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Banque Agro-Veto - Session 2014 Rapport sur les concours A - filière BCPST 1 Concours Nb cand. Moyenne Ecart type Note la plus basse Note la plus haute A BIO 2980 9,37 3,71 1 20 A ENV 1960 9,45 3,75 1 20 A PC BIO 1336 9,20 3,71 1 20 Thème du programme 2013-2014 : Le temps vécu Sujet 2014 : Dans Codicille (Seuil, 2009, p. 16), le critique littéraire Gérard Genette écrit : « […] ce qui me sidère le plus n’est pas cette forme de “temps incorporé” que figure le poids des années, c’est la manière dont ses différents moments peuvent se mêler, s’entrecroiser, ricocher les uns sur les autres, d’avant en arrière et d’arrière en avant, comme si le temps avait perdu sa fatalité de mouvement vectorisé, irréversible et, comme dit Virgile, “irréparable”. » Cette réflexion de Gérard Genette s’accorde-t-elle à votre lecture de Sylvie de Gérard de Nerval, du chapitre II de l’Essai sur les données immédiates de la conscience d’Henri Bergson, et de Mrs Dalloway de Virginia Woolf ? Le sujet proposé cette année ne présentait pas de difficulté majeure d’interprétation mais supposait une étude fine de ses termes. Il a donné lieu à des contresens et des simplifications récurrentes, tenant essentiellement à une lecture superficielle ou tronquée des termes du sujet. On ne saurait donc suffisamment insister sur l’étape fondamentale que constitue l’analyse du sujet, et ce dans son intégralité. Cette exigence a donc représenté un critère déterminant dans la notation des copies. Rappelons que la composition française est un exercice d’argumentation s’attachant à un sujet précis et proposant un développement organisé et pertinent se référant aux œuvres. Les attendus méthodologiques de l’exercice ne sont pas toujours maîtrisés par les candidats et nous aurons à cœur de les rappeler ici. La connaissance des œuvres nous a paru cette année un peu plus hétérogène que les années précédentes : l’œuvre de Bergson, en particulier, a donné lieu à des erreurs d’interprétation. Gageons cependant que la relative difficulté du thème 2013-2014 explique en partie ce constat. Nous avons néanmoins eu la satisfaction de lire un certain nombre d’excellentes copies, témoignant d’une fine maîtrise du programme et d’une réelle qualité de réflexion.

Concours Nb cand. Moyenne Ecart type Note la plus … · Gérard Genette et le rappel constant de la finitude humaine. - Enfin, le candidat pouvait en troisième partie dépasser

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Concours

Nb cand.

Moyenne

Ecart type

Note la plus basse

Note la plus

haute

A BIO

2980

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A ENV

1960

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A PC BIO

1336

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Thème du programme 2013-2014 : Le temps vécu Sujet 2014 : Dans Codicille (Seuil, 2009, p. 16), le critique littéraire Gérard Genette écrit : « […] ce qui me sidère le plus n’est pas cette forme de “temps incorporé” que figure le poids des années, c’est la manière dont ses différents moments peuvent se mêler, s’entrecroiser, ricocher les uns sur les autres, d’avant en arrière et d’arrière en avant, comme si le temps avait perdu sa fatalité de mouvement vectorisé, irréversible et, comme dit Virgile, “irréparable”. » Cette réflexion de Gérard Genette s’accorde-t-elle à votre lecture de Sylvie de Gérard de Nerval, du chapitre II de l’Essai sur les données immédiates de la conscience d’Henri Bergson, et de Mrs Dalloway de Virginia Woolf ? Le sujet proposé cette année ne présentait pas de difficulté majeure d’interprétation mais supposait une étude fine de ses termes. Il a donné lieu à des contresens et des simplifications récurrentes, tenant essentiellement à une lecture superficielle ou tronquée des termes du sujet. On ne saurait donc suffisamment insister sur l’étape fondamentale que constitue l’analyse du sujet, et ce dans son intégralité. Cette exigence a donc représenté un critère déterminant dans la notation des copies. Rappelons que la composition française est un exercice d’argumentation s’attachant à un sujet précis et proposant un développement organisé et pertinent se référant aux œuvres. Les attendus méthodologiques de l’exercice ne sont pas toujours maîtrisés par les candidats et nous aurons à cœur de les rappeler ici. La connaissance des œuvres nous a paru cette année un peu plus hétérogène que les années précédentes : l’œuvre de Bergson, en particulier, a donné lieu à des erreurs d’interprétation. Gageons cependant que la relative difficulté du thème 2013-2014 explique en partie ce constat. Nous avons néanmoins eu la satisfaction de lire un certain nombre d’excellentes copies, témoignant d’une fine maîtrise du programme et d’une réelle qualité de réflexion.

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Analyse du sujet et problématisation Rappelons tout d’abord que les candidats doivent ouvrir leur devoir par une introduction complète, qui doit analyser le sujet à la fois en détail et dans sa progression argumentative avant de le problématiser et de proposer un plan. Nous avons cette année encore lu des introductions qui ne respectaient pas ces attendus méthodologiques essentiels. Mais de tous ces éléments, c’est l’analyse du sujet qui a le plus fortement péché, entraînant donc logiquement des réflexions incomplètes ou faussées. En effet, les candidats doivent avant tout s’attacher à dégager le sens de la citation proposée en travaillant avec précision sur les termes utilisés, la logique globale du raisonnement et ses différentes implications. C’est seulement ainsi qu’il pourront cerner les écueils du propos envisagé et mettre dès lors le sujet en débat. Or de nombreuses copies ont immédiatement appauvri et restreint le sujet – quand elles n’oubliaient pas tout simplement de le commenter - soit en se limitant à une partie de son contenu, soit en le faisant immédiatement dévier vers des problématiques connues. Un certain nombre de copies ont notamment fait dériver le sujet vers l’opposition entre le temps social ou scientifique (parfois encore restreint au temps des horloges) et le temps subjectif. Or cette opposition relève d’une sollicitation inappropriée du sujet. Il nous faut donc encore rappeler qu’une dissertation n’est pas l’occasion de replacer des développements appris par cœur et qui n’ont que très vaguement à voir avec la citation proposée. Nous avons pu noter sévèrement des copies qui ne livraient quasiment pas d’analyse du sujet et n’y faisaient évidemment plus référence par la suite (notamment dans les transitions et dans la conclusion), lui substituant de la sorte un autre sujet de dissertation. Venons-en donc à l’analyse du sujet : pour le critique littéraire Gérard Genette, la façon dont les moments vécus ressurgissent dans la conscience de manière miraculeuse et joyeusement anachronique semble annuler le passage tragique du temps, le tenir en échec (« comme si le temps avait perdu sa fatalité de mouvement vectorisé ») introduire de la vitalité, de la liberté et du désordre dans l’ordonnancement chronologique inéluctable du temps (« mouvement vectorisé » et « irréversible »). Le « poids des années », qui désigne la façon dont les années traversées s’incarnent physiquement (incorporé signifie « intégré dans le corps ») et moralement à travers le vieillissement, participe de cette vision négative du passage du temps ; à ce « poids » et cette « fatalité » s’oppose nettement le caractère ludique et dynamique des infinitifs employés (« se mêler, s’entrecroiser, ricocher les uns sur les autres, d’avant en arrière et d’arrière en avant »). Il fallait, dans l’introduction comme au cours du développement, travailler davantage sur les différentes dynamiques proposées ici par Gérard Genette : ces infinitifs ont été souvent restreints au seul phénomène de la réminiscence, voire au simple mécanisme de la mémoire. Enfin, les termes employés dans l’énumération finale devaient absolument être définis et commentés : « fatalité de mouvement vectorisé », « irréversible », « irréparable » (en référence à une fameuse citation des Géorgiques de Virgile : « Sed […] fugit irreparabile tempus - Mais il fuit irréparablement, le temps.»). Le passage du temps est ici perçu, à travers une logique de gradation, dans une perspective tragique. Les anachronismes psychiques à l’œuvre dans la conscience seraient donc capables, pour Gérard Genette, de nier le cours du temps en le rendant réversible, (il n’était pas inutile de rappeler l’étymologie du terme), de tromper la mort et d’offrir une forme de réparation. Notons que ce dernier terme, extrêmement fécond pour notre programme, en ce qu’il pouvait aussi offrir une perspective littéraire (écrire le temps vécu comme processus compensatoire et réparation) a été très rarement exploité. Les candidats se sont

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majoritairement limités dans leur introduction et leur développement à travailler sur l’idée de « réversibilité ». Les contresens sur le sujet ont été de différentes natures : un certain nombre de copies ont tout d’abord fait une erreur d’interprétation majeure sur le sens du verbe « sidérer », en croyant qu’il traduisait la réprobation de Gérard Genette vis-à-vis des jeux d’anachronismes psychiques. Il serait cependant fort peu logique de se réjouir de l’irréparable et de la fatalité d’un mouvement menant à la mort… Bien au contraire, Gérard Genette perçoit cette liberté de la conscience comme une forme de miracle saisissant, qui se déjoue de toutes les lois de la chronologie. En réalité, il opère au début du sujet une hiérarchie des sidérations : « ce qui me sidère le plus, ce n’est pas […], c’est… » Notons qu’il se démarque ici du narrateur de Proust qui, dans une référence qui n’était évidemment pas attendue de la part des candidats, se trouve sidéré par le vieillissement physique de ses anciennes relations et par la façon dont les années vécues s’incarnent dans le corps. Or si Gérard Genette ne nie pas le caractère saisissant de ce « temps incorporé », il est bien davantage stupéfait par la façon dont l’esprit déjoue le passage du temps. Deuxième type de contresens : il a été considéré que le « temps incorporé » correspondait au temps mesuré ou au temps social, alors que l’expression « poids des années » laissait clairement entendre qu’il désignait avant tout le vieillissement ressenti de l’intérieur par les esprits et les corps, et participait lui aussi du temps vécu. De même (et c’est le dernier type de contresens), beaucoup de candidats ont considéré que l’énumération finale (« fatalité de mouvement vectorisé », « irréversible », « irréparable ») désignait seulement le temps mesuré par la science et le temps des horloges – et se sont dès lors attachés à opposer temps scientifique et temps subjectif ; or Gérard Genette désignait encore ici la façon dont l’être humain vit de l’intérieur le passage tragique du temps qui le conduit inéluctablement à la mort. Même si ce sentiment d’irréversibilité est effectivement dans nos œuvres relayé et amplifié par les horloges, il relève avant tout d’une expérience subjective du temps. Les trois types de temporalité envisagés par la citation (temps incorporé du vieillissement / anachronismes joyeux de la conscience/ passage du temps ressenti comme une fatalité) relevaient donc tous du temps vécu subjectivement. La façon dont les candidats ont restreint « temps incorporé » et « mouvement vectorisé » au temps mesuré par les horloges a donc été révélatrice d’une négligence plus ou moins stratégique pour replier le sujet sur une thématique connue. Mais le propos de Gérard Genette contenait en lui-même sa propre mise en doute, et offrait aux candidats la possibilité d’ouvrir le débat : la structure hypothétique « comme si », qui a souvent été laissée de côté, suppose justement que le séduisant miracle reste une donnée fragile : « comme si le temps avait perdu… ». Cet écueil invitait à mettre en doute la possibilité d’une telle réversibilité du temps, ou à souligner son caractère éphémère, voire artificiel : un certain nombre de candidats ont souligné avec une grande pertinence que seul l’espace littéraire pouvait permettre de fixer durablement ce genre d’anachronismes et de vertiges temporels, mais qu’ils résultaient dès lors d’une construction. Le second écueil majeur de cette citation tient en ce que Gérard Genette envisage le passage du temps dans une perspective exclusivement négative. Cette vision peu nuancée invitait donc les candidats à opérer un dépassement du sujet, et à revaloriser tout ce que le « temps vectorisé » rend possible dans son passage même: l’accès à une certaine forme de maturité et de compréhension de soi, ainsi que la construction d’un sens qui s’appuie justement sur un sens, une direction. Corrélativement, les dangers d’un temps psychique purement anachronique ont également souvent été évoqués, à raison, pour nuancer le propos de Gérard Genette.

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Développement

a) Remarques méthodologiques :

- Il faut rappeler qu’il n’existe pas de plan type. La progression dialectique demeure vivement recommandée en ce qu’elle assure une progression logique rigoureuse.

- Nous attendons du candidat qu’il montre tout d’abord en quoi le propos cité peut rendre compte des œuvres. Cette validation doit prendre en compte le sujet en entier, et pas seulement un de ses segments. Ainsi, il s’agissait non seulement de repérer les phénomènes d’anachronismes psychiques dans les œuvres en cherchant à illustrer les différentes dynamiques évoqués par Genette, mais aussi de montrer en quoi ces phénomènes étaient perçus dans nos œuvres comme une forme de revanche sur le temps, de réparation, voire d’éternité. Cette deuxième étape a souvent été négligée, et dès lors le sujet n’a été justifié qu’à moitié.

- Les candidats pouvaient ensuite proposer une lecture critique du sujet, souligner ses failles et ses manquements. Cependant, une antithèse ne peut se réduire à un catalogue non organisé de contre-exemples. Elle doit répondre à un axe critique précis dont les sous-parties viennent préciser les modalités. Pour ce sujet, il était assez aisé de repérer un axe d’antithèse : les termes « comme si », rappelons-le, invitaient à souligner la fragilité du miracle évoqué par Gérard Genette et le rappel constant de la finitude humaine.

- Enfin, le candidat pouvait en troisième partie dépasser l’antithèse en remettant en cause la vision exclusivement pessimiste du passage du temps. Sans pour autant nier les douleurs liées au caractère irréversible du temps, l’on se devait de souligner sa fécondité. Dans cette perspective, il était intéressant d’évoquer les dangers d’un temps psychique purement anachronique, ce dont témoignent notamment le narrateur nervalien et le personnage de Septimus chez Woolf.

Un certain nombre de rappels méthodologiques nous semblent indispensables : une dissertation ne peut donc en aucun cas se construire sur une simple illustration du sujet, découpé en autant de segments que de parties. Les copies reposant sur un plan purement illustratif restent heureusement rares. Rappelons aussi que le développement ne peut non plus proposer des sous-parties envisageant les œuvres une par une (I-1 Nerval, I-2 Bergson, I-3 Woolf etc…) Ce cas est beaucoup plus fréquent. Chaque sous-partie doit se fonder sur des arguments et montrer comment les œuvres y répondent ou non, en les confrontant. Autre remarque : le sujet doit réapparaître au cours du développement, et notamment dans les transitions entre les parties (lesquelles sont obligatoires, le correcteur devant suivre la progression du raisonnement logique) et dans la conclusion : autant de lieux stratégiques de la dissertation où le candidat est censé remobiliser le sujet et se positionner vis-à-vis de lui. Néanmoins, il ne s’agit en aucun cas de le citer gratuitement et sans commentaires : inutile de l’invoquer constamment en le citant intégralement comme un refrain qui garantirait du hors-sujet. Rappelons pour finir qu’une mise en page claire est indispensable : les parties et sous-parties doivent être facilement repérables, grâce à l’usage d’alinéas et de sauts de ligne.

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b) Evaluation des copies

Bien évidemment, les analyses et problématisations insatisfaisantes ont donné lieu à des plans peu convaincants. Les moins bonnes copies se sont contentées d’opposer en deux parties le temps subjectif (envisagé de manière très large et déconnectée des jeux d’anachronismes proposés par Gérard Genette) et le temps objectif des horloges. Les éventuelles troisièmes parties ont régulièrement proposé une synthèse peu convaincante entre ces deux formes de rapport au temps, souvent très théorique et recourant peu aux œuvres. Dans les copies moyennes, le propos de Gérard Genette, quoique souvent trop restreint au mécanisme de la réminiscence, était mis en rapport avec les œuvres. Mais dans cette première partie, les candidats oubliaient fréquemment de montrer en quoi les jeux temporels de la conscience offraient une forme de réparation et un sentiment d’immortalité – ce faisant, ils n’illustraient donc qu’une partie du sujet. L’antithèse reposait le plus souvent sur le rappel à l’ordre du caractère irréversible du temps, argument tout à fait pertinent mais illustré avec plus ou moins de précision. Pour finir, elles proposaient très régulièrement des dépassements peu convaincants, en ce que mal articulés au sujet (Comment définir le temps ?) ou bien en ce qu’affaiblissant la pensée dans un recours aux lieux communs (Puisque nous allons tous mourir, il faut vivre l’instant/ Mieux vaut oublier son passé…) Les bonnes et excellentes copies se sont attachées, en première partie, à illustrer avec finesse les différents jeux d’anachronismes évoqués par Gérard Genette et à montrer en quoi ils semblent effectivement, dans nos œuvres, annuler ou du moins suspendre la fatalité du temps vectorisé, offrant ainsi une forme de réparation, de revanche sur le temps. D’autre part, les meilleures copies ont proposé un développement sur les moyens par lesquels l’écriture du temps vécu traduisait ces jeux d’anachronismes (par la multiplicité des strates temporelles et des jeux d’échos chez Nerval, par des analepses, prolepses et superpositions chez Woolf à travers l’écriture du courant de conscience, par des métaphores liquides traduisant la porosité des temporalités chez Bergson…) Elles se sont ensuite employées à montrer que ces anachronismes ne parviennent pas à tenir en échec la réalité inéluctable du passage du temps, qui se rappelle constamment à travers la perte, le vieillissement et la mort, et par l’impossibilité de revivre à l’identique le même événement (« Mais le temps n’est pas une ligne sur laquelle on repasse », selon les mots de Bergson.) Elles ont enfin montré qu’il était néanmoins nécessaire de repenser le passage du temps de manière plus positive, comme gage d’un accès à la maturité et à la compréhension de soi, que ne permettrait pas un temps psychique purement anachronique et désordonné, proche de la folie. Avec beaucoup de pertinence, l’idée de vecteur a été réévaluée : si les œuvres soulignent le bonheur des anachronismes et des réminiscences, c’est aussi parce que ces manifestations participent à la construction d’un sens, une « mélodie » globale comme le dirait Bergson, qui fait fusionner les moments vécus tout en respectant un certain ordonnancement : mélodie n’est pas cacophonie. Les ricochets, entrecroisements et superpositions des moments vécus ne sont donc absolument pas incompatibles avec le « mouvement vectorisé » du temps : ils l’enrichissent, fonctionnent comme des révélateurs du chemin parcouru, et s’intègrent dans ce « temps incorporé » qui est aussi celui de la maturation de l’esprit. Pour finir, plusieurs excellentes copies ont souligné que ce travail d’incorporation des moments vécus et d’élucidation progressive était justement l’objet de l’écriture du temps vécu. Elles ont précisé avec pertinence quelles étaient les réticences de Bergson vis-à-vis du langage, lui qui accorde le primat à la musique pour rendre compte de la durée réelle, mais qui postule néanmoins l’existence de « romanciers hardis ». Ainsi peut-on considérer Woolf et Nerval, pour qui l’écriture représente une tentative d’élucidation : face à la perte des êtres chers et à l’angoisse de la mort, la réparation se situe sans doute dans

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l’espace littéraire, qui vise à la fois à rendre compte des vertiges temporels à l’œuvre dans la conscience et à donner sens au temps vécu tout en soulignant l’extrême fragilité de cette entreprise. Nous tenons ici à saluer la profondeur et la finesse de certaines copies, en tous points remarquables. Connaissance et utilisation du programme La mémorisation des œuvres reste globalement satisfaisante, les candidats ayant pour la plupart fait l’effort d’apprendre des citations et de retenir des éléments d’analyse. Mais l’usage de ces connaissances reste perfectible. Il est tout d’abord nécessaire de rappeler que les trois œuvres doivent être mobilisées. Cette année, l‘œuvre de Bergson a été souvent délaissée. La disparition d’une des œuvres à l’échelle de la dissertation est fortement sanctionnée dans la notation. Il est également utile de rappeler qu’il faut faire dialoguer les œuvres entre elles et les confronter. Le fait de consacrer une sous-partie à une seule œuvre doit rester exceptionnel. Mais c’est l’analyse des exemples et l’usage des citations qui pèche le plus régulièrement. Tout d’abord, il est indispensable que les exemples sollicités viennent précisément étayer et illustrer l’idée avancée. Or, trop fréquemment, les références utilisées par les candidats ne répondent pas exactement à l’argument exposé, quand elles ne sont pas en contradiction avec lui. Nous avons notamment lu, dans une grande majorité des copies, que la métaphore de la mélodie était utilisée par Bergson comme une image du joyeux désordre à l’œuvre dans la conscience. Or si cette métaphore suppose bien chez Bergson l’interpénétration des notes - et des moments vécus -, elle implique néanmoins un ordonnancement intime, sans quoi elle vire à la cacophonie. D’autre part, les candidats ne peuvent considérer qu’une citation a valeur d’argument. Elle doit être analysée et commentée. La qualité d’une composition française ne se mesure donc pas, rappelons-le, à sa densité en citations, mais à la pertinence de leur analyse. Il est aussi nécessaire que les références soient précises : certains candidats ont eu tendance à se référer très allusivement à des exemples qu’ils supposaient connus du correcteur. Nous avons donc pu lire, à propos du désir du narrateur nervalien de ressusciter des scènes du passé : « voir les scènes avec Adrienne », ou « le narrateur rejoue toujours la même scène », sans autre référence ni précision. Sylvie, Aurélie et Adrienne ont parfois été confondues, et les différentes strates temporelles élaborées par Nerval n’ont pas toujours fait l’objet d’un repérage rigoureux. De même, pour l’œuvre de Woolf, nous avons pu regretter une connaissance parfois fragile de l’intrigue et des personnages (Peter étant parfois confondu avec Septimus, voire avec Richard). Rares étaient les références très précises aux épisodes de réminiscences, pourtant nombreux dans le roman, ainsi qu’aux personnages secondaires, très rarement évoqués. Mais c’est sans nul doute l’œuvre de Bergson qui a été l’objet des analyses les plus contestables, quand elle n’était pas tout simplement passée sous silence. C’est en réalité l’illustration du sujet qui a donné lieu au plus grand nombre de contresens sur l’œuvre, beaucoup de candidats ayant considéré que le « temps incorporé » doublé des mouvements internes de la conscience relevait d’une parfaite illustration des thèses de Bergson sur la fusion des temporalités. Gérard Genette devenait dès lors un parfait disciple bergsonien, ce qui n’était pas sans poser problème, car chez Bergson, l’interpénétration des états de conscience n’est pas vécue comme une suspension du cours du temps mais comme un enrichissement progressif. Les candidats ont également eu du mal à solliciter le philosophe en antithèse, alors qu’il consacre

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plusieurs passages à la sensation du vieillissement et du passage du temps (les candidats pouvaient par exemple penser à l’extrait consacré à la visite de la ville ou à la différence entre connaître et reconnaître.) Dans le dépassement, Bergson a été également été peu exploité, alors même que les métaphores liées à « l’enrichissement graduel de la conscience » (boule de neige, pelote de fil, mélodie, fleuve) sont récurrentes dans l’œuvre du philosophe. Expression Si le niveau général est acceptable, le jury souhaite néanmoins rappeler que la relecture constitue une étape indispensable. Les candidats ont certes peu de temps pour mener à bien leur dissertation, mais la qualité de l’orthographe et de la syntaxe ainsi que la clarté de l’expression entrent nécessairement en compte dans l’évaluation. Une copie présentant plusieurs erreurs orthographiques ou syntaxiques par page sur l’ensemble du devoir sera sanctionnée. Les candidats doivent donc absolument prévoir, dans les trois heures qui leur sont imparties, un temps incompressible consacré à la relecture. Elle aura pour but d’éliminer les fautes les plus grossières : structures interrogatives incorrectes, oublis de mots, confusions (es/ent, a/à, ou/où, er/é/ez, é/ait, se/ce…) Rappelons également qu’il est nécessaire d’orthographier correctement les noms des auteurs, des titres et des personnages, ainsi que celui de l’auteur de la citation (le patronyme de Gérard Genette a donné lieu à bien des réécritures.) La précision du vocabulaire employé est également requise. Ainsi, le mot « réminiscence » a pu être employé de manière fautive dans le sens de remémoration volontaire. Remarquons aussi le succès grandissant de l’expression « basé sur », à laquelle on substituera « fondé sur » ou « établi sur ». Pour finir, nous conseillons aux candidats de veiller à la clarté de l’expression. Mieux vaut miser sur la simplicité que sur une syntaxe inutilement complexe et des tournures alambiquées, dans lesquelles les candidats ne manquent pas de s’égarer. A contrario souhaitons-nous saluer certaines compositions pour l’élégance et la clarté de leur propos. Pour finir, le jury tient à remercier les candidats et les préparateurs du travail accompli, qui témoigne du sérieux avec lequel ils ont abordé l’épreuve. Correcteurs : Jean-Jacques Alrivie, Séverine Bourdieu, Emmanuel Caquet, Julie Chalvignac (R), Geneviève Dubosclard, Aurélien Gautherie, Isabelle Guillot, Thomas Mondémé, Florian Pennanech, Elisabeth Schneikert, Muriel Such, Romain Vaissermann, Corinne Zimmermann-Von Kymmel. Expert : Julie Chalvignac

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