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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2014) 141, 308—311 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com FICHE THÉMATIQUE/PATHOLOGIE GÉNITALE MASCULINE Comment réaliser une biopsie du pénis ? Surgical technique: Punch biopsy for evaluation of penile dermatoses J.-N. Dauendorffer a,, J.-M. Amici b , C. Renaud-Vilmer a , B. Cavelier-Balloy c a Service de dermatologie, hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France b Service de dermatologie, hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet, 33000 Bordeaux, France c Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France Rec ¸u le 7 novembre 2013 ; accepté le 23 janvier 2014 Disponible sur Internet le 21 mars 2014 Alors que tout dermatologue réalise quotidiennement des biopsies cutanées, nombreux sont ceux qui hésitent à pra- tiquer une biopsie du pénis, notamment dans sa partie muqueuse que constitue le gland. L’objectif de cet article est donc d’expliquer pas à pas la démarche à suivre, afin de réaliser ce geste en toute sécurité et sans appréhen- sion. Anatomie chirurgicale du pénis [1] Par convention, la face dorsale du pénis correspond à la surface en regard avec l’abdomen, en position anatomique définie en érection. L’intérêt d’un langage commun est de permettre les échanges entre dermatologue, anatomopa- thologiste et chirurgien (urologue ou plasticien) quant à la localisation des lésions. Le pénis est constitué de corps érectiles : les deux corps caverneux sur la face dorsale et le corps spongieux sur la face ventrale. Le corps spongieux entoure l’urètre pénien et forme le gland en région distale. Les corps caverneux Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-N. Dauendorffer). sont incomplètement séparés par le septum du pénis et sont entourés par un tissu fibreux collagène, l’albuginée. Les corps érectiles sont entourés par le fascia profond du pénis ou fascia de Buck. Le tissu sous-cutané ou fascia superficiel est un tissu conjonctif lâche, dépourvu de tissu adipeux, en continuité avec le dartos du scrotum. Enfin, l’ensemble est recouvert par la peau, essentiellement glabre dans la partie distale. La vascularisation du pénis est assurée par deux artères péniennes, branches terminales des artères pudendales. Chaque artère pénienne se divise en trois branches : une artère dorsale située dans le fascia de Buck, une artère caverneuse qui alimente le corps caverneux et une artère bulbaire qui vascularise le corps spongieux. Le retour vei- neux s’effectue par les veines superficielles (qui cheminent dans le dartos) et la veine dorsale profonde (située dans le fascia de Buck) (Fig. 1). Le gland comporte de la surface vers la profondeur un épithélium stratifié non kératinisé (mais kératinisé chez l’homme circoncis) et un chorion, surmontant le corps spongieux. Il est recouvert par le prépuce, constitué de cinq couches, de l’intérieur vers l’extérieur : épithélium muqueux stratifié, chorion (ou sous-muqueuse), dartos, derme, épiderme. Le sillon balano-préputial montre des éléments du gland et du prépuce : épithélium muqueux, 0151-9638/$ see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2014.01.017

Comment réaliser une biopsie du pénis ?

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nnales de dermatologie et de vénéréologie (2014) 141, 308—311

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

ICHE THÉMATIQUE/PATHOLOGIE GÉNITALE MASCULINE

omment réaliser une biopsie du pénis ?

urgical technique: Punch biopsy for evaluation of penileermatoses

J.-N. Dauendorffera,∗, J.-M. Amicib,C. Renaud-Vilmera, B. Cavelier-Balloyc

a Service de dermatologie, hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris,Franceb Service de dermatologie, hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet, 33000 Bordeaux, Francec Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Saint-Louis, 1, avenueClaude-Vellefaux, 75010 Paris, France

Recu le 7 novembre 2013 ; accepté le 23 janvier 2014

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Disponible sur Internet le 2

lors que tout dermatologue réalise quotidiennement desiopsies cutanées, nombreux sont ceux qui hésitent à pra-iquer une biopsie du pénis, notamment dans sa partieuqueuse que constitue le gland. L’objectif de cet article

st donc d’expliquer pas à pas la démarche à suivre, afine réaliser ce geste en toute sécurité et sans appréhen-ion.

natomie chirurgicale du pénis [1]

ar convention, la face dorsale du pénis correspond à laurface en regard avec l’abdomen, en position anatomiqueéfinie en érection. L’intérêt d’un langage commun est deermettre les échanges entre dermatologue, anatomopa-hologiste et chirurgien (urologue ou plasticien) quant à laocalisation des lésions.

Le pénis est constitué de corps érectiles : les deux corpsaverneux sur la face dorsale et le corps spongieux sur laace ventrale. Le corps spongieux entoure l’urètre pénient forme le gland en région distale. Les corps caverneux

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J.-N. Dauendorffer).

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151-9638/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droitsttp://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2014.01.017

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ont incomplètement séparés par le septum du pénis etont entourés par un tissu fibreux collagène, l’albuginée. Lesorps érectiles sont entourés par le fascia profond du pénisu fascia de Buck. Le tissu sous-cutané ou fascia superficielst un tissu conjonctif lâche, dépourvu de tissu adipeux, enontinuité avec le dartos du scrotum. Enfin, l’ensemble estecouvert par la peau, essentiellement glabre dans la partieistale.

La vascularisation du pénis est assurée par deux artèreséniennes, branches terminales des artères pudendales.haque artère pénienne se divise en trois branches : unertère dorsale située dans le fascia de Buck, une artèreaverneuse qui alimente le corps caverneux et une artèreulbaire qui vascularise le corps spongieux. Le retour vei-eux s’effectue par les veines superficielles (qui cheminentans le dartos) et la veine dorsale profonde (située dans leascia de Buck) (Fig. 1).

Le gland comporte de la surface vers la profondeur unpithélium stratifié non kératinisé (mais kératinisé chez’homme circoncis) et un chorion, surmontant le corpspongieux. Il est recouvert par le prépuce, constitué deinq couches, de l’intérieur vers l’extérieur : épithélium

uqueux stratifié, chorion (ou sous-muqueuse), dartos,erme, épiderme. Le sillon balano-préputial montre desléments du gland et du prépuce : épithélium muqueux,

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Comment réaliser une biopsie du pénis ? 309

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Figure 1. Anatomie du pénis : coupe transversale du corps du pén

chorion, dartos, fascia de Buck fusionné avec l’albuginée,empêchant à ce niveau un clivage chirurgical entre ces deuxenveloppes.

Indications de la biopsie du pénis

Les indications de la biopsie du pénis sont multiples, tant enpathologie inflammatoire que tumorale.

En pathologie inflammatoire, l’examen histologique dela biopsie cutanée permet le diagnostic différentiel entredes dermatoses cliniquement proches comme le psoriasis, ladermite séborrhéique et la balanite inflammatoire non spé-cifique. En cas de lichen scléreux suspecté cliniquement, ilnous semble important d’obtenir une documentation histo-logique. En effet, cette dermatite nécessite un traitementau long cours et une surveillance clinique prolongée du faitdu risque de transformation en lésions précancéreuses puiscancéreuses.

Sur le plan médico-légal, il est important d’avoir uneconfirmation histologique avant d’entreprendre un traite-ment chirurgical comme une posthectomie, indiquée dansla balanite de Zoon ou dans le lichen scléreux résistant à lacorticothérapie locale.

En pathologie tumorale, la biopsie du pénis vise àétablir le diagnostic de tumeurs bénignes, de lésions pré-cancéreuses non-HPV induites, fréquemment associées aulichen scléreux, plus rarement au lichen plan (néopla-

sie intra-épithéliale différenciée et hyperplasie épithélialeverruqueuse) ou HPV induites (néoplasie intra-épithélialebowénoïde) ou de lésions malignes (carcinome épidermoïde)[2].

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Le recours à la biopsie du pénis est possible quoique plusare dans le domaine de la pathologie infectieuse et desnfections sexuellement transmissibles.

echnique de biopsie du pénis

es préalables

fin de ne pas modifier les signes histologiques, tout traite-ent local notamment dermocorticoïde doit être suspendueux semaines avant la réalisation du geste, voire deux moisn cas de suspicion de lichen scléreux. En fonction de’aspect clinique de la lésion à biopsier et notamment enas de dermatose inflammatoire compatible avec une can-idose, un prélèvement mycologique doit être pratiqué auréalable. En effet, les aspects histologiques du psoriasisénital et de la balanite candidosique sont identiques enoloration histologique standard (Hématoxyline-Eosine), laoloration par le periodic acid shiff (PAS) pouvant être néga-ive en cas de candidose si un traitement antifongique até préalablement appliqué, faisant conduire à tort au dia-nostic de psoriasis génital devant une candidose.

En cas d’antécédent d’herpes génital, se discute unerévention par valaciclovir à commencer la veille de’intervention.

Le patient doit être mis en confiance afin de prévenire malaise vagal. Une anesthésie topique par un mélangeutectique de lidocaïne et prilocaïne appliqué pendant 5 à0 minutes, avec ou sans occlusion, permet une infiltration

oins douloureuse et rassure le patient qui appréhendera

insi moins l’injection à l’aiguille.On réalise une antisepsie de la zone à biopsier à la chlo-

hexidine alcoolique, (préférée à la povidone iodée pour

Page 3: Comment réaliser une biopsie du pénis ?

310 J.-N. Dauendorffer et al.

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Le patient doit être surveillé 15—30 minutes après la réa-lisation de la suture, du fait de la possible survenue d’un

igure 2. Aspect de la zone biopsiée après section du fragmentuqueux créé par l’emporte-pièce.

on caractère incolore), suivie d’un repérage de la lésionu crayon dermographique stérile. En cas de lésion érosive,a chlorhexidine aqueuse sera préférée.

L’anesthésie se fait à l’aiguille 30G, en injectant un faibleolume (inférieur à 1 mL) sous la muqueuse du gland ou sous’épiderme du corps de la verge. La lidocaïne 2 % sans adré-aline est préférée à la lidocaïne avec adrénaline, celle-citant d’une part plus douloureuse à l’injection du fait de soncidité, et théoriquement contre-indiquée aux extrémités,urtout chez le sujet artéritique (diabétique ou tabagique)3]. Cette contre-indication est relative pour certains du faite la riche vascularisation du pénis [4], mais il faut gar-er à l’esprit l’existence de cas rapportés de nécrose duénis après anesthésie locale par lidocaïne adrénalinée lorse circoncision [5].

a technique

a zone à biopsier est maintenue tendue entre les doigtse la main controlatérale à celle qui tient le punch. Laiopsie se fait à l’emporte-pièce, en utilisant un punch, voire 3 mm, par une incision selon un mouvement rota-oire suivi d’une section aux ciseaux de la base du cyclindreutané qui est soulevé délicatement à la pince d’Adson avecu sans griffe (Fig. 2 et 3). La biopsie ne doit pas êtrerop superficielle au risque de perdre certaines informationsistologiques, ni trop profonde du fait de la finesse du tégu-ent à ce niveau. Il convient notamment d’être prudent

n position dorsale médiane et para médiane (veine dor-ale superficielle, et dans le plan sous-jacent, veine dorsalerofonde, toutes deux en position médiane, et les artèresorsales, veines superficielles latérales et nerfs dorsaux enosition paramédiane) et ventrale médiane (urètre superfi-iel).

Une suture est nécessaire, notamment à visée hémo-tatique, du fait d’un saignement peropératoire souventbondant au niveau du gland richement vascularisé ete l’impossibilité de réaliser un pansement hémostatique

Fig. 4). On utilisera de préférence un fil de suture àésorption rapide (Vicryl rapide®) 4.0 ou 5.0 en réalisant unoint simple transcutané, voire un point hémostatique en. Le gland est en effet constitué d’un corps spongieux, F

igure 3. Fragment muqueux créé par l’emporte-pièce.

orrespondant à une formation richement vascularisée auiveau de laquelle l’hémostase au bistouri électrique estnefficace. Si un fil non résorbable est utilisé ou s’il existen retard de résorption du fil résorbable, celui-ci doit êtreetiré après 5—6 jours.

Contrairement au gland, la technique biopsique au niveauu corps de la verge diffère peu des biopsies cutanées habi-uelles, en dehors de la finesse du tégument qui nécessitee ne pas introduire le punch jusqu’à la garde, afin de neas léser les structures sous-jacentes.

Une alternative à la biopsie au punch, applicable sur lerépuce et le corps de la verge, consiste à soulever la lésionrâce à une pince à griffes, à couper aux ciseaux une ellipsee peau puis à réaliser l’hémostase en utilisant une solutionqueuse de nitrate d’argent ou de chlorure ferrique [6].

Un pansement modérément compressif est réalisé cheze sujet circoncis. Chez l’homme non circoncis, un simpleecalotage est possible si une hémostase rigoureuse a étébtenue. Dans le cas contraire, on confectionnera un pan-

igure 4. Aspect de la zone biopsiée après suture.

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[dermatoses: a clinical and histopathological study. Genitourin

Comment réaliser une biopsie du pénis ?

saignement secondaire, abondant et parfois impressionnant,d’autant plus qu’il est traité par anticoagulant ou antiagré-gant plaquettaire.

Les soins locaux consisteront, jusqu’à la chute du filrésorbable ou au retrait du fil non résorbable, en une anti-sepsie quotidienne par chlorhexidine aqueuse. Les douchesquotidiennes seront autorisées. Par contre, les bains et lesrapports sexuels seront proscrits jusqu’à la chute du fil.

Afin de permettre une bonne interprétation des lésionshistologiques par le dermatopathologiste, la demande doitcomporter en plus des renseignements cliniques et hypo-thèses diagnostiques habituels, la localisation précise de labiopsie (gland, sillon balano-préputial, prépuce ou fourreau)et en cas de biopsie du gland, la notion de circonci-sion, celle-ci entraînant une kératinisation de l’épithéliumdu gland. La biopsie doit être de taille suffisante pourpermettre une bonne inclusion en paraffine et éviter laformation d’artéfacts histologiques (risque de clivage sous-épithélial en cas de fragilité de la membrane basale, visibleen cas de lichen plan ou de lichen scléreux), ces dernierspouvant aussi être provoqués par un écrasement de la biop-sie par la pince.

Si le fragment biopsique est habituellement fixé dans lesmilieux de fixation formolés, une fixation dans des milieuxparticuliers est parfois nécessaire, comme le liquide deMichel en vue d’un examen en immunofluorescence directe,en cas de suspicion de dermatose bulleuse auto-immune.Dans ce cas, la biopsie doit être prélevée en zone péri-lésionnelle car les dépôts sous-épithéliaux peuvent êtreinvisibles en cas de clivage artéfactuel en zone bulleuse ouérosive.

Complications

Les complications de la biopsie du pénis sont rares, à typed’hémorragie, d’infection ou de cicatrice. La prudence estrequise en zone périméatale du fait du risque de sté-nose cicatricielle du méat. Il existe un risque théorique

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e nécrose en cas d’utilisation de préparation anesthé-ique adrénalinée, déjà rapporté après chirurgie du pénis,ais jamais à notre connaissance après biopsie, du faitu faible volume d’anesthésique injecté. Hillman et al.nt publié une série de 60 biopsies du pénis, avec un taux’infection de 5 %, une cicatrice absente ou minimale, et unetour à la normale de l’activité sexuelle en deux semaines6]. Dans une autre séries de 24 biopsies du pénis, Davidt al. ont mis en évidence 17 % (4 patients) de complicationsineures : une infection nécessitant une antibiothérapie,

ne saignement postopératoire traité par compression eteux déhiscences de cicatrice [7].

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

1] Avances C, Iborra F, Bastide C. Rappels anatomiques du pénis.Prog Urol 2005;15:799—800.

2] Renaud-Vilmer C, Cavelier-Balloy B. Les lésions précancéreusesdu pénis. Ann Dermatol Venereol 2010;137:486—92.

3] Reuter G. Techniques anesthésiques utilisées en dermatologiechirurgicale. Paris: Encyclopédie Médico-Chirurgicale; 2004 [98-940-A-10].

4] Bruce AM, Spencer JM. Surgical myths in dermatology. DermatolSurg 2010;36:512—7.

5] Efe E, Resim S, Bulut BB, Eren M, Garipardic M, Okkan F,et al. Successful treatment with enoxaparin of glans ische-mia due to local anesthesia after circumcicion. Pediatrics2013;131:608—11.

6] Hillman RJ, Walker MM, Harris JRW, Taylor-Robinson D. Penile

Med 1992;68:166—9.7] David N, Tang A. Efficacy and safety of penile biopsy in a GUM

clinic setting. Int J STD AIDS 2002;13:573—6.