5
ARTICLE / ARTICLE Complications neurologiques périphériques après chirurgie bariatrique Peripheral neurologic complications following bariatric surgery C. Ciangura · T. Lenglet · C. Grégoire © Springer-Verlag France 2014 Résumé Les neuropathies périphériques sont des complica- tions rares mais potentiellement gravissimes de la chirurgie bariatrique, qui doivent être détectées le plus précocement possible, la récupération axonale semblant liée à la rapidité de leur prise en charge. Leur fréquence est estimée entre 0,08 et 16%, leur délai de survenue est compris entre 4 mois et 14 ans. Les tableaux cliniques décrits sont, par ordre de fré- quence, une polyneuropathie sensitive subaigüe par carence vitaminique (en particulier vitamine B1, B12, cuivre et poly- carentielle), et une mononeuropathie par compression cana- laire consécutive à lamaigrissement rapide, en particulier chez les sujets diabétiques. Des mécanismes inflammatoires et immunologiques pourraient également participer à cette complication. Les facteurs favorisants sont les troubles digestifs et labsence de prise en charge nutritionnelle. Même si les interventions avec malabsorption sont, par défi- nition, plus exposées, aucune chirurgie, même purement res- trictive, ne semble épargnée. La prévention comprend bien sûr la supplémentation vitaminique, mais aussi léducation des patients à reconnaitre les signes dalerte tels que les paresthésies, douleurs neurogènes et troubles de léquilibre Mots clés Neuropathie périphérique · Polyneuropathie · Mononeuropathie · Carence vitaminique · Chirurgie bariatrique Abstract Peripheral neuropathy is a rare but potentially very serious complications of bariatric surgery, which must be detected as early as possible, the axonal recovery seems to depend of care delay. Their frequency is estimated between 0.08 and 16%, they occur from 4 months to 14 years after surgery. The presentations are, in order of frequency; peri- pheral polyneuropathy because of micro-nutriment deficien- cies (particularly vitamin B1 and B12, copper, and multiple deficiencies), and mono-neuropathy because of nerve com- pression with major and rapid weight loss, especially in dia- betic patients. There is evidence to suggest a role for inflam- mation or an immunologic mechanism in neuropathy. Risk factors included amount of weight loss, prolonged gastro- intestinal symptoms and postoperative surgical complica- tions requiring hospitalization, not attending a nutritional support. Prognosis seems to depend of care delay. Routine monitoring of micronutrient levels and prompt recognition of neurological complications can reduce morbidity associa- ted with these procedures and patients need to recognize alert symptoms as paresthesia, pain, and dizziness. Keywords Peripheral neuropathy · Polyneuropathy · Mono-neuropathy · Micro-nutriment deficiency · Bariatric surgery Introduction Nous traiterons dans cet article les atteintes neurologiques périphériques observées après chirurgie bariatrique ; les atteintes neurologiques centrales pouvant être rencontrées dans ce contexte, en particulier la redoutable encéphalopa- thie de Gayet Wernicke due à la carence en vitamine B1 et la sclérose combinée de la moelle liée à la carence en vitamine B12, ne seront pas détaillées par choix. Rappelons que le système nerveux périphérique com- prend les nerfs crâniens, les racines spinales, les ganglions rachidiens postérieurs moteurs ou sensitifs, les troncs ner- veux périphériques et leurs ramifications terminales, et le système nerveux autonome. C. Ciangura (*) Praticien Hospitalier, Service de Nutrition, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de lHôpital, 75013 Paris e-mail : [email protected] T. Lenglet Praticien Hospitalier, Département de Neurophysiologie, Clinique Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83 boulevard de lHôpital, 75013 Paris C. Grégoire Chef de clinique-Assistant, Service de Nutrition, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de lHôpital, 75013 Paris Obésité DOI 10.1007/s11690-014-0420-2

Complications neurologiques périphériques après chirurgie bariatrique; Peripheral neurologic complications following bariatric surgery;

  • Upload
    c

  • View
    214

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Complications neurologiques périphériques après chirurgie bariatrique; Peripheral neurologic complications following bariatric surgery;

ARTICLE / ARTICLE

Complications neurologiques périphériques après chirurgie bariatrique

Peripheral neurologic complications following bariatric surgery

C. Ciangura · T. Lenglet · C. Grégoire

© Springer-Verlag France 2014

Résumé Les neuropathies périphériques sont des complica-tions rares mais potentiellement gravissimes de la chirurgiebariatrique, qui doivent être détectées le plus précocementpossible, la récupération axonale semblant liée à la rapiditéde leur prise en charge. Leur fréquence est estimée entre 0,08et 16%, leur délai de survenue est compris entre 4 mois et14 ans. Les tableaux cliniques décrits sont, par ordre de fré-quence, une polyneuropathie sensitive subaigüe par carencevitaminique (en particulier vitamine B1, B12, cuivre et poly-carentielle), et une mononeuropathie par compression cana-laire consécutive à l’amaigrissement rapide, en particulierchez les sujets diabétiques. Des mécanismes inflammatoireset immunologiques pourraient également participer à cettecomplication. Les facteurs favorisants sont les troublesdigestifs et l’absence de prise en charge nutritionnelle.Même si les interventions avec malabsorption sont, par défi-nition, plus exposées, aucune chirurgie, même purement res-trictive, ne semble épargnée. La prévention comprend biensûr la supplémentation vitaminique, mais aussi l’éducationdes patients à reconnaitre les signes d’alerte tels que lesparesthésies, douleurs neurogènes et troubles de l’équilibre

Mots clés Neuropathie périphérique · Polyneuropathie ·Mononeuropathie · Carence vitaminique · Chirurgiebariatrique

Abstract Peripheral neuropathy is a rare but potentially veryserious complications of bariatric surgery, which must bedetected as early as possible, the axonal recovery seems todepend of care delay. Their frequency is estimated between0.08 and 16%, they occur from 4 months to 14 years aftersurgery. The presentations are, in order of frequency; peri-pheral polyneuropathy because of micro-nutriment deficien-cies (particularly vitamin B1 and B12, copper, and multipledeficiencies), and mono-neuropathy because of nerve com-pression with major and rapid weight loss, especially in dia-betic patients. There is evidence to suggest a role for inflam-mation or an immunologic mechanism in neuropathy. Riskfactors included amount of weight loss, prolonged gastro-intestinal symptoms and postoperative surgical complica-tions requiring hospitalization, not attending a nutritionalsupport. Prognosis seems to depend of care delay. Routinemonitoring of micronutrient levels and prompt recognitionof neurological complications can reduce morbidity associa-ted with these procedures and patients need to recognizealert symptoms as paresthesia, pain, and dizziness.

Keywords Peripheral neuropathy · Polyneuropathy ·Mono-neuropathy · Micro-nutriment deficiency ·Bariatric surgery

Introduction

Nous traiterons dans cet article les atteintes neurologiquespériphériques observées après chirurgie bariatrique ; lesatteintes neurologiques centrales pouvant être rencontréesdans ce contexte, en particulier la redoutable encéphalopa-thie de Gayet Wernicke due à la carence en vitamine B1 et lasclérose combinée de la moelle liée à la carence en vitamineB12, ne seront pas détaillées par choix.

Rappelons que le système nerveux périphérique com-prend les nerfs crâniens, les racines spinales, les ganglionsrachidiens postérieurs moteurs ou sensitifs, les troncs ner-veux périphériques et leurs ramifications terminales, et lesystème nerveux autonome.

C. Ciangura (*)Praticien Hospitalier, Service de Nutrition,Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83,boulevard de l’Hôpital, 75013 Parise-mail : [email protected]

T. LengletPraticien Hospitalier, Département de Neurophysiologie,Clinique Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière,47-83 boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris

C. GrégoireChef de clinique-Assistant, Service de Nutrition,Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière,47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris

ObésitéDOI 10.1007/s11690-014-0420-2

Page 2: Complications neurologiques périphériques après chirurgie bariatrique; Peripheral neurologic complications following bariatric surgery;

Parmi les atteintes neurologiques périphériques (NP),nous distinguons :

• les mononeuropathies, qui consistent en l’atteinte d’unseul tronc nerveux. Le mécanisme le plus fréquent estcompressif et les manifestations cliniques se résument àdes troubles moteurs et/ou sensitifs dans le territoire ner-veux correspondant,

• les mononeuropathies multiples également appelées mul-tinévrites, qui associent plusieurs mononeuropathies.L’étiologie en est souvent une vascularite,

• les polyneuropathies qui sont des atteintes diffuses et plu-tôt distales, touchant les fibres sensitives superficielles(sensibilité épicritique, thermique et algique) ou profon-des (équilibre), les fibres motrices, ou encore celles dusystème nerveux autonome.

En plus de la symptomatologie clinique, il est importantde préciser si l’atteinte est aiguë (de quelques jours à 1 mois),subaiguë (1 à 2 mois) ou chronique (au-delà de 2 mois).

Prévalence

Les neuropathies périphériques sont des complications raresde la chirurgie bariatrique. Leur prévalence varie de 0,08 à16% selon les séries, en moyenne à 1,3% dans une revueexhaustive publiée en 2006 [1]. Cette revue reprend toutesles publications de 1974 à 2006, soit 60 cas (96 patients) et118 séries (9996 patients) : les atteintes neurologiques péri-phériques les plus fréquentes y sont les polyneuropathies :elles représentent 67% des cas, tandis que les mononeuropa-thies n’en représentent que 30%.

La cohorte de la Mayo Clinic est particulièrement intéres-sante [2]. Cette série rétrospective porte sur l’ensemble des435 patients suivis dans ce centre entre 1985 et 2001, opérésd’une chirurgie bariatrique, et comparés à une série contem-poraine de patients obèses ayant été opérés d’une cholécys-tectomie, et appariés pour l’âge et le sexe. Le diagnostic deneuropathie était retenu devant des signes cliniques évoca-teurs confirmés par un électromyogramme (EMG). La pré-valence de NP était de 16% après chirurgie bariatrique contre3% après cholécystectomie. Parmi ces NP, 38% étaient despolyneuropathies à prédominance sensitive, 55% des mono-neuropathies et 7% des neuropathies radiculaires.

Même si les chirurgies bariatriques avec composantemalabsorptive (bypass gastrique et dérivation biliopancréa-tique) paraissent plus fréquemment associées aux NP, plu-sieurs publications rapportent également ce type de compli-cation après chirurgie purement restrictive (gastrectomie,gastroplastie verticale calibrée, anneau gastrique et mêmeun cas après un ballon intragastrique) [3].

Et si l’encéphalopathie est une complication de survenueprécoce après l’intervention, le délai d’apparition des NP est

plus variable et tardif : il s’étend de 4 mois jusqu’à 14 ansaprès l’intervention chirurgicale [4] !

Physiopathologie

Facteurs favorisants

Les facteurs identifiés comme prédictifs de la survenued’une NP sont [2] :

• une valeur absolue de perte de poids importante,

• un délai de perte de poids court,

• une symptomatologie gastro-intestinale supérieure à3 mois,

• la survenue de complications chirurgicales,

• une réhospitalisation,

• l’absence de suivi nutritionnel postopératoire,

• l’absence de supplémentation vitaminique.

Les carences en micronutriments

Le premier facteur physiopathologique expliquant la sur-venue de NP après chirurgie bariatrique est la carence vita-minique. Cette dernière peut être expliquée par la carenced’apport et par la malabsorption éventuelle.

L’expression phénotypique classique des NP carentiellesest la polyneuropathie sensitive subaigüe, liée à une dégéné-rescence axonale. Elle peut être également sensitivomotrice,et plus rarement aigüe. Les manifestations cliniques ne sontpas spécifiques d’un micronutriment, et sont souvent d’ori-gine pluricarentielle. Nous le détaillerons plus tard, mais ilfaut se souvenir que les marqueurs biologiques manquent desensibilité. Le taux de résolution est variable selon lesétudes, et serait de l’ordre de 50 %. La régénération axonaleest lente et prend plusieurs mois, et l’ancienneté de lacarence semble être délétère sur la récupération. Les facteursaggravants sont les vomissements, la mauvaise observancedes suppléments vitaminiques et la consommation d’alcool.

Quand des carences précises en micronutriment sont rap-portées, il s’agit de la carence en vitamine B1, vitamine B12et en cuivre [4].

La vitamine B1 est un cofacteur du métabolisme du glu-cose dans les systèmes nerveux, musculaire et cardiaque cequi explique le retentissement d’une carence sur le fonction-nement neurologique [5]. Elle est également impliquée dansla synthèse de l’acétylcholine et donc dans la transmissionnerveuse. Il faut se souvenir que sa demi-vie est de l’ordre de15 jours, et que son stock très faible peut être effondré en 3 à6 semaines. Le besoin en vitamine B1 augmente avec l’ap-port calorique et en glucides, et une carence en B1 peut êtredémasquée par une charge en glucose. Son absorption

2 Obésité

Page 3: Complications neurologiques périphériques après chirurgie bariatrique; Peripheral neurologic complications following bariatric surgery;

intestinale a lieu dans le jéjunum proximal, et il existe unecompétition avec l’alcool.

La neuropathie périphérique liée à la carence en B1 estappelée Béri-Béri neurologique (par distinction du Béri Béricardiaque avec insuffisance cardiaque). Il s’agit d’une poly-neuropathie sensitive, motrice, douloureuse, distale, etsymétrique (comme la neuropathie liée à l’alcool). Elle peutêtre isolée ou associée à l’atteinte neurologique centraleaigüe qu’est l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke (confu-sion, troubles oculomoteurs et syndrome cérébelleux). Lediagnostic est confirmé par la diminution du dosage de thia-mine sérique et érythrocytaire ou de l’activité transcétolaseérythrocytaire. Cependant il ne faut pas attendre le résultatbiologique et traiter dès la suspicion par de fortes doses devitamine B1 (cf infra).

La vitamine B12 (cobalamine) est impliquée dans touteune série de réactions enzymatiques du métabolisme de lavitamine B9 (folates) et de l’homocystéine, et dans la syn-thèse de la myéline et de l’ADN. La carence en vitamineB12 survient souvent à distance de l’intervention car lestock hépatique est suffisant pour 6-12 mois (cela peut êtreplus court en cas de deuxième intervention chirurgicale).La vitamine B12 est couplée aux protéines animales, elleen est séparée par l’acidité gastrique, puis elle se lie aufacteur intrinsèque, et c’est l’ensemble vitamine B12-facteur intrinsèque qui est absorbé au niveau iléal. Il existeune interférence de la vitamine B12 avec la metformine etle protoxyde d’azote utilisé en anesthésie qui peuvent doncprécipiter une carence en B12. Les signes neurologiques nesont pas systématiquement associés aux autres manifesta-tions de la carence en vitamine B12, et il n’est pas rared’avoir des signes neurologiques sans anémie mégaloblas-tique par exemple. Le dosage de la vitamine B12 fait partiedu bilan de démence systématique car une carence en B12peut donner des atteintes psychiatriques ou cérébrales(confusion, modification du goût, de l’odorat, de la vision).Mais l’atteinte neurologique centrale la plus redoutée restela sclérose combinée de la moelle caractérisée par l’instal-lation progressive d’une atteinte médullaire postérieurepuis latérale responsable d’un trouble proprioceptif etd’un déficit moteur pyramidal, avec des hypersignaux T2des cordons postérieurs sur l’imagerie par résonancemagnétique (IRM). La NP liée à la carence en B12 peutsurvenir en association avec cette atteinte médullaire ouisolément. Elle consiste en une atteinte sensitive superfi-cielle et/ou profonde, et possiblement une neuropathieoptique. L’EMG conclut le plus souvent à une polyneuro-pathie axonale sensitivomotrice distale et symétrique. Lediagnostic de la carence en B12 est fait par le dosagesérique de vitamine B12 qui est dans la majorité des casabaissé mais qui peut parfois être normal ; il faut alorsdoser les précurseurs des réactions métaboliques qu’ellecontrôle : leur augmentation signe l’accumulation par

défaut de vitamine B12 et permet de faire le diagnostic dela carence (acide L methylmalonyl CoA et homocystéine)[6]. Dans tous les cas, il est préférable d’instaurer un traite-ment empirique par vitamine B12 sans attendre le résultatde ces dosages (cf infra).

La carence en cuivre donne des tableaux similaires à ceuxde la carence en vitamine B12 : atteinte médullaire, neuro-pathie sensitive périphérique et neuropathie optique. Lacarence en cuivre est confirmée par un dosage de cuivre etde céruloplasmine diminué [4,7].

Les carences en vitamines B9, B6, B3, B2 et E sont plusrarement associées à des manifestations neurologiques péri-phériques dans la littérature [7].

Fragilité neurologique sous-jacente

Les patients qui bénéficient d’une chirurgie bariatrique pré-sentent souvent des pathologies métaboliques, elles mêmeresponsables de neuropathies, indépendamment de la chi-rurgie. Il faut donc garder à l’esprit que ces patients ontpotentiellement une fragilité sur le plan neurologique quiva les exposer à plus de complications. On sait que la pré-valence des neuropathies périphériques est de 20% dans lediabète de type 2, et peut être indépendante de l’équilibreglycémique. L’intolérance au glucose pourrait expliquer1/3 des neuropathies sensitives « idiopathiques ». Dansune étude observationnelle, la prévalence des NP périphé-riques était de 11% pour les personnes intolérantes au glu-cose, contre 26% pour les personnes diabétiques et 4%pour les normoglycémiques. Le syndrome métabolique,en particulier l’obésité et l’hypertriglycéridémie, sont éga-lement des facteurs de NP [8]. Cette association est discu-tée pour le syndrome d’apnées du sommeil. Même si ladépendance à l’alcool reste une contre-indication à la chi-rurgie bariatrique, un antécédent d’alcoolisme est un fortpourvoyeur de NP, avec une prévalence de 10% (9-30%selon les séries), du fait de sa toxicité nerveuse directe, desa compétition avec l’absorption intestinale de vitamineB1, et de la malabsorption vitaminique en cas de troublesgastro-pancréatiques associés. Cette fragilité neurologiquepeut expliquer que ces patients présentent plus de compli-cations neurologiques quand les facteurs impliqués dans lachirurgie bariatrique s’ajoutent.

Atteintes nerveuses compressives

Les atteintes monotronculaires par compression canalairesont fréquentes en cas d’amaigrissement important : letissu graisseux protecteur est perdu et le nerf se retrouveen contact plus direct avec les reliefs osseux périphé-riques. Ces manifestations sont dues à l’amaigrissementimportant et rapide, et ne sont pas spécifiques de la

Obésité 3

Page 4: Complications neurologiques périphériques après chirurgie bariatrique; Peripheral neurologic complications following bariatric surgery;

chirurgie. La symptomatologie est spécifique du niveau decompression, et peut être bilatérale : les compressions dunerf médian au canal carpien, du nerf sciatique poplitéexterne au col du péroné, et du nerf ulnaire au coude sontles plus fréquentes. Le traitement est mécanique : orthèse,kinésithérapie, voire chirurgie décompressive. Lespatientes diabétiques semblent plus exposées à ce typede pathologies [2,9].

Phénomène immunologique et inflammatoire

Plusieurs cas de syndrome de Guillain Barré ont été rappor-tés après chirurgie bariatrique. L’explication physiologiquen’est pas évidente et des traitements spécifiques par immu-noglobulines ont été associés à des vitaminothérapies proba-bilistes pour ces polyneuropathies périphériques aigües etsubaigües [10]. Thaisettawatkul et al. ont rapporté un infil-trat inflammatoire de cellules mononuclées associé à ladégénérescence axonale sur quelques biopsies de nerf suralchez des patients présentant des polyneuropathies subaiguës[2]. La présentation clinique des patients n’est pas préciséedans l’article, mais on peut supposer qu’elle n’était pas seu-lement évocatrice d’un problème carentiel puisque seule-ment 4 patients (sur 71 présentant une NP) ont eu unebiopsie. Bien que les mécanismes physiopathologiques nesoient pas connus, cette association entre chirurgie et mani-festations infectieuses et/ou inflammatoires, peut être rap-prochée des données observées dans l’étude SOS (SwedishObese Subjects) avec une mortalité liée aux infections à 12%des patients opérés contre 3% dans le groupe des patientssuivis médicalement [11].

En pratique

En pratique, il faut bien sûr penser avant tout à la neuro-pathie carentielle devant des manifestations de polyneuro-pathies périphériques après chirurgie bariatrique [12]. Iln’y a pas de recommandation spécifique pour la prise encharge de ces situations. Pour préciser l’origine carentielle,et indépendamment de la recherche des autres causes deNP, on peut proposer de réaliser un dosage de vitamineB12, d’acide méthyl malonyl CoA et homocystéine, devitamine B9 sérique et érythrocytaire, de vitamine B1,B6, E, cuivre et céruloplasmine, à compléter éventuelle-ment par un dosage de vitamine B2, A, zinc et sélénium.Le traitement devra être débuté sans attendre les résultatsde ces prélèvements car comme nous l’avons déjà noté, iln’y a pas de corrélation systématique entre les résultatsbiologiques et les symptômes. D’autre part, il n’y a pasd’association systématique avec les atteintes extra-neurologiques liées à cette carence. L’exemple le plus par-

lant de ces situations est la polyneuropathie par carence envitamine B12 sans diminution du dosage sérique (1/3 descas) et sans anémie macrocytaire (1/3 des cas). Un avisneurologique doit être demandé car les tableaux ne sontpas forcément caractéristiques et il ne faut pas méconnaîtreune neuropathie d’autre origine qui reste possible dans tousles cas. L’EMG permet de confirmer le diagnostic. Il pré-cise en outre la topographie, le type de fibres atteintes et leprocessus axonal et/ou démyélinisant. D’autres explora-tions peuvent être nécessaires telles que l’IRM médullaireet cérébrale, la ponction lombaire, voire la biopsie neuro-musculaire selon l’orientation clinique.

Le traitement vitaminique doit être « empirique et large »,car même si les micronutriments identifiés à l’origine de cesmanifestations neurologiques sont souvent les vitamines B1,B12 et le cuivre, l’origine en est souvent multi carentielle etle patient est dans une situation nutritionnelle globalementdéfavorable. La toxicité d’un surdosage en micronutrimentest exceptionnelle. Elle concerne la vitamine A pour desdoses de l’ordre de 25 000 UI/j (10 000 UI/j pour la femmeenceinte), et associe une hypertension intra crânienne, desnausées, vomissements, douleurs osseuses dans sa formeaiguë, et une atteinte hépatique dans sa présentation chro-nique. Cette situation est exceptionnelle. L’autre risque desurdosage concerne la vitamine B6, qui occasionne en lui-même des neuropathies périphériques. Les cas rapportésdans la littérature semblent historiques pour des doses mas-sives en aigu et atteignant 2 à 5 g/j pendant plusieurs mois ou100 à 200 mg/j pendant plusieurs années en chronique [5].La prise en charge urgente des polyneuropathies périphé-riques ne met pas le patient dans une telle situation à risque.Il faut bien se souvenir qu’il n’a pas été rapporté de surdo-sage en vitamines B1 et B12. En corollaire, la recharge vita-minique doit être réalisée à « bonnes » doses. Par exemple,une proposition de traitement curatif d’une carence en vita-mine B12 correspond à 1000 μg par jour en intramusculairependant 1 semaine, puis 1000 μg par semaine pendant1 mois, puis 1000 μg par mois. Cela est très différent desmultivitamines qui n’apportent que 1 à 4 μg par jour de vita-mine B12. Il en est de même pour la vitamine B1 dont letraitement curatif nécessite 100 à 1000 mg par jour IV alorsque la multivitamine n’en apporte que 1,4 mg. Il n’y a pas deconsensus en termes de traitement. L’usage des réanimationsneurologiques devant un tableau aigu est de donner enurgence : 1 g IV de vitamine B1, 500 mg IV de vitamineB6, 250 mg IV de vitamine PP, 1000 μg IM de vitamineB12, 1 flacon IV de Nonan® et 1 flacon IV de Cernevit®.Quand la voie parentérale est utilisée, le soluté doit être dusérum physiologique, et en aucun cas du glucosé qui préci-piterait une carence en vitamine B1. L’ancienneté de lacarence semble associée à l’irréversibilité des atteintes et ilest donc primordial de supplémenter dès que le diagnosticest suspecté.

4 Obésité

Page 5: Complications neurologiques périphériques après chirurgie bariatrique; Peripheral neurologic complications following bariatric surgery;

Conclusion

Il est important d’évoquer une neuropathie périphériquecarentielle même devant des tableaux cliniques atypiqueset de se souvenir que les sujets opérés ont un terrain à risquede neuropathie, indépendamment de la chirurgie (syndromemétabolique, diabète…). L’évaluation attentive préopéra-toire de ces patients devrait permettre de les repérer, et éven-tuellement documenter l’atteinte préopératoire par un EMGde référence.

Les cas de NP publiés dans la littérature concernent majo-ritairement des patients avec des troubles digestifs et sanssuppléments vitaminiques. Même si les chirurgies malab-sorptives sont plus exposées, aucune procédure, même pure-ment restrictive, ne semble épargnée par ce type de compli-cation [3]. La prévention doit être réalisée quelque soit laprocédure chirurgicale. Elle comprend : la recherche et lacorrection des carences en préopératoire et au long cours,car le délai de survenue des neuropathies périphériques peutatteindre 14 ans ; la prescription des multivitamines systé-matiques ; mais aussi l’information des patients sur lessignes d’alerte tels que les fourmillements, les douleurs àtype de décharges électriques et brûlures, les troubles de lasensibilité, de l’équilibre, de la marche, de la vision (et aussiconfusion, faiblesse …) en postopératoire. Pour le soignant,il est important de savoir repérer les patients à risque decomplications neurologiques en postopératoire : vomisse-ments, complications chirurgicales, amaigrissement rapide,maladies intercurrentes et dans ces cas, d’ajouter en systé-matique des multivitamines et de la vitamine B1 par voie IVou IM.

Références

1. Koffman BM, Greenfield LJ, Ali II, et al (2006) Neurologic com-plications after surgery for obesity. Muscle Nerve 33:166–76

2. Thaisetthawatkul P, Collazo-Clavell ML, Sarr MG, et al (2004) Acontrolled study of peripheral neuropathy after bariatric surgery.Neurology 63:1462–70

3. Oliveira YS, Iba Ba J, Mba Angoué JM, et al (2013) Copperdeficiency and peripheral neuropathy as an outcome of gastrec-tomy. Rev Med Interne 34:234–6

4. Juhasz-Pocsine K, Rudnicki SA, Archer RL, et al (2007) Neuro-logic complications of gastric bypass surgery for morbid obesity.Neurology 68:1843–50

5. T Kuntzer. Neuropathies alcooliques et nutritonnelles. In: Doined: Neuropathies périphériques Volume 1 Polyneuropathies etmononeuropathies multiples 2003 : chapitre 12

6. Vieira C, Cosmo C, Lucena R (2011) The importance of methyl-malonic acid dosage on the assessment of patients with neurolo-gical manifestations following bariatric surgery. Obes Surg21:1971–4

7. Becker DA, Balcer LJ, Galetta SL (2012) The NeurologicalComplications of Nutritional Deficiency following Bariatric Sur-gery. J Obes 2012:608534. doi: 10.1155/2012/608534.

8. Smith AG (2012) Impaired glucose tolerance and metabolic syn-drome in idiopathic neuropathy. J Peripher Nerv Syst 17:15–21

9. Milants C, Lempereur S, Dubuisson A (2013) Bilateral peronealneuropathy following bariatric surgery. Neurochirurgie 59:50–2

10. Aluka KJ, Turner PL, Fullum TM (2009) Guillain-Barrésyndrome and postbariatric surgery polyneuropathies. JSLS13:250–3

11. Sjöström L, Narbro K, Sjöström CD, et al (2007) Effects of baria-tric surgery on mortality in Swedish obese subjects. N Engl JMed 357:741–52

12. Thaisetthawatkul P, Collazo-Clavell ML, Sarr MG, et al (2010)Good nutritional control may prevent polyneuropathy after baria-tric surgery. Muscle Nerve 42:709–14

Obésité 5