129

Chomage Hamdaoui Le 1

Embed Size (px)

DESCRIPTION

le chomage

Citation preview

  • Jacques Freyssinet

    Le chmageOnzime dition

    ditions La Dcouverte9 bis, rue Abel-Hovelacque

    75013 Paris

  • Catalogage lectre-BibliographieFREYSSINET JacquesLe chmage. 11e d. Paris : La Dcouverte, 2004. (Repres ; 22)ISBN 2-7071-4335-9Rameau : chmage : France

    travail, march du : FranceDewey : 331.21 : conomie du travail. Problmes du march du

    travail. ChmagePublic concern : Public motiv

    Le logo qui figure au dos de la couverture de ce livre mrite une explication.Son objet est dalerter le lecteur sur la menace que reprsente pour lavenir delcrit, tout particulirement dans le domaine des sciences humaines et sociales,le dveloppement massif du photocopillage.

    Le Code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expres-sment la photocopie usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cettepratique sest gnralise dans les tablissements denseignement suprieur, pro-voquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilit mmepour les auteurs de crer des uvres nouvelles et de les faire diter correctementest aujourdhui menace.

    Nous rappelons donc quen application des articles L. 122-10 L. 122-12 duCode de la proprit intellectuelle, toute reproduction usage collectif par photo-copie, intgralement ou partiellement, du prsent ouvrage est interdite sans auto-risation du Centre franais dexploitation du droit de copie (CFC, 20, rue desGrands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intgrale oupartielle, est galement interdite sans autorisation de lditeur.

    Si vous dsirez tre tenu rgulirement inform de nos parutions, il vous suffitdenvoyer vos nom et adresse aux ditions La Dcouverte, 9 bis, rue Abel-Hove-lacque, 75013 Paris. Vous recevrez gratuitement notre bulletin trimestriel laDcouverte. Vous pouvez galement retrouver lensemble de notre catalogue etnous contacter sur notre site www.editionsladecouverte.fr.

    ditions La Dcouverte, 1998, 2000, 2002, 2004.

  • Introduction

    Le chmage, source de scandale et source de conflits

    Des dizaines de millions de chmeurs dans le mondeaujourdhui, cest avant tout une source de scandale. Dabordun scandale individuel, pour ceux qui cherchent vainement unemploi et se trouvent rejets dans une situation dinfriorit.Cette infriorit, ils ne la ressentent pas seulement dans leniveau de leurs revenus ; ils la peroivent surtout comme uneexclusion qui perturbe aussi bien leurs relations avec leur envi-ronnement immdiat que leur quilibre et leur dveloppementpersonnels. Scandale lchelle sociale ensuite : comment dessystmes conomiques qui sont loin dassurer tous un niveauacceptable de satisfaction des besoins peuvent-ils gaspiller desquantits aussi considrables de capacits de travail, cest--dire de capacits de production ? Nest-ce pas la manifesta-tion dune irrationalit intolrable alors que ces socits ontatteint des niveaux levs dorganisation institutionnelle et dedveloppement technique ?

    Une telle situation est ncessairement gnratrice de conflits.Ce sont en premier lieu les conflits sociaux ns des licencie-ments collectifs ; ils sont dautant plus acharns que les pers-pectives de reclassement sont mdiocres. Ce sont ensuite lesconflits lis lindemnisation des chmeurs ; son cot financiercroissant met en danger les mcanismes de couverture socialedu chmage ; la chasse aux faux chmeurs est un para-vent commode pour substituer au principe de solidarit celui de

    3

  • lassistance sous contrle. Enfin, la monte du chmage estgnratrice de tensions sociales et raciales, ainsi que daffron-tements politiques dont nous mesurons aujourdhui la gravitpotentielle.

    Cette volution parat dautant plus aberrante que les payscapitalistes industrialiss avaient cru, en sinspirant des ana-lyses de John Maynard Keynes, pouvoir liminer durable-ment la menace dun chmage massif. Ils y taient parvenus,dans une large mesure, pendant le quart de sicle qui a suivila Seconde Guerre mondiale. Depuis lors, la majorit dentreeux vit des situations de chmage massif qui sont dune naturediffrente de celles connues antrieurement lorsque des crisescycliques entranaient une pousse de chmage, brutale mais dedure limite. Lide quil existe un taux de chmage natu-rel inliminable est de plus en plus couramment admise.

    Il faut donc sinterroger sur les conditions historiques spci-fiques qui ont pu engendrer une telle situation.

    Le chmage, un phnomne dat et localis

    Chmage et salariat

    Toute collectivit humaine doit, pour assurer la couverturedes besoins de ses membres, mettre en uvre leurs capacitsde travail, cest--dire leur capacit dutiliser et de transformerleur environnement naturel afin de produire des biens mat-riels et des services utiles. De multiples facteurs peuvent expli-quer que la mobilisation de ces capacits de travail ne soit pastotale ; une telle sous-utilisation sobserve, sauf priodesexceptionnelles, dans tous les systmes sociaux que lhistoirenous permet dobserver. Elle ne suffit pas pour dfinir lexis-tence du chmage, situation dans laquelle un individu est larecherche dun emploi et nen trouve pas. Le chmage ne natque dans des formes spcifiques dorganisation sociale caract-rises par la gnralisation du salariat comme forme dominantede mise en uvre du travail rmunr. Lapparition du ch-mage suppose donc runies plusieurs conditions.

    4

  • Le chmage implique une coupure entre temps de travailsocial, destin procurer un revenu, et temps de travail privou domestique, destin la satisfaction directe des besoins desmembres du groupe familial. Le chmage nest pas loisivet ;une mre de famille au chmage peut avoir une charge de tra-vail leve. De ce fait, toutes les fois que lactivit conomi-que sorganise dans le cadre de rapports de parent (tel est lecas par exemple de lexploitation familiale agricole), les tchessont rparties entre les membres du groupe sans que les fluc-tuations du niveau dactivit puissent conduire la mise auchmage de certains dentre eux. La variation de leurs temps detravail respectifs, et donc du niveau de satisfaction des besoins,sert de rgulateur ; travail social et travail priv sont constam-ment imbriqus dans lactivit concrte.

    Lapparition du chmage suppose que le travail social soitlobjet dun change marchand, cest--dire que le travailleurvende sa force de travail un employeur. Cest le fait de ne pastrouver un acheteur pour sa force de travail qui dfinit le statutdu chmeur. Il ny a pas de chmage lorsque le travail socialest organis dans le cadre de rapports de soumission person-nelle ou collective : un esclave ou un serf ne sont pas menacspar le chmage. Dans un autre contexte, il ny a pas de ch-mage pour des travailleurs indpendants qui disposent de leurspropres instruments de travail ; leur niveau dactivit et derevenu varie selon la possibilit quils ont de vendre le produitde leur travail, et non pas leur force de travail.

    Le chmage nat avec la gnralisation du salariat ; dans cecadre, le travailleur ne dispose pas dautre possibilit de parti-cipation au travail social, et donc de source de revenu, quelobtention dun emploi salari.

    Gense du chmage

    Lhistoire du chmage est donc celle de lextension du sala-riat, autrement dit celle de lextension du mode de productioncapitaliste. Le XIXe sicle est, de ce point de vue, rvlateurde trois mcanismes principaux qui dversent sur le march dutravail des catgories nouvelles de demandeurs demploi :

    5

  • la destruction des formes de production prcapitalistes(agriculture familiale, artisanat, petit commerce) libre unemain-duvre qui ne peut trouver de solution de rechange quedans la recherche dun travail salari ;

    les priodes de rduction du salaire rel rendent le tra-vail du chef de famille insuffisant pour couvrir les besoinsdune famille ouvrire ; dautres membres de la famille(femmes, enfants) sont contraints se prsenter sur le marchdu travail ;

    enfin, le rythme et les modalits daccumulation du capi-tal peuvent dans certaines phases devenir destructeursdemploi, soit par des crises cycliques qui provoquent la chutedu niveau dactivit, soit par lintroduction de techniques plusmcanises qui rduisent les besoins de main-duvre.

    La combinaison de ces trois mouvements engendre un volantde chmage permanent mais dampleur variable qui, dans unmarch du travail fortement concurrentiel, permet dexercerune pression sur le niveau des salaires et les conditions de tra-vail.

    Encore faut-il souligner que lidentification du chmage entant que statut social et situation statistiquement mesurablene se ralise que progressivement (Salais et al. [1986], Topalov[1994] *). Elle suppose une double condition :

    limpossibilit de repli sur des activits prcapita-listes ou sur des formes de travail domestique ;

    lapparition dinstitutions spcialises, bureaux de place-ment ou mcanismes dassurance-chmage, qui crent un int-rt se dclarer comme chmeur.

    Aussi longtemps que les chmeurs sont privs de tout droitet de tout revenu, aussi longtemps quils sont victimes dunopprobre social qui les dsigne comme paresseux ou incapa-bles, ils nont aucun avantage faire reconnatre leur situa-tion. Une large partie dentre eux cherchera des palliatifs dansdes statuts non salaris ou encore, en labsence de possibi-lits demploi, se maintiendra formellement dans la populationinactive, surtout les jeunes et les femmes. Cela explique que, si

    * Les noms dauteurs suivis dune date entre crochets renvoient la bibliogra-phie en fin douvrage.

    6

  • nous disposons de nombreuses descriptions de la situation deschmeurs au XIXe et au dbut du XXe sicle, il nexiste en revan-che aucune mesure statistique satisfaisante du phnomne pen-dant cette priode.

    Dans le cas de la France [Salais, 1986], les mcanismes decamouflage du chmage sont encore importants dans la priodede lentre-deux-guerres. Entre 1931 et 1936, le nombre desemplois diminue de 1,8 million ; or, le chmage mesur nesaccrot que denviron 400 000 personnes. Bien plus, si loncompare la situation dans les diffrents dpartements, il nappa-rat aucune corrlation entre la variation du nombre des emploiset celle du niveau du chmage. Une analyse de donnes mon-tre que le chmage est principalement associ au degr dindus-trialisation et durbanisation des diffrents dpartements. Cestlmergence du salariat comme forme unique et irrversibledutilisation de la force de travail qui dtermine lapparition duchmage comme une position sociale reconnue .

    Et ailleurs ?

    Associer le dveloppement du chmage celui des cono-mies capitalistes nimplique pas que lon nglige le fait, statis-tiquement vident, que ces conomies ont manifest une capa-cit vigoureuse, quoique irrgulire, crer des emplois. Ilnimplique pas non plus que lon ignore les formes de sous-utilisation des capacits de travail observables pour dautresniveaux de dveloppement conomique ou dans dautresformes dorganisation sociale.

    Les pays du tiers monde connaissent de telles formes undegr lev. Elles se manifestent toutefois selon des moda-lits diffrentes. Ce que les conomistes y dsignent par lestermes de sous-emploi ou de chmage dguis correspond une tout autre ralit : elle rsulte du fait que, tant dans le sec-teur rural que dans le secteur urbain, une fraction importante dela main-duvre est maintenue dans des occupations, principa-lement non salaries, pour lesquelles la dure du travail utileou la productivit du travail sont anormalement faibles, voirequasi nulles. Le chmage ltat pur nest pas inexistant, maisil ne constitue quun aspect secondaire ; pour les raisons

    7

  • indiques plus haut, les chmeurs, dpourvus de toute protec-tion et de toute ressource, ne peuvent se maintenir durable-ment dans une telle situation. Ce sont donc les formes dacti-vits dites traditionnelles ou la prolifration de statuts plus oumoins parasitaires qui absorbent lessentiel des capacits de tra-vail excdentaires.

    Les conomies socialistes, quant elles, avaient rig le tra-vail en droit et en devoir pour lensemble de leur popula-tion ; leur exprience historique est plus marque par des pnu-ries que par des excdents de main-duvre. Les problmesde sous-utilisation des capacits de travail sy posaient de faondiffrente : ils rsidaient dans les difficults que rencontraientces conomies pour organiser une allocation efficace de laforce de travail entre les diffrents secteurs dactivit et pourobtenir des niveaux de productivit satisfaisants. Certainsauteurs ont utilis le terme de chmage dguis. Quel que soitle vocabulaire retenu, il importe de souligner que le problmetait de nature diffrente : il sagissait dun gaspillage diffus deforces de travail, touchant des catgories de main-duvre titu-laires dun emploi stable et non de lexclusion dune fractionde la population active, prive demploi. On peut discuter descots conomiques et sociaux respectifs des deux mcanismes ;il nest pas possible de les confondre. Il est significatif dobser-ver que le dveloppement du chmage dans ces pays a direc-tement accompagn leur passage lconomie de march.

    Cette brve rflexion historique explique que, dun point devue thorique, nous dfinissions le chmage comme une formede sous-utilisation des capacits de travail spcifique des co-nomies dans lesquelles un rapport salarial de march sestgnralis. Pour les mmes raisons, nous limiterons dsormaislanalyse la seule priode contemporaine.

  • PREMIRE PARTIELHTROGNIT DU PHNOMNE

    La violence des controverses qui se dveloppent priodique-ment sur lvaluation du nombre de chmeurs, sur limportancedu chmage camoufl , ou, loppos, des faux ch-meurs a pour rsultat de dformer la perception que lon peutavoir du phnomne. Elle laisse supposer en effet quil seraitpossible de mesurer le chmage par un chiffre objective-ment dtermin, quil existe une frontire nette entre ceux quisont chmeurs et ceux qui ne le sont pas et que, finalement, leproblme du chiffrage est essentiel. loppos, nous vou-drions montrer que lessentiel du phnomne tient dans lht-rognit de son contenu, dans lindtermination de ses fron-tires, dans la diversit des statuts des chmeurs et de limpactquexerce le passage par le chmage sur leur destin individuel.

    Lvaluation globale du chmage est importante pour lana-lyse et pour la politique macroconomique ; elle est dun intrtrduit pour comprendre la nature du phnomne et la situationdes chmeurs.

  • I / Frontires et marges

    Le dcoupage statistique de la population en trois catgo-ries : les actifs occups, les inactifs et les chmeurs engen-dre de multiples difficults de dfinition. Au-del, il risque deconduire une conception rductrice du chmage. Dune part,il laisse ignorer les chevauchements qui soprent entre cestrois catgories ; leur ampleur croissante constitue, tout autantque laugmentation du chmage, une caractristique de lacrise. Dautre part, une dfinition rsiduelle du chmagecomme cart entre ressources et besoins de main-duvreconduit ngliger lampleur des interactions qui sexercentdans lvolution respective de lemploi, du chmage et delinactivit.

    1. Dfinition et mesure

    Une partition de la population active

    Lidentification des chmeurs rsulte des rponses donnes deux questions successives : une personne occupe-t-elle ou nonun emploi ? Si la rponse est non, recherche-t-elle ou non unemploi ? Sur cette base, la population totale est dcoupe entrois sous-ensembles selon le schma suivant (voir ci-contre).

    Ainsi apparat une premire difficult dans la dfinition duchmage : celle-ci repose sur la combinaison dun critre de

    10

  • situation, le fait de ne pas occuper demploi, et dun critre decomportement, le fait de rechercher un emploi. Lapprciationdu premier peut tre objective ; celle du second contient nces-sairement une part de subjectivit.

    COMPOSITION DE LA POPULATION TOTALE

    Le chmage au sens du BIT

    En 1954, une confrence internationale des statisticiens dutravail, runie par le Bureau international du travail, adopte unedfinition du chmage qui fut modifie en 1982. Son interpr-tation est parfois dlicate et doit, pour tre oprationnelle, treprcise par les statisticiens de chaque pays. Cest dans cecadre que lINSEE 1 calcule, pour la France, le chmage ausens du BIT . Trois conditions doivent tre remplies pour treclass comme chmeur :

    tre sans travail, cest--dire dpourvu dun emploi sala-ri ou non salari ;

    tre disponible pour travailler dans un emploi salari ounon salari ;

    tre la recherche dun travail.La premire condition implique une prcision importante :

    seul est pris en compte le travail qui fait lobjet dune rmun-

    1. Institut national de la statistique et des tudes conomiques.

    11

  • ration. Cela est cohrent avec les dfinitions de lactivit et delinactivit : elles ne reposent pas sur un clivage entre travail etabsence de travail, mais sur un clivage entre travail rmunr ettravail non rmunr. Un travail non rmunr, si intense soit-il(par exemple, travail domestique ou tches militantes bn-voles), ne fait pas sortir de la population dite inactive . Ch-mage ne signifie pas absence de travail mais absence demploirmunr. En revanche, la dfinition de lemploi adopte enpratique est trs large ; en France, par exemple, il suffit davoirexerc une heure de travail rmunr dans la priode de rf-rence de lenqute (une semaine).

    La deuxime condition exclut du chmage les personnes qui,dsireuses de travailler, ne sont pas immdiatement disponi-bles, par exemple pour cause de maladie ou parce quelles sonten cours de formation.

    Enfin, la troisime condition est celle qui engendre le plus decontroverses : faut-il se contenter de la dclaration des int-resss ou doit-on contrler, et jusqu quel point, la ralit deleurs dmarches de recherche demploi ?

    Approximations, erreurs, manipulations

    Priodiquement renaissent des controverses sur la validit etlhonntet de la mesure statistique du chmage. Cest un dbatcomplexe dont la difficult a t bien mise en vidence parles rapports dEdmond Malinvaud [Malinvaud, 1986], puis dePaul Dubois et Michel Lucas [Dubois, Lucas, 1991] sur lesstatistiques du chmage (voir aussi [CERC, 1997], [Maruani,2002] et [Blanchet, Marchand, 2003]). Pour simplifier, disonsque limprcision rsulte principalement de limperfection desinstruments de mesure et de lincertitude des dfinitions. Lamarge ainsi cre constitue invitablement une source de ten-tation pour le pouvoir politique.

    Les instruments de mesure du chmage, en France commedans la plupart des pays industrialiss, sont au nombre dedeux : des enqutes par sondage auprs de la population,compltes par les recensements gnraux de la population, etlenregistrement des demandeurs demploi dans les organismeschargs du placement. L enqute sur lemploi effectue

    12

  • chaque anne depuis 1968 par lINSEE est considre commela source la plus rigoureuse. Elle prsente un inconvnientimportant : son caractre annuel ne permettait pas, jusquen2002, de suivre les volutions conjoncturelles ou saisonnires.Les statistiques de lANPE (Agence nationale pour lemploi)offrent lavantage dtre connues chaque mois et dtre exhaus-tives. Elles prsentent linconvnient majeur de reflter autantles variations des conditions dactivit de ltablissement quecelles du chmage proprement dit (voir sur ces points lencadrsur la mesure du chmage ).

    Quelle que soit la qualit de linstrument, la validit de lamesure dpend galement de la dfinition opratoire que londonne du chmage. On peut en effet le caractriser par quel-ques critres logiques, comme ceux prsents plus haut, oubien dfinir des rgles pratiques pour tracer la frontire de lapopulation de chmeurs. Or en ce domaine, la marge dincer-titude est considrable et les choix invitablement arbitrairespour chacun des trois critres. Le risque saccrot lorsque lasituation du march du travail se dgrade : que signifie, parexemple, tre dpourvu dun emploi pour un travailleur qui,faute de mieux, doit accepter une succession de tches pr-caires discontinues de courte dure ; que signifie avoiraccompli des actes de recherche lorsque lembauche est prati-quement nulle dans un bassin demploi donn ?

    Le choix dune convention ne peut chapper totalement despressions politiques et moins encore aux conceptions implici-tement normatives du statisticien, qui a invitablement en tteune vision des vrais et des faux chmeurs. Il nous semble vaindesprer perfectionner les dfinitions et les instruments demesure pour parvenir une bonne mesure du chmage.Cette ambition repose en effet sur lhypothse que le partage dela population totale entre inactifs, occups et chmeurs constitueune partition, cest--dire que tout individu peut tre rang sansquivoque dans une seule des trois rubriques.

    Nous voudrions montrer, loppos, quune caractristiqueessentielle de la priode actuelle est lindtermination des fron-tires entre les trois sous-ensembles. Cela peut tre mis en vi-dence, soit par une approche statique qui montre lampleur deschevauchements entre ces catgories, soit par une approchedynamique qui illustre la complexit des flux qui les unissent.

    13

  • La mesure du chmage : les sources

    1. Donnes nationales

    Il existe en France deux sourcesprincipales de mesure du chmage.

    Lenqute sur lemploi

    Mthodologie. Lenqute estralise par lINSEE auprs dunchantillon reprsentatif de mnages ;lenquteur remplit un questionnairedtaill sur la base des dclarationsfaites par lun des membres du mnage.

    Priodicit. Depuis 1968, uneenqute est ralise chaque anne aumois de mars, lexception des anneso est fait le recensement de la popu-lation (1968, 1975, 1982, 1990, 1999),ce qui entrane un dcalage denvirondeux mois de lenqute Emploi .

    loccasion de chaque recense-ment de population puis de lintroduc-tion en 2003 de lenqute en continu,un renouvellement de lchantillon etcertaines modifications du question-naire ont t introduits ; ils rendentdlicats les raccordements entre lessries successives denqutes(1968-1974 ; 1975-1981 ; 1981-1989 ;1990-2002 ; 2003 et au-del).

    Concepts. De 1968 1981, lamesure de base est donne par la population disponible la recherchedun emploi (PDRE) : elle runit lesindividus ayant dclar tre sans tra-vail et rechercher un emploi .

    Depuis 1975, est calcule la popu-lation sans emploi la recherche dunemploi (PSERE) en conformit avecles rgles nonces par le Bureauinternational du travail ; la PSERE estdevenue la mesure principale depuis1982 ; si lon y ajoute les chmeurs

    ayant trouv un emploi qui commenceultrieurement, on obtient le nombredes chmeurs au sens du BIT .

    Difficults. Lenqute ne cou-vre quimparfaitement les popula-tions vivant en habitat collectif (foyersde jeunes ou de travailleurs immi-grs, logements de chantier dans lebtiment et les travaux publics) ; or ilsagit de catgories spcialementmenaces par le chmage.

    Jusquen 1992, lchantillon ne per-mettait pas de calculer des taux dechmage rgionaux significatifs.

    volution . Depuis 2003,lenqute est ralise en continu, cequi permet de suivre les variationsinfra-annuelles jusqualors non mesu-res [Givord, 2003a].

    Les fichiers de lANPE Mthodologie. Comptage, la

    fin de chaque mois, des demandeursdemploi inscrits lagence dont lademande na pas t satisfaite ouannule.

    Concepts. La mesure de baseest constitue par les demandesdemploi en fin de mois (DEFM) decatgorie 1 : personnes sans emploi,immdiatement disponibles, larecherche dun emploi dure indter-mine temps plein.

    Dautres catgories mesurent lesdemandes demploi temps partiel ou dure dtermine et celles qui ma-nent de personnes ayant des activitsrduites (non-chmeurs au sens duBIT).

    Difficults. Lobstacle centralrsulte de la sensibilit de cet indica-teur, dune part lgard des rgles

    14

  • juridiques qui dterminent linscrip-tion, la classification et la radiationdes demandeurs demploi, dautre parten fonction de lintrt quont les ch-meurs sinscrire lAgence (qualitdes prestations offertes, liaison aveclindemnisation, avec le maintien desdroits sociaux, etc.).

    De ce fait, si les DEFM sont utilespour tudier les volutions conjonctu-relles (seule source mensuelle disponi-ble), elles ne constituent plus longterme quun indicateur trs grossier.

    Correction des variations saison-nires. En plus des donnes brutes,sont publies des volutions du ch-mage corriges des variations saison-nires (CVS). Elles sont obtenues parun traitement statistique qui a pourobjet dliminer leffet des fluctuationslies des phnomnes saisonniers.

    Cest sur cette base que lINSEEactualise chaque mois le taux de ch-mage au sens du BIT partir delenqute sur lemploi.

    Pour plus de dtails : [CERC, 1997]et [Gonzalez-Demichel et Nauze-Fichet, 2003].

    2. Comparaisons internationales

    Nous disposons de deux sourcesdiffrentes.

    LOCDE publie pour les pays mem-bres des sries statistiques harmoni-ses partir des donnes nationales ;elle ne peut toutefois corriger que par-tiellement les diffrences de conceptset pas du tout les diffrences demthodes.

    LOffice statistique des Commu-nauts europennes (OSCE) fait rali-ser tous les deux ans depuis 1973 ettous les ans depuis 1983 une enqutepar sondage sur les forces de tra-vail selon une mthode harmonisedans les diffrents pays membres. Descomparaisons fiables sont donc possi-bles mais avec des dlais de publica-tion importants.

    Pour plus de dtails, voir la biblio-graphie, rfrences : [Givord, 2003b].

    2. Les chevauchements

    Sil est difficile de mesurer le chmage, cest principalementparce que des franges importantes de la population se trouventdans des positions intermdiaires entre lemploi, linactivit etle chmage. Identifier ces catgories et comprendre les fonc-tions quelles assurent dans le march du travail est plus utileque dignorer leur existence en fixant des frontires arbitraires.Trois types de situation mritent dtre mentionns en raisonde leur importance quantitative ; le schma suivant prcise leurpositionnement respectif. Les tableaux I et II fournissent desvaluations de certaines de ces catgories pour la France.

    15

  • LES CHEVAUCHEMENTS ENTRE EMPLOI,INACTIVIT ET CHMAGE

    Le travail temps rduit

    La notion demploi renvoie usuellement un poste de tra-vail occup rgulirement et plein temps, cest--dire pourune dure qui, dans un pays donn, pour une priode donne,est considre comme normale ou moyenne.

    Les situations concrtes demploi peuvent scarter de deuxmanires de ce statut de rfrence :

    lemploi est exerc plein temps mais de manire dis-continue ; tel est le cas du travail saisonnier ou du travail int-rimaire ;

    lemploi est exerc temps partiel, cest--dire selon unhoraire sensiblement infrieur lhoraire normal ou moyen.

    16

  • TABLEAU I. NOMBRE DE PERSONNES TOUCHES PARLES DIFFICULTS DE LEMPLOI. FRANCE 1ER TRIMESTRE 2003

    (En milliers)1. Chmeurs (au sens du BIT) 2 6852. Personnes classes comme inactives 554

    dont stages de formation (demandeurs demploi) 135 dispenses de rech. demploi 383 cessations anticipes dactivit 36

    3. Demandeurs demploi en activits rduites 1 014dont moins de 78 h par mois 458

    plus de 78 h par mois 5564. Temps partiel subi 1 234

    dont temps partiel involontaire 1 073 temps complet involontairement rduit 161

    5. Emplois prcaires 2 474dont intrimaires 428

    CDD non aids 1 577 contrats aids 469

    Note : Attention les chiffres de la dernire colonne ne peuvent sadditionner carcertaines catgories se recouvrent partiellement.

    Source : INSEE, Enqute Emploi et DARES.

    TABLEAU II. VOLUTION RESPECTIVE DE LA POPULATIONACTIVE, DE LEMPLOI ET DE LA POLITIQUE DE LEMPLOI

    ENTRE 1973 ET 2002(Effectifs en milliers)

    Stocks annuels moyensAnne 1973 Anne 2002

    VariationEffectifs % Effectifs %

    Population potentiellementactive 21 816 100 27 659 100 5 843

    Population active occupe 21 122 97 24 563 88,8 3 441dont emploi non aid 21 119 97 22 706 82,1 1 587dont emploi aid 2 0 1 857 6,7 1 855

    Chmage BIT 593 3 2 405 8,7 1 812Retraits dactivit 101 0 691 2,5 590

    dont formation professionnelle 57 0 210 0,8 153dont cessation anticipedactivit 44 0 481 1,7 437

    prretraite 44 0 108 0,4 64 DRE 0 0 373 1,3 373

    Note : DRE : Dispense de recherche demploi.Source : [DARES, 2003].

    17

  • Logiquement, il est important de dterminer si, du point devue du titulaire de lemploi, cette situation est considrecomme volontaire ou involontaire. Dans le premier cas, lindi-vidu se situe lintersection de lactivit et de linactivit ;dans le second cas, lintersection de lactivit et du ch-mage. Mais on doit sinterroger sur la pertinence dune telledistinction dans les nombreux cas o un travailleur opte pourle temps rduit faute dune autre possibilit plus satisfaisante :sa volont nest en ralit que son mode dadaptation auxcontraintes du march du travail ou encore, pour les femmes, des modles culturels dominants.

    titre dillustration, lenqute sur lemploi au 1er trimestre2003 indiquait que 27 % des salaris temps partiel (soit1,1 million) souhaitaient travailler davantage. On dnombrait, la mme date, 428 000 intrimaires et 1 577 000 titulairesde contrats dure dtermine. Ils constituent des populationspour lesquelles les interruptions demploi, avec passage par lechmage, sont frquentes.

    Une autre forme, certainement involontaire celle-l, de tra-vail temps rduit est constitue par le chmage partiel, cest--dire la rduction de la dure effective du travail pour desemplois normalement plein temps. Ce mcanisme est en prin-cipe utilis pour faire face des fluctuations temporaires duniveau dactivit ; dans les faits, il sert bien souvent viterou retarder les licenciements collectifs impliqus par unergression durable. Depuis 1975, le nombre annuel de journesindemnisables a fluctu avec un maximum de 17,4 millions en1981, qui correspondait un nombre annuel moyen des effec-tifs concerns de 320 000.

    Linactivit comme forme de chmage dguisComme nous lavons vu, la dfinition statistique du chmage

    requiert que le demandeur demploi non seulement effectue desactes de recherche demploi, mais soit disponible pour exer-cer un travail. Cet nonc restrictif fait disparatre des statis-tiques du chmage, pour les transfrer dans la population inac-tive, certaines catgories qui constituent cependant des rservespotentielles de force de travail. Seul le jeu de mcanismes

    18

  • institutionnels ou de contraintes conomiques les a conduites se retirer de la population active. Trois exemples illustrent lesformes principales de ce transfert.

    Plusieurs pays, et notamment la France, ont mis en placedes dispositifs de cessation anticipe dactivit pour des sala-ris proches de lge de la retraite. Il sagit, selon diffrentesmodalits juridiques, doffrir des salaris, aprs licencie-ment ou dmission volontaire, une indemnisation verse sous lacondition que le bnficiaire se retire de la population active.On peut discuter de lintrt et des cots de ce dispositif, tantpour la socit que pour les individus concerns ; ce qui doittre soulign ici, cest limpact statistique de ces procdures :elles conduisent ranger dans la population inactive, et nonparmi les chmeurs, des travailleurs qui, en labsence dunestimulation financire et, souvent, dune pression sociale forte,seraient rests dans la population active. Le nombre des bn-ficiaires des diffrents rgimes, aprs tre pass par un maxi-mum proche de 800 000 en 1983, a fortement rgress depuis,notamment du fait de leur cot financier jug excessif.Aujourdhui, cest le mcanisme des dispenses de recherchedemploi (voir ci-aprs) qui a pris le relais.

    Un deuxime exemple rsulte du dveloppement des acti-vits de formation professionnelle des demandeurs demploi.Il est hors de doute que linsuffisance ou linadaptation desqualifications, voire labsence de tout projet professionnel,constituent un handicap majeur pour les demandeurs demploi.La multiplication des dispositifs de formation, ds lors quil nesagit pas de formations-parking , constitue un lment posi-tif de la politique de lemploi. On ne peut cependant ignorer laconsquence mcanique de ces initiatives sur les statistiquesdu chmage : selon largument que la participation un cyclede formation rend indisponible pour un emploi immdiat, ledemandeur demploi rejoint provisoirement la population inac-tive. Or, sauf dtournement du dispositif, lindividu est en for-mation parce quil recherche un emploi et quil espre ainsiamliorer ses chances den trouver un. La formation fait par-tie de son itinraire de recherche demploi. Il est clair aussiquau terme de sa formation ce mme individu rintgrera lapopulation active. Son dclassement provisoire a donc un

    19

  • caractre largement fictif. Ainsi que lindique le tableau II,135 000 demandeurs demploi taient en formation en 2003.

    Troisime cas : les chmeurs dits dcourags . Il sagitde demandeurs demploi qui, la suite dune successiondchecs dans leurs dmarches auprs des employeurs, ontabandonn la recherche effective dun emploi. Pour cette rai-son, ils ne seront pas considrs comme chmeurs ; il en estainsi, par exemple, des chmeurs gs qui sont inscrits lANPE, mais sont dispenss de la recherche demploi .Cependant, leur comportement ne rsulte pas, le plus sou-vent, dune absence de volont de travail, mais de la situationdu march du travail. Ils constituent donc bien une force detravail disponible et inutilise, artificiellement incluse dans lapopulation inactive.

    Le travail clandestin

    La persistance dactivits chappant la rglementation et lenregistrement statistique est une caractristique commune tous les systmes sociaux. Il semble que, dans le cas des co-nomies de march industrialises, la crise ait favoris lessorde ce secteur dconomie souterraine, parallle, clandestine ou immerge . Il sagit dun domaine fort htrogne ; il inclutle travail domestique non rmunr, le volontariat, et dpassedonc la sphre de la population active stricto sensu ; il reposeprincipalement sur le travail clandestin, que nous dfinirons la suite de Raffaele de Grazia [1983] comme activit profes-sionnelle, unique ou secondaire, exerce en marge ou en dehorsdes obligations lgales, rglementaires ou conventionnelles, titre lucratif et de manire non occasionnelle . Dans ce cas,lappartenance la population active est indiscutable dun pointde vue logique. Quen est-il en pratique ? Le travailleur clan-destin est rang dans la population occupe si son travailclandestin il ajoute une autre activit dclare. Sinon, il estclass comme chmeur ou comme inactif selon la stratgie juri-dique quil choisit pour camoufler son activit clandestine.Toute institution et toute rglementation engendrent la fraude ;du point de vue de lanalyse du chmage, le problme est demesurer son importance. Les tentatives dvaluation disponi-

    20

  • bles sont la fois imprcises et divergentes ; pour la plupart despays industrialiss, les fourchettes situent le nombre de travail-leurs clandestins au voisinage de 10 % des effectifs de la popu-lation active. Sans accorder trop de valeur ce chiffre, il fautpour le moins noter quil introduit une nouvelle marge dincer-titude non ngligeable sur la mesure du chmage.

    Les controverses et les incertitudes sur la mesure du ch-mage ne renvoient donc pas principalement une imperfec-tion des instruments de mesure ou une volont politique detrucage. La difficult principale rside dans lampleur des cat-gories qui chappent un dcoupage clair de la populationentre emploi, chmage et inactivit. Lordre de grandeur de cetensemble de chevauchements est au moins quivalent celuidu chmage statistiquement repr.

    La gnralisation du salariat avait cr dans un premiertemps une coupure de plus en plus nette entre les trois sous-ensembles ; cette tendance culmine dans les annes soixante.Avant la crise dj, mais plus encore avec la crise, se dve-loppe un mouvement dlargissement des intersections. Cemouvement rsulte tout la fois des modes de gestion de laforce de travail par les firmes et des politiques publiques enmatire demploi. Le volume du chmage un moment donnne peut donc tre interprt isolment ; il ne prend son sensque si on le situe au sein des mcanismes qui dterminent lesformes et les degrs dutilisation ou de sous-utilisation descapacits de travail.

    3. Les interdpendances

    La dfinition usuelle du chmage conduit implicitement unsecond type de simplification qui fausse la comprhension duphnomne. Dire quil est constitu par lensemble des indi-vidus qui cherchent un emploi et nen trouvent pas, cest ouvrirla voie une conception du chmage comme cart rsiduel.Dun ct, il y aurait des besoins de main-duvre dfinis parchaque employeur en fonction du niveau de son activit et desconditions techniques de cette activit ; de lautre, il y aurait

    21

  • des ressources de main-duvre dtermines par les comporte-ments dactivit au sein de la population, cest--dire par desarbitrages entre travail rmunr et autres formes dactivit(travail non rmunr, participation la vie sociale, loisirs,etc.). Offre et demande seraient donc dtermines par deuxcatgories dagents conomiques diffrents obissant chacune des objectifs et des contraintes spcifiques. Le chmagersulterait de lcart entre nombre demplois crs par les unset nombre demplois recherchs par les autres. Il apparatraitcomme le solde de deux grandeurs indpendantes.

    Lanalyse moderne du fonctionnement du march du tra-vail montre quil nen est pas ainsi. Plutt quune dmonstra-tion thorique gnrale, limitons-nous pour linstant lexamende deux illustrations typiques des mcanismes dinteractionentre niveau de lemploi, du chmage et de linactivit.

    Le cycle de la productivit

    Comment est dtermin le niveau de lemploi dans les entre-prises ? Une premire rponse peut tre formule ainsi : courtterme, les techniques de production sont donnes et dtermi-nent un certain niveau de productivit du travail (productionpar travailleur) ; ds lors, le niveau de lemploi, compte tenude cette productivit, sera fonction du volume de productionde lentreprise. moyen terme, les techniques de productionvoluent et provoquent laccroissement de la productivit ;lemploi varie en fonction de lvolution respective des niveauxet des techniques de production.

    Cette rponse est insuffisante : lanalyse dtaille de lvo-lution de la productivit montre que celle-ci ne dpend pas seu-lement de la transformation moyen terme des techniques deproduction, mais quelle est aussi sensible court terme auxfluctuations conjoncturelles. En particulier, les phases de rces-sion du niveau de lactivit entranent gnralement une vo-lution dfavorable de la productivit ; au contraire, les phasesde reprise concident avec un bond en avant. Pour compren-dre ces observations, de nombreux auteurs, la suite dArthurOkun, ont propos une explication de la dtermination delemploi en deux tapes [Cohen-Skalli et Laskar, 1980] :

    22

  • dans un premier temps, le niveau de production prvupermet lentreprise de calculer, compte tenu de ses techniquesde production, quel serait le niveau demploi souhaitable ;

    dans un second temps, lentreprise, compte tenu duniveau actuel de ses effectifs, se rapproche du niveau souhait.

    Cet ajustement nest ni immdiat, ni total. Il dpend daborddun calcul de la firme : elle compare les cots qui rsultentpour elle dexcdents ou de pnuries dans ses effectifs ceuxqui rsulteraient de licenciements ou dembauches. Mais lavitesse de lajustement dpend aussi des conditions qui rgnentsur le march du travail : en priode de rcession, les salarislutteront contre les licenciements et retarderont les rductionsdeffectifs (do un effet ngatif sur la productivit du tra-vail) ; en phase de reprise, la firme ne rembauchera vraisem-blablement pas tout de suite, soit quelle ne soit pas certaine ducaractre durable de la reprise, soit quelle veuille profiter dela conjoncture pour liminer des sureffectifs antrieurementconstitus ou pour intensifier le travail (do un effet positif surla productivit du travail). Ainsi se dessine le cycle de la pro-ductivit.

    Les dcisions dembauche et de licenciement, de cration etde suppression demplois ne sont pas le simple rsultat duncalcul technique ; elles dpendent de la stratgie des firmes etdes syndicats et de leurs rapports de forces ainsi que de latti-tude de ltat. Ces variables, leur tour, sont troitement liesau niveau du chmage : celui-ci pse la fois sur la vigueurdes luttes de dfense de lemploi menes par les salaris et surla prudence de ltat et ventuellement des firmes face aux ris-ques de conflits sociaux. De plus, face des pousses conjonc-turelles de chmage, ltat subventionne la cration demplois aids (voir 3e partie, chap. 2) dont le volume, en principe,se rduit en cas de reprise conomique. De ce fait, le niveau delemploi effectif dpend, dans une certaine mesure, du niveaudu chmage. Le chmage nest pas un simple cart rsiduel.

    La flexion des taux dactivitLe mme type de conclusion simpose lorsquon examine

    les rapports entre chmage et inactivit en cas de variation de

    23

  • lemploi [Eymard-Duvernay et Salais, 1975]. Le point dedpart de lanalyse a t le suivant : les prvisions de main-duvre rsultaient traditionnellement de deux calculs spars :dune part, celui des ressources de main-duvre partir destaux dactivit, en fonction dhypothses sur les comporte-ments de la population ; dautre part, celui des besoins de main-duvre, en fonction de prvisions de production et de produc-tivit ; le chmage tait obtenu par diffrence. Or, cettemthode conduisait dimportantes erreurs de prvision,consquence typique dune conception rsiduelle du chmage.

    Rappelons que le taux dactivit dune population est le rap-port entre le nombre des actifs et leffectif total de cette popu-lation. Les taux dactivit ninfluent pas de manire unilatralesur le chmage, ils sont eux-mmes sensibles au niveau du ch-mage : la dcision dun jeune de sortir ou non du systme du-catif, dune mre de famille de chercher ou non reprendre unemploi, dun travailleur g dopter ou non pour une cessa-tion anticipe dactivit dpend dans une certaine mesure de lasituation du march du travail : plus fort est le volume du ch-mage ou des suppressions demplois, plus grande est la pres-sion pour un maintien ou un renvoi dans la population inac-tive ; linverse, plus le niveau du chmage est faible, ou plusfort le nombre des crations demplois, et plus grand est leffetdattraction vers le march du travail qui sexerce sur la popu-lation inactive.

    Ce premier constat quantitatif peut tre complt par uneanalyse plus fine de la composition des flux de cration oude suppression demplois et des catgories de main-duvrequi sont concernes. La diffrence dimpact entre la crationdemplois industriels et celle demplois tertiaires a t miseen vidence : les premiers, majoritairement occups par deshommes, provoquent une rduction du chmage masculin, lesseconds ont surtout un effet dattraction sur le march du tra-vail chez des femmes jusqualors inactives ; leffet sur le ch-mage est faible, parfois mme ngatif. leffet sectoriel seconjugue un effet spatial : le redploiement de lappareil indus-triel franais sest traduit par des destructions massivesdemplois dans des rgions de vieille tradition industrielle(nord et est de la France principalement) et par des crations

    24

  • demplois dans des rgions jusqualors dominante rurale(Ouest et Sud-Ouest principalement). Ce mouvement peutconduire la cration de chmage aux deux bouts : dun ct,les licenciements portent sur une main-duvre souvent ge,peu mobile gographiquement et professionnellement, doncdifficilement reclassable ; de lautre, les crations demploisengendrent un effet dappel sur la population fmininejusqualors inactive et un effet dacclration dans labandondes emplois ruraux traditionnels (agriculture, mais aussi artisa-nat et petit commerce). Au total, laccroissement des demandesdemploi lemporte souvent sur celui des offres.

    Nous parvenons donc la mme conclusion : le chmagenest pas un solde rsultant de la dtermination spare duniveau de lemploi et de celui de la population active. Emploi,chmage et inactivit sont lis entre eux par un rseau dinter-dpendances. Il faudra garder ce rsultat prsent lesprit pourinterprter correctement la suite de lanalyse qui ne portera quesur le chmage au sens strict du terme.

  • II / Volume et composition

    Le caractre durable et massif du chmage depuis 1973dans les conomies de march industrialises risque tort defaire considrer ce mouvement comme uniforme et homo-gne. En ralit, lvolution du chmage sest ralise selondes tapes de nature diffrente et a touch de manire in-gale les diffrentes catgories de population. Laugmentationdu nombre des chmeurs ne constitue que la manifestationdun phnomne complexe : lintensification et la transforma-tion des flux de passage par le march du travail.

    1. Les priodes

    Trois grandes phases depuis la guerre

    Lvolution du chmage en France depuis la fin de laSeconde Guerre mondiale a connu trois phases principales.

    La premire stend jusquen 1962. Elle est caractrisepar une quasi-stagnation de la population active et de lemploimesurs globalement. Le contexte est celui dune pnurie demain-duvre ; le chmage est faible et mal mesur ; il varieselon les fluctuations conjoncturelles de lactivit conomiqueautour de 200 000 personnes.

    Aprs les perturbations causes sur le march du travail en1962 et 1963 par la fin de la guerre dAlgrie (rapatris, rduc-

    26

  • tion du service militaire), souvre en 1964 une deuxime phasequi sachve avec lt 1974 : elle est marque par une crois-sance rapide tout la fois de la population active et delemploi. Toutefois, le rythme dvolution de la premire estlgrement plus lev que celui du second ; on enregistre dece fait une lente monte du chmage, dont le volume doubleapproximativement en lespace de dix ans. Ce phnomne estprincipalement li lampleur des mutations technologiques etsectorielles qui accompagnent la croissance conomique ; uneforte mobilit professionnelle, sectorielle et spatiale de la main-duvre est rendue ncessaire. Ladaptation ne se ralisequimparfaitement ; elle exige des dlais. Au chmage princi-palement conjoncturel de la premire phase sajoute un ch-mage frictionnel : lampleur des transformations de la structuredes emplois, linadquation entre offre et demande de travailentranent des passages plus frquents mais gnralement brefssur le march du travail. Le nombre des chmeurs augmentemais aussi les pnuries de main-duvre subies par les entre-prises.

    Au second semestre de 1974 souvre une troisime phase.Globalement, elle se caractrise par un accroissement massif duvolume et de la dure du chmage. En France, selon lEnqutesur lemploi, le chmage passe de 447 000 personnes en mars1974 (PDRE) un maximum de 2 567 000 en mars 1987 (ch-mage au sens du BIT). Aprs quatre annes de lgre diminu-tion, il reprend sa croissance pour atteindre 3 151 000 en mars1997 avant de reculer fortement (2,3 millions en mars 2001)mais la croissance reprend ds lt 2001. Comme le montre legraphique 1, lcart sest creus partir de 1973 entre dunepart la population active, dont la croissance se poursuivait, etdautre part lemploi qui a fluctu mais ne dpasse que de 16 %fin 2003 (24,6 millions) son niveau de 1974 (21,2 millions).

    lchelle de lOCDE, les disparits de taux de chmagesont importantes (voir le graphique 2). Rappelons que les dif-frences de mthodes statistiques rendent difficiles des compa-raisons internationales de niveau du chmage ; cest donclvolution des taux qui est significative. De ce point de vue, letaux de chmage moyen pour lensemble de lOCDE est passde 3,3 % en 1973 8,6 % en 1983 pour redescendre ensuite et

    27

  • GRAPHIQUE 1. EMPLOI, CHMAGEET POLITIQUE DEMPLOI(France 1973-2002)

    Source : DARES [2003], p. 30.

    GRAPHIQUE 2. VOLUTION DES TAUX DE CHMAGEDANS LA ZONE DE LOCDE

    (1973-2000)En % de la population active

    Lgende : E 15 = Union europenne.Source : OCDE.

    28

  • atteindre 6,1 % en 1990. Aprs une nouvelle pousse (8,0 % en1993), il est revenu 6,3 % en 2000 pour atteindre 7 % en 2003.

    Des inflexions cycliquesLes chiffres donns montrent que lon nobserve pas depuis

    1974 une priode de croissance continue, gnralise et indiff-rencie du chmage. Elle est compose de sous-priodes denature diffrente dont limpact sur le chmage doit tre pr-cis ; nous mettrons principalement laccent sur loppositionentre phases de rcession industrielle et phases de croissancelente. Elle conduit distinguer une composante permanente etune composante conjoncturelle dans la monte du chmage.

    La composante permanente nat de la distorsion entre lacroissance forte en France de la population active et la faibleprogression tendancielle de lemploi global. De ce fait, les cat-gories qui entrent sur le march du travail rencontrentdnormes difficults pour trouver un emploi ; il sagit princi-palement des jeunes sortant du systme scolaire et des femmesdont les taux dactivit ont poursuivi le mouvement ascendantquils avaient entam antrieurement. De plus, laccroissementdu chmage conduit les employeurs exercer une plus grandeslectivit lembauche : face des candidatures multiples, ilspeuvent lever le seuil de leurs exigences. Ds lors, les titu-laires de bas niveaux de formation ou de qualification serontvictimes de cette volution.

    La composante conjoncturelle est associe aux phases deralentissement ; les principales clatent en 1974, 1980, 1991 et2001. Elles sont marques par des taux de croissance du pro-duit intrieur brut proches de zro ou ngatifs. La chute de laproduction industrielle et lampleur des restructurations indus-trielles engendrent des suppressions massives demplois dansce secteur. La croissance du chmage est brutale ; elle rsulteprincipalement des pertes demploi subies par les travailleurs :licenciements, fins demplois prcaires. En raison de son ori-gine, le chmage touche principalement les emplois industrielset les hommes en sont plus fortement victimes ; il atteint toutesles catgories demplois industriels, y compris les travailleursqualifis.

    29

  • Dans les phases de croissance lente, la composante perma-nente est dominante ; le chmage volue de manire ingali-taire. Dans les phases de rcession industrielle, la compo-sante conjoncturelle se superpose la premire et son influencelemporte : le chmage crot rapidement, mais les ingalitsse rduisent car les restructurations industrielles frappent descatgories jusqualors relativement pargnes (hommes adultes,travailleurs qualifis).

    2. Les catgories

    Le chmage, phnomne ingalitaire

    Le poids du chmage dans les diffrentes catgories de lapopulation a toujours t ingal. Dans un premier temps, nouspartirons dune vision assez superficielle et descriptive de cesingalits telles quelles sont mesures par lingalit des tauxde chmage (tableau III).

    Lampleur des diffrences entre les taux est vidente : le taux de chmage des femmes est largement suprieur

    celui des hommes, quelle que soit la tranche dge ; le taux de chmage des jeunes est plus du double de celui

    des adultes, quel que soit le sexe ; le niveau du chmage despersonnes ges est difficile interprter dans la mesure oune partie importante est limine statistiquement par le jeudes cessations anticipes dactivit (prretraites, dispenses derecherche demploi) ;

    les taux de chmage refltent les hirarchies profession-nelles ; parmi les ouvriers, le taux de chmage des qualifis estde 7,7 %, celui des non-qualifis est de 17,9 %.

    Ces rsultats mettent en vidence la slectivit du march dutravail, reflet des politiques dembauche et de licenciement desemployeurs. Labondance de la main-duvre disponible per-met aux employeurs dtre exigeants en matire de recrute-ment ; en sont victimes les catgories marques par des handi-caps professionnels (manque dexprience ou de qualification)ou des strotypes culturels. Symtriquement, en cas de licen-

    30

  • TABLEAU III. TAUX DE CHMAGE(mars 2002)

    Par sexe et tranche dge Par groupessocioprofessionnels salaris

    Hommes Femmes15 24 ans 18,2 22,8 Cadres 3,825 49 ans 7,3 9,6 Professions intermdiaires 5,450 ans et plus 5,7 7,1 Employs 10,5Total 7,9 10,1 Ouvriers 11,4

    Source : INSEE, Enqute sur lemploi.

    ciement, les entreprises sefforcent, autant que possible, deconserver la fraction la plus qualifie de leur force de travail.

    Limpact des rcessions sur les ingalits

    Il semblerait naturel de supposer que chaque rcession creune tendance lapprofondissement des ingalits face au ch-mage : les catgories les plus faibles sur le march du travailseraient les victimes immdiates du renforcement de sa slec-tivit. Cependant lanalyse statistique rvle une situation pluscomplexe ; la sensibilit des taux de chmage relatifs auxconditions globales de lactivit conomique relve dune inter-prtation difficile.

    Si lon observe en effet les carts absolus entre les taux dechmage, laccroissement des disparits est important aussibien entre les hommes et les femmes quentre les jeunes et lesadultes. Comparons les situations extrmes : en 1973, le tauxde chmage des hommes adultes (25-49 ans) est de 1,0 %, celuides jeunes femmes (15-24 ans) est de 9,1 % ; au 1er trimestre2003, pour les mmes catgories, les taux sont respective-ment de 7,1 % et 18,2 % ; lcart absolu est pass de 8,1 11,1. Cependant, lcart relatif, cest--dire le rapport entre lesdeux taux, a diminu : le taux de chmage des jeunes femmesest neuf fois plus lev en 1973 et deux fois et demie pluslev en 2003. Le mme phnomne apparat si lon comparelensemble des hommes lensemble des femmes ou lensem-

    31

  • ble des adultes lensemble des jeunes. Au cours de la mmepriode, la position relative des personnes ges sest amliorepar rapport aux autres catgories.

    Ces rsultats trouvent une premire explication dans lana-lyse, prsente plus haut, des deux composantes de la crois-sance du chmage : la composante permanente a des effetsingalitaires, la composante conjoncturelle agit brutalement ensens inverse. Il faut de plus tenir compte de linfluence quontexerce sur le chmage (statistiquement mesur) les mesuresspcifiques prises lgard des actifs gs (cessations antici-pes dactivit) et lgard des jeunes (stages, emplois aids,etc.).

    Une illustration complmentaire de la complexit des inga-lits face au chmage est fournie par les comparaisons interna-tionales. Le tableau IV montre quil nexiste pas seulement uneingalit des taux de chmage nationaux moyens, mais aussides disparits propres chaque pays : en Allemagne, la dif-frence des quatre autres pays, le taux de chmage des jeunesest peine suprieur la moyenne nationale alors quen Ita-lie il en est le triple ; au Royaume-Uni, le taux de chmagedes femmes est infrieur celui des hommes alors quil est ledouble en Espagne. Pour interprter ces chiffres, il faut tenircompte de ce qui a t dit plus haut quant lhtrognit desformes demploi, de chmage et dinactivit ainsi quaux che-vauchements qui stablissent entre elles.

    TABLEAU IV. TAUX DE CHMAGE (2002)

    Ensemble Hommes Femmes Moinsde 25 ans

    Allemagne 8,8 8,7 8,3 9,7Espagne 11,3 8,0 16,4 22,2France 8,7 7,8 9,9 20,0Italie 9,0 7,0 12,2 27,2Royaume-Uni 5,1 5,6 4,5 12,1

    Source : Eurostat, Eurostatistiques.

    32

  • Les disparits de chmage par rgions, brancheset niveaux de formation

    Outre les disparits par sexe, tran-che dge et catgories profession-nelles, analyses dans ce chapitre, onobserve dautres modes dingalitdevant le chmage.

    1. Disparits spatiales

    Le chmage est ingalement rpartisur le territoire. Plusieurs facteurscontribuent expliquer ces dispa-rits : lvolution du niveau, de lacomposition de lemploi et de la popu-lation active dans chaque zone, ladirection et lampleur des mouve-ments de mobilit gographique de lapopulation, le degr de dynamismedes marchs du travail locaux(ampleur des flux dentre en ch-mage et de sortie du chmage lis audegr de prcarit ou de stabilit desemplois).

    En 1974, les taux de chmagergionaux vont de 1,4 4,5 % ; en2002, lventail sest dplac vers lehaut, allant de 6,7 13,7 %. Ce mou-vement global a t accompagndune modification de la position rela-tive des diffrentes rgions. Lesrgions dindustrialisation ancienneont t les plus touches tandis que lesrgions peu industrialises, qui avaientles taux de chmage les plus levsavant la crise, ont subi un accroisse-ment moindre.

    Fin 2002, les dpartements qui ontles plus forts taux de chmage (sup-rieurs 11 %) constituent pour

    lessentiel deux zones : un trianglenord qui va des Ardennes la Seine-Maritime et la faade mditerra-nenne, des Pyrnes-Orientales auVar.

    (Source : INSEE premire, n 888,mars 2003.)

    2. Disparits sectorielles

    Il nest pas possible de calculer untaux de chmage par branchepuisquune partie des chmeurs pro-vient de linactivit. Seuls peuventtre affects une branche les ch-meurs qui ont perdu ou quitt leuremploi. On peut calculer un rapportpar branche entre les chmeurs quiproviennent de cette branche et leseffectifs totaux de la branche. Letableau ci-aprs donne la valeur de ceratio en mars 2002.

    Plusieurs facteurs expliquent cesdisparits :

    lvolution du niveau delemploi dans la branche (autresindustries) ;

    limportance des emplois pr-caires (commerce) ;

    limportance de lemploi nonsalari (agriculture) ; un revenumdiocre y est prfrable au chmagetotal ;

    limportance des catgoriessalaries bnficiant de garanties sta-tuaires demploi (nergie).

    33

  • RATIOCHMEURS PROVENANT DE LA BRANCHE

    EFFECTIF TOTAL DE LA BRANCHE(mars 2002) en %

    Agriculture, sylviculture, pche 6,5Industrie de lnergie 5,4Autres industries 11,2Construction 11,0Commerce et rparation 9,1ducation, sant, action sociale 5,6Autres tertiaires 7,6Total 8,2

    Source : Enqute sur lemploi , 2002.

    3. Disparits selon le niveaude formation

    Le taux de chmage est fortementli au niveau de diplme comme le

    montre le tableau ci-aprs. Ce constatnimplique pas que les diplms trou-vent des emplois correspondant leurniveau de formation.

    TAUX DE CHMAGE SELON LE DIPLME(mars 2003) en %

    Sans diplme ou CEP 15,1BEPC, CAP, BEP 9,4Baccalaurat 8,5Bac + 2 6,2Diplme suprieur 7,3

    Source : Enqute sur lemploi , 2003.

    Ainsi lanalyse de lvolution du volume et de la composi-tion du chmage conduit-elle une apprciation relativementcomplexe :

    dune part, les rcessions successives, gnralises lchelle internationale, ont engendr des pousses de ch-mage qui ont frapp lensemble de la population active, maisles capacits nationales de rsorber le chmage dans les phasesde reprise ont t trs ingales (graphique 2) ;

    dautre part, confrontes la monte du chmage, lesdiffrentes catgories de la population se sont trouves en posi-tions diffrentes ; les spcificits nationales, culturelles, socio-

    34

  • logiques ou institutionnelles ont t lorigine de mcanismesnationaux particuliers de slectivit du march du travail ; face un chmage gnralis, lingalit est la rgle mais ses vic-times changent, dans le temps comme dans lespace.

    Cest dire quil ne peut tre rendu compte du phnomne parla seule mesure statistique, si raffine soit-elle, du chmage oudes chmages. Derrire le chmage, il y a des chmeurs.

  • III / Statuts et destins

    Le chmage se mesure en stocks et en flux ; la situation deschmeurs ne peut se rduire ce chiffrage. Le risque de tom-ber en chmage et les chances den sortir sont ingaux selonles catgories qui composent la population active ; causesdentre, dure et rptitivit dterminent des situations forte-ment diffrencies parmi les chmeurs. Il est possible de lesregrouper en sous-populations relativement homognes etdesquisser ainsi une typologie des chmages : rptitif, deconversion, dexclusion. Dans la majorit des cas, cette exp-rience engendre un traumatisme profond chez ceux qui lasubissent : branlement psychologique, dgradation des rap-ports lenvironnement. Mme provisoire, le chmage laisseune empreinte irrversible dans la destine des chmeurs 1.

    1. Vulnrabilit au chmage et employabilit des chmeurs

    Lanalyse prcdente a permis de chiffrer le volume et lacomposition du chmage. Mais elle contient peu dinforma-tions sur la situation des diffrentes catgories de la popula-tion face au risque de chmage et sur limpact des priodes dechmage dans le droulement de la vie active des individus.

    1. Sur lensemble du chapitre III, voir Demazire, 1995 et 2003 ; Linhart et alii,2002.

    36

  • Lapproche statistique de cette question supposerait que lonpuisse suivre, ou reconstituer, sur de longues priodes, la bio-graphie dchantillons reprsentatifs de la population. Nous nedisposons que dinformations partielles sur ce point ; il fautdonc dans un premier temps confronter les informations quiconcernent les conditions dentre au chmage et de sortie duchmage ; il sera possible ensuite desquisser une typologie deschmeurs.

    Conditions dentre en chmage

    La vulnrabilit au chmage se dfinit comme la probabi-lit dentre en chmage, pendant une priode donne, au seindune population donne. Elle sanalyse principalement partirdes causes dentre que lon peut regrouper en trois catgo-ries principales (cf. tableau V). Passons rapidement sur lesdmissions ; elles rsultent thoriquement dune libre dcisiondu salari la recherche dun meilleur emploi (sans oublier les dmissions provoques par une pression de lemployeur ouune prime au dpart volontaire ). La dgradation du marchdu travail a provoqu une rduction brutale de cette rubrique.

    Viennent ensuite les entres en chmage en provenance de lapopulation inactive ; elles concernent principalement les jeunes(sorties du systme scolaire) et les femmes adultes (reprisesdactivit). La premire modalit a subi durant la dcennie1980 une rgression du fait du dveloppement de mesuresdinsertion offertes aux jeunes quittant le systme scolaire. Laseconde modalit est en forte rgression pour les femmes ; cenest pas la consquence dune diminution des taux dactivitfminins mais bien au contraire de leur croissance : les femmesse retirant de moins en moins du march du travail loccasionde mariages ou de naissances, il en rsulte mcaniquement unerduction des reprises dactivit.

    Lentre en chmage peut enfin rsulter dune dcision delemployeur. La forme classique en est le licenciement. Levolume des licenciements est sensible aux fluctuations delactivit conomique et spcialement de lactivit indus-trielle ; de ce fait, les licenciements toucheront plus fortementles hommes. La rduction du poids relatif des licenciements

    37

  • TABLEAU V. LES CAUSES DENTRE EN CHMAGE(En %, respectivement pour les hommes et pour les femmes)

    Situationantrieure

    Origine de la dcision Cause Sexe 1975 1981 1982 1989 1990 2002

    Licenciement H 50,4 50,5 42,4 41,0 38,2 28,1F 27,9 30,2 26,1 28,7 27,2 22,9

    Actifs Employeur Fin demploi prcaire 1 H 4,8 14,3 22,0 29,3 34,1 43,8occups F 7,8 17,3 21,9 26,8 32,2 39,4

    Dmission H 16,9 12,4 7,8 6,4 7,0 6,5Individu F 18,5 14,0 11,0 6,5 10,3 8,3

    Inactifs en Fin dtudes (ou de ser- H 15,8 15,5 16,7 10,2 10,0 9,8chmage vice national) F 16,0 16,9 17,8 8,9 7,4 8,0

    Avait cess toute acti- H 6,0 5,0 5,2 3,9 4,7 4,1vit ou navait jamaistravaill

    F 26,9 19,9 19,5 19,1 17,2 15,1

    Autres circonstances H 6,0 2,4 6,0 9,2 6,0 7,7F 2,9 1,6 3,7 10,0 5,7 6,4

    100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100

    1. De 1978 1981 : fin demploi occasionnel ; depuis 1982, ont t ajoutes : fin de mission dintrim et fin de contrat dure dter-mine . La catgorie slargit donc dentres en chmage jusqualors souvent classes en licenciements ou dmissions ; depuis 1990, ontt ajoutes les fins de stage . Pour ces rubriques, on ne peut donc comparer les volutions quau sein des sous-priodes 1975-1981, 1982-1989et 1990-2002. Lanne 2003 ouvre une nouvelle srie avec lenqute emploi en continu.

    Source : INSEE, Enqute sur lemploi .

    38

  • sexplique par de nouveaux modes de gestion de la force de tra-vail par les firmes : le recours croissant aux emplois pr-caires. Ces formes demploi psent principalement sur lesfemmes et sur les jeunes, leur croissance est spectaculaire ;llargissement de la dfinition en 1982 puis en 1990 rend lesdonnes non comparables, mais montre, grce une mesureplus complte, limportance qua prise ce mcanisme.

    Globalement, lvolution des causes dentre en chmage estdonc caractrise par le poids croissant des dcisions prises parles employeurs et par le recul des facteurs qui traduisent lescomportements dactivit de la population.

    Sortir du chmage

    Lemployabilit se dfinit comme la probabilit, au seindune population de chmeurs, de trouver un emploi pendantune priode donne.

    Lemployabilit est principalement fonction de lanciennetdans le chmage : la probabilit de retrouver un emploi dimi-nue rapidement lorsque la dure de chmage sallonge ; les rai-sons tiennent dabord au comportement des demandeursdemploi (dcouragement progressif), ensuite la dgradationdes aptitudes professionnelles et, ventuellement, des atti-tudes lgard du travail en labsence demploi, enfin et sur-tout aux politiques de recrutement des employeurs qui tendent interprter la dure de chmage comme indicateur ngatif desaptitudes du travailleur. Lemployabilit diminue avec lge duchmeur pour des raisons qui tiennent la fois ladaptabi-lit des demandeurs demploi et aux critres de slection desemployeurs. En revanche, il est difficile dtablir une relationsimple entre employabilit et qualification professionnelle ;nous reviendrons sur ce point propos de la typologie des ch-meurs).

    Les recherches ont surtout mis en vidence la relation entrelemployabilit et le pass professionnel des demandeursdemploi, y compris les causes de leur entre en chmage. Lestitulaires demplois prcaires sont la fois ceux qui tombent leplus souvent en chmage et ceux qui retrouvent le plus rapi-dement un emploi, mais cet emploi est souvent un emploi pr-

    39

  • caire. loppos, ceux qui ont perdu un emploi durable prou-vent plus de difficults pour sortir du chmage mais, lorsquilsy parviennent, ont plus de chance dobtenir une rinsertion pro-fessionnelle stable. Pour reprendre la formulation de CarlaSaglietti [1983], la mobilit est gage demployabilit maislinstabilit a un effet rcurrent .

    Cette observation met en vidence le danger quil y aurait examiner sparment les causes dentre en chmage et lesconditions de sortie du chmage. Le march du travail fonc-tionne comme une pompe aspirante-refoulante [Salais, 1980].Au cours de chaque priode, il est aliment par diffrentessources : dune part, le stock des demandes demploi non satis-faites au terme de la priode prcdente, dautre part, le fluxdes entres sur le march du travail pendant la priode (fin ducontrat de travail linitiative de lemployeur ou linitiativedu salari, entre en activit ou reprise dactivit). Au coursde la mme priode, le march du travail propose un certainvolume de possibilits demploi : offres non satisfaites auterme de la priode prcdente, crations demplois nouveaux,remplacements dans des emplois devenus vacants. La rencontreentre ces offres et ces demandes ne rsulte pas dun processusalatoire ; elle est commande par les politiques de recrutementdes employeurs, plus ou moins inflchies par les orientations dela politique de lemploi.

    Une tude portant sur la priode 1970-1996 [LHorty, 1997]illustre le phnomne croissant de lenlisement dans le ch-mage. Avant 1975, prs de trois personnes sur quatre quitaient au chmage une anne, au moment de lenqute surlemploi, ne ltaient plus lanne suivante ; depuis 1985, cepourcentage fluctue autour de 45 %. linverse, plus de 90 %des titulaires dun emploi le sont toujours lanne suivante etce pourcentage na que faiblement diminu depuis 1970.Aujourdhui, le risque dentre en chmage est sensiblementplus faible en France quaux tats-Unis, au Royaume-Uni et enAllemagne mais la probabilit den sortir est beaucoup plus fai-ble (OCDE, Perspectives de lemploi, 1995).

    40

  • Typologie des chmeurs

    Dans un contexte de chmage massif, la slectivit du mar-ch du travail augmente ; elle tend scinder la population deschmeurs en sous-groupes dont lemployabilit est largementdtermine par leur pass professionnel. Si lon tente de dpas-ser une approche morcele des diffrents facteurs de diffren-ciation face aux risques de chmage et aux chances demploi,on peut dgager un petit nombre de situations typiques dans lapopulation des chmeurs. Trois dynamiques tendent devenirprdominantes ; nous les qualifierons respectivement de ch-mage rptitif, chmage de conversion, chmage dexclusion.

    Le chmage rptitif touche des personnes qui ont connude multiples passages par le march du travail. On y trouveprincipalement des jeunes rcemment sortis du systme sco-laire et des femmes qui cherchent, aprs une interruption lon-gue, reprendre une activit professionnelle. Cette catgoriese caractrise par un pourcentage lev de travailleurs peu qua-lifis et danciens titulaires demplois prcaires. Leur niveaude salaire mdiocre et leur instabilit dans lemploi dterminentdes taux faibles ou nuls dindemnisation du chmage. Pourtoutes ces raisons, ils devront se montrer peu exigeants et, parl mme, auront des dures de chmage relativement brvesmais des rinsertions nouveau prcaires. Do une succes-sion rapide demplois occasionnels et de priodes de chmagecourtes, parfois entrecoupes de priodes de formation ou destages en entreprise gnralement peu qualifiants.

    Le chmage de conversion frappe principalement des travail-leurs qui, jusqualors titulaires dun emploi stable, sont vic-times dun licenciement conomique. On trouve dans cettecatgorie un pourcentage relativement lev dhommes (leslicenciements conomiques proviennent principalement delindustrie et du BTP), de travailleurs qualifis et de travailleursde tranches dge moyennes (de 25 50 ans). Leur anciennetdans lemploi, leurs conditions de licenciement et leur niveaude salaire antrieur leur garantissent, au moins initialement, uneindemnisation relativement favorable. Pour toutes ces raisons,ils cherchent dabord un emploi correspondant leur niveaude qualification et leur objectif de stabilit. Leur dure de

    41

  • chmage est donc plus longue mais ce sont eux qui ont la plusforte probabilit de parvenir une rinsertion satisfaisante.Celle-ci sera parfois assure par une formation qualifiante dereconversion professionnelle. En cas dchec, ils rejoindront lepremier ou le troisime groupe.

    La comparaison de la premire et de la deuxime catgoriede chmeurs conduit mettre en question le choix de la duredu chmage comme seul indicateur de la gravit de la situationde chmage. Si lon compare, pour une priode suffisammentlongue, la dure cumule des priodes de chmage, on constatealors des dures totales de chmage beaucoup moins ingale-ment distribues que les dures de chaque passage par le ch-mage : les passages courts sont plus souvent rptitifs que lespassages longs. Or chaque passage par le chmage constitue unrisque de dqualification ou, plus largement, de dgradationdu statut professionnel. Il nest donc pas possible daccepterla thse courante selon laquelle le chmage naurait un cotsocial quau-del dune certaine dure tandis que le chmagede courte dure ne serait que la manifestation de lexistencedun march du travail actif dans une conomie en mutationpermanente.

    Le chmage dexclusion constitue une troisime catgoriedont le dveloppement reprsente lune des consquences lesplus inacceptables de la crise conomique (voir tableau VI). Ilsagit de travailleurs qui se prsentent sur le march du travailavec des handicaps tels que leur probabilit dinsertion est trsfaible dans un contexte de slectivit accrue. Sauf sils bnfi-cient de mesures spcifiques, ils semblent condamns un ch-mage de trs longue dure qui engendre la dgradation des apti-tudes au travail, le dcouragement et finalement labandon dela recherche demploi. Paralllement, leurs droits lindemni-sation samenuisent ou disparaissent. La principale composantede cette population est fournie par les travailleurs dits gs ,catgorie dont la frontire slargit avec lavancement de lgede la retraite et les dispositifs de cessation anticipe dactivit.La crise a provoqu lextension du chmage de longue dure des catgories nouvelles. Il touche des jeunes dont le niveaude formation ou les attitudes lgard du travail excluentlinsertion professionnelle stable. Sils refusent le cycle

    42

  • emplois prcaires-chmage rptitif ou sils ny ont pasaccs, ils entrent dans une dynamique de marginalisationcumulative. Tel est le cas aussi, de plus en plus, de travailleursadultes victimes de restructurations industrielles dans des bas-sins demploi noffrant aucune perspective de reconversion.

    Cette dcomposition entre chmage rptitif, chmage deconversion et chmage dexclusion nest ni exhaustive, nirigoureuse. Il existe des chevauchements et des passages entreces trois catgories ; certaines situations ne sont pas rductibles lune dentre elles. Cependant, une telle typologie est utiledans la mesure o elle identifie les formes dominantes dexten-sion du chmage dans la priode contemporaine.

    TABLEAU VI. PROPORTION DE PERSONNES EN CHMAGEDEPUIS 1 AN OU PLUS 1

    Tranche dge Sexe 1975 2001

    15-24 ans HF8,8

    12,913,4

    17,8

    25-49 ans HF11,3

    20,329,7

    32,3

    50 ans et plus HF29,7

    37,153,1

    53,9

    Ensemble 16,9 31,7

    1. En pourcentage du chmage total.Source : INSEE, Enqute sur lemploi .

    2. Le traumatisme du chmage

    Mesurs statistiquement, le risque de tomber au chmage etla probabilit den sortir, la dure et la rptitivit des priodesde chmage donnent une image plus prcise que les taux dechmage de ce que sont les caractristiques et les cots de cephnomne pour ceux qui en sont les victimes. Elles consti-tuent cependant une information pauvre si lon veut rendrecompte de ce que signifie lpreuve du chmage pour un

    43

  • travailleur. Pour aller plus loin, il faut quitter le monde deschiffres et sappuyer sur les enqutes sociologiques. Celles-ciprsentent toutefois des difficults majeures : menes sur deschantillons, selon des problmatiques et des mthodologiesspcifiques, elles fournissent des rsultats non comparables ;remplies de faits, de rcits, dexpriences, souvent de dnon-ciations, elles chappent au rsum, plus encore la synthse.

    Depuis le travail de pionniers men en 1931 en Autricheauprs des chmeurs de la ville de Marienthal [Lazarsfeldet al., 1981], nous disposons dune riche documentationdenqutes de terrains, de sondages, de tmoignages ou de rap-ports (pour une prsentation densemble, voir [Demazire,1995]). Nous relverons quelques enseignements majeurs, etparfois contradictoires, de cette masse de travaux.

    Le faux chmeur : un cas rareMentionnons dabord, puisque cest un argument souvent

    utilis, les cas dans lesquels le chmage ne constitue pas undrame individuel. Il sagit, en premier lieu, des faux ch-meurs , ceux qui adoptent ce statut parce quil leur permet deprofiter, plus ou moins frauduleusement, dun rgime de pro-tection sociale. On y rencontre aussi bien des personnes quine souhaitent pas travailler, qui devraient donc tre consid-res comme inactives, que des personnes qui travaillent volon-tairement au noir . Le problme pos est celui du contrle.Indiquons seulement que, sauf mettre en place un redouta-ble systme de surveillance de la vie prive ou de dnoncia-tions individuelles, il nexiste quune seule procdure efficacedlimination des faux chmeurs : leur proposer des emploiscorrespondant leur situation professionnelle et constater leurrefus de les accepter. De ce point de vue, cest linsuffisancedes offres demploi qui rend possible lexistence durable desfaux chmeurs : le vrai chmage, lorsquil est massif, rend dif-ficile le dpistage de la fraude.

    En second lieu, il est avr que certaines catgories de ch-meurs apprcient positivement leur situation. Ces situationsexistent ; elles ne concernent, toutes les enqutes le montrent,quune faible fraction de la population en chmage. En effet, le

    44

  • temps de chmage ne peut tre peru comme temps de libra-tion que sil est de courte dure, sil est correctement indem-nis et sil saccompagne dune forte probabilit de retrouverun emploi lorsquon le souhaite. De telles conditions sont deplus en plus rarement runies.

    Pour lcrasante majorit : un traumatismeIl faut donc mettre laccent sur la situation du plus grand

    nombre, celle o le chmage est vcu comme un traumatismeprofond touchant lensemble des aspects de la vie individuelle,familiale et sociale.

    Le chmage est dabord la perte dun statut. Nous vivonsdans des socits o lexercice dun travail rmunr consti-tue la forme principale de reconnaissance dune utilit et mmedune existence sociale. Le travail saccompagne dun pro-cessus dappropriation psychologique des moyens de travail etdu lieu de travail ; le licenciement est peru comme une exclu-sion arbitraire dun processus productif dont le travailleur aassur le dveloppement. Alors que toute lidologie, y comprispatronale, met laccent sur le rle dterminant des travailleursdans lefficacit de lactivit conomique, ceux-ci prennentbrutalement conscience de leur situation de totale dpen-dance : ils peuvent tre rejets sans que la qualit de leur travailsoit mise en cause et sans que leur contribution la prospritpasse de lentreprise soit prise en considration. Le chmageest donc vcu comme processus de dvalorisation ; le choc seradautant plus rude que linvestissement dans le travail tait plusgrand et lanciennet dans lentreprise plus leve.

    Le travail salari est aussi la base de la structuration dutemps, aussi bien du temps de travail que du temps hors tra-vail. Le chmage nest pas vcu comme temps libre maiscomme temps vide ; lexprience du dsuvrement est gnra-trice dennui, dangoisse et de culpabilisation ; elle provoqueune incapacit profiter du temps disponible et, notamment, dvelopper des activits de substitution. La dgradation desaptitudes et des comportements est tout la fois perue commemenace et subie comme irrversible.

    La rpercussion ngative sur les rapports familiaux est

    45

  • immdiate. Certes, il ne faut pas systmatiser lexcs :lpreuve du chmage peut tre loccasion dun renforcementdes solidarits et dune intensification des relations au sein dugroupe familial. Tmoignages et enqutes montrent que cestlexception. Sil touche lhomme chef de famille , le ch-mage met en cause, surtout si la femme a un emploi, les st-rotypes dfinissant les rles dans le mnage ; il dclenche descomportements rgressifs et conflictuels aggravs par les sen-timents dangoisse et de culpabilisation signals plus haut. Siltouche la femme, il la soumet frquemment une pression delenvironnement en faveur dun retour au statut de femme aufoyer contre laquelle elle doit se battre. Le comportement desenfants est affect par la rupture de lquilibre familial et parle climat dinscurit qui en rsulte.

    Au-del du cercle familial, lensemble des relations socialesest perturb par le chmage. Dabord, parce que beaucoup deces relations staient construites partir du travail et quellesvont stioler rapidement, sauf lorsque des luttes sociales pro-longes et lexprience de la solidarit compensent le processusdexclusion ; ces situations sont malheureusement peu nom-breuses et rsistent souvent mal la dure. Conscients de leurdvalorisation, de la suspicion qui, plus ou moins ouverte-ment, les entoure, les chmeurs auront tendance romprevolontairement les relations sociales qui risquent dtre mar-ques par lindiffrence, la commisration, le mpris ou lacrainte dune demande daide. La rupture sobserve non seule-ment dans les rapports interindividuels mais plus encore danstoutes les formes de participation la vie sociale, quil sagissedu militantisme politique ou syndical ou de la participation lavie associative. L encore, il serait faux de systmatiser, maislextrme difficult laquelle se heurte lorganisation des ch-meurs, dans ou hors les organisations syndicales, constitue unedmonstration significative.

    Nous navons pas insist, tant le fait est vident, sur les dif-ficults financires auxquelles se heurtent les chmeurs[Daniel, Tuchszirer, 1999]. Lallongement des dures de ch-mage et les restrictions apportes aux rgimes dindemnisationfont se multiplier des situations qui dbouchent sur lextrmepauvret. En mars 2001, sur 16,2 millions de mnages compor-

    46

  • tant au moins un actif, 2,1 millions, soit 13 %, comptent aumoins un chmeur. Daprs lenqute Revenus fiscaux de1997, la probabilit dtre pauvre pour un mnage concern parle chmage est 3,5 fois plus importante que pour un mnagenon concern par le chmage (et dont la personne de rfrenceest en ge de travailler). Les rpercussions sur la sant sont toutaussi videntes ; elles rsultent moins de leffet direct dunedgradation des conditions matrielles dexistence que de larupture dun quilibre psychique dont la traduction physiolo-gique est multiforme (dgradation de la sant mentale, affai-blissement des rsistances aux agressions, perte de sommeil,tabagisme et alcoolisme, etc.).

    Ce bref panorama est schmatique. Les enqutes montrentlextrme disparit des situations concrtes. Elles permettentaussi didentifier des facteurs de diffrenciation. Le principalest vraisemblablement lhritage professionnel et culturel delindividu ; il commande la capacit et le mode de rponse autraumatisme initial, la nature des dfenses et des projets alter-natifs qui sont labors. De ce point de vue, le chmage estamplificateur des ingalits : le chmeur rsiste dautantmieux, en rgle gnrale, quil a un niveau de formation etde qualification plus lev, quil dispose dun tissu de rela-tions familiales et sociales dense, quil peut mettre en uvredes mcanismes de solidarit. Mais linverse, le traumatismesera dautant plus fort que la situation antrieure tait jugestable ; des jeunes la recherche dune insertion profession-nelle seront moins marqus, tout au moins initialement, quedes adultes ayant derrire eux une longue vie professionnelle.Enfin, le degr de conscience et de militantisme social modlela capacit danalyse et daction : le clivage est profond entreceux qui valuent le chmage comme le produit dun checpersonnel ou dune fatalit aveugle (attitudes de culpabilisationou de passivit sans espoir) et ceux qui y voient lexpression dela logique dun systme conomique et qui poursuivent la luttepour le transformer.

    Il ne faut toutefois pas survaluer ces diffrences. Tous sontfrapps par les processus psychologiques et sociaux que nousavons dcrits. Lorsque la dure de chmage se prolonge, ou

    47

  • Combien touche un chmeur

    Il est difficile de rpondre cettequestion simple : il existe diffrentstypes dallocations ; les taux dindem-nisation varient selon la situationavant lentre en chmage et selon ladure du chmage, parfois selon lgedu chmeur ou sa situation defamille ; les dures dindemnisationsont tantt rigides, tantt soumises des dcisions non automatiques deprolongation ; enfin les rglesdindemnisation sont frquemmentmodifies avec certaines possibilitsde conservation des droits acquis. une date donne, les chmeursindemniss se ventilent donc dans demultiples catgories.

    Pour viter larbitraire, on peutadopter deux types de mthodes.

    La mthode des moyennessappuie sur le calcul du taux moyendindemnisation, rapport entre le mon-tant global des indemnits et le nom-bre total de personnes indemnises.Ce taux moyen dindemnisation deschmeurs peut tre compar au salairemoyen pour dterminer ce que lonappelle le taux de compensationmoyen de la perte salariale.

    La mthode des cas types tudie lasituation de chmeurs dont on dfinita priori les caractristiques person-

    nelles. Elle permet dillustrer concr-tement toute une gamme de situa-tions possibles face au chmage. Ellea linconvnient de ne pas permettrede mesurer la reprsentativit des castudis.

    Voici titre dexemple, quelquessituations typiques au dbut de 2004 :

    un chmeur de moins de 50 ansayant cotis au moins quatorze moispendant les vingt-quatre mois prc-dant la perte de son emploi et qui avaitun salaire de 3 000 i touche pendantvingt-trois mois 57,4 % de son anciensalaire, soit environ 1 722 i ;

    un chmeur faible salaireantrieur pour un emploi plein tempsperoit une allocation minimale de24,76 i par jour, soit environ 745 ipar mois ;

    un chmeur qui a travaill sixmois au cours des vingt-deux derniersmois nest indemnis que pendant septmois (aux mmes taux) ;

    un chmeur de longue dure quia puis ses droits lassurance tou-che, sous condition dun plafond deressources, 412,8 i par mois, mon-tant proche du RMI pour une personneseule (417,88 i).

    Les disparits sont donc considra-bles tant pour le niveau que pour ladure de lindemnisation.

    lorsque les passages par le chmage se multiplient, les capa-cits, subjectives et objectives, de rsistance se dgradent. Lesprocessus irrversibles qui en rsultent ne peuvent tre inter-rompus que par une rinsertion professionnelle stable ; mais ilslaisseront leur empreinte.

  • DEUXIME PARTIELAFFRONTEMENT DES THORIES

    La monte du chmage depuis 1973 a provoqu un renou-veau des controverses thoriques consacres aux causes duchmage. La tentation en ce domaine est toujours de rechercherdes explications simples et en particulier de mettre laccent surdes dterminismes prsents comme exognes ou extra-cono-miques. Sont voqus alors les rpercussions du baby-boom daprs-guerre, lentre des femmes sur le march du travail,la prsence des travailleurs immigrs, laccroissement des exigences des demandeurs demploi lies lamliorationde leur indemnisation ou encore le progrs technique, laconcurrence du tiers monde, etc. Dans le premier chapitre, nousexaminerons ces visions rductrices ; il sagit moins de nierlexistence des phnomnes sur lesquels elles sappuient quede montrer quelles ne fournissent aucune explication vritablede la croissance du chmage. Chacune de ces tentatives ren-voie finalement une question fondamentale : quelles muta-tions intervenues dans le systme productif ont provoqu audbut des annes soixante-dix une rupture dans les mcanismesqui assuraient jusqualors un relatif quilibre entre ressourceset besoins de main-duvre ? Certes le chmage existait avant1973 dans les conomies capitalistes industrialises ; ilconnaissait mme dans certains pays, notamment aux tats-Unis, des pointes importantes. Mais la politique conomique

    49

  • permettait de rsorber ces pointes et empchait lexistence dunchmage massif et durable. Llment nouveau, dveloppdans la premire partie de cet ouvrage, cest lapparition dunetelle tendance durable en Europe occidentale [IRES, 2000] ;elle ne peut tre rduite ni un chmage frictionnel ni unchmage conjoncturel et rien ne permet den prvoiraujourdhui la disparition.

  • I / Des clairages partiels

    Parmi les multiples essais didentification des facteurs expli-catifs du chmage, trois dentre eux mritent un examen plusapprofondi, ne serait-ce quen raison de limportance qui leurest accorde dans les dbats politiques ou dans les mdias. Onpeut les rsumer ainsi, sous forme caricaturale :

    le chmage est d lafflux de nouveaux arrivants sur lemarch du travail ou la prsence injustifie de certaines cat-gories de population sur ce march ;

    le chmage est d aux chmeurs : ce sont la mau-vaise volont, la mauvaise information, linaptitude, les exi-gences excessives, voire la paresse qui expliquent pourquoicertains restent sans emploi ; celui qui veut vraiment travaillerfinit toujours par trouver un emploi ;

    enfin, pour ne pas loublier, mentionnons linstrumentdexplication universelle de tout phnomne social : le progrstechnique.

    1. La croissance des ressources de main-duvre

    Une argumentation statistique

    Le graphique 1 (voir page 28) fait apparatre la croissance duchmage en France partir de 1973 comme la consquence dunedivergence entre lvolution de deux courbes dont les tendances

    51

  • taient jusqualors approximativement parallles : la populationactive poursuit sa croissance alors que le niveau de lemploidevient tendanciellement stagnant. Un raisonnement purementmcanique peut en tre dduit : en labsence dune augmentationdes ressources de main-duvre, le chmage serait rest stable.

    Une analyse plus fine des facteurs de variation de la popu-lation active (cf. tableau VII) permet lidentification des cou-pables. Entre 1975 et 1982, la croissance dmographique a pro-voqu larrive dun million et demi dactifs supplmentairestandis que laugmentation des taux dactivit des femmes (de25 54 ans) fournissait un million dactives. Le total de cesdeux chiffres est suprieur laccroissement du chmage etmme au nombre total de chmeurs. Le mme mouvement sepoursuit, une vitesse moindre, entre 1982 et 1990 puis entre1990 et 1999. Ainsi deux phnomnes extra-conomiques ,lun dorigine dmographique, lautre dorigine culturelle,seraient suffisants pour expliquer le chmage.

    Il faut ranger dans la mme rubrique les analyses selon les-quelles il ny a pas de vritable problme du chmage dans unpays o le nombre des chmeurs est infrieur celui des tra-vailleurs immigrs. Le retour au pays de cette population rta-blirait lquilibre du march du travail pour les nationaux.

    Une c