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Le statut islamique de la femme. Le rétablissement de la Religion pure et du Droit sacré véritable sera opéré par le Mahdî de telle façon qu’ « il n’aura d’ennemi plus acharné que les juristes qui chercheront à le mettre à mort ». Dans l’ordre des applications contingentes, cette œuvre annoncée comporte un enseignement qui concerne le statut islamique de la femme. Nous terminerons notre étude par une présentation de la doctrine akbarienne sur ce point très actuel et controversé. Rappelons tout d’abord que, selon Ibn Arabî, le statut ontologique de la femme est supérieur à celui de l’homme. Ceci ne remet pas en cause les données traditionnelles courantes : les femmes qui atteignent le degré de perfection sont peu nombreuses ; leur constitution est inférieure à celle de l’homme, car elle est dérivée de la sienne et plus éloignée de la substance primordiale : c’est pourquoi dans l’état de sacralisation prescrit pour le pèlerinage, la femme continue à porter des vêtements cousus, à la différence de l’homme ; enfin, leur statut juridique est également inférieur puisqu’il faut recourir au témoignage de deux femmes là où celui d’un homme suffirait. La supériorité de le femme ne tient ni à sa constitution ni à son statut juridique ; mais plutôt à la façon dont la réalisation spirituelle est envisagée dans l’islâm, qui est « servitude parfaite ». Même lorsque les attributs divins, y compris ceux qui relèvent de la « seigneurie », sont revêtus par le serviteur, ils ne lui appartiennent jamais en propre ; ce qu’illustre, a contrario, le cas de Pharaon. Selon le Cheikh al-Akbar, « l’homme est avide est ambitieux de voir toutes les choses en son pouvoir ; et cela pour manifester l’autorité temporelle de la forme selon laquelle il a été créée et qui exige que toutes choses lui soient soumises, au point que certains prétendent étendre l’empire de leur jalousie au-delà de toute convenance et se montrent jaloux d’Allâh, alors qu’ils n’ont été créés et soumis à l’obligation légale que pour être jaloux de ce qui revient à Allâh, non jaloux de Lui ! » (1). Cette jalousie blâmable est attribuée symboliquement à l’homme plutôt qu’à la femme, car l’homme a tendance à se poser en « rival » d’Allâh du fait de sa supériorité dans la hiérarchie des degrés essentiels. Au contraire, la dépendance de le femme reflète la « soumission ontologique » des possibilités principielles à l’Essence suprême, possibilités qui représentent la « perfection passive ». Comme le pèlerinage symbolise un retour vers le centre originel, la femme trouve dans cette circonstance la pureté et la liberté (2) de sa condition première. C’est pourquoi, selon un hadîth prophétique : « Il n’y a de sacralisation à charge de la femme que dans son visage » ; ce qui veut dire, non pas qu’elle doit le voiler, mais, au contraire, qu’elle a l’obligation de le dévoiler pour accomplir ce rite. Le fondement métaphysique de cette règle réside dans une doctrine ésotérique analogue à celle qui est

Charles-André Gilis_ Le statut islamique de la femme

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Page 1: Charles-André Gilis_ Le statut islamique de la femme

Le statut islamique de la femme.

Le rétablissement de la Religion pure et du Droit sacré véritable sera

opéré par le Mahdî de telle façon qu’ « il n’aura d’ennemi plus acharné que les juristes qui chercheront à le mettre à mort ». Dans l’ordre des

applications contingentes, cette œuvre annoncée comporte un

enseignement qui concerne le statut islamique de la femme. Nous

terminerons notre étude par une présentation de la doctrine akbarienne sur ce point très actuel et controversé.

Rappelons tout d’abord que, selon Ibn Arabî, le statut ontologique de la

femme est supérieur à celui de l’homme. Ceci ne remet pas en cause les données traditionnelles courantes : les femmes qui atteignent le degré de

perfection sont peu nombreuses ; leur constitution est inférieure à celle de

l’homme, car elle est dérivée de la sienne et plus éloignée de la substance

primordiale : c’est pourquoi dans l’état de sacralisation prescrit pour le pèlerinage, la femme continue à porter des vêtements cousus, à la

différence de l’homme ; enfin, leur statut juridique est également inférieur

puisqu’il faut recourir au témoignage de deux femmes là où celui d’un

homme suffirait. La supériorité de le femme ne tient ni à sa constitution ni

à son statut juridique ; mais plutôt à la façon dont la réalisation spirituelle est envisagée dans l’islâm, qui est « servitude parfaite ». Même lorsque

les attributs divins, y compris ceux qui relèvent de la « seigneurie », sont

revêtus par le serviteur, ils ne lui appartiennent jamais en propre ; ce

qu’illustre, a contrario, le cas de Pharaon.

Selon le Cheikh al-Akbar, « l’homme est avide est ambitieux de voir

toutes les choses en son pouvoir ; et cela pour manifester

l’autorité temporelle de la forme selon laquelle il a été créée et qui exige que toutes choses lui soient soumises, au point que certains

prétendent étendre l’empire de leur jalousie au-delà de toute

convenance et se montrent jaloux d’Allâh, alors qu’ils n’ont été

créés et soumis à l’obligation légale que pour être jaloux de ce qui

revient à Allâh, non jaloux de Lui ! » (1).

Cette jalousie blâmable est attribuée symboliquement à l’homme plutôt

qu’à la femme, car l’homme a tendance à se poser en « rival » d’Allâh du

fait de sa supériorité dans la hiérarchie des degrés essentiels. Au contraire, la dépendance de le femme reflète la « soumission

ontologique » des possibilités principielles à l’Essence suprême,

possibilités qui représentent la « perfection passive ». Comme le

pèlerinage symbolise un retour vers le centre originel, la femme trouve dans cette circonstance la pureté et la liberté (2) de sa condition

première. C’est pourquoi, selon un hadîth prophétique : « Il n’y a de

sacralisation à charge de la femme que dans son visage » ; ce qui veut

dire, non pas qu’elle doit le voiler, mais, au contraire, qu’elle a l’obligation de le dévoiler pour accomplir ce rite. Le fondement métaphysique de cette

règle réside dans une doctrine ésotérique analogue à celle qui est

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enseignée dans le tantrisme au sujet de Mâyâ, qui n’est autre que la

Shaktî suprême (3) ;

(1) Sur tout ceci, cf. Futûhât, le commentaire sur les hadîths relatifs aux pèlerinage, qui figure à la fin du chapître 72 ; La Doctrine initiatique du

Pèterinage, chap.VIII : Les sept Etendards du Califat, chap. XXXI et

XXXII.

(2) Le terme doit être compris ici par opposition à « interdit ». (3) Cf. Propos sur le Tantra, p.47.

Ibn Arabî écrit : « (Ce dévoilement exprime) un retour à l’origine

car, à l’origine, il n’y a ni écran, ni voile. L’origine, c’est l’aspect immuable d’une possibilité particulière, non son existenciation…

Elle demeure prête à entendre le Verbe existenciateur, prête à

accepter l’existence, empressée à se soumettre à l’ordre de

l’Adoré… Elle vient à l’état manifesté sans être l’objet d’aucune restriction, dans la forme requise par son Existenciateur, humble

et soumise en dépit de l’élévation de sa contemplation. Elle ignore

ce qu’est le voile, et ne le connaît pas ».

Au point de vue de la wahdat al-wujûd, l’existence d’un voile est impossible car ce qui apparaît comme « voile » n’est autre qu’Allâh, et ce

que le voile est censé cacher n’est lui-même rien d’autre. Le voile

véritable naît de la jalousie et de la prétention de l’homme à une

indépendance illusoire au sein du Royaume divin. René Guénon écrit dans le même sens mais en employant un autre langage, que le « voile de

Mâyâ » cache le Principe uniquement lorsque « la manifestation apparaît

comme « extérieure » par rapport à lui ». C’est cette vérité métaphysique

qui est symbolisée par l’obligation de la femme de dévoiler son visage lorsqu’elle accomplit le pèlerinage. Le Cheikh al-Akbar tire de cette règle

une conclusion inattendue, à savoir que le verset instaurant le voile (1) ne

faisait pas partie de la révélation originelle car elle fut provoquée par une

passion, en l’occurrence la jalousie des hommes : « Le verset sur le

voile et d’autres ne furent pas révélés en vertu d’une initiative (divine) ; ils furent rendus nécessaires uniquement à cause de

certaines créatures, c’est-à-dire pour faire face à des défauts

inhérents au milieu ethnique qui fut le support de la révélation,

notamment une jalousie excessive au sujet des femmes » (2). Il fait à ce propos la mise au point suivante : « De nombreuses prescriptions

légales furent édictées uniquement pour des raisons relatives aux

créatures (asbâb kawniyya). Sans ses causes, Allâh n’aurait pas

inclus ces règles au sein de la révélation. C’est pourquoi les initiés (ahl Allâh) font la différence entre les prescriptions d’initiative

divine et celles qui furent provoquées par certains serviteurs

d’Allâh, qui fut l’unique cause pour laquelle Dieu « fit descendre »

ces contraintes. L’homme de réalisation ne se soumet pas à elles de la même manière qu’il se soumet aux prescriptions d’initiative

divine ».

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(1) Cf. Cor.33.53. Nous ne disons pas le « port du voile », car à l’origine

ce voile était un rideau destiné à séparer l’endroit où se trouvaient les

femmes de celui où se trouvaient les hommes. (2) Il s’agit évidemment des arabes dont la constitution ethnique

comporte certains éléments négatifs dans la perspective cyclique de

« l’Esprit universel de l’islâm ».

Cependant, il recommande à « ceux qui veulent faire partie des

croyants » (1) d’ « accueillir avec empressement et de bon cœur la

décision divine, quelle que soit son origine », tout en fustigeant ceux

qui, soit du temps de l’Envoyé d’Allâh, soit après sa mort, ont contribué à la multiplication des interdictions (2), par exemple en refusant aux

femmes l’accès des mosquées. Il conclut en rapportant une anecdote qui,

de manière significative, mentionne Aïchâ, l’épouse bien-aimée : « Un

des compagnons du Prophète – sur lui la Grâce unitive et la Paix ! – l’invita à un repas. Celui-ci répondit : « Moi et aussi celle-ci », en

mentionnant Aïchâ. « Non ! » répondit l’homme, qui refusa (tout

d’abord) de répondre à la demande du Prophète, mais qui finit par

lui accorder qu’elle puisse l’accompagner. Ils se rendirent alors à

son invitation, le Prophète et Aïchâ, en se poussant (affectueusement) jusqu’à ce qu’ils parviennent à la demeure de

cet homme ». Et le Cheikh ajoute : « Allâh a dit : « Il y a en vérité

pour vous dans l’Envoyé d’Allâh un modèle excellent » (3). Dans

quel état est ta foi ? Si tu voyais les dignitaires d’aujourd’hui, les juges, les faiseurs de prône, les ministres, les sultans imiter

l’exemple (prophétique), serais-tu d’avis qu’ils agiraient mal ?

L’Envoyé d’Allâh n’a-t-il pas été envoyé uniquement pour parfaire

les bonnes façons d’agir (4) ? Si ses manières avec Aïchâ n’en faisaient pas partie, assurément il s’en serait abstenu ! ».

(1) Par référence à Cor.10.104.

(2) Contrairement à l’exhortation prophétique : « Laissez-moi tant que je

vous laisse ». (3) Cf. Cor.33.21.

(4) Le Prophète a dit : « J’ai reçu les Paroles Synthétiques et j’ai été

envoyé pour parfaire les bonnes manières d’être ».

(Charles-André Gilis, La Petite fille de neuf ans, chap.5 : Le statut

islamique de la femme, Editions le Turban Noir, 2006, p.57-61)