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Les petits-déjeuners du HCFDC au Palais du Luxembourg

François WeilRecteur de l’Académie de Paris

Comment l’Education Nationale se prépare-t-elle à la gestion de crise ?

17 mars 2016

Face aux nouvelles menaces et nouveaux risques, quelles sont les mesures mises en place par l’Education Nationale pour se préparer à la gestion de crise ? Quelles sont les contraintes opérationnelles posées par l’environnement scolaire ? Quel est son périmètre d’action et comment cela se manifeste-t-il en terme de collaboration entre ministères et rectorats ? Quels enseignements tirer des dernières crises et vers quelles évolutions l’Education Nationale se dirige ?

Une évolution notable

Au fur et à mesure que la société se prépare à la gestion de crise, l’Education Nationale a également engagé une évolution de ses relations avec ses partenaires en matière de sécurité et de justice. Une transformation nette s’est opérée en trente ans, et la gamme de partenariats, qui n’étaient pas traditionnels auparavant, s’est véritablement enrichie.Dans les années 1980, une collaboration avec la police n’était pas du tout d’actualité. Cependant, de nos jours, les liens se font très régulièrement. A Paris, les commissaires de quartiers sont des interlocuteurs réguliers et privilégiés des chefs d’établissements. Quant au niveau du rectorat, les liens avec la préfecture de police sont directs et constants, entre le préfet de police ainsi que le et son équipe. La préfecture de police a affecté un policier, présent en permanence, au cabinet du recteur. Les liens ne sont pas limités aux forces de l’ordre, la coopération se fait également avec la justice. Il existe une convention avec le parquet, dont il est prévu qu’elle soit généralisée aux autres académies. Le rectorat de l’académie de Paris dispose d’un correspondant justice : un membre de l’équipe du recteur est placé auprès du parquet. On a donc véritablement un système d’information resserré et continu.

La gestion de crise, une préoccupation constante

La gestion de crise peut prendre des formes extrêmement diverses : accidents au sein d’établissements qui contiennent des produits dangereux (par exemple dans les lycées techniques et professionnels), accidents de transports scolaires, ou problèmes liés à des événements climatiques lors de voyages à l’étranger, des blocages ou manifestations qui dégénèrent, ou encore des cas d’intrusion dans les établissements. Etre en mesure de réagir à ces événements fait partie de la formation des cadres de l’Education Nationale, qui intègre l’ensemble de ces dimensions, soit avec l’ESEN ou encore avec l’INHESJ avec lequel travaille le rectorat. Certains recteurs ont même participé à une mise en situation dans le cadre d’un jeu de rôle. Les formations s’étendent également à l’ensemble de leurs cabinets et concernent,

entre autre, les responsables de communication des rectorats, ou encore les directeurs et inspecteurs académiques.Il existe trois types de crises : les crises internes, les crises extérieures qui impliquent de travailler avec des partenaires, et les crises exceptionnelles qui peuvent menacer directement les élèves ou les établissements.

Exemples Parmi ces crises extérieures, on peut évoquer un événement survenu il y a deux ans dans le 7ème arrondissement à Paris, où un déséquilibré s’est suicidé devant des élèves après intrusion dans l’établissement, ou encore un groupe scolaire qui a essuyé des coups de feux dans le cadre d’un voyage de classe pendant le trajet, ce qui a alors mobilisé l’académie de Dijon sur place, et l’académie de Paris, dont dépendaient les élèves. Il fallait ainsi prendre en charge le retour d’élèves traumatisés et gérer cela à distance depuis Paris.

Ce que l’on peut retenir de ces crises, c’est que les procédures internes mises en place sont le plus formalisées possible. Il s’agit de fonctionner en raccourcissant les circuits administratifs, utiliser les contacts avec les différents cabinets ministériels afin de gagner du temps, ce qui peut faire la différence en terme d’efficacité.En effet, dans la mesure où la gestion de crise n’est pas le premier ressort de l’Education Nationale, la collaboration avec les partenaires est de première importance. Ainsi, des missions de communication et de prévention sont organisées par les commissariats dans les établissements scolaires. L’académie de Paris est signataire à part entière en tant que telle du contrat parisien de sécurité, et les procédures mises en place sont couplées à un travail de concert avec les organismes et institutions concernées, qu’elles soient judiciaires ou policières. La collaboration avec des transporteurs, comme par exemple la SNCF, est également essentielle.

Les attentats de Janvier et Novembre 2015Ce qui était prévu par les textes a été mis en oeuvre dans le cadre de ces crises exceptionnelles. Dans cette situation, le préfet de police devient préfet de la Zone de Défense, et c’est la seule situation où le

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recteur passe sous l’autorité du Préfet. Comme l’a illustré le cas de la prise d’otages à Porte de Vincennes, les décisions sont prises en direct. Cette situation a abouti à la fermeture des établissements scolaires sur un tiers de Paris dans les minutes qui ont suivi la prise d’otages. Le périmètre de fermeture a été décidé conjointement par le recteur, la maire de Paris et le président de la région Ile-de-France. Au fur et à mesure que les informations parvenaient, il a été décidé de réduire le confinement au maximum de façon à ne pas gêner les forces de l’ordre. Le travail se fait en liaison directe et les échanges avec la police sont constants.Après les événements de Novembre 2015, la liaison avec la Préfecture de police, et les cabinets du Premier Ministre ainsi que du Président de la République, a été immédiate, afin de fermer les établissements des académies d’Ile-de-France, ce qui a été effectué en quelques minutes. Les familles ont été informées de la décision et aucun incident ne s’est produit.

Le fonctionnement de l’académie de Paris et bilan Une cellule de crise est mobilisable en moins de trente minutes, jour et nuit, et contient à proprement parler une quinzaine de personnes, en charge de la relation entre les établissements, l’exécution de la décision prise et la circulation des informations. A partir d’un téléphone portable, le recteur peut ordonner la fermeture et le confinement de tous les établissements en moins de cinq minutes à partir d’un sms. Entre les deux crises, on a noté des constantes. La mise en place des cellules de crise a été rapide, et le fonctionnement avec la préfecture de police, et inter académique, a été excellent. Le travail avec les équipes de soutien psychologique est acquis et rodé, malgré les difficultés particulières engrangées par la caractéristique multisite de l’attaque. Ainsi, pour palier au manque de ressources humaines, le recteur a sollicité des étudiants en psychologie dans les universités.

Les évolutions dans la gestion de crise en milieu scolaire On entre véritablement dans la gestion de crise quand les schémas préexistants sont dépassés et que l’on à affaire à quelque chose de nouveau. Malgré les difficultés administratives, le travail partenarial avec les collectivités territoriales a bien marché. En effet, certaines personnes dépendent de la région ou de la ville, et non pas de l’Education Nationale. Une fluidité dans les relations est donc nécessaire. L’enjeu, c’est que les autorités parlent d’une seule voix et qu’il y ait une cohérence de discours. La communication occupe une dimension absolument fondamentale, et au delà de la prise de décision, la concertation est un point essentiel. Les décisions doivent être harmonisées et les contradictions entre les différentes autorités sont à éviter. Il faut également réfléchir à des modalités de gestion de crise toujours plus efficaces, comme par exemple à un système de rotation du personnel, afin d’optimiser la prise en charge et assurer une efficacité sur le long-terme.

Les réponses apportées aux crises de Janvier et de Novembre ont été différentes. Ce qui a constitué une nouveauté, c’est l’utilisation de nouveaux outils à travers les réseaux sociaux ou l’usage des téléphones mobiles. L’Académie de Paris a été la seule en France à utiliser les sms. Elle est présente sur une importante gamme de médias sociaux, et l’alimentation constante des comptes Tweeter et Facebook a permis d’éviter les débordements et la panique à travers une information prodiguée en temps réel. Alors que les 11ème et 12ème arrondissements étaient confinés pendant les attentats de Janvier, il fallait éviter un afflux de milliers de parents devant les établissements. Les tweets étaient repris par des comptes du gouvernement et de la Ville de Paris, et cela a également permis de lutter contre la diffusion d’informations

erronées. L’institution scolaire et ses établissements ont donc eu un impact direct. Ces expériences ont démontré l’adaptabilité des dispositifs. Au délà de la priorité absolue qui est la mise en sécurité des élèves et du personnel, il s’agit d’exécuter des consignes cohérentes, ce qui représente un véritable enjeu alors que la nature des menaces se complexifie. Il faut réfléchir à des scénarios où des établissements scolaires seraient pris pour cible afin de dégager de nouvelles directives.

La problématique de la radicalisation en milieu scolaire

Cette question est véritablement au coeur des préoccupations et mobilise les préfectures, les départements, ou encore les services sociaux. L’Education Nationale est particulièrement investie et tout au long de l’année, des séminaires et des formations ont été organisés, notamment pour les enseignants. Par exemple, des thématiques comme la laïcité ont été mises en avant. Une cellule de prévention de la radicalisation a été affectée, avec une double fonction : étudier les cas qui remontent à travers le numéro vert mis en place par le gouvernement, et apporter une réponse adaptée et proportionnée, notamment à travers des associations. Cet enjeu appelle à un travail de fonds, et la préparation pour y répondre se fait en connaissance de cause.

Au niveau local, des réflexions sont menées, et une des conséquences des attentats de Janvier a été de hâter l’achèvement des plans de sécurité qui n’existaient pas partout. Une pédagogie de crise est mise en place auprès des élèves, il y a une prise de conscience qui est de plus en plus répandue sur ces questions qui étaient inimaginables il y a vingt ans. Suite aux événements de Novembre, les demandes de prise de parole dans les établissements ont été nombreuses. Au delà de la réponse psychologique, il y a également des questions techniques : il faut adapter la prise en charge selon si on à affaire à un élève de primaire ou un jeune en terminale.

La gestion de crise dépend finalement d’une multitude de paramètres, et il s’agit au préalable d’apporter un cadre de départ et de se préparer aux crises longues. Les événements de 2015 ont abouti à une prise de conscience généralisée et à une réflexion autour de ces nouveaux enjeux.

Eléments biographiques :

- Ecole Normale Supérieure 1981-1987

- Harvard 1985-1987

- Maître de conférence à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales 1993-2000

- Chancelier des universités de Paris 2012

- Recteur de la région académique Ile-de-France 2016