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Cas pratique du Master MOP
Xavier Le Garrec
« Dans les méandres du Corporate »
SWATERS INTERNATIONAL est un groupe international comptant en 2011 20
000 salariés, spécialisé dans la conception et la vente en ligne de produits
multimédias. Il développe une large gamme de produits, allant de la conception
de microprocesseurs à celle de vidéoprojecteurs et serveurs d’entreprises, en
passant par les smartphones. Les produits sont à la fois vendus directement en
ligne et par l’intermédiaire de revendeurs agréés.
Attaché à son histoire industrielle née à la fin des années 1980 dans l’Est de la
France, le groupe a toujours conservé une partie de sa production industrielle
dans l’hexagone. Au début des années 2000, alors que le groupe emploie 13 000
salariés, la concurrence internationale s’accroît fortement, et le nouveau PDG
fraichement nommé décide de se lancer à la conquête de nouveaux marchés
internationaux et de diversifier la gamme de produits. De 2000 à 2003, le groupe
ouvre quatre nouveaux centres de productions à l’étranger en Allemagne (une
usine et un pôle tertiaire) au Mexique, en Espagne et en Chine (usines). Le
groupe, qui n’était alors présent à l’étranger que pour de la veille, nomme alors
trois nouvelles directions : la Direction Europe, la Direction Asie et la Direction
Amérique du Sud. A leur tête, le PDG nomme des personnes extérieures au
groupe mais ayant de fortes expériences des marchés étrangers concernés. Ces
directeurs s’appuient à leur tour entièrement sur des managers locaux ayant tout
de même une bonne connaissance de la France et du français.
En raison de la législation chinoise, il n’est possible au groupe de pénétrer le
marché chinois qu’à la condition de réaliser une joint-‐venture avec une
entreprise chinoise. La joint-‐venture s’avère difficile à mettre en place mais
après 3 ans d’implantation et de coordination avec le partenaire chinois, les
bénéfices réalisés sur le marché chinois, notamment dans le haut de gamme,
dépassent de loin les attentes initiales et tirent la croissance du groupe. Le PDG
du groupe, qui s’était jusque là peu déplacé à l’étranger, laissant toujours ses
collègues aller sporadiquement le représenter pour les réunions importantes, se
déplace alors sur place pour la seconde fois seulement après l’ouverture de la
joint-‐venture. Il profite de son voyage pour annoncer au PDG local qu’il compte
désormais restructurer le mode de fonctionnement du groupe pour améliorer
son efficacité à l’international et conquérir plus rapidement de nouveaux
marchés. Il précise au Directeur Asie, Pao Min Xi, que des Directives Corporates
vont restructurer l’ensemble des Directions, et qu’il devra se plier aux exigences
françaises dans le but d’harmoniser les process. Pao Min Xi sort alors de son lien
de subordination hiérarchique pour mettre en garde le PDG que le changement
des habitudes de travail et de la hiérarchie établie pourrait impacter l’efficacité
de leur société au sein de la joint-‐venture : « Vous comprenez, précise-‐t-‐il, nous
travaillons dans un système à plat, dans lequel les informations circulent vite car il
est ancré dans la culture locale. Nous travaillons comme travaillerait une
entreprise chinoise locale, et c’est ce que nos client locaux apprécient. Nous avons
développé un véritable lien de confiance avec eux grâce à notre structuration en
mode projet. Je crains qu’une remise à plat de ce système nous déstabilise et freine
notre avancée. »
Mais la Direction Générale, forte des succès également de l’Espagne et de
l’Allemagne, veut absolument se réorganiser pour pouvoir mieux piloter son
développement international. Faisant fi des commentaires du Directeur Asie et
du Directeur Amérique du Sud, qui de son côté précise que les mauvais résultats
dans son entité sont liés à des budgets insuffisants et qu’une restructuration
organisationnelle ne ferait qu’aggraver la défiance envers le corporate, la
Direction Générale procède à son plan de modernisation internationale. Elle
désigne un cabinet de consulting pour coordonner la mise en place de cette
nouvelle organisation. Du jour au lendemain les entités internationales se voient
coachées par des Seniors Consultants qui remettent en question leurs méthodes
de travail. Les bonus des personnels locaux sont analysés, de même que les
processus RH. Un nouveau Système d’information corporate est mis en place à la
fois pour les Achats, pour la fonction RH, et pour la R&D.
Ainsi que l’avaient prédit les Directeurs régionaux, les salariés chinois vivent très
mal la mise à plat des méthodes qui avaient contribué à leur succès au sein du
groupe. D’autant plus que le système de rémunérations et avantages sociaux est
revu à la norme et n’est plus aussi centré sur les résultats qu’il l’était auparavant.
Les premiers signes de désintérêt des salariés pour le groupe ne se font pas
attendre. Sur les 600 employés de la joint-‐venture chinoise, 80 signalent dans les
3 mois suivant l’arrivée des consultants leur volonté de départ lors des
entretiens individuels semestriels. En raison de la très forte croissance chinoise
et de la facilité de trouver du travail, 150 salariés ont déjà démissionné pour des
postes dans d’autres entreprises au bout de 6 mois. Ces départs ont des
conséquences désastreuses pour les performances de la société au sein de la
joint-‐venture, et c’est grâce au partenaire chinois de la joint-‐venture qui met à
disposition temporairement certains de ses techniciens sur des postes clés
vacants que la production et les ventes perdurent.
Pilotant uniquement aux résultats, et constatant que ces derniers se sont
stabilisés à l’international dans la première année suivant la mise en place du
plan corporate d’harmonisation, la direction générale valide la poursuite de son
plan sur la deuxième et dernière année.
Mais un problème grave survient, entrainant des pertes colossales. Un salarié
ayant démissionné au 6ème mois suivant le début du plan a emporté avec lui des
informations précieuses sur les détails des composants des produits de
SWATERS ainsi que des statistiques confidentielles sur ses clients et ses
stratégies pour le marché asiatique. Ces révélations du salarié à un des
concurrents de SWATERS ont des conséquences désastreuses : la joint-‐venture
perd en l’espace de 4 mois une dizaine d’appels d’offres sur lequel elle avait
beaucoup misé pour les résultats nets de l’année en cours. De plus, même le
cours de bourse de l’entreprise à l’international est fortement dévalué. Les
pertes sont estimées par l’entreprise à environ 500 000 dollars.
Cependant, persévérant dans sa volonté d’afficher sa santé à ses partenaires et
investisseurs, le groupe étouffe rapidement l’affaire en la minimisant puis lance
une contre-‐attaque en annonçant l’ouverture, en février 2005, d’une filiale en
Russie (un marché émergeant dans le secteur multimédias) qui doit se
spécialiser dans les appareils bas de gamme. Le groupe profite de ce nouvel
élargissement pour faire signer à ses nouveaux salariés russes via la direction de
la filiale russe une lettre spécifiant qu’ils acceptent que leurs données
personnelles telles que leur adresse, leur statut social, leur performance, ou
encore leur rémunération et le montant de leurs augmentations soient gérés
directement depuis la France et utilisées par le Corporate pour ses statistiques.
Dans cette lettre figure aussi un droit de surveillance du manager, l’autorisant, ,
dans la limite fixée par le droit russe, à installer des caméras de surveillance dans
les locaux et à inspecter au besoin les ordinateurs portables des salariés. Les
nouveaux locaux russes étant implantés dans un endroit à fort taux de chômage,
ce point est un détail sur lequel les premières instances représentatives du
personnel russe n’insistent pas lors de la rédaction de la convention collective.
Fort de ce qu’elle considère comme une victoire dans sa stratégie, la direction
Corporate, après plusieurs mois de débacle et d’incertitude, profite de cette
situation pour faire effet de levier sur les salariés des autres pays et les inciter à
accepter que leurs données personnelles soient toutes gérées depuis la France
via un nouveau système d’information en ressources humaines. Cette démarche
a pour but de réduire les coûts importants de fonctionnement des systèmes
d’information et de faciliter la mise en place de statistiques pointues à
destination des investisseurs.
A la lecture du communiqué les syndicats des entités allemandes sortent de leurs
gonds. Ils missionnent dans la journée leur avocat et envoient le courrier suivant
à la direction générale Allemagne :
« L’envoi et l’utilisation à l’étranger de données personnelles des salariés sont selon
le droit de cogestion en Allemagne soumis à l'accord du comité d'entreprise (CE) et
donc des syndicats de chaque entité. Or, vous n’avez pas abordé le CE pour les
points suivants:
- pas de réponses à la question sur quelle personne dans le service RH de chaque
entité a le droit de voir les donnés saisies dans votre workflow (souhait des
responsables RH de voir les données de tous les salariés, incluant les cadres
supérieur)
- l'application web que vous mettez en place en central n'existe pas en allemand
(difficile à utiliser par des salariés qui n'ont pas de connaissance d'anglais ou de
français)
- pas de réponses suffisamment concernant la protection des donnés personnelles
(droit d'accès, droit d'utilisation, durée d'enregistrement, ...)
- la protection des données personnelles est un sujet très délicat en Allemagne; il y a
eu des affaires dans des grandes entreprises comme Telekom et Deutsche Bahn où
la protection des données personnelles des salariés a été violée. Ces affaires ont été
discutées largement dans les medias et par conséquence les salariés ainsi que les
comités d'entreprises sont très sensibilisés à ce sujet.
- le droit de cogestion selon la loi prévoit que les CE donnent leurs accords à un
système informatique qui permet à l’employeur de recueillir des données sur le
comportement et la performance de chaque salarié.
Sans faire participer largement les comités d’entreprise des entités un tel projet
n'est pas à réaliser. Il est donc nécessaire d'expliquer aux CE en détail comment
votre workflow fonctionnera et que vous nous donnez en détail des informations
technique et une réponse exacte à la question: qu'est ce qui se passe aux donnés
personnelles des salariés, dès le début quand les données sont saisies jusqu'à
l’enregistrement, utilisation et suppression des données. »
Les négociations entre la direction générale des sociétés allemandes et les
syndicats sont dures dès le début. Un courrier du directeur des deux entités
allemandes au PDG du groupe explique que la seule solution serait de mettre en
place un contrat de service entre le Corporate et les sociétés allemandes :
« Pour mener à bien ce projet 3 solutions se présentent aujourd’hui :
- un accord individuel, en demandant à chaque salarié de signer un accord de
transfert de ses données
- un accord collectif négocié avec les 2 conseils d'entreprises
- un contrat de service signé par les 2 sociétés
Je comprends que nous partagions que d'un point de vue "relations sociales" seule
la solution 3 est envisageable (la négociation d'un accord collectif se heurtera à
"l'ouverture" de certaines équipes).
L'élaboration du contrat de service est cependant un exercice difficile en particulier
pour ce qui relève du "concept de sécurité des données" et de la notion de
"responsabilité". Le défi que nous devons relever est de définir le contenu du
contrat à minima : communiquer trop d'éléments risquerait de se retourner contre
nous. Le contenu de ce contrat de service relève de l'interprétation de
directives européennes, que seuls des acteurs présents dans les pays
concernés peuvent définir à minima.
Je suggère que les acteurs locaux relations sociales + avocat + ROI (Responsable de
l'Organisation Informatique) établissent un projet de contrat à minima qui sera
ensuite relu par la direction Corporate pour accord ou modification. »
La direction générale tente alors, afin de gagner du temps dans sa stratégie et de
faire respecter sa légitimité, de contourner les CE en tentant d’établir des
contrats de service entre le corporate et les deux sociétés allemandes. Mais les
syndicats allemands organisent une grève, qui prend très vite une grande
ampleur, car elle est répercutée au bout de quelques jours seulement en France
et en Espagne, puis (fait exceptionnel) au Mexique et en Chine.
Les salariés protestent contre le fait que le groupe outrepasse ouvertement leurs
droits sans même proposer à des délégations syndicales de venir visiter les
nouvelles installations de protection des données pour se faire un avis des
conditions de stockage de ces dernières.
Les grèves ont des conséquences très graves sur les résultats mensuels du
groupe car la production est partiellement stoppée et aucun accord n’est en vue.
Après plusieurs semaines de discussion, la direction générale décide de revenir
en arrière sur son plan corporate et de planifier des comités internationaux de
stratégie en associant les Directeurs régionaux et des représentants des conseils
d’entreprise de l’ensemble des sociétés.
Pour le PDG de SWATERS, Monsieur Dupont, la volonté de faire évoluer le
groupe en marche forcée s’est soldée par un échec au bout de 2 ans.
Les commissions de travail lancées début 2007 arrivent à la proposition
suivante : les systèmes d’information seront acquis au niveau corporate et mis à
disposition des sociétés du groupe afin de faire des économies budgétaires, mais
l’organisation interne des sociétés internationales sera définie par la direction
locale en accord avec les conseils d’entreprise locaux. Des centres de
compétences internationaux seront créés dans chaque pays où le groupe a des
salariés afin de permettre un échange plus productif au sein du groupe et faire
bénéficier l’ensemble des sociétés des avancées en terme de recherche et
développements.
« Pour moi, c’est une très bonne nouvelle, explique José Maria Puedor, salarié de
l’usine du groupe au Mexique. Nous sentions que la direction générale ne pilotait
pas bien le navire et que ses pressions inutiles allaient casser notre motivation. J’ai
désormais les mêmes managers qu’avant, et je peux m’enrichir au contact des
autres salariés du groupe dans le monde en voyageant dans un des centres de
compétence du groupe. Je pense que de cette manière, la croissance de notre usine
au Mexique sera constatée d’ici quelques mois car le moral est revenu. »
A la suite de son échec le PDG Monsieur Dupont est licencié et c’est quelqu’un
d’interne au groupe et ayant un profil Senior international, Monsieur André
Marionov, qui prend sa place. Celui-‐ci organise des réunions bi-‐mensuelles dans
chaque société du groupe à l’international. Interrogé par la presse française sur
cette poussée de l’international, il répond « nous n’avons plus le choix, ce n’est plus
en France que les profits se font, mais sur les marchés émergeants. Il ne faut pas se
voiler la face. »
Le nouveau PDG accroît par cette ligne directrice forte qu’il donne au groupe la
valeur boursière de l’organisation en quelques jours. Mais le buzz provoqué par
sa déclaration dans les médias lui retombe sur le dos. Les syndicats français,
inquiets de l’annonce de plans de licenciements quelques semaines plus tôt
montent au créneau et sonnent à la porte du Ministre de l’Industrie pour qu’il
défende leurs intérêts. Ce dernier explique au nouveau PDG de SWATERS que
son groupe perdrait beaucoup à délaisser ses usines françaises, notamment
concernant les contrats très avantageux qu’il obtient de ses sous-‐traitants
français, dont certaines entreprises sont pilotées à plus de 30% de parts par
l’Etat.
Le PDG prend au final la décision de ne pas licencier en France, mais un sondage
montre que les salariés français du groupe ont désormais une très mauvaise
image de la nouvelle direction. Or, cette dernière veut, elle aussi, mettre en place
un plan corporate plus centré sur l’échange entre les salariés, en mettant la
France au cœur de l’échange.
Un cycle finit, un autre commence.
Questions :
-‐ D’où provient, selon vous, le malaise au sein des entités étrangères du
groupe ?
-‐ Quelles actions simple la DG Groupe aurait pu mettre en place pour éviter
l’écueil de sa décision ?
-‐ Comment aurait-‐on pu mieux réaliser l’accompagnement au changement
sur la question de la protection des données ?
-‐ Si vous deviez piloter la communication aux managers du groupe, tous
pays confondus, concernant la mise en place des commission de travail,
que feriez-‐vous ?
-‐ Quels processus d’amélioration voyez-‐vous pour la GRH internationale de
SWATERS ?
-‐ En quoi la communicaton du nouveau PDG est-‐elle inappropriée ?