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Dépression et famille La famille tient souvent une place importante dans la vie et dans les pensées des sujets déprimés. Qu’elle soit l’objet d’une plainte (« ils ne me comprennent pas », « ils ne s’intéressent pas à moi »), d’une demande de réparation ou de reconnaissance, le sujet déprimé semble se heurter aux limites de la compréhension des autres. Il n’est pas rare que ses tentatives pour communiquer soient vécues comme une agression et repoussées par les classiques, « tu as tout pour être heureux », « tu n’as qu’à faire un effort », « avec tout ce qu’on a fait pour toi », « si tu avais vécu ce que j’ai vécu ». Ces réponses sont ressenties comme une fin de non-recevoir et renforcent le senti- ment d’isolement et les plaintes de celui qui souffre. La famille est mise à l’épreuve lorsque l’un des siens est dans la détresse. Un parent déprimé sera moins atten- tionné envers son conjoint ou ses enfants. Son manque d’investissement de la vie commune conduit parfois à devoir réorganiser celle-ci. Devant l’inutilité des tenta- tives pour le « bouger » et l’impression de devoir « tout faire », les réactions vont de l’agacement à l’agressivité ou

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Dépression et famille

La famille tient souvent une place importante dans la vie et dans les pensées des sujets déprimés. Qu’elle soit l’objet d’une plainte (« ils ne me comprennent pas », « ils ne s’intéressent pas à moi »), d’une demande de réparation ou de reconnaissance, le sujet déprimé semble se heurter aux limites de la compréhension des autres. Il n’est pas rare que ses tentatives pour communiquer soient vécues comme une agression et repoussées par les classiques, « tu as tout pour être heureux », « tu n’as qu’à faire un effort », « avec tout ce qu’on a fait pour toi », « si tu avais vécu ce que j’ai vécu ». Ces réponses sont ressenties comme une fi n de non-recevoir et renforcent le senti-ment d’isolement et les plaintes de celui qui souffre.

La famille est mise à l’épreuve lorsque l’un des siens est dans la détresse. Un parent déprimé sera moins atten-tionné envers son conjoint ou ses enfants. Son manque d’investissement de la vie commune conduit parfois à devoir réorganiser celle-ci. Devant l’inutilité des tenta-tives pour le « bouger » et l’impression de devoir « tout faire », les réactions vont de l’agacement à l’agressivité ou

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à la colère. Un sentiment d’abandon peut être exprimé par les proches, mais aussi du déni concernant la détresse de celui qui est dépressif. Des attitudes de surprotection, d’infantilisation et de déresponsabilisation sont égale-ment observées. Toutes ces composantes, la culpabilité qui accompagne l’impuissance lorsque la situation ne s’améliore pas, peuvent favoriser l’éloignement des uns et des autres. Lorsque les changements caractériels et comportementaux du sujet déprimé sont au premier plan – agressivité, passages à l’acte, reprise d’un alcoo-lisme – le conjoint ou les enfants se sentent parfois légi-timement en danger.

Les familles sont donc à la fois un lieu propice aux confl its, contribuent parfois à installer des troubles dépressifs dans la durée, mais sont souvent garantes de leur amélioration lorsqu’elles soutiennent la démarche thérapeutique engagée ; ce soutien constitue une recon-naissance qui est bénéfi que en soi. La participation des proches est particulièrement importante dans les dépres-sions graves comportant un risque de rechute. Les signes annonciateurs d’un nouvel épisode sont parfois mieux visibles par eux que par le principal intéressé.

Les thérapies familiales

Les thérapies familiales sont orientées aussi bien vers l’amélioration du sujet déprimé que vers le soutien effi cace du groupe familial souvent déstabilisé. Elles

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permettent à chacun de se faire entendre, de repérer les tensions et les facteurs d’incompréhension, d’identifi er les échanges aggravant la détresse ou permettant au contraire de se sentir mieux. Les modes de communica-tion intrafamiliaux sont complexes ; ils véhiculent des émotions, des attentes, du déni, des demandes diverses qui impliquent toujours le groupe tout entier même s’ils ne semblent s’adresser qu’à l’un de ses membres.

De nombreuses variétés de psychothérapies familiales existent. Les premières sont apparues dans les années 1950 aux États-Unis sous l’impulsion du psychanalyste Nathan Ackerman et de l’anthropologue J. Bateson. Elles ont connu un développement plus tardif en France, dans les années 1970, mais elles rencontrent depuis un réel succès.

Le modèle le plus représenté est le modèle systé-mique. La famille y est considérée comme un « système » soumis à des changements permanents, mais présentant des règles qui lui sont propres. La psychothérapie se déroule en quelques séances et a pour but l’identifi cation de ces règles et lorsqu’elles sont la source de confl its, leur remplacement par d’autres, moins nocives.

Les psychothérapies familiales d’inspiration psycha-nalytiques sont également très répandues ; elles visent à mettre au jour les processus inconscients (désirs, confl its) qui circulent dans le groupe, et qui ne sont pas toujours accessibles à partir du seul contenu manifeste des discours et des comportements.

La dépression peut aussi être considérée comme un message adressé à autrui (modèle communicationnel) ;

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les réactions qu’elle suscite entraînent des réponses qui alimentent la dépression, selon une dynamique dési-gnée sous le terme de « circularité dysfonctionnelle ». Le projet thérapeutique cherche à modifi er l’ensemble des réseaux de communication pour permettre à la dépres-sion de s’exprimer autrement et aux autres membres de sortir de l’impasse dans laquelle ils se sentent enfermés.

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