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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - DÉCEMBRE 2008 - N°407 // 21 Le mélanome métastasé (M+) est un can- cer de très mauvais pronostic, notamment en raison de sa mauvaise réponse aux chimiothérapies anticancéreuses tradi- tionnelles. Les thérapies cellulaires consti- tuent une des pistes les plus excitantes pour améliorer ce pronostic, comme l’at- teste un cas récemment rapporté par le Centre de recherche Fred-Hutchinson à Seattle. Cette publication rapporte l’observation d’un patient de 52 ans, atteint d’un méla- nome récidivant, ayant généré des métas- tases notamment au niveau pulmonaire et ganglionnaire, inguinal et iliaque. Ce méla- nome n’avait répondu ni à la chirurgie ni à de multiples cycles de traitement utilisant entre autres l’interféron alfa et l’interleu- kine 2. L’analyse en immuno-histochimie montrait au niveau tumoral l’expression de nombreux antigènes tumoraux et notam- ment l’antigène NY-ESO- 1, ce qui a permis à ce patient d’être enrôlé dans un essai de thérapie cellulaire utilisant ses propres cellules lymphocytaires T. Les cellules T ont été isolées du sang péri- phérique, puis un clone cellulaire CD4+ a été amplifié in vitro, après stimulation par un peptide dérivé de l’épitope antigénique tumoral NY-ESO-1. Un total de 5 milliards de ces cellules clonales ont ensuite été réinjectées au patient en une perfusion de 2 heures, au cours d’un essai clini- que qui n’incluait aucune autre thérapie. La perfusion cellulaire a été bien tolérée, responsable d’un seul syndrome grippal, spontanément résolutif en quelques jours. De façon spectaculaire, un examen poussé en imagerie (scanner et PET-scan) a montré la disparition complète des métastases pul- monaires et ganglionnaires, ceci deux mois seulement après cette thérapie cellulaire. Le patient reste, au moment de la rédaction de l’article (et donc à plus de deux ans de ce traitement miracle), indemne de toute récidive tumorale. Ce travail montre que l’antigène NY-ESO-1 est un excellent immunogène anti-tumoral, capable d’induire une réponse T CD4 très efficace. La méthodologie utilisée reste techniquement complexe et coûteuse mais le résultat obtenu confirme l’intérêt majeur de ces approches cellulaires dans le traitement des cancers de mauvais pro- nostic. Hunder NN, Wallen H, Cao J, et al. Treatment of metastatic melanoma with autologous CD4+ T cell against NY-ESO-1. N Engl J Med 2008 ;358:2698-703 Une thérapie cellulaire avec les lymphocytes T du patient Le développement d’inhibiteurs spécifi- ques de certaines voies de signalisation a fait entrer depuis quelques années la thérapeutique anticancéreuse dans une nouvelle ère. Les inhibiteurs des tyro- sine-kinases (TK) sont un des principaux représentants de ces nouvelles appro- ches thérapeutiques. Ainsi, la mutation et la dérégulation du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGF-R) sont impliquées dans un sous-groupe de can- cers du poumon, et ces tumeurs répon- dent de façon spectaculaire aux inhibiteurs des EGF-R TK récemment développées, comme le gefitinib ou l’erlotinib. Ces trai- tements ont une limite majeure, la sur- venue fréquente et rapide de résistance, due à d’autres mutations du gène codant l’EGF- R, entravant la fixation de la molé- cule à sa cible. La détection de mutations est un enjeu important car elle autorise l’introduction précoce de traitements de deuxième ligne utilisant d’autres inhibi- teurs plus récemment développés. On peut aujourd’hui facilement repérer ces cellules cancéreuses mutées dans le parenchyme pulmonaire mais cette recher- che implique des biopsies tumorales, au cours d’un examen invasif, non réalisable en dépistage systématique. Une équipe de Boston rapporte dans le New England Journal of Medicine une technique per- mettant la détection sensible de cellules cancéreuses circulant dans le sang péri- phérique, couplée à leur analyse généti- que. Des microparticules sur lesquelles sont fixés des anticorps dirigés contre des facteurs d’adhésion des cellules épithé- liales sont utilisées pour spécifiquement trier dans le sang périphérique des cellules épithéliales cancéreuses exprimant ces adhésines, à partir desquelles sont dans un deuxième temps réalisées les analyses de la séquence du gène EGF-R. Cette stratégie a été validée sur une série de 27 patients atteints de cancer du pou- mon métastasé, faisant partie d’un essai thérapeutique. Parmi ces patients, 12 exhi- baient au niveau tumoral des mutations du gène EGF-R. Des cellules tumorales ont été identifiées dans le sang périphérique de tous les sujets, avec un nombre médian de 77 cellules/mL. Les mutations attendues ont été retrouvées à partir du sang total chez 11 sujets sur 12 (92 %). Dans le panel de mutations détectées par la technique, figure en particulier la mutation T790M, responsable d’une résistance aux inhibi- teurs de TK. La présence de cette mutation au niveau périphérique est corrélée à un risque de progression tumorale sous trai- tement. Des analyses longitudinales sur les mêmes patients montrent que la régres- sion tumorale s’associe à un nombre plus restreint de cellules tumorales isolées du sang périphérique, tandis que la progres- sion induit au contraire la circulation plus importante de cellules cancéreuses, avec dans certains cas l’apparition de nouvelles mutations au cours du temps. Cette technique élégante ouvre ainsi la perspective prometteuse d’un suivi molé- culaire fin et non invasif du génotype de tumeurs épithéliales de patients traités par ces nouvelles thérapeutiques. Detection of mutations in EGFR in circulating lung-cancer cells. Shyamala Maheswara, Lecia V. Sequis, Sunitha Nagrat et al, N Engl J Med 2008; Published at www.nejm.org July 2, 2008 (10.1056/NEJMoa0800668) Cellules cancéreuses identifiées du sang périphérique On peut repérer des cellules cancéreuses mutées sur une prise de sang Cellules T autologues contre mélanome M+

Cellules cancéreuses identifiées du sang périphérique

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - DÉCEMBRE 2008 - N°407 // 21

Le mélanome métastasé (M+) est un can-cer de très mauvais pronostic, notamment en raison de sa mauvaise réponse aux chimiothérapies anticancéreuses tradi-tionnelles. Les thérapies cellulaires consti-tuent une des pistes les plus excitantes pour améliorer ce pronostic, comme l’at-teste un cas récemment rapporté par le Centre de recherche Fred-Hutchinson à Seattle. Cette publication rapporte l’observation d’un patient de 52 ans, atteint d’un méla-nome récidivant, ayant généré des métas-tases notamment au niveau pulmonaire et ganglionnaire, inguinal et iliaque. Ce méla-nome n’avait répondu ni à la chirurgie ni à de multiples cycles de traitement utilisant entre autres l’interféron alfa et l’interleu-kine 2. L’analyse en immuno-histochimie montrait au niveau tumoral l’expression de nombreux antigènes tumoraux et notam-ment l’antigène NY-ESO- 1, ce qui a permis à ce patient d’être enrôlé dans un essai

de thérapie cellulaire utilisant ses propres cellules lymphocytaires T.

Les cellules T ont été isolées du sang péri-phérique, puis un clone cellulaire CD4+ a été amplifié in vitro, après stimulation par un peptide dérivé de l’épitope antigénique tumoral NY-ESO-1. Un total de 5 milliards de ces cellules clonales ont ensuite été réinjectées au patient en une perfusion de 2 heures, au cours d’un essai clini-que qui n’incluait aucune autre thérapie. La perfusion cellulaire a été bien tolérée, responsable d’un seul syndrome grippal, spontanément résolutif en quelques jours.

De façon spectaculaire, un examen poussé en imagerie (scanner et PET-scan) a montré la disparition complète des métastases pul-monaires et ganglionnaires, ceci deux mois seulement après cette thérapie cellulaire. Le patient reste, au moment de la rédaction de l’article (et donc à plus de deux ans de ce traitement miracle), indemne de toute récidive tumorale. Ce travail montre que l’antigène NY-ESO-1 est un excellent immunogène anti-tumoral, capable d’induire une réponse T CD4 très efficace. La méthodologie utilisée reste techniquement complexe et coûteuse mais le résultat obtenu confirme l’intérêt majeur de ces approches cellulaires dans le traitement des cancers de mauvais pro-nostic.

Hunder NN, Wallen H, Cao J, et al. Treatment

of metastatic melanoma with autologous

CD4+ T cell against NY-ESO-1. N Engl J Med

2008 ;358:2698-703

Une thérapie cellulaire

avec les lymphocytes T

du patient

Le développement d’inhibiteurs spécifi-ques de certaines voies de signalisation a fait entrer depuis quelques années la thérapeutique anticancéreuse dans une nouvelle ère. Les inhibiteurs des tyro-sine-kinases (TK) sont un des principaux représentants de ces nouvelles appro-ches thérapeutiques. Ainsi, la mutation et la dérégulation du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGF-R) sont impliquées dans un sous-groupe de can-cers du poumon, et ces tumeurs répon-dent de façon spectaculaire aux inhibiteurs des EGF-R TK récemment développées, comme le gefitinib ou l’erlotinib. Ces trai-tements ont une limite majeure, la sur-venue fréquente et rapide de résistance, due à d’autres mutations du gène codant l’EGF- R, entravant la fixation de la molé-cule à sa cible. La détection de mutations est un enjeu important car elle autorise l’introduction précoce de traitements de deuxième ligne utilisant d’autres inhibi-teurs plus récemment développés. On peut aujourd’hui facilement repérer ces cellules cancéreuses mutées dans le parenchyme pulmonaire mais cette recher-che implique des biopsies tumorales, au cours d’un examen invasif, non réalisable en dépistage systématique. Une équipe

de Boston rapporte dans le New England Journal of Medicine une technique per-mettant la détection sensible de cellules cancéreuses circulant dans le sang péri-phérique, couplée à leur analyse généti-que. Des microparticules sur lesquelles sont fixés des anticorps dirigés contre des facteurs d’adhésion des cellules épithé-liales sont utilisées pour spécifiquement

trier dans le sang périphérique des cellules épithéliales cancéreuses exprimant ces adhésines, à partir desquelles sont dans un deuxième temps réalisées les analyses de la séquence du gène EGF-R. Cette stratégie a été validée sur une série de 27 patients atteints de cancer du pou-mon métastasé, faisant partie d’un essai thérapeutique. Parmi ces patients, 12 exhi-baient au niveau tumoral des mutations du gène EGF-R. Des cellules tumorales ont été identifiées dans le sang périphérique de tous les sujets, avec un nombre médian

de 77 cellules/mL. Les mutations attendues ont été retrouvées à partir du sang total chez 11 sujets sur 12 (92 %). Dans le panel de mutations détectées par la technique, figure en particulier la mutation T790M, responsable d’une résistance aux inhibi-teurs de TK. La présence de cette mutation au niveau périphérique est corrélée à un risque de progression tumorale sous trai-tement. Des analyses longitudinales sur les mêmes patients montrent que la régres-sion tumorale s’associe à un nombre plus restreint de cellules tumorales isolées du sang périphérique, tandis que la progres-sion induit au contraire la circulation plus importante de cellules cancéreuses, avec dans certains cas l’apparition de nouvelles mutations au cours du temps. Cette technique élégante ouvre ainsi la perspective prometteuse d’un suivi molé-culaire fin et non invasif du génotype de tumeurs épithéliales de patients traités par ces nouvelles thérapeutiques.

Detection of mutations in EGFR in circulating

lung-cancer cells.

Shyamala Maheswara, Lecia V. Sequis, Sunitha

Nagrat et al, N Engl J Med 2008; Published at

www.nejm.org July 2, 2008

(10.1056/NEJMoa0800668)

Cellules cancéreuses identifiées du sang périphérique

On peut repérer des

cellules cancéreuses

mutées sur une prise

de sang

Cellules T autologues contre mélanome M+