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Des « clusters » aux « small-worlds » une approche en termes de proximités Clusters and proximity: suitability of the small- world approach Jean-Benoît Zimmermann * CNRS / GREQAM–EHESS, Centre de la Vielle Charité, 2, rue de la Charité, 13002 Marseille, France Résumé La littérature récente reconnaît, sur un plan empirique, l’efficacité productive et innovatrice d’un mode d’organisation industrielle fondé sur l’existence de systèmes industriels locaux, dénommés « clusters », articulés au sein de circuits industriels et commerciaux globaux. Ces études montrent que l’espace à lui seul ne fournit pas les conditions suffisantes de la coordination mais peut contribuer à son efficacité sous la condition d’existence d’autres dimensions de partage entre les agents : plan organique, représentations, projets… Cette approche peut donc utilement se traduire dans une lecture en termes d’économie de proximités et d’agents situés impliqués à la fois dans une dimension, une cohérence de nature locale et dans des jeux externes de complémentarité et de concurrence. Elle trouve un mode de conceptualisation théorique particulièrement prometteur dans le modèle des « small-worlds » fondé sur une représentation du monde où une dose conséquente d’interconnexions locales génère une forte connectivité du réseau (cliquishness), tandis que l’existence d’une proportion plus réduite d’interconnexions globales (short-cuts) assure une efficacité d’accès en tous points du réseau (path length). © 2002 E ´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract A recent literature has described, on an empirical level, the mode of working of local industrial organizations, called “clusters”, strongly inserted within global industrial and commercial networks. Those studies have shown that space by itself doesn’t offer the sufficient conditions for co-ordination but can contribute to its efficiency, providing the existence of other sharing > Note : Une version abrégée de cet article est aussi parue dans la Revue Économique, n° 3, (mai) 2002. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.B. Zimmermann). Géographie, E ´ conomie, Société 4 (2002) 3–17 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 1 2 9 5 - 9 2 6 X ( 0 2 ) 0 0 0 0 2 - 3

Clusters and proximity: suitability of the small-world approach

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Des « clusters » aux « small-worlds » une approcheen termes de proximités

Clusters and proximity: suitability of the small-world approach

Jean-Benoît Zimmermann *

CNRS / GREQAM–EHESS, Centre de la Vielle Charité, 2, rue de la Charité, 13002 Marseille, France

Résumé

La littérature récente reconnaît, sur un plan empirique, l’efficacité productive et innovatrice d’unmode d’organisation industrielle fondé sur l’existence de systèmes industriels locaux, dénommés« clusters », articulés au sein de circuits industriels et commerciaux globaux. Ces études montrentque l’espace à lui seul ne fournit pas les conditions suffisantes de la coordination mais peutcontribuer à son efficacité sous la condition d’existence d’autres dimensions de partage entre lesagents : plan organique, représentations, projets… Cette approche peut donc utilement se traduiredans une lecture en termes d’économie de proximités et d’agents situés impliqués à la fois dans unedimension, une cohérence de nature locale et dans des jeux externes de complémentarité et deconcurrence. Elle trouve un mode de conceptualisation théorique particulièrement prometteur dansle modèle des « small-worlds » fondé sur une représentation du monde où une dose conséquented’interconnexions locales génère une forte connectivité du réseau (cliquishness), tandis quel’existence d’une proportion plus réduite d’interconnexions globales (short-cuts) assure uneefficacité d’accès en tous points du réseau (path length). © 2002 Editions scientifiques etmédicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

A recent literature has described, on an empirical level, the mode of working of local industrialorganizations, called “clusters”, strongly inserted within global industrial and commercialnetworks. Those studies have shown that space by itself doesn’t offer the sufficient conditions forco-ordination but can contribute to its efficiency, providing the existence of other sharing

> Note : Une version abrégée de cet article est aussi parue dans laRevue Économique, n° 3, (mai) 2002.* Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (J.B. Zimmermann).

Géographie, E´conomie, Société 4 (2002) 3–17

© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.PII: S 1 2 9 5 - 9 2 6 X ( 0 2 ) 0 0 0 0 2 - 3

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dimensions among agents: organic level, representations, projects… Such an approach can beusefully translated in the terms of proximity economics based on “situated agents” that areinvolved both in a local co-ordination game and in external complementarities and competitionrelations. For that purpose, “small-worlds” theory brings a very fruitful way to build models inwhich a substantial amount of local interconnections generate a high network cliquishness, whilsta more reduced proportion of global links (shortcuts) ensures an efficient access (path length) toany node of the network. © 2002 Editions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rightsreserved.

Mots clés: Clusters; Réseaux; Small-worlds; Proximité

Keywords: Clusters; Networks; Small-Worlds; Proximity

1. Introduction

La littérature récente, consacrée aux dynamiques industrielles, a largement mis enavant le concept de grappes d’entreprises ou « clusters ». Cette approche consacre à lafois une reconnaissance du renouvellement de la dimension locale, territoriale, dansl’organisation industrielle et la place de l’ innovation dans ces dynamiques. Lesperformances productives trouvent leurs fondements non seulement dans les caractéris-tiques propres des entreprises, mais aussi dans la qualité de leurs interactions aussi biensur le plan de relations de marché (délais, spécification des produits, services associés…),que sur celui de relations hors-marché (coopération technologique, partenariats deformation…). Quant à l’ innovation, elle trouve de plus en plus son cadre dans dessystèmes d’acteurs et tire son efficience de la complémentarité des compétencesdisponibles et de la qualité des dispositifs de coordination mis en jeu ; c’est pourquoi lanotion de système national d’ innovation (Lundvall, 1992) a connu le succès que l’on saitet a connu certaines tentatives d’extension vers des niveaux infra-nationaux.

Dans ce contexte, l’efficacité des interactions est souvent contingente d’une proximitégéographique dont les vertus peuvent être expliquées à deux niveaux : bilatéral etmultilatéral. D’une part la colocation de deux activités va permettre aux agents concernésde pouvoir bénéficier aussi fréquemment que souhaitable des conditions de face à facenécessaires à leur interaction (interventions sur site, ingénierie commune, transferts desavoirs tacites, …). D’autre part aussi, la présence sur un même site ou dans un environ-nement proche d’un certain nombre d’acteurs complémentaires va permettre de réaliser,sur une base locale, un éventail de combinaisons productives et d’ interactions, plus diffi-ciles à réaliser de manière dispersée et dont la concentration est source d’efficacité pro-ductive pour les acteurs individuels (par exemple lorsqu’ il s’agit de fourniture de servi-ces spécialisés ou de sous-traitance de spécialité). On a là un effet de « cliques » au sensde la théorie des graphes qui explique l’ importance des réseaux locaux au sein de circuitsglobaux et qui contribue à un ancrage territorial fondé sur une dynamique d’acteurs.

Mais, en même temps le rôle de la proximité dans les dispositifs de coordination n’estpas toujours limité à sa seule acception spatiale. La proximité des agents peuts’accommoder d’une distance géographique compensée par le partage de buts communs

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ou de représentations communes qui vont fonder la qualité de leur coordination. D’abordles relations de face-à-face, lorsqu’elles ne s’ imposent pas de manière continue peuventparfois se satisfaire de rencontres périodiques à la faveur de déplacements des individus.Ensuite les systèmes localisés n’ayant pas pour finalité le renfermement et l’autarcie, leurouverture non seulement commerciale, mais aussi technologique et productive, sur lereste du monde fait partie intégrante de leur raison d’être. Plus encore, ainsi que lesoulignent Rallet et Torre (2001), le partage d’un certain nombre de valeurs et de règlesest sans doute une condition plus essentielle à la coordination des agents que leur seulelocalisation les uns à côté des autres. « La proximité géographique n’est efficace que sielle recouvre des liens organisationnels ».

Deux conséquences majeures nous semblent devoir être mises en évidence. Lapremière a trait à ce que l’on pourrait nommer « l’ illusion du local » ; elle vise à intégrerl’ idée que la localisation à proximité n’est pas en elle-même génératrice de synergie. Ilexiste des multitudes d’exemples d’acteurs industriels qui exercent leur activité àfaibledistance en ignorance mutuelle totale, alors même parfois que leur interaction pourraitgénérer pour chacun d’eux un surcroît d’efficacité productive et alors même que l’un oul’autre cherche àbénéficier dans ce but d’une interaction plus coûteuse avec un partenairegéographiquement éloigné. La seconde conséquence est l’ idée que l’on ne peut concevoirde système local autrement que comme système ouvert, non pas au sens thermodyna-mique du terme (système dissipatif), mais au sens de système qui fonde son mode defonctionnement sur l’existence et la qualité de liens avec le global (transports etcommunications, mais aussi liens informationnels et liens organisationnels).

Sur le plan de la modélisation, les travaux courants consistent soit en des modèlesfondés sur l’organisation et qui négligent l’espace, soit sur des modèles spatiaux quiengendrent des effets d’externalités comme conséquence d’une proximité spatiale entreles agents. L’approche en termes de « small-worlds » ou petits-mondes, que nousvoudrions discuter ici, a ceci de spécifique qu’elle dissocie la localisation des agents surun espace métrique de l’existence de liens bilatéraux vecteurs d’ interaction. Autrementdit les propriétés du modèle résultent de la nature du dosage entre les relations àcaractèrelocal et celles à caractère global. De cette confrontation local-global résultent despropriétés remarquables sur lesquelles il nous semble utile de nous pencher.

La section 2 de ce papier va donc tout d’abord revenir sur les fondements del’approche en termes de clusters afin de mettre en lumière, tant sur le plan empirique quesur le plan conceptuel, la manière dont elle recouvre un fonctionnement de systèmeouvert au sens défini ci-dessus. Dans la section 3 nous présenterons ensuite lesfondements des modèles de small-worlds et les principales propriétés qui ont été misesen évidence dans des travaux récents. Enfin nous conclurons sur les perspectives derecherche ouvertes par ce type d’approche, en économie de proximités.

2. Des districts aux clusters : une nécessité conceptuelle

La notion de « clusters » ou grappes d’entreprises est apparue dans la seconde moitiédes années quatre-vingt dix dans la double filiation des travaux d’Alfred Marshall sur lesdistricts industriels, ramenés sur le devant de la scène par les économistes de la

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« Troisième Italie » et de ceux de Joseph Schumpeter, au centre des approchescontemporaines en économie de l’ innovation.

L’approche en termes de clusters, bien qu’elle ne s’appuie pas sur une définitionprécise généralement reconnue et malgré donc la variabilité des conceptions mises enœuvre, représente une avancée intéressante sur le plan analytique et sur celui d’uneinstrumentation en termes de politiques publiques (OCDE, 1999). Elle constitue unerupture avec les approches de nature sectorielle et un élargissement par rapport au cadretrop étroit de la notion de district.

Le contexte de globalisation des industries et de la technologie a ceci de particulierque, loin de constituer un processus d’uniformisation de l’espace économique, elle puisesa force dans sa capacité de tirer parti de spécificités, aussi bien technologiques quegéographiques, pour les articuler dans leurs complémentarités. Il est utile, par consé-quent, de considérer que le regain d’ importance des territoires constitue une conséquenceparadoxale de la globalisation qui requiert de l’économie spatiale et régionale unrenouvellement conceptuel et analytique. Si la dimension locale des dynamiquesindustrielles connaît un regain d’ importance, le rapport des firmes aux territoires s’estdans le même temps transformé. Il n’est plus fondé sur la stabilité et la durabilité, maissur la nécessité pour les entreprises de préserver une grande capacité de réactivité dansun monde régi par une puissante dynamique d’ innovation et l’ instabilité des règles etmodalités de la concurrence.

La conséquence la plus naturelle en est le nomadisme des entreprises (Zimmermann,1998), qui cherchent, dans la mobilité, à maintenir les conditions de leur compétitivité,à travers des stratégies de déploiement géographique et fonctionnel visant à tirer lemeilleur parti possible d’un réservoir de ressources qui s’étend par définition à l’échellede la planète. Cette nécessaire flexibilité organisationnelle transforme le rapport desfirmes aux territoires mais n’exclut pas pour autant une certaine durabilité de la relation,si tant est que l’entreprise puisse y trouver de manière renouvelée les ressourcesnécessaires à conforter sa propre trajectoire. Cette alternative, qui est celle de l’ancrageterritorial, résulte d’une forme d’accompagnement, de mise en phase de trajectoiresd’entreprises avec la trajectoire d’un territoire, à travers un processus d’enrichissementréciproque, de co-production de ressources au bénéfice mutuel de chacun des partenairesimpliqués (CGP, 1995 et 1998). Au cœur d’un tel processus, la notion de rencontreproductive exprime la capacité d’un ensemble d’entreprises et d’ institutions d’autresnatures (recherche, formation…), présentes sur un territoire, à apporter collectivementune solution pertinente à un problème productif, voire à formuler et résoudre unproblème productif inédit (Colletis et Pecqueur, 1993). Cette dynamique collective,territoriale, fonde l’efficience productive et innovatrice de chacun des partenaires et lesincite à approfondir leur rapport au territoire plutôt que de chercher ailleurs les sourcesdu renouvellement de leur compétitivité d’entreprise.

Analyser le fonctionnement de systèmes industriels localisés, suppose par conséquentde pouvoir rendre compte à la fois de leur dynamique interne, de leur dynamique externeet de la nature locale inhérente ou non à ce mode de fonctionnement, c’est-à-dire sa partlocale de détermination. À titre d’ illustration on peut citer l’exemple de l’entreprise STMicroelectronics dans l’Aire Métropolitaine Marseillaise (Rychen et Zimmermann,2001). Implantée depuis 1979, l’usine de Rousset a une mission de production et se

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cantonnait à fabriquer des circuits conçus dans d’autres unités du groupe, pour uneclientèle gérée à d’autres niveaux de l’organisation. Or les effets d’ interaction quel’établissement a été amené à entretenir avec d’autres entreprises présentes dans uneproximité géographique et notamment avec le pôle de la carte à puce et son leaderGemplus, ont singulièrement infléchi cette situation. ST–Rousset est devenu pôle decompétence du groupe dans le domaine des mémoires non-volatiles ; s’ il n’y a pasaujourd’hui d’activités de recherche sur le site, des activités de conception de circuitscommencent à se développer et l’usine a acquis une autonomie partielle en matière derelation avec ses clients et de commercialisation de circuits. ST Microelectronics quiétait, dix ans auparavant, sur le point de quitter le site, a renforcé son implantation eninvestissant et en embauchant pour de nouvelles lignes de production et s’est investiedans le système local de formation en délocalisant dans l’aire métropolitaine sonuniversité d’entreprise.

Sur le plan conceptuel, les travaux sur les districts industriels ont représenté, dans lecourant des années quatre-vingt, une avancée considérable. Tombé dans l’oubli, loin despréoccupations des économistes, pendant plusieurs décennies, le concept marshallien dedistrict industriel a été remis à l’honneur dans les années 1980, par les travaux concernantla réussite économique et la capacité de résistance à la crise de certaines régions d’ Italie(Brusco, 1982 ; Becattini, 1987). Celles que l’on a, dès lors, désignées sous l’appellationde « Troisième Italie » par opposition avec le Nord de la grande industrie et le Sudsous-développé.

Le point saillant de ces études révèle l’ importance de petites et moyennes entreprises,ou même de très petites entreprises, hors des grandes métropoles, spécialisées etfortement inter-reliées, au sein de réseaux locaux qui s’appuient non pas sur des relationscontractuelles, mais sur une assise sociale, voire familiale, forte. C’est sur la base dupotentiel d’adaptation et de recombinaison de ces réseaux que s’est forgé le caractèrecollectif de spécialisation flexible (Piore et Sabel, 1984) qui en fait la force. « Ceciimplique donc à la fois spécialisation et diversification productive, intégration etflexibilitéorganisationnelle, autour d’unités productives tenant lieu d’éléments pivots quigarantissent l’accès de tous au marché final » (Courault et Romani, 1990). Marchéqui nese limite pas à un horizon local, mais qui relève d’une très réelle et compétitiveimplication dans la concurrence mondiale.

La seconde caractéristique du modèle italien, et sans doute la plus originale, résidedans la façon dont la flexibilité productive s’appuie sur une flexibilité sociale (gestion dela main d’œuvre), dans le cadre d’une configuration spatiale délimitée par les imbrica-tions sociales propres du village, du clan, de la famille.

Malgré l’ intérêt évident de ces travaux, il convient de souligner l’ inscriptionhistorique et sociale d’un modèle bien spécifié et par conséquent les limites relatives auxpossibilités de reproduction, de généralisation du modèle, parfois un peu hâtivementavancées. Amin et Robins (1989) mettent en garde face à la montée de ce qu’ ils nomment« la nouvelle orthodoxie » des districts industriels, la volonté de donner une vertuglobale, universelle, à un concept spécifique, sur la base du postulat que les loisfondamentales du développement capitaliste, de fordistes seraient devenues marshallien-nes. Ils plaident contre le réductionnisme inhérent à ce genre de modèle qui, cherchantà englober l’ensemble des modes d’organisation industrielle locale, en gomme les

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spécificités et les facteurs d’explication les plus effectifs. Et il serait en outre abusif d’enfaire l’unique moteur d’un nouveau mode d’accumulation capitaliste. « Perhaps thegrowth of such areas, too, ought to be put down to factors such as the development andextension of niche markets, rather than to monumental changes such as the end of massconsumption ».

Quant à la territorialité des synergies attendues est ce nécessairement l’aspectspatialement localisé qui domine ? Alors même que les entreprises, dans un contexte deglobalisation des industries et de la technologie, sont précipitées dans un jeu decoopération et de concurrence qui s’établit, de plus en plus, à l’échelle de la planète.

Finalement le nécessaire dépassement du concept de district suppose d’ intégrer troisaspects essentiels :

1. La constitution de systèmes industriels localisés n’est pas nécessairement le seulfait de petites et moyennes entreprises, mais peut fort bien intégrer de grandesentreprises ou du moins des établissement localisés de grandes entreprises. Il s’agiten quelque sorte ici de réconcilier Alfred Marshall et François Perroux, les districtsindustriels et les pôles de croissance, cette « réconciliation » s’opérant par leprocessus d’ancrage territorial de la grande firme.

2. La cohérence de tels systèmes ne repose pas nécessairement sur leurs seulescomposantes et ressources internes, mais aussi sur leur capacité à capter desressources externes et à s’ insérer dans des circuits globaux. Cette articulationinterne-externe est souvent portée par de grandes entreprises multi-établissements,mais peut également être le fait de plus petites structures bien insérées dans descircuits globaux (industriels, commerciaux, scientifiques et techniques). Elle peutêtre également portée par d’autres institutions comme de grands organismes derecherche (CEA, NASA…).

3. La dynamique fondamentale de tels systèmes réside non seulement dans sonefficacité productive, mais également dans sa capacité àprendre part aux processusde renouvellement des conditions de l’activité industrielle, c’est-à-dire dans sacapacité d’ innovation. On retrouve ici le caractère central de la notion de rencontreproductive et les conditions à la fois d’une capacité às’ insérer activement dans descircuits globaux et à intégrer en leur sein des établissements de grandes entreprisessans hypothéquer pour autant la dimension locale, territoriale, des cohérences. Parrapport au district il s’agirait de passer d’un modèle de spécialisation flexible à unmodèle de flexibilité dynamique (Coriat, 1990), grâce auquel les entreprisespeuvent chercher l’ancrage territorial à travers des processus de co-production deressources.

Dans une telle perspective, la notion de proximité, de par son caractère pluriel, spatialet non spatial, constitue un bon outil intellectuel pour comprendre la manière dont desarticulations internes et externes peuvent se trouver complémentaires et non antagoniques, fonder la pérennité territoriale par sa cohérence interne et par son accessibilitéexterne. Ce qu’ il y a de fondamental dans la notion de proximité c’est qu’elle permet depenser la coordination d’agents situés (Rallet, 1999), c’est-à-dire d’agents qui sont à lafois là et ailleurs, alors que l’approche de l’espace telle que nous l’enseignait la visiontraditionnelle de la théorie de la localisation, était de penser des agents qui seraient là etpas ailleurs.

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La notion de cluster, apparue dans ces récentes années, a le mérite, malgré son flouconceptuel de fournir un cadre ouvert àde tels aspects et de se trouver bien en phase avecla manière dont fonctionnent actuellement nombre de systèmes industriels territorialisés,ainsi que de nombreuses études empiriques récentes ont pu le montrer. Porter (1998), quia étudié le fonctionnement d’un grand nombre de clusters aux États–Unis mais aussi auPortugal, insiste sur l’ idée que les effets des clusters ne sont pas de générer uneexternalité dont le bénéfice pourrait être tiré à travers une simple opération delocalisation. « To maximize the benefits of cluster involvment, companies must partici-pate actively and establish a significant local presence ». Dès lors, entendu commesystème d’acteurs, les clusters construisent leur efficacité sur trois dimensions principa-les :

1. par l’amélioration de la productivité des entreprises qui en font partie ;2. en stimulant l’ innovation, clef de la productivité future ;3. en stimulant la formation de nouvelles activités industrielles.Dans une approche très en phase avec l’approche que nous avons exposée précédem-

ment, DeBresson et Hu (1999) proposent de comprendre le phénomène des clusters àtravers une conception élargie de l’espace, dans lequel se construisent les coordinations.« Clustering, polarisation (of firms, networks of firms, technologies, innovations,adoptions) have to be determined in relation to specified spatial dimensions. Space canhave many dimensions : attributes –such as size, internal organization, etc. ; physicaltransport, communication, cultural, technological, functional distances, etc. Distance orproximity must be measured along these dimensions (…) ».

Dès lors il semble correct de ne pas mettre la concentration géographique commecondition basique de la formation d’un cluster, mais, de même que dans l’analysemashalienne des économies externes, de considérer la proximitégéographique comme uncontexte favorable à leur constitution. Les aspects de complémentarité entre relationsinternes et relations externes apparaissent alors comme inhérents au concept et il ne s’agitplus de considérer des systèmes locaux selon leur seule cohérence locale mais dotés deleur capacité d’accès, à travers leurs liens externes, à une base élargie de ressources.

Cette approche, qui est le pendant collectif du caractère « situé »de l’agent individueltrouve un écho intéressant dans une approche formelle particulièrement bien adaptée ànos préoccupations présentes. Il s’agit des modèles formels de « petits mondes » ousmall-worlds dont nous allons présenter les fondements et les propriétés les mieux enphase avec l’approche des clusters.

3. Small-worlds : un modèle d’interaction d’agents situés

Nous nous situons dans le contexte théorique d’une économie d’ interactions (Kirman,1998). Dans ce contexte, nous considérons qu’ il y a interactions dès lors que l’état (oula décision) d’un agent, quel qu’ il soit, est dépendant des états (ou des décisions) desautres agents. Cette interaction peut être directe ou indirecte. À un extrême, dans lemodèle walrasien, cette interaction est médiatisée par le système des prix ; à l’autreextrême, dans la théorie des jeux standards, les agents interagissent deux àdeux à traversdes jeux bilatéraux.

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Bien que de portée limitée, un modèle d’ interactions bilatérales constitue unereprésentation simple mais acceptable de l’économie dans la mesure où il peut sansdifficulté être couplé avec des modalités complémentaires de l’ interaction : effetsglobaux médiatisés ou non par le système de prix, adhésion à des normes decomportement, des communautés de nature sociale, épistémique, culturelle, … effets liésaux caractéristiques individuelles des agents (secteur, taille, normes… pour les entrepri-ses, age, CSP, origine nationale, formation… pour les individus). Un tel modèle présentel’ immense avantage de pouvoir être représenté selon un graphe (orienté ou on, valué ounon) lequel peut être ou non inscrit dans un espace métrique. À la limite, lorsque lescontraintes de l’espace métrique l’emportent sur toute autre forme relationnelle, legraphe peut-être ramené à une structure de treillis dans laquelle un agent interagit demanière strictement limitée à ses plus proches voisins, voire en fonction de l’ inverse dela distance qui le sépare des autres agents (modèles gravitationnels). Les modèles desmall-worlds présentent l’avantage de pouvoir être formulés en combinant localisationdans un espace métrique et structure relationnelle support de l’ interaction des agents, lapremière pouvant, à des degrés variable, conditionner ou non l’existence ou l’évolutiondes relations entre agents.

Le concept de small-world trouve son origine dans des travaux américains depsychosociologie durant les années soixante (Milgram, 1967). Ces travaux faisaientréférence à une première expérience qui avait été conduite à l’époque et qui consistait àétudier à travers combien d’ intermédiaires successifs il était possible de relier deuxpersonnes, choisies de manière aussi arbitraire que possible, sur le territoire desÉtats–Unis. Le résultat de cette expérience, connu sous le vocable du « six degrees ofseparation » exprimait qu’ il était possible de relier deux personnes quelconques à traversune chaîne de connaissances d’une longueur moyenne de six relations interindividuelles.Ces travaux ont connu un devenir assez populaire et plus folklorique que scientifique(comme le « Kevin Bacon Game » sur le monde des vedettes de cinéma), jusqu’à leurremise en intérêt par les propositions d’un jeune étudiant en PhD de mécanique théoriqueet appliquée (Watts et Strogatz, 1998 ; Watts, 1999a) et le renouveau d’attention quecelui-ci suscita aussi bien dans le champ de la physique (Barrat et Weigt, 2000) que danscelui de la sociologie (Watts, 1999b) ou de l’économie (Cowan et Jonard, 1999).

La formalisation proposée par Duncan Watts consiste à localiser N agents sur unestructure métrique régulière, un treillis, et de considérer que le réseau social support deleurs relations est plus ou moins contraint par la localisation spatiale de chacun d’eux. Enajoutant à cette approche une contrainte de type budgétaire qui limite à une valeurmoyenne de k le nombre de relations qu’un agent donné peut entretenir avec d’autresagents, on obtient une structure de réseau dont il s’agit d’évaluer les propriétés. Deux caspolaires peuvent être mis en avant : à un extrême, qui correspond à une logique localepure, tout agent ne peut entretenir de relations qu’avec ses k plus proches voisins. Ceréseau est désigné comme réseau « régulier », dans la mesure ou sa structure locale sereproduit à l’ identique, de proche en proche sur l’ensemble du réseau, dont le caractèreisotrope est par conséquent maximal ; chaque sommet est affecté d’un même niveau deconnectivité individuelle égale à k. À l’opposé les relations qu’entretiennent les agentssont tirées de manière totalement aléatoires, sans aucune prise en compte de leurlocalisation. Il s’agit d’un réseau aléatoire pur, qui correspond àune logique globale dans

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laquelle les relations entre les agents sont d’un ordre qui méconnaît l’espace. On perçoitd’ores et déjà que l’ intérêt pour nous est relatif aux situations intermédiaires, celles quicombinent des effets de proximitégéographique et des effets a-spatiaux, des structures deréseaux qui combinent le local et le global.

Pour expliciter cette approche, le support métrique le plus simple consiste à répartir,en dimension 1, les agents à distance régulière le long d’une droite et à refermer celle-cisur elle-même en un cercle, de manière à éviter les effets de bords. On peut alors partirdu graphe local pur et obtenir un graphe quelconque entre celui-ci et le graphe aléatoirepur (global) en réallouant de manière aléatoire chacun des liens avec une probabilitép ∈ [0, 1]. Autrement dit chacun des liens a une probabilitép d’être substituépar un autrelien tiré aléatoirement. À l’ issue de ce processus, une proportion p des liens est donc denature « globale », tandis qu’une proportion (1–p) reste de nature locale (Fig. 1). p peutêtre considéré comme une mesure du désordre du réseau. Si la connectivité individuellemoyenne reste égale à k, sa dispersion en revanche s’accroît avec p (Barrat et Weigt,2000). Or, au cœur de ce continuum de structures intermédiaires, Duncan Watts mets enévidence l’existence d’une catégorie particulière de configurations de réseau dotée depropriétés remarquables.

L’établissement de liens globaux ou « raccourcis » à partir d’un graphe régulier, s’ ila un impact immédiatement mesurable en matière d’amélioration de l’accessibilité d’unpoint à un autre quelconque du graphe, a aussi pour effet d’en réduire la cohésion. Plusprécisément on mesure l’accessibilité globale du graphe comme la longueur moyenne duplus court chemin reliant une paire quelconque d’ individus au sein du graphe (averagepath length). Cette mesure constitue une bonne évaluation du degré de maillage globalau sein du réseau. La cohésion (cliquishness ou clustering coefficient) est mesurée quantàelle comme la probabilitéque deux individus connectés àun troisième soient également

Fig. 1. Une procédure de reconnexion entre réseau régulier et réseau aléatoire. Source : Watts et Strogatz(1998).

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connectés entre eux1. Cette mesure constitue une bonne évaluation de l’ importance descliques au sein du réseau, dont une modalité naturelle de réalisation est la présence d’unfort maillage à l’échelle locale2. Dès lors, au graphe régulier correspond une cohésionforte et un niveau d’accessibilité faible, tandis qu’au graphe aléatoire pur correspond unniveau d’accessibilité fort et une cohésion faible. Pourtant, lorsque l’on examine,l’évolution conjointe de ces deux indicateurs, on constate (Fig. 2) qu’ il existe toute unezone, correspondant à une valeur de p comprise ici entre 0,01 et 0,1 approximativement,pour laquelle un fort niveau d’accessibilité est dores et déjà établi, tandis que la cohésiondu réseau s’est encore peu dégradée et se maintien à une valeur élevée3.

Ce type de configuration présente des propriétés qui rejoignent les résultats expéri-mentaux qui ont donné naissance à la notion de « small-worlds » et nous caractérisonspar conséquent comme telles ces structures de réseau qui permettent de concilier lespropriétés locales des réseaux réguliers et les propriétés globales des réseaux aléatoires.

Pour ce qui nous concerne, le jeu optimal de complémentarité entre des relationslocales, éminemment spatiales (plus proches voisins sur une structure munie d’unemétrique) et des relations globales, par essence a-spatiales, nous permet de représenter de

1 Ce qui, en termes d’amitiés traduit le degré de vérification du vieil adage « les amis de mes amis sont mesamis ».

2 Deux pôles voisins ont en général un certain nombre de voisins en commun avec une probabilité quidécroît avec p. En soi, l’existence d’un nombre élevé de cliques ne requiert pas une base locale pour êtreconstituée. Elle peut également s’opérer sur la base d’une proximité d’un autre ordre : domaine d’activité,appartenance à une même organisation, origine commune… Néanmoins dans le processus de génération degraphes adopté ici, plus la connectivité est élevée, plus on est proche du graphe régulier, c’est-à-dire plus lemaillage local est intense. Watts (1999a et b) indique d’autres processus de génération de graphes quiconduisent également à la formation de small-worlds, sur une autre base.

3 Ce résultat est obtenu pour N = 20 et k = 4. Pour N = 500 et k = 10, Cowan et Jonard (1999) obtiennent lesmêmes propriétés sur [0,005, 0,1]. Barrat et Weigt (2000) montrent que le résultat peut être étendu pour unevaleur décroissante de p à condition de disposer d’un réseau de taille N croissante suffisamment élevée.

Fig. 2. Accessibilité et connectivité selon le degré de reconnexion. Source : Watts et Strogatz (1998).

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manière particulièrement prometteuse les effets de complémentarité entre une proximitéspatiale et une proximité d’une autre nature dans le cadre de laquelle se construit larelation entre deux agents, c’est-à-dire le support de leur interaction. Ce qui estremarquable ici dans ce modèle de small-worlds est l’ idée de concilier deux modalité dupositionnement des agents qui les constituent par conséquent en agents situés, au sens ounous l’entendions plus haut. D’une part une inscription spatiale dans laquelle sontpositionnés les agents (on pourra parler de localisation) génère entre eux une distance etdonc une plus ou moins grande proximité spatiale, qu’elle soit ou non assortie d’uneliaison. D’autre part, le faisceau de relations qui constitue l’environnement relationnel dechacun des agents, n’est pas en soi contingent de l’ inscription spatiale de ceux-ci. Maisdu recouvrement plus ou moins intense entre proximité spatiale et proximiténon-spatialeque traduisent ces relations, découlent des propriété particulières. C’est tout particuliè-rement le cas d’ une certaine gamme de réseaux, que nous désignons comme dessmall-worlds ou petits mondes, et qui dosent une proportion modérées de relationsglobales dans le contexte d’un intense maillage local. Nous sommes clairement dans unelogique similaire à la logique empirique des clusters.

Dans un ordre de préoccupations proche des nôtres ici, c’est-à-dire dans le contexted’une économie fondée sur la connaissance, Cowan et Jonard (1999) prennent commetoile de fond le continuum de structures de réseau ainsi proposé par Duncan Watts poury mettre en place un processus de diffusion de connaissances fondé sur une logique detroc. À chaque période de temps un des liens du réseau est activé de manière aléatoireet les deux partenaires confrontent leurs profils de compétences en vue de pouvoirs’échanger des compétences dans des domaines ou l’un est respectivement plus qualifiéque l’autre. Les auteurs étudient la dynamique de diffusion dans des structures obtenuesen faisant varier le niveau de reconnexion p de 0 à 1. Les résultats obtenus montrent queles structures de type small world présentent, de ce point de vue, des propriétésremarquables, dans la mesure où le niveau local de connexion (cliquishness) assure unediffusion efficace dans les différentes « régions » de la structure, tandis que l’existenced’une dose suffisamment élevée de short-cuts (liaisons globales) assure un potentield’ irrigation inter-clusters qui évite une rapide saturation des possibilités d’échange,comme cela est le cas dans une structure de réseau régulier. Plus précisément, le niveaumoyen de connaissances, à l’ issue du processus de diffusion (il n’y a pas de création oude renouvellement endogène des connaissances) est maximal sur l’ intervalle p ∈ [0,05,0,1] et culmine pour une valeur de p = 0,06 (Fig. 3). En ce qui concerne la distributiondes connaissances au sein de la population, la zone des small-worlds n’est pas enrevanche source d’homogénéité, puisque, au contraire, c’est dans l’ intervalle p ∈ [0,01,0,1] que la variance du niveau individuel de connaissances est maximale (Fig. 4).

Ces résultats sont plutôt en phase avec la réalité des clusters, puisque ceux-ci tirentaussi leur efficacité de la mise en relation d’agents industriels de taille et de capacitévariées qui peuvent alors rentrer dans des relations de complémentariténon seulement entermes de complémentarité des compétences, mais aussi en termes de complémentaritédes tâches, niveaux de qualification et coûts.

En ce qui concerne la question de la complémentarité des connaissances, il estintéressant de remarquer avec Massard (2001) que les travaux empiriques sur lesspillovers géographiques convergent sur l’ idée que les externalités de connaissances

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intersectorielles nécessitent le plus souvent une proximité géographique, tandis que lestransferts intra sectoriels ne la nécessitent pas tant. Autrement dit ce que la firme nemaîtrise pas bien en interne, c’est-à-dire hors de son cœur de compétences, elle estobligée d’aller le chercher en externe dans une proximité géographique, tandis que « laproximité sectorielle fonde la capacité àbénéficier des sources plus distantes d’externa-lités ».

Fig. 3. Niveau moyen de connaissance en fonction du degré de reconnexion. Source : Cowan et Jonard (1999).

Fig. 4. Hétérogénéité du niveau de connaissance en fonction du degré de reconnexion. Source : Cowan etJonard (1999).

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Cette constatation est importante car elle va à l’encontre d’une idée reçue quivoudrait que les clusters soient avant tout des lieux de spécialisation sectorielle. Enréalité, leur richesse est le fait d’une concentration, dans une proximité géographique,d’une diversité de compétences complémentaires susceptibles de rentrer dans descombinaisons productives et d’ innovation dans un objectif industriel commun (Zim-mermann, 1995). « Clusters are often cross-sectoral networks, made up of dissimilarand complementary firms specialising around a specific link or knowledge base in avalue chain » (Roelandt et den Hertog, 1999). Certains parmi les acteurs de telssystèmes localisés, sont susceptibles d’être intégrés dans des relations globales, fondéessoit sur une proximité technologique, soit sur une proximité organisationnelle (firme,groupe…), et d’aller ainsi puiser dans des sources plus éloignées un enrichissement deleur cluster d’appartenance.

Cette approche duale de la complémentarité technologique dans le mode d’organisa-tion industrielle des clusters s’ intègre d’autant mieux dans le cadre d’une modélisationde type small-world que l’existence d’externalités de connaissances ne peut se satisfairede la seule proximité géographique mais requiert aussi de véritables relations entre lesacteurs, vecteurs de la diffusion des connaissances : mobilité professionnelle deschercheurs et ingénieurs, relations inter-personnelles, collaborations scientifiques ettechnologiques… Les « secrets de l’ industrie » ne sont pas vraiment dans l’air ;autrement dit : « les externalités sont médiatisées par les interactions entre individus etces interactions sont, de leur côté, facilitées par la proximité géographique » (Massard,2001).

Dans un modèle d’ innovation fondé sur un principe de matching, Cowan, Jonard etZimmermann (2001) examinent la manière dont les individus d’une population donnéegénèrent une structure de réseau, à travers les interactions bilatérales qu’ ils mettent enœuvre dans un objectif d’ innovation. Selon que le principe de l’ interaction est fondé surune recherche de complémentarité ou de similarité entre les profils de connaissance desagents, les structures de ces réseaux d’ innovation adoptent des caractéristiquescontrastée. Dans un monde dominépar la similarité, les spécialisations sont fortes et lesagents s’organisent dans des cliques plutôt disconnectées les unes des autres. Àl’opposé dans un monde dominé par la complémentarité, la structure générée est trèsglobale avec un niveau d’accessibilité (path length) et un niveau de cohésion(cliquishness) qui est celui d’un graphe aléatoire. Les profils d’expertise des agents sonttrès plats avec un indice de spécialisation peu élevé. En revanche, quand ce qui pousseles agents à se rapprocher pour innover ensemble est fondé sur une dualité entrespécialisation et complémentarité, les structures qui apparaissent mettent en évidence,le passage par un niveau de cohésion très élevé, tandis que le niveau d’accessibilitéglobale du graphe connaît une chute rapide à un niveau proche de sa valeur minimale.On retrouve ici, sans postuler une inscription spatiale des agents, un résultat caracté-ristique d’une structure de small-world. Ce résultat est intéressant dans la mesure où ilsuggère que le passage entre un monde étroit et cloisonné et un monde globalhomogénéisé est conditionnel d’un certain équilibre entre spécialisation et complémen-tarité. Cet équilibre et la structure qui lui correspond est bien en phase avec lesfondements empiriques des clusters.

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4. Conclusion

Dans cet article, nous nous sommes efforcés de montrer combien l’analyse de ladimension locale des dynamiques industrielles requiert de disposer d’un outil conceptuelapte à prendre en compte l’articulation local-global comme fondement des concentra-tions d’acteurs industriels dans une proximité géographique. L’approche en termes declusters, qui constitue un élargissement de celle du district industriel, est conforme à cetobjectif et trouve à s’enrichir d’une problématique en termes d’économie de proximités,dans un entendement non limitatif à la seule dimension géographique du concept. Lanotion d’agent situé, qui bénéficie à la fois d’un environnement de proximité géogra-phique qui résulte de sa localisation et d’un faisceau de relations fondé sur d’autresdimensions de proximité, traduit au niveau individuel l’ idée que la localisation en un sitedonné ne constitue pas un enfermement de l’agent dans un local qui limiterait sonpotentiel d’ interactions.

Sur le plan de la modélisation, l’approche des small-worlds, conceptualisée dans lestravaux de Duncan Watts, propose une démarche fructueuse et bien adaptée au mode defonctionnement des clusters. Le principe de base est celui de disposer pour chacun desagents d’un positionnement dans un espace métrique qui ne conditionne pas les relationsdes agents mais confère certaines qualités de structure au graphe relationnel qui exprimele système des interactions. Ces propriétés s’explicitent en termes de cohésion (cliquis-hness ou clustering index) et d’accessibilité (average path length) qui traduisent lemaillage local et global du système. Les propriétés remarquables des small-world, quiapparaissent pour une dose modérée de relations globales et un maillage local significatif,correspondent à un bon équilibre et une forme de conciliation entre l’ inscription spatialedes agents et leur bonne intégration dans des circuits à l’échelle globale. Elles constituentun intéressant mode de dépassement de l’alternative intraversion vs extraversion, sur unmode dual, générateur de performances.

L’approche de modélisation des small-worlds constitue par conséquent une voie qu’ ilconviendrait d’approfondir, notamment en l’élargissant à un espace métrique à plusd’une dimension et en y introduisant une certaine dose de dynamique. Un tel programmede recherche, qui s’ inscrit dans une perspective interactionniste, devrait pouvoirs’enrichir des nombreux travaux qui se font jour sur le sujet, aussi bien dans le domainede l’économie et de la sociologie, que dans celui de la physique statistique, mais ausside la théorie des jeux.

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