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Clôture et faille dans la phénoménologie de Husserl Author(s): René Schérer Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 73e Année, No. 3 (Juillet-Septembre 1968), pp. 344-360 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40901071 . Accessed: 08/11/2013 14:06 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Métaphysique et de Morale. http://www.jstor.org This content downloaded from 152.14.136.96 on Fri, 8 Nov 2013 14:06:36 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Clôture et faille dans la phénoménologie de HusserlAuthor(s): René SchérerSource: Revue de Métaphysique et de Morale, 73e Année, No. 3 (Juillet-Septembre 1968), pp.344-360Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40901071 .

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ÉTUDE CRITIQUE

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« A V intérieur de la clôture, par un mouvement oblique et toujours péril- leux, risquant sans cesse de retomber en-deçà de ce qu'il déconstruit, il faut entourer les concepts critiques tfun discours prudent et minutieux, marquer les conditions, le milieu et les limites de leur efficacité, désigner rigoureuse- ment leur appartenance à la machine qu'ils permettent de déconstituer : et du même coup la faille par laquelle se laisse entrevoir, encore innommable, la lueur de V outre-clôture. » Cette phrase extraite de De la Grammatologie, p. 25 * guide notre lecture de La Voix et le Phénomène 2. Texte prélimi- naire ou complément, ce petit ouvrage est, en effet, de la même veine que De la Grammatologie, il soutient la même thèse : le thème - ou le fonds commun - de la métaphysique depuis ses origines est d'être philosophie de la présence, de postuler que l'être peut se dire ou se manifester par le moyen d'un langage identifié à la parole pleine. Un logocentrisme com- mande au même titre deux courants souvent opposés, celui qui va de Platon à Hegel, et celui qui va de Heraclite à Heidegger. En dépit des différences de leurs structures, toutes les philosophies se ressemblent parce qu'elles ont affirmé ou présupposé uniformément la possibilité de maintenir la présence de l'être dans la parole, cette possibilité trou- vant son fondement dans ce qui porte et constitue la parole comme telle, dans sa « chair spirituelle », la voix (La voix et le phénomène, p. 10). Si nous identifions l'être au signifié, si nous établissons que la voix (phoné) est le support universel du Logos, alors nous nous apercevons de la liaison étroite existant entre la présence de l'être signifié et le logos philosophique incarné dans la voix : « L'essence formelle du signifié est la présence »,

1. J. Derrida, De la Grommatolo aie, Paris, Éd. de Minuit, 1967. 2. J. Derrida, La Voix et le Phénomène, Paris, P. U. F., 1967.

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« le privilège de sa proximité au logos comme phoné est le privilège de sa présence » (De la Grammatologie, p. 31). Aux analyses convaincantes par lesquelles J. Derrida démontre, dans la première partie de la Gramma- tologie ce postulat parfois explicite, parfois latent, qui fonde la méta- physique et la parcourt au long de son histoire *, on pourrait proposer, en guise de titre et d'exergue, la parole inaugurale de Parménide : « Car jamais sans l'être où il est devenu parole, tu ne trouveras le penser » (Le Poème de Parménide, VIII, v. 35, trad. J.-J. Riniéri).

Qu'est-ce que penser ? « D'une certaine manière, écrit J. Derrida, la pensée ne veut rien dire » (De la Grammatologie, p. 142). C'est que nous ne savons pas encore ce qu'elle est, tant que nous la maintenons, comme la métaphysique nous y invite, dans son indifférenciation avec la voix, état dans lequel la pensée entretient l'illusion d'être toute présente à elle-même. Mais elle n'est que voix. Sa présence se résorbe dans la pro- priété qu'a la voix d'être immédiatement entendue de celui qui l'émet (De la Grammatologie, p. 236). La voix et la conscience de voix ne font qu'un (ibid.), la conscience est voix (La Voix et le Phénomène, p. 89) : « La voix est l'être auprès de soi dans la forme de l'universalité, comme con-science. La voix est la conscience ». Car, qu'est-ce que la voix ? sinon ce signifiant de telle nature qu'en lui « l'extériorité spatiale paraît absolument réduite » (ibid.), le signifiant intérieur qui s'abolit devant le signifié et nous laisse en sa présence. La pensée s'entretient de l'illu- sion d'être auprès de soi, parce que « la voix s'entend » (ibid., p. 85), que parler c'est s'entendre dire. Plus encore, le privilège du signifiant vocal est que cette voix peut aller jusqu'à l'évanouissement du son, dans le discours intérieur, ou lorsqu'elle devient « la voix qui garde le silence » (titre du eh. vi de La Voix et le Phénomène). La voix est conscience parce qu'elle est l'élément même de l'auto-affection en laquelle Derrida voit « une structure universelle de l'expérience » (De la Grammatologie, p. 236), une possibilité dont l'autre nom est « vie ». La voix constitue la « vie intérieure » et, ce faisant, détermine la caractéristique propre de l'être des objets qu'elle appelle en sa présence. Présent, l'objet évoqué par la voix ne peut l'être que s'il subit une idéalisation qui fonde sa possibilité d'être constamment présenté, c'est-à-dire répété. Seule l'idéalité est susceptible d'être appelée à la présence par l'exercice de la voix. Gela était vrai de Veidos platonicien, cela est vrai du phénomène vécu : « Le phénomène ne cesse pas d'être objet pour la voix.... Le phonème est l'idéalité maîtrisée du phénomène » (La Voix et le Phénomène, p. 87). Par l'effet d'auto-affection que manifeste la voix, en produisant « un signi- fiant qui semble ne pas tomber dans le monde » (De la Grammatologie, p. 236), l'objet de la voix, son signifié, acquiert, avec l'idéalité, lapro-

1. Cf. également l'introduction à la 2e partie, p. 145-147, qui établit la correspon- dance : phonologisme - logocentrisme - motif de la présence, avec ses modifications modernes de Descartes à Hegel, et chez Rousseau.

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priété de pouvoir être maintenu dans une perpétuelle présence, que ce soit celle de l'objectivité idéale, indéfiniment réitérable, ou celle de l'idéa- lité concrète du phénomène dans la présence à soi, que Husserl considérera comme le « présent vivant » de la vie transcendantale. Ainsi, ce qu'il y a de plus objectif dans l'usage du discours, sa logique, son orientation vers une plénitude donnée dans la présence de l'objet visé, et ce qu'il y a de plus intime dans la vie de la conscience ne peuvent être opposés ; mais ce sont les deux aspects complémentaires et se fondant réciproquement d'une même idéalisation en laquelle l'idée de la présence trouve sa source, et que l'articulation du logos sur la phoné rend possible. Et c'est égale- ment en cette étonnante factualité de la voix que la réduction idéali- sante qui est à la base de toute la métaphysique pense trouver, explicite- ment ou non, sa légitimation. Objectivement, cette réduction n'a pas de lieu assignable, elle est un rien, comme est un rien ce qui reste de l'extériorité spatiale dans le signifiant vocal. Chez Husserl, par exemple, chez lui éminemment, le passage de la vie psychique à la vie transcen- dantale, cette différence entre deux attitudes dont la seconde, l'attitude transcendantale, doit permettre au langage « de se déployer librement sans être déformé par quelque milieu réel » (La Voix et le Phénomène, p. 12) s'établit par le privilège de la voix (ibid., p. 15 : « cette réponse s'appelle la voix »). La voix est cet élément ou ce lieu inassignable où s'opère le « rien » du passage de la mondanité à la transcendant alité. Rien où la différence semble absolument réduite ; et la réduction de la différence est un autre nom de la présence l.

Présence /Logos /Phoné-conscience /idéalité-répétition /présent vivant de la vie transcendantale comme sol originaire de toute donation de sens et de toute constitution, tels sont les moments essentiels et les concepts directeurs d'une philosophie qui tend à sa propre clôture, et qui l'a peut-être historiquement réalisée (ibid., p. 115 : « L'histoire de l'être comme présence, comme présence à soi dans le savoir absolu, comme conscience (de) soi dans l'infinité de la parousie, cette histoire est close »).

Cette clôture est celle d'une métaphysique fondée sur la prééminence exclusive du signifiant vocal, pour laquelle l'écriture est seconde, comme l'affirmait déjà de façon décisive pour le mouvement qui s'ensuit Platon dans le Phèdre (277 a), pour qui l'écriture signifie l'oubli, « ... est la dissi- mulation de la présence naturelle et première et immédiate du sens à l'âme dans le logos » (De la Gr animatolo gie, p. 55). Et comme l'établissait aussi Aristote, lorsque notant, dans le De Interpretation, la double sym- bolisation qui conduit des états de l'âme aux sons émis par la voix, et

1. Cf. dans la conférence de 1959 : « Genèse et structure » (L'Écriture et la Différence, Paris, Éd. du Seuil, 1967) l'exposé d'une même problématique à partir des remarques d'E. Fink : « La réduction transcendantale est ce qui convertit notre attention vers ce rien où la totalité du sens et le sens de la totalité laissent apparaître leur origine » <p. 246). Dans les textes ultérieurs de J. Derrida, la voix est découverte comme « lieu » de ce « rien ».

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de ces derniers aux mots écrits, il suppose toutefois entre la voix et Pâme un rapport de proximité essentielle : « productrice du premier signifiant, elle n'est pas un simple signifiant parmi d'autres » (ibid., p. 22, où Derrida appuie son commentaire sur l'analyse de P. Aubenque, Le Problème de Vètre chez Aristote).

Et pourtant, n'y aurait-il pas, en tout cela, illusion ? L'époque n'est- elle pas révolue d'une métaphysique de la présence, et venu le temps d'une nouvelle prise de conscience, ou plutôt d'un déplacement essentiel du point d'appui de la réflexion ?

L'idée de la contestation de la « clôture » du discours philosophique, et d'un dépassement de la métaphysique n'est pas nouvelle. De l'inté- rieur même du discours philosophique * elle est ressentie comme l'exi- gence essentielle de la pensée contemporaine. Exigence qui trouve chez Heidegger son expression la plus récente, dans « l'ébranlement d'une ontologie de l'être comme présence et du langage comme continuité pleine d'une parole » (De la Grammatologie, p. 103) *. Mais le projet de Heidegger peut paraître équivoque ; il y a en lui P « ambiguïté » essen- tielle d'une pensée qui « rature » l'être et se maintient dans le champ du logocentrisme, c'est-à-dire de l'idée de l'origine et de la proximité 8. Heidegger conserve le privilège de la parole, et entend restaurer contre la métaphysique une nouvelle forme authentique de la présence ou du dévoilement. La différence ontico-ontologique entre l'étant et l'être, bien que signifiant que V oubli est essentiel et coextensif historialement à la présence, en appelle au logos et à la parole. Or, Derrida prend au sérieux cet oubli et cette rature. Il les utilise comme concepts permettant d'opé- rer la critique radicale des certitudes dans lesquelles la philosophie de la présence continue à s'enraciner.

La « différence » heideggerienne trouve, si l'on peut dire *, son lieu où s'effectue originairement l'effet du signifiant, et devient Pacte, ou mieux, la trace, qui est en même temps une opération, par quoi la présence est irréductiblement différée. Pour désigner cette opération, où la diffé- rence est pensée en fonction de son effet, Derrida propose le verbe diffé- rer et le néologisme : diffèrance. La différence est à penser selon la diffé- rance 5 :

1. Car il ne sera pas fait allusion à Marx qui récuse, de l'extérieur, ce discours. 2. La critique de l'ontologie est étudiée également chez E. Levinas dans L'Ecriture

et la Différence, IV, Violence et Métaphysique, p. 117-228. 3. Cf. J. Wahl, Vers la fin de l'ontologie, Paris, SEDES, 1955, où se trouve signalée

pour la première fois l'importance de la kreuzweise Durchstreichung de l'être (l'écriture du mot être sous une croix). Dans les pages qu'il consacre à Heidegger (De la Gramma- tologie, p. 31-38), Derrida prend pour thème ce quasi-effacement et utilise lui-même ce mode d'écriture.

4. Car cette différence est encore métaphorique, tant qu'elle repose implicitement ou non sur la métaphore première de la voix. Récusant la métaphore, revenant du fictif au réel, Derrida indique le « lieu » de la différence.

5. Cf. L'Origine de la Géométrie, p. 171 (L'Absolu originaire) « n'est présent qu'en se différant ».

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« En venir à reconnaître, non pas en-deçà, mais à l'horizon des chemins « heideggeriens, et encore en eux, que le sens de l'être n'est pas un signifié « transcendantal ou trans-époqual..., mais déjà, en un sens proprement inouï, « une trace signifiante déterminée, c'est affirmer que, dans le concept décisif de « différence ontico-ontologique, tout n'est pas à penser d'un seul trait ; étant « et être, ontique et ontologique, « ontico-ontologique » seraient, en un style « original, dérivés au regard de la différence ; et par rapport à ce que nous c appellerons plus loin la différance, concept économique désignant la produc- t tion du différer, au double sens du mot » (De la Grammatologie, p. 38).

Or, si l'ontologie se réfère en dernière instance au logos qui devient le plus proche dans la voix intérieure, le signifiant ainsi compris diffère la présence de l'être au cœur même de la voix, de cette voix dupe d'elle- même, qui se prend pour la conscience, et que la conscience prend pour « le phénomène de la pure affection vécue » (ibid., p. 236), où justement se supprimerait « la différence ». Mais que, dans son opération, la « diffé- rance », soit posée comme première, c'est-à-dire, selon le langage que Derrida propose et qu'il conviendra d'adopter en chaque cas, soit posée comme « trace » (ibid., p. 38, 95, etc.) ou comme « espacement » (La Voix et le Phénomène, p. 93), là où il était censé y avoir inhérence du signifié, ou présence du présent, alors, le signifiant phonique perd, relativement au sens et à la plénitude qu'il était censé dévoiler, sa valeur irréductible. La parole ne l'emporte plus en dignité sur l'écriture. Au sein même de la parole, constituant son essence, une « archi-écriture 1 » fait apparaître l'oubli ou la différence comme condition de la présence ; ou, pour mieux dire, puisqu'il ne s'agit plus de maintenir la présence, c'est le temps comme « différance » qui porte le présent, et l'autre, le dehors, qui entre» avec la « trace » au sein de la conscience de soi : « Rendre énigmatique ce que l'on croit entendre sous les noms de proximité, d'immédiateté, de présence (le proche, le pré- de la présence), telle serait donc la der- nière intention du présent essai », écrit Derrida dans De la Grammatologie, p. 103 ; et un peu plus loin : « Est présent ce qui n'est pas assujetti au processus de la différance. Le présent est ce à partir de quoi on croit pouvoir penser le temps, en effaçant la nécessité inverse : penser le pré- sent à partir du temps comme différance » (p. 236). Si cette dernière pensée est en œuvre, alors elle opère une « déconstruction de la pré- sence », qui est une « déconstruction de la conscience » (ibid., p. 103), en

1. Pour la justification de ce concept, cf. De la Grommatolo gie, p. 68 : « II faut main- tenant penser que l'écriture est à la fois plus extérieure à la parole, n'étant pas son « image » ou son « symbole », et plus intérieure à la parole qui est déjà en elle-même une écriture. Avant même d'être liée à l'incision, à la gravure, au dessin ou à la lettre, à un signifiant renvoyant en général à un signifiant par lui signifié, le concept de graphie implique, comme la possibilité commune à tous les systèmes de signification, l'ins- tance de la trace instituée ».

Pages 88-89, V archi-écriture, cet « X » si différent de l'écriture, est qualifiée de « mou- vement de la différence, archi-synthèse irréductible, ouvrant à la fois, dans une seule et même possibilité, la temporalisation, le rapport à l'autre et le langage. »

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introduisant en elle, en lui substituant l'irréductibilité de la trace, notion que Derrida emprunte à Freud et à Nietzsche, en lui conférant la pré- cision théorique qui fera d'elle F « archi-écriture » qui rend possible la parole et détrône la voix. C'est dans l'horizon de la trace, en substituant à l'auto-affection « l'espacement » (ibid.) qu'il conviendra de penser et de reformuler ce qui a été déjà pensé : « La présence-absence de la trace, ce qu'on ne devrait même pas appeler son ambiguïté, mais son jeu... porte en soi les problèmes de la lettre et de l'esprit, du corps et de l'âme et de tous les problèmes dont nous avons rappelé l'affinité première » (ibid., p. 103-104).

La Voix et le Phénomène offre l'intérêt majeur de faire apparaître ces différents problèmes à propos d'une philosophie dans « l'ouverture » de laquelle, qu'elle le décide ou non, toute réflexion contemporaine se définit, la Phénoménologie de Husserl. D'une philosophie, d'autre part, qui, à chacune de ses étapes, produit le discours dans la clarté absolue de l'évi- dence, c'est-à-dire de la présence ; donc qui, selon ce point de vue, fournit le modèle le plus parfait d'une « clôture » de la réflexion - en ramenant incessamment celle-ci à la vie transcendantale, sol universel et origine.

Déceler en elle la « faille » qui laisse entrevoir 1' « outre-clôture » c'est, en raison de ce que cette philosophie représente pour notre temps d'achè- vement de la rationalité, de l'Idée même de la Philosophie comme épis- témè, justifier du même coup tout le projet de la Grammatologie. Aussi les analyses de la Voix et le Phénomène nous paraissent-elles exemplaires ; au sens platonicien du mot, paradigmatiques, pour ce qu'elles permettent de situer une structure essentielle dans an « fait » qui est en même temps une « idée » philosophique, et fournissent la clé d'autres analyses se développant encore dans la multiplicité des images (celles, par exemple, de F Écriture et la Différence).

A l'intérieur de l'œuvre de Husserl, J. Derrida choisit un groupe de problèmes en apparence limités, mais dont l'interprétation se révèle elle-même décisive pour toute l'œuvre : les problèmes du langage tels qu'ils sont posés dans la première des Recherches logiques, Expression et Signification (Ausdruck und Bedeutung) 1. Ces analyses, comme le signale justement Derrida, sont à la fois préliminaires et définitives, car elles ne seront jamais remises en question par Husserl : elles constituent la constante présupposition d'une pensée pour laquelle la signification se donne dans l'expression vivante de la parole, dont le mouvement cons- tant est la réactivation du sens sedimenté dans les formations linguis-

1. Derrida proposera de conserver dans le texte français le mot allemand Bedeutung pour marquer sa liaison à l'expression, alors que la signification accompagne le signe en général. Nous discuterons plus loin de ce choix. Pour plus de commodité, nous met- trons, en tout cas, le mot allemand entre parenthèses, tout en conservant le français : signification.

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tiques, scientifiques, culturelles en général l. Mais cela ne veut pas dire que Husserl ait explicitement pensé le privilège de la parole, du signi- fiant vocal, et que, même là où il le fait, dans l'analyse de l'expression, - la première Recherche - il en lie le thème à celui de l'immanence de la vie transcendantale d'une part, de l'écriture d'autre part. Pour Derrida, c'est ce que le philosophe n'a pas explicitement pensé, mais qui, en lui, peut se lire, qu'il s'agit de mettre à jour. Derrida pense 1' « impensó » de Husserl a, dans les Recherches, et au-delà, jusqu'aux points où la réflexion husserlienne exprime elle-même, mais toujours sans la penser comme telle, sa propre contestation, dans les problèmes du temps, de l'autre, et de l'écriture. Cet impensé, il faudra donc le découvrir sous la cohé- rence d'une construction apparemment sans faille, en laquelle toutefois certains concepts-clés ne justifient leur présence que de ce qu'ils sont la première trace de la déconstruction possible.

La lecture de Derrida, qui offre un admirable modèle d'interprétation critique, opère par délimitations et esquisses successives, jusqu'au point où elle fait surgir, comme ultime horizon, de l'intérieur même du texte, la condition présente de son propre dépassement 8. Ici le commentaire n'oppose pas à l'œuvre une autre conception ; c'est la profondeur de la lecture qui, suivant le déroulement progressif et nécessaire d'une pensée, découvre en elle les motifs qui réfutent son projet essentiel, en l'occur- rence, en ce qui concerne la phénoménologie, l'accès aux « choses elles- mêmes » (p. 117).

Ce mouvement de lecture se compose donc de deux grands moments - moments souvent entremêlés, plutôt que parties. L'un conduisant à déli- miter dans la première Recherche le propre de la théorie husserlienne du signe en tant qu'expression (Bedeutung), c'est l'analyse de l'effective- ment pensé ; l'autre, allant à l'impensé, détectera la faille et la trace de F « archi-écriture » dans la conception husserlienne de la présence.

Voix, phénomène, cela signifie que la phénoménologie en tant que philosophie de la présence et de la réduction s'opérant dans l'immanence du phénomène pur du vécu s'édifie sur le privilège de la voix. C'est elle qui produit l'idéalité du phénomène et la maîtrise (p. 86). Elle est à la fois la chair spirituelle et le lieu intérieur où la différence est abolie.

1. Dans L'Origine de la Géométrie, l'écriture apparaît bien comme jouant un rôle essentiel dans la constitution des idéalités. Mais Derrida note avec raison (pp. 26, 90) que les analyses premières du langage ne seront Jamais récusées, ni remises en question du point de vue d'une théorie de récriture.

¿. tii. MERLEAU-FONTY, L.e rnuosopne et son omore, oignes, p. zuz : « ... n y a un impensé de Husserl qui est bel et bien à lui et qui pourtant ouvre sur autre chose ». Mais Merleau-Ponty parle de la dernière œuvre de Husserl en situant l'impensé dans l'irréfléchi préthéorique, l'éccéité d'une Nature (ibid., p. 209). Tout autre est l'orien- tation de la lecture que propose Derrida sur la base de la Première Recherche, bien que cette lecture conduise aussi, comme nous le verrons un peu plus loin, à critiquer, à « déconstruire », le concept husserlien de constitution.

3. De même, Husserl « accomplit le projet de la métaphysique en critiquant la métaphysique » (L'Écriture et la Différence, p. 249).

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La conscience pense pouvoir demeurer en la présence de la chose que la voix suscite.

Tout repose d'abord sur l'analyse du signe, et sur la réduction opérée par la première Recherche, ainsi que sur la teleologie qu'elle implique.

On sait que Husserl distingue dans l'essence du signe deux classes hétérogènes : le signe comme indice (Anzeichen), et le signe comme expression (Ausdruck). L'analyse phénoménologique se consacrera exclusivement à l'étude de l'expression, seul signe verbal authentique, seule capable de porter la signification (Bedeutung). Il s'agit là d'une « réduction de l'indice » (titre du chapitre n, p. 28), que nous propose- rions plutôt d'appeler, en nous fixant sur le style essentiellement des- criptif des Recherches, une variation eidétique * permettant de dégager, dans la multivocité du signe, la couche qui porte l'expression. L'ultime degré de la variation fait apparaître que, dans la « vie solitaire de l'âme » ou le soliloque, l'expression ne peut absolument plus jouer le rôle d'indice comme elle le fait dans la communication. Toute spatialité du signifiant s'efface devant le signifié lorsque la signification elle-même est présente à l'expression dans son idéalité. La fonction de l'expression est de la rendre présente, la finalité de la signification est de se remplir dans l'intui- tion de la chose visée et nommée.

L'effacement de la spatialité, de 1' « espacement », est donc décisif pour la théorie husserlienne de l'expression et son telos dans la logique et la théorie de la connaissance. Cette nouvelle finalité vient prendre la place d'une autre finalité devenue sans but, celle de l'indication (p. 53). Dans l'expression, et par l'intention qui l'anime, le concept courant et indéterminé de signifier prend le sens fort de « vouloir dire » *. Tout l'involontaire qui entache en effet l'indice d'impureté est exclu de l'expres- sion : en elle le sens veut se dire, et se donner à la présence (p. 37). Dans le soliloque où l'expression figure dans sa pureté spirituelle, rien n'est plus indiqué, tout est présenté ou représenté.

En quelques pages qui constituent l'argument central de sa démons- tration (le chapitre iv, Le couloir dire et la représentation), Derrida établit la liaison existant entre expression et représentation, au sens d'abord général de Vorstellung (on n'indique rien, on se représente), puis précisé comme étant le point nodal de la phénoménologie, comme Gegenwàrti- gung, c'est-à-dire présentation ou « présenti fication », présence dans le présent. Or, si l'analyse husserlienne de la signification dans l'expression

1. Cf. notre propre analyse de la première Recherche dans La Phénoménologie des recherches logiques de Husserl, Paris, P. U. F., 1967. Elle s'accorde avec celle de Der- rida sur les points essentiels de la teleologie qui anime les Recherches, sur le rôle joué par Pidéalité dans la présence à soi de la conscience. Mais elle tend à légitimer la ratio- nalité du projet husserlien, dont Derrida met justement en question l'achèvement.

¿. Uette traduction de bedeuten met l'accent sur rintentionnalité, mais aussi permet de lier le thème de la présence à celui du volontarisme, dans la phénoménologie et la métaphysique en général.

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René Schèrer

doit être lue selon sa finalité, sa fin, portée par le vouloir dire de la Bedeutung, est la Gegenwärtigung de la conscience à qui il appartient en propre de se tenir en présence de ce qu'elle vise (de ce qu'elle veut).

A ce point, comme le souligne d'ailleurs Derrida, « le commentaire s'articule sur l'interprétation » (p. 59). Il délimitera d'abord le propre de la présence dans l'horizon de l'effacement du signe (de sa spatialité) qu'elle requiert. Le principe de la présence est la réduction de la monda- nité, c'est-à-dire l'idéalité de ce qui peut être présenté dans l'évidence :

« Que signifie en effet le « principe des principes » de la phénoménologie ? Que signifie la valeur de présence originaire à l'intuition comme source de sens et d'évidence, comme a priori des a priori ? Elle signifie d'abord la certi- tude, elle-même idéale et absolue, que la forme universelle de toute expérience (Erlebnis) et donc de toute vie, a toujours été et sera toujours le présent. Il n'y a et il n'y aura jamais que du présent. L'être est présence ou modification de présence. Le rapport à la présence du présent comme forme ultime de l'être et de l'idéalité est le mouvement par lequel je transgresse l'existence empirique, la f actualité, la contingence, la mondanité, etc. » (p. 60).

C'est en suivant cette direction que l'on peut comprendre le rôle joué par l'effacement du signe dans la transition de l'analyse de l'expression à celle d'une présence à soi qui est, cette fois, cherchée du côté de l'intui- tion perceptive, du pré-expressif comme fondateur et détenteur du sens. Seconde étape, mais étroitement reliée à la première, car la proximité à soi du vécu fait apparaître l'inutilité du signe et se révèle être l'instance « originaire » sans laquelle la signification ne saurait avoir lieu » (p. 67). L'articulation des deux étapes, ou couches, l'une sur l'autre est marquée par la référence de l'expression au vécu « étant présent » (p. 65). Ce qui, dans l'expression, est encore signe, c'est-à-dire différence, laisse la place au « clin d'œil » (traduction du mot allemand Augenblick qui signifie aussi l'instant, l'instant où nous comprenons ce que nous vivons et exprimons à la fois dans le soliloque).

Mais le clin d'œil de l'instant (Le signe et le clin d'œil, chapitre v) implique aussi un clin d'œil à l'instant retenu ; vivre le maintenant, c'est vivre le passage d'un maintenant à l'autre. Ici s'ouvre une nou- velle analyse, par laquelle Derrida va découvrir la faille au sein de la première en prenant appui sur les moyens que Husserl nous donne « de penser contre lui-même » (expression déjà utilisée p. 55).

Résumons de nouveau, d'une autre manière, l'argumentation qui conduit de la théorie du signe aux problèmes de la phénoménologie trans- cendantale, ceux du phénomène pur. Le discours essentiel, c'est-à-dire le discours dans la vie solitaire de l'âme vaut en ce qu'il présente et n'indique pas. Cette présentation permet de passer du réel au fictif, puis à la neutralisation et à la couche phénoménologique pure du vécu, et des problèmes de la présentation à ceux de la re-présentation ( Verge-

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Clôture et faille dans la phénoménologie de Husserl

genwärtigung) et de la rétention primaire, constitutive du présent. Mais il faut reprendre la question au point où il a été établi que la représenta- tion était impliquée dans le statut du langage : le langage représente, en tant que lui appartiennent l'idéalité et la répétition (deux concepts corollaires). Or, demande Derrida (p. 55) cette structure de répétition, avec la représentation et l'idéalité qui en composent les éléments n'est- elle pas propre à tout signe, qui ne peut être signe s'il n'a lieu qu'une fois ? Le privilège du soliloque s'effondre, si l'on applique les différentes pro- priétés que Husserl limite à l'expression dans le cadre d'une théorie plus générale du signe. La force de l'argumentation husserlienne se retourne contre la thèse défendue. « Contre l'intention expresse de Husserl » (p. 58), on en vient à inverser la démarche. La structure répétitive du signe étant première, on dérivera « la présence-du-présent de la répétition et non l'inverse » (ibid.).

Ainsi, la référence à l'idéalité, corrélat d'une possibilité de répétition indéfinie, qui, chez Husserl, vaut comme garantie de la présence, qui opère en elle aux niveaux de l'objet et du vécu *, devient l'argument majeur qui parle au contraire en faveur d'une non-présence originaire.

L'impen8é de Husserl, que Derrida ponctue par de frappantes for- mules, c'est l'opération propre du signe comme possibilité de la présence et récusation de la présence ; et cela sur les trois plans de l'idéalité, de la répétition, du passage du réel au fictif, préparatoire à la réduction. Tout signe a une structure de répétition. Le signe est originairement travaillé par le fictif (p. 63) ; le signe est le rapport à la mort (p. 60), cette mort « qui se cache dans la détermination de l'être comme présence, idéalité, possibilité absolue de répétition ».

Introduit au cœur de la subjectivité d'où il était expulsé, le signe contredit donc l'évidence de la présence en révélant ses conditions ina- perçues, et au lieu où elle était le plus sûr d'elle-même. On en décèlera la trace agissante au niveau de la présence du présent dans le mainte- nant, la nécessité de la rétention primaire devant être assimilée à la néces- sité du signe (toujours, bien entendu, lorsque la lecture fait appel à Husserl contre lui-même, p. 74) ; puis au niveau de cette toute présence reflexive qu'est le présent vivant, en tant que l'auto-affection pure sur laquelle elle repose implique toujours le signe au moment où elle le récuse.

Nous nous arrêterons sur ce dernier point, dont l'établissement forme le thème des deux derniers chapitres : La voix qui garde le silence et Le supplément dïorigine. Il s'agira maintenant de montrer qu' « à une cer- taine profondeur », Husserl est obligé de réinstaller, pour l'exclure, « un

1. Cf. p. 83, où Derrida associe « la présence du sens » comme « être-devant de V objet disponible pour un regard », et la présence « comme proximité à soi dans l'intériorité ». « Le pré de l'objet présent maintenant-devant est un contre (Gegenwart, Gegenstand) à la fois au sens du tout-contre de la proximité et de Vencontre de Top-posé ».

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noyau d'essence théorique de l'indication » (p. 80). Pour l'exclure, car, dans une rationalité fondée sur la présence, le signe est bien explicitement effacé pour laisser place à la chose même. Mais il est réinstallé avec le quasi effacement du signe dans la voix. Cette « substance d'expression » (p. 86) jouera un rôle philosophique central, puisque c'est elle qui donne l'illusion de la présence et qui agit dans l'impensé de toute philosophie.

La critique de la prééminence de la voix, dont il s'agira de montrer qu'elle est « habitée en dedans d'elle-même par la possibilité de l'écri- ture » (p. 92) se relie à celle de l'immanence absolue du présent au niveau pré-expressif, que la différence déjà conteste sous la forme de la temporalité. Deux plans d'analyse se déploient parallèlement, puis convergent dans une critique de la double illusion de la voix silencieuse et du présent originaire, ainsi que de leur langage, la métaphore. Car c'est métaphoriquement que la voix, le temps, interviennent dans le discours philosophique le plus rigoureux. Husserl en a eu conscience et a reconnu que, pour l'originaire, la subjectivité absolue, le langage manque. Mais il a préféré maintenir pour le temps originaire (le flux), pour la « vie », pour le sujet, des métaphores, plutôt que de tirer les conséquences extrêmes des exigences d'un langage qui se refuse à nommer en propre tout ce qui a trait à l'origine et à la présence.

« Pour tout cela les noms font défaut », écrit Husserl dans un passage des Leçons sur la conscience interne du temps (§ 36). Et citons la fin de l'importante note que Derrida consacre à cette question, ¡qui résume toute l'intention critique de La Voix et le Phénomène et porte vers les études de la Grammatologie :

« C'est donc la détermination de « subjectivité absolue » qui devrait aussi être raturée dès lors qu'on pense le présent à partir de la différence et non l'inverse. Le concept de subjectivité appartient a priori et en général à Tordre du constitué. Cela vaut a fortiori pour l'apprésentation analogique constituant Tintersubjectivité. Celle-ci est inséparable de la temporalisation comme ouver- ture du présent à un hors de soi, à un autre présent absolu. Cet hors-de-soi du temps est un espacement : une archi-scène. Cette scène comme rapport d'un présent à un autre présent comme tel, c'est-à-dire comme re- presentati on (Vergegenwärtigung ou Repräsentation) non dérivée, produit la structure du signe en général comme « renvoi », comme être-pour-quelque-chose (für etwas sein) et en interdit radicalement la réduction. Il n'y a pas de subjectivité constituante. Et il faut déconstruire jusqu'au concept de constitution » (p. 94).

C'est à partir de là, de la reconnaissance que vivent toujours chez Husserl les postulats de la métaphysique de la présence, de base méta- phorique (corps-âme, sujet-objet), que la conversion de l'intérêt théo- rique vers la faille, Poutre-clôture, est nécessaire. Parce que la différence maintenue au sein de la réduction phénoménologique la rend vaine. « Mais cette différence pure, qui constitue la présence à soi du présent

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vivant, y réintroduit originairement toute l'impureté qu'on a cru pou- voir en exclure » (p. 95). Tous les signes doivent être changés, si « le pré- sent vivant jaillit à partir de sa non-identité à soi », si « le présent est trace », « le soi originairement une trace ». Là où la démarche phénomé- nologique nous faisait découvrir un être dans la subjectivité pleine et indéfiniment renouvelée, nous ne trouvons qu'une extériorité et qu'un vide. L'ouverture découverte est bien une faille qui ouvrira, écrit Der- rida, sur de « l'inouï » (p. 115) puisqu'il ne s'agira plus pour la voix de s'entendre dire. Le commentaire ne propose pas une nouvelle réduction, ou l'abandon simple de la réduction, mais une véritable disruption, dans le passage de l'être à la trace ; parce que « la trace n'est pas un attribut dont on pourrait dire que le soi du présent vivant « l'est originairement », parce qu' « il faut penser l'être originaire depuis la trace et non l'inverse », comme « archi-écriture » qui « est à l'œuvre à l'origine du sens » (p. 95).

Nouvelle origine, ou mieux, comme le propose Derrida, supplément d'origine (c'est le titre du chapitre vu) 1, la notion d'origine renvoyant toujours dans le vocabulaire philosophique historique à une autre forme (authentique) de la présence, tandis qu'il s'agit de souligner le retard indéfini, et par essence, de la présence. Si l'indication est première par rapport à l'expression pleine, si le signe comme trace prend la place de l'expression telle que Husserl l'entend, c'est que sa fonction sera tou- jours et originairement de suppléer un manque. Le supplément d'origine est requis par toute philosophie de la présence 2 comme la marque de son impossible possibilité.

Et, de nouveau, en guise de preuve confirmant que la faille habite la clôture, le commentaire - dans la composition circulaire du livre - nous ramène, après l'incursion dans la phénoménologie transcendantale, à des analyses premières des Recherches. Car, s'il est vrai que l'indication ne peut être réduite au bénéfice de l'expression, l'interprétation se justifiera de trouver, dans Pexplicitement pensé de Husserl, déjà contestée la valeur de plénitude de l'expression. Or, cette valeur, si nous suivons ici l'inter- prétation que Derrida propose, se trouve effectivement mise en question à deux reprises dans la première Recherche.

Dans sa structure même l'expression implique une « non plénitude » (p. 99-100), en raison de la distinction fondamentale établie par Husserl entre intention et intuition, ou encore entre signification et objet. On peut conduire cette distinction au point où l'absence d'objet révèle le propre de la signification ; possibilité qui laisse entrevoir au terme de la dissociation l'idée que le vouloir dire, loin d'impliquer essentiellement

1. Pour l'explication et la justification de cette expression, voir De la Grommatolo g ief p. 441-442 : « II s'agit donc d'un supplément originaire, si cette expression absurde peut être risquée, tout irrecevable qu'elle est dans une logique classique. Supplément d'origine plutôt : qui supplée l'origine défaillante et qui pourtant n'est pas dérivé ; ce supplément est, comme on dit d'une pièce, d'origine ». ¿. Far exemple, celle de Kousseau, pour laquelle De la Grammatologie introduit la notion.

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l'intuition de l'objet « l'exclut essentiellement » (p. 102). Par suite, il serait légitime d'affirmer que c'est dans le non-sens, donc la non présence absolue que réside l'essentiel du sens. Pas que Husserl refuse de franchir possibilité qu'il n'exploite pas, mais qui se trouve, plus qu'à l'horizon de sa recherche, inscrite en elle. Faisons ce pas, alors s'ouvre une autre conception du langage, qui voit dans la « dérobade » (p. 117 : la chose même se dérobe toujours) de l'objet l'effet de sens d'une écriture qui diffère la présence de la chose, non par accident, mais par essence.

Et qui diffère également celle du sujet. Car le propre de l'expression sera de fonctionner en l'absence totale du sujet, par delà - et il faut aller jusqu'à dire par - sa mort. Déjà le commentaire de Derrida a signalé que la relation du sujet à la présence se trouve fondée dans un rapport à la mort dans l'idéalité et dans le signe (p. 60). Le « je suis mort » peut être proféré par la voix ; ce n'est pas une « Histoire extraordinaire » ' mais la variation ultime du Cogito à la limite d'un non sens où l'impossible présence à soi du Je donnant la plénitude à l'expression est signifiée. L'analyse husserlienne des « expressions essentiellement occasionnelles », où le Je occupe une place centrale, montre précisément, en guise de confirmation, que l'expression ne peut se passer de Vindication qui en avait été précédemment exclue. La « rentrée en masse de l'indication » (p. 105) au point où le Je ne joue plus que le rôle d'indice prouve que « ma mort est structurellement nécessaire au prononcé du Je » (p. 108) ; sur ce point encore contre l'intention explicite de Husserl, mais conformé- ment à la logique de ses prémisses.

Il y a donc là deux ouvertures en lesquelles la phénoménologie du lan- gage aurait pu (et doit) se prolonger, mais qu'elle rejette, tendue qu'elle est vers la limitation du sens au savoir, du logos à l'objectivité et à la raison (p. 111).

La phénoménologie a « tenté de nous faire croire » (p. 117) à la présence possible de ce qui « demeure » sous le regard ou dans la voix. L'examen de ce qu'elle a de plus profond conduit à formuler un autre commence- ment n'ouvrant « ni sur un savoir, ni sur un non savoir » (p. 115).

Pour commencer à penser, il faudra désormais commencer à poser que « maintenant nous ne savons plus » (p. 115), c'est-à-dire que nulle présence, nul savoir absolu ne sont possibles.

Voilà qui avait sans doute été déjà suggéré, évoqué, le long des divers chemins qu'emprunte la pensée contemporaine depuis Husserl, dans son prolongement ou contre lui, contre l'évidence phénoménologique de la

1. La Voix et le Phénomène propose en exergue cette phrase d'Edgar Poë extraite de « La vérité sur le cas de M. Valdemar » : i Maintenant, je suis mort ».

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conscience. Nous n'en ferons pas le recensement K L'originalité d'une pensée réside moins en ce qu'elle invente qu'en ce qu'elle permet de découvrir, c'est-à-dire de restructurer. Or, la force des analyses de Derrida vient de ce qu'elles nous arrachent à une quiétude, à toute quiétude. Elles bouleversent de fond en comble l'édifice de la phénoménologie husser- lienne, et par là de toute philosophie - entendue selon l'Idée de la phi- losophie - en en déplaçant le point d'appui. Car il ne s'agit plus de référer l'origine aux structures de la conscience 2 ; si l'on doit admettre, comme le propose Derrida, que « la réduction phénoménologique est une scène » (p. 96), le drame qui s'y joue est la mort de la conscience notifiée par le signe. Il n'est plus question d'origine, autre chose y supplée. La scène est par excellence le lieu du fictif, ce qui ne signifie pas nécessairement de l'inessentiel, mais de la métaphore, du non réel. Sur cette métaphore, sur la croyance que son langage signifiait effectivement un être, la pensée occidentale a jusqu'ici vécu. Elle commence à s'apercevoir qu'elle s'était trompée. Derrida désigne la nature et la place de ce leurre.

C'est à propos de la métaphore inhérente à son propre langage que la philosophie de la présence est traduite devant la critique au nom de la trace et de l'écriture. Car, ce qui est sa propre contradiction interne, la philosophie de la présence, celle de Husserl éminemment, se heurte à l'innommable que pourtant elle nomme « métaphoriquement », l'origine inanalysée de cette métaphore, essentielle à son fonctionnement, étant son impensé 8.

Or, la métaphore peut-elle être surmontée ? Telle est, selon nous la question fondamentale que Derrida nous contraint à poser dans une nou- velle prise de conscience décisive pour le destin de la philosophie, du Livre philosophique entendu comme révélateur et message de vérité.

Nous distinguerons deux formes primitives de langage : avec Hegel, dans VEsthétique, le langage prosaïque et le langage poétique, auxquels nous donnerons, en nous référant cette fois à une terminologie husser-

1. Il suffira de noter : l'introduction de la négativité dans la conscience ne déloge, chez Sartre, par exemple, ni la conscience ni la parole. Merleau-Ponty conteste la clô- ture reflexive du discours husserlien, mais cherche l'ouverture dans la direction d'un autre impensé, d'une autre présence, celle de la nature ou de l'être sauvage. Et bien que sa méditation suscite constamment le pré-constitué, et môme le non cons- titué, le mouvement selon lequel elle se développe nous paraît être l'inverse de celui qui porte la critique de Derrida. Car celle-ci va déceler la faille dans une « inscription » qui n'est plus l'être-là naturel, objet d'une doxa originaire, mais qui fait reculer, dans une fuite sans limite, l'instant de la plénitude.

2. (La phénoménologie transcendantale) « n'est précisément rien d'autre que la science des structures essentielles (Wesensgestaltungen) de la conscience en général, en tant que science des origines-mères (von den mütterlichen Ursprüngen) ». Husserl, Leçons de 1920-1921, Analysen zur passiven Synthesis, Husserliana, xi, p. 233.

3. Cf. la longue note de la page 60 de L Origine de la Géométrie, que Derrida consacre à la « facticité irréductible » du langage qui entache d'équivoque les expressions de la philosophie transcendantale en les rendant métaphoriques.

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Henne, le nom de langage « objectivant » et de langage « non-objecti- vant » *. Le langage prosaïque, comme celui de la connaissance, a sa fin dans l'objet ; depuis Maurice Blanchot, et sans doute depuis Mallarmé (mais c'est M. Blanchot qui nous a aidé à en prendre conscience), nous savons que le manque du réfèrent objectif est constituant de l'usage du langage poétique et du langage de la littérature en général : « Le langage littéraire, écrit Blanchot 2, est fait d'inquiétude, il est fait aussi de contra- dictions. Sa position est peu stable et peu solide. D'un côté, dans une chose, il ne s'intéresse qu'à son sens, à son absence, et cette absence il voudrait l'atteindre absolument en elle-même et pour elle-même, voulant atteindre dans son ensemble le mouvement indéfini de la compréhension », ou encore, dans le mot « le néant lutte et travaille, sans relâche il creuse, s'efforce, cherchant une issue, rendant nul ce qui l'enferme, infinie inquiétude, vigilance sans forme et sans nom ». C'est pourquoi, selon Blanchot, la littérature est, dans son fond, liée à la mort que porte le langage, mort de l'objet et du sujet, elle est « la vie qui porte la mort et se maintient en elle » (ibid.). Maître de la mort et pris en elle, l'écrivain voit s'ouvrir le domaine de l'imaginaire, qui « n'est pas une étrange région située par delà le monde, mais le monde même, mais le monde comme ensemble, comme tout » (p. 320) ; donc, qui n'est pas dans le monde, « car il est le monde, saisi et réalisé dans son ensemble par la négation globale de toutes les réalités particulières qui s'y trouvent, par leur mise hors jeu, par leur absence... (ibid.).

Il est difficile de lire ces pages de Blanchot sans songer à la réduction husserlienne et au rôle que joue en elle - et pour y donner accès - la modi- fication imaginaire 8. Mais dirons-nous alors qu'il y a parallélisme, voire identité, entre le langage de la philosophie et celui de la littérature, dans l'imaginaire qu'elle ouvre, dans la possibilité toujours maintenue de la mort à partir de laquelle elle se dessine ? Oertes, le langage philosophique est incontestablement apparenté au langage poétique, et Hegel le souli- gnait déjà *. Comme le langage poétique ou celui de la littérature, le langage philosophique fait reculer le réfèrent, bien qu'il le désigne parfois, mais provisoirement, comme Dieu, référentiel absolu, ou la conscience. Les actes en lesquels il se déploie ne sont pas objectivants au sens pro- saïque, au sens de la connaissance positive. Ils ne le sont pas, dirons- nous, « au premier degré ». Serait-ce à dire qu'ils ne le sont absolument pas, qu'ils font reculer indéfiniment le sens, qu'à l'absence du signifié ils substituent, comme le fait la littérature dans l'imaginaire, la simple « présentation » ? « Elle dit (la littérature) - écrit encore Maurice Blanchot : Je ne représente plus, je suis; je ne signifie pas, je présente » (ibid., p. 331).

Toutefois, lorsque la littérature présente dans l'imaginaire, elle n'a pas 1. Recherches logiques, t. II, 2e partie, p. 368 et suiv. 2. La Littérature et le droit à la mort, La part du feu, p. 128 et passim. 3. Cf. La Voix et le phénomène, p. 55, modification imaginaire et neutralisante. 4. Esthétique, trad. S. Jankélévitch, t. III, 2, p. 25 : « La pensée spéculative, qui

présente de ce fait une certaine affinité avec l'imagination poétique.

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la prétention de joindre la présentation à la signification, elle sait, tou- jours plus ou moins, qu'elle est travaillée intérieurement par la fiction. De là procède l'irréfutabilité de son dire. Mais, qu'en est-il de la philo- sophie ? Serait-elle dupe de son propre langage, qui est dans son essence le même que celui de la littérature ? En ce cas, elle présente, mais c'est l'être-même, la présence même qu'elle croit présenter. Elle œuvre dans l'imaginaire et ne le sait pas, victime de sa propre métaphore. Il y a un péché originel de la philosophie qui est de mêler deux langages qui devraient être dissociés par principe. Elle objective ce qui ne peut l'être d'aucune façon, elle signifie dans la présence ce qui ne pourrait être signifié que dans l'absence. La philosophie est de la littérature, et de la mauvaise littérature.

Pouvons-nous aller jusqu'à cette affirmation paradoxale ? Derrida nous y porte, dans la mesure où il décèle le vice d'origine de toute philo- sophie dans cette violence qu'elle fait à la « Lettre » de vouloir lui asso- cier « la chose » ou « l'esprit » *. Et il est vrai que Husserl découvre dans ses Recherches des possibilités du langage qui sont celles du langage litté- raire en général, du signe qui porte en soi la mort, et qu'il se détourne de ces possibilités en croyant en un langage destiné à la fois à l'objet, au présenté, et à la vie, à la présence.

Mais, s'il s'était laissé prendre au piège de la métaphore ? Contentons-nous de poser la question ; ce n'est encore ni le lieu ni le

temps d'apporter une réponse. Nous soulèverons simplement une série d'autres questions, que l'œuvre de Derrida suscite, pour autant qu'elle vise à repérer et à dissiper l'illusion : est-il possible à un langage de se tenir dans la vérité en faisant l'économie de la métaphore ? Peut-on passer du signe à la fonction de signifiant sans le déplacement qu'im- plique la métaphore, sans l'intervention de l'acte, métaphoriquement nommé, qui anime le signe d'une intention signifiante ? Un signe sans intention signifiante serait-il un signifiant 2 ?

Le langage juste et exact serait non métaphorique (De la Gr animatolo gie, p. 381), mais le langage qui entend cerner la présence est toujours méta- phorique, à commencer par la métaphore fondatrice de la voix. Sans

1. « La Lettre produit tous les effets de vérité dans l'homme, sans l'esprit », J. Lacan, Écrits, p. 507.

2. Si nous posons ainsi la question, si nous distinguons le signifiant du signe, alors la traduction paradoxale de bedeutsame Zeichen par « signe signifiant », que Derrida rejette p. 17-18, n'est peut-être pas aussi redondante et absurde qu'elle le paraît. On compren- dra : un signe (signe naturel ou marque) qui n'est pas un signifiant, qui n'entre pas encore dans la chaîne signifiante du signe linguistique. Par ailleurs, l'intention signi- fiante n'est pas de la nature du vouloir. Bedeuten, c'est sans doute « vouloir dire », mais aussi signifier. Là encore toute la question est de savoir si le langage philosophique doit être enfermé dans sa métaphore ou s'il peut se servir d'elle pour libérer le sens, et passer de l'image à la vérité. La déconnexion entre signification et objet nous semble marquer, chez Husserl, dès le début de la Recherche, ce passage, dans une intention essentiellement descriptive, du reste, et non génétique.

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doute le langage de l'écriture pure, celui de la « caractéristique » n'est plus métaphorique, mais ce n'est plus le langage, et en tout cas ce n'est pas celui que Derrida paraît proposer. Trace, archi-écriture, sont-ce des métaphores ? Oui, si l'on entend que ce sont des « figures » spatiales (la métaphore comme langage figuré), non si l'on entend que leur significa- tion propre devrait être métaphoriquement reprise « dans » l'esprit qui les actualiserait. Car ce sont les instruments destinés à écarter l'idée de cette actualisation possible. Au sens propre, ce sont des « lieux ». Et, comme l'écrit Derrida, à propos précisément de la différence contestée entre le discours communicatif réel et le discours solitaire fictif, en eux la différence entre le fictif et le réel doit s'abolir, comme la différence interne au sujet, en qui la métaphore est la désignation inévitable de l'auto-affection, Une trace ne s'affecte plus, elle indique une place. Le sujet fait place à une topique.

Libérer en même temps qu'inscrire la place du sujet dans une topique où les pensées se cherchent « à travers la mémoire des vieux signes » (La Voix et le Phénomène, p. 115), ce peut être la libération de la recherche par delà l'illusion du Livre, ce peut être aussi la forme ultime que prend l'angoisse d'une aliénation.

A moins que l'on accepte, entre l'intention et le signe, entre la pré- sence et la trace, au sein de l'ouverture qui est l'expérience même de notre condition, l'oscillation irréductible :

a Mais nous, quand nous pensons l'Un entièrement, nous sentons déjà le déploiement de l'Autre... L»

(Rilke, IVe Élégie de Duino.)

René Schérer.

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