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Commentaire d’arrêt Cass.civ. 1 ère , 19 nov. 2009 L’arrêt rendu le 19 novembre 2009 par la 1 ère Chambre civile de la Cour de cassation illustre parfaitement la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat. Le 22 octobre 2004, M.X a souscrit un abonnement auprès de la société Free. Celui-ci était au prix de 29,99 € TTC mensuels, comportait une connexion au moyen d’une free box et permettait à l’usager d’accéder à trois services : l’accès à internet, un service téléphonique et l’accès à un service audiovisuel. Le contrat précisait que l’usager pouvait accéder à ce service audiovisuel « lorsque l’usager se situe en zone dégroupée, et sous réserve de l’éligibilité de sa ligne téléphonique et des caractéristiques techniques ». Après avoir réception et installer le matériel, M.X a constaté qu’il ne pouvait pas avoir accès au service de télévision. M.X a donc assigné la société Free devant le juge de proximité en remboursement des sommes versées et en paiement de dommages et intérêts. M.X, qui est le demandeur, mais en jeu la responsabilité contractuelle de la société Free, le défendeur. La juridiction de proximité d’Orléans a rejeté la demande de M.X avec un jugement rendu le 1 er juillet 2008. En effet, la juridiction de proximité retient que la société Free a bien exécuté son obligation d’information à l’égard de son client, M.X, et que celui-ci ne peut pas accéder au service audiovisuel à pour une cause étrangère à la technicité de la société Free, et qu’elle ne peut donc pas lui être imputée. La société Free justifie cette absence du service télévisuel par une cause exonératoire de responsabilité. La juridiction de proximité d’Orléans retient que la société Free n’avait qu’une obligation de moyens pour rendre accessible le service télévisuel à M.X et qu’elle l’a rempli. Insatisfait par cette décision, M.X se pourvoit en cassation selon un premier moyen à deux branches qui repose sur les articles 1147 et 1148 du Code civil. Ces deux articles réglementent la mise en jeu de la responsabilité contractuelle et donc l’indemnisation par des dommages et intérêts. La société Free, était-elle tenue d’une obligation de moyens ou d’une obligation de résultat quant à l’accès de son client, M.X, au service télévisuel ? C’est la question à laquelle doit répondre la Cour de cassation.

Cass.civ. 1ère, 19 nov. 2009

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Commentaire d’arrêt Cass.civ. 1 ère , 19 nov. 2009

L’arrêt rendu le 19 novembre 2009 par la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation illustre parfaitement la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat.

Le 22 octobre 2004, M.X a souscrit un abonnement auprès de la société Free. Celui-ci était au prix de 29,99 € TTC mensuels, comportait une connexion au moyen d’une free box et permettait à l’usager d’accéder à trois services : l’accès à internet, un service téléphonique et l’accès à un service audiovisuel. Le contrat précisait que l’usager pouvait accéder à ce service audiovisuel « lorsque l’usager se situe en zone dégroupée, et sous réserve de l’éligibilité de sa ligne téléphonique et des caractéristiques techniques ». Après avoir réception et installer le matériel, M.X a constaté qu’il ne pouvait pas avoir accès au service de télévision. M.X a donc assigné la société Free devant le juge de proximité en remboursement des sommes versées et en paiement de dommages et intérêts. M.X, qui est le demandeur, mais en jeu la responsabilité contractuelle de la société Free, le défendeur.

La juridiction de proximité d’Orléans a rejeté la demande de M.X avec un jugement rendu le 1er juillet 2008. En effet, la juridiction de proximité retient que la société Free a bien exécuté son obligation d’information à l’égard de son client, M.X, et que celui-ci ne peut pas accéder au service audiovisuel à pour une cause étrangère à la technicité de la société Free, et qu’elle ne peut donc pas lui être imputée. La société Free justifie cette absence du service télévisuel par une cause exonératoire de responsabilité. La juridiction de proximité d’Orléans retient que la société Free n’avait qu’une obligation de moyens pour rendre accessible le service télévisuel à M.X et qu’elle l’a rempli. Insatisfait par cette décision, M.X se pourvoit en cassation selon un premier moyen à deux branches qui repose sur les articles 1147 et 1148 du Code civil. Ces deux articles réglementent la mise en jeu de la responsabilité contractuelle et donc l’indemnisation par des dommages et intérêts.

La société Free, était-elle tenue d’une obligation de moyens ou d’une obligation de résultat quant à l’accès de son client, M.X, au service télévisuel ? C’est la question à laquelle doit répondre la Cour de cassation.

La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation rend un arrêt de cassation le 19 novembre 2009, dans lequel elle fait droit à la demande de M.X, et casse et annule le jugement de la juridiction de proximité. Elle retient que la société Free était tenue d’une obligation de résultat quant aux services offerts, et qu’elle ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité à l’égard de M.X qu’en raison d’un cas de force majeure, or elle retient qu’une défaillance technique ne pouvait être caractérisée de cas de force majeure à défaut d’imprévisibilité.

Cet arrêt montre bien la difficulté qui est parfois rencontrée par les juridictions quand à la qualification des obligations des parties : en effet, il n’est pas toujours évident de savoir si une partie est tenue d’une obligation de moyens ou d’une obligation de résultat.

De quelle manière la responsabilité contractuelle d’une partie peut être mise en jeu face à l’inexécution d’une obligation de moyen ou d’une obligation de résultat ? Dans quelles circonstances cette partie va-t-elle pouvoir échapper à sa responsabilité ?

Nous étudierons dans un premier temps l’obligation résultat qui est une obligation contractuelle (I), puis nous étudierons dans un second temps que la Cour de cassation a évoqué la potentialité de la force majeure (II).

I – L’obligation de résultat, une obligation contractuelle

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« Tenu d’une obligation de résultat quant aux services offerts, le fournisseur ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité à l’égard de son client en raison d’une défaillance technique. » A travers cette phrase de l’arrêt du 19 novembre 2009, la Cour de cassation évoque une obligation de résultat qui résulte d’un contrat passé entre les deux parties, c’est cette obligation que nous expliquerons premièrement (A). De plus la Cour de cassation explique que le fait pour le fournisseur d’avoir manqué à son obligation contractuelle entrainait la mise en jeu de sa responsabilité contractuelle (B).

A – L’obligation de résultat, une obligation parfois confondue avec l’obligation de moyens

Dans le cas présent, la Cour de cassation contredit la juridiction de proximité. En effet, pour la Cour de cassation l’obligation dont est tenue la société Free à l’égard de ses clients est une obligation de résultat, alors que pour la juridiction de proximité c’est une obligation de moyens. Nous allons donc définir ces deux obligations dans un premier paragraphe (1), puis nous allons voir quel est le principal intérêt de cette distinction dans un second paragraphe (2).

1 – Distinction obligation de moyens / obligation de résultat

Un contrat crée des obligations à l’égard d’une ou plusieurs parties au contrat. Il existe des obligations de moyens et des obligations de résultat.

Dans certains cas, l’obligation contractuelle peut requérir du débiteur qu’il fasse tout son possible pour exécuter le contrat : on dit alors qu’il est tenu d’une obligation de moyens. On ne peut pas exiger un résultat.

Pour les obligations de moyen, il y aura faute si le créancier prouve que le débiteur n’a pas fait tout ce qui lui était possible pour exécuter le contrat, ou encore s’il a fait preuve de négligence. On dit aussi qu’il faut établir « le manque de diligence » du débiteur.

Dans d’autres cas, le débiteur est tenu d’une obligation de résultat. Dans ce cas là, il doit fournir une prestation déterminée au créancier. Le simple fait de manquer au résultat promis engage la responsabilité contractuelle.

La distinction des obligations de moyens et des obligations de résultat est relative, ça veut dire qu’il ne sera pas toujours possible, ou pas toujours facile, de dire si l’obligation est de moyen ou de résultat. Il faudra se reporter au conteste et au contenu du contrat, aux prévisions des parties.

2 – L’intérêt de cette distinction

La distinction des obligations de moyen et des obligations de résultat sert avant tout à répartir la charge de la preuve de la faute.

Ainsi, lorsque l’obligation est de moyen, c’est au créancier de prouver que le débiteur a commis une faute, a manqué de diligence. Ce n’est que si le créancier apporte cette preuve que le débiteur, le cas échéant, pourra invoquer des arguments pour dire qu’il n’a pas commis de faute, donc pour échapper à sa responsabilité.

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Si l’obligation est de résultat, la charge de la preuve est inversée : la seule inexécution suffit à établir la faute et le créancier n’a rien d’autre à prouver. Dans ce cas, c’est donc au débiteur de prouver des éléments qui lui permettent d’échapper à sa responsabilité.

B – Le manquement à l’obligation de résultat, une faute entrainant une responsabilité contractuelle

Comme dans le cas présent, lorsqu’un débiteur, ici la société Free, ne respecte pas ses obligations, elle crée un dommage pour son créancier, ici M.X. Le créancier peut donc engager la responsabilité contractuelle du débiteur devant les tribunaux.

La responsabilité contractuelle doit avoir pour effet de réparer le dommage résultant de l’inexécution.

Si l’obligation inexécutée peut encore être exécutée en nature, le juge peut condamner le débiteur à l’exécution forcée en nature ou bien appliquer les articles 1143 et 1144 du Code civil. Mais le plus souvent, l’engagement de la responsabilité contractuelle sert à obtenir une réparation par équivalent, c'est-à-dire à l’attribution de dommages et intérêts.

Donc le principal effet de la responsabilité contractuelle c’est l’octroi de dommages et intérêts au créancier. Le principe c’est que le montant des dommages et intérêts alloués par le juge doit couvrir l’intégralité du préjudice réparable mais il ne doit pas le dépasser. Le préjudice réparable c’est le préjudice prévisible.

La réparation doit jouer non seulement pour la perte subie par les créanciers mais aussi pour le gain qu’il a manqué.

Le créancier peut donc engager la responsabilité contractuelle du débiteur en cas de manquement contractuel. Mais il existe des cas où le débiteur pourra échapper à sa responsabilité, c’est notamment le cas de la force majeure qu’explique la Cour de cassation.

II – La force majeure, une potentialité évoquée par la Cour de cassation

Dans cet arrêt, la Cour de cassation donne une définition de la force majeure, et deux de ses caractéristiques, c’est ce nous étudierons premièrement (A).De plus, la Cour de cassation indique que dans le cas de force majeure, la société Free aurait pu s’exonérer de sa responsabilité, c’est ce que nous verrons secondement (B).

A – La force majeure, une triple condition

La Cour de cassation définit la force majeure comme « un évènement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible au moment de son exécution. »

C’est l’article 1148 qui vise précisément la force majeure. Cet article ne le précise pas, mais la force majeure requière trois conditions. A travers cet arrêt, la Cour de cassation en donne deux (1), mais elle en oublie un troisième (2).

1 – Deux conditions exprimées par la Cour de cassation

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L’évènement de force majeur doit être imprévisible. Et pour apprécier l’imprévisibilité, on se place au jour de la conclusion du contrat. C’est une appréciation in abstracto, c'est-à-dire qu’on considérera qu’il y a force majeure lorsqu’il y a un fait qui pouvait être considéré comme normalement imprévisible pour n’importe quelle partie contractante. Le type d’évènement imprévisible dépendra du type de contrat.C’est cet élément auquel la Cour de cassation fait allusion comme manquant dans le cas présent.

L’évènement de force majeure doit être irrésistible : on ne peut pas lui résister. Il faut qu’aucun moyen n’ait pu être mis en œuvre pour exécuter le contrat malgré tout, c'est-à-dire pour empêcher que l’évènement ne fasse obstacle à l’exécution. Là encore, l’appréciation du caractère irrésistible se fera in abstracto. Et cette appréciation se fait « au moment de son exécution » comme le dit dans cet arrêt la Cour de cassation.

2 – Une condition ignorée par la Cour de cassation

L’évènement constitutif de force majeure doit être extérieur au débiteur et extérieur aux moyens matériels et humains auxquels il a recours.

Cette condition est débattue car, pour certains auteurs, il est possible de retenir la force majeure dès lors que l’évènement est imprévisible et irrésistible et alors même qu’il ne serait pas extérieur au débiteur. Sur cette question, la jurisprudence n’est pas claire. On attendait beaucoup des arrêts de l’Assemblée plénière du 14 avril 2006, or ils ne clarifient pas vraiment les choses, puisque dans un des arrêts, la Cour de cassation a retenue comme force majeure la maladie du débiteur. Or la maladie est un évènement imprévisible, irrésistible, mais ce n’est pas extérieur au débiteur. On pourrait penser que du fait de cet arrêt, la condition d’extériorité n’est pas obligatoire. Mais dans ces arrêts du 14 avril 2006, la Cour de cassation définie la force majeure dans un attendu de principe : elle la définie comme un évènement imprévisible, irrésistible et extérieur au débiteur. Donc le débat n’est pas clos.

Dans l’arrêt ici étudié, on voit que la Cour de cassation ne fait pas du tout allusion à cette condition, on peut donc se demander si elle est toujours nécessaire pour définir la force majeure.

B – La force majeur, une cause d’exonération de la responsabilité contractuelle

« Le fournisseur ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité à l’égard de son client en raison d’une défaillance technique, hormis le cas de force majeur. » A travers cette phrase, on voit que si la défaillance technique avait été un cas de force majeure, le fournisseur aurait pu s’exonérer de sa responsabilité, donc la force majeure est une cause d’exonération de la responsabilité contractuelle.

C’est l’article 1147 qui définit les situations dans lesquelles on peut échapper à sa responsabilité.

Nous allons donc voir les effets que peut avoir la force majeure sur le contrat (1), puis les effets qu’elle peut avoir sur le débiteur (2).

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1 – Les effets de la force majeure sur le contrat

Les effets de la force majeure sur le contrat varient suivant l’ampleur de la force majeure.

L’impossibilité temporaire d’exécuter le contrat emporte une simple suspension de celui-ci. La jurisprudence en a fait un principe général avec un tempérament : il faut que l’évènement soit non seulement provisoire et qu’il ne soit pas trop grave, c'est-à-dire qu’il ne faut pas qu’il rende la suspension du contrat intolérable pour le cocontractant.

L’impossibilité définitive et totale d’exécuter le contrat emporte la résolution de plein droit du contrat. C’est l’hypothèse où la prestation dans son intégralité ne pourra pas être exécutée. Pour les contrats à exécution successive, comme dans le cas présent, le contrat est résilié uniquement à compté de la survenance de la force majeure.

L’impossibilité partielle d’exécuter le contrat emporte réduction de celui-ci lorsque la divisibilité est possible.

2 – Les effets de la force majeure sur le débiteur

L’évènement de force majeure empêchant le débiteur de s’exécuter, le libère de son obligation sans que sa responsabilité puisse être engagée.

Dans les contrats unilatéraux, la solution ne pose pas de difficultés, puisque par définition, il n’y a qu’un seul contractant qui soit tenu à des obligations et donc c’est celui-ci qui sera empêché par la force majeure.

Dans les contrats synallagmatiques, la solution est plus complexe car il faut se demander si l’autre contractant, également débiteur, reste ou non tenu de ses obligations. Cette question, c’est la Théorie des risques. En principe, la règle c’est que les risques pèsent sur le débiteur. La justification théorique de cette solution se trouve sur le terrain de la cause. Dans les contrats synallagmatiques, les obligations des parties sont interdépendantes, ça justifie que si l’une des parties est empêchée de s’exécuter l’autre est libérée de son obligation.

La force majeure n’est pas le seul cas qui va permettre à une partie d’échapper à sa responsabilité contractuelle. En effet, une partie au contrat peut échapper à sa responsabilité contractuelle du fait d’un tiers ou du fait du créancier.