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A LLEZ SAVOIR ! / N°30 O CTOBRE 2004 26 Ce que nous devons vraiment à Alexandre le Grand Ce que nous devons vraiment à Alexandre le Grand V edette du dernier film d’Oliver Stone, prochainement dans les ciné- mas romands, le conquérant macé- donien meurt à 33 ans, en 323 avant J.-C., sans avoir terminé son œuvre. Mais en ayant marqué les esprits pour les siècles à venir. V edette du dernier film d’Oliver Stone, prochainement dans les ciné- mas romands, le conquérant macé- donien meurt à 33 ans, en 323 avant J.-C., sans avoir terminé son œuvre. Mais en ayant marqué les esprits pour les siècles à venir. HISTOIRE

Ce que nous devons vraiment à Alexandre le Grand Ce que nous

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Ce que nous devons vraiment à Alexandre le Grand

Ce que nous devons vraiment à Alexandre le Grand

Vedette du dernier film d’Oliver

Stone, prochainement dans les ciné-

mas romands, le conquérant macé-

donien meurt à 33 ans, en 323 avant

J.-C., sans avoir terminé son œuvre.

Mais en ayant marqué les esprits

pour les siècles à venir.

Vedette du dernier film d’Oliver

Stone, prochainement dans les ciné-

mas romands, le conquérant macé-

donien meurt à 33 ans, en 323 avant

J.-C., sans avoir terminé son œuvre.

Mais en ayant marqué les esprits

pour les siècles à venir.

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dormir tranquille dans son éternité. Ce conquérant qui se voyait en descendant d’Achille n’a cessé de trouver des plumes pour raviver sa légende, aux siècles des siècles.

«De l’Antiquité, il ne nous reste que quatre récits postérieurs, ceux de Diodore de Sicile, un historien du Ier siècle avant J.-C., d’Arrien, un haut fonctionnaire de l’empire romain au IIe siècle après J.-C., la Vie d’Alexandre de Plutarque (IIe siècle ap. J.-C.) et celui de l’historien romain Quinte-Curce. Comme ces auteurs ont tous utilisé des sources de première main, nous sommes bien informés sur l’épopée d’Alexandre, et nous pouvons assister à la naissance de son mythe», précise Pierre Ducrey.

Le nœud gordien, Diogène et Bucéphale

On y découvre notamment l’épisode où Alexandre dompte le cheval Bucéphale, après l’échec de son père Philippe II qui le regarde faire et qui commente : «Mon fils, cherche un royaume à ta taille, la

Macédoine est trop petite pour toi.»Y figure encore l’épisode du nœud

gordien qu’Alexandre tranche d’un coup d’épée, parce qu’un oracle pro-mettait de devenir maître du monde à celui qui le dénouerait. Sans oublier la rencontre avec le philosophe Diogène qui, à Corinthe, était vautré devant le tonneau où il vivait au moment où il reçut la visite d’Alexandre. Le conquérant lui ayant demandé ce qu’il pouvait faire pour lui, le philosophe lui répondit : «Ote-toi un peu de mon soleil.»

Les excès d’Alexandre

Les récits antiques nous décrivent enfin le caractère cyclothymique du conquérant, capable de traiter la famille de son ennemi Darius avec la plus grande des courtoisies, mais également capable d’assassiner un de ses proches amis d’un geste de colère, au cours d’une soirée trop arrosée, parce que l’imprudent a osé le critiquer. On y découvre enfin les évoca-tions du courage physique de ce général qui, sans doute hanté par les récits de

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Alexandre le Grand aura les traits de Colin Farrell,

dans le nouveau film d’Oliver Stone qui doit arriver sur les écrans romands

le 5 janvier prochain

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l’Iliade et par les prouesses légendaires de son ancêtre Achille, se jetait en première ligne, quitte à y récolter de nombreuses blessures.

«Il pouvait se montrer violent, jaloux, brutal. Mais il était aussi capable d’une vision intelligente et rationnelle. Ces traits de caractère ne sont pas antinomiques, commente Pierre Ducrey. Alexandre devait avoir une énergie absolument inhabituelle, comparable à celle dont disposaient d’autres conquérants comme César ou Napoléon. Tous ont affiché des personnalités qui sortaient de l’ordinaire, avec tous les excès possibles.»

Pourquoi Alexandre a toujours gagné

Cette personnalité hors du commun ne suffit cependant pas à expliquer

l’incroyable série de victoires obtenues par Alexandre entre la Grèce et l’Indus. «Le premier élément d’explication vient de la phalange macédonienne, poursuit le spécialiste des guerres antiques. N’im-porte quel Suisse qui connaît l’histoire de Winkelried à la bataille de Sempach comprendra cela : les Macédoniens for-maient un carré compact de soldats qui étaient tous armés d’une lance qui peut atteindre six à sept mètres de long. Les cinq premiers rangs la brandissaient pour former une muraille de piques quasi infranchissable. Seules les très mobiles légions romaines ont été capables de la contourner pour en venir à bout, un siècle et demi plus tard.»

L’infanterie n’explique pas tous les succès d’Alexandre. «Les Macédo-

niens étaient aussi des cavaliers hors pair, comme le rappelle la légende de Bucéphale», ajoute Pierre Ducrey. Enfin, ils pouvaient compter sur des stratèges capables de trouver des solutions pour contrer des armes aussi efficaces que les chars de combat dotés de faux du Perse Darius et les éléphants du roi indien Poros. «On a souvent dit que les pachydermes étaient les chars de com-bat de l’Antiquité. Rien n’est moins vrai, assure l’historien lausannois. Parce que les éléphants seuls n’ont jamais permis de gagner une bataille. Et parce qu’aucune arme n’est absolue.»

L’union rêvée de l’Orient et de l’Occident

Plus que pour ses succès militaires éphémères, Alexandre est entré dans la légende parce qu’il poursuivait un grand rêve. Unir l’Occident et l’Orient. Enfin, surtout vers la fin de son expédition. «Alexandre n’est pas parti pour un conflit de longue durée, insiste Pierre Ducrey. Au moment de quitter la Macédoine, il partageait probablement le credo de son précepteur, le philosophe Aristote, qui enseignait la supériorité des Grecs sur les «Barbares» (principalement les Per-ses, ndlr). Sa campagne devait marquer la revanche d’un peuple supérieur, vexé par les affronts qu’ont pu représenter les guerres médiques, ces expéditions menées par les Perses contre les Grecs en 490 et 480 avant J.-C.»

Alexandre va pourtant changer d’avis en cours de route, estime le professeur lausannois qui place ce tournant à l’issue de la visite de l’oracle de Sioua. «On ne sait pas ce que les devins lui ont dit, dans le désert égyptien. Mais dès ce moment, Alexandre commence à donner des gages aux peuples envahis.» Des symboles qui connaîtront une apogée quand Alexan-dre épouse Roxane, la fille d’un noble Bactrien (une peuplade du nord de

Pierre Ducrey, professeur d’histoire ancienne à l’Université de Lausanne (UNIL)

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A lexandre le Grand a disparu aussi vite qu’il a dominé le monde.

Régent du royaume de Macédoine à seize ans, roi à vingt et maître de 80 % des terres connues à trente-trois ans, le conquérant s’incline pourtant face à la la malaria à l’âge du Christ, en laissant der-rière lui une œuvre au goût d’inachevé. Malgré une folle chevauchée de plus de 20’000 kilomètres (lire notre infogra-phie en pages 32-33), et treize années de tumulte à livrer des batailles qu’il a invariablement gagnées et à assiéger des villes qu’il a constamment prises. Tou-jours vainqueur, toujours conquérant, mais pour quel résultat?

Alexandre mort, la légende peut commencer

Au moment de disparaître, Alexandre

l’Afghanistan actuel, ndlr), forcément «d’une exceptionnelle beauté».

L’a-t-il épousée pour proclamer l’unité du genre humain ou a-t-il plutôt calculé que cette décision allait faciliter son projet de créer un empire universel en accélérant la collaboration des peu-ples conquis? L’interprétation de cette union divise les historiens, explique Pierre Ducrey qui ajoute : «Alexandre est quelqu’un de calculateur. C’est aussi un génie politique qui avait certainement compris l’intérêt qu’il avait à tirer de ces gestes de réconciliation.» Quitte, pour cela, à provoquer des frondes récurren-tes parmi ses soldats macédoniens, qui voyaient cette cohabitation forcée avec l’ennemi d’un très mauvais œil.

La victoire posthume d’Alexan-

Alexandre face aux éléphants du roi indien Poros

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aurait laissé son empire «au meilleur» (dixit Arrien) ou au «plus fort» (Dio-dore), donc à personne, certain qu’«il y aurait de grands jeux funèbres en son honneur» (encore Arrien), c’est-à-dire des guerres sanglantes pour les miettes de ce trône vacant. Un pronostic qui s’est pleinement réalisé, puisque l’unité de la conquête disparaît avec Alexandre. Et les candidats à la succession vont se partager les morceaux de l’empire de la Grèce à l’Indus, gagné par les invincibles phalanges macédoniennes.

La fin de l’histoire? Non, sa genèse. Car la légende d’Alexandre ne fait que commencer. «Et son héritage est bien plus riche qu’il n’y paraît», prévient Pierre Ducrey, professeur d’histoire ancienne à l’Université de Lausanne (UNIL) et spécialiste de la guerre dans l’Antiquité. Si Alexandre, qui était aussi fin lettré que génial stratège, a toujours regretté l’absence d’un Homère à ses côtés pour raconter sa geste, il peut

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Alexandre, qui n’a pas réussi à fusion-ner l’Occident et l’Orient de son vivant, poursuit donc son rêve post mortem. Via les nombreuses villes d’Alexandrie qu’il a fondées aux quatre coins de son empire, et qui lui ont survécu. «Les fouilles menées par l’historien lausannois Claude Rapin à Aï Khanoum (Afghanistan) et à Samarcande (Ouzbékistan) ont montré que la culture occidentale y a survécu plusieurs siècles après la mort du con-quérant», rapporte Pierre Ducrey.

«Les valeurs ainsi propagées de l’Anatolie à l’Indus sont celles de la cité grecque, berceau de la démocratie, de l’indépendance politique et, d’une manière plus générale, de la culture des Grecs, de leurs savants, de leurs phi-losophes, de leurs architectes, de leurs ingénieurs. Et plus encore de leur mode de vie: le gymnase est non seulement un centre d’activités physiques, mais aussi le lieu où se donnent des enseignements

culturels. Alexandre a propagé plus loin que quiconque cette civilisation grecque qui a tant apporté au monde», s’enthou-siasme Pierre Ducrey. De quoi atténuer cette impression d’inachevé qui nous saisit parfois, quand on regarde le seul parcours militaire du conquérant.

Jocelyn Rochat

A lire:

«Guerre et guerriers dans la Grèce antique», Pierre Ducrey, Paris Hachette, coll. Pluriel, 1999.

A la pointe de l’épée, Alexandre et ses soldats se sont ouvert les portes de l’Orient richissime

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1 Genèse à PellaAlexandre naît à Pella, en 356 avant J.-C. Il est le fils du roi de Macédoine Philippe II et de sa femme Olympias, une princesse d’Epire. Son arbre généalogique l’associe à Héraklès, par son père, et à Néoptolème, le fils d’Achille, par sa mère. Très vite, Philippe II prépare Alexandre à lui succéder. Il lui donne le philosophe Aristote pour précepteur et lui assure une solide éducation militaire. Enfin, Philippe, absent durant quelque temps, confie à son fils de 16 ans la régence de la Macédoine. De sorte que le jeune homme de 20 ans qui arrive au pouvoir, à la suite de l’as-sassinat de son père en 336, n’est pas écrasé par la tâche qui l’attend.

2 Première victoire au GraniqueAlexandre remplace également son père à la tête de l’expédition en Orient que Philippe II avait préparée. Au printemps 334, le conquérant se lance avec 32’000 fantassins et 5 500 cavaliers. Il emporte de la nourriture pour un mois et dispose de moyens financiers très limités. Après un arrêt à Troie, où il fait divers sacrifices sur la tombe d’Achille, Alexandre se retrouve pour la première fois face à l’armée perse. Il met en déroute un ennemi supérieur en nombre, au Granique, en mai 334. Ce succès lui ouvre les portes de la ville de Sardes et des villes grecques de la côte comme Ephèse et Milet, et lui procure encore l’or nécessaire pour continuer sa route.

3 Issos, face à DariusAprès avoir passé l’hiver dans la ville de Gordion (où il tranche le nœud gordien), Alexandre se retrouve une deuxième fois face à l’armée perse. Malgré la présence de Darius, les troupes du Grand Roi sont à nou-veau battues à Issos, en novembre 333. Les Macédoniens mettent la main sur le butin considérable délaissé par Darius qui s’enfuit, en abandonnant encore sa mère, son épouse et ses filles. Capturées par Alexandre, ces femmes sont traitées avec beaucoup de considération. Dès lors, plus rien ne s’oppose à la marche des Macédoniens sur l’Egypte. Ces derniers commencent par longer les côtes de la Phénicie (Syrie et Liban actuels), afin de priver les Perses de leurs ports, et donc abattre leur

5 Gaugamèles, la défaite finale de DariusBattu à deux reprises, le roi des Perses mobilise toutes les troupes disponibles et s’installe dans la plaine de Gaugamèles, qui doit lui permettre d’utiliser au mieux sa supériorité numérique et ses terrifiants chars à faux. C’est l’une des grandes batailles rangées de l’histoire qui s’engage le 1er octobre 331. Elle tourne à l’avantage des hommes d’Alexandre, qui s’écartent au passage des chars perses et criblent les conducteurs de flèches. Darius, menacé physiquement par une charge d’Alexandre en personne, s’enfuit une fois de plus. La route de Babylone est ouverte.

4 Alexandrie d’EgypteLe conquérant se heurte à une résistance farouche. La prise de Tyr retarde la progression de l’armée, et Alexandre traite les vaincus avec brutalité. Il n’arrive en Egypte qu’en automne 332 et commence par fonder une nouvelle ville, Alexandrie, dans le delta du Nil. Puis il s’enfonce dans le désert pour aller consulter l’oracle d’Amon, à Sioua. Après cet épisode, la marche du conquérant semble prendre une dimension différente. Lui qui était parti pour une expédition de «libération» des villes grecques placées sous le joug perse, développe désormais un projet plus global. Il se présente comme le repreneur de l’ensemble de l’empire de Darius.

Le périple d’Alexandreétape par étape

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7 L’Inde et les éléphants du roi PorosAu printemps 327, Alexandre quitte Bactres pour se diriger vers l’ouest de l’Inde, en franchissant notamment la passe de Khyber, entre l’Afghanis-tan et le Pakistan. De l’autre côté du fleuve Hydaspe, il y a Poros, un roi indien qui a refusé de se soumettre et qui l’attend avec des éléphants. La bataille s’engage et Alexandre l’em-porte une fois de plus, grâce notam-ment aux archers à cheval recrutés en Asie. Après cette nouvelle percée, le conquérant fonde plusieurs villes, dont une Alexandrie Bucéphale (Dje-lapour) dédiée à son cheval.

8 Forcé de faire demi-tourAlexandre songe alors à poursuivre sa route à l’Est, vers de nouvelles contrées mal connues, car, nous dit l’historien antique Arrien, «il ne considérait pas la guerre comme ter-minée tant qu’il subsisterait quelque chose d’hostile». Mais cette fois, ses soldats refusent de le suivre. Invaincu par l’ennemi mais forcé de capituler devant une révolte des siens, Alexandre doit faire marche arrière. Il rentre via l’océan Indien, qu’il atteint en descendant le fleuve jusqu’à Pattala où il arrive en janvier 325. En décembre, le retour vers la Perse est décidé. Il se fait sur terre et sur mer, et représente une partie très meurtrière du périple, suite à de nombreux affrontements avec les autochtones.

9 Un empire ébranléDe retour à Persépolis, Alexandre découvre la fragilité de son empire. Il fait exécuter plusieurs responsables qu’il avait précédemment placés à la tête des territoires conquis et qui ont failli. Par ailleurs, ses initiatives visant à faire cohabiter au mieux ses soldats et les divers peuples de l’empire de Darius ne cessent d’inquiéter les Macédoniens, qui critiquent l’«orientalisation» de leur général.

10 Epilogue à BabyloneDe retour en Babylonie, Alexandre lance les préparatifs en vue de sa prochaine campagne qui doit viser la côte arabe du golfe Persique. Mais à la fin 324, le conquérant voit son compagnon Héphestion, «celui qu’il aimait le plus», mourir de maladie. Cette disparition annonce la sienne, puisque Alexandre rejoint son ami dans l’au-delà en juin 323, à la suite d’une probable malaria. Comme il n’a pas désigné de successeur, son empire éclate au fil des guerres de succession. L’un de ses généraux, Ptolémée, s’empare de son sarco-phage et l’emmène en Egypte, à Alexandrie. Si l’existence de ce tom-beau est attestée jusqu’au IIIe siècle de notre ère, il a sans doute été pillé très tôt et l’on n’en a pas retrouvé de

6 La mort de DariusEn entrant dans les grandes capitales perses de Babylone, puis de Suse et enfin de Persépolis qu’il atteint en janvier 330, Alexandre récolte des tonnes d’or, la plupart du temps sans combattre. S’ensuit une longue poursuite, d’abord de Darius, puis des satrapes orientaux qui ont assassiné le Grand Roi et qui cherchent à le remplacer. Elle emmène Alexandre jusqu’en Ouzbékistan et au Tadjikis-tan actuels, via l’Iran. Durant cette période, le conquérant doit faire face à la grogne de ses soldats qui voudraient rentrer au pays. Malgré ces péripéties, l’objectif est atteint en 328 : les satrapes orientaux se ren-dent. Alexandre a conquis l’ensemble du royaume de Darius.

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Les femmes d’AlexandreDe sa mère Olympias jusqu’à la reine Cléopâtre, trois cents ans plus tard, les souveraines hellénistiques ont bénéficié d’une influence nouvelle. Elles la doivent au décès prématuré du conquérant.

L a conquête menée par Alexandre, suivie de sa disparition brutale, a eu

une conséquence totalement imprévue en Macédoine. «Cet éloignement du prince a permis aux femmes de bénéficier d’une visibilité et donc d’un pouvoir qu’elles n’auraient jamais exercé sans cela», assure Anne Bielman, enseignante en his-toire ancienne de l’Université de Lausanne (UNIL).

Pendant que le conquérant guerroyait de la Grèce à l’Indus, sa mère Olympias, veuve de son père Philippe II, aurait tenté de s’immiscer dans les affaires de Macé-doine en compagnie de sa fille Cléopâtre

(ndlr : une sœur d’Alexandre qui n’a rien à voir avec la future maîtresse de César et de Marc-Antoine). Après la mort du conquérant, Olympias a encore fait assassiner Philippe Arrhidée, le demi-frère débile d’Alexandre. Pour que Cléopâtre et ses demi-sœurs Thessaloniké, Cynané et Europé restent les seules héritières du sang royal macédonien.

Une mère à poigne

Olympias était, à l’évidence, une maî-tresse-femme. Tellement influente que certains historiens l’ont soupçonnée, dès l’Antiquité, d’avoir fait assassiner son

mari, tombé sous les coups d’un garde du corps. Certains imaginent qu’Olym-pias était jalouse d’une nouvelle épouse choisie par le polygame «légal» Philippe II. D’autres théoriciens du complot assu-rent que la reine mère voulait assurer une place sur le trône à son fils Alexandre, qui aurait été menacé par le remariage tardif de son père.

Autant de scénarios réfutés par Anne Bielman. «La participation d’Olympias à un complot n’est pas exclue, mais elle n’est guère crédible. La jalousie ne me paraît pas un mobile sérieux. Olympias aurait de toute manière eu de l’importance à la cour, puisque son statut de reine mère du futur roi lui garantissait un rôle influent.» L’historienne lausannoise ne croit pas davantage à une éventuelle association entre Olympias et Alexandre pour faire assassiner Philippe II. «Même si son mari avait apporté beaucoup de soin à la forma-tion de leur fils, Olympias n’avait aucune garantie qu’Alexandre – vu son jeune âge – s’en sortirait aussi bien que Philippe à ce poste.»

Roxane, femme d’Alexandre

Plus que celle d’Olympias, l’importance réelle de Roxane, qui épouse Alexandre, est difficile à mesurer. Mais bien réelle, comme le montre son assassinat, perpétré peu après la mort d’Alexandre le Grand. A l’évidence, cette épouse orientale jouait un rôle symbolique et politique important, puisque son union avec le conquérant devait inciter les soldats grecs à cesser de considérer les peuples «barbares» soumis comme des sous-hommes.

Alexandre était-il pour autant prêt à placer une reine non grecque sur le trône de tout l’empire, Macédoine y compris? Ou cherchait-il une autre forme de cohabi-tation entre les deux parties de son empire, cet Occident et cet Orient aux mœurs dis-semblables? Ces questions restent ouver-tes. «Je pense qu’Alexandre songeait à un

Anne Bielman, enseignante en histoire ancienne de l’Université de Lausanne (UNIL)

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geait à un double empire, avec d’un côté l’Occident, et de l’autre l’Orient. Un scénario où Roxane aurait joué le seul rôle de reine d’Orient», estime Anne Bielman.

Ce qui est sûr, en revanche, c’est que Roxane, comme l’enfant qu’elle a eu d’Alexandre peu après sa mort, posaient des problè-mes aux généraux macédoniens qui se disputaient les restes de l’empire, puisque la mère et le nouveau-né ont été rapide-ment assassinés.

La chasse aux sœurs d’Alexandre

Ces assassinats en série renforçaient la position des filles de la maison royale macédonienne. Car les candidats à la succession d’Alexandre se disputaient les sœurs survivantes du conquérant, histoire de donner une forme de légitimité dynasti-que à leur pouvoir. Du coup, les épouses royales ont continué à bénéficier d’une visibilité bien réelle. Et même lorsque toutes les femmes de la lignée d’Alexan-dre eurent disparu, assassinées ou mortes sans descendance, cette «forte présence des femmes» a continué à s’exercer dans les différentes cours royales.

«Il y a plusieurs explications à ce phénomène, explique Anne Bielman. L’absence d’hommes dans la famille royale macédonienne a conforté la place des femmes. Une deuxième explication tient au rôle particulier qui était attribué aux femmes dans le Nord de la Grèce. Contrairement à ce qui se pratiquait en Attique, elles y jouaient un rôle juridique. Elles étaient notamment consultées lors de toute tractation concernant les biens de leur famille.»

L’avènement des intellectuelles

Les hommes du Nord ayant pris le

contrôle du reste de la Grèce dès la bataille de Chéronée en – 338, le modèle proposé par ces reines macédoniennes s’est répandu dans les autres cités hellènes de la fin du IVe siècle. Sans se limiter aux cours royales. Dès lors, la femme devient visible dans les élites grecques, ce qui permet l’ap-parition d’intellectuelles, de bienfaitrices ou de femmes mécènes.

Cette influence croissante des femmes dans la période qui suit la mort d’Alexan-dre s’explique encore par un effet indi-rect du régime monarchique qui sert de modèle aux riches familles installées dans les cités des royaumes hellénistiques. «A l’évidence, la royauté est plus favorable aux femmes, puisqu’elle met un clan à l’œuvre, une situation où les femmes s’im-posent plus facilement», note l’historienne lausannoise.

L’héritage de Cléopâtre

Notons enfin que cette révolution des femmes aura des conséquences à long terme, notamment trois cents ans plus tard, avec l’arrivé au pouvoir de la reine Cléopâtre que nous connaissons. Lointaine descendante de Ptolémée, un général macédonien qui s’était emparé du

trône d’Egypte, cette souveraine deviendra l’interlocutrice de César et de Marc-Antoine.

«Avec Cléopâtre VII, nous assistons à l’abou-tissement de cette mise en lumière des femmes qui a débuté à la mort d’Alexandre, assure Anne Bielman. Dans cette

Egypte ptolémaïque qui a toujours voulu un couple au pouvoir, le poids respectif de l’homme et de la femme évolue au fil du temps. Plus l’on s’éloigne d’Alexandre et de Ptolémée, et plus l’élément mas-culin s’affaiblit, au profit de l’élément féminin.»

Cléopâtre n’a pas eu beaucoup de peine à écarter les frères insipides (et bien plus jeunes qu’elle) qui régnèrent successive-ment à ses côtés pour former un nouveau tandem plus équilibré avec César, puis avec Marc-Antoine. Malgré ce succès poli-tique et personnel de Cléopâtre, la reine n’a pas réussi dans sa deuxième tentative de suivre les traces d’Alexandre. Avec César comme avec Marc-Antoine, qui rêvaient tous deux d’imiter Alexandre en réitérant sa campagne militaire à l’Est, Cléopâtre n’a connu que des échecs.

J.R.

A lire:

«Femmes en public dans le monde hellénistique», Anne Bielman, Sedes, 2002.

«Régner au féminin. Réflexions sur les reines attalides et séleuci-des», Anne Bielman, in : «L’Orient méditerranéen, de la mort d’Alexan-dre aux campagnes de Pompée», Actes du colloque international de la SOPHAU, Presses universitaires de Rennes, avril 2003.

Pour interpréter Olympias, mère d’Alexandre, Oliver Stone a choisi

l’actrice Angelina Jolie

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