiradicalementdegauche,emmenparunnophyte,lesAnglaisconfortentun vieuxpartidedroite,conduitparunchefdegouvernementexpriment.Maislesunsetles autres laissent percevoir un point commun : ces peuples se veulent de vrais acteurs politiques. EnreconduisantCameron,leslecteursduRoyaume-Unisaventquilsdtiendront,court terme, un pouvoir que ne leur offraient pas lesautres formations en lice: choisir, ou non, le retour linsularit. Quant au triomphe de Syriza, cest aussi la volont dun peuple humili de relever la tte et de se faire respecter, voire de servir dexemple dautres vivant une situation

1 La rdaction de ce texte a t acheve le 15 juin ; au moment o le lecteur en prendra connaissance, des vnements nouveaux se seront produits, spcialement propos de la Grce dans la zone euro et des revendications exactes de M. Cameron ; puisse le prsent article au moins aider le lecteur les comprendre dans leur contexte gnral. 2 On dsignait ainsi, jusqu ce que le nouveau gouvernement grec en bannisse lexpression, les reprsentants de la Commission europenne, de la Banque Centrale europenne (BCE) et du Fonds Montaire international (FMI) qui tenaient rgulirement runion Athnes. comparable;ainsilesuccsplusrcentdePodemosenEspagnetraduit-ilpeut-treledbut dun effet tache dhuile dans lEurope du sud. Il nest pas anecdotique quAlexis Tsipras ft,lorsdeslectionseuropennesde2014,lafiguredeprouetransnationaledelextrme gauche,faisantrayonnersesidesentantquecandidatlaprsidencedelaCommission europenne, une fonction que naurait jamais brigue un Cameron. Quoiquil en soit, les clefs du Brexit seront exactement entre les mains des citoyens, dans le secret des isoloirs ; on ne peut en dire autant du Grexit, en tout cas pour le moment, moins que, comme on lui en prte parfois lintention, Tsipras ne lance un referendum pour recadrer son mandat, rajoutant de lincertitude un enjeu qui exige un terrain solide. RTROACTES Contrairement beaucoupde petits pays (dont la Grce et la Belgique) et plusieurs grands pays(Allemagne,Italie,Espagne),lappartenancelUnioneuropennenajamaisfait lobjetdunlargeconsensusauseindelaclassepolitiqueduRoyaume-Unietencoremoins danslapresse.Sonadhsionesteffectiveau1erjanvier1973,enmmetempsquecellesde lIrlande et du Danemark. La ngociation a t conduite par le conservateur Edward Heath, sur la base de convergences avec le Prsident Pompidou, qui lve ainsi le veto franais plusieurs fois exprim par de Gaulle. Revenus au pouvoir, les travaillistes dHarold Wilson rengocient lesconditionsdadhsionetorganisentunrfrendumenjuin1975:lepeupletranchesans ambigut, par 67% de oui lintgrationeuropenne.Les dirigeants ultrieurs se sentent-ils lis par cet engagement majeur ? Pas vraiment !Quatre ans plus tard, la conservatrice Margaret Thatcher sinstalle aux commandes pour plus dunedcennie:discourssouverainistes,bataillepourdiminuersacontributionaubudget commun, resserrement des liens transatlantiques, freins sur toute volution vers une Fdration des axes dont, malgr quelques nuances, ne scarteront pas ses successeurs Downing Street, de quelque bord politique quils soient, surveills par une presse people chroniquement hostile lEuropedeBruxelles,usantadnauseamdecaricaturesetcontre-vrits.Rsultat:le Royaume-Unisestdjmislui-mme,defacto,dansunstatutspcial:ilneparticipeni lEspace Schengen de libre circulation des personnes, ni lEurope judiciaire, ni la monnaie unique,nesignepaslaCharteeuropennedesdroitsfondamentaux,combatchaquefoisles candidats la prsidence de la Commission jugs trop fdralistes (Dehaene, Verhofstadt, Juncker), refuse de signer le trait budgtaire, sactive pour rduire les initiatives lgislatives de la Commission ainsi que le budget europen, dj maigrichon. Un Brexit rampant ? Huit ans aprs la Grande-Bretagne, la Grce entre dans la CEE : autant le cas de la premire avait t controvers, au-dedans et au dehors, autant ladhsion de la seconde passe comme une lettre la poste et se fte dans la joie, surtout dans un pays comme la France qui y voit le dbut dun rquilibrage de lEurope vers la Mditerrane. Mre de la dmocratie et de la philosophie, chargedeculture,lHelladeestensoi,unmythe;maissaralitconcrteestfaitedune conomieetduneadministrationenretardsurlesstandardseuropens.Athnesjouelejeu communautaire, bnficie de la politique rgionale, contribue jeter les bases dune politique culturelleetnedurcitletonnationalquesurdesenjeuxtrssensiblessesyeux:Turquie, Macdoine SilentreinauguraledelaGrcedanslaCommunautfutlumineuseetconsensuelle,celle dans lUnion montaire,au dbut de ce sicle, est marque par la rticence et lopacit. Elle rejoint de justesse legroupe pionnieren 2001, peu avant la mise encirculation des premiers euros.LescritresdeconvergencesrequisparletraitdeMaastrichtsontimparfaitement respects ; il est de notorit publique aujourdhui que les chiffres avaient t maquills, avec labndictiondesgouvernementspartenaires.Uneadoptiondoncprmaturedelamonnaie unique,viablejusqulacrisefinancireinternationalede2008,quitouchespcialement lIrlandeetlespaysdusuddelEurope.Lesagencesdenotationnesepriventpasdeles dgrader,alimentantlasuspiciondesprteursquirelventleurstauxdintrt.Prisedans lengrenage dune dette galopante, avec au bout, un risque dinsolvabilit, la Grce est juge en dtresse3.Le 2 mai 2010, les partenaires de la zone euro interviennent : des prts bilatraux4, coordonnes parlaCommissioneuropenne,serontaccordsjusquenjuin2013,pouruntotalde80 milliardsdeuros,auxquelssajoutent30milliardsvenantduFondsMontaireInternational (FMI). En juillet 2011, la demande du gouvernement grec, la Commission cre une quipe de choc(Task-force)chargedecoordonnerlesaidesetdeconseillerlesmesuresjuges appropries pour assainir les finances hellniques et renforcer lconomie du pays. Ce premier programme dajustement ne suffit pas le sortir de lornire. En mars 2012, est sign le trait budgtaire 5, la restructuration de la dette grecque est en cours6 et les ministres des finances de la zone euro approuvent le principe dun second programme dajustement conomique pour laGrce,toujoursenvigueur,etquiseraitalimentparlemcanismeeuropendestabilit financire7 hauteur de 144,7 milliards, plus environ 20 milliards venant du FMI. Ces montants doivent tre librs par tranches, jusqu la fin de 2014, au fur et mesure de la mise en uvre duprogramme.Celle-ciestperturbeparlesmouvementsdesmarchsetlesincertitudes politiques (deux lections nationales successives en 2012). Les runions dexperts reprsentant laCommission,laBanquecentraleeuropenneetleFMI(Troka)semultiplientAthnes, crant dans la population limpression dune mise sous tutelle de plus en plus contraignante.GRCE : LPANOUISSEMENT DES TENSIONS Latrokadevientdautantplusimpopulairequelesrsultatsservlentcontrairesceux esprs. La dette reprsente 175% de la richesse nationale produite en une anne, alors quelle tait 113% en 2009, le chmage est 25% (mais 50% chez les jeunes), les salaires sont rduits, 44%despensionnssontsousleseuildepauvret,lessuicidesdepetitsindpendantsetde chmeurs se multiplient, les services publics et quipements collectifs sont mis la dite. Au lieu de chercher surtout faire rentrer de largent dans les caisses de lEtat en percevant plus efficacement limpt et en taxant les plus favoriss, les dirigeants ont sabr dans les dpenses publiques, crant un affaissement de la demande intrieure qui a ruin les chances de croissance, et rduisant la base taxable, donc les recettes futures de lEtat. De surcrot, les technocrates ont sembl oublier que lopinion publique locale, cela existe, et quun jour ou lautre, les citoyens votent en considrant leur vcu quotidien ; ils se sont donc doublement tromps : sur la stratgie conomique et quant la dimension politique8.

3 Voir notamment LAVDAS K.A., LITSAS S.N. et SKIADAS D.V., Stateness and Sovereign Debt. Greece in the European Conundrum, Lexington Books, Plymouth, 2013. 4 Le systme porte alors le nom de Greek Loan Facility (GLF). 5 Trs exactement : Trait sur la stabilit, la coordination et la gouvernance au sien de lunion conomique et montaire, appel couramment Pacte budgtaire europen, qui resserre la discipline budgtaire dans lensemble de lUnion europenne (sauf le Royaume-Uni et la Rpublique tchque). 6 Effacement hauteur de 107 milliards et renonciation des cranciers plus de 53% de leurs crances. 7 European Financial Stability Facility (EFSF), garanti par le budget europen et supervis par la Commission. 8 On ne saurait trop recommander la lecture de deux interviews rcentes de Paul De Grauwe et Lambros Couloubaritsis. Lconomiste et le philosophe sont complmentaires et convergents. Le premier insiste sur les risques dun Grexit et la ncessit pour les cranciers, de reconnatre que la stratgie base sur laustrit a chou ; le second, tout en tant trs critique sur leffet dstabilisateur de la manipulation des comptes de 2001, et sur la structure historique de la Grce moderne fonde sur le clientlisme, la corruption et lvasion fiscale , pointe lerreur des dirigeants europens : le manque de conscience de la complexit. Sortir dun certain Aprs les turbulences autour dune impossible lection du prsident par le Parlement (la Vouli), fin2014,denouvelleslectionslgislativessontconvoquesenjanvier2015.Auvudes sondages,dessignauxpaternalistesvenantdeBruxellesetdeBerlin,sontenvoysaux lecteurs grecs,alors que lAllemagne, rpute inspiratrice en chef de la politique daustrit et vraie patronne de la troka, est trs impopulaire auprs deux. L encore, linterventionnisme savre contre-productif et un nouveau parti antisystme fait son entre en force la Vouli et forme le gouvernement. Cette revanche des urnes, cest, pour les sphres de lEurogroupe, lImprvu comme tel9. Il a bien fallu aux deux parties de sadapter mutuellement. On ne dtaillera pas ici les pripties de ce bras de fer, qui se sont droules de depuis fvrier. A la demande des Grecs, le mcanisme dassistance financire inscrit dans le second programme, a t prolong de quatre mois, avec laclunnouveauversementde7,2milliards,sousrservedelaprsentationduneliste prcise de rformes. Mais celle-ci, dans lesprit de lEurogroupe et du FMI sinscriraient dans le canevas des annes prcdentes, alors que Syriza sest engag, vis--vis de la population, diminuer la pauvret, restaurer progressivement le pouvoir dachat, donner un cot darrt laustrit et aux privatisations. Tel est le fondement de la querelle sur le montant du surplus budgtaire primaire10. Le FMI, auquel Athnes devait rembourser 300 millions au plus tard le 5juin,suivisdautreversementslemmemoispouruntotald1,5milliard,estundes partenairesleplusdurs,notammentparcraintedecrerunprcdentdontpourraientse prvaloir ses autres dbiteurs dans le monde. Si un accord est finalement conclu, il doit tre ratifi : (1) par les 19 ministres des finances de lazoneeuro(etchaquepaysfaitvidemmentsescomptes);(2)parcertainsparlements: lallemand, peut-tre le finlandais et le nerlandais et bien sr le grec. Or, la gauche de Syriza estime que son leader va trop loin dans les concessions et le menace dune motion de censure.Le 2 juin, les ngociateurs grecs remettent leur plan complet, mais dont les dtails nont pas t rvls. Le 3, suite au sommet de Berlin11, les cranciers font une contre-proposition de la dernire chance : rvision la baisse des exigences sur la trajectoire budgtaire jusquen 2018(quiquivautunereconnaissancedefaitdelancessitderduireladettepublique grecque),prolongationdequelquesmoisduprogrammedassistanceavecversementdela trancheprvuede7,2milliards,augmentede9milliardsautitredelarecapitalisationdes banques et de 2 milliards provenant du FMI ; cependant, la condition est mise de faire voter par le parlement grec, 70% des engagements pris par le gouvernement prcdent dans le cadre du programme;unepiluleimpossibleavalerparSyriza:rformedesretraites,flexibilitdes licenciements, hausse de la TVA Le 5 juin, devant la Vouli, Tsipras rejette fermement cette

simplisme purement comptable, cest la condition dun bon accord : la stratgie, estime De Grauwe, doit viser plus haut : sortir la Grce de l dpression et, ainsi, du pige de la dette. (Le Soir, 12 juin). 9 Dans un entretien sur la question, lconomiste James Galbraith ne mche pas ses mots propos de la premire rencontre entre la nouvelle quipe et les dirigeants europens Bruxelles : Cette rencontre fut un choc pour les deux parties. LEurope - et ctait nouveau pour elle dcouvrait une opposition raisonne et dtermine, alors que sa politique navait jamais t mise au dfi. Les reprsentants grecs se sont retrouvs face un mur, fait de mconnaissance de la ralit grecque et de suspicions, voire, dans une certaine mesure, de dgot. Personnellement, ce qui ma frapp, cest, au plus haut niveau europen, un degr dimprovisation incomprhensible, droutant. (Le Soir, 5 juin). 10 Les cranciers de la Grce estimlent que la trajectoire budgtaire des annes venir doit tre caractrise par un surplus budgtaire primaire (cest--dire hors remboursement de la dette) assez lev afin de restaurer sa crdibilit et sa solvabilit, alors que le gouvernement le veut le plus bas possible, afin de disposer de ressources suffisantes pour mener sa politique sociale et relancer la croissance. 11 Une runion sur lconomie numrique laquelle participaient Angela Merkel, Franois Hollande et Jean-Claude Juncker, rejoints par les patrons de la BCE, Mario Draghi et du FMI, Christine Lagarde. offre, quil qualifie dabsurde, tout en soulignant la faisabilit dun accord bref dlai. Le mme jour, Athnes annonce que la tranche de 300 millions nest pas verse au FMI, en lui proposant que toutes les sommes dues soient regroupes au 30 juin. Tsipras cherche ainsi, en interne, rassemblersestroupeset,enexterne,arracheruntroisimeplaneuropendajustement, fond,nonsurlesengagementsdesprcdentsgouvernements,maissurlespropositionsdu sien propre.Les cranciers sont agacs. Juncker boude Tsipras pour quelques jours, puis le revoit le 10 juin Bruxelles, en marge du sommet Europe-Amrique latine. Le ton se durcit, surtout de la part du FMI. Les contre-propositions grecques sont jugs incompltes, peu crdibles. Le Prsident du Conseil europen Donald Tusk, sort de sa rserve, appelant les Grecs se montre ralistes : Nous avons besoin de dcisions . Mme le Premier ministre belge donne de la voix, dcrtant la fin de la rcration a sonn - une expression qui choque plus dun sur la toile. Certes la radio-tlvisionpubliquegrecque(ERT)aredmarrle11juin,deuxansaprssabrutale fermeture par le gouvernement prcdent : un symbole dmocratique, une promesse tenue par Tsipras,maisguredenatureapaiserlinquitudeconomiquedelapopulation.Durantle week-end des 13-14 juin, les discussions reprennent, mais les ngociateurs se sparent sur un dsaccord. Le pessimisme grandit. Au moment o sont crites ces lignes, il est impossible de savoir si un compromis pourra tre atteint pour la runion de lEurogroupe, fixe au 18 juin, une date limite, de lavis gnral, compte tenu des ratifications ncessaires avant le 30. Quelle que soit lissue finale de ces dures ngociations, il nest pas exagr de qualifier laffaire grecquedetragdie:dabord,videmment,enraisondelasituationconcrtevcueparune grande partie de la population, dont le dsespoir serait encore accru si les nouveaux dirigeants quelle sest choisis, chouaient renverser la tendance ; ensuite, parce que la mise sous tutelle napasproduitsesfruits,quelestablishmenteuropenadumalreconnatrelecaractre erron de ses recettes et quune grande part de lnergie politique de lUnion aura t consacre cetteaventuredevenueexemplativedesmthodesdupouvoireuropencommetel.Ainsi depuisleslectionsdemai2014rendantlenouveauParlementeuropenpluseurosceptique queleprcdent,assiste-t-ondesvotesprotestataires,degauche12oudedroite,allanttous danslesensduncertainnationalisme,probablementgnrateurdinstabilitsfutures, compliquantlagouvernancedelUnionsanspourautantsatisfaire,terme,lesaspirations lgitimesdlecteursendsarroi:29mars,lectionsdpartementales:leFrontnational deuximepartideFrance;19avril:lesVraisFinlandais(eurosceptiques)deviennentle deuxime parti et entrent au gouvernement ; 24 mai : perce de Podemos aux lections locales espagnoles ; lection surprise la prsidence de la Pologne du nationaliste Duda.Pourautant,lazoneeuronestpasmiseenpriljusquici;lamonnaieuniqueconserveson pouvoirdattraction:troispayslontadoptedepuis2010(Estonie,LettonieetLituanie)et dautres sy prparent ;mais sa gouvernanceestfortement remise en question et nul ne peut dire jusqu quel point un Grexit laffecterait13. GRANDE-BRETAGNE : LES DSUNIONS CONJUGUES ? Cest sur cette toile de fond que sinscrit, comme si cela ne suffisait pas, la question du Brexit. Cequisepasseraavantlereferendum(fin2016oudbut2017)estaussiimportantpour lEurope que le rsultat lui-mme. En effet, en effrayant lestablishment communautaire sur les risques dun vote ngatif, Cameron entend arracher des concessions de nature faire progresser le modle dUnion qui lui tient cur. Il effectueun tour des capitales (il a vu Charles Michel

12 Voir ce sujet LAMBERT R., A la recherche du prochain Syriza, Le Monde Diplomatique, mai 2015. 13 Voir MONNET E. et STERNBERG Cl., Euro, les annes critiques, PUF (La vie des ides), Paris, 2015. le11juin)etdivulguerasalistederformesauConseileuropendu25juin.Les ngociationsdevraientstendrejusqult2016.Cettepriodegnrerauneincertitude politiquequinestobjectivementfavorableniauxContinentaux,niauxBritanniques (spcialement ceux qui font des affaires avec les reste de lUnion). Pendant la mme priode, les acteurs de la zone euro sefforceront de resserrer leurs liens et leur gouvernance commune14. Idalement, Londres voudrait rapatrier certaines politiques communautaires etlimiter la libre circulation des travailleurs ; il est question aussi dune sortie de la Convention europenne des Droits de lHomme ; de faon plus gnrale, il sagira de maintenir la pression pour viter de nouvelleslgislationseuropennes.Toutelaquestionestdesavoirsilonsachemineravers une rvision partielle du trait de Lisbonne, un processus qui nexcite pas les capitales, vu sa lourdeur et les risques lis aux ratifications ; au cas o lexercice devait servir exclusivement satisfaire les exigences britanniques, un large front hostile se dresserait ; mais sil est de toute faon lanc dans le cadre de lamlioration de lUnion conomique et montaire, laquelle le couple franco-allemand est attach, les demandes de Cameron pourraient sy infiltrer, appuyes par ses allis nordiques. Rouvrirait-on alors la bote de Pandore en renonant certains acquis, sous la pression des populismes nationaux ? Cest un risque actuellement faible, mais quil ne faut pas exclure. Doresetdj,tudesetprisesdepositionsalimententledbat.Uneanalysercemment publie15,effectuepardesexpertsdehautniveau,ayantcompilplusde3.000pagesde contributions, permet dobjectiver la situation, en examinant toutes les politiques de lUE : les domainesolaGrande-Bretagnesouhaitegardersasouverainetsontdjgarantisdansles traits par la rgle de lunanimit au Conseil, une clause de non-participation (opting out) ou diversesdispositions.Laplupartdespolitiquesexistantessontsoutenuesparlesacteurs concerns au pays mme. Des rformes sont certes possibles, notamment celles qui allgeraient les charges bureaucratiques (ou en donneraient limpression), mais seulement la marge ; aller trop loin serait contraire aux intrts britanniques bien compris. Dautres think tank produisent des chiffres selon les scnarios : le Brexit conduirait, dans le pire des cas, une perte de plus de 2% de PIB pour le Royaume-Uni (selon Open Europe) voire 14% (Bertelsman Stiftung), il affecteraitgravementlesexportationsbritanniquesverslUE(actuellement50%des marchandiseset36%desservices),produisantdeseffetsngatifssurlecommerceet linvestissement(Moodys).LesmilieuxdelaCitysonttrsinquiets,craignantledpartde nombreuses banqueset institutions financiers deniveau international. Tous ceux qui oprent dans les changes, la recherche, la haute technologique se mobilisent contre le Brexit. On estime 4 millions le nombre demplois menacs. Enrevanche,llectoratpopulistepeuduqu,lesclassesmoyennesoprantsurleseul march anglais, les nostalgiques de la grandeur impriale, les petits blancs irrits par la multi-culturalitcroissanteetlarrivedetravailleursslaves,leslecteursdestablodsdugroupe Murdoch excitant la haine contre Brussels , forment les bataillons militants du Brexit. Tant et si bien que le scrutin pourrait se jouer sur des facteurs motionnels, djouant les prvisions des sondages, comme lors des lections du 7 mai. Dans un livre retentissant, lancien ministre travaillisteDenisMacshaneprditdjqueleBrexitseproduiraparaccident,stupfiant tous les stratges de lle et du continent16.

14 Cest dans ce contexte que des projets franco-allemands, au niveau ministriel, commencent circuler. 15 EMERSON M., Britains Future in Europe. Reform, renegotiation, repatriation or secession? Centre for European Policy Studies (CEPS), Brussels & Rowman and Litterfield International, London, 2015. 16 MACSHANE D., Brexit. How Britain will leave Europe, I.B. Tauris, London, 2015. La sortie britannique aurait alors des effets en chane au-dedans et au dehors. Les nationalistes cossais sont sans doute les seuls nationalistes tre rsolument pro-europens. Ils ont manqu, pluttdepeu,lobjectifdindpendancelorsdurfrendumrgionalde2014,maisils sempresseraient de remettre le couvert, nacceptant pas le choix insulaire dictdans les urnes parunemajoritdAnglais.UneEcosseindpendantedposeraitsacandidaturelUnion europenne, quipourrait difficilement la refuser ; cela donnerait des ides aux indpendantistes du continent, tels que les Catalans, voire les Flamands ou les Lombards. Aquelquesmoisdeslectionsprsidentiellesfranaises(mai2017),lereplibritannique pourrait donner des ailes au Front national ; quel que soit le futur locataire de lElyse, il aurait alorslpedelopiniondanslesreinsetseraitcondamnmenerunepolitique souverainiste , marquant la fin du cycle des initiatives franaises en faveur de lEurope qui avaitcommencavecladclarationdeRobertSchumanetcessantdtreinterlocuteur frquentable pour le couple franco-allemand, le rput moteur dsormais bon pour la casse. On mesure ainsi linquitude qui gagne diplomates et observateurs17. Economiquement,leBrexitaffecteraitaussilerestedelUnion.Les27Etatssubsistant devraient compenser la perte de la contribution britannique au budget commun. La rduction des exportations vers le Royaume-Uni affecterait le PIB de plusieurs dentre eux (jusqu 2% pour lAllemagne selon Bertelsman Stiftung). On sen voudrait de jouer abusivement les Cassandre, mais la possible conjonction du Grexit et du Brexit enverrait un signal gnral aux citoyens du continent : lEurope, dcidment, cela ne marche pas.Un boulevard souvrirait alorspartout aux populistes de tout poil, gnrant desredploiementspolitiquesinternesaffectantlespartisdmocratiquesquiaurontport laventureeuropenneetsignantlafinprogressivedecelle-ci.LEuropeperdraittoutcrdit politique dans le monde. Pour conjurer le risque, la tentative damadouer le gant britannique a dores et dj commenc dans les sphres europennes. La nouvelle Commission se garde de toute rhtorique au sujet de nouveaux progrs vers lintgration politique ; les propositions lgislatives nouvelles sortiront au compte-goutte et plusieurs dizaines antrieurement dposes ont t retires ; le Parlement europen a moins de textes dlibrer, donc moins de travail lgislatif, ce qui, moyen terme, affecterasalgitimit,djsouventbrocarde.Enamont,lestudesdimpactinternesla Commission seront remplaces par un panel dexperts dits indpendants, qui donnera ou non son feu vert, selon le critre de la charge administrative pour les entreprises ; ainsi le droit dinitiative lgislative de la Commission, droit dont elle a lexclusivit au motif quelle est en charge de lintrt gnral europen, et qui est lun des fondements du systme communautaire, sera-t-il, de facto, rduit par des acteurs non politiques. Alorsquesamissionestdtreproactive,danticiperlesproblmes,dinventerlavenir,La sphrepolitiqueeuropennetoutentiresembleainsisinstallerdansuneapproche essentiellement ractive, comme la encore montr lpisode dramatique des candidats migrants venus de lautre ct de la Mditerrane. Lhistoire des hommes dpend de ce quils en font et nest pas inscrite dans les astres. Le sang-froid, limagination et le courage des acteurs principaux, comme la pression citoyenne, peuvent carterlesrisquesicivoqus.Unefoisencore,laresponsabilitdesmediasetdesleaders dopinion doit tre souligne dans la partie difficile qui se joue.

17 Voir notamment Bye bye UK. Le scnario catastrophe, revue Europolitics, printemps 2015. EN GUISE DE CONCLUSION PROVISOIRE Unehypothse,rienquunehypothse,maisnepasbalayertropviteProjetons-nousun instant vers, disons, 2040. Un grand historien achve son livre sur lEurope des annes 2010-2025. Rdigeant sa conclusion, non sans une pointe dmotion, il crit ces lignes. Ils taient 28 Etats dmocratiques. Ils avaient tous signs un trait, o ils saffirmaient rsolus franchir une nouvelle tape dans lintgration europenne et poursuivre le processus crant uneunionsanscesseplustroiteentrelespeuplesdEurope.Ilsavaientunsystme institutionnel perfectible, mais complet, appuy sur un personnel de haute qualit. Ils avaient un budget et un corpus lgislatif communs. Ils avaient tabli des ambassades dans tous les pays duglobeetsigndinnombrablesaccordsbilatrauxetmultilatraux.Ensemble,ils participaientactivementauxaffairesdumonde.Maisparmiles28paysmembres,deuxont soudain pos problme : un petit et un grand.Les 26 autres Etats, comme le systme institutionnel commun, ont consacr, durant des mois puisdesannes,lessentieldeleurnergiepolitiquegrerlasituationcreparcesdeux pays. Ils ont trait le petit avec un excs de mpris, et le grand avec un surcrot de servilit.A tous les citoyens de lUnion, ils auraient pu offrir des perspectives encourageantes, dessiner un nouvel horizon, fixer de grands buts mobilisateurs, rendre lespoir aux masses. Ils auraient pu se doter dun budget srieux, sortir de laustrit o stagnaient leurs socits, relancer la croissance,rduirelechmage,crerunescuritsocialeeuropenne,mettrefinleurs concurrencesfiscalesinternes,stimulerlinvestissementdanslconomierelleettaxerson contraire, se hisser lavant-garde de la science, permettre aux citoyens dlire directement la tte de lexcutif. Ils ont report ou renonc ces voies de salut. Linstallation du systme dans linconsistance politique, au lieu de faciliter les choses, comme lespraient navement ses acteurs principaux, a servi de repoussoir et acclr sa dsaffection. Les deux pays sur lesquels ils concentraient leurs priorits et pour lesquels ils bloquaient tout le reste, ils les ont tout de mme perdus. Et ils ont perdu aussi la confiance de leurs opinions publiques partout.Ce fut le dbut de lengrenage fatal. Le machin , comme lappelaient les tribuns de droite et les penseurs de gauche, fut dnigr sur la toile, sur les plateaux de tlvision, dans les cafs, lesclubs,lescoles.Sahainealimentabienttentoutlieu,lepolitiquementcorrect. Ressuscitrentalors,luneaprslautre,lesanciennesmonnaiesnationales,etbientt,les frontires internes, o des douaniers aux ordres persuadaient les gens de rester tranquillement chezeux.Laparticipationauxlectionseuropennestomba29%en2019,puis18%en 2024:cefutledernierscrutindecetypeetpersonneneprotesta.Danslemmetempsles convulsions meurtrires du Moyen-Orient, rejaillirent, ses marches puis en son cur, sur une Europe impuissante et balkanise. Aujourdhui, lUnion europenne nest plus quun souvenir, confirmant la rflexion pessimiste dHenry Kissinger : LHistoire est lensemble des efforts qui ont chous . Aujourdhui, la planteestgouverneparleG6:lesEtats-Unis,laChine,laRussie,leBrsil,lIndeetle Japon. Soumis de minables dmagogues, nos vieux pays ruminent leur pass et leurs peuples, veules suiveurs ou spectateurs dsenchants, assistent simplement la marche du monde.___