3
Chirurgie esthétique et santé publique Aesthetic surgery and public health A. Fogli 281, corniche Kennedy, 13007 Marseille, France Résumé Le développement accéléré de la demande de chirurgie esthétique conduit légitimement à se poser la question de savoir si cette dernière s’inscrit dans le cadre de la Santé Publique. Si l’on s’en tient à la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé, la réponse est sans conteste affirmative. Les considérations économiques montrent qu’aucun système social au monde ne la prend en charge, exceptées quelques interventions précises. Cette demande d’esthétique concerne toutes les catégories sociales et répond à une démarche personnelle volontaire nécessitant un choix. Ce n’est plus la société qui doit assister un patient en état de maladie ou d’infirmité, mais c’est bien l’individu qui s’assume. © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Abstract The increasing number of requests for aesthetic surgery legitimately leads to the question of whether it can be covered by Public Health. If we look at the definition of the World Health Organization, the answer is without any doubt an affirmative one. However, economic considerations show that there is no social system in the world that covers aesthetic surgery, except for some definite interventions. Requests for aesthetic surgery occur in all social classes. It is a personal choice and a voluntary decision. It is no longer society who assists a sick or ill patient but it is the person that assumes the responsibility for himself. © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Mots clés : Chirurgie esthétique ; Santé publique ; Effet thérapeutique ; Démarche personnelle Keywords: Aesthetic surgery; Public health; Therapeutic result; Personal process 1. Introduction Pour aborder un tel sujet, il convient de définir les champs d’application de ces deux entités que constituent la Chirurgie Esthétique et la Santé Publique. Rappelons tout d’abord que ce n’est pas la Chirurgie Esthétique qui a créé la demande. Bien au contraire, c’est la demande qui l’a fait naître et se développer ; on peut même aller jusqu’à dire qu’elle est la fille benjamine et inespérée de la chirurgie de guerre. Dans ce sens, il faut se souvenir qu’elle est une vraie Chirurgie à part entière et non pas un exercice de salon de beauté. La confusion déjà fort entretenue nous désole tous. Quant à la Santé publique que nous envisagerons en pre- mier dans cette étude, nous nous référerons d’abord à la définition que donne l’Organisation Mondiale de la Santé : « la Santé est un état complet du bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre, constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain ». Nous avons vu que la définition de la Santé ne se limite pas au corps. Il est question de capacité d’adaptation physique, sociale et psychologique à l’environnement. Cette faculté d’adaptabilité, donc de devenir, introduit une notion évolu- tive. La médecine s’exerce dans un monde économique, c’est-à-dire dans un monde où les ressources sont rares et mesurées, car elles n’existent pas spontanément comme l’air Adresse e-mail : [email protected] (A. Fogli). Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 279–281 www.elsevier.com/locate/annpla © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. doi:10.1016/j.anplas.2003.08.008

Chirurgie esthétique et santé publique

  • Upload
    a-fogli

  • View
    219

  • Download
    3

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Chirurgie esthétique et santé publique

Chirurgie esthétique et santé publique

Aesthetic surgery and public health

A. Fogli

281, corniche Kennedy, 13007 Marseille, France

Résumé

Le développement accéléré de la demande de chirurgie esthétique conduit légitimement à se poser la question de savoir si cette dernières’inscrit dans le cadre de la Santé Publique. Si l’on s’en tient à la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé, la réponse est sans contesteaffirmative. Les considérations économiques montrent qu’aucun système social au monde ne la prend en charge, exceptées quelquesinterventions précises. Cette demande d’esthétique concerne toutes les catégories sociales et répond à une démarche personnelle volontairenécessitant un choix. Ce n’est plus la société qui doit assister un patient en état de maladie ou d’infirmité, mais c’est bien l’individu quis’assume.

© 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS.

Abstract

The increasing number of requests for aesthetic surgery legitimately leads to the question of whether it can be covered by Public Health. Ifwe look at the definition of the World Health Organization, the answer is without any doubt an affirmative one. However, economicconsiderations show that there is no social system in the world that covers aesthetic surgery, except for some definite interventions. Requestsfor aesthetic surgery occur in all social classes. It is a personal choice and a voluntary decision. It is no longer society who assists a sick or illpatient but it is the person that assumes the responsibility for himself.

© 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS.

Mots clés : Chirurgie esthétique ; Santé publique ; Effet thérapeutique ; Démarche personnelle

Keywords: Aesthetic surgery; Public health; Therapeutic result; Personal process

1. Introduction

Pour aborder un tel sujet, il convient de définir les champsd’application de ces deux entités que constituent la ChirurgieEsthétique et la Santé Publique.

Rappelons tout d’abord que ce n’est pas la ChirurgieEsthétique qui a créé la demande. Bien au contraire, c’est lademande qui l’a fait naître et se développer ; on peut mêmealler jusqu’à dire qu’elle est la fille benjamine et inespérée dela chirurgie de guerre.

Dans ce sens, il faut se souvenir qu’elle est une vraieChirurgie à part entière et non pas un exercice de salon debeauté. La confusion déjà fort entretenue nous désole tous.

Quant à la Santé publique que nous envisagerons en pre-mier dans cette étude, nous nous référerons d’abord à ladéfinition que donne l’Organisation Mondiale de la Santé :« la Santé est un état complet du bien-être physique, mentalet social qui ne consiste pas seulement en une absence demaladie ou d’infirmité. La possession du meilleur état desanté qu’il est capable d’atteindre, constitue l’un des droitsfondamentaux de tout être humain ».

Nous avons vu que la définition de la Santé ne se limite pasau corps. Il est question de capacité d’adaptation physique,sociale et psychologique à l’environnement. Cette facultéd’adaptabilité, donc de devenir, introduit une notion évolu-tive. La médecine s’exerce dans un monde économique,c’est-à-dire dans un monde où les ressources sont rares etmesurées, car elles n’existent pas spontanément comme l’airAdresse e-mail : [email protected] (A. Fogli).

Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 279–281

www.elsevier.com/locate/annpla

© 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS.doi:10.1016/j.anplas.2003.08.008

Page 2: Chirurgie esthétique et santé publique

et la lumière. Nous allons envisager successivement, en ren-versant les termes du titre, ce que recouvrent les notions deSanté Publique puis de Chirurgie Esthétique, pour enfinessayer de comprendre comment elles se rejoignent.

2. La Santé Publique

La Médecine est un service qui supporte les changementsde mentalité et de représentation dans une société donnée.Aujourd’hui nous constatons une médicalisation croissantede la société. De nouveaux domaines font l’objet de médica-lisation. Par exemple la vieillesse, la ménopause des femmesétaient hier perçues comme des états normaux, aujourd’huielles ont tendance à être considérées comme pathologiques.

La Médecine d’aujourd’hui requiert des moyens matérielset humains très importants.

La relation du médecin à l’économie s’est trouvée totale-ment transformée. En 1960, les dépenses de santé ne repré-sentaient que 4 % du PIB. En 1990, elles atteignaient lechiffre de 8,9 % de ce dernier.

Toutes les sociétés visent certains objectifs mais ne dispo-sent que de richesses limitées, de moyens toujours finis. Ellesdoivent en conséquence faire certains choix parmi les multi-ples possibilités qu’elles ont d’utiliser leurs ressources.L’économie consiste à observer les comportements humainsdevant ces choix.

L’approche micro-économique de l’économie de la santéest plus concrète, plus proche des médecins. Elle se rapporteau choix à faire à l’intérieur du système de santé. Par exem-ple, comment répartir les efforts de la collectivité entre lessoins, la prévention et la recherche ?

L’économie de la santé se trouve donc confrontée à l’éthi-que dès que se posent les questions toutes simples et néces-saires à la formulation des priorités.

L’évaluation en santé doit éclairer les choix sanitairesessentiels, elle est un instrument intermédiaire pour atteindrel’objectif final qu’est l’équité sociale.

La rationalité des dépenses de santé se heurte à des pro-blèmes d’ordre éthique pour la simple raison qu’elle procuredes critères pour choisir des priorités, afin de faciliter unedécision.

Sélectionner, c’est bien évidemment privilégier des êtreshumains au détriment de certains autres.

L’économie de la Santé se trouve donc confrontée à l’éthi-que dès qu’elle se pose des questions toutes simples néces-saires à la formulation des priorités.

Nous devons d’ores et déjà nous poser la question de laplace de la Chirurgie Esthétique dans ce contexte. L’étudedes systèmes de santé dans les pays occidentaux montrequ’ils sont très diversifiés avec deux grands types de modèle :

• il y a ceux centralisés comme le système des ancienspays de l’Est et le plus proche de nous, le système desanté anglais nommé National Health Service ;

• l’autre modèle où l’économie de marché est appliquéeest le système décentralisé dont le plus approchant est

celui des États-Unis, avec cependant un financementfédéral pour deux programmes publics, médical et médi-cal pur. Le premier concerne les personnes âgées, lesecond les indigents. Il n’existe alors pas de système deprotection obligatoire, mais de plus en plus des organis-mes spécialisés dans l’assurance et la prise en charge dessoins ;

• enfin, il existe les systèmes mixtes comme le françaisavec des aspects centralisés et décentralisés. Le côtécentralisé est avant tout le fait d’une cotisation obliga-toire au système de protection sociale avec principe desolidarité. Le rôle de l’état dans l’administration et lapolitique de ce système apporte également un aspectcentralisé. Le côté décentralisé est le fait de plusieursfacteurs libre choix du patient, possibilité de consulta-tions multiples et toutes remboursées, liberté de pres-cription pour tous les médecins, liberté d’installation,coexistence d’un système privé et d’un système public[1].

L’étude de tous ces systèmes nous a montré qu’il n’existaitaucune prise en charge des actes de chirurgie esthétique dansaucun des pays.

3. La Chirurgie Esthétique

Pour simplifier et résumer la diversité et la complexité detous les domaines où nous sommes appelés à agir, je rappel-lerai la formule de Raymond Vilain : « La Chirurgie Plasti-que ramène de l’anormal congénital ou acquis au normal,la Chirurgie Esthétique ramène du normal à la beauté ».

Je me permettrai de préférer le terme harmonie à celui debeauté ; son champ d’adéquation est bien plus grand,puisqu’il ne renvoie plus seulement au reflet de sa propreimage mais à un équilibre subtil certes vis-à-vis des autres,mais d’abord avec soi-même.

Le choix de pratiquer une chirurgie esthétique constitueen lui-même une possibilité, mais il est et doit rester uneliberté. Ses effets thérapeutiques considérables permettentd’obtenir des résultats physiques et psychologiques rarementégalés en médecine conventionnelle.

Il s’agit là de nouveaux espaces de liberté commençantpar le droit de disposer de son corps et de sa propre image.

Nombre de patients ont recours à cette chirurgie pourmieux affronter la vie. La distance parcourue tant au planphysique que sociologique est grande, puisque aujourd’huiune femme de 40 ans dont les enfants ont souvent déjà 15 ansest une femme jeune. La grand-mère de notre enfance estdevenue l’arrière-grand-mère. Cet allongement de la vie s’estfait avec pour corollaire l’allongement de la durée de séduc-tion de l’ordre de 25 ans aussi, cette dernière sans aucuneconnotation narcissique commençant évidemment par soi-même.

Pour expliquer les perspectives d’avenir auxquelles nouscroyons, il faut avoir à l’esprit que tout individu a sa proprereprésentation mentale, c’est-à-dire l’image qu’il se fait delui-même.

280 A. Fogli / Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 279–281

Page 3: Chirurgie esthétique et santé publique

Lorsque ce schéma corporel ne correspond plus à l’imagerenvoyée par le miroir, il y a signe du miroir.

Ce décalage est à l’origine de bien des comportements àtype de dépression, d’hyperactivité professionnelle ou spor-tive négligeant ce qui importait jusque-là ; l’individu se fuitlui-même. Il ne s’agit pas d’une construction intellectuellemais, comme notre pratique le vérifie régulièrement, lespatients retrouvent une harmonie lorsque l’image qu’ils ontd’eux-mêmes coïncide avec celle du miroir [2].

Il s’agit donc de santé publique, nous le voyons bien. Noussommes bien à distance des affirmations présentant la Chi-rurgie Esthétique comme futile ; elle se présente plutôt de parles résultats qu’elle donne comme fondamentale. Mais elleest le choix délibéré d’hommes et de femmes qui ne secontentent plus de ne pas être malades.

Nous retiendrons là leur motivation, nous en connaissonsaussi les limites Woody Allen ne sera jamais Gary Grant.

4. La Chirurgie Esthétique rentre t’elle dans le cadrede la Santé Publique ?

Si l’on se réfère à la définition de la Santé Publique parl’OMS, il ne fait pas de doute que la Chirurgie Esthétique enfait partie. Son effet thérapeutique, nous l’avons vu, permetde contribuer à un état complet de bien-être physique, mentalet social. Est-ce que la société, par le biais des assurances, dela sécurité sociale ou autre doit y participer ? Nous avons vuqu’à ce jour aucun pays ne le fait et certainement ne peut lefaire. À cet égard, la société française est certainement la plusgénéreuse. Sa participation aux traitements des malforma-tions, des séquelles de traumatismes, des brûlures, des can-cers est sans faille. C’est alors qu’apparaît en matière deChirurgie Esthétique une notion fondamentale, celle du vo-lontariat du patient ; sa décision, son consentement éclairédevant une information détaillée ne répondent qu’à sa moti-vation et ne lui sont imposés par personne.

Que les sociétés ne puissent répondre financièrement à sademande n’exclut d’aucune façon le fait qu’il s’agisse biend’un acte rentrant dans le cadre de la Santé Publique. Tous les

psychiatres savent que l’effet thérapeutique de leur traite-ment est totalement conditionné par le fait que leur patientdésire se soigner, et qu’il lui en coûte. La gratuité des actesconduit à une mauvaise appréciation du service rendu. Évi-demment, ce discours doit être sous-tendu par une approcherigoureuse et non commerciale.

L’expérience quotidienne nous montre que toutes les caté-gories sociales y ont recours. Le fait de consacrer un budget àla Chirurgie Esthétique est devenu patent ; ce dernier vientfréquemment remplacer celui consacré au changement d’uneautomobile ou prend la place d’un voyage. Ce phénomènes’inscrit dans un comportement plus général en matière dedépenses de biens de consommation. Les exemples sontnombreux depuis la demande sans cesse croissante visant àsupprimer le port de lunettes chez nos confrères ophtalmolo-gistes à la mise en place d’implants dentaires.

5. Conclusion

Il est admis qu’en matière d’économie de santé les cotisa-tions sociales doivent d’abord préserver les grands aléas etrembourser les médicaments dits génériques. En conclusion,interrogations économiques et préoccupations éthiques serejoignent inévitablement dès lors qu’il convient d’arbitrerune logique pure de bien-être et la nécessaire réponse àl’appel de l’individu souffrant qui fait l’honneur de la déon-tologie médicale.

La Chirurgie Esthétique, dont la place est sans cessegrandissante, vient s’inscrire inexorablement dans le cadrede la Santé Publique. Mais il s’agit là d’un espace de libertéqui a pour corollaire une démarche personnelle volontaire.Dès lors, ce n’est plus la société qui vient assister un patienten état d’infirmité, mais c’est bien l’individu qui l’assume.

Références

[1] San Marco J.L. Santé publique. Conférence faculté de Droit. Aix enProvence 2002.

[2] Fogli A. Réparation, traitement des handicaps, allongement de la vie.Les nouveaux espaces de liberté de l’homme. Ann Chir Plast Esthét2002;47:79–81.

281A. Fogli / Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 279–281