5

Click here to load reader

Chrhc 3374 122 l Enseignement de l Histoire Est en Peril

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Chrhc 3374 122 l Enseignement de l Histoire Est en Peril

Cahiers d'histoire. Revued'histoire critique122  (2014)L'Histoire dans le Secondaire : un enseignement en péril ?

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Frank Noulin et Jean-François Wagniart

L’enseignement de l’histoire est enpéril !................................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'éditionélectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Référence électroniqueFrank Noulin et Jean-François Wagniart, « L’enseignement de l’histoire est en péril ! », Cahiers d'histoire. Revued'histoire critique [En ligne], 122 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 03 septembre 2014. URL :http://chrhc.revues.org/3374

Éditeur : Association Paul Langevinhttp://chrhc.revues.orghttp://www.revues.org

Document accessible en ligne sur :http://chrhc.revues.org/3374Document généré automatiquement le 03 septembre 2014. La pagination ne correspond pas à la pagination del'édition papier.© Tous droits réservés

Page 2: Chrhc 3374 122 l Enseignement de l Histoire Est en Peril

L’enseignement de l’histoire est en péril ! 2

Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 122 | 2014

Frank Noulin et Jean-François Wagniart

L’enseignement de l’histoire est en péril !Pagination de l’édition papier : p. 13-17

1 Enseignants du secondaire, nous subissons depuis deux décennies au moins la noria des« réformes » qui malmènent notre métier en compliquant notre tâche et en entravant toujoursplus notre liberté pédagogique. Bon an mal an, nous avons appris à nous accommoder de cetteréformite aiguë. Mais la découverte des nouveaux programmes d’histoire du lycée généralparus en 2008 nous a laissés pantois, choqués, inquiets, et a suscité une première réaction,parue dans cette revue1. Puis nous avons imaginé ce dossier pour aller au-delà d’un simplerejet, fût-il légitime, et contribuer à la réflexion sur le contenu et le rôle de l’enseignement del’histoire en une époque où nous avons besoin plus que jamais d’un savoir éclairé et nuancé. Ilne s’agit pas ici d’un cahier de doléances, mais d’un effort collectif pour suggérer de nouvellesperspectives à partir d’une critique raisonnée de ces programmes. Il faut aller plus loin que les« allégements » concédés par le ministère (à l’automne 2012 pour les Premières générales, àl’automne 2013 pour les Terminales ES-L et les programmes du lycée professionnel), faisanten l’occurrence peu de cas du travail des enseignants puisque ces aménagements n’ont étéannoncés à chaque fois qu’après la rentrée scolaire. Cela montre bien à quel point il y a urgenceà repenser les contenus et les modalités d’élaboration des programmes du secondaire.

2 Nous ne sommes pas naïfs, nous savons bien que notre matière est l’objet d’enjeux qui ladépassent. Elle n’est pas la seule victime des injonctions de l’OCDE et de l’UE, lesquellesse préoccupent plus d’employabilité que de pédagogie et imposent un sacro-saint «  soclecommun de compétences ». Ce dernier tend à réduire l’importance de l’histoire comme matièrevéhiculant une culture commune et une démarche humaniste.

3 Notre démarche n’est pas pour autant régressive, il n’est pas question ici d’exalter un prétendu« âge d’or scolaire », ce mythe dont on connaît la force dans l’imaginaire national. Depuis plusd’un siècle, les programmes se livrent à une sélection rétrospective des événements en fonctiondes besoins du présent, considéré comme l’aboutissement normal et nécessaire de l’évolutionhistorique. Cependant, ces programmes gardaient un certain équilibre et permettaient auxenseignants d’insuffler une dose importante de réflexion critique grâce à l’exercice de leurliberté pédagogique. Cette réflexion pouvait s’effectuer notamment parce que les programmesconservaient un ancrage social, très important dans les années 1970-1980 comme nous lemontrons dans notre propre contribution.

4 Or, nous avons bien dû faire le constat que l’histoire sociale a été la grande perdante desréformes opérées depuis les années 1990. La « défaite » universitaire de l’école labroussienne,ou du moins son recul très net, comme celle de l’histoire ouvrière trop souvent assimilée àl’histoire marxiste et qui semble faire les frais de cet amalgame trompeur, marque l’émergenced’une histoire culturelle qui garde certes un ancrage social, mais se veut beaucoup moinsglobale, critique et engagée, ainsi que le « retour » d’une certaine histoire politique.

5 Cette évolution explique, au moins en partie, les nouvelles orientations des programmes, àla fois plus culturelles et politiques, dont certains moments ou personnages de l’histoire fontles frais, dans la mesure où ils ne cadrent pas avec la vision de nos sociétés que les auteursveulent imposer.

6 Comme le montre Odile Dauphin dans son article, qui porte notamment sur l’application de ladernière réforme du lycée, les exemples de cette dérive ne manquent pas. Son analyse souligneà quel point ces programmes, en particulier en Première, véhiculent une vulgate orientée ettendancieuse, sélectionnant de manière arbitraire certains aspects de la recherche historiqueau détriment d’autres. En découle pour les élèves une connaissance lacunaire et imprégnéed’idéologie de leur passé.

7 De même, l’étude de la Révolution française, comme le rappelle Marc Deleplace, est vidéedes aspects sociaux qui renvoient trop aux excès et aux violences de 1793 incompatiblesavec une vision unanimiste d’une Révolution de plus en plus réduite à une année 1789

Page 3: Chrhc 3374 122 l Enseignement de l Histoire Est en Peril

L’enseignement de l’histoire est en péril ! 3

Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 122 | 2014

fétichisée. Quant à la Commune de Paris, l’une des trois grandes révolutions du XIXe siècleet l’une des clés de compréhension du processus de création de la Troisième République,elle est considérée comme une anomalie historique, un événement secondaire, car s’écartantde la vision des auteurs des programmes de ce que devait être le «  progrès  » historique.Pour simplifier, la défaite des Montagnards et l’échec de la Commune seraient assimilés àla victoire de la République telle que certains veulent la concevoir aujourd’hui, reprenantainsi les idées de François Furet, selon lesquelles cet épisode « sanglant » de la Commune« termine » le cycle de la Révolution française. Les institutions sont désormais stabilisées et lesévénements qui contrecarrent cette idée d’apaisement – y compris la révolution bolchevique àlaquelle on préfère le régime stalinien, rentrant dans le cadre du totalitarisme – sont évacués.Quelles analyses historiques exclusives et quels préjugés idéologiques justifient-ils de limiterl’étude des révolutions russes au statut réducteur de genèse du totalitarisme ? Que penser plusgénéralement de l’étude faite des totalitarismes, particulièrement en Première ? Laurent Wirth,inspecteur général de l’Éducation nationale, dans sa défense des programmes, tranche de façonrapide le débat sur le totalitarisme :

8 « Les recherches sur les régimes totalitaires, dans une perspective comparatiste, ont égalementfait avancer l’historiographie sur la question : le tabou de l’impossible comparaison entre cesrégimes est tombé. Reprocher l’inscription dans les programmes de ces avancées et de cesdébats scientifiques revient à estimer qu’il faudrait renoncer à faire comprendre aux lycéenscomment se construit l’histoire, à un moment où il convient de les préparer à des étudessupérieures. Loin d’être “la défaite de la volonté de comprendre”, comme il est dit dansl’article, ce programme marque au contraire l’affirmation de cette volonté »2.

9 On ne peut être que perplexe face à une telle réponse qui élude un grand nombre de questionsépistémologiques, didactiques, politiques et historiographiques et, sur ce point, la lecturede l’article de Bernard Bruneteau est édifiante. La transposition d’un idéal-type commecadre obligé de compréhension d’une réalité historique complexe entraîne pour les élèvesdes risques de graves confusions et peut même justifier des simplifications hasardeuses(Hitler = Staline), voire des incompréhensions (Seconde Guerre mondiale vidée de son sensantifasciste d’autant plus qu’on va insister plus sur l’alliance de Staline avec Hitler que surles convergences entre alliés). Bernard Bruneteau plaide, et nous ne pouvons que l’approuver,pour un véritable questionnement ou mise en débat des totalitarismes, y compris sur leurréponse au « désenchantement » des populations face au système démocratique libéral. Cequestionnement, vraiment critique, ne permettrait-il pas de susciter à nouveau la volonté cheznos élèves, plus que jamais nécessaire, de poursuivre la démocratisation de notre société faceau pouvoir insolent de toutes les oligarchies  ? Faut-il se résigner à ce que la démocratienéolibérale apparaisse comme le seul horizon prometteur au sein d’une nouvelle téléologiepéremptoire ?

10 Pourtant des voix s’élèvent qui résistent à cette logique mortifère pour notre matière, et tracentde nouvelles perspectives, proposées par tous les auteurs de ce dossier, même si leurs points devue divergent sur les origines de « la crise de l’histoire ». Cette volonté de sortir de l’impassedes programmes s’exprime en particulier dans les deux entretiens, celui de Laurence De Cockau nom de l’Aggiornamento et celui de Yannick Mével et Nicole Tutiaux-Guillon. Ces pistess’annoncent prometteuses  : redonner du temps, c’est-à-dire en finir avec des programmespléthoriques dont pâtissent aussi bien les enseignants que les élèves, favoriser l’émergenced’un pôle de sciences humaines qui permettrait aussi de mieux valoriser l’histoire sociale,développer une pédagogie socio-constructiviste qui permette un apprentissage raisonné etcritique…

11 Pour nous, les programmes restent marqués, même si certains progrès ont été faits récemment,par une idéologie qui s’est imposée dans les années 1990 contre une emprise marxisantesur l’histoire, tout aussi condamnable quand elle favorisait une forme de dogmatismeprogrammatique. Tant que les programmes ne seront pas sortis des faux débats qui polarisentles positions, débarrassés de leurs oripeaux idéologiques3, rapprochés des conditions réelleset sociales des élèves, l’enseignement de l’histoire dans le secondaire restera non seulementmenacé comme il l’a été ces dernières années avec de fortes réductions horaires, mais

Page 4: Chrhc 3374 122 l Enseignement de l Histoire Est en Peril

L’enseignement de l’histoire est en péril ! 4

Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 122 | 2014

également soumis au pouvoir, qu’il soit intellectuel ou politique. Autant d’éléments qui ontgommé de la compréhension et du sens pour les élèves en évacuant trop systématiquementla causalité dans l’explication des faits historiques, en incitant au renoncement à réellementcomprendre le monde passé, une histoire «  pleine de bruit et de fureur et qui ne signifierien » pour reprendre la célèbre tirade de Macbeth, et qui nous éloignent aujourd’hui d’unehistoire critique et sociale pourtant présente dans la recherche mais, plus que jamais, coupéede l’enseignement secondaire.

12 Pourtant, ce dossier, loin de nous mener, comme pourrait l’indiquer sa formulation, àune vision pessimiste de l’avenir de l’enseignement de l’histoire, entend renforcer notreattachement et notre combat collectif à la fois pour «  l’exercice raisonné de la libertépédagogique  » (Marc Deleplace), terme auquel Laurence De  Cock préfère «  la créativitépédagogique », et pour la formation disciplinaire et didactique des enseignants dont l’absenceou le formatage restreignent cette même liberté (Yannick Mével et Nicole Tutiaux-Guillon).Il en va non seulement de l’avenir de cet enseignement dont on sait les vertus démocratiques,mais également de la formation citoyenne des élèves confrontés à un monde de plus en pluscomplexe et à qui manquent cruellement des outils intellectuels nécessaires – que leur doit lesystème éducatif – pour l’affronter avec raison et lucidité.

Notes

1 Frank Noulin et Jean-François Wagniart, « Et si nous faisions des élèves citoyens sans histoire ? »,Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique, 2010, n° 111, p. 125-135.2 Voir la polémique déclenchée par les nouveaux programmes de Première. L’article de LaurentWirth d’avril 2012 dans la revue L’Histoire, n°  374, p.  34, répond en grande partie aux attaquesd’Annette Wieviorka «  Aux larmes lycéens  !  », toujours dans L’Histoire, n°  373, mars 2012, p.  30(http://www.collectif-defense-hg.org/spip/spip.php?article52). Voir également Christophe Bosquillon(professeur d’histoire-géographie au lycée Camille Claudel de Pontault-Combault) sur le site del’Aggiornamento, «  Faire vivre l’histoire, sur l’urgence de repenser notre discipline  », http://aggiornamento.hypotheses.org/812.3 Particulièrement marqués dans la période sarkozyste. Voir l’ouvrage collectif, Comment NicolasSarkozy écrit l’histoire de France, sous la direction de Laurence De Cock, Fanny Madeline, NicolasOffenstadt et Sophie Wahnich, éd. Agone, coll. « Passé et présent », 2008.

Pour citer cet article

Référence électronique

Frank Noulin et Jean-François Wagniart, « L’enseignement de l’histoire est en péril ! », Cahiersd'histoire. Revue d'histoire critique [En ligne], 122 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le03 septembre 2014. URL : http://chrhc.revues.org/3374

Référence papier

Frank Noulin et Jean-François Wagniart, «  L’enseignement de l’histoire est en péril  !  »,Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 122 | 2014, 13-17.

Droits d’auteur

© Tous droits réservés

Résumé

 Histoire, enseignement, réforme, programme, politique, mémoire

Entrées d’index

Page 5: Chrhc 3374 122 l Enseignement de l Histoire Est en Peril

L’enseignement de l’histoire est en péril ! 5

Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 122 | 2014

Géographie : FranceChronologie : XXe siècle, XXIe siècle