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J Radiol 2005;86:520-2 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2005 jfr 2004 Cas clinique n° 3 V Costalat (1), C Cartier (2), P Delort (1), H Brunel (1), G Bourbotte (1) et A Bonafé (1) Clinique Fillette de 3 ans, hospitalisée pour otalgie droite, fébrile. L’examen clinique et otoscopique mon- trent une raideur de nuque et un épan- chement rétro-tympanique. La biologie un syndrome inflammatoire franc avec CRP a 170 mg/l et une hyperleucocytose à 13 000 globules blancs par mm 3 . L’exa- men cytobactériologique du LCS, obtenu par ponction lombaire est normal. Un scanner cérébral sans puis avec injection de produit de contraste est réalisé. L’ab- sence d’évolution favorable à J4 amène à pratiquer un scanner de contrôle et une IRM crânio-encéphalique. Questions Quel est l’apport du scanner et de l’IRM au diagnostic de l’affection et à sa prise en charge thérapeutique ? Réponses Oto-mastoïdite aiguë avec thrombose septique du sinus latéral par germe anaé- robie Fusobacterium Necroforum. Nous rapportons le cas d’une oto-mastoï- dite aiguë compliquée d’une thrombose du sinus latéral droit chez une enfant de 3 ans. Le traitement médical initial par antibiothérapie à large spectre a été com- plété par une mastoïdectomie radicale. Observation Une fillette de 3 ans traitée depuis 4 jours pour une otalgie fébrile par une antibio- thérapie probabiliste (Céphalosporine de 1 re génération) associée à une corticothé- rapie, est hospitalisé en raison d’une per- sistance de la fièvre et de l’apparition d’un syndrome méningé. L’examen clinique et otoscopique objective un empâtement rétro-auriculaire droit, une raideur nucale ainsi qu’un épanche- ment rétro-tympanique. La biologie montre un syndrome inflammatoire franc avec une CRP à 170 mg/l et une hyper- leucocytose à 13 000/mm 3 . À la ponction lombaire, le liquide est stérile sans ano- malie cytologique. Le scanner cérébral réalisé sans puis avec injection de produit de contraste révèle une thrombose de la partie trans- verse et sigmoïde du sinus veineux laté- ral droit au sein de laquelle s’indivi- dualise une image arrondie de densité aérique. La paroi du sinus veineux est rehaussée (fig. 1). Sur les reconstructions osseuses on objec- tive un comblement des cavités oto-mas- toïdiennes droites et un épaississement des parties molles rétro-auriculaires sans effractions corticales. (fig. 2). À ce stade le diagnostic d’oto-mastoïdite aiguë compliquée de thrombose septique du sinus latéral est posé. La seule particu- larité sémiologique est l’image gazeuse au sein du thrombus, permettant d’évoquer d’emblée une infection bactérienne à germes anaérobies. Après une paracentèse et les prélève- ments bactériologiques d’usage, une anti- biothérapie à large spectre est débutée, suivie d’une une anti-coagulation à dose efficace. L’absence d’évolution rapidement favo- rable du syndrome fébrile conduit à prati- quer un angioscanner de contrôle et une IRM encéphalique. Ces examens réalisés à J+8, ne montrent pas d’extension de la thrombose veineuse. On objective en re- vanche une collection organisée rétro- auriculaire sous cutanée en continuité di- recte avec la thrombose sino-durale, con- séquence de l’ostéite sous jacente. L’at- teinte osseuse est clairement identifiée sur la séquence IRM pondérée en T1 FFE (Philips Gyroscan 1.5 T) après injection intraveineuse de chelate de Gadolinium (fig. 3), qui délimite en hyposignal la col- lection suppurée mastoïdienne étendue au sinus latéral et au sinus sigmoïde d’une part et aux tissus sous-cutanés d’autre part. Sur ces données on réalise une mastoidec- tomie radicale droite en respectant les parois osseuses et vasculaires du sinus latéral. Au troisième jour post opératoire, la pa- tiente est apyrétique. Les résultats des prélèvements bactériologiques per-opé- ratoires retrouvent un bacille anaérobie : Fusobacterium Necrophorum. Au total il s’agit donc d’une OMA aiguë extériorisée compliquée d’une TSL à fusobactérium nécrophorum. Une antibiothérapie adap- tée par amoxicilline et acide clavulanique per os a été prescrite pour une durée de 6 semaines. La patiente est actuellement asymptomatique. Discussion Épidemiologie, bactériologie Bien que l’avènement des antibiotiques ait été suivi d’une diminution par dix du pourcentage d’otite moyenne aiguë compliquée d’otomastoïdite aiguë (1, 2), on observe actuellement une recrudes- cence du nombre d’enfants hospitalisés pour cette affection (3). L’hypothèse de résistance acquise aux antibiotiques est la plus communément admise sans qu’il n’ait été observé de modification du type ni de la fréquence des germes incriminés. Les principaux germes responsables dans les séries les plus récentes (4) sont ; Streptococcus Pneumoniae, Streptococcus Pyogenes, Staphylococcus aureus, Staphy- lococcus Coagulase négative, Haemophilius Influenzea. La TSL est devenue de nos jours une complication très rare de l’OMA aiguë et survient actuellement plus fréquemment chez l’adulte sur un terrain d’otite moyenne chronique. Pour des raisons inexpliquées cette affection est plus fré- quemment latéralisée à droite. Nous n’avons pas retrouvé dans la littéra- ture de cas TSL à Fusobactérium Nécro- phorum (FN), même si ce germe revient fréquemment dans le cadre du syndrome de Lemière (SL). (1) Service de Neuroradiologie. (2) Service de chirurgie ORL, Hôpital Gui de Chauliac, 34295 Montpellier cedex 5.

Cas clinique n° 3

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Page 1: Cas clinique n° 3

J Radiol 2005;86:520-2© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2005

jfr 2004

Cas clinique n° 3

V Costalat (1), C Cartier (2), P Delort (1), H Brunel (1), G Bourbotte (1) et A Bonafé (1)

Clinique

Fillette de 3 ans, hospitalisée pour otalgiedroite, fébrile.L’examen clinique et otoscopique mon-trent une raideur de nuque et un épan-chement rétro-tympanique. La biologieun syndrome inflammatoire franc avecCRP a 170 mg/l et une hyperleucocytose à13 000 globules blancs par mm

3

. L’exa-men cytobactériologique du LCS, obtenupar ponction lombaire est normal. Unscanner cérébral sans puis avec injectionde produit de contraste est réalisé. L’ab-sence d’évolution favorable à J4 amène àpratiquer un scanner de contrôle et uneIRM crânio-encéphalique.

Questions

Quel est l’apport du scanner et de l’IRMau diagnostic de l’affection et à sa prise encharge thérapeutique ?

Réponses

Oto-mastoïdite aiguë avec thromboseseptique du sinus latéral par germe anaé-robie Fusobacterium Necroforum.Nous rapportons le cas d’une oto-mastoï-dite aiguë compliquée d’une thrombosedu sinus latéral droit chez une enfant de3 ans. Le traitement médical initial parantibiothérapie à large spectre a été com-plété par une mastoïdectomie radicale.

Observation

Une fillette de 3 ans traitée depuis 4 jourspour une otalgie fébrile par une antibio-thérapie probabiliste (Céphalosporine de1

re

génération) associée à une corticothé-rapie, est hospitalisé en raison d’une per-

sistance de la fièvre et de l’apparition d’unsyndrome méningé.L’examen clinique et otoscopique objectiveun empâtement rétro-auriculaire droit,une raideur nucale ainsi qu’un épanche-ment rétro-tympanique. La biologiemontre un syndrome inflammatoire francavec une CRP à 170 mg/l et une hyper-leucocytose à 13 000/mm

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. À la ponctionlombaire, le liquide est stérile sans ano-malie cytologique.Le scanner cérébral réalisé sans puisavec injection de produit de contrasterévèle une thrombose de la partie trans-verse et sigmoïde du sinus veineux laté-ral droit au sein de laquelle s’indivi-dualise une image arrondie de densitéaérique. La paroi du sinus veineux estrehaussée

(fig. 1)

.Sur les reconstructions osseuses on objec-tive un comblement des cavités oto-mas-toïdiennes droites et un épaississementdes parties molles rétro-auriculaires sanseffractions corticales.

(fig. 2)

.À ce stade le diagnostic d’oto-mastoïditeaiguë compliquée de thrombose septiquedu sinus latéral est posé. La seule particu-larité sémiologique est l’image gazeuse ausein du thrombus, permettant d’évoquerd’emblée une infection bactérienne àgermes anaérobies.Après une paracentèse et les prélève-ments bactériologiques d’usage, une anti-biothérapie à large spectre est débutée,suivie d’une une anti-coagulation à doseefficace.L’absence d’évolution rapidement favo-rable du syndrome fébrile conduit à prati-quer un angioscanner de contrôle et uneIRM encéphalique. Ces examens réalisésà J+8, ne montrent pas d’extension de lathrombose veineuse. On objective en re-vanche une collection organisée rétro-auriculaire sous cutanée en continuité di-recte avec la thrombose sino-durale,

con-séquence de l’ostéite sous jacente. L’at-teinte osseuse est clairement identifiée surla séquence IRM pondérée en T1 FFE(Philips Gyroscan 1.5 T) après injectionintraveineuse de chelate de Gadolinium(

fig. 3

), qui délimite en hyposignal la col-lection suppurée mastoïdienne étendueau sinus latéral et au sinus sigmoïde d’une

part et aux tissus sous-cutanés d’autrepart.Sur ces données on réalise une mastoidec-tomie radicale droite en respectant lesparois osseuses et vasculaires du sinuslatéral.Au troisième jour post opératoire, la pa-tiente est apyrétique. Les résultats desprélèvements bactériologiques per-opé-ratoires retrouvent un bacille anaérobie :

Fusobacterium Necrophorum

. Au total ils’agit donc d’une OMA aiguë extérioriséecompliquée d’une TSL à fusobactériumnécrophorum. Une antibiothérapie adap-tée par amoxicilline et acide clavulaniqueper os a été prescrite pour une durée de6 semaines. La patiente est actuellementasymptomatique.

Discussion

Épidemiologie, bactériologie

Bien que l’avènement des antibiotiquesait été suivi d’une diminution par dixdu pourcentage d’otite moyenne aiguëcompliquée d’otomastoïdite aiguë (1, 2),on observe actuellement une recrudes-cence du nombre d’enfants hospitaliséspour cette affection (3). L’hypothèse derésistance acquise aux antibiotiques est laplus communément admise sans qu’iln’ait été observé de modification du typeni de la fréquence des germes incriminés.Les principaux germes responsablesdans les séries les plus récentes (4) sont

;Streptococcus Pneumoniae, StreptococcusPyogenes, Staphylococcus aureus, Staphy-lococcus Coagulase négative, HaemophiliusInfluenzea.

La TSL est devenue de nos jours unecomplication très rare de l’OMA aiguë etsurvient actuellement plus fréquemmentchez l’adulte sur un terrain d’otitemoyenne chronique. Pour des raisonsinexpliquées cette affection est plus fré-quemment latéralisée à droite.Nous n’avons pas retrouvé dans la littéra-ture de cas TSL à

Fusobactérium Nécro-phorum

(FN), même si ce germe revientfréquemment dans le cadre du syndromede Lemière (SL).

(1) Service de Neuroradiologie. (2) Service de chirurgie ORL, Hôpital Gui de Chauliac, 34295 Montpellier cedex 5.

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Fig. 1 :a-c TDM cérébrale après injection I.V. de produit de contraste iodé. Thrombose du sinus latéral droit. Densité gazeuse au sein du thrombus.

Empâtement rétro-auriculaire droit.

a b c

Fig. 2 :a-c Reconstructions centrées sur la pyramide pétreuse droite (épaisseur de coupes 0,625 mm). Epanchement rétro-tympanique. Absence

de lyse osseuse corticale ou de décloisonnement mastoïdien.

a b c

Fig. 3 :a-c IRM acquisition T1 volumique FFE après injection de chelate de Gadolinium (épaisseur de coupes 1 mm). Collection suppurée (hypo-

signal) mettant en continuité le sinus sigmoïde, le sinus latéral, la mastoïde et les espaces cellulo-graisseux rétro-auriculaires, caracté-risant un processus d’OMA.

a b c

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Si le germe le plus fréquemment rencon-tré dans le SL est bien le

FusobacteriumNecrophorum,

la définition même de cesyndrome ne repose pas sur l’agent bacté-rien causal mais sur l’association d’unethrombose extensive de la veine jugulairecompliquée d’embolies systémiques sep-tiques à prédominance pulmonaire (5).Le cas que nous rapportons ici ne s’inscritdonc pas dans le cadre d’un SL puisqued’une part la thrombose s’est limitée ausinus latéral et d’autre part aucun évè-nement embolique n’a été rapporté. Cegerme anaérobie de la flore commensaleaéro-digestive est retrouvé classiquementdans l’angine ulcéro-nécrotique de Vincent(association « fuso spirillaire », FN et

Tre-ponema Vincentii

).

Imagerie

Le diagnostic clinique de TSL est difficileen raison d’une part de symptômes fré-quemment abâtardis par une antibiothé-rapie préalable, mais aussi par la présenced’un syndrome méningé qui fait évoqueren premier lieu, par argument de fréquence,le diagnostic de méningite.Bien que l’IRM multisectionnelle demeu-re l’examen clé du diagnostic de throm-bose veineuse cérébrale l’angioscannerhélical permet une analyse précise desstructures sino-durales en coupes (signedu delta hypodense) et en projection MIP(extension de la thrombose) (6). À partird’une seule acquisition les reconstruc-tions obtenues en fenêtres osseuses per-mettent une étude détaillée des cavités del’oreille moyenne et des cellules mastoï-diennes. L’étude en fenêtre osseuse mon-tre les effractions corticales au contactd’un comblement liquidien des cavités del’oreille moyenne et des cellules mastoï-diennes, les fenêtres tissulaires permet-tent de visualiser les collections suppuréesrétro-auriculaires. Cependant Fink et col.(8) soulignent la possibilité d’un comble-ment par transudat des cellules oto-mas-toïdiennes dans toute TSL quelqu’en soitson étiologie en raison d’une surpressiondans le territoire des veines émissairesmastoïdiennes, qui ne peuvent plus sedrainer dans le sinus latéral. La visualisa-tion d’une clarté aérique dans la gouttière

du sinus latéral signe le diagnostic deTSL à germe anaérobie.Les séquences d’angio-RM en constrastede phase 2D ou 3D permettent, commel’angioscanner, de donner les limites del’extension du thrombus. Dormont et Col(7) rapportent 3 types d’anomalies de si-gnal du sinus : isosignal T1 et hyposignalT2 au stade précoce, hypersignal T1 et T2au stade intermédiaire, isosognal T1 ethypersignal T2 au stade tardif, associésdans la presque totalité des cas à un re-haussement de la paroi du sinus après in-jection de gadolinium, similaire au signedu delta retrouvé en scanner. L’étude duparenchyme cérébral est plus précise etl’IRM permet de rechercher des signesprécoces d’ischémie veineuse. L’IRMpeut s’avérer utile pour mettre en éviden-ce l’ostéite mastoïdienne et les collectionsabcédées sous-cutanées et conduire àl’étape chirurgicale.

Traitement

La prise en charge est médico-chirurgi-cale.L’antibiothérapie à large spectre doit êtrecomplétée par une mastoïdectomie poursupprimer le foyer d’ostéite avec ou sansrésection de la corticale osseuse de lagouttière du sinus latéral. Après résectionde la corticale osseuse, l’absence de retourveineux à la ponction exploratrice signe lediagnostic formel de TSL. Le geste estalors complété par une extraction duthrombus et un tamponnement hémosta-tique, sans chercher à conserver la per-méabilité du sinus. D’autres respectent lesinus veineux et la corticale osseuse aucontact.En l’absence d’étude comparative dé-montrant la supériorité de l’une ou l’autrede ces deux attitudes thérapeutiques, c’estla solution la moins invasive qui a étéretenue par l’équipe chirurgicale.L’anticoagulation reste aussi très discutéecompte tenu du risque de transformationhémorragique des infarctus veineux céré-braux et le risque d’embols septiques, enparticulier pulmonaires. Certains auteurspréconisent de ne démarrer l’anticoagula-

tion qu’en cas d’extension avérée de lathrombose (9).

Conclusion

Les antibiotiques ne protègent pas totale-ment des complications de l’otite moyen-ne aiguë en raison des résistances acqui-ses. Un scanner en urgence nous sembleutile devant tout syndrome fébrile persis-tant malgré l’antibiothérapie. Cet examenest fiable et sensible pour le diagnostic dethrombose veineuse du sinus latéral maisun complément d’imagerie par IRM estindispensable au dépistage précoce d’autrescomplications endocrâniennes fréquem-ment associées.

Références

1. Samuel J, Fernandes CM. Lateral sinusthrombosis (a review of 45 cases). J La-ryngol Otol 1987;101:1227-9.

2. Southwick FS, Richardson EP Jr,Swartz MN. Septic thrombosis of the du-ral venous sinuses. Medicine 1986;65:82-106.

3. Kaplan DM, Kraus M, Puterman M,Niv A, Leiberman A, Fliss DM. Otoge-nic lateral sinus thrombosis in children.Pediatr Otorhinolaryngol 1999;49:177-83.

4. Luntz M, Brodsky A, Nusem S, et al.Acute mastoiditis-the antibiotic era: amulticenter study. Int J Pediatr Oto-rhinolaryngol 2001;57:1-9.

5. Riordan T, Wilson M, Lemierre’s syn-drome: more than a historical curiosa.Postgrad Med J 2004;80:328-34.

6. Vazquez E, Castellote A, Piqueras J et al.Imaging of Complications of Acute Mas-toiditis in Children, Radiographics 2003;23:359:72.

7. Dormont D, Anxionnat R, Evrard S,Louaille C, Chiras J, Marsault C. MRI incerebral venous thrombosis. J Neurora-diol 1994;21:81-99.

8. Fink JN, McAuley DL. Mastoid Air Si-nus Abnormalities Associated With La-teral Venous Sinus Thrombosis Cause orConsequence? Stroke 2002;33:290.

9. Crassard I, Bousser MG. Cerebral venousthrombosis. J Neuroophthalmol 2004;24:156-63.