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Cas clinique Chondrome des parties molles de la main. Un nouveau cas Soft-tissue chondroma of the hand. A new case S. Fnini a, *, B. Sennoune a , S. Zamiati b , M. Ouarab a , A. Largab a , M. Trafeh a a Service de chirurgie orthopédique et traumatologique (pavillon 32) CHU Ibn-Rochd, Casablanca, Maroc b Laboratoire d’anatomopathologie, CHU Ibn-Rochd, Casablanca, Maroc Résumé Les auteurs rapportent une observation d’une tumeur polylobée des parties molles de la main et du poignet qui a fait l’objet d’une exérèse–biopsie et qui a aboutit au diagnostic de chondrome des parties molles. Il s’agit d’une métaplasie hétérotopique qui peut toucher les viscères au même titre que les membres. L’implication des microtraumatismes répétés dans le développement de cette lésion demande à être vérifiée. Le traitement chirurgical est souvent simple et l’exérèse doit être complète pour éviter les récidives. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The authors report the case of a multilocular tumour of the soft tissues of the hand and wrist which was removed by excision biopsy and which proved to be a chondroma arising from the soft tissues. Soft tissue chondromas consist of islands of heterotopic cartilaginous tissue and can equally affect the viscera as well as the limbs. The hypothesis that microtrauma is involved in the aetiology of this condition has yet to find any factual support. Simple excision-biopsy should suffice to treat the condition but care should be taken to make the excision complete if recurrences are to be avoided. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Main ; Chondrome ; Tumeur des tissus mous Keywords: Hand; Chondroma; Soft tissue tumour 1. Introduction Le chondrome des parties molles est une tumeur rare, bénigne dont la localisation à la main est déjà rapportée dans plusieurs publications. Le diagnostic de certitude est anato- mopathologique et doit éliminer un chondrome osseux ou périosté ou une ostéochondromatose synoviale. Nous rappor- tons une nouvelle observation typique de cette lésion, et nous la discutons à travers les données de la littérature. 2. Observation Monsieur R.N, 42 ans, technicien de laboratoire, a consulté le 23 septembre 2002 pour une tuméfaction de la main droite. L’histoire de la maladie semble remonter à cinq ans par l’apparition insidieuse et spontanée d’une petite masse au niveau de la face interne du poignet droit (en regard de l’articulation radiocarpienne). Cette tumeur était non dou- loureuse, sans signes inflammatoires associés et en dehors de tout contexte traumatique. Quelques mois après, apparaît une nouvelle tumeur au niveau de la face antérieure du quart distal de l’avant bras, à 2 cm au-dessus du pli de flexion du poignet. Les masses ont depuis, augmenté progressivement le volume avec une gêne aux efforts prolongés. L’examen clinique a retrouvé un patient en bon état géné- ral, présentant deux tumeurs. La première était au niveau de la face interne du poignet, ferme, mobile et indolore et sans modifications cutanées en regard et de 2,5 cm sur 1,5 cm. L’autre tumeur était au niveau de la face antérieure du poi- gnet sur la saillie du flexor carpi ularis (FCU), elle avait les mêmes caractères sémiologiques et de 1,5 cm sur 2 cm. Ces deux tumeurs ne semblaient pas avoir de connexion entre * Auteur correspondant : Fnini Salah, 23. 16, rue, Kasbat-Boulonane, Hay-El-Hana, Casablanca, Maroc. Chirurgie de la main 23 (2004) 153–156 www.elsevier.com/locate/chimai © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.main.2004.04.008

Chondrome des parties molles de la main. Un nouveau cas

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Cas clinique

Chondrome des parties molles de la main. Un nouveau cas

Soft-tissue chondroma of the hand. A new case

S. Fnini a,*, B. Sennoune a, S. Zamiati b, M. Ouarab a, A. Largab a, M. Trafeh a

a Service de chirurgie orthopédique et traumatologique (pavillon 32) CHU Ibn-Rochd, Casablanca, Marocb Laboratoire d’anatomopathologie, CHU Ibn-Rochd, Casablanca, Maroc

Résumé

Les auteurs rapportent une observation d’une tumeur polylobée des parties molles de la main et du poignet qui a fait l’objet d’uneexérèse–biopsie et qui a aboutit au diagnostic de chondrome des parties molles. Il s’agit d’une métaplasie hétérotopique qui peut toucher lesviscères au même titre que les membres. L’implication des microtraumatismes répétés dans le développement de cette lésion demande à êtrevérifiée. Le traitement chirurgical est souvent simple et l’exérèse doit être complète pour éviter les récidives.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The authors report the case of a multilocular tumour of the soft tissues of the hand and wrist which was removed by excision biopsy andwhich proved to be a chondroma arising from the soft tissues. Soft tissue chondromas consist of islands of heterotopic cartilaginous tissue andcan equally affect the viscera as well as the limbs. The hypothesis that microtrauma is involved in the aetiology of this condition has yet to findany factual support. Simple excision-biopsy should suffice to treat the condition but care should be taken to make the excision complete ifrecurrences are to be avoided.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Main ; Chondrome ; Tumeur des tissus mous

Keywords: Hand; Chondroma; Soft tissue tumour

1. Introduction

Le chondrome des parties molles est une tumeur rare,bénigne dont la localisation à la main est déjà rapportée dansplusieurs publications. Le diagnostic de certitude est anato-mopathologique et doit éliminer un chondrome osseux oupériosté ou une ostéochondromatose synoviale. Nous rappor-tons une nouvelle observation typique de cette lésion, et nousla discutons à travers les données de la littérature.

2. Observation

Monsieur R.N, 42 ans, technicien de laboratoire, aconsulté le 23 septembre 2002 pour une tuméfaction de lamain droite.

L’histoire de la maladie semble remonter à cinq ans parl’apparition insidieuse et spontanée d’une petite masse auniveau de la face interne du poignet droit (en regard del’articulation radiocarpienne). Cette tumeur était non dou-loureuse, sans signes inflammatoires associés et en dehors detout contexte traumatique. Quelques mois après, apparaît unenouvelle tumeur au niveau de la face antérieure du quartdistal de l’avant bras, à 2 cm au-dessus du pli de flexion dupoignet. Les masses ont depuis, augmenté progressivementle volume avec une gêne aux efforts prolongés.

L’examen clinique a retrouvé un patient en bon état géné-ral, présentant deux tumeurs. La première était au niveau dela face interne du poignet, ferme, mobile et indolore et sansmodifications cutanées en regard et de 2,5 cm sur 1,5 cm.L’autre tumeur était au niveau de la face antérieure du poi-gnet sur la saillie du flexor carpi ularis (FCU), elle avait lesmêmes caractères sémiologiques et de 1,5 cm sur 2 cm. Cesdeux tumeurs ne semblaient pas avoir de connexion entre

* Auteur correspondant : Fnini Salah, 23. 16, rue, Kasbat-Boulonane,Hay-El-Hana, Casablanca, Maroc.

Chirurgie de la main 23 (2004) 153–156

www.elsevier.com/locate/chimai

© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.main.2004.04.008

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elles (Fig. 1). L’examen des aires ganglionnaires et le reste del’examen physique étaient normaux.

La radiographie du squelette de l’avant-bras et du poignetn’avait pas montré de modification du squelette ni de réactionpériostée.

On devinait à peine l’opacité tumorale des parties molles,sans ossifications ni calcifications (Fig. 2).

L’échographie a montré une masse lobulée, sous-cutanée,échogène, adjacente au tendon du FCU et des muscles hypo-thénariens.

Le bilan biologique et la radiographie du thorax étaientnormaux.

Devant la longue évolution de cette tumeur et la bénignitéapparente et sans avoir recours à d’autres examens complé-mentaires une exérèse–biopsie a été effectuée.

Le patient a été opéré sous bloc plexique avec un garrotpneumatique à la racine du membre. Par un abord antérieurbrisé au niveau du pli de flexion du poignet et après incisioncutanée et sous cutanée, nous avons trouvé que les deuxtumeurs étaient connectées en dessous du tendon du FCU(Fig. 3) et au contact du pédicule ulnaire sans l’envahir. Ils’agissait de tumeurs pleines, blanchâtres, encapsulées faci-

lement limitées par rapport aux tissus de voisinage et n’ayantpas de communication, ni avec l’articulation radiocarpienne,ni avec l’articulation radio-ulnaire distale, ni la synoviale desfléchisseurs ou le périoste ulnaire. L’exérèse a été facile etcomplète (Fig. 4).

Les suites opératoires ont été simples avec cicatrisationcutanée et récupération fonctionnelle complète.

L’examen histologique a montré une prolifération tumo-rale faite de lobules cartilagineux séparés par des travéesfibrocongestives au sein d’une matrice éosinophile myxoïde.Les cellules étaient à cytoplasmes à petits nucléoles, parfoisbinucléées sans atypies ni mitoses. Il n’y avait ni périoste nitravées osseuses. L’aspect histologique était en faveur d’unchondrome des parties molles après élimination formelled’une localisation périostée.

À un an de recul, il n’y a pas de récidive locale.

3. Discussion

Le chondrome des tissus mous est une tumeur cartilagi-neuse bénigne rare, très particulière, car, non seulement elle

Fig. 1. Tumeur polylobée de la face antérieure et du bord interne du poignet( ).

Fig. 2. Radiographie de la main : tumeur des parties molles, absence delésions osseuses ( ).

Fig. 3. Aspect peropératoire : les deux tumeurs ( ) sont reliées sous letendon du FCU.

Fig. 4. Pièce opératoire : la tumeur a été coupée en deux pour pouvoir êtreélevée.

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est extrasquelettique, mais elle semble n’avoir aucuneconnexion anatomique avec les structures synoviales norma-les (articulaire et tendineuse). En effet, les lésions cartilagi-neuses extraosseuses de la main sont essentiellement repré-sentées par les chondromatoses synoviales et ténosynovialesd’une part et les chondromes des parties molles extrasyno-viaux d’autre part. Les deux premières lésions ont leur ori-gine dans la synoviale articulaire et dans la synoviale destendons [1].

L’origine du chondrome extrasquelettique est sujette àcontroverse. Dahlin et Salvador [2] pensent que le point dedépart est synovial, tandis que Uheara et Becker [3], Rosen-feld et Kurzer [4] trouvent son origine dans la production detissu conjonctif par métaplasie ou activation d’îlots cartilagi-neux hétérotopiques. Cette dernière hypothèse semble la plusplausible, ce qui explique le développement de chondromesau sein de viscères (foie, rein, testicule, trompe de Fallope,langue) où n’existe aucune structure synoviale [3,5–9]. À lamain, ont été incriminés les microtraumatismes répétés dansle développement de ces tumeurs [10–14].

Pour retenir le diagnostic de chondrome extrasquelettiquedes parties molles, un certain nombre de conditions est né-cessaire. L’os doit être intact (chondrome osseux), ainsi quele périoste (chondrome périosté). Enfin, l’exploration chirur-gicale doit chercher s’il y a un envahissement synovial arti-culaire (chondromatose synoviale) [15–20]. Ces conditionssont toutes remplies dans notre cas.

Le chondrome des parties molles touche essentiellementles extrémités (96 %), dont 72 % au membre supérieur et24 % au membre inférieur, 2 % au niveau de la tête et du couet 2 % au tronc. Le motif de consultation est généralementune tuméfaction indolore qui a évolué pendant longtemps defaçon asymptomatique [1,3,5,21,22].

La radiographie peut montrer des zones radio denses sanscalcifications. En effet, l’aspect radiologique est variableselon la charge calcique de la tumeur. L’étude des imagesobtenues par résonance magnétique nucléaire (IRM) dépendégalement du degré de minéralisation des calcifications.Mais, l’IRM ne permet pas toujours de dire si le point dedépart de la tumeur est synovial ou extrasynovial [6,7,23,24].

Le traitement proposé à ces tumeurs est la biopsie–exérèsed’emblée sans biopsie préalable. En effet, les critères debénignité (longue durée d’évolution, petit volume tumoral,conservation de l’état général et l’aspect radiologique) sontsouvent au complet pour surseoir à la biopsie. L’ablation dela tumeur ne pose pas de problèmes en général, car elle estencapsulée et bien limitée par rapport aux tissus de voisi-nage. Le compte rendu opératoire doit signaler à l’anatomo-pathologiste les rapports de la tumeur par rapport à l’articu-lation, l’os, le périoste et les tendons. C’est à la lumière decela et des examens radiologiques qu’il peut affirmer lalocalisation aux parties molles du chondrome.

D’un point de vue histologique, il faut craindre un chon-drosarcome des tissus mous de bas grade. Des récidives ontété rapportées par Chung et Enzinger [5] dans 18 % des cas ettrouvent leur explication dans une exérèse incomplète.

4. Conclusion

Bien que rapporté plusieurs fois dans la littérature, lechondrome des parties molles n’est pas un diagnostic habi-tuellement évoqué face à une tumeur de la main. La radiolo-gie et l’IRM peuvent orienter vers cette tumeur.

L’exérèse chirurgicale souvent facile, doit essayerd’orienter le pathologiste dans le sens d’éliminer une origineosseuse, périostée, articulaire ou tendineuse de ce chon-drome.

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