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C. Tubeuf, - Unité de droit international privé de l'ULB · UNITÉ DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ DE L’U.L.B. - 1 - ... aucun doute la confiance mutuelle entre le juge d’origine

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UNITÉ DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ DE L’U.L.B. http://www.dipulb.be

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C. Tubeuf, « L’efficacité internationale des décisions dans l’espace judiciaire européen », RDC, 2000, p. 603

Publié avec l’aimable autorisation de la Revue de droit commercial belge

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1 Introduction

La décision de justice est en premier lieu un acte de sou-veraineté nationale qui n’a a priori qu’une portée stricte-ment territoriale.

De nombreux traités ont eu pour but de faciliter l’accueilde décisions étrangères ou en tout cas de leurs effets dansun ordre juridique autre que celui dont elles émanaient.

Tel est aussi, entre autres, l’objectif de la Conventionconcernant la compétence judiciaire et l’exécution desdécisions en matière civile et commerciale, signée àBruxelles le 27 septembre 1968.

Bien que révolutionnaire à l’époque, la Convention n’apu – et ce, de manière bien compréhensible – réglertoutes les questions suscitées par un tel projet.

Une question, d’un intérêt à la fois doctrinal et pratique,reste encore à l’heure actuelle sans réponse: quels effetsconférer à une décision étrangère dans l’État requis d’unedemande de reconnaissance ou d’exécution dans le cadrede la Convention de Bruxelles? Faut-il prolonger les ef-fets qu’elle déploie dans son État d’origine ou alors plutôtne reconnaître que les effets qu’aurait une décision localedu même type? En d’autres termes, quelle loi appliqueraux effets de la décision étrangère: la loi de l’État d’origi-ne de la décision ou celle de l’État requis2.

Nous avons choisi d’examiner ce problème. Commençantpar un bref rappel du système mis en place par laConvention, nous nous pencherons ensuite sur les effetsqu’est susceptible de déployer une décision en matière ci-vile et commerciale, ce qui devrait nous permettred’aborder enfin le sujet central de la loi applicable aux ef-fets d’une décision étrangère.

II. Système de la convention

1. Esprit général de la Convention

L’idée fondamentale qui anime la Convention est sansaucun doute la confiance mutuelle entre le juge d’origine– censé avoir fait application des règles conventionnellesprévues au titre II de la Convention – et le juge saisid’une demande en reconnaissance ou en exequatur.

L’esprit dans lequel la Commission a imaginé l’élabora-tion de la Convention mérite à cet égard d’être rappelé:“Un véritable marché intérieur entre les six États ne sera

réalisé que si une protection juridique suffisante est ga-rantie. Des perturbations et des difficultés dans la vieéconomique de la Communauté sont à craindre si on nepeut, au besoin par voie judiciaire, faire constater et exé-cuter les droits individuels qui naîtront des multiples rela-tions juridiques. Le pouvoir judiciaire, tant en matière ci-vile et commerciale, relevant de la souveraineté des Étatsmembres et les effets des actes judiciaires restant limitésau territoire national, la protection juridique et partant,la sécurité juridique dans le Marché commun sont essen-tiellement fonction de l’adoption entre États membresd’une solution satisfaisante en ce qui concerne la recon-naissance et l’exécution des décisions judiciaires …”3.

Le but est et reste ainsi d’assurer la “libre circulation desjugements” au sein de la Communauté, de créer un véri-table espace judiciaire européen par l’uniformisation desconditions de reconnaissance et d’exécution dans les ma-tières civiles et patrimoniales et la simplification de laprocédure.

Quant au titre III de la Convention – reconnaissance etexécution – il traduit plus particulièrement la volonté demettre le jugement étranger et le jugement national sur unpied d’égalité. Le rapport Jenard exprime cette idée: “Lareconnaissance est automatique et ne nécessite pas unedécision judiciaire dans l’État requis pour permettre aubénéficiaire de la décision de s’en prévaloir, auprès detout intéressé, par exemple une autorité administrative,comme s’il s’agissait d’un jugement rendu dans cetÉtat.”4

2. Une procédure sommaire

La Convention repose sur une distinction claire entre re-connaissance et exécution, sans doute inspirée du droit al-lemand, le seul parmi les six en 1968, à opérer cette dis-tinction dans son droit commun. Tant en matière dereconnaissance que d’exequatur, les conditions de régula-rité sont les mêmes5 mais alors que la reconnaissance alieu sans qu’aucune procédure ne soit nécessaire, la miseà exécution d’une décision étrangère sera toujours subor-donnée à une procédure préalable d’exequatur.

2.1. Distinction entre la reconnaissance et l’exécution

La reconnaissance est automatique; elle est octroyée deplein droit6. La régularité internationale de la décision eu-ropéenne est en quelque sorte présumée. Cette régularité

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L’efficacité internationale des décisions dans l’espace judiciaire européen1

1 Le travail de fin d’études à l’origine de cet article a été couronné parle prix Fettweis en 1999.2 Cette question gardera tout son actualité lorsqu’entrera en vigueur,le 1er mars 2002, le Règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécutiondes décisions en matière civile et commerciale destiné à remplacer laConvention du 27 septembre 1968.

3 Note adressée le 22 octobre 1959 aux États membres, cité dans leRapport de M. Jenard, J.O.C.E., C 59/3.4 Rapport sur la Convention de Bruxelles, J.O.C.E. mars 1979, N° C59/43.5 Voyez les articles 27 et 28 de la Convention.6 Article 26, al. 1 : “Les décision rendues dans un autre État contrac-tant sont reconnues dans les autres États, sans qu’il soit nécessaire de re-courir à aucune procédure.”

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reste cependant précaire et il peut s’avérer utile, commel’illustre le rapport Jenard, de faire constater la reconnais-sance en justice7. Si la reconnaissance vient à être deman-dée en justice, la procédure ainsi que les moyens de refusde reconnaissance se calquent sur les règles prévues parla Convention en matière d’exequatur8.

Par contre, pour obtenir l’exequatur d’une décision étran-gère, une procédure préalable est requise conformément àl’article 31 de la Convention d’après lequel:

“Les décisions rendues dans un État contractant et qui ysont exécutoires sont mises à exécution dans un autreÉtat contractant après y avoir été déclarées exécutoiressur requête de toute partie intéressée”9

2.2. Une procédure “très sommaire”10

Les auteurs du texte de la Convention ont voulu une pro-cédure simplifiée qui assure la célérité tout en tenantcompte des droits de la défense11.

Les sections 2 et 3 de la Convention organisent une pro-cédure sommaire et non contradictoire d’apposition de laformule exécutoire, dans laquelle la décision doit êtrerendue à bref délai et sans que la partie contre laquellel’exécution est demandée soit entendue. Les motifs derefus de l’exequatur (ou de reconnaissance) sont, dans lamême logique, limitativement énumérés.

Ce n’est qu’à la signification de la décision statuant surl’exequatur que la procédure devient contradictoire. Celui

qui succombe à l’exequatur peut introduire un recoursdans un délai impératif d’un ou deux mois12.

3. Economie de la Convention: une répartition des

compétences entre Convention et droits des États

membres

Les décisions judiciaires sont l’émanation du pouvoirsouverain des États et ont par définition des effets stricte-ment territoriaux. De ce fait, les jugements étrangers nepeuvent avoir d’effet dans un autre État que dans la me-sure où ils sont reconnus par ce dernier.

La reconnaissance et l’exequatur “mettent (donc) en pre-mière ligne en rapport, l’État où le jugement est rendu etl’État de reconnaissance / d’exequatur”13.

Cela reste vrai dans le cadre d’accords multilatéraux surla reconnaissance et l’exécution, mais à cette relation ho-rizontale qui se noue entre deux pays, s’ajoute une di-mension européenne dans la mesure où la Conventionprévoit une procédure de reconnaissance et d’exequaturqui s’appliquera à l’exclusion de toute autre procédure dedroit commun.

Il est par conséquent primordial de distinguer clairementles phases successives de la procédure judiciaire que tra-verse une décision étrangère.

3.1. La procédure aboutissant au jugement reste régiepar le droit interne

La procédure menée dans l’État d’origine, en amont de ladécision, est réglée par le droit national. Ce qui précède lareconnaissance et l’exécution n’entre pas dans le domainede la Convention. Cela n’a jamais été remis en cause.

3.2. La procédure de reconnaissance et d’exequatur:compétence de la Convention

En revanche, lorsqu’une décision étrangère nécessite unexequatur, les règles de la Convention s’appliquent àl’exclusion de toute autre: “la Convention a créé une pro-cédure d’exequatur qui constitue un système autonome etcomplet, y compris dans le domaine des voies derecours”14.

L’interprétation que la Cour de Justice fait de la procédu-re mise en place par la Convention tend à rendre le systè-

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REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE

7 Rapport Jenard, J.O.C.E. mars 1979, N° 59/43 donne l’exemple sui-vant : “Un effet de commerce est déclaré nul (…) en Italie pour cause dedol. Cet effet est présenté dans une banque en Belgique. Le jugementitalien est invoqué. La banque se trouve en présence de deux instru-ments contradictoires. En principe, le jugement italien doit être reconnu,mais il se pourrait qu’il existe un motif de refus de reconnaissance(parmi ceux qui sont prévus aux art. 27 et 28). Il est en cas de contesta-tion, difficile de demander à la banque de se prononcer sur ces causes derefus notamment sur la portée de l’ordre public international. La secon-de règle de l’art. 26 donne une solution aux cas de ce genre (art. 26, al.2.)”8 Art. 26, al. 2: “En cas de contestation, toute partie intéressée qui in-voque la reconnaissance à titre principal peut faire constater, selon laprocédure prévue aux sections 2 et 3 du présent titre, que la décisiondoit être reconnue”.

L’art. 26, al. 3 prévoit cependant que “si la reconnaissance est de-mandée de manière incidente devant une juridiction d’un État contrac-tant, celle-ci sera compétente pour en connaître”. 9 Art. 31 de la Convention, dans lequel on retrouve cette volonté detraiter les décisions nationales étrangères de la même manière que lesdécisions nationales. Comme l’a très justement exprimé G.A.L. Droz,dans “Compétence judiciaire et effets des jugements dans le marchécommun, étude de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968”,Paris, Dalloz, 1972, n° 566, p. 363: “l’image de la délivrance d’une for-mule exécutoire tend à assimiler le plus possible la décision étrangère àla décision nationale.”10 L’expression est empruntée à la Cour de Justice, dans son arrêtBrennero/Wendel du 27 november 1984, Recueil, p. 3982.11 Arrêt Brennero/Wendel du 27 november 1984, Recueil, p. 3982, att.10.

12 Le Règlement n° 44/2001 prévoit une procédure encore plus expédi-tive: “la déclaration relative à la force exécutoire d’une décision devraêtre délivrée de manière quasi-automatique, après un simple contrôleformel des documents fournis, sans qu’il soit possible pour la juridictionde soulever un des motifs de non-exécution prévus par le présent règle-ment” (considérant 17 du Règlement).13 H. Linke, “Quelques questions relatives à la litispendance et à la re-connaissance des jugements”, Compétence judiciaire et exécution desjugements en Europe, London, Butterworths, 1993, p. 184.14 Aff. Deutsche Gennossenschaftsbank/Brasserie du pêcheur, 2 juin1985, R.C.D.I.P., 1986, p. 344, point 17. Ces principes avaient déjà étépressentis dans un arrêt antérieur (affaire Brennero/Wendel, 21 no-vembre 1984, Recueil 1984, C-258/83.

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me complètement étanche par rapport aux droits procédu-raux des États membres15.

Ce faisant, la Cour considère que les articles 31 et sui-vants ne peuvent être complétés par des dispositions pro-cédurales de droit interne. La Cour a notamment refuséd’élargir la catégorie de personnes pouvant former un re-cours en vertu de l’article 3616 tout comme elle a stricte-ment limité la portée de l’article 39 concernant les me-sures provisoires17.

Elle a également décidé qu’en principe, une partie qui n’apas intenté le recours contre l’exequatur prévu par l’ar-ticle 36 ne peut plus, au stade de l’exécution, faire valoirun argument qu’elle aurait pu invoquer dans le cadre dece recours18.

3.3. Une fois la décision entrée dans l’ordre juridique del’État requis, c’est le droit national qui retrouve sonempire

L’exequatur n’est qu’un acte préalable à l’exécution pro-prement dite et ne se confond pas avec celle-ci. Il ne faitqu’ouvrir la procédure d’exécution elle-même et neconstitue en quelque sorte que l’autorisation de procéderà l’exécution forcée.

En aval de l’exequatur, on sort par conséquent du champde la Convention et le droit national retrouve sa souverai-neté sur les modalités d’exécution.

La compétence du droit national au stade de l’exécution aété expressément confirmée par l’arrêt Deutsche Gennos-senschaftsbank du 2 juillet 1987: “la Convention se(borne) à régler la procédure d’exequatur des titres exé-cutoires étrangers et ne (touche) pas à l’exécution pro-prement dite qui reste soumise au droit national du jugesaisi”19.

3.4. La délicate distinction entre exequatur et exécution

S’il est vrai qu’il faut octroyer la primauté aux règles dela Convention sur les droits internes en matière de recon-naissance et d’exequatur, il est permis de s’interroger surle bien fondé de ce principe d’étanchéité tel qu’énoncédans certains arrêts de la Cour de Justice.

A cet égard, l’arrêt Capelloni du 3 octobre 1985, pourtantcontemporain à ceux qui viennent d’être cités20, proposeselon nous une clef de répartition des compétences plusnuancée, sans pour autant remettre en cause l’enseigne-ment de l’arrêt Deutsche Gennossenschaftsbank.

Aux attendus 20 et 21 de cet arrêt, la Cour énonce que laConvention laisse “(…) au droit procédural du juge saisila tâche de régler toute question qui ne fait pas l’objet dedispositions spécifiques de la Convention. Il est néan-moins à préciser que l’application des prescriptions dudroit procédural interne du juge saisi ne saurait enaucun cas avoir pour effet de faire échec aux principesposés en la matière … par la Convention …”21

Ces considérations rappellent fort bien que la Conventionn’uniformise ni le droit matériel dont il est fait applica-tion dans les décisions étrangères ni le droit de l’exécu-tion des États membres. La Convention ne fait que se su-perposer à des ordres juridiques complets, qui se suffisentà eux mêmes et qui n’ont pas vocation à s’exporter.

Cet état des choses oblige en pratique le juge saisi d’unedemande de reconnaissance ou d’exequatur à un constantva-et-vient entre les prescriptions de la Convention etcelles de son droit national. Ainsi, lorsque la Conventionne prévoit pas de dispositions spécifiques ou encore sielle y renvoie de manière expresse, c’est le droit nationalde l’État requis qu’il faut appliquer22. Le droit nationalvient de la sorte compléter, même au stade de l’exequatur,les dispositions de la Convention, dans la mesure oùcelui-ci respecte “l’effet utile” de la Convention.

III. Les effets d’une décision étrangère

Nous venons de décrire les trois “pôles d’attraction”d’une décision, ayant chacun un champ d’influencepropre et qu’il convient de ne pas confondre.

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15 Les termes dans lesquels s’est exprimé le Procureur général Darmondans l’affaire Hoffman/Krieg parlent d’eux-mêmes: “ce principe (de ré-partition des compétences) constitue (…) le complément nécessaire duprécédent (à savoir l’autonomie du système organisé par la Convention)en ce qu’il établit une “étanchéité” entre convention et droit national”,Recueil, p. 659.16 Arrêt Deutsche Gennossenschaftsbank/Brasserie du Pêcheur, o.c., p.344.17 Dans son Arrêt Brennero/Wendel, o.c., la Cour interprète de manièretrès restrictive les art. 38 et 39 de la Convention. Ces deux articles nepeuvent dorénavant s’appliquer que l’un à l’exclusion de l’autre.18 Arret Hoffman/Krieg du 04 février 1988, Recueil, p. 645 et s. Nousaurons l’occasion de revenir sur l’enseignement de cet arrêt dans lecadre de la problématique qui fait l’objet de la présente étude.19 L.c. R.C.D.I.P., p. 344.

20 Arrêt Capelloni Aquilini/Pelkmans, note de H. Gaudemet-Tallon, 3octobre 1985, R.C.D.I.P. 1987, p. 123 et s. A la question de savoir dansquelle mesure le juge, saisi d’une demande de mesures provisoires envertu de l’art. 39, pouvait appliquer la lex fori en la matière, la Cour arépondu que le juge pouvait se référer à la lex fori, car la Convention nerègle pas cet aspect, sauf le délai dans lequel les mesures conservatoiresdoivent être transformées en mesures d’exécution. Le droit italien pré-voit que la mesure conservatoire devient caduque si elle n’est pas mise àexécution dans le mois de son prononcé. Cette disposition ne pouvaitpas être appliquée en l’espèce, car l’art. 39 prévoit explicitement que lesmesures conservatoires sont valables tant que le délai prévu par l’art. 36n’est pas expiré ou tant que le juge saisi d’un recours contre la décisionn’exequatur n’a pas encore statué.21 Arrêt Capelloni et Aquilini, o.c., p.127.22 La Convention elle-même renvoie aux dispositions nationales, no-tamment les art. 33, 35, … L’art. 39 renvoie, de manière implicite, audroit de chacun des États membres en ce qui concerne les modalitésd’application des mesures provisoires, sous la réserve bien entendu derespecter les principes de la Convention, qu’ils soient expressémentmentionnés ou qu’ils se déduisent de son économie générale. C’est pré-cisément l’enseignement de l’affaire Capelloni et Aquilini/Pelkmans, at-tendu 20.

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Comme il a déjà été mentionné, une décision de justicevient en principe s’insérer dans un environnement juri-dique qui lui est familier et les questions suscitées autourde la décision elle-même et de son exécution sont régléespar un seul et même droit23.

Le contexte change lorsque la procédure prend un tour in-ternational. Entre le moment où une décision est prise etcelui où l’on procède à son exécution forcée, toutes sortes“d’incidents” peuvent surgir qui donnent naissance à desdifficultés auxquelles le droit international privé n’adonné que peu de réponses.

L’analyse qui suit sera uniquement consacrée aux effets,en tant que tels, que déploie une décision. Il serait impos-sible de s’attarder sur l’ensemble des questions soulevéespar l’exécution forcée d’une décision étrangère, qui dé-passent le cadre de cette étude. Nous ne les aborderonsqu’accessoirement, dans la mesure où elles intéressent leseffets d’une décision étrangère24.

1. Les effets d’une décision judiciaire

La question, contrairement à ce que l’on pourrait croire,est loin d’être simple car les droits des États membres nedéfinissent pas de manière uniforme les effets produitspar une décision judiciaire25.

Toutefois, il est possible, selon nous, de classer les effetsd’une décision en deux grandes catégories.

D’une part, comme le suggèrent Messieurs Gothot etHolleaux, “il est bon de se rappeler que tout jugement,déclaratif ou constitutif de droit, est d’abord une transfor-mation de l’ordonnancement juridique”26.

D’autre part, à côté de la décision envisagée en tantqu’elle déclare ou constitue un rapport de droit – ce quel’on désigne par “efficacité substantielle de ladécision”27–, il existe des effets d’une autre nature qui netouchent pas au fond du litige, mais qui tissent en quelquesorte la “toile procédurale” de la décision.

Constituent cette “toile procédurale”, notamment des ef-fets tels que l’autorité de la chose jugée et l’exceptionqu’elle comporte, son étendue, à quelles personnes elles’impose, l’opposabilité de la décision, … Nous avonschoisi d’appeler “effets procéduraux” ces effets intrinsè-quement attachés à la décision mais qui n’en affectent pasla substance.

1.1. L’efficacité substantielle de la décision étrangère

L’efficacité substantielle consiste en la modification quela décision fait subir au rapport de droit concerné et quise réalise par l’opération conjointe de la décision et de laloi28. Ce seront, par exemple, l’annulation d’un contrat, laconfirmation d’un droit de propriété, la fixation de dom-mages et intérêts que le responsable d’un préjudice doitpayer à la victime, … Il s’agit en d’autres termes ducontenu matériel de la décision, de l’application au casd’espèce du droit matériel par le juge.

Malgré une tendance à l’uniformisation, surtout en matiè-re civile et commerciale, il arrive que certaines institu-tions juridiques soient connues dans un État membre etpas dans un autre29, ou encore que les règles applicablesvarient d’un pays à l’autre30.

1.2. Les effets procéduraux de la décision étrangère

De même que les droits matériels des États membres peu-vent différer, les conséquences procédurales qui se ratta-chent à une décision peuvent également varier d’un paysà l’autre.

Nous nous limiterons à énumérer ici quelques exemplestirés de systèmes des quelques États parties à la Convention.

1.2.1. L’autorité de la chose jugée

L’autorité de la chose jugée, la “res judicata”, est une no-tion connue dans tous les États membres. La fonctionqu’elle remplit dans l’ordre judiciaire d’assurer la stabili-té dans les rapports sociaux ainsi que l’efficacité de l’ad-ministration de la justice31, est également partagée detous. Mais, la comparaison de l’autorité de la chose jugéeà travers les différents droits s’arrête là. Son fondement32

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23 Pour ne prendre que quelques exemples: un débiteur qui souhaitecantonner, un jugement rendu sur base d’un acte dont on obtient l’annu-lation ultérieurement, une transaction intervenant après le jugement …24 Nous renvoyons, pour un exposé synthétique des diverses questionsqui se posent entre le moment du jugement et sa mise à exécution, àl’article de Dominique Foussard: “Entre exequatur et exécution forcée(de quelques difficultés théoriques et pratiques relatives à l’exécutiondes jugements étrangers)”, publié aux Travaux du Comité français dedroit international privé, Pédone, Paris, 2000.25 Ainsi “une décision rendue dans un État en tant que jugement sur larecevabilité peut être une décision au fond dans un autre État. La portéesubjective de décisions de contenu identique peut différer”, RapportSchlosser, J.O.C.E. 5 mars 79, n° C/59/127.26 Gothot et Holleaux, “La Convention de Bruxelles du 27 septembre1968, compétence et effets des jugements dans la CEE”, Jupiter, 1985,p. 140, n° 247.27 Cette expression est empruntée à Gothot et Holleaux, o.c., p. 141, n°247 ainsi qu’à Holleaux, Foyer, Gouffre de la Pradelle, “Droit interna-tional privé”, Paris, Masson, 1987, p. 427.

28 Holleaux, Foyer, Gouffre de la Pradelle, o.c., p. 427, n° 927.29 C’est le cas de l’astreinte, figure familière en Allemagne, en France,dans les pays du Benelux … mais qui n’existe pas en Italie.30 Tous les pays d’Europe connaissent la saisie sur salaire. Néanmoins,le minimum saisissable diffère d’un pays à l’autre. (Ces exemples sonttirés de: de Leval, Les saisies et le surendettement dans l’Union Euro-péenne, Kluwer Law International, 1997, 633 p.)31 A. Fettweis, Manuel de procédure civile, Liège, 1985, n° 360, p.268.32 Les droits français, belge et luxembourgeois fondent essentiellementl’autorité de la chose jugée sur le droit substantiel, selon une présomp-tion irréfragable d’exactitude (voyez Dabin, La technique de l’élabora-tion du droit positif, Bruxelles – Paris, 1935, p. 270). Tandis que la doc-trine majoritaire allemande fait une distinction profonde entre le droitsubstantiel et le droit procédural (voyez Geimer et Schütze, Euro-païsches Verfahrensrecht, München, C.H. Beck, 1997, art. 26, n° 18 à22, p. 429-430).

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ainsi que son étendue33 ou encore la personne à qui elles’impose sont différents de pays en pays34.

1.2.2. L’opposabilité

L’effet obligatoire d’un jugement35 est opposable auxtiers36. Cependant ces derniers n’ayant pas été parties auprocès sont recevables à introduire la tierce oppositionprévue à l’article 1122 du Code judiciaire belge37, 38.

La force obligatoire est par contre un concept étranger àd’autres droits. Le droit allemand, par exemple, part duprincipe que le jugement ne peut avoir de conséquencesnégatives sur le tiers, qu’il ne peut retentir sur ces der-niers. Il est donc logique qu’on ne trouve pas à propre-ment parler dans ce droit, une institution semblable à latierce opposition39.

1.3. La force exécutoire d’une décision

Une place particulière doit être faite au caractère exécu-toire d’une décision, qui est la condition sine qua non àl’obtention de l’exequatur, édictée par l’article 31 de laConvention40.

La difficulté consiste en réalité à savoir ce que couvreexactement le terme “exécutoire”. Un défendeur qui n’a

pas demandé le cantonnement devant le juge d’originepeut-il encore le demander devant le juge d’accueil 41?

Une décision affectée d’un délai de grâce peut-elle tou-jours être considérée comme exécutoire? La question secomplique lorsque l’on sait qu’en Belgique, le débiteurne peut plus demander de facilités de paiement au stadede l’exécution. Pourra-t-il le faire à l’étranger? A l’inver-se, le juge belge pourra-t-il refuser d’octroyer des termeset délais alors que la décision étrangère en accorde?

Sans vouloir entrer plus avant dans cette discussion quidépasserait le cadre de cette étude, nous considérons qu’ils’agit de mesures qui modalisent l’exécution de la déci-sion. A ce titre, elles relèvent, selon nous, de la juridictionde l’État d’exécution.

2. Que recouvre la reconnaissance selon l’article 26

de la Convention?

2.1. Absence de définition de la reconnaissance

La Convention ne définit pas ce qu’elle entend par recon-naissance, ce dont M. Jenard se félicite. Selon lui, cetteomission évite de limiter les décisions susceptibles de re-connaissance42. Messieurs Gothot et Holleaux approuventégalement cette absence de définition car ils estiment quereconnaître un jugement étranger, c’est insérer dans sonordre juridique l’ensemble des effets de celui-ci sans de-voir nécessairement limiter ces effets à l’autorité de lachose jugée43.

2.2. Quels sont les éléments qui composent la reconnais-sance au sens de l’article 26?

Les effets procéduraux d’une décision sont toujours insé-rés dans l’ordre juridique de l’État requis par la recon-naissance de plein droit.

Demander l’exécution forcée d’une décision afin de s’as-surer du respect des effets procéduraux n’aurait pas desens, étant donné que ce sont des conséquences qui sontintrinsèquement attachées à la norme contenue dans ladécision par l’opération automatique de la loi, sans inter-vention des destinataires de la décision. Le sort de ces ef-fets est donc définitivement réglé au stade de la recon-naissance.

La reconnaissance englobe également l’efficacité sub-stantielle de la décision, mais celle-ci est plus fragile dansle sens où, afin de garantir l’exécution de la décision parla partie qui succombe, il faudra, le cas échéant, recourirà la force publique, ce qui se traduira dans le cadre d’un

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33 On trouve des conceptions similaires en droits français et belge(voyez J. Van Compernolle, “Note : Considérations sur la nature etl’étendue de la chose jugée en matière civile”, R.C.J.B. 1984, p. 241 ets. (et références) ainsi que Rép. Dalloz, droit civil, t. III, v° chose jugée.Pour le droit allemand, voyez Geimer,” Anerkennung gerichtlicher Ent-scheidungen nach dem EWG-Übereinkommen vom 27 septembre1968”, R.I.W. 1976, p. 142. et H. Schack, Internationales Zivilverfah-rensrecht, 2.A., München, C.H. Beck, 1996, n° 913, p. 354. 34 Le principe, en droit belge et français, veut que l’autorité de lachose jugée ne s’impose qu’aux parties sans qu’elle ne puisse avoird’effets contraignants à l’encontre des tiers. Cependant, la jurisprudencefrançaise a dans certains cas recours à la théorie de la représentation àl’égard de certaines catégories de personnes qui ont des intérêts com-muns à ceux des parties à l’instance. Ces catégories de personnes, tellesque les codébiteurs solidaires ou les cautions, sont réputées représentéespar les parties à l’instance. L’autorité de la chose jugée s’étend donc àces personnes. Pour plus de détails, nous renvoyons à l’EncyclopédieDalloz, Civil III, Verbo “Chose jugée”, n° 110.35 Graulich, Principes de DIP. Conflits de lois, conflits de juridictions,Paris, Dalloz, p. 248, n° 12.36 Gothot et Holleaux, o.c., n° 247, p. 140; Graulich, Principes de DIP.Conflits de lois, conflits de juridictions, Dalloz, Paris, n° 245 et s.; Vin-cent et Guinchaud, o.c., n° 89, p. 120.37 On a l’habitude de dire que les jugements d’état jouissent d’une au-torité absolue et s’imposent même au tiers, sans possibilité de contesta-tion. Cependant, l’art. 311-10 du Code civil français admet que “les ju-gements rendus en matière de filiation sont opposables même auxpersonnes qui n’y sont point parties; mais ceux-ci ont le droit de formertierce opposition”.38 Cass. 20 avril 1966, Pas. 1966, I, 1055.39 Les seuls recours qui s’en rapprochent sont expressément prévus parla loi et les possibilités pour les tiers d’intervenir dans l’instance ou des’opposer à une exécution forcée sont strictement limitées par la loi.Nous aurons l’occasion de développer plus amplement ce point par lasuite. 40 La Cour de Justice des Communautés européennes a eu l’occasionde se prononcer sur la notion de décision exécutoire dans l’arrêt Cour-sier/Fortis, aff. C-267/97, Rec. p. I, 2562 et La Convention de Bruxelles,par N. Watté, A. Nuyts et H. Boularbah, J.T.D.E. décembre 2000, p. 225(spéc. p. 237).

41 Voyez Bruxelles 8 février 2000, J.T. 2000, p. 426.42 Rapport Jenard, o.c., n° 59/43: “Les mots “autorité de chose jugée”qui figurent dans plusieurs conventions ont été expressément omis, étantdonné que sont susceptibles d’être reconnues les décisions provisoireset rendues en matière de juridiction gracieuse, lesquelles n’ont pas tou-jours autorité de la chose jugée.” 43 Gothot et Holleaux, o.c., p. 140 et 141.

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litige international par l’introduction d’une demanded’exequatur.

3. Que recouvre l’exequatur au sens de l’article 31 de

la Convention?

Une décision étrangère ne peut être exécutée dans un Étatmembre que moyennant exequatur, c’est-à-dire uncontrôle judiciaire préalable (aussi restreint soit-il) à l’is-sue duquel la force exécutoire peut être conférée sur leterritoire du juge requis.

Le seul objet de l’exequatur est donc d’octroyer la forceexécutoire d’un jugement étranger, les autres effets étanten principe automatiquement reconnus, en vertu de l’ar-ticle 26 de la Convention. La reconnaissance et l’exequa-tur d’une décision étrangère lui confèrent ainsi une “effi-cacité internationale”.

IV. Quel modèle pour l’efficacité internationaledes jugements dans le cadre de la conven-tion de Bruxelles?

Nous pouvons à présent en venir au cœur de notre étude:le modèle que la Convention est censée appliquer à l’effi-cacité internationale des jugements.

Après un exposé des théories en présence, nous nous pro-noncerons sur la théorie qui nous semble devoir s’impo-ser. Nous nous arrêterons également sur quelques arrêtsde la Cour de Justice qui ont enrichi la matière.

1. Les différentes théories en présence

On a l’habitude de présenter deux grands modèles à ap-pliquer à la reconnaissance et à l’exequatur: d’un côté, lemodèle de l’assimilation des effets par lequel l’on confèreà la décision étrangère les mêmes effets qu’a une décisionnationale analogue, de l’autre, le modèle de l’extensiondes effets selon lequel on accepte la décision avec les ef-fets dont elle jouit dans l’État qui l’a rendue.

Il s’agit, en vérité, d’une vue quelque peu caricaturale deschoses dans la mesure où l’on n’a jamais véritablementdéfendu la thèse de l’assimilation des effets, qui seraitcomplètement en porte à faux avec la raison d’être de laConvention. La doctrine oscille plutôt entre la théorie del’extension des effets et la théorie dite du cumul, selon la-quelle la décision ne devrait pas produire, dans l’État re-quis, plus d’effets qu’elle n’en a dans son pays d’origine,sans pouvoir non plus en comporter davantage que n’enpossédaient des jugements locaux du même type.

1.1. La théorie du cumul – critiques

1.1.1. La protection des droits de la défense

M. Droz est sans doute un des premiers dans la doctrinefrancophone à s’être prononcé sur la loi à appliquer auxeffets de la décision étrangère dans le cadre de laConvention de Bruxelles44. Il est encore aujourd’huiabondamment cité par les tenants de la théorie du cumul.

Cependant, au contraire de nombreux auteurs qui secontentent d’énoncer la théorie du cumul sans autre justi-fication, M. Droz illustre son point de vue d’un exemple.

Un jugement en France prononcé contre le débiteur prin-cipal serait “opposable” à la caution, qui dispose encontrepartie d’un recours en tierce opposition. En admet-tant qu’un tel jugement soit reconnu aux Pays-Bas où lesdécisions ne sont pas “opposables” aux cautions (et où lescautions n’ont par conséquent pas de recours en tierce op-position), quel effet devrait-on lui reconnaître en vertu dela Convention de Bruxelles?

Tout en admettant qu’une extension des effets du juge-ment français sur le territoire hollandais serait conce-vable, il pourrait selon lui apparaître comme choquantd’attribuer aux Pays-Bas au jugement français des effetsdont la personne contre laquelle il est invoqué n’a peut-être pas pu s’aviser lors du procès qui s’est déroulé enFrance.

C’est pourquoi il se demande s’il ne conviendrait pasd’apporter une double limite aux effets d’un jugementétranger: il ne faudrait pas lui accorder plus d’effets quedans l’État d’origine, mais pas plus d’effets non plusqu’une décision analogue dans l’État requis45.

De l’exemple qui vient d’être développé, il ressort claire-ment que c’est dans un souci de protection des droits dela défense que le commentateur se refuse à admettre l’ex-tension des effets46.

Nous devons bien avouer ne pas comprendre la notiond’opposabilité telle qu’elle est utilisée dans ce contexte.En effet, tout comme en Belgique, un jugement sera op-posable à n’importe quel tiers, qui, s’il estime ses intérêtslésés par le jugement, pourra intenter une tierce opposi-tion. L’opposabilité des jugements n’a donc rien de spéci-fique au droit français, ni à la matière du cautionnement.

Tout différemment se poserait, par contre, la probléma-tique si l’on parlait en termes d’autorité de la chose jugée.En France, par l’effet de la théorie de la représentation,certaines cautions peuvent se voir imposer l’autorité de lachose jugée d’une décision puisqu’elle sont fictivement

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44 G.A.L. Droz, Compétence judiciaire et effets des jugements dans lemarché commun, Etude de la Convention de Bruxelles du 27 septembre1968, Paris, Dalloz, 1972.45 G.A.L. Droz, o.c., p. 281, n° 447 et 448.46 Nous reviendrons dans la prochaine section sur le problème de“l’opposabilité du jugement de caution”.

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considérées comme représentées par le débiteur principal,celui-ci partageant avec la ou les cautions une commu-nauté d’intérêts.

L’État requis (en l’espèce, les Pays-Bas) devrait-il dansce cas reconnaître l’autorité de la chose jugée telle qu’onla comprend en France à l’égard des cautions?

Il ressort d’une doctrine déjà ancienne47 comme de l’avisde Monsieur Droz lui-même48 que le pays requis ne pour-rait accepter un effet général et absolu contraire à la no-tion de relativité de la chose jugée que la loi étrangère at-tribuerait aux jugements de ses tribunaux.

Ainsi, le juge hollandais aurait, le cas échéant, la possibi-lité de refuser la reconnaissance de la décision française49,en invoquant le moyen prévu à l’article 27-1 de laConvention, s’il considérait que certains effets de cettedernière heurtent de manière manifeste les fondements deson ordre juridique.

L’arrêt Krombach, rendu le 28 mars 2000, vient à cetégard utilement éclairer les cas où le recours à l’ordre pu-blic peut être envisagé50: “Le recours à l’ordre public doitêtre considéré comme étant possible dans les cas excep-tionnels où les garanties inscrites dans la législation del’État d’origine et dans la convention elle-même n’ontpas suffi à protéger le défendeur d’une violation manifes-te de son droit de se défendre devant le juge d’origine, telque reconnu par la Convention européenne des droits del’homme”51.

Par conséquent, si le juge hollandais estimait que la déci-sion française avait méconnu le droit à un procès équi-table, tel que ce principe figure dans la Convention euro-

péenne des droits de l’homme, il pourrait refuser de la re-connaître.

Dans la mesure où l’exemple de Monsieur Droz visaitl’autorité de la chose jugée, et non pas l’opposabilité àproprement parler, on est forcé de constater que l’évolu-tion de la jurisprudence de la Cour de Justice va vers unsouci grandissant de la protection des droits de la défense.Plus rien n’empêche donc, avec la protection qu’offrel’article 27-1, d’étendre les effets qu’a une décision étran-gère dans l’État requis.

1.1.2. La parité des droits en cause, devant être garantie,au besoin, par le droit d’exécution de l’État requis

Selon Monsieur Schockweiler, il serait nécessaire de pou-voir garantir une sorte d’équilibre, de “parité” entre lesdroits mis en cause, à savoir le droit d’origine et le droitrequis. Il semble rejoindre sur ce point l’Avocat généralDarmon, qui a eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet.Selon ce dernier, la reconnaissance et l’exequatur d’un ju-gement ont pour conséquence d’en transférer les effetsdans l’ordre juridique des États cocontractants. Mais“cela ne saurait pour autant entraîner la primauté del’ordre juridique de l’État d’origine sur celui de l’État re-quis (…)”52,53.

Le juge ne pourrait de la sorte, qu’octroyer ou refuserl’autorisation d’exécuter54, le cas échéant, sur base desmotifs prévus aux articles 27 et 28 de la Convention. Tan-dis qu’au stade de l’exécution, l’État requis devrait detoute façon appliquer son droit national de manière à ceque la décision étrangère n’ait pas plus d’effets que n’enaurait un jugement analogue rendu dans l’État requis.

Cette théorie du cumul, a priori séduisante, ne nousconvainc pas55.

La fonction de la reconnaissance est “d’insérer dans sonordre juridique la norme dont la décision est en quelquesorte porteuse”56. C’est faire “sienne la situation juri-dique que la décision consacre”57. C’est donc au stade dela reconnaissance (et l’exequatur), que se règle la ques-tion de savoir si on assimile ou si on étend les effetsd’une décision étrangère.

Or, la théorie du cumul, telle que postulée par certains au-teurs, reporte la transposition des effets d’une décision austade de l’exécution, ce qui vicie le raisonnement puis-qu’on sort du domaine de la Convention.

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47 Bartin, Droit International Privé, Montchrétien, Paris, 1930, p. 595:“L’autorité de la chose jugée qui s’attache à la condamnation étrangèredépend tout naturellement, en principe, de la loi étrangère: cependant,si l’autorité de la chose jugée qui résulte de la loi étrangère dépassaitla mesure que la loi française impose à cette caractéristique essentiellede l’oeuvre du juge, il paraît certain que, sur la condamnation elle-même, la loi française reprendrait son empire, et réduirait les effets ex-cessifs de l’autorité de la chose jugée à l’étranger. (…) En ce quiconcerne (…) le caractère relatif de l’autorité de la chose jugée: (…)nous considérons le caractère relatif de l’autorité de la chose jugéecomme une règle fondamentale du dispositif, et, dans l’ordre desconflits internationaux de juridictions, nous n’accorderions dès lors ja-mais l’exequatur en France au jugement étranger, quelles que fussentles dispositions de la loi étrangère sur ce point (…)”48 G.A.L. Droz, o.c., p. 281, n° 448.49 Est en cause ici, un effet de procédure, dont le sort sera réglé austade de la reconnaissance.50 Monsieur Krombach, accusé d’homicide involontaire, n’a pas com-paru personnellement (alors qu’il en avait l’obligation en vertu du droitfrançais) devant la Cour d’assises de Paris, mais s’est fait représenté pardeux avocats. La cour d’assises a constaté la contumace et a en consé-quence interdit à ses avocats de le représenter et déclaré que les mé-moires en défense étaient irrecevables. Elle a condamné MonsieurKrombach à une réparation civile de 350.000 fr. L’Oberlandesgerichtayant rejeté le recours introduit par Monsieur Krombach contre la déci-sion d’exequatur, ce dernier a alors saisi le Bundesgerichtshof d’une“Rechtsbeschwerde”, dans le cadre de laquelle il a fait valoir qu’iln’avait pas pu se défendre de manière effective devant le juge français.Voyez: La Convention de Bruxelles, o.c., p. 234.51 Arrêt Krombach/Bamberski, aff. C-7/98, Rec. p. I-1956.

52 Conclusions se rapportant à l’affaire Hoffman/Krieg, Recueil, p.658, affaire sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.53 Madame Gaudemet-Tallon se rallie également à l’opinion de l’Avo-cat Général Darmon dans sa note sur l’affaire Hoffman / Krieg,R.C.D.I.P. 1988, p. 608.54 Conclusions se rapportant à l’affaire Hoffman/Krieg, Recueil, p.657: “la délimitation éventuelle des effets concrets du jugement reconnune peut relever du juge de l’exequatur, qui doit en principe se borner àdélivrer ou à refuser la force exécutoire”; Gaudemet-Tallon, o.c., p. 607.55 Voir point 1.1.3.56 Gothot et Holleaux, o.c., n° 247, p. 141.57 Ibid.

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En outre, poussée à l’extrême, la théorie du cumul abouti-rait à montrer des résultats absurdes. Comment recon-naître ou exécuter une décision belge d’astreinte en Italie,qui ne connaît pas cette institution? La théorie du cumulsignifierait dans ce cas que le juge de l’exequatur, netrouvant aucune décision juridique similaire dans sondroit refuserait en pratique d’accorder la reconnaissanceou l’exequatur, puisque la décision étrangère d’exequaturaurait d’office plus d’effets que la décision analogue - in-existante, en l’espèce - de l’État requis58.

1.1.3. Le titre exécutoire octroyé par l’exequatur est celuide l’État requis

Messieurs Geimer et Schütze défendent l’idée selon la-quelle, les effets de l’exequatur seraient soumis à la théo-rie du cumul tandis qu’il faudrait appliquer l’extensiondes effets à la reconnaissance59.

Ils estiment en effet que la décision étrangère est, parl’exequatur, revêtue du titre exécutoire national de l’Étatrequis. La décision exequaturée ne pourrait donc pas sor-tir plus d’effets qu’une décision locale revêtue de lamême formule exécutoire.

Encore une fois, nous ne pouvons suivre ce raisonnement.Si l’exequatur est l’ouverture de la procédure d’exécu-tion, c’est bien la décision étrangère qu’on exécute.L’exequatur n’a pas pour vocation de nationaliser un ju-gement étranger.

Notre opinion semble d’ailleurs confirmée par l’exposédes motifs du Règlement n°44/2000 dans lequel il seraitplutôt question “constater, par l’exequatur, la force exé-cutoire que la décision a dans son État d’origine”60.

1.1.4. Justification par la pratique

Limiter les effets d’une décision à ceux dont jouiraientdes décisions locales du même type s’expliquerait “par lanécessité d’uniformiser les interprétations et le souci deprévenir le recours excessif à la clause d’ordre public”61.

Nous comprenons l’argument de l’uniformité d’interpré-tation comme la possibilité de rattacher les effets d’unedécision étrangère aux effets d’une décision nationaleanalogue dans l’ordre juridique requis. Si tel est le cas,nous ne pouvons que regretter une attitude si peu dispo-sée à l’enrichissement du système de chacun des Étatsparties à la Convention.

Il s’agit en outre d’une solution confortable en pratique,qui permet finalement de ne pas prendre position puis-qu’on est certain qu’au bout du compte on ne prend pas lerisque d’admettre des effets inconnus dans l’État requis62.

Quant au recours excessif à l’ordre public, il faut garder àl’esprit que nous sommes dans des matières où l’ordre pu-blic a rarement été admis par la Cour de Justice63. Selonune jurisprudence bien établie, la Cour a toujours considé-ré que ce moyen, prévu à l’article 27-1 de la Convention,ne doit jouer que dans des cas exceptionnels64.

1.2. La théorie de l’extension des effets

La théorie de l’extension des effets est déjà assez ancien-ne et on en trouve une ébauche auprès de certains auteursfrançais comme Bartin65. C’est cependant la doctrine alle-mande qui l’a développée66.

Si certains traités se prononcent sur la théorie qu’ils consa-crent67, la Convention de Bruxelles, reste, quant à elle, si-lencieuse sur la question. Seul le rapport Jenard se pronon-ce de manière explicite:”la reconnaissance doit avoir poureffet d’attribuer aux décisions l’autorité et l’efficacité dontelles jouissent dans l’État où elles ont été rendues”68.

Certaines réflexions ont été évoquées sur la théorie quiserait consacrée par la Convention. Il serait illogique dereconnaître une décision qui est l’issue d’une procédureétrangère et ensuite de lui refuser les effets propres qu’el-le comporte. Par ailleurs, l’assimilation ou le cumul deseffets aboutirait à une situation d’inégalité au niveau in-ternational: une décision étrangère serait assortie d’effetsdifférents selon l’État membre dans lequel elle est recon-nue ou exécutée69.

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58 Il faut concéder que, du fait que l’astreinte doit être liquidée avantde pouvoir être exequaturée, celle-ci peut traverser l’Union Européennesous l’apparence d’une banale condamnation en paiement. 59 Geimer et Schütze, Europäisches Zivilverfahrensrecht, Kommentarzum EuGVÜ und zum Lugano-Übereinkommen, Art. 26, 1, p. 424.60 Exposé des motifs du Règlement n° 44/2000, COM (1999) 348 finalainsi que les considérants 15 à 17 du Règlement.61 Conclusions du Procureur Général Darmon se rapportant à l’affaireHoffman/Krieg, Recueil, p. 657.

62 Monsieur Schack (o.c., p. 311, n° 791) est en effet d’avis que l’ap-plication de la théorie du cumul permettrait de ne reconnaître aux déci-sions étrangères que des effets connus en droit allemand.63 Cependant, la Cour vient de marquer une évolution dans sa jurispru-dence en matière d’ordre public (art. 27-1) à l’occasion de l’affaireKrombach du 28 mars 2000, C-7/98, sur laquelle nous aurons l’occasionde revenir.64 Arrêt Hoffman/Krieg, Recueil, 645, point 21; Arrêt Hendrikman etFeyen, Recueil, p. 4943, point 23) confirmé par l’arrêt Krombach du 28mars 2000, o.c.65 Bartin, o.c., p. 594-595.66 Un petit nombre d’auteurs belges ou français se prononcent aussi en fa-veur de l’extension des effets mais sans nécessairement justifier leur posi-tion. Voyez Goldman, “Un traité fédérateur : La Convention entre les Étatsmembres de la CEE sur la reconnaissance et l’exécution des décisions enmatière civile et commerciale”, R.T.D.E. 1971, p. 31; Battifol et Lagarde,Droit international privé, L.G.D.J. 1983, n° 736-1 ( ces auteurs se pronon-cent sur le droit commun, ce qui devrait a fortiori valoir pour la Conventionde Bruxelles); pour la Belgique: G. De Leval, “Une harmonisation des pro-cédures d’exécution dans l’Union européenne est-elle concevable ?”, Ac-tualité du droit, 1995, p. 498-499, Les saisies et le surendettement dansl’Union Européenne, Law International Kluwer, 1997, p. 595 et s.67 Dans le Traité belgo-allemand du 30.06.1958 on peut lire à l’art. 1,1, 2 que “la reconnaissance a pour conséquence qu’aux décisions (étran-gères) serait octroyé l’effet dont elles sont dotées dans l’État où elles ontété rendues”. Les mêmes termes ont été repris dans le Traité germano-néerlandais du 30 août 1962 à l’art. 1, 1, 2.68 Rapport Jenard, o.c., N° 59/43.69 Kropholler, J, Internationales Privatrecht, J.C.B., Tübingen, 1990, §60 IV, p.533; Kropholler, J, Europaïsches ZivilprozeBrecht, 6 éd., Rechtund Wirtschaft, Heidelberg, 1998, art. 26, n° 9 à 11, 333-334.

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Cependant, concernant l’exécution, ce même rapport Je-nard précise un peu plus loin que: “l’article 31 ne prendpas position entre les théories suivant lesquelles ce seraitsoit le jugement rendu dans l’État d’origine soit la déci-sion autorisant l’apposition de la formule exécutoire quiserait exécutoire dans l’État requis”70. La question restedonc ouverte.

2. La théorie de l’extension des effets consacrée par

la Convention de Bruxelles

Etant donné que le texte de la Convention ne se prononcepas expressément, il nous semble dans un premier tempsnécessaire de se pencher sur les objectifs généraux de laConvention. D’autres éléments de réponse pourront êtretrouvés dans certaines des dispositions de la Convention.Enfin, plusieurs arrêts de la Cour de Justice ont apportéleur contribution à cette question.

2.1. Les objectifs poursuivis

La libre circulation des jugements est certainement l’undes objectifs qui est le plus souvent invoqué par la Courde Justice en matière de reconnaissance et d’exécutiondes jugements et il peut être bon, ici, de rappeler ce quecet objectif recouvre dans le système mis en place par laConvention.

La Convention a opté pour un système de coopération ju-diciaire entre les différents États membres qu’il est par-fois difficile de gérer: elle ne fait qu’uniformiser la procé-dure “d’importation” d’une décision dans un paysétranger; les règles procédurales qui se situent en amontet en aval restent nationales.

Tenant compte de ces diversités, la Convention a mis enplace une procédure de contrôle limité et, en son article19, interdit la révision au fond des décisions. L’économiede la Convention repose ainsi sur le respect de la décisioneuropéenne.

Ainsi, la théorie du cumul, qui nationalise d’une certainemanière les décisions étrangères, ne correspond pas auxobjectifs poursuivis par la Convention et de l’esprit géné-ral dans lequel elle a été conçue.

2.2. Les arguments tirés du texte de la Convention

Même si, à première vue, le texte est muet quant au mo-dèle sur lequel la Convention serait construite, il est pos-sible de se baser sur certaines de ses dispositions quimontrent que c’est bien l’extension des effets qui a étéenvisagée par les rédacteurs de la Convention.

Nous exposerons les différentes dispositions du texte quenous estimons être l’expression de ce principe, en partantde la plus générale vers la plus spécifique.

2.2.1. L’article 27-1 de la Convention: l’exceptiond’ordre public

Un des motifs de refus de reconnaissance ou d’exécutiondes décisions est le recours à l’ordre public. M. Jenardprécise que ce n’est pas la décision elle-même qui estconfrontée à l’ordre public du for mais bien les effetsqu’elle entraîne dans l’État où elle sera reconnue ou exé-cutée71.

Selon une logique d’assimilation ou de cumul, la questionde l’ordre public ne devrait théoriquement pas se poserpuisqu’on part de l’idée que les effets d’une décisionétrangère ne sont reconnus que si et dans la mesure oùune décision analogue du pays requis produit ces mêmeseffets. Ce motif de refus devient inutile et il n’y a aucuneraison, sur le plan des principes, de le mentionner.

Il est d’ailleurs significatif que les tenants de la thèse del’extension n’émettent comme seule réserve à la recon-naissance des décisions l’exception d’ordre public.

S’il reste vrai que l’ordre public a rarement été acceptécomme motif de refus par la Cour de Luxembourg, letournant qu’elle a marqué à l’occasion de l’arrêt Krom-bach, du 28 mars 200072, laisse espérer qu’elle s’orientevers un plus grand souci des droits de la défense et qu’el-le rende une partie de la doctrine moins réticente à l’idéeque l’on puisse accepter les effets des décisions étran-gères tels qu’ils sont postulés dans l’État d’origine.

L’arrêt Renault, rendu par la Cour de Justice le 11 mai2000, vient encore renforcer notre point de vue quant àl’argument de l’ordre public73.

La Cour de Justice, après avoir rappelé sa jurisprudence,et notamment l’enseignement de l’arrêt Krombach, a dé-cidé qu’en “prohibant la révision au fond de la décisionétrangère, les articles 29 et 34, troisième alinéa, de laConvention interdisent au juge de l’État requis de refuserla reconnaissance ou l’exécution de cette décision au seulmotif qu’une divergence existerait entre la règle de droitappliquée par le juge de l’État d’origine et celle qu’au-rait appliqué le juge de l’État requis s’il avait été saisi dulitige”74.

Or, si une institution existe dans un droit matériel et nondans un autre, c’est immanquablement une règle de droitdifférente de celle de l’État requis que le juge d’origineva appliquer. La décision qui en découle aura par défini-tion des effets différents de ceux que pourrait déployerune décision locale. Ainsi, il nous paraît que cet arrêt

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70 Rapport Jenard, o.c., N° 59/43.

71 Rapport Jenard, N° c 59/44; Gaudemet-Tallon, o.c., n° 351, p. 252.72 Arrêt Krombach/Bamberski, 28 mars 2000, o.c.73 Arrêt Renault/Maxicar du 11 mai 2000, o.c. JTDE. Renault avaitobtenu, en France, la condamnation de Maxicar SpA en réparation pourcontrefaçon. Ce genre de sanction n’existe pas en droit italien, moinsprotecteur en matière de protection industrielle. Un des arguments deMaxicar était de dire que la décision française ne pouvait être exécutée,étant inconciliable avec la décision locale qu’aurait rendue un juge ita-lien et donc contraire à l’ordre public.74 Attendu 29.

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vient justement préciser la portée de l’article 27-1 et re-connaît implicitement qu’en combinaison avec les articles29 et 34, troisième alinéa, c’est la théorie de l’extensiondes effets qui est consacrée par la Convention.

2.2.2. L’article 31 de la Convention exige uniquementque la décision ait un caractère exécutoire

Monsieur Kropholler relève que le droit commun alle-mand exige en matière d’exequatur que la décision soitcoulée en force de chose jugée (Endgültigkeit / formelleRechtskraft), ce qui garantit le juge requis d’un certaindegré de légalité de la décision dont on lui demandel’exequatur ainsi que le respect des droits de la défense75.

Le droit commun anglais émet la même règle. Un juge-ment étranger doit être “final, conclusive” avant de pou-voir être exécuté en Angleterre76.

Or, l’article 31 de la Convention, on le sait, pose commeseule exigence quant à l’octroi de l’exequatur, que les dé-cisions rendues dans un État contractant y soient exécu-toires77.

Selon nous, cette règle se justifie, entre autres, par lesouci de transposer les effets des décisions étrangèresavec le plus grand respect possible78.

2.2.3. L’article 6-2 combiné à l’article V du Protocole dela Convention

L’article 6-2 prévoit qu’un défendeur peut être attrait,“s’il s’agit d’une demande en garantie ou en interven-tion, devant le tribunal saisi de la demande originaire…”.

Cependant, le droit allemand ne connaît pas l’appel engarantie ni l’intervention. Il ne connaît qu’une procédure“d’appel en déclaration de jugement commun”: soit letiers intervient volontairement à l’instance (Intervertions-wirkung), soit une partie au procès originaire décide defaire intervenir un tiers à la cause (Streitverkündigungs-wirkung). Dans les deux cas, le jugement entre partiesprincipales est opposable au tiers concerné, mais ne pour-ra, en soi, jamais avoir d’effets contraignants à son égard.La partie qui a appelé le tiers à la cause ou auprès de la-quelle le tiers est intervenu volontairement pourra uni-quement se servir des constatations de fait ou de droit ti-

rées du premier jugement79 pour obtenir la condamnationdu tiers dans l’hypothèse d’un procès ultérieur.

L’article V, al.1 du Protocole écarte l’application de l’ar-ticle 6-2 en faveur de l’Allemagne et prévoit que toutepersonne domiciliée dans un autre État contractant peutêtre appelée devant les tribunaux allemands selon lesrègles de procédures allemandes.

Au stade de la reconnaissance et de l’exécution, l’articleV, al. 2 précise que “les décisions rendues dans les autresÉtats contractants en vertu de l’article 6-2 (…) sont re-connues et exécutées dans la République Fédérale d’Alle-magne, conformément au titre III (reconnaissance et exé-cution). Les effets produits à l’égard des tiers, enapplication des articles 68 et 72 à 74 du code de procé-dure civile, par des jugements rendus dans cet État, sontégalement reconnus dans les autres États contractants.”

Ainsi, un jugement belge condamnant le bénéficiaired’une garantie au paiement d’une somme d’argent pourraêtre exécuté en Allemagne à l’encontre du garant. Inver-sement, une décision allemande de condamnation nepourra jamais être exécutée directement contre le tiers ap-pelé à la cause qui se trouve en Belgique 80.

La Convention oblige donc expressément les Étatsmembres à reconnaître les effets d’une décision tels qu’ilssont postulés dans le pays où elle a été rendue81.

2.2.4. L’article 43 relatif à l’astreinte

C’est le même raisonnement qui doit être suivi à l’égardde l’article 43 selon lequel “les décisions étrangèrescondamnant à une astreinte ne sont exécutoires dans l’É-tat requis que si le montant en a été définitivement fixépar les tribunaux de l’État d’origine”. Nulle part, il n’estprévu de dérogation pour les pays qui ne connaissent pasl’astreinte, la seule condition à l’exécution des jugementsd’astreinte étant que son montant en soit définitivementfixé dans le pays d’origine.

2.3. L’enseignement de la Cour de Justice: l’arrêt Hoff-man/Krieg – critiques

Cette affaire a permis à la Cour de se prononcer, entreautres, sur la question de savoir si les articles 26 et 31 dela Convention imposent aux États membres de recon-naître à une décision étrangère le même effet qu’elle adans l’État où elle a été rendue.

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75 Kropholler, o.c. p. 519.76 T.C. Hartley, Civil Jurisdiction and Judgments, the Application inEngland of the Convention and the Enforcement in Civil and Commer-cial Matters under the Civil Jurisdiction and Judgments Act 1982, Lon-don, Sweet and Maxwell, 1984, p. 84; Collier, Conflict of Laws, 2nd edi-tion, Cambridge University Press, p. 163. 77 Voyez l’affaire Coursier/Fortis, o.c.78 Kropholler, o.c., p. 519.

79 Par dérogation au principe, en droit allemand que seul le dispositif(Tenor) a autorité de chose jugée (art. 322 du code de procédure civileallemand). Ici toutes les constatations en fait ou en droit, établies dansun jugement ultérieur sont liantes à l’égard du second juge.80 Cet exemple est tiré de J. Kropholler, Europaïsches ZivilprozessBrecht, art. 6, n° 18 à 22, p. 154 et s.81 Nous attirons néanmoins l’attention sur le fait que le Règlement n°44/2000 ne reprend pas les articles V alinéas 1 et 2 du Protocole de laConvention. (le projet de Règlement reprenait, à l’article 6, §2, le conte-nu de l’article V-1 du Protocole. Cette insertion a disparu dans la ver-sion définitive du Règlement).

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT

2.3.1. Quels effets octroyer à une décision étrangère?

Une condamnation aux charges du mariage a été pronon-cée en Allemagne et a fait l’objet d’un exequatur en Hol-lande. Entre-temps, le mari, débiteur de la pension, a ob-tenu le divorce en Hollande mais n’a pas accompli lesdémarches nécessaires pour faire reconnaître celui-ci enAllemagne. Par conséquent, la pension alimentaire, pro-noncée dans le cadre du mariage, était toujours exécutoireen Allemagne.

Le juge hollandais se trouvait ainsi d’une part face à unedécision allemande de pension alimentaire, revêtue del’exequatur et toujours exécutoire en Allemagne etd’autre part, à une décision définitive de divorce renduedans son propre ordre juridique.

Quels effets fallait-il reconnaître à la décision allemande?Devait-on lui accorder les effets qu’elle avait en Alle-magne, alors que le divorce - qui met normalement unterme au versement de la pension - n’y était pas reconnu?

2.3.2. La réponse de la Cour82

La Cour a considéré qu’ “une décision étrangère doit dé-ployer en principe, dans l’État requis, les mêmes effetsque ceux qu’elle a dans l’État d’origine”83.

Elle a rappelé à cet égard que la Convention “tend à faci-liter, dans la mesure du possible, la libre circulation desjugements” et que “la reconnaissance doit avoir poureffet d’attribuer aux décisions l’autorité et l’efficacitédont elles jouissent dans l’État où elles ont été rendues(Rapport Jenard, p. 42 et 43)”.

2.3.3. L’arrêt consacre-t-il l’extension ou le cumul des ef-fets84?

Malgré ces attendus, les tenants de la théorie du cumul85

ont vu dans cet arrêt la consécration de leur thèse: lathéorie de l’extension ne pourrait avoir pour conséquenced’entraîner la primauté de l’ordre juridique de l’Étatd’origine sur celui de l’État requis.

Sans doute, se sont-ils appuyés sur les conclusions ren-dues par le Procureur Général Darmon mais égalementsur un attendu de la Cour qui laisse perplexe: “La partiequi n’a pas intenté le recours contre l’exequatur prévupar cette disposition ne peut plus faire valoir au stade de

l’exécution de la décision une raison valable qu’elle au-rait pu invoquer dans le cadre de ce recours contre l’exe-quatur, et que cette règle doit être appliquée d’office parles juridictions de l’État requis. Toutefois, cette règle nes’applique pas lorsqu’elle a pour conséquence d’obligerle juge national à subordonner les effets d’un jugementnational exclu du domaine d’application de la conventionà sa reconnaissance dans l’État d’origine de la décisionétrangère dont l’exécution est en cause”86.

La Cour semble donc interpréter extensivement ses com-pétences.

Selon nous, cette position repose sur la confusion entre ledomaine de l’exequatur et celui de l’exécution qui a déjàété relevée précédemment. Il faut dire que la Cour elle-même semble se perdre dans ses propres explications.

Ce n’est, en l’espèce, plus à la Convention de régler lesobstacles à l’exécution de la décision allemande en Hol-lande, mais au droit hollandais87. La condamnation à lapension alimentaire a d’ailleurs déjà été exequaturée parle juge hollandais88. La Convention n’est par conséquentplus compétente.

La théorie de l’extension des effets apparaît ainsi, surbase des éléments qui viennent d’être développés, commele soubassement du système de la Convention. La Courde justice a rejoint cette thèse, dans des termes toutefoisconfus.

3 Les limites du concept de l’extension des effets:

l’arrêt Coursier/Fortis

Une question qui apparaissait en filigrane de l’arrêt Hoff-man/Krieg et qui a, à notre sens, brouillé le raisonnementde la Cour, a été explicitement posée dans une affaire ul-térieure89: dans quelle mesure doit-on accepter la théoriede l’extension des effets?

3.1. Dans quelle mesure doit-on accepter l’extension deseffets?

Monsieur Coursier s’est fait condamner en France auremboursement d’un prêt qu’il avait contracté auprès dela banque Fortis. Quelques temps après, Monsieur Cour-sier fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciairequi se solde par une décision de clôture pour insuffisanced’actifs. Cette seconde décision fait application de dispo-

82 Les conclusions de l’Avocat Général ainsi que le rapport d’audiencede l’arrêt sont publiés au Recueil, 1988, Affaire 145/86, p. 646 et s.83 Attendu 10 et 11.84 Seules les questions concernant la séparation des domaines de l’exe-quatur et de l’exécution se posaient réellement dans l’affaire dont laCour a été saisie. Les autres points peuvent être considérés comme desobiter dictum puisque l’exequatur de la décision allemande octroyée parle juge hollandais était coulée en force de chose jugée (voyez à cetégard H. Verheul, “Articles 26, 27-3, 31, 36. Recognition, irreconci-liable judgments, execution, appeal from order for enforcement”,N.I.R..L. 1988, Affaire 145/86, p. 646 et s.)85 Schokweiler, o.c., p. 174; H. Gaudemet-Tallon, o.c., p. 608; conclu-sions de l’Avocat Général Darmon, Recueil, p. 654 et s.

86 Attendu 34.87 H. Linke, “Unvereinbare Entscheidung (note sous l’arrêt Hoff-man/Krieg)”, R.I.W. 1988, p.825.88 En outre, ce juge n’a sans doute fait qu’appliquer des principes déjàadmis par sa Cour de cassation. En effet, le Hoge Raad a, par un arrêt du26 janvier 1979, considéré que les effets d’un jugement belge autorisantune délégation de sommes, en application de l’art. 221 du code civildoivent être étendus au territoire néerlandais avec les caractéristiquespropres qui lui sont attachées dans l’ordre juridique belge, une foisl’exequatur accordé (Hoge Raad 26 januari 1979, N.J. 1979, 399).89 Arrêt Coursier/Fortis du 29 avril 2000, Recueil, I, p. 2563 et s.

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sitions selon lesquelles le jugement de clôture ne fait pasrecouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs ac-tions à l’encontre du débiteur.

La banque Fortis décide alors de demander l’exequatur desa décision au Luxembourg, où le débiteur possède desavoirs.

Devant la Cour de Justice, Monsieur Coursier, a argu-menté qu’” aucune efficacité internationale ne pourraitêtre conférée à une décision qui, dans l’ordre interne del’État d’origine, a perdu son efficacité à l’égard du débi-teur, en vertu de l’immunité d’exécution accordée à celui-ci par le législateur”90. Il aurait fallu, selon lui, que le ju-gement de condamnation reste effectivement exécutabledans l’État d’origine91.

3.2. Réponse de la Cour: la décision doit, d’un point devue formel, avoir un caractère exécutoire

La Cour aurait pu se contenter de répondre que la deuxiè-me décision, résultant de la procédure de liquidation etqui empêchait en pratique l’exécution forcée en France,sortait du champ d’application de la Convention. De lasorte, il aurait fallu que cette dernière soit reconnue auLuxembourg, ce qui n’était pas le cas.

Néanmoins, elle n’a pas choisi cette voie. Rappelant quela Convention se borne à régler la procédure d’exequaturdes titres exécutoires et ne touche pas à l’exécution pro-prement dite qui reste soumise au droit national du jugesaisi, elle a considéré qu’il “ressort de l’économie géné-rale de la Convention que les termes “exécutoires” figu-rant à l’article 31 de cette Convention visent uniquementle caractère exécutoire du point de vue formel, des déci-sions étrangères et non les conditions dans lesquelles cesdécisions peuvent être exécutées dans l’État d’origine”92.

3.3. La limite posée par la Cour de Justice à l’extensiondes effets

L’avocat général La Pergola a dit très justement, dans sesconclusions, que “le caractère exécutoire, c’est une quali-té du titre dont on demande l’exécution qui, en tout cas,doit exister d’après le droit du pays d’origine du juge-ment … et il n’y a pas de raison d’accorder à un juge-ment étranger des droits qui ne lui appartiennent pasdans le pays d’origine”93.

En effet, selon le droit français, M. Coursier jouissait enquelque sorte d’une immunité d’exécution à l’égard deses créanciers mais qui n’enlevait pas en soi au titre son

caractère exécutoire94. Ainsi, le juge doit se limiter àtransposer la décision, non l’ordonnancement juridiquequi l’entoure.

Néanmoins, la Cour nous invite également à soulever unequestion nouvelle. Que faut-il entendre par “les condi-tions dans lesquelles (l)es décisions peuvent être exécu-tées dans l’État d’origine”? Quelle doit être l’attitude dujuge si, contrairement au cas d’espèce, caractère exécu-toire et modalités ou conditions d’exécution sont enfer-mées dans une seule et même décision?

Touchant plus particulièrement le stade de l’exécution, laréponse à cette question mériterait d’être approfondie.Mais nous avons déjà soumis le lecteur à rude épreuve etil est temps d’en terminer par quelques mots de conclu-sion.

V. Conclusion

L’extension des effets n’est certainement pas le modèle leplus facile à mettre en oeuvre mais c’est pourtant, selonnous, celui que les auteurs de Convention ont choisi.

Le Règlement n°44/2000 modifiant la Convention deBruxelles abrège encore la procédure d’exequatur, ce quiaccroît davantage la responsabilité du juge de l’État re-quis.

Dans cette optique, il nous semble nécessaire d’orienterla discussion sur les divers incidents qui peuvent survenirentre le moment où une décision européenne est prise etcelui où elle est exécutée. Nous pensons que l’extensiondes effets apportera certainement une contribution inté-ressante au débat.

Caroline TubeufAssistante à l’ULB

Avocat au Barreau de Bruxelles

90 Conclusions de l’Avocat Général La Pergola, Recueil, I, 2547. Lespropos de M. Coursier étaient partagés par la Commission.91 Attendu 21.92 Attendu 29.93 Conclusions, o.c., p. 2552.

94 Cette immunité d’exécution peut être rapprochée de l’immunitédont bénéficient les États. À cet égard, on peut citer l’arrêt de la Courd’appel de Bruxelles du 10 mars 1993 (J.T. 1994, p. 783) qui adopte lamême position que la Cour de Justice, à savoir que la décision contre unÉtat peut être déclarée exécutoire. Ce qui ne préjuge pas de l’immunitéque pourront invoquer les États au moment de l’exécution proprementdite.