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This article was downloaded by: [New York University] On: 09 October 2014, At: 11:38 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Loisir et Société / Society and Leisure Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/rles20 Consommation Et Changement Social Victor Scardigli a a CNRS, Paris France Published online: 24 Oct 2013. To cite this article: Victor Scardigli (1986) Consommation Et Changement Social, Loisir et Société / Society and Leisure, 9:2, 476-490, DOI: 10.1080/07053436.1986.10753649 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/07053436.1986.10753649 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content.

Consommation Et Changement Social

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This article was downloaded by: [New York University]On: 09 October 2014, At: 11:38Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH,UK

Loisir et Société / Society andLeisurePublication details, including instructions for authorsand subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/rles20

Consommation Et ChangementSocialVictor Scardigliaa CNRS, Paris FrancePublished online: 24 Oct 2013.

To cite this article: Victor Scardigli (1986) Consommation Et ChangementSocial, Loisir et Société / Society and Leisure, 9:2, 476-490, DOI:10.1080/07053436.1986.10753649

To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/07053436.1986.10753649

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CONSOMMATION ET CHANGEMENT SOCIAL

Victor ScARDIGLI

CNRS, Paris France

La consommation n'interesse guere. Les observateurs du changement social ont eu vite fait de devoiler, sous les apparences d'un mouvement perpetuel des objets et des services achetes 1, la mome reproduction des classes, I' implacable repetition d' une meme volonte d' appartenance et de distinction, la vis sans fin d'un systeme economique qui ne perdure qu'en produisant de nouveaux signes a consommer. Apres Jes verdicts definitifs de J. Baudrillard ou de P. Bourdieu, la sociologie prefera chercher dans le monde du travail ou la vie de la cite Jes mutations sociales de demain.

Les apparences donnent raison a ce desinteret. La consommation reste desesperement banale, nous allons le voir en retra<;ant Jes grandes lignes de son evolution. Pas d'innovation sociale, aucune rupture de tendance, rien qui n'ait deja ete annonce depuis des decennies, voire des siecles.

Mais une analyse plus attentive va nous conduire a un jugement plus nuance. On a sous-estime, en particulier, !'importance d'un premier toumant pris par notre societe, voici un quart de siecle. L'acces de la plupart des groupes sociaux a une tres large gamme de biens a pose les bases d'un nouveau rapport de l'homme au monde et a lui-meme: les generations qui sont nees depuis ce toumant des annees soixante developpent aujourd'hui une culture du quotidien fondee sur le recours privilegie ace systeme d'objets techniques-marchands.

Mais au moment meme ou le recul temporel commence a nous faire prendre conscience de cette mutation, un second toumant apparait, qui donnera peut-etre son veritable sens a notre xxe siecle. Un nouveau type de consomma­tion, plus «immateriel», voit se generaliser Jes pro theses a penser, a comm uni­quer, a travailler, a jouir. Est-ce le feu d'artifice qui inaugure une societe de I 'intelligence, l 'homme de Neanderthal cede-t-il la place al 'homme digital? Ou bien construisons-nous une civilisation de la vie par procuration, une societe de !'artifice? Le debat doit s'engager des a present.

Loisir et Societe I Society and Leisure Volume 9, numero 2, automne 1986, p. 477-490. " Presses de l'Universite du Quebec

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Continuites seculaires2

La consommation change, certes, mais selon des lois presque immuables. 11 y a plus d'un siecle, I' economiste Ernst Engel avait commence a observer des menages allemands, puis belges. Entre 1853 et 1891, il avait formule quatre lois, dont deux restent encore parfaitement valables aujourd'hui. Dans tousles pays developpes, les particuliers qui voient leurs revenus s'elever consacrent une part decroissante de leurs depenses a !'alimentation, et une part croissante a ce qu'il appelait les depenses diverses, et qui recouvre !'education, Ia sante, le loisir ... Et ces lois se verifient meme pour le Tiers-Monde: Ia meme evolution des depenses des menages se retrouve dans les pays qui commencent a s, indus­trialiser: Ia transformation de Ia consommation marchande semble suivre un modele universe!.

Avant de discuter des significations possibles de ces tendances, recapitu­lons les faits. Cinq observations, generales ou sectorielles, permettent de caracteriser le mouvement sur une longue periode de Ia consommation, et plus largement des modes de vie.

Une elevation considerable du niveau de vie

Des travaux d'historiens, des romans ethnologiques, ou les recits de nos pro pres parents, s' ils sont d' origine modeste, no us rappellent Ia durete des conditions de vie dans Ia France encore rurale de 1900 ou 1920: le sol des maisons en terre battue, aucune installation sanitaire, I' eau qu' il faut sortir chercher a Ia pompe ou a Ia fontaine, le medecin appele seulement a Ia derniere extremite.

Depuis lors, et en particulier depuis Ia Seconde Guerre Mondiale, notre niveau de vie a connu une amelioration sans precedent dans I 'histoire: entre 1949 et 1981 , c 'est -a-dire en un tiers de siecle, notre pouvoir d' achat a ete multiplie par quatre. Outre ce pouvoir d'achat individuel, le niveau de vie doit s'apprecier aussi en termes d'enrichissement collectif: une part croissante de Ia production nationale est affectee a Ia construction d'ecoles, d'hopitaux et de routes, au fonctionnement de ces services publics et de ces equipements collectifs, sans oublier les services administratifs et les depenses collectives de securite. Certains pays semi-industrialises parviennent a rattraper les pays developpes en ce qui concerne Ia consommation individuelle, mais leur niveau de vie reste tres inferieur si 1' on tient compte de Ia faiblesse de ces consomma­tions collectives.

Cela dit, le gonflement des depenses de consommation n'est pas necessai­rement synonyme de mieux-etre. 11 signifie, pour une part, que nous devons payer ce qui etait gratuit dans les societes traditionnelles: les loisirs, Ia commu­nication entre les individus, les echanges de services entre voisins, les vete­ments que I' on tissait soi-meme ... il signifie aussi pour une autre partie, une compensation a certains inconvenients ou certaines nuisances de Ia vie mo-

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derne. Ainsi l'allongement des circuits de distribution, entre le producteur breton ou sud-africain et le consommateur parisien, nous amene a payer une succession d'intermediaires, de moyens de transports, une chaine du froid, etc ... L'urbanisme actuel repose sur l'eclairage artificiel et la climatisation des locaux sans fenetres; les hypermarches et l'habitat pavillonnaire exigent la possession d'une voiture.

Malgre ces reserves, le developpement de Ia consommation individuelle et collective traduit une amelioration qualitative indiscutable de l'habitat, de I' education, de Ia sante. Cette observation est importante pour expliquer le peu de succes des utopies alternatives (retour a la campagne, au mode de vie traditionnel, a l'economie non-marchande ... ) aupres de I' immense majorite des Franc;ais.

Une stagnation des depenses alimentaires et vestimentaires

Les rares enquetes statistiques disponibles pour le XIXe siecle, notamment celles d' Ernst Engel, no us montrent des consommateurs qui consacrent 1' essen­tiel de leurs maigres ressources a !'alimentation. La situation est la meme en France au debut du XXe siecle, si I' on en juge par les enquetes de Halbwachs, sur des families ouvrieres. L'elevation rapide des ressources monetaires s'est traduite par un bouleversement de la structure des depenses. En 1950 encore, les Franc;ais consacraient les deux tiers de leur budget a leur nourriture et leur habillement. II n'y affectent plus que le tiers aujourd'hui; et cette proportion pourrait descendre a moins du sixieme en l'an 2000, si le pouvoir d'achat retrouve la croissance meme faible observee en moyenne sur la periode 1973-1981.

TABLEAU I

L'EVOLUTION DES POSTES DE DEPENSES, EN POURCENTAGES DE LA CONSOMMATION TOT ALE EN FRANCE*

1950 1970 1983

Alimentation a domicile 48,5 27,1 20,9 Habillement 15,2 8,6 6,6 Logement

} 13,5 14,6} 24 5 16,3 } 25 9 Equipements du logement 9,9 , 9,6 ,

Sante 4,7 9,8 14,8 Transports 5,1 11,6 12,6 Loisirs, culture, enseignement 4,1 6,2 7,8 Beaule, hOtels-cafes-restaurants, divers ... 8,9 12,2 11,4

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Cela ne signifie pas que l'on mange moins, mais simplement que ces postes de depenses ne s' accroissent pratiquement plus en volume: pour la majeure partie de la population, ces besoins sont, en gros, satisfaits et laissent la place a de nouveaux «besoins»: les revenus supplementaires sont presque entierement consacres a des consommations nouvelles, qui s' accroissent de 3 a 7% par an, en volume. La stagnation de ces domaines «classiques» de la consommation ne signifie pas non plus que rien n'y bouge. L'alimentation, en particulier, connalt deux transformations considerables: I' alimentation hors domicile se developpe (suppression du retour du travailleur a son domicile, pour le dejeuner; sortie au restaurant comme loisir); les aliments consommes a domicile sont de plus en plus «elabores» (surgeles, plats cuisines ... ).

Une consecration du logement comme «lieu total»

Le logement nous prend aujourd'hui plus du quart de notre budget, et !'inflation de ces depenses ne reflete pas seulement la speculation immobiliere. Le confort s'est ameliore de fa~on considerable (eau, sanitaires, chauffage); de multiples equipements en font progressivement le lieu privilegie, voire unique, d'activite culturelle, de loisirs audio-visuels et de sociabilite, voire d'informa­tion, de formation et (dans des cas encore tres limites) de travail. La nouvelle generation d'equipements et de services (magnetoscope, micro-ordinateur, minitel, visiophone, nouvelles chaines TV par cable et satellite, telecopie, etc.).

Une explosion des «besoins personnalistes»

Nous regroupons sous cette appellation ambigue les besoins qui mettent en avant l'individu et pr6nent l'epanouissement de tous ses desirs. Appellation ambigue car beaucoup de critiques de la societe de consommation citent en exemple les produits qui, sous pretexte d'epanouir la personnalite de chacun, manipulent sans fin les desirs du consommateur, ou bien se boment a compen­ser la destruction de la societe traditionnelle. Contentons-nous, pour le mo­ment, de souligner quelques tendances longues. Les communications (voiture et telephone) mais surtout la sante prennent une importance tres rapidement croissance dans les depenses des individus. II en est de meme pour !'education, mais ce phenomene essentiellement pris en charge par la collectivite n'apparait guere dans la «consommation» marchande. D'ailleurs, les nomenclatures, ici, s'adaptent mal a la diversite extreme des activites: le terme «sante» designe globalement la lutte contre la maladie et la mort, mais aussi la dietetique, I' esthetique, les consommations qui apportent un sentiment de bonne forme ... Le loisir recouvre la prise d'information, les loisirs audio-visuels, les activites culturelles, la pratique sportive, les jeux, la rencontre d'amis, les spectacles hors-domicile, les week-ends, les vacances d'hiver et d'ete ...

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Un simple deplacement des inegalites

On avait parle un peu vite d'homogeneisation par Ia production de masse. Certes, ce n'est plus un objet unique (le vetement, puis Ia voiture) qui sert a Ia differenciation des classes ou des statuts: Ia distinction sociale repose sur une combinaison subtile d'objets et de pratiques de plus en plus nombreux. Mais, contrairement aux propheties de I' «ere d' abondance», Ia consommation de masse ne signifie nullement Ia fin des inegalites. Celles-ci se deplacent des besoins traditionnels vers les consommations en fort developpement. L'ali­mentation et le vetement voient se reduire l'ecart entre les depenses des classes aisees et modestes, des urbains et des ruraux, des personnes jeunes et agees. Mais un fosse continue de separer ceux qui font peu d'etudes, vivent dans un logement surpeuple, ne partent pas en vacances, et mourront plus tot, et ceux qui organisent leur mode de vie autour de Ia deuxieme, puis troisieme voiture, de Ia residence secondaire et des sports d'hiver. On voit perdurer le clivage entre le modele d'occupation du temps libre des classes aisees (qui se distin­guent par Ia lecture de nombreux livres et revues, par Ia frequentation de theatres), des ouvriers (matchs sportifs et fetes foraines), et des ruraux (lecture du quotidien, television, bal public )3

.

La television a fait exception a Ia regie: Ia diffusion du recepteur noir et blanc, puis du recepteur couleur, a ete, a peu de choses pres, aussi rapide chez les inactifs et les ouvriers que chez les cadres superieurs. La societe audio­visuelle de demain sera-t-elle moins inegale qu'aujourd'hui? La encore, les premieres observations sur les technologies nouvelles appellent 'a plus de prudence: celles-ci semblent renouveler les inegalites, moins pour des raisons economiques (cout du decodeur de television ou du magnetoscope) que cultu­relles: les premiers usagers des micro-ordinateurs et du videotex sont souvent des jeunes, des hommes, appartenant aux classes moyennes.

Meme dans le domaine alimentaire, Ia standardisation des produits n'en­traine nullement une homogeneisation des pratiques culinaires: Ia cuisine au beurre eta I 'huile continue de se partager Ia France, de me me que Ia composi­tion des desserts: sucres et patisseries au Nord, fruits au Sud. Le menu des ouvriers reste different du repas des classes moyennes: il comporte sou vent des volailles et des patisseries, tandis que les «co is blancs» preferent le mouton et le fromage; l'ouvrier mange des plats traditionnels et boit de Ia biere, tandis que I' employe et le cadre moyen achetent des plats prepares et s' offrent du whisky4

.

De meme, Ia conception traditionnelle des rOles au sein du couple resiste bien aux tendances uniformisantes: qu 'ils soient cadres superieurs ou ouvriers, les hommes maries continuent de considerer que c'est leur epouse, meme active, qui doit s'occuper de Ia preparation du repas, du menage, de Ia lessive, des soins aux enfants: ils y consacrent I heure et demie par jour, et les femmes heures.

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Les clivages traditionnels resistent done; mais I 'inegalite peut encore prendre des visages nouveaux. En particulier, le developpement de Ia consom­mation se traduit par une diversite pratiquement illimitee des choix offerts a chacun. Divers instituts s'efforcent de faire apparaltre des «styles de vie», independants des variables socio-economiques traditionnelles, et qui explique­raient le succes ou l'echec des nouveaux produits, selon qu'ils reussissent, ou non, a s'inscrire dans les courants socio-culturels en developpement. Ces «styles de vie», pour le moment, semblent plus proches de Ia mode que du choix de toute une vie, et ils n 'ont pas encore fait Ia preuve qu' ils s' inscrivaient dans Ia longue duree; mais on ne peut exclure qu'ils debouchent sur de veritables clivages sociaux, sur de nouvelles inegalites dans les modes de vie.

Un premier tournant: Ia culture de consommation5

Cette evolution de Ia consommation pourrait n'etre qu'une particularite de notre xxe siecle: en quelque sorte une mode passagere, un simple accident de l'histoire a l'echelle de l'aventure de l'humanite. Meme les partisans de !'economic liberale americaine etaient quelque peu sceptiques sur Ia duree d'un systeme economique ou l'industrie avait pour tache de «produire de nouveaux besoinS>>, en meme temps que des produits correspondant aces besoins. Ainsi Jonh K. Galbraith, tout en vantant les bienfaits de Ia <<societe d'abondance>>6

,

exprimait-il son pessimisme quant a l'avenir d'un modele de societe qui se propose de satisfaire ce que Keynes appelait <<ies besoins relatifs, par nature insatiables>>. A fortiori les critiques de ce systeme economique, depuis Vance Packard7 jusqu'aux sociologues fran<rais, laissaient prevoir un prochain effon­drement de cette baudruche: des que !'occasion s'en presenterait, les popula­tions se revolteraient contre le nouvel esclavage auquel on les reduisait, celui de Ia consommation de signes.

Le recul du temps nous appelle a plus de prudence: Ia societe de consom­mation resiste aux crises; elle s'avere universelle; plusieurs indices suggerent meme qu'elle est integree a Ia culture du quotidien.

Un modele insensible aux crises economiques

De 1973 a 1985, le niveau de vie en France a connu une progression plus lente, puis une stagnation. Cette crise pouvait favoriser !'emergence d'autres modeles de consommation et de vie, dans le prolongement des anti-valeurs de mai 1968: contestation de Ia societe de consommation, de son gaspillage, de ses depenses ostentatoires. Mais rien de tel ne s'est observe: les comportements des consommateurs manifestent des priorites inchangees. Par exemple, le gouver­nement decida en 1983 de limiter les devises que les vacanciers pouvaient emporter a I' etranger: cette mesure souleva un to lie inattendu du gouverne­ment, qui n, avait pas compris que I' evasion en vacances a I' etranger etait de venue le reve de tout citoyen- alors me me que 15% seulement des Fran<rais

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etaient con cernes par cette mesure, puisque les autres restaient en France ou ne prenaient pas de vacances du tout! Le taux de depart en vacances d' ete continue des' elever impertubablement, presque au meme rythme qu' avant Ia crise: 40% des Fran~ais en 1964, 50% en 1976, 56% en 1984. Deux millions d'habitants partaient aux sports d'hiver avant Ia crise; ils sont pres de six millions aujour­d'hui.

Lors des annees d'austerite, voire de regression Iegere du niveau de vie, Ia transformation de Ia structure des depenses marque une pause; puis Ia demande repart, mais toujours dans Ia direction annoncee depuis des decennies. Les depenses de sante continuent de croitre de 7% par an (deduction faite de !'inflation) de meme que celles de loisir (6,7% par an). Les priorites restent les memes, !'on guette en vain le retour a l'echange non-marchand et l'auto­consommation, annonces par Ivan Illich et autres prophetes de !'economic vernaculaire: jamais on n 'observe de tellesinnovations sociales a grande echelle, a Ia faveur de Ia crise.

Loin de tourner vers un modele de vie mains «consommatoire>>, les Fran<;ais deploient done leurs efforts pour continuer dans le meme sens: ils compriment un peu plus leurs depenses d' alimentation et surtout d 'habillement; ils puisent dans les reserves qu'ils avaient accumulees au debut de Ia crise (le taux d'epargne est redescendu de 17% avant Ia crise a 14% en 1984). Lors du premier choc petrolier, Ia consommation d'essence et les achats de voiture ont ete fortement freines pendant 6 a 12 mois; puis !'on a presque retrouve les niveaux de vente anterieurs; et le second choc petrolier n' a pratiquement rien modifie. On achetait environ I 300 000 voitures neuves par an en 1970, on en achete aujourd'hui I 800 000.

Un modele qui s' etend a Ia planete

Les tendances longues que nous avons decrites se retrouvent dans les autres pays occidentaux. En temoigne Ia ressemblance des modes de vie americain, japonais et europeen, en ce qui conceme !'automobile et Ia televi­sion. A niveau de vie ega!, on accorde certes plus ou mains d'importance au logement, a !'alimentation, aux loisirs, selon les specificites culturelles de chaque pays; mais Levy-Garboua et Gardes8 concluent a une convergence des modeles de consommation ouest-europeens, et meme celui des Etats-Unis, malgre des systemes de protection sociale tres differents.

Lorsqu'on analyse les enquetes consommation disponibles sur certains pays du Tiers-Monde9

, on est conduit a une conclusion analogue: certes, le mode de vie n'a guere de points communs avec le notre; mais une augmentation du revenu monetaire conduit les menages a diversifier leur consommation d'une fa<;on analogue a celle qu'ont connue les pays developpes au debut de ce siecle. La monetarisation des echanges economiques, !'irruption de methodes intensives dans !'agriculture, et de Ia technologic occidentale dans le secteur

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secondaire, font basculer les pays en voie de cteveloppement dans Ia societe technique-marchande, son systeme de priorites et son modele de vie.

Reappropriations quotidiennes

Comment se fait-il que ces tendances seculaires surmontent les crises economiques et les barrieres culturelles? Le comportement des jeunes genera­tions va nous guider vers un debut de reponse: elles ont un «vecu>> de Ia consommation tres different de leurs aines.

La publicite etait honnie des blousons dores revoltes en mai 68; aujour­d'hui les spots televises sont un des sujets les plus regardes et discutes par les jeunes; leurs slogans et leurs themes musicaux sont deformes et reinterpretes, ils deviennent objet de jeux et de calembours, signes de reconnaissance et de connivence du groupe de pairs ...

Les biens couteux etaient traites avec en vie, deference, fidelite: les jeunes d' aujourd 'hui s' assoient sur leur voiture, ecrasent leur cigarette sur le refrigera­teur, mettent au placard walkman ou micro-ordinateur aussi vite qu'ils se sont passionnes pour ces acquisitions.

Chaque techno Iogie nouvelle donnait lieu a un apprentissage maladroit et prudent; les adolescents d'aujourd'hui branchent instantanement leurs nou­veaux appareils, passent dix coups de fil par jour a leur copain du dessous plutot que de descendre un etage, se deplacent dans l'univers des nouvelles radios et televisions comme s'ils y avaient toujours vecu. Les consignes fixees par le constructeur faisaient !'objet d'une obeissance respectueuse et craintive; au­jourd'hui on essaie, on manipule, ou decouvre de multiples usages non prevus. on pirate sans complexe.

A !'attitude d'assujettissement, succede ainsi une attitude de plus grande maitrise du systeme des objets de consommation: maitrise faite tout a Ia fois d'une assimilation tres rapide (ou plus precisement, pourparler comme Piaget, d'une succession d'assimilations et d'accommodations a cette realite nou­velle). et d'un contournement des normes de conduites proposees-imposees par le systeme d'offre.

Dans une moindre mesure, tous les consommateurs en arrivent a ce nouveau <<Vecu» de Ia consommation. Le client d'aujourd'hui devient plus exigeant et plus selectif: il demande des informations sur Ia qualite ou Ia fraicheur, il recherche une personnalisation du produit, il compare, il va dans plusieurs points de vent avant de se decider; il planifie ses grosses depenses. En somme. il prend du recul par rapport a !'ensemble des sollicitations de l'offre. Ce qui lui donne, au moins en apparence. un peu plus de pouvoir: le consume­risme fait parfois trembler I' industrie pharmaceutique ou les producteurs de veau aux hormones; il ne parvient pas, toutefois. a obtenir !'institutionalisation de son role, comme en Suede, ou a acquerir un poids analogue a celui des syndicats de travailleurs dans le champ de Ia production.

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Un parallele peut etre risque avec l'univers de la production oil la recom­position des taches, Jes cercles de qualite, etc., marquent une certaine reappro­priation de la culture du travail et de I' entreprise par le travailleur: apres Ia division taylorienne des besoins de consommation auxquels repondaient des produits toujours plus specifiques, le consommateur peut, dans une certaine mesure, se recomposer une culture du quotidien fondee sur une maitrise retrouvee de ces objets.

Peut-on dater ce tournant dans la consommation?

Les biens de consommation de masse sont arrives en France beaucoup plus tardivement qu'on ne croit generalement. Le «modele de vie americain» etait, bien entendu, annonce des I' entre-deux-guerres; mais encore au debut des annees cinquante, ii restait l'apanage d'une minorite de Fran«ais particuliere­ment aises. En I 953-54, seulement un menage sur cinq possede une automo­bile, et un sur dix un lave-linge, ou un refrigerateur; et pratiquement personne ne possede ces trois equipements a la fois. Les consommateurs sont done encore peu equipes en biens durables ou semi-durables; et cela ne fait que refleter leurs conditions de logement. A cette date, plus des deux tiers des logements datent d' avant la guerre de I 914: la plupart manquent de ce que nous considerons aujourd'hui comme le confort moderne: installation d'eau chaude, WC interieur, chauffage central, etc.

Pu is tout s' accelere. En dix a quinze ans, (1960 a 1970 environ pour Jes biens d'equipement, 1960 a 1975 pour le logement), la majorite des Fran«ais accede aux conditions de vie materielles de la societe d'abondance: c'est en 1970 qu' on arrive a 51 % des logements equipes a la fois de WC interieurs et d'une douche ou baignoire (cette proportion n'atteindra 73% qu'en I 978).

En 1970, sur dix menages, 8 possedent un refrigerateur, 7 un televiseur, 6 une voiture, 5 un lave-linge. Des biens nouveaux sont venus depuis !ors s' ajouter a la liste; mais on peut dater de cette periode I 960- I 970 le point d'inflexion des «courbes en S» qui caracterisent la diffusion moyenne des biens d' equipement des menages. Le phenomene n' a fait que s 'accentuer depuis !ors: car Jes biens arrives a saturation (c'est-a-dire possedes par tous Jes menages susceptibles de Jes acheter) commencent a faire I' ob jet d 'une multi-possession. Ainsi la voiture, ou la television: au sein-meme de la famille, chacun se constitue sa cellule equipee pour Jui assurer une vie autonome; et cette multipli­cation des equipements est renforcee par la tendance demographique a la de-cohabitation, c'est-a-dire le depart precoce des jeunes de chez leurs parents, et la multiplication des families mono-parentales.

Mais notre concept de culture de consommation n'est-il pas une simple justification, apres-coup, des exigences de la production? Ne consiste-t-il pas a cacher la manipulation du consommateur, en postulant une interiorisation du modele de vie preconise par le systeme d'offre? Certes, l'envol des depenses de consommation depuis la fin de la guerre aboutit a une invasion de notre espace

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prive par !'accumulation des produits et des services qui se sont rendus indispensables a nos gestes et nos pensees quotidiens.

Cette accumulation d'objets dans notre espace quotidien est, en elle­meme, une caracteristique de notre civilisation en cette fin de siecle. En outre, elle coincide avec quatre transformations plus profondes de nos representations collectives, de notre cadre de vie, de nos structures sociales, de nos valeurs.

Le progres scientifique et technique est identifie au progres vers le bon­heur; et, dans notre vie quotidienne, nous «consommons le progres» qui est incorpore dans les biens et services que I' on utilise. Cette incorporation est tres sou vent masquee- un bouton unique fait fonctionner les appareils electrome­nagers; !'automobile est devenue d'un usage tres simple, n'exigeant plus aucune connaissance de mecanique; et Ia meme simplification se retrouve pour Ia plupart des produits et des services qui cherchent a toucher un tres large public- mais elle n'en pas moins reelle. Plus largement encore, le systeme des objets- biens et services de consommation -est en train de construire, ou au moins de participer, a Ia construction de Ia societe de demain. L'automo­bile, a ses debuts, etait un objet de luxe, une marque de statut social. Devenue aujourd'hui indispensable, elle participe a l'amenagement du territoire: elle a permis Ia construction de certains types de banlieues, le developpement des residences secondaires et des departs en vacances, Ia creation des centres commerciaux a Ia peripherie des villes, etc. De meme, le developpement des telecommunications et des nouveaux media permet aux nouvelles classes moyennes, dans certaines banlieues et villes nouvelles, de construire des reseaux locaux de sociabilite et d'activite de loisir qui leur assureront un pouvoir grandissant 10

. La prediction d' Alain Touraine sur Ia «production de Ia societe» se verifie, les acteurs sociaux se saisissent des nouveaux objets pour produire une societe conforme a leurs aspirations.

Notre type de societe se caracterise encore par l'isolement et I' emergence de Ia personne. Ce n'est plus le village ou le groupe familial elargi, ni meme la famille nucleaire, mais l'individu qui devient la cellule de base de la societe. Les structures sociales traditionnelles sont en effet abo lies, et le developpement industriel a repose sur Ia mobilite de l'individu. La vie de chaque personne s'organise de fac,on autonome, chacun tendant a disposer de son equipement personnel en matiere d'habitat, de transports, de loisir, de communications ...

A un niveau plus profond, enfin, cette «tendance longue» se traduit par Ia liberation du desir et de l'angoisse personnels. Les societes traditionnelles avaient un mode de gestion collectif de la maladie et de la mort; leur destruction fait tomber les remparts contre l'angoisse du patient face ala mort, contre la culpabilite que ressent I' entourage en presence du malade et du mourant. La medecine modeme intervient avec son paravent technique pour masquer ces sources d'angoisse; et Ia consommation medicate exprime ce desir de protec­tion, cette attente d'une toute-puissance de Ia part du medecin, du medicament ou du systeme medical dans son entier.

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De meme, les entretiens libres et les enquetes sur les «styles de vie» montrent le developpement de l'hedonisme, de Ia recherche bien-etre indivi­duel, de l'epanouissement de toutes les facultes de chacun. Ces fantasmes d'abondance, d'une plenitude de jouissance de l'enfant-roi, sous-tendent sans fin Ia croissance de Ia consommation.

Vers l'homme digital? Alors meme que cette culture vient a peine d'eclore, une nouvelle catego­

rie de consommations s'offre a nous, caracteristique de ce que certains ont appele Ia societe de !'information.

Car, dans «i'economie de !'information» (terme employe en 1976 par Marc Porat pour caracteriser Ia societe americaine, dotee d'un pourcentage tres eleve de «travailleurs dans I' information»), I' ensemble des objets et des ser­vices produits finissent par devenir des informations: pour Me Luhan, Ia «revolution de !'information» c'est «Ia mutation globalisee des formes du hard ware en soft ware». Ces informations a consommer representent a Ia fois une rupture et une continuite par rapport aux tendances precectentes. Rupture, car avec les technologies nouvelles, !'information n'est plus inscrite dans Ia pierre ou sur un journal; ellen' est meme plus transmise par les gestes et les mimiques de Ia communication sans langage: elle devient «immateriau», impulsion electrique imperceptible aux sens humains, modification subtile et reversible de Ia trajectoire d'un electron. On connait les insurmontables problemes que connaissent les inventeurs de logiciels, les possesseurs de banques de donnees, pour defendre une propriete immaterielle; Ia paralysie que nous eprouvons dans notre vie quotidienne, quand une panne de secteur nous prive de notre camet d' adresse ou de nos pages de texte sur ordinateur; Ia perte de notre passe, quand un malencontreux champ magnetique efface sans retour les enregistrements que nous avions precieusement enfermes dans une cassette.

Continuite, car ces technologies qui contribuent a produire ou stocker de !'information, a Ia transmettre, a l'elaborer ne restent pas sans influence sur Ia vie de Ia societe. Elles aident a Ia production de valeurs economiques, de sens culture!, de pouvoirs politiques, de hierarchies sociales.

Cet «investissement» de Ia societe, c'est Ia penetration de ces nouvelles technologies dans tous les secteurs de Ia vie economique: productique, bureau­tique, mais aussi toutes sortes d'application dans !'agriculture et les services; dans Ia vie publique locale et nationale; dans tousles lieux de vie privee, dans tous les temps d'activite individuelle - achats, repas et taches menageres, loisir, education, rencontres sociales ...

Les observations que I' on a pu pratiquer sur Ia diffusion de ces «Consom­mations immaterielles» sont encore trop peu nombreuses pour permettre une conclusion peremptoire. Mais elles font souvent apparaitre le renforcement d'un modele de societe ou Ia vie individuelle et sociale, Ia relation a soi-meme

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et aux autres hommes, a Ia connaissance et a I' environnement repose sur I' acces payant au progres technique. Le systeme de valeurs dominant se renforce, dans le sens d'une foi dans le progres technique mis au service de l'epanouissement de Ia personne. L'economie repose sur le developpement de Ia production et consommation de marchandises informationnelles, culturelles, education­nelles. Le rapport a Ia connaissance, au savoir, privilegie le quantitatif, le numerique «digital». La frontiere vie privee/vie publique et au travail devient permeable, mais dans un seul sens, si !'on peut dire: Ia vie domestique est envahie par les programmes audio-visuels, Ia tele-distribution commerciale, peut-etre a long terme le tele-travail ...

Insidieusement, le systeme de valeur prive, privilegiant I' affectif, I' infor­mel, est ainsi conquis par Ia rationalite du monde du travail, par l'efficacite de l'economie. II n'est pas exclu que ce refoulement progressif de l'irrationnel, de l'affectif dans Ia vie personnelle et Ia sociabilite, debouche sur les explosions sociales violentes, contestant plus globalement l'emprise de cette rationalite technique-marchande, renforcee par les nouvelles technologies, sur l'homme et Ia societe de demain; mais pour le moment, !'on assiste plutot a des detoumements et contoumements souvent suivis de reappropriations.

En somme, il n'apparait pas d'inflexion dans le mouvement vers une culture a Ia fois technique et marchande, dont I' aspect informationnel, «digital» pour reprendre le titre de notre ouvrage, n'est qu'une facette; ou plus precise­ment, Ia «digitalisation» marque une etape supplementaire dans le developpe­ment d'une societe «technopoliste» 11

II existait depuis des siecles une marchandisation de !'alimentation et, pour certains groupes sociaux seulement, de I 'habillement. Le 20e siecle a vu Ia marchandisation de Ia relation a l'environnement physique (habitat de plus en plus confortable ... et cofiteux); du rapport a l'espace-temps (voiture qui transforme l'espace en un reseau maille, robots menagers qui «gagnent du temps»); du rapport au corps, a Ia vie, a Ia maitrise de l'angoisse et de Ia culpabilite (medecine, loisirs payants, «bio-sports»). On passe aujourd'hui a Ia marchandisation de Ia relation interpersonnelle: c' est le telephone; mais aussi le dialogue qui se renoue dit Ia publicite, autour des technologies nouvelles: Ia convivialite au tour d 'une console de jeu, I' echange parents-enfants au tour de Ia television, Ia tele-messagerie ...

Les tendances historiques observees dans Ia consommation semblent bien conduire a une societe digitale, profondement marquee par les apprentissages et les appropriations de l'informatique ou de l'electronique que l'homme effectue aujourd'hui; par des transformations de Ia culture quotidienne qui s'observent deja «autour» des nouvelles technologies, au travail, dans Ia vie privee et dans Ia vie de Ia cite.

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NOTES

I. La Comptabilite Nationale designe par consommation finale l'achat, par les menages, d'un bien ou d'un service destine it leur usage personnel. (On exclut ainsi, par exemple, les produits achetes par un agriculteur pour nourrir le betail qu'il compte vendre. Par contre, on inclut Ia valeur du betail qu'il se reserve pour sa propre alimentation: ce qu'on appelle l'auto­consommation).

Un probleme de frontiere se pose pour les services qui sont dans certains pays largement subventionnes par Ia collectivite: education, sante, logement, culture, transports collectifs ... La France, comme beaucoup de pays europeens, inclut dans Ia consommation les depenses de sante remboursees par les assurances sociales, mais exclut l'education publique. Ce qui ne facilite pas les comparaisons avec un pays comme les Etats-Unis, oil ces deux services sont beaucoup plus largement prives! Certains recourent it Ia mesure d'une <<consommation elargie» it !'education, it Ia culture, voire it Ia defense nationale. Pour notre part, nous retenons une definition Ires large: est consommation tout recours (qu 'il so it gratuit ou payant, pour I 'usager) it des biens ou services qui, pour etre produits, exigent le travail remunere d'autres gens. On notera toutefois que ces definitions s'eloignent considerablement de ce que le sens commun appelle consommation: I' alimentation, ou it Ia rigueur (mais meme ceci est un sens recent, et pas encore unanimement accepte) l'achat d'objets d'utilisation courante. Nos concitoyens n'ont pas conscience de <<Consommer>> leur ecole ou leur voirie, ce qui conduit it bien des malentendus sur Ia <<societe de consommation>>.

2. Cette partie de notre article s'appuie sur les sources statistiques suivantes: - Comptes de Ia Nation 1984, vol. 2. - Enquetes de I'INSEE -Donnees sociale INSEE 1984 (Notamment article de Ph. L'Hardy) -Office statistique des Communautes Europeennes, EUROSTAT.

3. Enquete sur les pratiques culturelles des Fram;ais en 1981. Ministere de Ia Culture.

4. GRIGNON, C., GRIGNON, C., and HERPIN, N., dansDonneessociales 1984, p. 339-341.

5. Cette partie de !'article prolonge notre ouvrage: V. Scardigli, La consommation, culture du quotidien, PUF, 1983.

6. GALBRAITH, John D., The affluent Society, 1958. Traduction fran~aise: L'ere de /'opu­lence, Calmann-Levy, 1986.

7. PACKARD, Vance, La persuasion clandestine, Calmann-Uvy; L'art du gaspillage, Cal­mann-Levy.

8. LEVY-GARDOUA, Louis, Consommation no I, 1983, p. 3052; Fran~oise GARDES, Consommation no 2, 1983, p. 3-32.

9. SCARDIGLI, V., ouvrage cite, p. 52.

I 0. <<La telematique locale it Marne-Ia-Vallee>>, recherche en cours a I' equipe CNRS-MCD, Paris.

II. MERCIER, P.A., PLASSARD, F., SCARDIGLI, V., La societe digitate: /es nouvelles technologies au futur quotidien, Le Seuil, 1984.

Victor SCARDIGLI: Consommation et changement social

L' auteur examine I' evolution de Ia consommation et se demande si le nouveau type de consommation plus <<immateriel>> qui se repand actuellement nous conduira vers une

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nouvelle societe, celle de I' <<homme digital>>. II situe d' abord Ia consommation dans le cadre des modes de vie. II rappelle d'abord l'elevation considerable du niveau de vie depuis le debut du siecle, Ia stagnation des depenses alimentaires et vestimentaires au cours des dernieres annees, Ia consecration du logement comme <<lieu total>>, I' explosion des <<besoins personnalistes>> et le deplacement des inegalites sociales. Selon lui, cette culture devient universelle et elle resistera aux crises economiques. Le consommateur acquerant une grande maitrise des objets de consommation, )'auteur entrevoit que nous nous dirigeons vers une societe digitale, profondement marquee par l'informatique et I' electronique.

Victor SCARDIGLI: Social Change and Consumption

ABSTRACT

The present development of a new more <<immaterial>> type of consumption causes the author of this article to ask whether a new type of society, that of the <<digital man>> is evolving. With a view to examining consumption in the framework of lifestyle, the author points out several factors: the considerable increase in the standard of living since the beginning of the century; the fact that spending for food and clothing has not increased over the last few years; the transformation of the home into a place for experiencing a total way of living; the increased emphasis on individual needs; and the shift in social disparities. Scardigli believes that this new culture is spreading throughout the whole world and that economic crises will not change this. Consumers will become experts in handling the products at their disposal, and computers and electronics will become an incrasingly integral part of the new <<digital>> society.

Victor SCARDIGLI: Consumici6n y cambia social

RESUMEN

El autor examina Ia evolucion de Ia consumicion y se pregunta si el nuevo tipo de consumicion <<inmaterial>> que se esta difundiendo actualmente, nos conducini a una nueva sociedad, Ia del <<hombre digital>>. Situa primeramente Ia consumicion en el marco de los modos de vida, haciendas notar el aumento del nivel de vida desde principia de siglo, el estancamiento de los gastos en Ia alimentacion y el vestido en el transcurso de los ultimos afios, concepcion de Ia vivienda como <<Iugar total>>, Ia explosion de las <<necesidades personalistas>> y el desplazamiento de las desigualdades sociales. Segun el, esta cultura se esta haciendo universale y resistira las crisis economi­cas. El consumidor esta adquiriendo un gran control sobre los bienes de consumicion, el autor preve que nos estamos dirigiendo hacia una sociedad digital, profundamente influenciada por Ia informatica y Ia electr6nica.

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