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Mécanismes sociaux de transformation d'un écosystème fragile: La camargueAuthor(s): Bernard PiconSource: Études rurales, No. 71/72, Campagnes marginales, campagnes disputées (Jul. - Dec.,1978), pp. 219-229Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20121609 .
Accessed: 28/06/2014 15:22
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BERNARD PICON
M?canismes sociaux de transformation
d'un ?cosyst?me fragile :
la Camargue
Une ?tude r?cente, ayant pour objet ce les m?canismes sociaux de trans
formation de l'espace ?\ a attir? notre attention sur les agents sociaux et
leurs conduites par rapport aux espaces ruraux
p?ri-urbains qui ne sont pas
n?cessairement touch?s par des processus d'urbanisation. Deux zones, dont
le seul point commun ?tait d'?tre class?es en Parc naturel r?gional, avaient
?t? choisies comme terrain de recherche : la montagne du Lub?ron et la
Camargue, qui limitent au nord et ? l'ouest le complexe portuaire industriel et urbain de Fos, Berre, Marseille. Notre hypoth?se principale est que
l'espace rural p?ri-urbain n'est pas seulement, ce que l'on a
trop tendance ?
admettre actuellement, un objet de convoitise pour les citadins ? comme
s'il n'existait qu'une attitude possible, qui serait celle d'un groupe social
uniforme.
Cette recherche nous a conduit, en effet, a relever des interventions
h?t?rog?nes de la part de groupes sociaux diff?rents, sur des espaces aux
caract?ristiques tr?s diversifi?es. A partir de cet apparent d?sordre empi rique,
on a pu construire une typologie d'interventions sur les espaces p?ri
urbains en fonction de leurs particularit?s, des caract?ristiques des acteurs
sociaux et du contexte ?conomique. L'enjeu que repr?sentent de tels
espaces pour ces groupes sociaux aux int?r?ts divergents se
place alors au
centre de notre probl?matique. Nous avons choisi ici de parler uniquement de la Camargue pour une
raison essentielle, et qui m?rite qu'on s'y arr?te : c'est dans cette zone ?colo
giquement si originale qu'on observe les types les plus purs, les moins
nuanc?s d'enjeux et de conduites sociales2.
1. A. Degenne, C. Flament, B. Picon, J. Windenberger, M?canismes sociaux de transformation de Vespace : Camargue-Lub?ron. Aix-en-Provence, Laboratoire d'?conomie et de sociologie du travail
(lest) - Minist?re de la Qualit? de la Vie, 1977, 200 p.
2. Pour plus de d?tails, cf. B. Picon, Uespace et le temps en Camargue, Le Paradou, ?ditions
Actes/Sud, 1978, 260 p.
?tudes rurales, juil.-d?c. 1978, 71-72, pp. 219-229.
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i_i_i
Fig. 1. ?tangs et marais de Camargue
Certaines pratiques seraient-elles en corr?lation avec les ?cosyst?mes sur lesquels elles se d?veloppent ? C'est ce que nous tenterons de montrer
pour la Camargue, en partant de la typologie conceptuelle des pratiques sociales observ?es sur nos deux terrains de recherche.
Pr?sentation de la typologie des interventions sociales
sur l'espace rural
Type A : intervention productive sur le mode de l'agriculture domin?e entra?nant de perp?tuelles conduites d'adaptation ; l'objectif est moins
le profit que la survie.
Type B : intervention productive sur le mode de l'agriculture industrielle
qui implique, plut?t qu'une conduite adaptative, une conduite de gestion naire avis?.
Type C : intervention non productive avec appropriation, rendue
possible lorsque l'espace ce naturel ? est toujours plus fortement convoit?, ce qui est le cas dans les soci?t?s industrielles.
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LA CAMARGUE 221
Type D : intervention non productive sans appropriation ; cette utili
sation de l'espace ? des fins de loisirs limit?s dans le temps fait pr?cis?ment de l'espace le pivot d'un enjeu fondamental, celui de l'acc?s et de la libre
circulation de tous.
Type E : intervention visant ? obtenir la meilleure productivit? biolo
gique d'un espace ; la conduite consiste ? ne pas cultiver mais ? contr?ler et ? orienter l'?volution du milieu ; le but recherch? est de tirer un profit de la production des milieux naturels (chasse par exemple) et de jouir du
privil?ge que repr?sente la possibilit? d'y acc?der.
Type F : l'intervention est la m?me que pour le type E, mais elle
d?bouche sur une conduite de ce protection int?grale ? et non pas de ce contr?le ? des milieux naturels qui, de ce fait, deviennent toujours plus
complexes ; l'objectif est de produire les milieux naturels indispensables ? la science ?cologique.
Les types d'intervention et les modifications
de l'?cosyst?me camarguais
Les types A et B
Premi?re particularit? de la Camargue : le type A d'utilisation de
l'espace, pourtant dominant en Provence, y est beaucoup moins repr?sent? que le type B. Si dans la montagne du Lub?ron fourmillent de petites
exploitations familiales qui survivent du fait de la sous-r?mun?ration du
couple d'agriculteurs exploitants, en Camargue les propri?t?s d'une super ficie sup?rieure ? 200 ha couvrent plus des deux tiers du delta (cf. Fig. 2). C'est en recherchant dans le pass? l'origine de ces grandes exploitations qu'on en vient in?vitablement ? parler d'un ?cosyst?me camarguais, ? notre avis tr?s largement responsable de ce mode de faire-valoir.
C'est essentiellement en basse Camargue que sont localis?s les plus grands domaines, assez peu nombreux le long des deux bras du Rh?ne. A
cela, une explication
: la mise en valeur on?reuse de cette basse Camargue lacustre a n?cessit? d'importants capitaux ; seuls des milieux d'affaires non agricoles pouvaient consentir ? les investir et seules de tr?s grandes
exploitations permettaient de les rentabiliser.
En effet, l'ensemble des terres de surface est rendu st?rile par la for
mation g?ologique du delta et les caract?ristiques climatiques m?diterra
n?ennes. Environ 3 000 ans av. J.-C, le rivage se situait au niveau de l'ac tuelle rive nord de l'?tang de Vaccar?s. Si au nord de cette c?te le sol du delta est compos? de marais enserr?s de bourrelets alluviaux, t?moins des
divagations du fleuve, au sud les alluvions fluvi?tiles se m?langent aux
alluvions marines qui, pouss?es par la mer et le vent, fa?onnent un paysage
lagunaire instable.
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Fig. 2. Dimension des exploitations en Camargue (d'apr?s les documents
cadastraux, 1976)
De vastes lentilles d'eau sal?e, prisonni?res des s?diments, sont retenues
dans le sous-sol. Elles sont ?videmment beaucoup plus nombreuses dans la basse Camargue ou Camargue laguno-marine que dans la haute Camargue ou Camargue fluvio-lacustre. Si l'on ajoute ? cela que le taux d'ensoleille
ment est ici l'un des plus ?lev?s de France et que le vent dominant, le
mistral, tr?s sec, peut se donner libre cours dans cette plaine sans obstacle, on comprend que le taux d'?vaporation subi par le sol soit sup?rieur au
taux de pluviom?trie. Le d?ficit hydrique se traduit par la remont?e ? travers le sol de la nappe aquif?re sal?e. Le sel, st?rilisant d'immenses sur
faces, pr?side ? la formation de ce sansouires ?, bioc?noses compos?es d'asso ciations de v?g?taux halophiles impropres ? la consommation, m?me animale.
Dans une France essentiellement rurale, des efforts incessants vont ?tre
faits pour mettre en valeur les marais de haute Camargue et les sansouires de basse Camargue. L'importance des investissements engag?s
? endi
guement du Rh?ne et de la mer (achev? en 1869), installation d'un r?seau
d'irrigation et de drainage pour lutter contre la salinisation des sols et pour ass?cher les marais ? ainsi que la faible productivit? du milieu ont favo ris? le d?veloppement et le maintien de la grande exploitation. Comment cette
grande exploitation va-t-elle se transformer en une entreprise indus
trielle ne s'embarrassant gu?re de traditions, culturales ou autres, sachant
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LA CAMARGUE 223
Fig. 3. Formation g?ologique du delta
s'adapter aux lois du march?, ?tre ? la pointe des techniques... bref se
donnant toutes les chances de r?aliser les meilleurs profits ?
Selon notre hypoth?se, cette ?volution a ?t? facilit?e par l'hostilit? du
milieu, peu propice au peuplement de type communautaire. Il a ?limin? toute possibilit? d'?mergence d'une soci?t? paysanne, frein habituel aux
innovations en zones rurales. Parall?lement, la pr?sence de la grande exploi tation (qui implique une appropriation du sol d'origine financi?re et non
agricole) ?tait une entrave ? la formation d'une classe paysanne.
Par ailleurs, la grande exploitation est
beaucoup plus sensible aux varia
tions de conjoncture ?conomique que la petite agriculture familiale qui, gr?ce ? F autoconsommation, traverse
plus sereinement les p?riodes de
crise. C'est ainsi qu'? chaque grand bouleversement, ? chaque crise ?cono
mique on a vu la majorit? des propri?t?s de Camargue changer de main et se lancer dans de nouvelles activit?s. Lors de la crise du bl? provoqu?e par
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Fig. 4. Occupation du sol dans le delta
la politique libre-?changiste du Second Empire, par exemple, les anciens
propri?taires de Camargue, le plus souvent des nobles locaux, c?dent leur mas aux
repr?sentants de la bourgeoisie commer?ante marseillaise dont
l'assise financi?re permet de mettre en place une viticulture irrigu?e (irri
gation n?cessit?e par la crise du phyllox?ra). Pendant la guerre de 1940, les
industriels marseillais (les Marseillais ne se contentent plus de commercer,
ils ont cr?? des industries de transformation de produits coloniaux) mettent
leurs capitaux ? l'abri : il leur faut de grands domaines. Ils les trouvent en
Camargue o? ils se lancent ? corps perdu dans une culture impos?e par le contexte international : le riz. Avec le d?clin de la riziculture, d? ? la concur
rence de riz am?ricains massivement import?s, de nouveaux acheteurs sont
apparus, et avec eux de nouvelles conduites mieux adapt?es au contexte
?conomique actuel. Cette rotation des propri?taires du sol, cette absence de
tout attachement ? une pratique agricole particuli?re,
ce sens de F ce acti
vit? rentable ?, l'inexistence de communaut?s paysannes sont les carac
t?ristiques d'un ce type id?al ? d'agriculture industrielle.
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LA CAMARGUE 225
Le type C
Il est banal de dire que le fonctionnement de la soci?t? actuelle repose sur
la consommation. Dans la p?riph?rie des zones urbaines et industrielles,
pour satisfaire les besoins de l'habitat individuel, de l'industrie, du r?seau
autoroutier, etc., on assiste non pas ? une consommation mais ? une sur
consommation de l'espace. Il en r?sulte une emprise qui peut atteindre un
tel degr? que les espaces rest?s ? l'?cart de ce ph?nom?ne voient leur valeur
augmenter dans des proportions consid?rables.
Sous-tendue par une id?ologie de la ce nature ? profond?ment ancr?e et
largement r?pandue ?
id?ologie probablement n?e de la frustration ?, cette valorisation des espaces naturels se traduit, dans la zone
qui nous
int?resse, par des appropriations sp?culatives qui, en l'?tat actuel des choses, devraient procurer un bon profit ? leurs propri?taires.
La grande propri?t? de basse Camargue, confront?e au recul de la
riziculture, r?unit en effet toutes les caract?risticjues de l'espace ce naturel ?.
L'avifaune aquatique attir?e par ce milieu lacustre, les sansouires non colo
nis?es par l'agriculture mais lou?es aux manadiers qui y laissent pa?tre taureaux et chevaux, la proximit? de la mer forment des images symbolicpies dont la force d'attraction est d'un bien meilleur rapport que toute tentative
de mise en valeur agricole. Durant les dix derni?res ann?es, au moins quatre grands domaines de
basse Camargue, soit 4 000 ha, ont ?t? rachet?s par des hommes d'affaires, ext?rieurs au delta, qui pratiquent la non-culture syst?matique (mais le cas le plus fr?quent est celui d'acheteurs qui laissent leur r?gisseur ou leur
fermier cultiver les terres ? leur guise). Ces propri?taires se contentent de
jouir de l'espace et de savoir que la non-activit? leur garantit une plus value non n?gligeable (actuellement le marais vaut jusqu'? 30 000 F
l'hectare).
Le type D
Bien entendu, tout le monde n'a pas les moyens de s'approprier l'espace pour en jouir. Mais pour le ce consommer ?, il suffit d'avoir acc?s aux lieux
qui ont ?chapp? ? l'appropriation priv?e et o? l'on peut circuler librement. La Camargue convient parfaitement ? ce genre de pratique : des centaines de milliers de personnes la fr?quentent en ?t? ; sur la c?te, de l'Espagne ?
l'Italie, la plage camarguaise, longue de 40 km, est seule ? avoir ?chapp? ? la promotion immobili?re.
La gen?se d'un fait aussi exceptionnel se trouve bien s?r dans l'histoire de la gestion du milieu naturel.
En 1830, les premiers ph?nom?nes de concentration capitaliste se
traduisent par l'appropriation de toute la Camargue laguno-marine (soit 31 000 ha) par deux soci?t?s par actions, dont l'objectif est la mise en valeur de ces terres vierges. La r?sistance du milieu sal? est telle que les deux
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soci?t?s font tr?s rapidement faillite ? faillite qui profite ? la Compagnie Al?s-Froges-Camargue, la future Compagnie P?chiney.
Pour les besoins de son industrie chimique naissante, celle-ci doit
s'assurer un approvisionnement r?gulier en sel. Tout le syst?me des ?tangs sal?s de basse Camargue, aux conditions climatiques exceptionnelles, est
am?nag? en vue de cette production. Au moment m?me o? commence le
processus d'urbanisation de la C?te-d'Azur, voil? un espace c?tier enti? rement consacr? ? une industrie extractive, grande utilisatrice
d'espace, non
polluante et peu
ce b?tonni?re ?.
A partir de la crise du phyllox?ra (1880), les agriculteurs se mettent ?
introduire dans le delta de l'eau douce en quantit? beaucoup plus massive
qu'auparavant. Par gravitation,
cette eau se r?pand dans les ?tangs
cen
traux, alors que l'exploitation salini?re, elle, s'ing?nie ? en accentuer le
taux de salinit?. Un proc?s qui a lieu en 1906 ? Tarasc?n tranchera le pro bl?me de la gestion hydraulique du delta : il donne raison aux sauniers contre les agriculteurs. Un compromis est n?anmoins trouv? : gr?ce ? un
syst?me ?labor? de pompes ? vapeur, les sauniers iront puiser leur eau
sal?e directement dans la mer, se passant ainsi des ?tangs centraux ; les
agriculteurs auront de leur c?t? la possibilit? d'?vacuer une partie de leurs eaux d'irrigation dans le Rh?ne. Le Vaccar?s et les ?tangs centraux n'en
deviennent pas moins une pomme de discorde ; et pourtant, gr?ce aux deux
pr?c?dentes activit?s ?conomiques, cette r?gion b?n?ficie d'un ?quilibre
hydraulique biologiquement int?ressant : le m?lange des eaux sal?es et des eaux douces, l'arr?t de l'ass?chement estival annuel ont permis l'installa
tion d'une flore et d'une faune d'une rare originalit?. La conjonction de deux int?r?ts : geler une zone de conflits entre deux
puissantes activit?s ?conomiques d'une part, pr?server une zone
biologique ment int?ressante du point de vue des sciences naturelles de l'autre, a
d?bouch? en 1927 sur le classement en R?serve zoologique et botanique
int?grale de 13 000 ha voisins de l'entreprise salini?re, dont la gestion est
confi?e ? la Soci?t? nationale d'acclimatation. La partie sud de cette R?serve
constitue, sur 15 km, le prolongement des 25 km de plage d?j? prot?g?s par
l'entreprise salini?re. Ce vaste domaine public maritime est fr?quent?
chaque ?t? par des dizaines de milliers de campeurs qui jouissent ici d'un
espace c?tier ?chappant encore ? toute contrainte d'ordre r?glementaire ou financier. Le besoin d'une telle libert? est si profond que, pour le moment, toutes les tentatives administratives visant ? limiter l'acc?s ou la circulation
sur la plage ont ?chou?.
Voici encore un ce type id?al ? d'utilisation de l'espace cjui doit ses carac
t?ristiques sans nuances ? la solution d'un conflit ?conomique dur entre deux
conceptions diam?tralement oppos?es de la gestion de milieux naturels
difficilement ma?trisables.
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LA CAMARGUE 227
Le type E
Dans une perspective d'utilisation ludique des espaces ce naturels ?, la r?alit? de la stratification sociale ne peut ?tre n?glig?e. Notre enqu?te a d?montr? que la conception que l'on a de la libert? n'est pas la m?me selon
la place occup?e dans l'?chelle sociale. Fuyant les milliers de campeurs qui
fr?quentent les plages, les classes ais?es recherchent la solitude, l'acc?s ? des
espaces exceptionnels, ? la pratique d'activit?s rares ou devenues rares
ailleurs. A condition de canaliser leur production naturelle, la haute produc tivit? biologique des ?cosyst?mes lacustres de Camargue et leur fragilit? permettent justement de satisfaire certains de ces besoins. Le co?t ?lev?
de ces op?rations entra?ne une s?lection par l'argent, telle qu'on
se trouve en
pr?sence, en Camargue, d'un des types les plus nets de discrimination sociale
par le haut.
Fig. 5. Superficie occup?e par les chasses (de plus de 300 ha)
La chasse au gibier d'eau sur les grands domaines am?nag?s ? cet effet en constitue l'exemple le plus significatif. Devenue, comme on dit, sport de masse, la chasse banale fran?aise a
perdu son charme ; pour des raisons
d'hyper-exploitation de l'espace rural elle a perdu ?galement sa raison
d'?tre : le gibier. Or, en Camargue, l'?cosyst?me lacustre de la R?serve cons
titue un relais vital pour l'ensemble de l'avifaune migratrice europ?enne et
en particulier pour la sauvagine qui doit s'y reposer avant de traverser la
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M?diterran?e. Dans ces conditions, les grands domaines qui jouxtent la R?serve b?n?ficient de deux atouts : les canards (gibier le plus chass? et de
loin) sont oblig?s de la quitter chaque jour pour chercher leur nourriture dans les cultures et les marais p?riph?riques ; un imposant r?seau hydrau
lique, construit pour les besoins de la mise en valeur agricole et notamment
de la riziculture, permet de mettre en eau de vastes zones : canards et
sarcelles y seront attir?s gr?ce ? des am?nagements tr?s ?labor?s ?
120 000 canards environ sont tu?s chaque ann?e sur le pourtour de la
R?serve.
Par suite du d?clin de la riziculture (la surface plant?e est pass?e en
dix ans de 30 000 ha ? 8 000 ha), cette production artificielle de marais ce naturels ? tend ? s'accro?tre rapidement parce qu'elle permet
aux
propri?taires de rentabiliser un r?seau hydraulique sous-exploit? d'un point de vue agricole. En effet, le prix moyen d'une action de chasse sur de tels
domaines est actuellement de 20 000 F par an, donnant droit ? un jour de
chasse par semaine pendant la saison d'ouverture.
On assiste donc en Camargue ? une production contr?l?e de milieux
naturels exceptionnels qui, du fait de leur raret?, devient un signe de
diff?renciation sociale pour ceux qui les fr?quentent et une activit? forte
ment r?mun?r?e pour ceux qui les poss?dent.
Le type F
La production de marais pour la chasse se situe en fait ? mi-chemin entre deux conceptions de la productivit?.
Pour un exploitant agricole, le choix d'une production rev?t un sens
?conomique : par de nombreuses interventions culturales, on obtient qu'un
sol produise dans les meilleures conditions une vari?t? s?lectionn?e pour sa
valeur marchande. Du point de vue de l'agriculture donc, un champ de bl? a une valeur productive ; une friche, un marais n'en ont pas. En revanche,
pour l'exploitant d'une chasse priv?e, un marais a une valeur : il y met en
place une
v?g?tation convenant au mieux ? certaines esp?ces animales
sauvages dont il sait qu'il pourra tirer profit. D'une certaine mani?re, il
produit un ?cosyst?me contr?l?.
Le biologiste, le botaniste, le zoologue ou l'?cologue ont eux aussi leur
conception de la productivit? ; conception que l'on peut qualifier de biolo
gique, puisqu'elle consiste ? ne pas intervenir sur certains milieux. Les
associations v?g?tales-animales du marais, en devenant plus complexes,
s'acheminent vers le climax. Dans ce cas, la production n'est pas marchande,
elle constitue simplement le terrain de recherche indispensable aux sciences
naturelles. La protection int?grale d'ensembles suffisamment vastes est
donc un objectif fondamental pour les repr?sentants de ces disciplines. L'interdiction faite depuis 1927 de p?n?trer sur la R?serve de Camargue
? que Finhospitalit? des lieux aide ? respecter
? permet de pousser ?
l'extr?me ce type de gestion de l'espace. Il est symbolis?, en Camargue, par
l'implantation de deux centres importants de recherche sur les milieux
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Ph. 1. Domaine agricole sur les bords du Petit Rh?ne (Type B) (Clich? Jacques Windenberger).
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Ph. 2. ?tang de Vaccar?s : chevaux sur la route d'Arles (Type C) (Clich? J. W.).
Ph. 3. Sur la plage d'Arles (Type D) (Clich? J. W.).
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LA CAMARGUE 229
Fig. 6. La R?serve zoologique et botanique int?grale
naturels : une fondation priv?e suisse, install?e depuis 1955 sur le domaine de la Tour du Valat, un laboratoire du cnrs, le Centre d'?cologie de
Camargue, install? depuis quelques ann?es ? proximit?.
Le mod?le qui a pr?sid? ? notre typologie est ? la fois ?cologique et
dynamique. Ecologique parce qu'? chaque utilisation de l'espace correspond une unit? g?omorphologique particuli?re, et qu'aux unit?s g?omorpholo
giques tr?s typ?es de Camargue correspondent effectivement des mod?les
tr?s purs d'interventions sociales sur l'espace. Dynamique parce que tous
les types id?aux d'objectifs et de conduites correspondent ? des p?riodes
historiques successives. Les nouvelles interventions sur l'espace
ne font
pourtant pas dispara?tre les anciennes, mais les rel?guent souvent dans un
r?le de second plan, ce
qui entra?ne une hi?rarchisation complexe de l'orga nisation de l'espace et, bien entendu, des rapports sociaux qui lui corres
pondent. La cr?ation en 1970 du Parc naturel r?gional de Camargue r?pond bien
s?r au souci de g?rer cette nouvelle complexit?, mais illustre aussi une ges
tion originale de l'espace soumis ? des enjeux relevant d'acteurs sociaux
plus pr?occup?s des profits qu'ils peuvent retirer de la nature elle-m?me
que de son exploitation agricole ou industrielle.
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