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Cholangite nécrosante sévère d’allure ischémique après traitement d’un carcinome hépatocellulaire par lipiodol radioactif L es cholangites ischémiques sont des lésions rares et sont liées au caractère terminal de leur vascularisation par le plexus artériel péribiliaire issu de l’artère hépatique. Les causes d’atteinte de l’artère hépatique sont multiples : inflammatoire, traumatique, immunologique ou toxique. Par contre, en l’absence de lésion de l’artère hépatique, il n’a jamais été rapporté de lésions des voies biliaires d’allure ischémique. Nous rapportons un cas de cholangite d’allure ischémique, d’évolution fatale, survenu au décours du traitement par iode radioactif d’un carcinome hépatocellulaire développé sur cirrhose virale C. Observation Un homme de 66 ans était hospitalisé en mars 2003 pour prise en charge d’une hépatite aiguë cholestatique et cytolytique sévère, rapidement progressive, découverte à l’apparition d’un ictère cutanéo-muqueux, avec asthénie, survenant un mois après un traitement par lipiodol radioactif (LipiocisT, Cisbiointernatio- nal, Gif sur Yvette, France) pour carcinome hépatocellulaire multifocal sur cirrhose virale C compensée avec un score de Child-Pugh A et compliquée d’une thrombose portale. Il avait pour antécédent une paraplégie consécutive à une section médullaire D10-D11 traumatique en 1953, une cholécystectomie en 1999 pour cholécystite aiguë lithiasique, et une hépatite virale C, connue depuis 1984, au stade de cirrhose avec un score Métavir A2F4 en 1999, n’ayant pas répondu à des traitements par interféron en janvier 1999 et interféron associé à la ribavirine en juillet 1999. En janvier 2002, une échographie systématique montrait un nodule hépatique mesuré à 12 × 9 mm au sein du segment VIII, avec un taux sérique d’alpha- foetoprotéine normal. L’analyse anatomopathologique de ce nodule concluait à un carcinome hépatocellulaire peu différencié. Le scanner hépatique montrait 3 nodules des segments V, VI et VIII respectivement de 10, 20, et 15 mm de diamètre. Deux traitements par chimioembolisation lipiodolée hépatique étaient réalisés respectivement en février 2002 et octobre 2002. L’évo- lution était marquée par une progression tumorale et l’apparition d’une thrombose portale. Début 2003, il était décidé de réaliser un traitement par LipiocisT. La réalisation de ce traitement se déroulait normalement et les suites immédiates étaient simples. Vingt-sept jours plus tard, le malade était hospitalisé pour asthénie avec ictère évoluant depuis une semaine. L’examen clinique montrait une hépato-splénomégalie et un ictère cutanéo- muqueux franc avec prurit. Quelques jours plus tard apparais- saient une ascite et une encéphalopathie hépatique régressant sous lactulose. Les différents bilans biologiques sont indiqués dans la figure 1. Plusieurs échographies-Doppler abdominales montraient une thrombose du tronc porte non extensive sans dilatation des voies biliaires intra ou extra hépatiques et sans aspect de sténose artérielle. Le scanner abdominal montrait une stabilité des lésions hépatiques, de la thrombose portale, une ascite, et l’absence d’anomalie des voies biliaires ou du pan- créas. Les sérologies virales A et B, adénovirus, virus Epstein Barr, virus Herpès Simplex étaient négatives. Les immunoglobulines G anti-cytomégalovirus étaient positives avec antigénémie leucocy- taire pp65 CMV faiblement positive. Le bilan auto-immun était négatif. Les hémocultures et l’examen cytobactériologique des urines, la radiographie de thorax et l’abdomen sans préparation étaient normaux. La ponction biopsie hépatique à visée diagnos- tique réalisée après 49 jours montrait une cirrhose modérément active avec d’intenses remaniements cholestatiques en rapport avec des lésions sévères des petites voies biliaires rappelant les aspects décrits après transplantation hépatique (figure 2) : proli- fération néo-ductulaire avec canaux très dystrophiques, souvent dilatés et remplis de mucus, à épithélium dystrophique avec une exocytose inflammatoire à polynucléaires neutrophiles. Ces aspects évoquaient des lésions cholangitiques de nature ischémi- que. Il n’y avait pas d’image typique d’infection virale à cytomégalovirus et l’immunomarquage du cytomégalovirus dans le foie était négatif. Un traitement par acide ursodésoxycholique per os était initié, sans amélioration clinique ou biologique. Le malade présentait alors une insuffisance rénale aiguë traitée par hémodialyse, et un premier épisode d’hémorragie digestive par rupture de varices œsophagiennes traité par vasoconstricteur intra-veineux et ligatures élastiques endoscopiques. L’évolution était défavorable avec aggravation progressive de la cholestase et apparition d’une insuffisance hépatocellulaire conduisant au décès du malade. Discussion A notre connaissance, nous rapportons le premier cas de cholangite d’allure ischémique compliquant un traitement par LipiocisT d’un carcinome hépatocellulaire. Les principaux effets indésirables précoces du LipiocisT sont l’asthénie, l’angoisse due à l’isolement en chambre plombée, et l’hyperthermie [1, 2]. Des effets indésirables survenant plus de 15 jours après le geste ont été rapportés : pneumocystose, insuffisance hépatocellulaire aiguë [1, 2]. Dans notre cas, les lésions de cholangite d’allure ischémique observées près de 6 semaines après le traitement Fig. 1 − Evolution du bilan biologique. Course of biological data. © Masson, Paris, 2004. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:403-413 403

Cholangite nécrosante sévère d’allure ischémique après traitement d’un carcinome hépatocellulaire par lipiodol radioactif

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Cholangite nécrosante sévère d’allure ischémique après traitementd’un carcinome hépatocellulaire par lipiodol radioactif

Les cholangites ischémiques sont des lésions rares et sont liées au caractère terminal de leurvascularisation par le plexus artériel péribiliaire issu de l’artère hépatique. Les causesd’atteinte de l’artère hépatique sont multiples : inflammatoire, traumatique, immunologique

ou toxique. Par contre, en l’absence de lésion de l’artère hépatique, il n’a jamais été rapporté delésions des voies biliaires d’allure ischémique. Nous rapportons un cas de cholangite d’allureischémique, d’évolution fatale, survenu au décours du traitement par iode radioactif d’uncarcinome hépatocellulaire développé sur cirrhose virale C.

ObservationUn homme de 66 ans était hospitalisé en mars 2003 pour

prise en charge d’une hépatite aiguë cholestatique et cytolytiquesévère, rapidement progressive, découverte à l’apparition d’unictère cutanéo-muqueux, avec asthénie, survenant un mois aprèsun traitement par lipiodol radioactif (LipiocisT, Cisbiointernatio-nal, Gif sur Yvette, France) pour carcinome hépatocellulairemultifocal sur cirrhose virale C compensée avec un score deChild-Pugh A et compliquée d’une thrombose portale. Il avaitpour antécédent une paraplégie consécutive à une sectionmédullaire D10-D11 traumatique en 1953, une cholécystectomieen 1999 pour cholécystite aiguë lithiasique, et une hépatite viraleC, connue depuis 1984, au stade de cirrhose avec un scoreMétavir A2F4 en 1999, n’ayant pas répondu à des traitementspar interféron en janvier 1999 et interféron associé à laribavirine en juillet 1999. En janvier 2002, une échographiesystématique montrait un nodule hépatique mesuré à 12 × 9 mmau sein du segment VIII, avec un taux sérique d’alpha-foetoprotéine normal. L’analyse anatomopathologique de cenodule concluait à un carcinome hépatocellulaire peu différencié.Le scanner hépatique montrait 3 nodules des segments V, VI etVIII respectivement de 10, 20, et 15 mm de diamètre. Deuxtraitements par chimioembolisation lipiodolée hépatique étaientréalisés respectivement en février 2002 et octobre 2002. L’évo-lution était marquée par une progression tumorale et l’apparitiond’une thrombose portale. Début 2003, il était décidé de réaliserun traitement par LipiocisT. La réalisation de ce traitement sedéroulait normalement et les suites immédiates étaient simples.Vingt-sept jours plus tard, le malade était hospitalisé pourasthénie avec ictère évoluant depuis une semaine. L’examenclinique montrait une hépato-splénomégalie et un ictère cutanéo-muqueux franc avec prurit. Quelques jours plus tard apparais-saient une ascite et une encéphalopathie hépatique régressantsous lactulose. Les différents bilans biologiques sont indiquésdans la figure 1. Plusieurs échographies-Doppler abdominalesmontraient une thrombose du tronc porte non extensive sansdilatation des voies biliaires intra ou extra hépatiques et sansaspect de sténose artérielle. Le scanner abdominal montrait unestabilité des lésions hépatiques, de la thrombose portale, uneascite, et l’absence d’anomalie des voies biliaires ou du pan-créas. Les sérologies virales A et B, adénovirus, virus Epstein Barr,virus Herpès Simplex étaient négatives. Les immunoglobulines Ganti-cytomégalovirus étaient positives avec antigénémie leucocy-taire pp65 CMV faiblement positive. Le bilan auto-immun était

négatif. Les hémocultures et l’examen cytobactériologique desurines, la radiographie de thorax et l’abdomen sans préparationétaient normaux. La ponction biopsie hépatique à visée diagnos-tique réalisée après 49 jours montrait une cirrhose modérémentactive avec d’intenses remaniements cholestatiques en rapportavec des lésions sévères des petites voies biliaires rappelant lesaspects décrits après transplantation hépatique (figure 2) : proli-fération néo-ductulaire avec canaux très dystrophiques, souventdilatés et remplis de mucus, à épithélium dystrophique avec uneexocytose inflammatoire à polynucléaires neutrophiles. Cesaspects évoquaient des lésions cholangitiques de nature ischémi-que. Il n’y avait pas d’image typique d’infection virale àcytomégalovirus et l’immunomarquage du cytomégalovirus dansle foie était négatif. Un traitement par acide ursodésoxycholiqueper os était initié, sans amélioration clinique ou biologique. Lemalade présentait alors une insuffisance rénale aiguë traitée parhémodialyse, et un premier épisode d’hémorragie digestive parrupture de varices œsophagiennes traité par vasoconstricteurintra-veineux et ligatures élastiques endoscopiques. L’évolutionétait défavorable avec aggravation progressive de la cholestaseet apparition d’une insuffisance hépatocellulaire conduisant audécès du malade.

DiscussionA notre connaissance, nous rapportons le premier cas de

cholangite d’allure ischémique compliquant un traitement parLipiocisT d’un carcinome hépatocellulaire. Les principaux effetsindésirables précoces du LipiocisT sont l’asthénie, l’angoisse dueà l’isolement en chambre plombée, et l’hyperthermie [1, 2]. Deseffets indésirables survenant plus de 15 jours après le geste ontété rapportés : pneumocystose, insuffisance hépatocellulaireaiguë [1, 2]. Dans notre cas, les lésions de cholangite d’allureischémique observées près de 6 semaines après le traitement

Fig. 1 − Evolution du bilan biologique.

Course of biological data.

© Masson, Paris, 2004. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:403-413

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pourraient être consécutives à de petites lésions distales de lavascularisation artérielle hépatique. Le traitement par lipiodolradioactif nécessite un cathétérisme de l’artère hépatique maiscontrairement à la chimioembolisation lipiodolée hépatique, iln’est pas réalisé d’embolisation artérielle hépatique complémen-taire. Dans notre observation, l’éventualité d’une thromboseartérielle a pu être éliminée. A notre connaissance, il n’existequ’un seul cas rapporté de thrombose de l’artère hépatique aprèsLipiocisT [2]. En revanche, l’hypothèse de lésions artériellesdistales liées à un effet d’embolisation propre du lipiodol pourraitêtre avancée. Dans notre observation, l’effet ischémique pourraitavoir été aggravé par l’existence d’une thrombose portaleassociée qui en elle même peut être responsable de lésions decholangite pseudo-sclérosante [3]. D’autre part, les 2 séances dechimioembolisation lipiodolée hépatique, préalablement réali-sées, peuvent également avoir été responsables de lésionsbiliaires cliniquement asymptomatiques, favorisant l’effet embo-lisant du LipiocisT [2]. A noter que des lésions de cholangiteischémique ont été décrites après administration intra-artériellede floxuridine sans que l’on puisse déterminer le rôle ducathétérisme de l’artère hépatique ou du produit dans lasurvenue des lésions [4]. L’aggravation des lésions de cholangitepar une infection concomitante a été écartée, en l’absenced’éléments bactériologiques patents [5]. L’hypothèse d’une hépa-tite radique consécutive à l’utilisation d’iode radioactif a étéécartée compte tenu de la nature des lésions histologiquesobservées. En effet, les lésions hépatiques d’origine radique sontgénéralement des atteintes veino-occlusives sans lésions des voiesbiliaires [6]. La ponction-biopsie hépatique ayant été effectuée àdistance des tumeurs traitées, l’hypothèse d’une irradiation deproximité par les tumeurs retenant le LipiocisT est peu probable.

Même s’il s’agit d’une complication exceptionnelle, cetteobservation suggère que le traitement par LipiocisT pourrait se

compliquer de lésions de cholangite ischémique, éventuellementfavorisées par la présence d’une thrombose portale associée.

Julien VERGNIOL (1), Johann DUBUC (2),Brigitte LE BAIL (3), Jacques DROUILLARD (3),

Patrice COUZIGOU (1), Victor DE LEDINGHEN (1)

(1) Service d’Hépato-Gastroentérologie, (2) Unité d’Imagerie Médicale,Hôpital du Haut-Lévêque, 33604 Pessac Cedex ; (3) Laboratoire d’Anatomie

Pathologique, Hôpital Pellegrin, 33076 Bordeaux Cedex.

REFERENCES

1. Partensky C, Sassolas G, Henry L, Paliard P, Maddern GJ. Intra-arterialiodine 131-labeled lipiodol as adjuvant therapy after curative liverresection for hepatocellular carcinoma : phase 2 clinical study. ArchSurg 2000;135:1298-300.

2. Raoul JL, Guyader D, Bretagne JF, Heautot JF, Duvauferrier R,Bourguet P, et al. Prospective randomized trial of chemoembolizationversus intra-arterial injection of 131I-labeled-iodized oil in the treatmentof hepatocellular carcinoma. Hepatology 1997;26:1156-61.

3. Dilawari JB, Chawla YK. Pseudosclerosing cholangitis in extrahepaticportal venous obstruction. Gut 1992;33:272-6.

4. Ludwig J, Kim CH, Wiesner RH, Krom RAF. Floxuridine-inducedsclerosing cholangitis : an ischemic cholangiopathy ? Hepatology1989;9:215-8.

5. Engler S, Elsing C, Flechtenmacher C, Theilmann L, Stremmel W,Stiehl A. Progressive sclerosing cholangitis after septic shock : a newvariant of vanishing bile duct disorders. Gut 2003;52:688-93.

6. Reed GB, Cox AJ. The human liver after radiation injury. Am J Pathol1966;48:597-612.

Hépatotoxicité probable du gallate d’épigallocatécholutilisé en phytothérapie

L’utilisation de la phytothérapie est largement répandue en France. Le problèmeprincipal rencontré avec l’emploi des plantes médicinales reste celui de son innocuité.Ces dernières années, plusieurs cas d’atteinte hépatique avec le thé vert ont été notifiés.

Nous rapportons un cas d’hépatite mixte, cytolytique et cholestatique probablement secondaire àce produit.

Fig. 2 Lésions histologiques hépatiques. a :Aspect général desvoies biliaires dans le septa de la cirrhose virale C :déformations des canaux, hauteur inégale de l’épithé-lium, stratification et dystrophies nucléaires. A noter lesthrombi biliaires canaliculaires et les flaques mucoïdesen bordure des septa ; b : Détail des lésions biliaires :trois canaux ou ductules déformés, à lumière irrégu-lière, parfois remplie de mucosités (*) et à bordureépithéliale atrophique et très dystrophique, sans throm-bus biliaire.Hepatic histological lesions. a: General appearance ofbiliary tree in septa in HCV cirrhosis: deformed tractsuneven epithelium, stratification and dystrophy ofnucleic to be noted: thrombi of biliary tracts andmucoid pools at the edges of septa; b: details of biliarylescons: 3 tracts with deformed ducts, irregular, withsome mucosity atrophic and dystrophic epitheliumwithout thrombus.

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