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Jean-Claude Coquet Les modalités du discours In: Langages, 10e année, n°43, 1976. pp. 64-70. Citer ce document / Cite this document : Coquet Jean-Claude. Les modalités du discours. In: Langages, 10e année, n°43, 1976. pp. 64-70. doi : 10.3406/lgge.1976.2319 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1976_num_10_43_2319

Coquet - Les Modalités Du Discours

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  • Jean-Claude Coquet

    Les modalits du discoursIn: Langages, 10e anne, n43, 1976. pp. 64-70.

    Citer ce document / Cite this document :

    Coquet Jean-Claude. Les modalits du discours. In: Langages, 10e anne, n43, 1976. pp. 64-70.

    doi : 10.3406/lgge.1976.2319

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1976_num_10_43_2319

  • J.-C. Coquet Paris VIII

    LES MODALITS DU DISCOURS

    II serait hasardeux de penser que logiciens et linguistes savent trs exactement de quoi ils parlent lorsqu'ils utilisent dans leurs travaux la catgorie des modalits.

    Nous commencerons donc par prendre toutes les garanties de scienti- ficit en analysant rapidement ce que dit des modalits un linguiste eminent comme E. Benveniste.

    La dfinition propose semble par sa gnralit couvrir un grand nombre de faits de langue. J'appelle modalit, dit notre auteur, une assertion complmentaire portant sur l'nonc d'une relation x. Introduire une modalit, c'est donc, en fait, proposer une hirarchie des prdicats. Soit la proposition : II pense , la modalisation de cette proposition donnera, par exemple : II aime penser . Les choix faits par Benveniste portent toujours en effet sur la concatnation de deux verbes dont le second est l'infinitif : Je veux, je dsire, je souhaite parler , etc.

    On a peine reconnatre dans cette dmarche les classiques modalits d'AmsTOTE (le ncessaire, le possible, le contingent...). Pourtant les domaines de la logique et de la linguistique sont insparables. Non que la linguistique ait faire avec la vrit qui intresse tant le logicien 2, ou avec la ralit , autrement dit avec des referents factuels, mais elle reconnat, crit Benveniste, deux modalits primordiales, aussi ncessaires en linguistique qu'en logique 3, la possibilit et la ncessit. En quoi ces deux modalits qu'il n'y a aucune raison de contester l sont-elles primordiales en linguistique ? L'article ne permet pas d'en dcider. E. Benveniste se satisfait de poser que la catgorie linguistique de la modalit comprend d'abord les deux verbes pouvoir et devoir. En outre la langue a tendu la fonction modalisante d'autres verbes... 5. Ce serait donc sur le modle de Je dois partir que la langue a compos Je pense partir , Je veux chanter , etc. Mais comment faire le dpart entre le modle logique, vocation universelle, et le modle syntaxique, relatif et apparemment fortuit ? E. Benveniste ne s'attache pas cet aspect de la question. Mais ce qu'il dit sur les variations que subissent les deux catgories de modalisants en fonction des poques et des tats de langue e nous conduit douter fortement du caractre primordial en linguistique franaise des deux modalits du pouvoir et du devoir.

    1. Problmes de linguistique gnrale, II, Gallimard, 1974, p. 187. 2. Le besoin et la justification que les logiciens se donnent eux-mmes de leur

    entreprise est videmment la notion de vrit, qui conditionne les dmarches et les divisions instaures l'intrieur de la logique. Cette condition de connaissance n'est pas la condition primordiale pour le linguiste, qui analyse le donn qu'est la langue et qui essaie d'en reconnatre les lois (op. cit., p. 238).

    3. Op. cit., p. 188. 4. Ibid. 5. Ibid. 6. Ibid., p. 192.

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  • C'est que le problme des rapports entre logique et linguistique, pos sur ce plan, ne saurait, me semble-t-il, recevoir de solution simple. Il faudrait d'abord avoir constamment l'esprit la ncessit d'opposer le plan logico-smantique au plan de la manifestation linguistique (l'item lexical). C'est ce dont les linguistes, europens ou non, sont dans leur grande gnralit maintenant convaincus. Citons au hasard A.-J. Greimas, B. Pottier, J. McCawley, ou G. Lakoff. Si je retiens par exemple l'analyse des significations de l'item pouvoir telle que la propose B. Pottier x, je dirai que dans :

    Je peux partir il s'agit soit de possibilit (je me dis que je peux ; un seul actant), soit de permission (on me dit que je peux ; deux actants).

    Il en est de mme en anglais 2 : Sam may leave

    c'est--dire soit : It is possible that Sam will leave ; soit : It is permitted for Sam to leave . Ainsi prdicat et item ne sont pas rductibles l'un l'autre.

    On pourrait, bien entendu, rpter l'opration pour devoir et opposer l'item au prdicat smantique. Ainsi :

    Je dois partir est interprtable selon la modalit dontique (l'obligation) ou selon la modalit pistmique (la probabilit).

    Il y a l un problme d'articulation des diffrentes logiques mises en uvre. Sans doute certains postulats de sens ( meaning postulates ) introduisent des relations d'implication infrentielle l'intrieur d'un mme domaine modal : c'est ainsi que exiger implique permettre comme certain implique plausible 3. Cette cohrence est respecte lorsque G. Lakoff introduit des lments de logique dictique (partout implique quelque part comme toujours implique quelquefois *). Il n'en est plus de mme dans l'analyse du prdicat /pouvoir/ ou, paralllement, du prdicat /devoir/ ; il reste expliciter la relation unissant dans le premier cas l'althique (le possible) au dontique (le permis) ; dans le second cas, le dontique l'obligatoire l'pistmique le probable.

    Quels que soient les problmes rsoudre, logiciens et linguistes, depuis l'introduction des logiques modales et celle non moins importante des concepts de prsupposition et de performatif, sont amens envisager la langue non plus seulement comme un espace clos et abstrait ce qu'ils

    1. B. Pottier, Linguistique gnrale, Klincksieck, 1974, p. 162. 2. Exemple de G. Lakoff, Linguistics and Natural Logic , in Semantics of

    natural logic, D. Davidson et G. Harman, d., D. Reidel, 1972, p. 625. Une traduction franaise de cet important article est paratre chez Klincksieck.

    3. A condition que l'on accepte de traduire possible par plausible . Chacun sait que l'ambigut de * possible est grande. Le texte anglais (op. cit., p. 607) dit : If something is required, then it is permitted, but not vice versa. And if something is certain, then it is possible, but not vice versa. Voir aussi la note o Lakoff argumente partir de l'hypothse d'une procdure judiciaire ; dans une instance de discours donne, je ne peux pas dire : II est plausible que x soit l'assassin , au lieu et place de : Je suis certain qu'il est l'assassin , quelle que soit la relation logique d'infrence unissant le plausible au certain (op. cit., p. 662).

    4. Op. cit., p. 626.

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  • font chaque fois qu'ils focalisent leur attention sur la phrase x mais comme un univers de discours, c'est--dire, pour faire bref, un espace polmique o les significations avances par des actants se posent en s'oppo- sant, ou encore, selon l'heureuse expression d'O. Ducrot, comme un genre thtral particulier 2.

    La convergence des intrts et des mthodes rduit sensiblement l'cart qui nagure opposait smanticiens anglo-saxons et smanticiens europens d'obdience saussurienne. L'ouverture sur un mme champ d'tude, le discours, tout comme le recours aux logiques modales offrent maintenant de prcieux points d'intersection.

    Le point de vue de l'analyste des discours sociaux (folklorique, mythique, littraire, politique, etc.) l'incitait mettre en forme une substance smantique qui, par son htrognit mme, chappait apparemment toute connaissance. C'tait le cas des contes populaires russes avant que Propp n'en dcouvre les lois structurales (je m'en rapporte ici R. Jakobson), c'est--dire qu'il n'en mette au jour les structures narratives et logiques. La thorisation de la dmarche de Propp par A.-J. Greimas a mis en vidence, encore timidement en 1966 (Smantique structurale), mais d'une manire plus labore en 1970 (Du Sens), le rle que pouvaient jouer les modalits dans l'organisation du discours.

    Il ne s'agit pas de tenter une description formelle du discours comme si le formel allait donner une rplique du discursif, (vue bien nave !), mais de mettre en place un appareil mthodologique dont nous soyons matres et qui nous permette de construire des modles smantiques. Guids par la recherche d'un point de vue dfini ou encore d'une pertinence, nous nous efforons la fois de dvelopper un discours dmonstratif et de produire une nouvelle connaissance. Il reste donc valuer les rsultats obtenus. Dmarche ncessaire si le chercheur veut viter de se laisser sduire par les jeux logiques sur qui pse quelquefois le soupon de gratuit ou par la mythologie des lectures plurielles si ncessaire au fonctionnement du discours littraire. Dans notre domaine, la comparaison entre plusieurs analyses du mme objet procdant de mthodes diffrentes me parat fournir la moins mauvaise chelle d'valuation, en tout cas la plus instructive et la plus efficace. Cette procdure de validation a posteriori ne nous fait pas oublier pour autant les droits de la thorie. Chacun se rappelle ce propos l'histoire raconte par le physicien P. A. M. Dirac. Je me contenterai d'en citer la moralit : II vaut mieux qu'une quation soit belle que de vouloir toute force qu'elle s'accorde avec l'exprience 3.

    La logique fonctionnelle est susceptible de nous fournir l'appareil mthodologique souple que nous cherchons. Les modalits y prennent place aisment.

    L'un des objectifs principaux de l'analyste du discours (entendons par discours toute effectuation du systme linguistique et smantique) est d'identifier les structures actantielles primaires ; en particulier, de proposer des dfinitions de plus en plus prcises de la relation sujet-objet.

    Dans cette perspective, le faire narratif sera reprsent par des prdicats abstraits, selon la terminologie de G. Lakoff, ou par des smmes construits, selon A.-J. Greimas. Une fonction deux variables, f(x, y),

    1. Cf. le postulat de G. Lakoff : La structure grammaticale sous-jacente d'une phrase est la forme logique de cette phrase op. cit., p. 559.

    2. Dire ou ne pas dire, Hermann, 1972, p. 49. 3. Cit par E. Bach, Diogne 51, 1965, pp. 119-120.

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  • notera la transivit (agent-patient), par exemple ; une fonction trois variables, f(x, y, z), la circulation des objets entre actants (le don et l'change aussi bien que l'ordre et la prire) ; une fonction quatre variables, f(x, y, z, t), le passage d'un tat un autre et l'indication d'un agent de transformation et de son complment instrumental : soit x transforme y en z au moyen de /.

    Pour noter l'tre narratif de l'actant, son identit, nous utiliserons une forme associant plusieurs prdicats abstraits une seule variable, soit y, z, t(x) ; dans cette fonction propositionnelle, les lettres y, z, t reprsentent les proprits du savoir, du pouvoir et du vouloir attribuables l'actant x.

    Ajoutons que relations et proprits sont ordonnables et qu'elles peuvent tre values, l'intrieur d'un univers de discours donn, par le jeu des prdicats tre ( vrit ) et paratre ( erreur ) : y(x) vs z(x) 4

    Mais ce qui retiendra ici notre attention, ce sont les problmes poss par le choix de telle modalit plutt que de telle autre et par leur ventuelle organisation en systme smantique.

    Le savoir, le pouvoir et le vouloir taient les trois modalits requises par A.-J. Greimas dans Smantique structurale pour subsumer les catgories actantielles respectivement du Destinateur-Destinataire, du Sujet-Objet et de l'Adjuvant-Opposant. On pouvait ainsi lire un discours oral du type des contes merveilleux sur telle ou telle dimension discursive autonome (cognitive, pragmatique ou volitive). Il faut dire que ce traitement des modalits n'tait pas mis en vidence en 1966 et que les critiques, ma connaissance, ne l'ont pas mme relev. Il devait d'ailleurs subir un remaniement important quelques annes plus tard 2. Le sujet tait ds lors institu par le vouloir-faire (la qute) et acqurait ensuite le savoir-faire et/ou le pouvoir-faire. Un tel actant avait donc deux vocations spares ou combines : tre un hros selon le pouvoir et/ou un hros selon le savoir. Mais qu'en tait-il prcisment du vouloir du sujet ? Vouloir par dlgation plutt, car le hros tait plac sous la dpendance du destinateur originel qui tait attribu le faire-vouloir. C'est l'autorit sociale qui, par le biais du contrat charge le hros d'une certaine mission de salut 3 . Tout se passerait donc comme si la Socit se mettait en scne sous la forme d'archtypes excutant un programme trs strict. La littrature orale (contes, mythes, etc.) offrait suffisamment de garanties d'universalit pour que le chercheur constitue partir d'elle une grammaire fondamentale. Tel tait le point de vue d'A.-J. Greimas.

    Si l'on retenait cette seule hypothse, on risquerait de ne pas voir le caractre spcifique de toute instance de discours. Sans doute le producteur du discours (le Je de renonciation) est l'origine toujours le mme, la Socit, mais en passant du ple social (la langue ou discours sans Je) au ple personnel (la parole ou discours avec Je), nous devons faire jouer de nouveaux schmas formels : Quand l'individu se l'approprie, le langage se tourne en instances de discours caractrises par ce systme de rfrences internes dont la clef est je, et dfinissant l'individu par la construction linguistique particulire dont il se sert quand il s'nonce comme locuteur 4 . Adoptant ce plan d'tude, l'analyste du discours est conduit

    1. Voir pour plus de dtails sur ces lments de grammaire narrative (oprateurs, vocabulaire, syntaxe) : Smantique du discours et analyse de contenu , Connexions II, 1974, pp. 105 et sq.

    2. Du Sens, Seuil, 1970, p. 179. 3. Op. cit., p. 284. 4. E. Benveniste, Problmes de linguistique gnrale, 1966, p. 255.

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  • rinterprter les modles de la grammaire fondamentale, d'o les quelques propositions qui suivent concernant le choix, la signification et l'organisation des modalits.

    Si notre propos est bien de cerner l'identit des actants, nous devrons procder par les questions habituelles : que fait-il ? qu'a-t-il ? qui est-il ? Les prdicats abstraits utiliss (faire, avoir, tre) sont situs un autre niveau que les modalits du savoir et du pouvoir qui les subsument ; autrement dit, l'hypothse est que la relation savoir-pouvoir forme la structure sous-jacente des verbes narratifs faire, avoir et tre. S'il en est ainsi, on dira que le roi dans les socits indo-europennes est celui qui sait et qui peut tracer la limite territoriale du sacr. Excuter correctement les rgles du code est rvlateur de l'identit juste. De mme un faire curatif garantit que le chaman a bien reu par l'intermdiaire de son double le savoir et le pouvoir des tres surnaturels qu'il a rencontrs pendant son voyage dans l'Univers. De tels actants dfinis par le seul jeu du couple savoir- pouvoir seront dnomms formes-sujets (le sujet-hros des contes).

    Mais l'actant-sujet n'acquiert son statut d'actant personnel que si par un acte linguistique particulier il se dsigne lui-mme (ou est dsign) comme sujet. Du coup, la dfinition linguistique et smantique du sujet nonant devient : Est ego qui dit ego et qui se dit ego x. Notons que le Je tant toujours confront un Tu, la fonction de reconnaissance de l'un par l'autre est implique par l'acte de parole.

    C'est le prdicat abstrait vouloir qui me semble la modalit la plus convenable pour reprsenter la volont logique d'assertion. Ainsi prdiquer et asserter, combins en un seul procs, l'instance du discours, sont ncessaires l'identification de l'actant-sujet. D'o la proposition de base : J'affirme que je suis Je .

    Une fois choisies les modalits lmentaires du vouloir, du savoir et du pouvoir 2, il reste dcider s'il y a quelque avantage les ordonner. L'laboration d'un systme formel permettrait de mieux comprendre comment constituer une typologie du sujet (dimension paradigmatique). D'autre part, si nous pouvions faire valoir que la signification varie avec l'ordre de la suite, nous aurions les moyens d'indicer chaque modalit et de reprsenter plusieurs programmes narratifs dtermins selon la suite retenue (dimension syntagmatique). Il ne s'agit pas, videmment, de noter les cascades d'imbrications de savoirs et de pouvoirs l'intrieur d'une socit, mais de relever quelques mcanismes fondamentaux.

    L'ide, par exemple, que tout point d'exercice du pouvoir est en mme temps un lieu de formation du savoir a t illustre par M. Foucault. C'est aussi bien, de notre point de vue, poser que dans une suite ordonne /pouvoir-savoir/ la seconde modalit est informe par la premire. Le rapport des prfets et des procureurs gnraux, dit encore M. Foucault, est la manifestation d'un certain savoir corrlatif du pouvoir qu'ils exercent par dlgation. L'observation a une porte trs gnrale. En tmoigne cette sorte de proverbe de P. Claudel : Ce n'est qu'en faisant les choses qu'on en apprend le secret . Inversement, la garantie du savoir est fonction du pouvoir exerc. Le professeur, le mdecin, le psychiatre ne reoivent

    1. Transformation de la dfinition d'E. Benveniste, Problmes de linguistique gnrale, 1966, p. 260. Soit, par extension, la paraphrase : J'affirme que je suis (tu es, il est, . .) ego.

    2. Pour la modalit du devoir , Y. les propositions de M. Rengstorf et Connexions II, p. 112.

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  • l'estampille de savant qu' ce prix. Comme le note M. Foucault, le psychiatre est aussi un expert qui doit tre consult pour toute mesure d'internement. On pourrait, en somme, dnommer pratique ou prospectif le savoir qui rsulte du faire (/pouvoir-savoir/) et thorique ou rflexif lorsqu'il rgle le faire (/savoir-pouvoir/).

    Intgrer maintenant le vouloir donne une nouvelle extension aux significations dj produites. Disons au pralable que l'on peut distinguer utilement, un certain stade de l'analyse, deux catgories de ce prdicat abstrait. La premire de ses fonctions est de reprsenter la prise en charge par le sujet nonant de son propre dire. Nous appellerons dsormais mta-vouloir ce vouloir de renonciation nonce. La prdication et l'assertion de l'identit (ou de l'altrit) se rsument alors en cette proposition : J'affirme que je suis Je (ou Non-Je). La seconde de ses fonctions met le vouloir sur le mme plan que le savoir et le pouvoir, dont les significations varient selon le rang qu'ils occupent l'un par rapport l'autre. Il y aura donc deux vouloirs comme deux savoirs et deux pouvoirs positifs (et deux vouloirs, deux savoirs, deux pouvoirs ngatifs correspondants).

    Poser le vouloir au dbut de la suite (soit, par abrviation, vps), c'est driver l'identit de l'actant-sujet linguistique de l'affirmation primaire de sa personne. Identit anticipe, en quelque sorte, d'o une relation prsent-futur et la paraphrase : J'affirme que je suis Je (v) : je montrerai ce que je suis (ps). Le vouloir dans cette suite qui correspond un premier programme narratif instaure le pouvoir et le savoir. Ainsi Nietzsche, dans La Naissance de la tragdie, clbre la volont dionysiaque et promthenne qui permet l'homme de se hausser, dit-il, l'tat de Titan, de vaincre les dieux et de tirer de sa victoire une sagesse qu'il dnomme instinctive . Poser la suite vps, c'est dnier un certain type de rationalit (le sujet cartsien) et c'est aussi carter la possibilit de l'change et du contrat. C'est affirmer par contre un type de sujet que l'on peut dfinir en fonction de la qute que le vouloir implique : sujet du dsir.

    Inverser la suite vps permet de caractriser un second avatar du sujet. Dans la suite spv le vouloir est instaur par le savoir et le pouvoir ; c'est un vouloir de spcification qui renvoie un programme narratif achev. Relation pass-prsent, par consquent ; soit la paraphrase : J'ai montr ce que je suis (sp) ; j'affirme que je suis Je (v). Tirons de nouveau quelques exemples du clbre texte de Nietzsche. A la volont dionysiaque s'oppose la volont apollinienne ; l'ouverture, la clture ; nous dirons : la qute de l'identit, le savoir de l'identit ; au sujet du dsir, le sujet de droit. Participant d'une conomie de l'change, ce nouveau sujet devient capable de signer un contrat. L'histoire de l'oracle de Delphes illustre bien, il me semble, cette opposition des sujets. Invit classer les hommes selon leur degr de sagesse, l'oracle de Delphes exclut, dit-on, Eschyle et couronna Socrate ; valorisation nouvelle et inoue du savoir conscient , commente Nietzsche. Ainsi se rvlait une profonde fracture de l'me grecque ; avec Socrate, chez qui la nature logique tait hypertrophie, triomphait, et ce pour longtemps, l'homme thorique . Eschyle aussi bien qu'HoMRE ou Pindare devenaient les tmoins d'un homme instinctif apparemment condamn.

    Nous laisserons de ct la vise historique de Nietzsche et la substitution de sujets qu'elle entrane (encore que Nietzsche dans le mme dveloppement fasse tat d'une cohabitation ou d'une alternance de sujets contraires) pour retenir l'antagonisme entre un sujet apollinien, conscient (spv) et un sujet dionysiaque, instinctif (vps). Face l'actant qui affirme son identit sous la forme : Je suis tout , il y a un autre actant qui se contente de dire : Je suis quelqu'un qui... . En avanant ces deux pro-

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  • positions de base, nous nous situons sur le plan paradigmatique. Si nous poursuivons maintenant notre prsentation d'une typologie du sujet, il faudra dfinir le complmentaire du sujet positif. Celui-l affirme son identit ; le sujet ngatif affirme son altrit. Au sujet selon la suite vps (sujet du dsir), correspond ngativement le sujet vps (sujet zro) ; paralllement, au sujet spv (sujet de droit), le sujet spv (sujet disjoint). Continuons articuler selon la logique classique le mta-vouloir en propositions universelles et particulires ; : Je suis tout (vps) s'oppose : Je ne suis rien (vps), comme : Je suis quelqu'un qui... (spv) s'oppose Je suis quelqu'un qui ne... pas (spv). Ordonnons en systme formel ces quatre propositions de base l'aide des deux relations de contrarit et d'inversion 1 ; l'oppos de vps sera vps ; l'inverse de vps, spv ; l'oppos de spv, spv ; l'inverse de spv, vps. Les oprations sont involutives et leur produit (l'inverse de l'oppos ou l'oppos de l'inverse) est l'quivalent formel du contradictoire logique. Soit, en combinant modle formel et modle logique en un seul tableau 2 :

    vps Je suis tout

    spv Je suis quelqu'un... qui

    vps Je ne suis rien

    spv Je suis quelqu'un qui ne... pas

    L'analyste dira si un tel appareil formel et logique l'aide rpondre aux problmes cruciaux de l'analyse narrative. L'un des plus lmentaires mais aussi des plus redoutables est de prciser quelle modalit indice (rappelons que le choix porte sur quatre vouloirs, quatre pouvoirs, quatre savoirs), puis quelle suite, positive ou ngative, se rapporte l'item lexical. Supposons d'autre part que l'identit de l'actant-sujet ait t une fois dfinie. L'exprience que nous avons des analyses de discours littraire nous incite penser que l'actant-sujet est gnralement dot de plusieurs identits successives. Il passe par permutation d'un poste l'autre. De tels parcours smantiques sont tudis dans Smiotique littraire (p. 147 et sq) et. dans l'article Le contrat et la dfinition de l'actant-sujet 3.

    Il faut ajouter enfin que nous n'avons fait mention ici que du rapport binaire sujet-objet, constitutif d'une structure actantielle primaire. Nous n'avons pas dcrit, par exemple, le rapport ternaire o entre, ct du sujet et de l'objet, le destinateur (modalit du devoir). Le lecteur est donc invit considrer comme des hypothses de travail les quelques notes qui prcdent ; leur objet est de faciliter la mise en place d'une thorie des modalits dans le discours.

    1. Nous faisons ntre le point de vue de J. Lacan pour qui le moindre ensemble, au sens mathmatique du terme, en apprend assez pour qu'un analyste, s'y exercer, y trouve sa graine Annuaire, EPHE 1967-68, pp. 192-193.

    2. Le modle du sujet est construit un peu diffremment dans Smiotique littraire, p. 248 ; c'est que l'analyse smantique y est conduite partir des notions de marque et de distance.

    3. Actes du colloque sur la vridiction du contrat, Montral, 1974 (sous presse).

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