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Leçon n° 1 : L’identification du droit de la fonction publique I. Les sources du droit de la fonction publique Les sources du droit de la fonction publique, et plus largement du droit administratif, ne sont pas figées. Elles évoluent avec le temps. L’étude des sources du droit de la fonction publique met en lumière trois mouvements : - tout d’abord, un important développement des sources constitutionnelles ; - ensuite, une montée en puissance conséquente des sources européennes ; - enfin, un déclin indéniable de la jurisprudence au profit du droit écrit. A. La constitutionnalisation du droit de la fonction publique Il est évident que la constitutionnalisation du droit de la fonction publique n’est que relative. La Constitution n’a, en effet, pas vocation à régir l’ensemble du droit de la fonction publique. L’évocation d’une constitutionnalisation du droit de la fonction publique tend uniquement à souligner que la Constitution détermine certains aspects du droit de la fonction publique. Les bases constitutionnelles du droit de la fonction publique concernent tout particulièrement la répartition des compétences. On évoquera également certaines règles de fond applicables aux agents publics. 1. La constitutionnalisation des règles de répartition des compétences 1

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cours de Laurent Coutron 1er semestre

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Leçon n° 1 : L’identification du droit de la fonction publique

I. Les sources du droit de la fonction publique

Les sources du droit de la fonction publique, et plus largement du droit administratif, ne sont

pas figées. Elles évoluent avec le temps. L’étude des sources du droit de la fonction publique

met en lumière trois mouvements :

- tout d’abord, un important développement des sources constitutionnelles ;

- ensuite, une montée en puissance conséquente des sources européennes ;

- enfin, un déclin indéniable de la jurisprudence au profit du droit écrit.

A. La constitutionnalisation du droit de la fonction publique

Il est évident que la constitutionnalisation du droit de la fonction publique n’est que relative.

La Constitution n’a, en effet, pas vocation à régir l’ensemble du droit de la fonction publique.

L’évocation d’une constitutionnalisation du droit de la fonction publique tend uniquement à

souligner que la Constitution détermine certains aspects du droit de la fonction publique. Les

bases constitutionnelles du droit de la fonction publique concernent tout particulièrement la

répartition des compétences. On évoquera également certaines règles de fond applicables

aux agents publics.

1. La constitutionnalisation des règles de répartition des compétences

La Constitution précise les domaines respectifs de la loi ordinaire et de la loi organique.

L’article 64 de la Constitution prévoit ainsi que le statut des magistrats judiciaires doit être

édicté par une loi organique.

La Constitution distingue surtout le domaine de la loi de celui du règlement. Aux termes de

l’article 34, la loi fixe les règles « concernant les garanties fondamentales accordées

aux fonctionnaires civils et militaires de l’État ». La notion de "garanties fondamentales"

est tellement floue qu’il est impossible d’en proposer une définition à l’aune de laquelle on

pourrait comparer les différentes garanties dont disposent les fonctionnaires. Même si cela est

profondément insatisfaisant on peut seulement affirmer que n’est une garantie fondamentale que

ce que le juge qualifie comme tel ! Il ressort de la jurisprudence que constituent notamment des

garanties fondamentales :

- la détermination des modes de recrutement, mais pas les modalités du choix du jury du

concours ;

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- le droit, reconnu à tout fonctionnaire, de percevoir une rémunération après service fait

(CE, Ass., 11 juillet 1984, Union des groupements de cadres supérieurs de la fonction

publique, Rec. p. 258) ;

- le droit à pension reconnu aux anciens fonctionnaires...

L’article 34 de la Constitution fournit un autre titre de compétence au législateur.

Ce dernier est, en effet, compétent pour déterminer les principes fondamentaux «

de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de

leurs ressources ». Cette disposition a été interprétée comme constituant « un titre de

compétence du législateur dans le domaine de la fonction publique territoriale ». Le

législateur sollicite à l’excès cette disposition, ce qui le conduit à empiéter sur la

compétence réglementaire. Le gouvernement pourrait toutefois réagir en recourant à la

procédure de délégalisation prévue par l’article 37, alinéa 2, de la Constitution. Compte

tenu de cette attitude du législateur, le domaine du pouvoir réglementaire autonome

est, en pratique, très réduit. De la même manière, le pouvoir réglementaire d’exécution

des lois est généralement assez limité.

Enfin, la Constitution répartit, dans ses articles 13, al. 2, et 21, al. 1er, la compétence en

matière de nomination aux emplois civils et militaires de l’État. Développer ce

point   ???

2. La constitutionnalisation des règles de fond

Etant placés au service de l’Etat, et donc de l’intérêt général, les fonctionnaires sont placés

dans une situation distincte de celle des salariés de droits privés. Leur statut ou leur condition

juridique s’en ressent. Il convient de préserver un équilibre juste ou raisonnable entre les

droits des fonctionnaires et les obligations qui pèsent sur eux . Cet équilibre varie dans le

temps. Le Conseil constitutionnel a ainsi, à plusieurs reprises, hissé le niveau de protection

dont disposent les fonctionnaires. Pour cela, le juge constitutionnel a sollicité différents

éléments du bloc de constitutionnalité :

- la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (en matière d’égalité,

notamment, son article 6 posant le principe d’égale admissibilité aux places et

emplois publics, ou encore en matière de liberté d’opinion et de liberté de

conscience) ;

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- le préambule de la Constitution de 1946 : directement (en matière de liberté

syndicale, de participation des travailleurs ou encore de droit de grève) ou plus

indirectement via les principes fondamentaux reconnus par les lois de la

République (par exemple en dégageant le principe de l’indépendance des

professeurs d’université) ;

- et, bien sûr, le texte même de la Constitution (en matière de pouvoir hiérarchique

ou à propos de la neutralité des services publics par exemple).

B. L’européanisation du droit de la fonction publique

L’européanisation du droit de la fonction publique est contrastée : l’incidence du droit

communautaire sur le droit français de la fonction publique est beaucoup plus importante que

celle du droit européen (c’est-à-dire du droit issu du Conseil de l’Europe et forgé

essentiellement à partir de la Convention européenne des droits de l’homme).

1. L’impact considérable du droit communautaire

Cette influence apparaîtra de manière diffuse tout au long de ce cours. La dernière illustration

de cette influence est fournie par la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de

transposition du droit communautaire à la fonction publique.

Sans rentrer dans le détail, cette influence se concrétise via deux canaux privilégiés que sont

le principe de libre circulation des travailleurs et le principe d’égalité entre les hommes

et les femmes. Le principe de non-discrimination peut ainsi jouer en faveur des hommes. La

CJCE a notamment considéré que le système français offrant en matière de retraite une

bonification d’ancienneté aux fonctionnaires mères de 3 ans et non aux pères violait le principe

d’égalité.

2. L’incidence limitée du droit européen

L’influence du droit de la Convention européenne des droits de l’homme est moindre que

celle du droit communautaire. Pour ce qui est des garanties de fond offertes par la Convention, le

droit français semble offrir un niveau de protection satisfaisant très largement les standards

européens.

Le principe de non-discrimination posé par l’article 14 de la Convention a néanmoins joué

et pourrait encore jouer un rôle important en matière de pensions et d’égalité entre les hommes et

les femmes.

C’est toutefois en matière de garanties procédurales que la jurisprudence est la plus

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abondante. La Cour européenne des droits de l’homme admet désormais très largement

l’applicabilité de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention au contentieux de la

fonction publique. Les fonctionnaires peuvent donc se prévaloir du droit à un procès

équitable dans le cadre des litiges qui les opposent à leur employeur public. Evoquer

ici Pellegrin et Eskelinen ???

CEDH, 19 avril 2007, Eskelinen / Finlande

L’arrêt Pellegrin […] devait fournir un concept opératoire sur la base duquel on vérifierait, au cas par cas, si compte tenu de la nature des fonctions et des responsabilités qu’il comportait l’emploi d’un requérant impliquait une participation directe ou indirecte à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions visant à sauvegarder les intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques. Il fallait ensuite déterminer si le requérant, dans le cadre de l’une de ces catégories de postes, occupait bien des fonctions pouvant être considérées comme relevant de l’exercice de la puissance publique, c’est-à-dire si la position de l’intéressé dans la hiérarchie de l’Etat était suffisamment importante ou élevée pour que l’on puisse dire qu’il participait à l’exercice de l’autorité étatique.11. Cependant, le cas d’espèce fait apparaître que l’application du critère fonctionnel peut en soi déboucher sur des anomalies. A l’époque considérée, les requérants relevaient du ministère de l’Intérieur. Cinq d’entre eux étaient policiers, emploi illustrant parfaitement les activités spécifiques de l’administration publique telles que définies ci-dessus. Leur poste impliquait une participation directe à l’exercice de la puissance publique et à des fonctions visant à sauvegarder les intérêts généraux de l’Etat. Quant aux fonctions de l’assistante, elles étaient purement administratives, dépourvues de compétence décisionnelle ou d’exercice direct ou indirect de la puissance publique ; elles ne pouvaient donc être distinguées de celles de n’importe quelle autre assistante administrative travaillant dans le secteur public ou dans le secteur privé. […] l’arrêt Pellegrin mentionnait expressément la police comme exemple manifeste d’activités relevant de l’exercice de la puissance publique, et soustrayait ainsi toute une catégorie de personnes du champ d’application de l’article 6. Il découlerait d’une application stricte de l’« approche Pellegrin » que, dans la présente affaire, l’assistante administrative bénéficie des garanties de l’article 6 § 1 alors que ce n’est assurément pas le cas pour les requérants policiers, même si le litige est identique pour l’ensemble des intéressés.22. En résumé, pour que l’Etat défendeur puisse devant la Cour invoquer le statut de fonctionnaire d’un requérant afin de le soustraire à la protection offerte par l’article 6, deux conditions doivent être remplies. En premier lieu, le droit interne de l’Etat concerné doit avoir expressément exclu l’accès à un tribunal s’agissant du poste ou de la catégorie de salariés en question. En second lieu, cette dérogation doit reposer sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’Etat. Le simple fait que l’intéressé relève d’un secteur ou d’un service qui participe à l’exercice de la puissance publique n’est pas en soi déterminant. Pour que l’exclusion soit justifiée, il ne suffit pas que l’Etat démontre que le fonctionnaire en question participe à l’exercice de la puissance publique ou qu’il existe – pour reprendre les termes employés par la Cour dans l’arrêt Pellegrin – un « lien spécial de confiance et de loyauté » entre l’intéressé et l’Etat employeur. Il faut aussi que l’Etat montre que l’objet du litige est lié à l’exercice de l’autorité étatique ou remet en cause le lien spécial susmentionné. Ainsi, rien en

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principe ne justifie de soustraire aux garanties de l’article 6 les conflits ordinaires du travail – tels ceux portant sur un salaire, une indemnité ou d’autres droits de ce type – à raison du caractère spécial de la relation entre le fonctionnaire concerné et l’Etat en question. En effet, il y aura présomption que l’article 6 trouve à s’appliquer, et il appartiendra à l’Etat défendeur de démontrer, premièrement, que d’après le droit national un requérant fonctionnaire n’a pas le droit d’accéder à un tribunal, et, deuxièmement, que l’exclusion des droits garantis à l’article 6 est fondée s’agissant de ce fonctionnaire.

C. Le déclin des sources jurisprudentielles

En l’absence de statut général de la fonction publique jusqu’en 1946, le Conseil d’Etat était le

garant traditionnel des droits des fonctionnaires. Même s’il est resté sévère en matière de

droit de grève, le Conseil d’Etat s’est progressivement affirmé comme le protecteur des

fonctionnaires. D’une jurisprudence quantitativement très abondante est né une sorte de statut

jurisprudentiel relativement protecteur. Ce "statut général non écrit" portait sur « les

principes généraux auxquels doivent satisfaire […] les opérations de concours, les décisions

de nomination, le régime de l’avancement, celui de la répression disciplinaire ».

L’adoption du statut de 1941 et surtout celle du premier statut républicain en 1946 ont accru

évidemment la place du droit écrit. La place dévolue au juge s’atténue à mesure que les

lacunes du droit écrit se raréfient. La question qui se pose désormais est celle de la

codification du droit de la fonction publique. L’adoption d’un code général de la fonction

publique est prévue, mais le projet stagne.

II. La « banalisation du droit de la fonction publique »

Cette idée d’une « banalisation du droit de la fonction publique » a été mise en lumière par le

professeur Jacques Bourdon dans un article paru en 2005. L’idée était déjà dans l’air du

temps, mais cette expression s’est imposée en doctrine.

Il paraît intéressant d’étudier les instruments de cette banalisation du droit de la fonction

publique avant d’en dresser le constat.

A. Les instruments de la banalisation du droit de la fonction publique

Dans une chronique intitulée « Vers la fin du droit de la fonction publique ? » parue en 1947,

Jean Rivero relevait que le statut général des fonctionnaires de l’Etat rapprochait

paradoxalement le droit de la fonction publique du droit du travail. La même

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constatation est suscitée par l’application du droit communautaire au droit de la fonction

publique.

Les instruments de cette banalisation sont, par conséquent, principalement le recours aux

principes généraux du droit et l’application du droit communautaire.

1. Le recours aux principes généraux du droit (les rapports du droit de la fonction publique et du droit du travail)

Le Conseil d’Etat recourt aux principes généraux du droit afin de dégager des règles

applicables aux agents non titulaires et/ou aux salariés des entreprises publiques à

statut. Les agents non titulaires ne bénéficient, en effet, ni de l’application du statut

général de la fonction publique, ni des dispositions du code du travail. C’est la raison

pour laquelle le Conseil d’Etat a repris certaines règles protectrices du droit du travail.

Le droit du travail n’est pas totalement étranger aux agents publics. Par exemple, les comités d’hygiène et de sécurité introduits dans le statut général de la fonction publique sont directement inspirés des mêmes organismes implantés dans les établissements industriels, commerciaux ou agricoles. Le recours accru par les personnes publiques à des agents non titulaires a accentué la

référence au droit du travail.

a. La législation du travail, source d’inspiration privilégiée

Lorsqu’il entend accroître les garanties dont disposent les agents publics non titulaires, le

juge administratif se tourne prioritairement vers le Code du travail. Le Conseil d’Etat a ainsi

dégagé les principes suivants :

- l’interdiction du licenciement d’une femme enceinte (CE Ass. 8 juin 1973, Dame

Peynet, Rec. p. 406) ;

- l’obligation de respecter un seuil minimum de rémunération (CE Sect. 23 avril

1982, Ville de Toulouse / Mme Aragnou, Rec. p. 152) ;

- l’obligation pour l’employeur de reclasser un salarié atteint de manière définitive

d’une inaptitude à exercer son emploi et, en cas d’impossibilité, de prononcer son

licenciement (CE, 2 octobre 2002, CCI de Meurthe-et-Moselle, Rec. p 319).

D’autres règles non écrites ont été dégagées pour s’appliquer aux salariés contractuels de droit

privé des entreprises publiques à statut :

- l’interdiction des amendes ou autres sanctions disciplinaires (CE, Ass., 1er juillet

1988, Billard et Volle, Rec. p. 268) ;

- la prohibition de discriminations à l’encontre de grévistes en matière de rémunérations et

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d’avantages sociaux ;

- le principe subordonnant la modification des éléments essentiels du contrat

de travail à l’accord de l’employeur et du salarié (CE, Ass., 29 juin 2001, Berton,

Rec. p. 296).

Le juge administratif ne se réfère toutefois pas uniquement au Code du travail. Ainsi

s’est-il référé, dans l’arrêt Berton, simultanément au Code du travail et au Code civil. De

même, dans l’arrêt CCI de Meurthe-et-Moselle de 2002, le juge administratif a sollicité les

dispositions pertinentes du Code du travail mais aussi « les règles statutaires applicables

dans ce cas aux fonctionnaires ».

b. La retenue du juge administratif dans l’appréhension du droit du travail

Le Conseil d’Etat n’a jamais appliqué directement le code du travail. La nouvelle règle qu’il

consacre transite toujours par le canal des principes généraux du droit dont s’inspiraient les

dispositions concernées du code du travail. Cette attitude tend à marquer l’antériorité de la

règle à sa consécration textuelle dans le Code du travail. Autrement dit, la règle en cause

existait déjà lorsque le législateur l’a consacrée en droit du travail. Mais surtout, cette

méthode permet au Conseil d’Etat de ne pas être liée par la jurisprudence développée par la

Cour de cassation à propos de la disposition concernée. Le recours aux principes généraux du

droit dont s’inspirait le Code du travail correspond donc assurément à une fiction. Cette

fiction permet toutefois au juge administratif de conserver une marge d’appréciation

importante et, le cas échéant, d’adapter la règle nouvelle aux spécificités de la fonction

publique.

Le Conseil d’Etat a d’ailleurs, dès l’arrêt Dame Peynet, refusé de procéder à un renvoi global au

Code du travail. Son commissaire du gouvernement, Suzanne Grévisse, lui proposait, en effet,

d’adopter le principe selon lequel « Lorsque les nécessités propres au service public n’y font

pas obstacle et lorsqu’aucune disposition législative ne l’exclut expressément, les agents de l’État

et des collectivités et organismes publics doivent bénéficier quelle que soit la nature du lien qui

les unit à leur employeur, de droits équivalents à ceux que la législation du travail reconnaît à

l’ensemble des salariés ».

La retenue du Conseil d’Etat à l’égard du Code du travail se manifeste aussi lorsqu’il refuse de

consacrer de nouveaux principes généraux du droit. Le juge administratif a notamment refusé de

consacrer :

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- le principe excluant que l’administration puisse avoir recours à des entreprises de travail

temporaire en cas notamment de grève dans les services publics (CE, Ass., 18 janvier

1980, Syndicat CFDT des Postes et Télécommunications du Haut-Rhin, Rec. p. 30) ;

- ou encore, le principe interdisant de licencier des agents publics du seul fait qu’ils seraient

en congé maladie (CE, 22 octobre 1993, Chambre de commerce de Digne, Rec. p. 579).

c. Le caractère protecteur des principes généraux du droit du travail

Le recours à la théorie des principes généraux du droit permet au Conseil d’Etat de garantir

une protection sociale minimum aux agents publics non titulaires. Cette protection prétorienne

des agents publics en situation de précarité est d’autant plus importante qu’ « il n’existe aucun

principe général du droit imposant de faire bénéficier les agents non titulaires de règles

équivalentes à celles applicables aux fonctionnaires »1.

Les garanties ainsi offertes aux agents publics non titulaires et aux salariés de droit privé des

entreprises publiques à statut n’ont cependant pas un caractère absolu. Elles peuvent, en effet,

être limitées si les nécessités du service public confié à l’entreprise ou à l’établissement

l’exigent. Ainsi les nécessités du service public pourraient-elles justifier l’attribution d’un

pouvoir de modification unilatérale de certaines clauses du contrat de travail au profit de

l’employeur.

2. L’influence du droit communautaire (le jeu du principe de non-discrimination)

Avec l’intrusion du droit communautaire, le recours aux principes généraux du droit utilisé

par le Conseil d’Etat disparaît. La règle applicable aux agents publics ne découle plus d’un

principe général du droit mais d’une règle de droit écrit émanant de l’autorité communautaire.

En transposant les directives européennes, le législateur français soit fait référence

directement au code du travail, soit reprend les dispositions de ce dernier pour les appliquer

aux fonctionnaires et aux autres agents publics. Le principe communautaire de lutte contre les

discriminations produit ici des effets uniformisateurs dans la mesure où il ignore toute

distinction entre agents publics et agents privés.

La transposition en droit national des directives concernées conduit à effacer la différence

entre droit de la fonction publique et droit du travail. Il arrive ainsi qu’un régime unique soit

établi pour tous les travailleurs qu’ils aient la qualité d’agents publics ou de salariés de droit

1 CE, Avis, 30 janvier 1997, n° 359.964, EDCE 1998, n° 40, p. 185.

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privé.

Pour définir la personne handicapée, la loi du 11 févier 2005 pour l’égalité des droits et des

chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées introduit dans le statut

général des fonctionnaires un renvoi à l’article pertinent du code du travail.

La loi 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la

fonction publique efface les mesures de discrimination positive du droit de la fonction

publique en faveur des femmes. Différents dispositifs législatifs adoptés dans les années 70

avaient introduit des dérogations aux conditions d’âge ou de diplôme pour l’accès à la

fonction publique en faveur de certaines catégories de femmes. Ces mesures ont été jugées

contraires à une directive communautaire2. La CJCE a condamné cette discrimination fondée

sur le sexe qui n’entre pas dans le champ des « mesures visant à promouvoir l’égalité des

chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait »3. Se

conformant au droit communautaire, le législateur supprime l’inégalité de traitement soit en

étendant aux hommes les dérogations dont bénéficiaient seules les femmes, soit en abrogeant

les dispositions concernées. L’originalité du droit de la fonction publique dans l’action

positive en faveur des femmes pour lutter contre les discriminations disparaît.

La loi du 26 juillet 2005 harmonise avec le droit du travail le régime des congés de maternité,

de paternité et d’adoption des agents publics.

B. Le constat de la banalisation du droit de la fonction publique

1. Un droit autonome ?

Une branche du droit est dite autonome lorsque l’autorité compétente pour légiférer est

libre d’y adopter des solutions spécifiques, propres à cette branche. Le droit de la fonction

publique s’étant clairement construit en opposition avec le droit du travail, l’autonomie du droit

de la fonction publique ne paraît faire aucun doute. Il est, en effet, acquis que le code du

travail n’est pas applicable aux agents publics, sauf dispositions particulières (par exemple

en matière de représentativité syndicale).

2 Directive n° 76/207/CEE du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail.Dans un avis motivé en date du 15 juin 2001 (C (2001) 1407), la Commission a estimé que la loi française effectue une différence de traitement entre les candidats féminins et masculins se trouvant dans des situations similaires car elle « réserve la suppression de la condition d’âge ainsi que de la seule condition de diplômes aux seuls candidats féminins ».3 CJCE, 30 septembre 2004, Briheche / Ministre de l’Intérieur, ministre de l’Education nationale et ministre de la Justice, aff. C-319/03.

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Trois élé ments limitent désormais fortement l’autonomie du droit de la fonction publique .

Les deux premiers tiennent l’un et l’ autre à l’évolution des sources de la matière . Il s’agit, tout

d’abord, de la constitutionnalisation du droit de la fonction publique qui limite, quelque peu,

l’autonomie de ce dernier. Le juge constitutionnel a ainsi étendu aux fonctionnaires le principe

de participation des travailleurs issu du préambule de 1946.

Le deuxième élément, beaucoup plus tangible, correspond à l’européanisation du droit de la

fonction publique. En effet, le droit communautaire repose très largement sur une logique

d’indifférenciation de la fonction publique et du secteur privé. Les fonctionnaires sont ainsi,

comme les salariés, des travailleurs au sens du droit communautaire, bénéficiant en principe de

la libre circulation et des mêmes droits sociaux. Cette logique européenne d’indifférenciation

porte en germe ce que certains auteurs nomment la «   banalisation » de la fonction publique .

Enfin, troisième et dernier élément, l’autonomie de la fonction publique semble de plus en

plus contestée d’un point de vue politique. La critique de l’originalité du droit de la fonction

publique rencontre aujourd’hui un écho plus large dans l’opinion publique et la classe

politique.

Les salariés du secteur privé soutiennent une forte revendication d’égalité au point que

l’égalité entre salariés du secteur privé et fonctionnaires devient un enjeu de société. Si la

présence de règles dérogatoires au droit commun était autrefois admise par l’opinion publique

au motif qu’il s’agissait de compenser les sujétions liées à l’accomplissement de missions de

service public, ces mêmes règles sont aujourd’hui assimilées à des privilèges. L’exemple de la

réforme des retraites en 2003 et la volonté d’aligner le secteur public sur le secteur privé est

sur ce point particulièrement éclairant tout comme l’est aujourd’hui le débat sur les régimes

spéciaux. Les syndicats n’ont pas manqué d’exprimer leur indignation après que M. Fillon a

déclaré que le projet de réforme était prêt. Le gouvernement n’a, en effet, pas encore procédé

à la moindre concertation.

Tandis que les salariés contestent les avantages consentis aux fonctionnaires, les syndicats de

fonctionnaires admettent de moins en moins que les réformes du droit du travail dont

bénéficient les salariés ne puissent être étendues aux agents publics. On peut ainsi voir

poindre un principe « d’équivalence » entre secteur privé et fonction publique, principe qui

n’est pas, pour l’instant du moins, une règle juridique mais une source d’inspiration pour

l’édiction de la règle de droit de la fonction publique.

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Ce mouvement invite à se demander si l’avenir du droit de la fonction publique ne se trouve

pas dans le Code du travail. Les expériences étrangères montrent que même dans les pays

comme l’Italie ou la Suisse qui ont tenté de réduire la portion de droit public qui régissait leur

personnel, il n’a pas été possible de le faire totalement disparaître, notamment pour les agents

exerçant les activités régaliennes de l’État. En Italie, depuis une loi du 3 février 1993, 90 %

des agents de l’Etat sont soumis au droit du travail. Les mêmes expériences montrent par

ailleurs que la privatisation du droit de la fonction publique, lorsqu’elle est importante, donne

naissance à un droit hybride, sorte de droit social public ou de droit public social, dérogatoire

au droit ordinaire du travail. Selon le conseiller d’État Marcel Pochard, « il ne s’agit pas de

faire basculer la fonction publique vers une sorte de banalisation. Il s’agit de revenir à une

conception du droit de la fonction publique qui limite les spécificités de ce droit à ce qui est

nécessaire à l’accomplissement des missions de la puissance publique et qui normalise la

place de la fonction publique dans la société ».

2. Un droit exorbitant ?

Le droit administratif est classiquement présenté comme un droit spécial ayant ses règles

propres exorbitantes du droit civil. Ces règles exorbitantes sont soit des prérogatives

exorbitantes (prérogatives d’action ou de protection), soit des sujétions exorbitantes.

On insiste le plus souvent sur les prérogatives exorbitantes de l’administration et non sur ses

sujétions exorbitantes. Or certaines branches du droit administratif sont probablement aussi

riches de sujétions à la charge de l’administration que de prérogatives à son profit. Tel est le cas

du droit de la fonction publique depuis 1946. En effet, l’administration dispose de moins de

prérogatives exorbitantes à l’égard de ces agents maintenant puisque ces derniers peuvent se

syndiquer, faire grève et participer par leurs représentants à la gestion de leur carrière. On peut

certainement estimer que l’administration peut exiger plus de ses agents qu’un employeur privé,

notamment en matière d’encadrement de leur liberté d’expression, d’obligation de neutralité,

d’obligation de moralité, d’obligation de ne se consacrer qu’à ses fonctions, de devoir

d’obéissance, de continuité du service. Cependant, l’administration est soumise à nombre de

sujétions exorbitantes, tels que l’obligation d’organiser des concours de recrutement ou le

strict encadrement des hypothèses de licenciement par exemple.

Désormais, seules deux différences sensibles, subsistent entre droit de la fonction

publique et droit du travail. En premier lieu, le droit du travail, dans la mesure où il reste

fondé sur le contrat, laisse un espace à la stipulation contractuelle. Le droit de la fonction

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publique ignore pour l’instant la contractualisation, même si un mouvement semble se

dessiner en sa faveur à la fois au niveau collectif et au niveau individuel. En second lieu,

la libre rupture du contrat de travail oppose la précarité de la situation du salarié à la

stabilité de la situation du fonctionnaire. Mais là encore, on ne saurait méconnaître

que le droit du licenciement est de plus en plus strictement encadré. Le licenciement doit

reposer sur une cause réelle et sérieuse. En outre, en droit privé, les hypothèses de

nullité de licenciement qui ont pour conséquence une obligation de réintégration se

multiplient.

Ces différences tendent donc à s’estomper. Droit de la fonction publique et droit du

travail s’efforcent, l’un et l’autre, de renforcer les droits des fonctionnaires et ceux des

salariés. Se forme ainsi insensiblement, à l’intersection du droit du travail et du droit de la fonction

publique un droit commun de l’emploi. Dès lors, le recours à la notion traditionnelle

d’exorbitance paraît de moins en moins justifié.

Désormais, le droit de la fonction publique et le droit du travail subissent l’un et l’autre

l’influence harmonisante du bloc de constitutionnalité et de la Convention européenne des

droits de l’homme. Il s’agit en toute hypothèse de concilier d’un côté les droits

fondamentaux du fonctionnaire ou du salarié avec de l’autre côté « les droits de l’Etat » ou

les droits de l’entreprise. Dans la balance, il n’est pas certain que « les droits de l’Etat » pèsent

plus lourds que les droits de l’entreprise.

Les jurisprudences relatives aux tenues vestimentaires en témoignent. La Cour d’appel de

Saint-Denis-de-La-Réunion a admis le licenciement d’une employée d’un magasin « d’articles

de mode pour femme » - au slogan évocateur de « Et Vogue la Mode » - alors que cette

employée avait adopté pour des motifs religieux une tenue vestimentaire « la couvrant de la tête

au pied ». Les impératifs de la mode ont donc les mêmes conséquences que le principe de la

laïcité !

3. La contractualisation du droit de la fonction publique

L’adoption du statut général au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avait assigné au

contrat une place modeste. Depuis 1946, « le fonctionnaire est vis-à-vis de l’administration

dans une situation statutaire et réglementaire ». Cette définition exclut que le déroulement

de la carrière puisse donner lieu à discussion entre l’employeur public et ses agents. Bien que

théoriquement condamnée, la formule contractuelle n’a pourtant jamais tout à fait

disparu de la sphère de la fonction publique.

12

Page 13: cours Fonction publique 2007 (blog)

S’agissant de l’organisation des conditions de travail et des modalités de rémunération, des

pratiques de concertation et de négociation collectives se sont rapidement instaurées entre les

pouvoirs publics et les organisations syndicales, conduisant pour la première fois à parler de

politique de contractualisation de la fonction publique. Quant à l’accès à la fonction publique,

la consécration du principe du concours n’a pas abouti à l’élimination totale du procédé

contrac tuel .

Le changement tient à ce que désormais les pouvoirs publics ne dissimulent plus leur volonté

de s’inspirer des méthodes de la gestion privée et de prendre l’entreprise comme modèle pour

l’administration. S’agissant des procédés de recrutement dans la Fonction publique, l’heure

est donc venue d’étendre le champ des formules contractuelles. Tels est le cas avec

l’instauration des contrats à durée indéterminée dans la fonction publique avec la loi du 26

juillet 2005 ou encore avec l’adoption du PACTE (parcours d’accès aux carrières de la

territoriale – de l’hospitalière – et de l’Etat) qui s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans en

situation d’échec scolaire.

Les réformes en cours tendent ainsi à écarter ou à contourner les exigences statutaires.

Aussi peut-on se demander si ces diverses initiatives ne vont pas nous ramener 65 ans en

arrière. Ce faisant, on pourrait bien réactiver une distinction que l’on croyait pourtant

révolue entre deux catégories d’agents : d’un côté, ceux qui exercent des « tâches de

puissance publique » qui resteraient en tant que fonctionnaires recrutés par concours et

assujettis au statut général ; et, de l’autre côté, les agents effectuant des « tâches de

gestion » qui retourneraient à la condition d’employés des administrations, soumis à un

régime contractuel de droit public. L’unification statutaire proclamée en 1946 serait ainsi

sacrifiée.

La contractualisation a connu un nouvel élan avec le décret du 12 mars 2007. Celui-ci

concerne uniquement les agents non titulaires de l’État, soit tout de même environ 12 % des

effectifs de l’État.

Le texte aligne, tout d’abord, la situation des agents non titulaires sur celle des

fonctionnaires chaque fois que possible, notamment en matières de congés et de mobilité. Si

les pouvoirs publics poussent leur logique jusqu’au bout, ils finiront probablement par

reconnaître un jour l’existence d’un principe d’égalité entre non titulaires et fonctionnaires. La

formation progressive depuis une vingtaine d’années, par touches progressives, de ce qui

s’apparente à un véritable statut des agents non titulaires se révèle de plus en plus confortable

13

Page 14: cours Fonction publique 2007 (blog)

pour ces derniers. Cette évolution enlève une grande part des scrupules à l’Administration

lorsqu’elle recrute de tels agents plutôt que des fonctionnaires.

Le décret de 2007 institue, en outre, les premières normes constitutives de ce qui annonce une

véritable « carrière » des agents en CDI. Le décret emploie les termes les plus neutres

possibles afin d’éviter les critiques. Les agents en CDI constituent bien désormais une

catégorie à part d’agents non titulaires situés à mi-chemin entre les agents en CDD et les

fonctionnaires.

La rémunération des agents employés à durée indéterminée sera ainsi dorénavant réexaminer

« au minimum tous les trois ans », « notamment au vu des résultats de l’évaluation ». On n’a

pas voulu écrire en toutes lettres que la rémunération des agents en CDI devait être augmentée

tous les trois ans. Cela aurait été reconnaître un avancement automatique à l’ancienneté et

donc consacrer juridiquement l’existence d’une carrière comme pour les titulaires. Par

conséquent, tous les trois ans, la rémunération de l’agent en CDI sera seulement

théoriquement « réexaminée ». Il est difficile de croire en pratique que ce réexamen ne

donnera pas lieu systématiquement à une augmentation de rémunération, pondérée le cas

échéant, par les résultats de l’évaluation de l’agent. Autrement dit, malgré les précautions du

texte, dans la plupart des cas, la rémunération de l’agent en CDI augmentera au pire tous les

trois ans, probablement comme si l’agent était fonctionnaire et changeait d’échelon.

III. La distribution des compétences entre le législateur et le gouvernement Entre le législateur et l’exécutif Au sein de l’exécutif

14

Page 15: cours Fonction publique 2007 (blog)

Leçon n° 2 : Les conceptions de la fonction publique

Dans son ouvrage La fonction publique dans le monde, François Gazier a distingué « les

deux grands systèmes qui se partagent le monde contemporain : fonction publique de

structure ouverte et fonction publique de structure fermée ».

Chaque organisation nationale emprunte à l’un des deux grands modèles de fonction publique

et parfois même aux deux. Le premier modèle est le système de la carrière (ou fonction

publique fermée). Il implique que l’agent public consacre en principe sa vie professionnelle

au service de l’État ou d’une collectivité publique. Il n’a pas vocation à quitter la fonction

publique. Le second modèle est le système de l’emploi (ou fonction publique ouverte). Le

recrutement d’un agent est limité dans ce cadre à la durée nécessaire pour accomplir la

mission pour laquelle il a été recruté. Il n’a pas vocation à rester dans la fonction publique.

Cette distinction apparemment rigide s’atténue, s’assouplit.

I. L’opposition de la fonction publique de carrière et fonction publique d’emploi

A. Le système de la carrière

1. Présentation

Ce modèle de fonction publique de structure fermée repose sur une logique de

différenciation entre administration et secteur privé. Comme l’écrit François Gazier, «

structure fermée, cela veut dire que l’administration publique est considérée comme une

chose à part à l’intérieur de la nation, qui demande des spécifications particulières et un

personnel qui y consacre toute son activité professionnelle ». Selon l’auteur, ce modèle « a

essentiellement pour avantage de fournir des fonctionnaires qui sont mieux adaptés à l’esprit

d’une administration publique, qui ont véritablement consacré toute leur vie à cette tâche [et qui

ont pu de ce fait] acquérir l’expérience correspondante et ce qu’on appelle le sens du service

public, qui sont sensibles aux nécessités de l’intérêt général et non seulement de la rentabilité

immédiate […] ».

Ce système de fonction publique repose sur une conception spécifique de l’emploi public qui

n’est pas comparable à la situation du salarié dans une entreprise privée. L’idée qui se trouve

15

Page 16: cours Fonction publique 2007 (blog)

à la base du système de la carrière est la suivante : la fonction publique véhiculant des valeurs

qui sont étrangères à la réussite financière, l’accomplissement des missions d’intérêt général

suppose le recrutement d’un personnel atypique. Ce particularisme de la fonction publique par

rapport à une entreprise ordinaire implique que l’agent public consacre en principe toute sa

vie professionnelle au service d’une collectivité publique. Il est recruté jeune pour faire une

carrière au sein de la fonction publique. Le corps dans lequel il est intégré à l’issue du

concours de recrutement lui permettra, en effet, d’accéder à différents emplois.

Bien qu’il n’existe pas de cloisonnement étanche entre la fonction publique et le secteur privé,

l’agent public n’a pas vocation à alterner durant sa vie professionnelle des expériences en

administration et en entreprise. Lorsque sa mission arrive à son terme, il s’en voit confier une

autre au sein de la même administration.

Le choix du système de la carrière emporte plusieurs conséquences.

En premier lieu, le recrutement de l’agent public s’opère non en raison de la nature des tâches

à accomplir mais en fonction d’une aptitude générale. Cette aptitude générale est supposée

permettre au lauréat d’exercer les différents emplois qui lui seront successivement confiés au

cours de sa carrière. Les fonctionnaires ont vocation à passer toute leur vie professionnelle

dans la fonction publique.

En deuxième lieu, la garantie de la carrière permet en principe à l’agent de voir sa situation

professionnelle évoluer. Il n’occupe pas indéfiniment les mêmes fonctions. Une progression

lui est assurée au moins en matière pécuniaire et, le plus souvent aussi, quant aux

responsabilités qu’il assume.

En troisième lieu, le principe de la carrière a pour corollaire l’importante spécificité du droit

de la fonction publique par rapport au droit du travail. C’est ainsi que la relation

professionnelle qu’entretient l’agent avec son employeur public relève non du contrat de

travail mais d’un régime de droit public. Cette forte spécificité se manifeste aussi bien

formellement (l’agent est, en effet, dans une situation statutaire et réglementaire et non pas

dans une situation contractuelle) que matériellement (à propos des droits et obligations du

fonctionnaire et du déroulement de sa vie professionnelle).

Enfin, le système de la carrière garantit les fonctionnaires contre l’arbitraire administratif en

exigeant leur neutralité. Le système de la carrière est réputé permettre à l’agent de ne pas

être politisé. Les alternances politiques ne sauraient par conséquent avoir d’incidence sur le

déroulement de la carrière du fonctionnaire.

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Page 17: cours Fonction publique 2007 (blog)

2. Champ d’application

Dans l’Union européenne, un nombre désormais restreint d’États pratiquent le système de

carrière. La France, l’Allemagne, l’Autriche ou encore l’Espagne pratiquent ce système avec

quelques aménagements. En revanche, l’Italie depuis 1996 et le Portugal plus récemment

l’ont abandonné au profit d’une fonction publique d’emploi.

Examinons rapidement le système allemand.

L’Allemagne est le premier État européen à se doter d’une fonction publique dont

l’organisation constitue pour ses agents une protection contre l’arbitraire politique (loi

impériale de 1873).

Cette tradition institutionnelle est aujourd’hui consacrée par la Loi fondamentale de 1949.

Elle garantit tout d’abord l’égal accès de tous les Allemands à toutes fonctions publiques,

selon leurs aptitudes, leurs qualifications et leurs capacités professionnelles. Elle affirme

ensuite : « En règle générale, l’exercice de pouvoirs de puissance publique doit être

confié à titre permanent à des membres de la fonction publique placés dans un rapport de

service et de fidélité de droit public ». Ce principe du fonctionnariat conduit à distinguer

au plan juridique deux catégories d’agents publics : les fonctionnaires et les employés ou

ouvriers.

Les fonctionnaires sont soumis à un régime statutaire et réglementaire de droit public. La

Loi fondamentale prévoit que les fonctionnaires exercent des fonctions liées à la puissance

publique (juges, policiers, diplomates, agents des finances par exemple). Une interprétation

extensive de cet article permet d’inclure dans le fonctionnariat nombre d’enseignants,

notamment ceux du supérieur. L’Allemagne compte environ 1,7 million de

fonctionnaires.

Les employés (Angestellten) ou ouvriers (Arbeiter) sont en revanche soumis au droit

commun du travail défini notamment par voie de conventions collectives. Celles-ci sont

négociées entre les syndicats de la fonction publique et les employeurs publics. Les

employés sont plus de 3 millions. Il convient toutefois de relativiser les effets de la

distinction entre fonctionnaires et employés. À l’exception de la sécurité de l’emploi, les

garanties accordées par la loi et les conventions sont équivalentes et l’accès aux mêmes

emplois est souvent possible.

B. Le système de l’emploi

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Page 18: cours Fonction publique 2007 (blog)

1. Présentation

Ce modèle repose selon François Gazier sur l’idée suivant laquelle la fonction publique

est « un métier comme un autre, l’administration publique étant considérée comme une vaste

entreprise recrutant et gérant son personnel dans les mêmes conditions que toutes les autres

entreprises industrielles, commerciales ou agricoles de la nation ». Les avantages

généralement attachés à ce système sont la simplicité, la souplesse et l’efficacité économique ou

encore la rentabilité.

Ce système repose sur l’absence de différence entre le service de l’État et l’exercice de

n’importe quelle autre profession. Les emplois des administrations publiques sont, comme

dans le secteur privé, définis et hiérarchisés en fonction des tâches qu’ils impliquent, des

qualifications qu’ils requièrent et du salaire qu’ils procurent.

Hormis le fait que l’emploi public est rémunéré sur des fonds publics, l’agent public ne se

distingue nullement d’un employé de droit privé. Le système de l’emploi permet une grande

fluidité entre la fonction publique et le monde de l’entreprise. Il met en exergue la porosité

qui existe entre le secteur public et le secteur privé. Il est ici de coutume d’alterner les postes

dans l’entreprise et dans l’administration.

Ce modèle est beaucoup plus lié au pouvoir politique. Le fonctionnaire est ici dans la

situation plus précaire d’un contractuel, régi par les dispositions du Code du travail. Le

fonctionnaire est recruté certes pour ses compétences techniques, mais aussi pour sa fidélité

au pouvoir en place. Le risque est alors grand de le voir faire preuve de favoritisme à

l’égard de certains citoyens et de sacrifier quelque peu l’intérêt général, c’est-à-dire de

l’intérêt général en un intérêt partisan. Ce risque est d’autant plus important que la culture du

résultat est très répandue. Autrement dit, les promotions des fonctionnaires mais aussi

leur rémunération sont liées à l’atteinte des objectifs fixés par le pouvoir politique.

Conséquences.

Ce système présente trois caractères généraux.

Il fonctionne tout d’abord sur la base du principe de l’emploi. Dans une fonction publique

d’emploi, le recrutement d’un agent se fait sur un emploi précis : il repose sur l’adéquation

entre les fonctions à exercer et le profil du candidat. L’agent recruté ne dispose d’aucune

garantie d’évolution au sein de l’administration et peut être amené à intégrer ensuite le secteur

privé, voire à procéder à différents aller-retour entre emplois publics et privés. L’agent ne

reste en principe dans l’administration que pour la durée fixée par son contrat : il n’a pas

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Page 19: cours Fonction publique 2007 (blog)

vocation à y faire carrière. L’agent n’a ainsi nulle vocation à accomplir toute sa vie

professionnelle dans l’administration et à y évoluer de poste en poste même si rien ne

l’interdit.

L’agent occupe l’emploi sur lequel il est recruté sans pouvoir en changer. Seul un

recrutement sur un nouvel emploi ou le renouvellement du contrat peut faire évoluer sa

situation.

Le deuxième caractère de la fonction publique ouverte est le corollaire du premier : le droit

applicable aux agents publics n’est que faiblement spécifique. Le système ouvert étant conçu

sur une logique d’indifférenciation entre fonction publique et secteur privé, il est normal

que le régime juridique applicable aux agents publics ne se différencie que marginalement de

celui applicable aux salariés. Comme dans le secteur privé, la relation de travail est définie

par voie contractuelle.

Enfin, la neutralité de la fonction publique ouverte serait limitée ou plus exactement la

structure ouverte serait un facteur de politisation. En effet, l’origine historique de ce

modèle, le spoil system ou système des dépouilles) promue aux États-Unis au XIXe siècle,

illustre le fait que le principe de l’emploi facilite la politisation. Et dans la logique américaine

classique « les fonctionnaires sont réputés servir non pas l’Etat mais le peuple » et doivent

donc pouvoir être révoqués par ce dernier ou ses représentants.

En l’absence de toute garantie d’emploi, l’agent d’une fonction publique ouverte n’est

pas protégé contre les effets possibles des alternances politiques. Il peut perdre son emploi en

cas d’alternance politique.

2. Champ d’application

La fonction publique d’emploi trouve son origine aux États-Unis. Elle est pratiquée par un

nombre croissant d’États de l’Union européenne : Danemark, Italie, Finlande, Pays-Bas,

Royaume-Uni et Suède.

a. Les Etats-Unis

De leur fondation jus qu’en 1883 , les États-Unis développent la pratique du spoil system. Ce

système des dépouilles implique l’attribution des emplois publics au niveau fédéral comme

dans les États fédérés selon des critères politiques. Au lendemain d’une victoire électorale, les

partis politiques se répartissent les postes dans l’administration. Le spoil system impliquait le

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Page 20: cours Fonction publique 2007 (blog)

renouvellement de l’administration, même aux niveaux les plus modestes, avec l’arrivée

aux affaires d’un nouveau parti politique. Selon une célèbre formule du président américain

Jackson (1829-1837), on considérait, en effet, « Il y a plus à perdre en maintenant les

fonctionnaires en place qu’il y a à gagner en profitant de leur expérience ». Cette pratique

repose à l’origine sur une conception démocratique de la fonction publique : le spoil system

permet en effet un contrôle populaire sur l’administration afin d’éviter la formation d’une

caste de fonctionnaires irresponsables.

À partir de 1883 , certains emplois fédéraux sont progressivement pourvus au mérite.

L’objectif est de soustraire une petite partie des emplois publics à l’influence des partis

politiques. Le Pendleton Act autorise en effet le Président à « classifier » par voie

réglementaire les catégories d’emplois qu’il convient de pourvoir au mérite. Ce Classified

Service ne cesse de croître jusqu’à atteindre près de 90 % des effectifs. Un processus

comparable est observé dans l’administration des États fédérés.

Réforme permanente. Critiquée dans les années 1960/1970, la fonction publique fédérale fait

l’objet d’une profonde réforme. La réforme conduite par le président Carter en 1978 (Civil

Service Reform Act) tendait à professionnaliser et à dépolitiser la haute fonction publique.

Cette réforme s’est traduite par la création du Senior Executive Service (SES). Ce service

regroupe les responsables les plus importants de l’administration fédérale.

Depuis cette date, l’administration fédérale se divise en trois catégories d’agents :

- l’Excepted Service réunit les quelques milliers de fonctionnaires choisis sur critère

politique ;

- le Senior Executive Service regroupe la dizaine de milliers d’emplois supérieurs

apolitiques. Ces emplois de direction bénéficient par conséquent d’une certaine

stabilité ;

- et le Competitive Service désigne les deux millions de fonctionnaires qui travaillent

dans les ministères et au sein des agences gouvernementales.

Les réformes dans la fonction publique fédérale sont récurrentes. L’une des dernières date

de 1993. Elle est l’œuvre du président Clinton. Cette réforme a consisté à introduire un

système de gestion par la performance dans l’administration fédérale américaine. Il ne

cesse depuis lors d’être développé.

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Page 21: cours Fonction publique 2007 (blog)

4

Les composantes du « statut » ainsi répudié – ensemble hétérogène de dispositions

réglementaires, législatives ou « déduites » de la Constitution fédérale par la Cour suprême

des États-Unis – s’analysent comme une série de garanties qui jouent pour l’essentiel au stade

du recrutement et du licenciement des agents.

Elles sont constitutives du merit system qui regroupe, dans chacune des trois fonctions

publiques états-uniennes (fédérale, étatique et locale) les emplois publics dont l’attribution est

régie par des procédures de type méritocratique.

Les premiers jalons de ce système furent posés dans le droit fédéral, en 1883, par le célèbre

Pendleton Act. La finalité initiale du dispositif n’était pas de créer ex nihilo une fonction

publique professionnalisée et politiquement neutre, mais, plus modestement, de soustraire 10

% des emplois fédéraux au contrôle qu’exerçaient sur eux les partis politiques dans le cadre

du système du patronage (patronage system). La loi de 1883 a toutefois permis le reflux

progressif du système des dépouilles, en accordant au Président des Etats-Unis la faculté de «

classifier » par voie réglementaire les catégories d’emplois qu’il lui semblait opportun

d’intégrer au merit system. Sans avoir été linéaire, la croissance du secteur des postes protégés

n’en a pas moins a été continue jusqu’aux années cinquante (elle atteindra son point

maximum en 1952, avec 86 % d’emplois publics « classifiés »).

La permanence d’un large secteur d’emplois « exemptés » (excepted) ou d’emplois

« discrétionnaires », ainsi que la fidélité de nombreux États au principe de l’élection d’une

proportion parfois élevée de fonctionnaires, est à cet égard une caractéristique notable du

système politico-administratif des États-Unis. La neutralité politique de la fonction publique,

en outre, n’a jamais été unanimement considérée comme une valeur ou un principe

fondamental. La philosophie politique sous-jacente au système des dépouilles reste

profondément ancrée dans la mentalité collective : dans un pays où les fonctionnaires sont

réputés servir non pas l’État mais le peuple, on se résigne mal à les voir échapper à toute

sanction électorale directe ou indirecte.

L’entreprise de « Réinvention de l’État » conçue et pilotée, entre 1993 et 2000, par le Vice-

Président Al Gore vise à construire « un État qui marche mieux et coûte moins cher » en

créant « une administration plus svelte et plus productive ».

4 G. CALVÈS, La réforme de la fonction publique aux Etats-Unis : un démantèlement programmé ?, in Conseil d’Etat, Perspectives pour la fonction publique. Rapport public 2003, EDCE n° 54, 2003, p. 389.

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Page 22: cours Fonction publique 2007 (blog)

Cette réforme s’est traduite par la disparition, en cinq ans, de 272 000 emplois civils (hors

secteur postal) – chiffre qui représente, en 1993, environ 12 % du volume des emplois civils

fédéraux. Cet objectif sera atteint et même dépassé puisque l’Administration fédérale, pour la

première fois depuis 1965, descendra dès 1996 sous la barre des deux millions d’agents

employés à plein temps, et aura finalement perdu, en 1998, près de 330 000 emplois. Les

emplois supprimés à partir de 1993, dans leur très grande majorité, correspondaient en effet à

des postes laissés vacants par le départ en retraite de leur titulaire, mais aussi et surtout à des

postes qui avaient pu leur être « rachetés » (attribution d’une somme pouvant aller jusqu’à

25 000 dollars aux employés disposés à quitter le secteur public).

Dans son rapport-programme de 1993, Al Gore soulignait qu’un objectif central de la

Réinvention de l’État consistait à accorder aux managers du secteur public une latitude aussi

large que possible pour « recruter les agents dont ils ont besoin », « récompenser ceux qui

font du bon travail », mais aussi « renvoyer les autres ».

Les fonctionnaires américains ne sont nullement protégés contre le licenciement. Celui-ci

interviendra automatiquement, si le poste occupé par l’agent est supprimé pour des raisons

budgétaires ; il pourra également être décidé par le chef de service, si l’agent s’est avéré

incapable d’atteindre les objectifs fixés par sa hiérarchie, ou pour tout autre « motif légitime »

lié la volonté « d’accroître l’efficacité du service ».

La spécificité du droit de la fonction publique en matière de licenciement réside dans une

série de garanties exclusivement procédurales dégagées par la Cour suprême au cours des

années soixante-dix.

L’effort du mouvement de réforme de l’État a consisté, dans un tel cadre, à introduire des

méthodes d’évaluation de la performance individuelle des agents permettant d’asseoir de

façon plus nette la décision de licenciement.

La jurisprudence de la Cour aboutit à poser que les libertés d’opinion et d’association

garanties par le Premier Amendement interdisent les révocations pour motif politique dans

tous les cas où « l’autorité de nomination [n’]est [pas] en mesure de démontrer que

l’appartenance à un parti politique est une condition requise pour que les fonctions

considérées soient accomplies de façon efficace »5. Cette solution sera étendue, en 1990, à

l’ensemble des décisions affectant la situation juridique ou matérielle des agents.

5 Branti v. Finkel, 445 U.S. 507, 1980.

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Page 23: cours Fonction publique 2007 (blog)

Ces solutions ont peut-être accéléré le mouvement de création d’emplois « déclassifiés »

échappant à l’empire des règles du merit system – auxquelles sont aujourd’hui soustraits plus

de la moitié des agents fédéraux.

La forte minorité de membres de la Cour suprême qui prônent un rééquilibrage des

composantes « politique » et « professionnelle » de l’Administration renouent avec la vision

jacskonienne d’une Administration dont la composition reflète l’évolution du paysage

électoral. Les juges dissidents insistent sur la fonction structurante, pour la vie politique

américaine, du principe de la « rotation of office ».

Le patronage revêt à leurs yeux trois séries de fonctions. En dotant les partis politiques d’un

stock de postes à distribuer, il leur permet d’abord d’appâter des permanents dont il va de soi

qu’ils n’acceptent d’être bénévoles qu’à condition de pouvoir espérer être récompensés un

jour. En détournant les citoyens de « partis anti-système qui ont peut-être une philosophie

politique séduisante mais peu de chances d’arriver au pouvoir », il consolide ensuite le

bipartisme et rend ainsi possible l’alternance. En offrant aux nouveaux entrants dans le champ

politique la possibilité d’étoffer leur clientèle électorale et de construire des alliances, le

patronage ouvre enfin aux minorités ethniques la voie de l’intégration économique et sociale :

tous les groupes qui ont accédé au pouvoir dans une ville américaine ont usé de ce levier.

Le merit system aux États-Unis n’a pas été institué pour créer une Administration de type

européen, mais pour lutter contre les dérives d’un système des dépouilles progressivement

gangrené par la corruption, le gonflement artificiel du volume des emplois publics et la

nomination d’agents incompétents. L’adoption d’un droit spécifique gouvernant le régime des

emplois publics a constitué en 1883 un pis-aller, « un expédient auquel on se résigne pour des

raisons pratiques ». Doit-il être maintenu par l’Amérique du XXIe siècle ? Le développement

de la presse, la technicisation accrue des tâches et le renforcement des garanties offertes par le

droit du travail comme par le droit des affaires militent peut-être en faveur d’une réponse

négative.

b. L’Italie6

Au début du XXe siècle, seuls les agents de l’État étaient soumis à un régime de droit public.

L’essentiel des agents des collectivités locales, et notamment les instituteurs dans les écoles

6 Roberto CARANTA, Point de vue sur les réformes récentes en matière de fonction publique en Italie, EDCE n° 54, 2003.

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Page 24: cours Fonction publique 2007 (blog)

élémentaires, étaient régis comme des salariés privés et étaient liés à l’administration par un

contrat.

Les choses vont changer de façon radicale dans les années 20. Le régime fasciste soumet

l’ensemble de la fonction publique au droit public. Seuls les salariés des personnes publiques

dont l’activité relevait du commerce ou de la production industrielle étaient maintenus sous un

régime de droit privé.

Une étude publiée à la fin des années 70 par M. Giannini, alors ministre de la Fonction

publique, stigmatise le régime du droit public, auquel sont soumis les agents publics, comme

l’une des causes du mauvais fonctionnement de l’administration publique italienne.

D’où, la proposition d’une réforme de l’administration et de la fonction publiques permettant

l’introduction de règles plus proches de celles du droit privé voire une privatisation

substantielle du droit de la fonction publique.

Après avoir été un moment abandonnée, la question de l’efficacité de l’administration

redevint centrale dans les années 90. La réforme poursuit deux objectifs :

- relever les défis de l’intégration européenne en hissant l’efficacité de l’administration

italienne au niveau de celles des autres Etats de l’Union européenne ;

- lutter contre une corruption jusqu’alors endémique.

La réforme menée entre 1993 et 2001 a fait basculer l’essentiel de la fonction publique d’un

système fermé au système ouvert. Cette politique de « privatisation de l’emploi public » a

consisté à substituer des conventions collectives aux règles statutaires antérieures. Désormais,

seul environ un agent de l’administration sur dix est un fonctionnaire. Le statut n’a été

conservé qu’à propos de certaines activités régaliennes : magistrats (judiciaires et

administratifs), militaires, policiers, diplomates, professeurs d’université...

Les agents publics sont recrutés par contrat individuel ; leurs droits et obligations sont réglés

en principe par les dispositions du Code civil applicable aux contrats de travail entre

particuliers.

Si le concours est encore la modalité prévue généralement pour accéder aux emplois publics,

on peut désormais s’en passer dans le cas d’emplois qui ne nécessitent aucune spécialisation

de la part du travailleur. Dans cette hypothèse, l’administration est tenue d’engager les

personnes qui ont une position prioritaire dans les listes officielles des chômeurs.

Enfin, la privatisation entraîne la compétence de la juridiction judiciaire.

24

Page 25: cours Fonction publique 2007 (blog)

Le juge administratif conserve sa juridiction seulement en ce qui concerne les procédures de

concours.

À l’origine les dirigeants du plus haut niveau de l’administration de l’État étaient aussi exclus de la privatisation. La situation a changé en 1998 : les dirigeants sont aujourd’hui soumis aux mêmes règles que la plupart des autres agents publics. Désormais, en règle générale, le contrat de travail des dirigeants de l’administration publique est un contrat à durée déterminée (5 ans). Ces contrats sont dissous de plein droit – même avant leur échéance (quatre-vingt-dix jours après le serment d’un nouveau gouvernement). Le contrat peut être renouvelé à l’échéance.

Du point de vue du statut, la réforme revient à une privatisation. La privatisation a été avant

tout une opération idéologique.

Sous l’influence de la pensée économique, l’idée que les organisations privées sont plus

souples et donc plus efficaces que les organisations publiques s’est répandue. Le mérite du

droit privé serait d’être plus souple que le droit public et donc plus prêt à s’adapter pour faire

face aux nouveaux défis d’une société qui change sans cesse.

On doutait de l’efficacité d’un droit public de la fonction publique qui avait établi un système

qui donnait essentiellement une garantie de stabilité dans l’emploi. On a donc privatisé avec le

but d’améliorer l’utilisation des ressources humaines.

Il est douteux que la privatisation de la fonction publique ait conduit à un surcroît

d’efficacité de l’action publique.

En effet, en Italie comme partout dans le continent européen, le droit (privé) du travail n’est

pas tellement souple. Aujourd’hui, en Europe, les salariés privés jouissent eux-mêmes d’un

régime de stabilité substantielle. Des raisons politiques empêchent presque toute forme de

licenciement collectif dans la fonction publique.

En ce qui concerne la plupart des agents publics, la privatisation n’a eu d’autre effet que de

rendre plus facile l’accès au juge (les juges judiciaires étant beaucoup plus dispersés que les

juges administratifs), avec comme conséquence une véritable explosion des contentieux. Il est

douteux qu’il s’agisse d’un progrès.

C’est plutôt en ce qui concerne les dirigeants que la privatisation a eu des effets importants.

L’affaiblissement substantiel du statut des dirigeants a été motivé par le souci des élus d’avoir des collaborateurs qui, craignant pour leur futur, soient prêts à mettre en œuvre efficacement les politiques arrêtées par les organes élus à tout niveau territorial. Les préoccupations d’efficacité l’auraient donc emporté sur l’impartialité. Bien que les dirigeants aient tout intérêt à suivre les indications et suggestions qui leur

viennent des élus, les agents publics que les dirigeants sont appelés à mobiliser jouissent

d’une garantie de stabilité qui n’a pas été atteinte par la réforme ; ces agents ne sont donc pas

nécessairement très motivés à être performants.

25

Page 26: cours Fonction publique 2007 (blog)

En conclusion, les réformes récentes en matière de fonction publique en Italie semblent plutôt

être le résultat redoutable de la conjonction entre le préjugé selon lequel le droit privé serait

doté de l’efficacité plus grande et la volonté mal dissimulée des milieux politiques de rester

les décideurs réels même dans les cas particuliers, et même si c’est de façon indirecte.

Il est difficile donc de croire que ce modèle mérite d’être suivi en Europe.

Conclusion du I :

Le fondement de cette distinction est de nature politique et tient à la réponse apportée à la

question suivante : peut-on (ou même doit-on) concevoir les relations de travail dans la

fonction publique de la même manière que dans le secteur prive ? Si l’on répond

positivement alors on en vient logiquement à considérer que les fonctionnaires doivent être

traités comme des salariés et le système de l’emploi s’impose. Si l’on répond négativement,

on est amené à estimer qu’il convient que les fonctionnaires aient une formation et un état

d’esprit différents de ceux des salariés. Leur mission est d’une essence différence : le service

de l’intérêt général ne se confond pas avec celui des intérêts privés ou particuliers. Les

fonctionnaires devant être spécialement adaptés à leur mission particulière, ils sont normalement

destinés à y consacrer toute leur vie professionnelle et sont soumis à des obligations

spécifiques. En contrepartie de ces sujétions et afin d’assurer leur neutralité et dans une certaine

mesure leur indépendance, certaines garanties de stabilité et de carrière leur sont assurées.

II. L’atténuation de l’opposition7

A. L’introduction de la notion d’emploi dans la fonction publique française

1. La consécration d’une conception européenne de l’administration publique

L’article 39 CE consacre le principe de libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la

Communauté. Ce principe n’est toutefois pas applicable « aux emplois dans l’administration

publique » (art. 39, § 4). Cet article se prêtait à deux interprétations diamétralement opposées.

Selon la première, que l’on qualifie d’institutionnelle, l’administration publique doit être

entendue dans son acception organique. Cette conception extensive de la réserve d’emplois

dans la fonction publique conduit à exclure l’ensemble des personnels administratifs du champ

d’application du principe de libre circulation. La seconde interprétation, dite fonctionnelle, est,

quant à elle, beaucoup plus restrictive. L’objectif est évidemment de réduire le champ des

emplois réservés aux nationaux afin d’accroître le champ d’application de la libre circulation.

7 J. CAUDEN, Fonction publique de carrière ou d’emploi : un débat dépassé ?, CFP avril 2007, p. 18.

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Page 27: cours Fonction publique 2007 (blog)

Cette interprétation entend garantir l’effet utile, c’est-à-dire l’effectivité de la libre circulation des

travailleurs.

La Cour de justice des Communautés européennes a évidemment opté pour la seconde

interprétation dans deux arrêts extrêmement importants : les arrêts Sotgiu du 12 février 1974

et Commission / Belgique du 17 décembre 1980. Il résulte de ces deux arrêts que la notion

d’administration publique est une notion autonome. Autrement dit, elle reçoit une définition

spécifique, propre au droit communautaire. Par conséquent, les emplois dans l’administration

publique sont uniquement ceux « qui comportent une participation, directe ou indirecte, à

l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des

intérêts généraux de l’État ou des autres collectivités publiques ». La Cour justifie le choix

de ce critère par le fait que « de tels emplois supposent (...) de la part de leurs titulaires,

l’existence d’un rapport particulier de solidarité à l’égard de l’État ainsi que la réciprocité des

droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité ».

Forte de cette définition, la Commission européenne a proposé l’adoption d’une directive censée

opérer, secteur par secteur, la répartition des emplois ouverts et des emplois fermés aux

ressortissants communautaires. Ne parvenant à faire adopter ce projet de directive, la

Commission s’est résignée à édicter deux communications. Il s’agit d’actes dépourvus de valeur

juridique. Dans sa communication de 1988, la Commission annonce qu’elle introduira

systématiquement un recours en manquement contre tout Etat qui empêche les travailleurs des

autres Etats membres d’accéder « aux emplois de certains secteurs publics bien déterminés ».

La Commission inaugure ici son approche sectorielle. Selon elle, l’exception de l’article 39,

paragraphe 4, est notamment applicable aux emplois dans l’armée, les autres forces de

l’ordre ; la magistrature ; l’administration fiscale et la diplomatie. Sont également exclus de

libre circulation, d’autres activités telles que l’élaboration d’actes juridiques, l’exercice d’une

tutelle sur des organismes dépendants… A contrario, la Commission estime que les transports

publics, distribution d’électricité ou de gaz, santé, enseignement, recherche civile... doivent être

ouverts aux ressortissants des autres Etats membres. Dans une jurisprudence abondante, la Cour

de justice a avalisé l’approche sectorielle préconisée par la Commission. Le juge communautaire

a ainsi considéré que n’entraient pas dans l’administration publique les emplois dans les

secteurs publics de la distribution d’eau, de gaz et d’électricité, les services opérationnels de santé

publique (infirmier par exemple), les secteurs de l’enseignement public, des transports

maritimes et aériens, des chemins de fer, des transports publics urbains et régionaux, de la

recherche effectuée à des fins civiles, des postes, des télécommunications et de la

radiotélévision…

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Page 28: cours Fonction publique 2007 (blog)

La seconde communication, celle de 2002, se montre encore plus précise. La

Commission entend, en effet, identifier au sein des secteurs jusqu’alors inclus dans la

réserve d’emplois dans l’administration publique, « les postes [… qui] n’impliquent pas

[…] l’exercice de la puissance publique et la responsabilité de la sauvegarde des

intérêts généraux de l’État ». La Commission affine ainsi sa démarche initiale. Elle

raisonne désormais emploi par emploi et non plus secteur par secteur.

Une telle évolution semble ainsi indiquer que dès lors qu’un emploi auquel le membre

d’un corps de fonctionnaires peut prétendre n’entre pas dans le champ de l’exception, il

convient que le corps soit ouvert aux ressortissants communautaires. C’est ainsi

l’organisation de la fonction publique en corps qui se voit remise indirectement en cause

ou tout au moins ébranlée par la logique de l’emploi de la Commission, logique qui heurte

frontalement celle de la carrière qui sous-tend le droit français.

Il peut exceptionnellement arriver qu’un emploi dans l’administration publique soit

occupé par le salarié d’une personne privée. Dans cette hypothèse, la conception

matérielle de l’administration publique s’avère ainsi plus large que la conception

institutionnelle ou que la conception française. La Cour de justice a en ce sens jugé que

les emplois de capitaine et de second de navires marchands peuvent sous conditions être

réservés aux nationaux sur la base de l’article 39 § 4.

La Cour indique en effet que « la circonstance que les capitaines sont employés par une personne physique ou morale de droit privé n’est pas, en tant que telle, de nature à écarter l’applicabilité de l’article 39 §4 dès lors qu’il est établi que, pour l’accomplissement des missions publiques qui leur sont dévolues, les capitaines agissent en qualité de représentants de la puissance publique, au service des intérêts généraux de l’État du pavillon ». En effet, la Cour a constaté que ces marins peuvent se voir conférer « des prérogatives liées au maintien de la sécurité et à l’exercice de pouvoirs de police, notamment en cas de danger à bord, assorties, le cas échéant, de pouvoirs d’enquête, de coercition ou de sanction, allant au-delà de la simple contribution au maintien de la sécurité publique à laquelle tout individu peut être tenu, et, d’autre part, des attributions en matière notariale et d’état civil, qui ne sauraient s’expliquer par les seules nécessités du commandement du navire. De telles fonctions constituent une participation à l’exercice de prérogatives de puissance publique aux fins de la sauvegarde des intérêts généraux de l’État du pavillon ». Toutefois, pour que de tels emplois soient qualifiés d’emplois dans l’administration publique, il convient « que ces prérogatives soient effectivement exercées de façon habituelle par lesdits titulaires et ne représentent pas une part très réduite de leurs activités  » (CJCE, 30 septembre 2003, Colegio de Officiales de la marina mercante espanola / Asosiacion de navieros espanoles (ANA VE), JCP A, 2003, 2052, obs. O. Dubos).Une telle solution intéresse la France puisque l’article 3 du Code du travail maritime dispose qu’« à bord des navires battant pavillon français, le capitaine et l’officier chargé de sa suppléance doivent être français ». L’article 39, paragraphe 4, CE ne paraît pas avoir vocation à jouer au motif que les capitaines ne font pas un usage suffisamment fréquent de leurs prérogatives de puissance publique.

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Page 29: cours Fonction publique 2007 (blog)

2. Les incidences de la conception européenne de l’administration publique en droit français

La réforme de 1991. La France a été condamnée en 1986 pour avoir réservé à ses

nationaux la nomination et la titularisation dans des emplois permanents d’infirmier ou

d’infirmière dans les hôpitaux publics. Les pouvoirs publics français ont réagi en insérant, par

une loi du 26 juillet 1991, un article 5 bis dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et

obligations des fonctionnaires. L’article 5 précise en effet les conditions générales nécessaires

pour prétendre avoir la qualité de fonctionnaire. La première est la possession de la nationalité

française sous réserve des dispositions de l’article 5 bis.

« Les ressortissants des États membres de la Communauté européenne ou d’un autre État partie à

l’accord sur l’Espace économique européen autres que la France ont accès, dans les conditions

prévues au statut général, aux corps, cadres d’emplois et emplois dont les attributions soit sont

séparables de l’exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou

indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’État ou des autres collectivités

publiques » dans les mêmes conditions que les nationaux. « Ces corps, cadres d’emplois et

emplois doivent être désignés par leurs statuts particuliers respectifs ».

On relèvera que les termes utilisés par le législateur ne sont pas les mêmes que

ceux utilisés en droit communautaire, le législateur ayant opté pour la reprise

d’expressions plus usuelles en droit français. Alors que la Cour de justice exige

deux conditions cumulatives (l’exercice de la puissance publique et la

contribution à la sauvegarde des intérêts généraux de l’État ou des autres

collectivités publiques), le droit français use quant à lui de deux conditions

présentées comme alternatives, celle d’attributions séparables de l’exercice de la

souveraineté ou ne comportant aucune participation à l’exercice de prérogatives

de puissance publique de l’État ou des autres collectivités publiques. Les deux

formulations peuvent néanmoins être tenues pour équivalentes.

Ce dispositif repose sur la logique du maintien d’une prohibition de principe

de l’accès des ressortissants communautaires au statut de fonctionnaire. En

effet, les corps sont réputés fermés sauf si les statuts particuliers ont prévu

expressément leur ouverture. La loi du 26juillet 1991 a donc été suivie d’une

série de règlements aboutissant à l’ouverture progressive des trois grandes fonctions

publiques. Plus de 80 % des emplois des trois fonctions publiques sont ainsi

théoriquement ouverts aux ressortissants communautaires. Les ressortissants

communautaires à la fonction publique se heurtent cependant à différents

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Page 30: cours Fonction publique 2007 (blog)

obstacles, spécialement la barrière de la langue et l’appréciation de

l’équivalence des diplômes et des formations8.

Le dispositif issu de la loi de 1991 paraissait malgré tout insuffisant .

Un principe d’interdiction, certes assorti d’exceptions, n’était plus conforme aux

exigences du droit communautaire.

En outre, on pouvait se demander s’il était encore possible de raisonner par

corps ou s’il ne faut désormais raisonner emploi par emploi. Si l’on tire toutes les

conséquences de la position adoptée par la Commission dans sa communication de

2002, alors il ne sera plus possible de fermer un corps dès lors qu’un seul des

emplois auquel il permet d’accéder ne rentrera pas dans l’exception de l’article

39, paragraphe 4.

On aurait pu être tenté de supprimer l’exigence de la nationalité française. Bernard Stirn a ainsi souligné que « l’opportunité de maintenir (...) la réserve des emplois de souveraineté » est discutable dès lors que le statut général prévoit « des sanctions disciplinaires à l’encontre de ceux qui viendraient manquer à leur obligation de loyauté ». La loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit

communautaire à la fonction publique renverse le principe énoncé par l’article 5 bis.

Dorénavant, le principe n’est plus celui de la fermeture des corps aux européens sauf si leur

statut particulier prévoit leur ouverture. Désormais les corps sont en principe ouverts. En

outre, le législateur ne raisonne plus par corps mais par emplois. Dès lors, les européens

auront accès aux corps, cadres d’emplois et emplois, sauf aux emplois inséparables de

l’exercice de la souveraineté ou qui comportent une participation à l’exercice de prérogatives

de puissance publique par une collectivité publique.

Finalement, cette réforme ressuscite la distinction agents d’autorité/agents de gestion

que Henry Berthélemy avait proposée au début du XXème siècle. Berthélemy part de la

distinction, courante à la fin du XIXe siècle, entre les actes d’autorité et les actes de gestion. Les

actes d’autorité sont ceux que l’administration accomplit « comme dépositaire de la

souveraineté » tandis que les actes de gestion sont « les actes ordinaires de la vie civile,

comme un particulier pourrait le faire dans l’administration de son patrimoine ». Et il opère

8 Cette appréciation, encadrée par le droit communautaire, est assurée par des commissions administratives d’assimilation. Décret du 30 août 1994 (fonction publique de l’État), décret du 30 août 1994 et arrêté du 20 janvier 1999 (fonction publique territoriale) et décret du 21 juillet 1994 (fonction publique hospitalière). Pour la constatation de la contrariété entre le décret du 30 août 1994 et les exigences communautaires (le décret ne permettant pas de tenir compte des acquis de l’expérience) voir CE, 4 février 2004, Leseine et Warnimont (AJFP 2004, p. 68). Voir également sur la contrariété de ces décrets par rapport au droit communautaire CJCE, 7 octobre 2004, Commission /France, AJDA 2005, p. 1066, note Gh. Alberton).

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Page 31: cours Fonction publique 2007 (blog)

alors une césure entre les agents publics suivant qu’ils édictent des actes d’autorité ou des actes de

gestion.

Les différences constatées ne conduisent pas à une division en supérieurs (qui commandent) et

subalternes (qui exécutent). Il y a, en effet, des fonctionnaires subalternes dont le rôle est de ne

faire que des actes d’autorité : un garde champêtre, par exemple. Il y a, en revanche, des supérieurs

dont le rôle est de ne faire que des actes d’exécution, comme un ingénieur en chef.

L’utilisation de la dichotomie autorité/gestion conduit Berthélemy à opposer les

fonctionnaires sur la base d’un critère qui n’est pas sans rappeler le droit européen, celui de

la mise en œuvre de la puissance publique, de « la participation au pouvoir de comman-

der ».

On ne peut que constater que le droit européen s’inscrit dans la même logique. D’ailleurs

Nézard considérait dans sa thèse que « la puissance publique ne peut être exercée que par des

nationaux ; ce principe ne s’applique pas du tout cependant aux fonctions de gestion ».

B. La politisation des élites administratives9

On assiste à double phénomène : les élites administratives sont de plus en plus politisées

tandis que le personnel politique est de plus en souvent issu de cette même élite

administrative.

1. La politisation de l’administration

L’interpénétration des pouvoirs politico-administratifs est un trait caractéristique de

l’actuel régime politique français. Ces rapports de proximité intéressent essentiellement

les rapports entre les élites administratives et les hauts responsables politiques .

L’essentiel de l’administration française n’entretient pas, en effet, de rapport avec la

politique. En revanche, pour les fonctionnaires qui ont appartenu à un cabinet ministériel,

l’engagement dans une carrière politique apparaît comme le prolongement naturel d’un

apprentissage de la politique à haut niveau. La question n’est plus alors celle de la

politisation de l’administration mais celle de la fonctionnarisation de la politique.

Avant la cinquième République, les sphères administratives et politiques étaient

relativement imperméables. Depuis la fin des années 1870, l’exécutif est perçu comme un

auxiliaire du parlement.

9 P. JAN, La symbiose contemporaine entre élites administratives et politiques, CFP mars 2006, p. 5.

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Page 32: cours Fonction publique 2007 (blog)

La mise en place de nouvelles institutions en 1958 bouleverse radicalement cette

situation. La restauration de l’Etat passe la restauration d’une administration

subordonnée. Ce nouvel état d’esprit se traduit progressivement par une politisation

accrue des emplois supérieurs de l’Etat et des activités administratives. Les alternances

politiques ouvrent d’ailleurs des périodes propices à une « reprise en main » des leviers de

commande de l’État. Cette politisation apparaîtra au grand jour lors de la première alternance

et de la première cohabitation. Cette politisation offre aux gouvernants les moyens de

s’assurer de la loyauté des fonctionnaires d’autorité placés à des postes stratégiques dans

l’exécution des politiques gouvernementales. La politisation permet également aux

fonctionnaires d’intégrer les cabinets ministériels et d’espérer de la sorte donner un sérieux

coup d’accélérateur à leur carrière. Dans le premier cas, la politisation intéresse les emplois,

dans le second, la politisation à l’activité administrative elle-même.

a. La politisation des emplois supérieurs de l’État

La politisation des emplois emprunte deux formes . La première est stratégique. Il s’agit

pour le pouvoir exécutif de placer à la tête des emplois administratifs stratégiques (directeurs

d’administration centrale ; préfets, recteurs...) des hommes et des femmes qualifiés

partageant leurs objectifs politiques et réputés fiables pour promouvoir et défendre leurs

entreprises. La fidélité politique entre évidemment en jeu mais ce n’est pas le critère exclusif. La

politisation partisane ou de « revanche » (D. Lochak) conduit, en revanche, à l’éviction des

fonctionnaires placés par l’équipe exécutive précédente, surtout à la suite d’une alternance.

L’aspect politique est davantage marqué. Au plan national, la banalisation des alternances

politiques régulières et la nécessité pour l’Etat de disposer de managers de haut niveau

relèguent cette forme de politisation au second plan. Cette politisation partisane est, en

revanche, plus vivace au niveau local.

L’emprise du politique sur l’administration se manifeste notamment par les nominations au

tour extérieur. Après quelques abus, il a été décidé de ne plus pourvoir qu’un cinquième

des emplois vacants de la sorte. En outre, la décision du politique est soumise obligatoirement à

l’avis d’une commission compétente publié au Journal officiel conjointement à la décision de

nomination. Cet avis public représente une garantie de la compétence des personnes nommées.

Les emplois à la discrétion du Gouvernement constituent une autre voie de politisation

administrative. Toutes les alternances politiques se concluent donc par un mouvement

important sur ces emplois (2/3 des préfets et des recteurs...).

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Page 33: cours Fonction publique 2007 (blog)

Ce système des dépouilles à la française est la conséquence directe d’une politisation

importante mais acceptée des emplois stratégiques. Il emporte des conséquences pratiques

comme la mise au placard des élites administratives temporairement « mal pensantes ».

b. La politisation accrue des activités administratives

L’accroissement de la politisation des activités administratives se traduit par l’inflation des

effectifs des cabinets ministériels et surtout par leur omnipotence.

Les cabinets sont pléthoriques. Ils sont composés de personnes souvent peu expérimentées, ce

qui ne les empêche pas de s’imposer face aux directions, pourtant plus expertes des

problématiques du ministère concerné. Le cabinet maîtrise notamment les nominations des

cadres supérieurs du ministère et des directeurs des établissements publics sous tutelle, ce qui

accroît la politisation. Les administrateurs sont démotivés car systématiquement coiffés par le

cabinet qui a toujours le dernier mot, d’où aussi un renforcement du sentiment d’impuissance et

de subordination excessive.

Mais le ministre français occupe un siège éjectable. Il se doit de constituer autour de lui une

force de frappe supplantant le pouvoir de l’administration, toujours suspectée de lenteur, de

corporatisme, de résistance même. Aussi, les directeurs dont la nomination échappe aux ministres

sont bardés de conseillers techniques. Le temps politique est plus bref que le temps administratif.

La construction d’un projet politique pensé, réfléchi et porté par l’administration cède devant les

nécessités de l’urgence des résultats et des effets d’annonce.

Le passage en cabinet ouvre la porte à des grands corps de l’État. Il constitue aussi une étape

décisive dans la formation politique du fonctionnaire qui est alors tenté par la conquête du pouvoir

politique.

2. L’"élitisation" administrative du pouvoir politique

On observe une spectaculaire fonctionnarisation de la politique ou, plus exactement, une

"élitisation" administrative du pouvoir politique national.

Une grande partie des personnels de la fonction publique qui accède à des postes de

responsabilités politiques nationales est issue de ses cadres supérieurs (administrateurs

civils et enseignants notamment) ou des grands corps de l’État (Inspection des finances, Conseil

d’État, Cour des comptes). Sur les dix-sept premiers ministres que la France a connus

depuis 1958, quatorze sont issus de la fonction publique. En moyenne, plus de la moitié des

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Page 34: cours Fonction publique 2007 (blog)

membres de chaque gouvernement sont des fonctionnaires, le maximum étant atteint par le

deuxième gouvernement de Lionel Jospin avec 100 % de ministres issus de la fonction

publique. Autrefois domaine des professions libérales, principalement avocats et médecins,

les fonctions électives ou ministérielles sont désormais majoritairement détenues par les

fonctionnaires10.

La Ve République n’a pourtant pas innové dans la haute fonctionnarisation du personnel

politique de haut niveau. Cependant, plus les affaires de l’État se complexifient, plus la

compétence administrative est sollicitée.

Les présidents français sont issus de l’élite administrative civile (Pompidou, Giscard

d’Estaing, Chirac) et militaire (général De Gaulle). Seuls François Mitterrand et Nicolas

Sarkozy sont issus du barreau. Pour ne prendre que les Etats-Unis, aucun président depuis

1945 n’est issu de la haute fonction publique.

Même l’Assemblée nationale est devenue un lieu de pouvoir apprécié des fonctionnaires.

La figure du député-fonctionnaire est une réalité. 40 % des députés sont des fonctionnaires

et 18 % des enseignants. En moyenne depuis 1958, un député sur trois est issu de la

fonction publique, les hauts fonctionnaires représentant 11 %. C’est 5 fois plus qu’au

Canada, qu’aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. Même l’Allemagne qui connaît

pourtant une forte fonctionnarisation de son personnel politique n’accorde pas une telle

place à son élite administrative (7 %). Cette représentativité d’une catégorie sociale n’est

donc pas un phénomène propre à la France, même s’il est particulièrement accentué.

10 Cet état de fait est régulièrement dénoncé. Dans son ouvrage Le Nœud gordien, Georges Pompidou avait pointé du doigt la fragilité de notre système politique : « La République ne doit pas être la République des ingénieurs, des technocrates, ni même des savants . Je soutiendrais qu’exiger des dirigeants du pays qu’ils sortent de l’ENA ou de Polytechnique est une attitude réactionnaire qui correspond exactement à l’attitude du pouvoir royal à la fin de l’Ancien régime... La République doit être celle des "politiques" au vrai sens du terme, de ceux pour qui les problèmes humains l’emportent sur tous les autres, ceux qui ont de ces problèmes une connaissance concrète, née du contact avec les hommes, non d’une analyse pseudo-scientifique de l’homme... ».

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Leçon n° 3 : L’agent public

La présentation des agents publics pose un double problème de délimitation. Il convient, en

effet, en premier lieu, d’identifier l’agent public, c’est-à-dire de le distinguer du salarié de

droit privé.

Mais il importe également, en second lieu, de distinguer au sein des agents de

l’administration soumis au droit public entre différentes catégories, la principale d’entre

elles étant celle des fonctionnaires.

I. L’identification de l’agent public

En l’absence de définition législative, c’est au juge qu’est revenue la charge de

définir l’agent public. Les critères jurisprudentiels sont cependant parfois neutralisés par le

législateur.

Il convient également d’évoquer les incidences éventuelles d’un changement de mode

de gestion d’un service public sur son personnel.

A. Les critères jurisprudentiels

Les critères de définition de l’agent public sont au nombre de deux et sont cumulatifs.

L’un est organique, l’autre est matériel.

Un agent public doit en principe être employé par une personne publique. C’est

l’élément organique de la définition (A). Il importe ensuite de prendre en considération

la nature de l’activité gérée par la personne publique employeur : SPA ou SPIC. C’est

l’élément matériel de la définition. Si elle gère un SPA, tous ses agents sont des agents

publics. S’il s’agit d’une personne publique gérant un SPIC, seul le directeur du

service (et le comptable s’il a la qualité de comptable public) est un agent public (B).

1. L’élément organique : l’emploi par une personne publique

Seule une personne publique peut employer un agent public.

CE, 19 juin 1996, Syndicat général CGT des personnels des affaires culturelles (RFDA 1996, p.

850) : « Considérant que l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN)

régie par la loi du 1er juillet 1901, est une personne morale de droit privé ; qu’il suit de là

qu’alors même qu’elle concourt à l’exécution d’un service public de l’État, et quelles que

soient ses modalités de fonctionnement et de financement, les rapports entre elles et les agents

qu’elle recrute pour son compte ne peuvent être que des rapports de droit privé ».

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Page 37: cours Fonction publique 2007 (blog)

De façon assez paradoxale, une telle solution vaut également dans l’hypothèse où le

fonctionnaire est mis à disposition d’une personne privée (alors même que la mise à

disposition est une variante de la position d’activité puisque le fonctionnaire est réputé

occuper son emploi)11.

Le critère organique est le plus souvent très aisé à mettre en œuvre. La qualité de personne

publique de l’employeur est, en effet, généralement facile à établir. I l suffit ensuite de

vérifier l’existence d’un lien de travail entre l’agent et cette personne publique. Il

arrive toutefois que la qualification de personne publique ne soit pas évidente.

Il arrive ainsi qu’une personne publique use de stratagèmes, notamment afin de

bénéficier de montages contractuels de droit privé auxquels elle ne peut prétendre. Tel

était le cas de l’État lorsqu’il a cherché à bénéficier des contrats emploi-solidarité alors

même que le code du travail le lui interdisait expressément . Il a pour cela utilisé les

services d’associations (donc de personnes morales de droit privé) qu’il chargeait de

recruter des personnels sur la base d’un tel contrat. Ces associations n’étaient ainsi que

l’employeur apparent de ces personnes dans la mesure où ces dernières étaient en fait

affectées dans les services de l’État et où celui-ci versait à l’association une somme

correspondant à leur rémunération. Cette pratique permettait de bénéficier d’une main

d’œuvre à bon marché (dans la mesure où ces contrats étaient fortement aidés). Le juge

administratif a admis la possibilité de requalifier de tels contrats s’il s’avérait que le

véritable employeur n’était pas l’association mais l’État12.

2. L’élément matériel : le service public

11 TC, 10 mars 1997, Préfet de la région Alsace (Rec. p. 526) : « nonobstant le fait que Mme Foesser ait, dans la situation de mise à disposition, continué à dépendre de la communauté urbaine de Strasbourg et à percevoir son traitement de fonctionnaire territorial, le contrat qui l’unissait au centre européen de développement régional [association à but non lucratif exerçant une mission d’intérêt général] est un contrat de droit privé ».12 Le Conseil d’État a précisé qu’il convenait pour cela d’utiliser la technique dite du « faisceau d’indices » afin de déterminer si l’État pouvait être désigné comme l’employeur : « Ces indices pourront être trouvés dans les conditions d’exécution du contrat : affectation exclusive et permanente dans un service de l’État, tâches confiées relevant des missions habituelles du service... Ils pourront également être recherchés dans l’existence ou non d’un lien de subordination vis-à-vis du chef de service concerné : responsabilité et surveillance de ce chef de service ; directives, conditions et horaires de travail imposés par ce dernier. Ils pourront provenir, le cas échéant, de l’examen des conditions dans lesquelles l’État a dédommagé l’employeur apparent pour les salaires qu’il a versé à la personne recrutée sous la forme d’un contrat emploi-solidarité » (CE, Avis, 16 mai 2001, Joly et Padroza, AJFP 4-2001, p. 1). Étaient en cause dans cet avis les contrats passés par deux personnes avec un centre de formation professionnelle, structure associative, alors même qu’elles étaient affectées dans les services de la préfecture de la Haute-Garonne. Comme l’a souligné Pascale Fombeur dans ses conclusions sur cet avis, il s’agit alors d’ « un montage qui vise délibérément à contourner la loi ».

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Une personne publique ne peut employer des agents publics que si elle assure une

mission de service public. Si tel n’est pas le cas, ses agents sont des agents de droit

privé13. Ce cas de figure n’est toutefois pas très fréquent dans la mesure où la

jurisprudence retient une conception très large de la notion de service public.

La proportion d’agents publics employés par une personne publique varie considérablement

selon qu’elle gère un SPA ou un SPIC14.

Les agents des SPA

La jurisprudence a longtemps été source d’incertitudes.

Dans un premier temps, elle a semblé mêler plusieurs critères. Elle prenait en

particulier en considération la nature de l’emploi, la durée et les conditions de

l’engagement de l’agent. Concluant sur l’arrêt Affortit et Vingtain, le commissaire du

gouvernement Chardeau déclarait en 1954 que « la qualité d’agent de droit public ou de

droit privé est déterminée en fonction de la nature des clauses du contrat, sauf si

l’agent, en raison de l’importance des fonctions qui lui sont confiées, apparaît

nécessairement attaché au service par un lien de droit public ».

Cette jurisprudence ayant abouti à des distinctions « byzantines », le Conseil d’Etat a

opté, dans un deuxième temps, pour un critère apparemment moins complexe. La nature

publique ou privée de la situation juridique de l’agent varie suivant que l’agent en cause

participe directement ou pas à l’exécution du SPA.

Cependant, à l’usage, ce critère s’est révélé incapable de simplifier l’état du droit. Il a ainsi

donné lieu à des solutions difficilement compatibles entre elles. Le Tribunal des conflits a

ainsi jugé en 1982, à propos d’une serveuse dans un restaurant universitaire, « que la nature

de son emploi ne la faisait pas participer directement à l’exécution du service public dont le

CROUS a la charge »15. Quatre ans plus tard, le Conseil d’État a estimé, à propos d’une aide-

13 TC, 18 juin 2001, Lelaidier : « lorsqu’une personne publique gère son domaine forestier à seule fin de procéder à la vente de bois abattu et façonné, elle accomplit une activité de gestion de son domaine privé, qui n’est pas, par elle-même, constitutive d’une mission de service public ; que les agents recrutés par cette personne publique pour participer à l’exécution d’une telle activité sont par suite, et à défaut de texte législatif en disposant autrement, soumis à un régime juridique de droit privé ».14 Cette dichotomie est exhaustive et exclusive. Autrement dit, tout service public est soit un SPA, soit un SPIC. La jurisprudence exige depuis 1956 (CE, Ass., 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques, D. 1956, p.759) la réunion de trois éléments cumulatifs pour qu’un service public soit qualifié de SPIC. L’objet du service, ses modalités de financement et enfin ses modalités de fonctionnement doivent être les mêmes que ceux d’un industriel ou d’un commerçant ordinaire. Si ces trois conditions ne sont pas remplies, le service public est alors un SPA sauf à ce que le législateur en décide autrement, une telle qualification législative s’imposant au juge.15 TC, 19 avril 1982, Dame Robert / CROUS de Rennes (Rec. p. 561).

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cuisinière d’une cantine scolaire, que ces fonctions « faisaient participer cet agent

contractuel à l’exécution même du service public de la cantine scolaire et lui conférait donc la

qualité d’agent public »16.

Pire, cette jurisprudence engendrait, à son tour, des distinctions byzantines ! Les arrêts Dame

veuve Mazerand (TC, 25 novembre 1963, Rec. p. 792) et Bungener (TC, 29 juin 1987, Rec. p.

451) fournissent des exemples éclatants.

Dans l’affaire Mme Mazerand, la requérante a successivement été employée comme

femme de service chargée du nettoyage des locaux scolaires ainsi que, pendant l’hiver, de

l’allumage et de l’entretien des appareils de chauffage de l’école » avant d’être chargée

de la garderie. Il a donc fallu scinder le litige l’opposant à son ancien employeur, le juge

judiciaire étant compétent pour la première période et le juge administratif pour la seconde.

Dans l’affaire Bungener, le requérant donnait des cours de français et de calcul au personnel

paramédical et au personnel de ménage. Les enseignements dispensés au personnel paramédical

le faisaient participer directement au service public de la formation du personnel paramédical

prévu par la loi alors que ceux d’alphabétisation dispensés au seul personnel de ménage ne le

faisaient pas participer directement au fonctionnement du service public hospitalier.

Une telle situation était d’autant plus critiquable qu’elle touchait des agents aux revenus

modestes, le « petit personnel d’exécution » pour reprendre l’expression de Chardeau.

Cette solution a fait l’objet au début des années 1990 de deux aménagements permettant

de limiter la survenance des hypothèses les plus choquantes :

- tout d’abord, le Tribunal des conflits a considéré que lorsqu’un agent a

successivement été chargé de tâches différentes il convient de se référer, afin

de déterminer le juge compétent pour apprécier les conséquences d’une rupture

de son lien d’emploi, « aux fonctions qu’exerçait l’intéressée au cours de la

période précédant immédiatement le licenciement ».

- ensuite, il a jugé que lorsque des fonctions temporaires s’ajoutent aux fonctions

primitives de l’agent cela n’a pas pour effet de modifier sa situation juridique et

que dès lors c’est le juge compétent à propos des fonctions initiales qui l’est

aussi au sujet des litiges relatifs aux fonctions temporaires.

Le juge a fini par abandonner, en 1996, la jurisprudence Affortit et Vingtain. L’arrêt

Berkani marque ainsi le troisième et dernier temps de sa jurisprudence. Il résulte de cet

16 CE, 10 décembre 1986, Mlle Rousseau, Rec. p. 278.

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Page 40: cours Fonction publique 2007 (blog)

arrêt que « les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un service public

à caractère administratif sont des agents contractuels de droit public quel que soit leur

emploi ». Si la simplification opérée pare cette décision doit être saluée, la rédaction de ce

considérant de principe est critiquable. Le Tribunal des conflits omet, en effet, de préciser

que le service public administratif doit être géré par une per sonne publique. La

rectification a été effectuée par le Conseil d’Etat dans un arrêt Commune de Cereste : « les

agents contractuels d’une personne publique affectés à un service public à caractère

administratif sont des agents contractuels de droit public quel que soit leur emploi » (CE,

26 juin 1996, Rec. p. 246).

Les agents des SPIC

Le juge administratif ne peut être saisi des litiges d’ordre individuel opposant l’agent

d’une personne publique gérant un SPIC à son employeur « à l’exception de celui des-

dits agents qui est chargé de la direction de l’ensemble des services de l’établissement,

ainsi que du chef de la comptabilité lorsque celui-ci possède la qualité de comptable

public » (CE, Sect., 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, Rec. p. 157).

La jurisprudence initiée par l’arrêt De Robert Lafrégeyre en 1923 a vu son champ

d’application se réduire, puisqu’on est passé des agents exerçant des fonctions de

direction, à l’agent chargé de la direction de l’ensemble des services de l’établissement

(et éventuellement le comptable).

Selon René Chapus, une formule applicable à l’ensemble de « l’état-major » de

l’établissement, à ceux qui sont « à sa tête », « serait mieux adaptée à la réalité des

entreprises publiques et à la préoccupation d’intérêt général dont procède la

détermination des agents placés dans une situation de droit public ». Une telle analyse

correspond à la rédaction de jugements et arrêts plus ou moins récents. Il semble toutefois

que le critère de l’équipe dirigeante est certes « attrayant mais complexe » alors que

celui du plus haut emploi retenu par le juge est peut-être « brutal » mais il est « simple

et clair » (A. de Laubadère).

Cas particuliers. On peut estimer que la jurisprudence Affortit et Vingtain n’est pas

entièrement obsolète s’agissant des agents employés par une personne publique exerçant à la

fois une mission de SPA et de SPIC, tels par exemple les établissements publics à « double

visage ». En effet, pour déterminer à propos d’un agent s’il agit d’un agent public ou d’un

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Page 41: cours Fonction publique 2007 (blog)

salarié de droit privé il convient que le juge s’interroge sur ses fonctions, qu’il vérifie qu’il

participe ou pas à la mission de SPA ou à celle de SPIC.

B. La neutralisation des critères jurisprudentiels par le législateur

Il arrive qu’une loi prescrive, de façon redondante, l’application des critères

jurisprudentiels (tel a notamment été le cas à propos des adjoints de sécurité, inutilement

qualifiés de contractuels de droit public).

L’intervention du législateur sert toutefois plus fréquemment à écarter les critères

jurisprudentiels. Elle peut être soit directe (en qualifiant expressément les agents en cause),

soit indirecte en qualifiant leur employeur (spécialement dans l’hypothèse d’un établissement

public « à visage inversé » à propos duquel le législateur affirme qu’il gère un SPIC alors

même qu’il gère un SPA).

Ces tempéraments ne peuvent être que le fait du législateur et non du pouvoir réglementaire

dans la mesure où la répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions relève du

domaine de la loi.

La reconnaissance de la qualité d’agent public

Le législateur a choisi de maintenir le statut de fonctionnaire au personnel de l’Imprimerie

nationale ou encore de La Poste en dépit de leur transformation respectivement en une société

privée et en un exploitant public (EPIC).

Le cas de France Télécom est également très intéressant. Il s’agit, en effet, aujourd’hui

d’une personne privée qui n’a plus pour objet essentiel l’exécution de missions de

service public et qui est, désormais, du point de vue de ses missions, une entreprise

commerciale presque comme les autres. Pour autant, les fonctionnaires de France

Télécom (106 000 au 31 décembre 2002, étant précisé que l’entreprise ne peut plus en

recruter depuis le 1er janvier 2002) conservent cette qualité.

Saisi dans le cadre de sa compétence administrative, le Conseil d’État a dégagé un principe

constitutionnel « selon lequel des corps de fonctionnaires de l’État ne peuvent être

constitués et maintenus qu’en vue de pourvoir à l’exécution de missions de service

public » (Ass. générale, 18 novembre 1993). Selon cet avis, « ce principe ferait obstacle à

ce que des corps de fonctionnaires de l’État puissent se trouver placés auprès

d’organismes dont l’objet essentiel ne serait pas d’assurer l’exécution de telles missions ».

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Saisi de la question de la constitutionnalité de la loi du 31 décembre 2003, le Conseil d’État a

considéré que le dispositif prévu était conforme à la Constitution dans la mesure où la situation

était purement transitoire (les corps de fonctionnaires de France Télécom sont en extinction) et

serait réévaluée d’ici quinze ans, en 2019.

L’exclusion de la qualité d’agent public

La négation de la qualité d’agent public est fréquemment défavorable aux intérêts des

salariés. L’objectif du législateur est généralement d’assurer une certaine souplesse dans

la gestion de personnels en phase d’insertion ou de réinsertion professionnelle et

bénéficiant pour ce faire d’emplois aidés ou subventionnés. Tel a été le cas des

contrats emploi-solidarité. Ces contrats « sont des contrats de travail de droit privé à

durée déterminée » alors même que l’employeur peut parfaitement être une personne

publique (sauf l’État) gérant un SPA.

De la même manière, les contrats emplois-jeunes qui peuvent être conclus sous

conditions par les personnes publiques (sauf l’Etat) sont eux aussi des contrats de droit

privé.

Négation de la qualité d’agent public et emplois pérennes. Il arrive que d’autres

hypothèses de qualification soient nettement moins défavorables pour les agents que

celles ci-dessus évoquées. Tel est le cas d’une partie du personnel des caisses nationales

de l’assurance maladie, des allocations familiales, d’assurance vieillesse, et de l’agence

centrale des organismes de sécurité sociale alors même qu’il s’agit d’établissements

publics à caractère administratif. Mérite également mention, tant sa situation est particulière,

la Banque de France. Mais existe de longue date une curieuse distorsion entre la compétence

juridictionnelle et le fond, le juge administratif étant compétent pour connaître des litiges

d’ordre interne à la Banque depuis 1806 mais appliquant à la résolution des litiges l’opposant à

son personnel les règles du droit du travail.

C. L’incidence de la reprise d’activité sur le statut du personnel

1. La reprise sous la forme d’un SPIC

C’est l’hypothèse la plus classique et la moins problématique. Les agents de la personne

privée gérant initialement le service étaient liés à elle par des contrats de droit privé et

continueront à l’être avec leur nouvel employeur.

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TC, 15 mars 1999, Faulcon / Commune de Châtellerault (Dr. Soc. 1999, p. 673) : « La

commune de Châtellerault, qui a repris en régie directe l’exploitation des abattoirs municipaux

antérieurement affermés à une société, doit, pour la poursuite de l’exploitation du même

service public industriel et commercial être considérée comme un nouvel employeur au sens

de l’article L. 122-12 du code du travail, tenu en conséquence de respecter les contrats de travail

en cours ».

Le principe de la reprise de l’agent vaut également pour le directeur du service.

Cependant, compte tenu « des prérogatives dont dispose une personne publique à l’égard

des services publics placés sous son autorité, le maintien de l’intéressé à ce poste de

responsabilité requiert la mise en œuvre d’un régime de droit public » (Faulcon /

Commune de Châtellerault). Dès lors, la personne publique qui reprend l’activité peut

soit confirmer le directeur dans ses fonctions par un contrat de droit public, soit le licencier

(et ce licenciement sera soumis aux règles du droit du travail puisqu’il n’aura pas acquis la

qualité d’agent public).

2. La reprise sous la forme d’un SPA

Classiquement, la jurisprudence estimait que l’article L. 122-12 n’était pas applicable à une

telle situation. La jurisprudence exigeait en effet, depuis le début des années quatre-vingt dix, la

réunion de deux conditions : le transfert d’une entité économique autonome et le maintien de

l’identité de l’entité transférée. La conséquence logique de la seconde de ces conditions était donc

que l’article L 122-12 n’était pas applicable à la reprise d’une entité économique par un

service public administratif.

Dans un arrêt Mayeur du 26 septembre 2000, la Cour de justice a jugé que la directive 77/187

n’exclut pas de son « champ d’application le transfert d’une activité économique d’une

personne morale de droit privé à une personne morale de droit public, en raison du seul fait que

le cessionnaire de l’activité est un organisme de droit public ». La personne publique est donc

tenue de reprendre les salariés de droit privé en toutes circonstances.

Les juridictions françaises se sont, l’une après l’autre, alignées sur cette solution 17.

17 Le Tribunal des conflits indique clairement que les dispositions de l’article L. 122-12 « n’ont pas pour effet de transformer la nature juridique des contrats de travail en cause, qui demeurent des contrats de droit privé tant que le nouvel employeur public n’a pas placé les salariés dans un régime de droit public » (TC, 19 janvier 2004, Devun e. a. / Commune de Saint-Chamond). La Cour de cassation a jugé « que la seule circonstance que le cessionnaire soit un établissement public à caractère administratif lié à son personnel par des rapports de droit public ne peut suffire à caractériser une modification dans l’identité de l’entité économique transférée ». En conséquence, l’article L. 122-12 trouve à s’appliquer dans cette hypothèse (Cass. soc., 25 juin 2002, AGS de Paris / Hamon).

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Le Conseil d’Etat a ensuite jugé, dans son arrêt Lamblin (CE, Sect., 22 octobre 2004), que

« lorsque l’activité d’une entité économique employant des salariés de droit privé est reprise

par une personne publique gérant un service public administratif, il appartient à cette

dernière, […] soit de maintenir le contrat de droit privé des intéressés, soit de leur proposer

un contrat de droit public reprenant les clauses substantielles de leur ancien contrat dans la

mesure [...] où des dispositions législatives ou réglementaires n’y font pas obstacle [et] que,

dans cette dernière hypothèse, le refus des salariés d’accepter les modifications qui

résulteraient de cette proposition implique leur licenciement par la personne publique, aux

conditions prévues par le droit du travail et leur ancien contrat ».

Il appartient donc à la personne publique soit de maintenir le contrat de droit privé

des intéressés, soit de leur proposer un contrat de droit public reprenant les clauses

substantielles de leur ancien contrat dans la mesure où des dispositions législatives ou

réglementaires n’y font pas obstacle18. L’effet simplificateur de la jurisprudence

Berkani s’en trouvait ainsi contrarié. En dépit de son apparente simplicité, cette solution posait

des difficultés pratiques considérables. En particulier, la collectivité publique est-elle tenue de leur

conserver tous les avantages dont ils bénéficiaient dans leur situation antérieure ? Qu’en est-il lorsque

les règles du droit public ne permettent pas de maintenir ces avantages, notamment le montant de leur

rémunération ?

La loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à

la fonction publique est venue écarter la jurisprudence Lamblin en précisant qu’il

appartient en principe à la personne publique de proposer aux agents un contrat de

droit public substantiellement équivalant à leur précédent contrat de travail. En cas de

refus de cette proposition, la personne publique procède au licenciement des agents en

application des règles du droit du travail19.

18 CE, Sect., 22 octobre 2004, Lamblin (RFDA 2005, p. 187, concl. E. Glaser).19 L’article 20 de cette loi dispose que « Lorsque l’activité d’une entité économique employant des salariés de droit privé est, par le transfert de cette activité, reprise par une personne publique dans le cadre d’un service public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit public à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titu laires . Sauf disposition législative ou réglementaire ou conditions générales de rémunération et d’emploi des agents non titulaires de la personne publique contraires, le contrat qu’elle propose reprend les clauses substantielles du contrat dont les salariés sont titulaires, en par ticulière celles qui concernent la rémunération .En cas de refus des salariés d’accepter les modifications de leur contrat, la personne publi que procède à leur licenciement, dans les conditions prévues par le droit du travail et par leur contrat ».

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Page 45: cours Fonction publique 2007 (blog)

La loi n’oblige par conséquent la personne publique qu’à proposer un contrat de travail

éventuellement à durée indéterminée si les salariés concernés disposaient d’un tel contrat. Le

maintien de la rémunération ou des autres avantages résultant du contrat et du statut

antérieurs n’est dû, en revanche, que si les dispositions législatives ou réglementaires, voire

les conditions générales de rémunération et d’emploi de la personne publique d’accueil ne s’y

opposent pas.

Le décret du 12 mars 2007 autorise, quant à lui, la prise en compte des services antérieurs

effectués au sein du précédent employeur, ce dernier étant le plus souvent une association ou

une entreprise. La durée des services effectués chez la personne privée, dont l’activité a été

reprise par une personne publique, comptera comme autant de services publics effectifs

accomplis auprès de l’employeur public. Cette prise en compte des services antérieurs était de

toute façon exigée par le droit communautaire20.

La question de l’application de l’article L. 122-12 est aujourd’hui d’actualité en raison

de la nécessité d’organiser le transfert des personnels des aérodromes jusque-là gérés

par les CCI. En effet, jusqu’à présent, nombre d’aérodromes (150) étaient gérés par des CCI

auxquelles l’État avait concédé l’exploitation commerciale. Mais la loi du 13 août 2004 opère

un transfert aux collectivités territoriales de la gestion et de la propriété des aérodromes

appartenant à l’État.

L’une des questions est de savoir quel sera l’avenir des personnels de ces aérodromes

employés jusqu’alors par les CCI. Or, la difficulté tient à ce que la loi du 13 août 2004

n’apporte aucune solution21.

II. La catégorisation des agents publics

20 CJCE, 11 novembre 2004, aff. C-425/02, Delahaye.

21 Trois grandes catégories de personnels travaillant à l’aéroport peuvent être identifiées : le personnel de la CCI bénéficiant du statut des personnels administratifs des CCI ; les personnes bénéficiant de l’extension du statut ; les salariés soumis au droit commun du travail. Malgré la fin de la concession, les personnels administratifs consulaires conservent le même employeur (la CCI) qui doit les réaffecter à d’autres emplois et missions ou éventuellement les placer en détachement ou les mettre à disposition. Cependant, les emplois seront vraisemblablement supprimés si la CCI ne conserve pas à terme l’exploitation de l’aérodrome car elle n’aura probablement pas d’autres emplois à proposer à ses agents. Les personnels bénéficiant de l’extension du statut sont des agents de droit privé dont le contentieux relève des juridictions judiciaires. Par conséquent, l’application à leur égard de l’article L. 122-12 du Code du travail ne devrait pas poser de difficulté. Les salariés soumis au droit commun du travail et affectés à des missions de service public industriel et commercial bénéficieront également de l’article L. 122-12 du Code du travail. Par conséquent, les contrats de travail devraient être transférés à l’État, dans un premier temps, puis à la collectivité territoriale ou au groupement qui assurera la gestion de l’aérodrome dans lequel ces agents travaillaient.

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Page 46: cours Fonction publique 2007 (blog)

Les agents publics se trouvent dans des situations très variées bien qu’ils soient tous soumis à

un régime de droit public et que les litiges qui les opposent à leur employeur relèvent de la

compétence du juge administratif.

Le droit de la fonction publique distingue nettement deux grandes catégories d’agents

publics : les fonctionnaires ou agents publics titulaires, d’une part, et les agents publics

non titulaires, d’autre part.

Un agent public est en principe un fonctionnaire. L’article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant

droits et obligations des fonctionnaires dispose que « sauf dérogation prévue par une

disposition législative, les emplois civils permanents de l’État, des régions, des

départements, des communes et de leurs établissements publics à caractère administratif sont, à

l’exception de ceux réservés aux magistrats de l’ordre judiciaire et aux fonctionnaires des

assemblées parlementaires, occupés soit par des fonctionnaires régis par le présent titre, soit

par des fonctionnaires des assemblées parlementaires, des magistrats de l’ordre judiciaire ou

des militaires dans les conditions prévues par leur statut ». Cette disposition pose ainsi un

principe de valeur législative d’occupation des emplois civils permanents de

l’administration par des fonctionnaires. L’agent non titulaire ne peut donc théoriquement être

recruté que de manière exceptionnelle. Pourtant, cette exception est devenue, en pratique, très

courante. On estime qu’environ 12 % des agents publics ne sont pas des fonctionnaires.

Marcel Piquemal a pu dire des non-titulaires qu’ils « sont les mal aimés et les mal nommés de

la fonction publique. Mal aimés parce que sous-estimés de l’administration et admis avec

difficulté par les organisations professionnelles. Mal nommés parce que définis de manière

négative par rapport à une situation de référence dont on leur refuse l’accès ».

A. L’agent public titulaire : le fonctionnaire

1. La notion de fonctionnaire

La définition du fonctionnaire se déduit de l’article 2 de la loi du 11 janvier 1984 portant

dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État. Cet article dispose en

effet que « le présent titre s’applique aux personnes qui, régies par les dispositions du titre

Ier du statut général, ont été nommées dans un emploi permanent à temps complet et

titularisées dans un grade de la hiérarchie des admi nistrations centrales de l’État, des

services extérieurs en dépendant ou des établissements publics de l’État ». Cette

disposition pose trois éléments cumulatifs permettant de caractériser un fonctionnaire : le

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Page 47: cours Fonction publique 2007 (blog)

fonctionnaire est un agent nommé ; il occupe un emploi permanent ; il est titularisé

dans un grade de la hiérarchie administrative.

a. Les éléments de définition du fonctionnaire

La nomination. L’acte de nomination est, d’un point de vue matériel, un acte-condition. Cet

acte attribue à un individu déterminé une situation juridique légale et réglementaire. D’un

point de vue formel, l’acte de nomination est un « acte unilatéral soumis à une condition

résolutoire ». L’acte de nomination entre, en effet, en vigueur et crée des droits au profit

de son destinataire dès sa signature22. Pour autant, cette nomination ne vaut que si son

destinataire l’accepte. S’il la refuse, l’administration est tenue de retirer l’acte de

nomination qui sera ainsi réputé n’être jamais intervenu.

L’occupation d’un emploi permanent. L’expression "emploi permanent" signifie non

seulement que l’emploi doit être permanent mais aussi qu’il doit être occupé à titre

permanent. Les agents occupant un emploi non permanent (les journaliers par exemple)

et ceux occupant un emploi permanent de manière non permanente (à l’instar d’un

intérimaire ou d’un vacataire) ne remplissent pas cette condition nécessaire pour être

qualifié de fonctionnaire.

La permanence de l’occupation de l’emploi ne va toutefois pas jusqu’à exclure la

possibilité pour un fonctionnaire de travailler à temps partiel dans chacune des

trois fonctions publiques23.

La titularisation dans un grade de la hiérarchie administrative. Le grade correspond au

« titre qui confère à son titulaire vocation à occuper l’un des emplois qui lui

correspondent ». L’appartenance à un corps de fonctionnaire est l’élément décisif de

distinction du fonctionnaire du simple agent public24. La titularisation dans un grade

permet au fonctionnaire, en cas de suppression de son emploi, d’être affecté dans un nouvel

emploi. A la différence du fonctionnaire, l’agent non titulaire doit, en pareil cas, trouver un

autre employeur.

22 Son retrait est donc impossible (sauf à ce qu’il ait été illégal) avant même qu’il ait été notifié (ou le cas échéant publié) et le fonctionnaire peut, dès sa nomination, occuper son nouvel emploi .23 Cependant, dans la fonction publique de l’État, les emplois permanents à temps complet sont en principe occupés par des fonctionnaires tandis que ceux à temps partiel devraient l’être par des agents contractuels.24 Le corps, ou le cadre d’emplois dans la fonction publique territoriale, est un ensemble comprenant un ou plusieurs grades ; groupant les fonctionnaires soumis au même statut particulier et ayant vocation aux mêmes grades, autrement dit à occuper les mêmes types d’emplois, à faire des carrières proches .

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b. La nature juridique de la situation du fonctionnaire

C’est le statut de Vichy qui a consacré la conception statutaire et réglementaire en des termes

solennels : « le fonctionnaire est soumis, dès son entrée dans les cadres, aux dispositions

législatives et réglementaires régissant la fonction publique. Les modifications ultérieures lui

sont applicables dès leur publication, sans que l’intéressé puisse se prévaloir de prétendus

droits acquis résultant des textes antérieurement en vigueur ». La loi du 19 octobre 1946 contient

une formule plus sobre mais équivalente que l’on retrouve aujourd’hui dans la loi du 13

juillet 1983 : « Le fonctionnaire est, vis-à-vis de l’administration, dans une situation statutaire et

réglementaire ».

Cette situation légale et réglementaire est la conséquence du fait que « la fonction publique

n’est pas un métier, une profession comme les autres. Des intérêts publics, supérieurs

aux intérêts privés, sont ici en cause (...) Le lien qui unit l’administration et le

fonctionnaire ne saurait donc être considéré comme un contrat librement et entièrement

débattu entre les parties et dont chaque clause peut être discutée et éventuellement

adaptée aux situations personnelles » (Y. Fagon).

Les conséquences de la situation légale et réglementaire des fonctionnaires.

Tout d’abord, les fonctionnaires ne peuvent invoquer aucun droit acquis au maintien de

leur statut. Le statut peut, en effet, être modifié à tout moment par le législateur et le

pouvoir réglementaire. D’un point de vue théorique, cette mutabilité peut très bien jouer en

défaveur des agents. Le débat politique et syndical sur la défense des prétendus droits

acquis de telle ou telle catégorie de fonctionnaires est ainsi juridiquement infondé.

Ensuite, ce caractère légal et réglementaire de la situation du fonctionnaire exclut que le

fonctionnaire puisse être uni à son employeur par un contrat.

Enfin, les accords collectifs passés entre l’administration et les représentants des agents sont

dépourvus de valeur juridique. Sur ce point, le décalage entre le droit et le fait est tout à fait

saisissant. En droit, ces accords n’ont aucune valeur. Cependant, en pratique, on voit mal, pour

des raisons politiques évidentes, un gouvernement signer un accord pour ensuite ne pas le

mettre en œuvre via des dispositions réglementaires ou le dépôt d’un projet de loi. En outre, un

débat est aujourd’hui lancé sur le fait de savoir s’il ne faudrait pas reconnaître, au moins

indirectement une valeur juridique à ces accords par exemple en instaurant une procédure

d’homologation des accords collectifs.

2. La récurrence des plans de résorption de l’emploi précaire

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Juridiquement, les agents publics non titulaires n’ont aucun droit à acquérir la qualité de

fonctionnaire, ils n’ont nullement vocation à être titularisés. Cependant, en pratique, cette

titularisation est courante. Cela n’est guère surprenant pour les fonctionnaires stagiaires, pour

lesquels le stage n’est qu’une période probatoire avant une prévisible titularisation. Les

stagiaires peuvent donc être présentées comme des fonctionnaires « en devenir »

(a). La titularisation est plus surprenante pour les autres agents non titulaires. Néanmoins, ils

font régulièrement l’objet de plans successifs de titularisation. Cela fait d’eux des

fonctionnaires « en puissance » (b).

a. Les fonctionnaires stagiaires, fonctionnaires « en devenir »

Notion de fonctionnaire stagiaire. Les fonctionnaires stagiaires sont les « personnes qui

ont satisfait à l’une des procédures de recrutement (...) et qui ont vocation à être

titularisées après la période probatoire ou la période de formation qui est exigée par le

statut particulier du corps dans lequel elles ont été recrutées ».

Il existe ainsi deux catégories de stagiaires : ceux, les plus nombreux, qui sont véritablement

nommés dans leur futur emploi permanent et doivent y faire leurs preuves et ceux qui suivent

une formation dans une école administrative durant toute la durée de leur stage.

Marcel Waline a justifié l’existence d’un stage en affirmant que « les parchemins délivrés après

les examens, de même que le succès à un concours prouvent seulement l’étendue des

connaissances théoriques ou livresques des candidats, non leur valeur humaine, leurs qualités

d’action ; c’est au pied du mur que l’on juge le maçon ».

Le stage est en principe obligatoire, même s’il existe des exceptions (professeurs

d’université par exemple, ou conseillers de TA et de CAA). Sa durée est normalement

d’un an. Le fonctionnaire stagiaire est en principe soumis aux textes particuliers qui lui sont

consacrés et à titre secondaire aux dispositions du statut de la fonction publique « dans

toute la mesure où les dispositions de ce statut sont conciliables avec la nature particulière

de la qualité de stagiaire ». Il n’existe en fait qu’une différence essentielle entre le titulaire et

le stagiaire. Ce dernier se trouve, en droit au moins, dans une situation de précarité alors que le

fonctionnaire bénéficie de la garantie de l’emploi.

La fin du stage. C’est lorsque le stage s’achève que la précarité de la situation du stagiaire

apparaît pleinement. Cette fin peut être anticipée ou intervenir au terme du délai prévu.

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Un licenciement est susceptible d’intervenir pour insuffisance professionnelle mais

uniquement si le stagiaire a accompli au moins la moitié de son stage. Le licenciement est aussi

possible pour inaptitude physique ou pour motifs disciplinaires. Tout licenciement en cours de

stage est en effet soumis à un contrôle normal. Il doit être motivé. En outre, l’agent a droit à la

communication de son dossier. C’est parce que le stagiaire ayant droit à accomplir l’intégralité

de la période probatoire prévue, que son licenciement anticipé est strictement encadré par le

juge administratif.

Le stagiaire non titularisé, et donc licencié en fin de stage, bénéficie en

comparaison d’une moindre protection. Le juge se limite à un contrôle de l’erreur

manifeste d’appréciation du licenciement pour insuffisance professionnelle. Le

licenciement n’a pas à être motivé et l’agent ne bénéficie pas de la communication de

son dossier25. Cette dissymétrie entre les garanties offertes à l’agent contre le

licenciement en cours de stage et l’éviction en fin de stage est révélatrice du fait que

si l’agent a le droit de faire ses preuves (et donc à mener son stage à son terme), il n’a

nul droit à la titularisation.

Le nombre de licenciements en fin de stage est aujourd’hui dérisoire, de l’ordre de

quelques dizaines par an. Cela résulte indéniablement de la frilosité de nombreux

employeurs publics qui n’assument pas leurs responsabilités. Dans ces conditions,

accroître la protection des stagiaires accentuerait encore ce phénomène et aurait

immanquablement pour effet de réduire encore davantage le nombre de refus de

titularisations.

b. Les autres agents publics non titulaires, fonctionnaires « en puissance »

Fréquence des plans de résorption de l’emploi précaire. A partir de la première guerre

mondiale, la croissance de cette « sous-fonction publique, ne bénéficiant ni des garanties

du statut des fonctionnaires, ni de celles du droit du travail, [a été] cause de malaises

et de constantes revendications syndicales » (R. Chapus). Les plans de titularisation se

sont succédés à partir du moment où le nombre d’agents non titulaires est devenu

suffisamment important pour s’organiser, constituer une sorte de fonction publique

parallèle et, finalement, de faire pression sur les pouvoirs publics.

25 CE, Sect., 3 décembre 2003, Syndicat intercommunal de restauration collective (à propos d’un « stagiaire de droit commun ») et CE, Sect., 3 décembre 2003, Mansuy (à propos d’une « stagiaire par détermination de la loi »).

50

Page 51: cours Fonction publique 2007 (blog)

Marcel Pochard considère ainsi que les non-titulaires « sont à l’extérieur de ce que l’on pourrait

qualifier de forteresse, sans autre avenir, pour une large partie d’entre eux, que d’entrer un jour

dans cette forteresse. Ce qui explique la revendication périodique des organisations syndicales

de titularisations exceptionnelles de ces non-titulaires […]. Les fonctionnaires sont trop

conscients de la différence de situation, selon que l’on est à l’intérieur ou à l’extérieur de la

forteresse, notamment en terme de mobilité, pour ne pas vivre mal cette présence à leur côté

d’agents ne bénéficiant pas de leurs avantages et qui sont en quelque sorte leur mauvaise

conscience, même s’ils savent rappeler aux contractuels qu’ils auraient eu tout loisir de rentrer

dans la Fonction publique par la voie du concours ».

On dénombre une quinzaine de plans de titularisations depuis la loi du 19 octobre 1946. Depuis

1983, trois vagues législatives se sont succédées.

Tout d’abord, la loi du 11 juin 1983 est venue autoriser l’intégration des agents non titulaires

qui occupaient des emplois civils permanents de l’Etat et de ses établissements publics. Ce plan

de titularisation a été mis en place avant même l’édiction du nouveau statut de la fonction

publique (loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires).

La loi du 16 décembre 1996 relative à l’emploi dans la fonction publique et à diverses

mesures d’ordre statutaire est consensuelle. Ce texte est la traduction législative d’un

accord conclu par l’État et différentes organisations syndicales représentatives.

S’appliquant aux trois fonctions publiques, il a prévu d’ouvrir, pour une durée maximale de

quatre ans à compter de sa publication, des concours réservés aux agents non titulaires

(exerçant des fonctions du niveau de la catégorie C ou des fonctions d’éducation ou

d’enseignement) remplissant une série de conditions (spécialement justifier de quatre années

de services effectifs au cours des huit dernières années). Ce plan de titularisation a abouti à

environ 55 000 titularisations. Il a cependant fallu mettre en place un nouveau plan d’intégration

dès que le délai de quatre ans prévu par la loi de 1996 a expiré.

La loi du 3 janvier 2001 a également fait l’objet d’un large consensus. Issue, elle aussi,

d’un accord entre le gouvernement et les syndicats représentatifs, ce texte prévoit tout d’abord

l’organisation de concours réservés aux candidats remplissant les conditions suivantes :

- avoir exercé, en tant qu’agent public contractuel, pendant au moins deux mois au cours

des douze mois précédant l’accord passé entre le gouvernement et les syndicats des

missions normalement dévolues à un fonctionnaire ;

- justifier d’une durée de services publics effectifs au moins égale à trois ans

51

Page 52: cours Fonction publique 2007 (blog)

d’équivalent temps plein au cours des huit dernières années (au plus tard à la date de

clôture des inscriptions au concours) ;

- justifier des titres ou diplômes requis des candidats au concours externe d’accès aux

corps concernés.

Ces mesures ne suffiront pas. Rien n’y fait  : le nombre d’agents non titulaires ne diminue

pas sensiblement.

Un bon moyen d’éviter la répétition périodique de plans de titularisation de grande

ampleur est peut-être de recourir plus souvent au contrat à durée indéterminée dans la fonction

publique. Le principal argument en faveur de la titularisation disparaît ainsi puisque les non-

titulaires ne se trouvent alors plus dans une situation précaire. L’intégration de ces agents

dans la fonction publique apparaît donc beaucoup moins justifiée.

3. Les bénéficiaires du PACTE26

Le PACTE prend place dans un contexte favorable au développement de l’entrée dans la

fonction publique sans concours. Constatant que les concours ont « des effets pervers » en

attirant au sein de la catégorie C de plus en plus de diplômés, le Premier ministre, Dominique

de Villepin, en conclut que « la fonction publique laisse de côté les moins favorisés et qu’elle

doit jouer un rôle plus actif en matière de lutte contre les inégalités et les discriminations ».

Avec le PACTE, l’objectif est donc selon le ministre de la Fonction publique de l’époque,

Renaud Dutreil, de « remettre en marche l’ascenseur social » et de rendre la fonction

publique « plus représentative de la société qu’elle sert » en favorisant les jeunes non

qualifiés.

Dans le cadre de la fonction publique d’Etat, l’objectif affiché est l’accession d’ici 2008 de la

moitié des agents au corps de catégorie C par l’apprentissage et la formation en alternance.

Pour ce faire, des incitations financières ont été instituées27.

L’ordonnance du 2 août 2005 relative aux conditions d’âge dans la fonction publique et

instituant un nouveau parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale, de la

fonction publique hospitalière et de la fonction publique de l’Etat vise ainsi plus

spécifiquement les jeunes sans qualification. Le PACTE s’adresse aux jeunes de 16 à 25

révolus sortis du système éducatif sans diplôme et sans qualification professionnelle

26 Isabelle Muller-Quoy, Le « PACTE » : une voie contractuelle d’intégration à la fonction publique, AJFP 2007, p. 129.27 Exonération des cotisations patronales de sécurité sociale + prime en cas de recrutement d’un fonctionnaire à l’issue d’un PACTE.

52

Page 53: cours Fonction publique 2007 (blog)

reconnue. Ces recrutements sociaux sont critiqués dans la mesure où ils paraissent valoriser

l’échec scolaire. On peut également se demander s’ils sont compatibles avec le souci

d’efficacité et d’excellence que revendique la fonction publique. Le risque est également

important d’introduire une discrimination à rebours au détriment des candidats diplômés. Il

n’est pas sûr que ce dispositif de discrimination positive, fondé non pas sur des critères

sociaux mais bien sur l’échec scolaire soit conforme au principe d’égal accès aux emplois

publics.

L’autre difficulté posée par le PACTE tient aux modalités concrètes de cette nouvelle

possibilité d’entrée dans la fonction publique « hors concours ». Elle se traduit, en effet, par

une procédure complexe qui combine contrat puis statut. Le PACTE est, en effet, un contrat

de droit public dont la finalité est la titularisation dans un cadre d’emplois de la fonction

publique.

Avertis par une large publicité, les jeunes doivent présenter leur candidature décrivant leur

parcours de formation et leur expérience éventuelle auprès de l’agence de l’ANPE dont relève

leur domicile. Une fois sélectionnés, ces jeunes sont liées à l’administration par un contrat de

droit public, dont la durée varie entre un et deux ans. La période d’essai est de deux mois.

Leur rémunération est calculée en pourcentage du minimum de traitement de la fonction

publique : 55 % au moins de ce minimum si l’agent a moins de 21 ans ; 70 % au moins si

l’agent a plus de 21 ans.

Ce contrat se présente comme un "prérecrutement" et la situation du bénéficiaire s’apparente

sur de nombreux points à celle d’un stagiaire. L’objectif est en effet d’acquérir une formation

en alternance qui doit permettre l’intégration en tant que fonctionnaire titulaire sans concours

mais après vérification des aptitudes.

Un mois avant la fin du contrat, après obtention de la qualification, du titre ou du diplôme

requis pour l’accès au cadre d’emplois, l’aptitude professionnelle du candidat est examinée

par une commission de titularisation.

Pour être titularisé, l’agent doit être déclaré apte à exercer les fonctions et avoir obtenu le titre

ou le diplôme requis pour l’accès au cadre d’emplois qui correspond au poste occupé. La

titularisation est subordonnée à l’engagement d’accomplir une période de services effectifs

dans la collectivité ou l’établissement public ayant procédé au recrutement (deux fois la durée

du contrat). En cas de rupture de l’engagement, l’intéressé doit normalement rembourser les

frais de formation engagés par la collectivité ou l’établissement public.

53

Page 54: cours Fonction publique 2007 (blog)

En cas de défaillance de l’agent, le stage est prorogé. En cas de nouvel échec, l’agent est

licencié. Il pourra alors prétendre à des indemnités chômage.

B. Les agents publics non titulaires

1. Des agents indispensables

Personne ne conteste la nécessité de recourir à des agents non titulaires pour faire face

à des besoins urgents ou imprévus, l’organisation d’un concours étant trop lourde pour

faire face à de tels besoins. Le recours aux agents non titulaires s’impose également

pour embaucher des agents sur des emplois très spécialisés.

Le débat porte ainsi moins sur le principe même de l’emploi d’agents non titulaires que sur

le nombre de ces non-titulaires. Le recours aux non-titulaires est, en effet, fréquemment

dévoyé. Il permet tantôt de réaliser des économies (les non-titulaires étant pour la plupart

moins bien traités que les titulaires), tantôt d’échapper aux contraintes du concours et de

recruter dans une perspective clientéliste.

Le recours aux agents non titulaires est strictement encadré par les statuts dans la mesure

où il constitue une dérogation au principe de l’occupation des emplois permanents par des

titulaires.

Le nombre d’agents non titulaires demeure malgré tout important. La proportion d’agents non

titulaires est cependant très variable entre les trois fonctions publiques, et au sein même de

chacune d’entre elles. Ils sont au total plus de 700 000, soit environ 12 à 15 % des effectifs

totaux de la fonction publique :

- 6 % dans la fonction publique hospitalière ;

- plus de 20 % dans la fonction publique territoriale. Les disparités sont importantes d’une

filière à l’autre : ainsi la filière incendie-secours a une part de titulaires supérieure à 95 %

tandis que la filière animation n’en a que 20 %) ;

- 15 % environ dans la fonction publique de l’État. Les disparités par ministères sont ici

parfois spectaculaires : plus de 40 % de non-titulaires au ministère des Affaires

étrangères, moins de 5 % au ministère de la Justice par exemple).

2. Des agents unis à l’administration par un "contrat d’adhésion"

« L’aspect proprement contractuel est illusoire dans la mesure où le contenu du contrat est

le plus souvent prédéterminé par des dispositions réglementaires qui s’imposent aux parties.

54

Page 55: cours Fonction publique 2007 (blog)

Derrière le contrat il y a en fait un statut qui se dessine » (B. Genevois).

Le Conseil d’État a ainsi posé le principe suivant lequel « l’autorité administrative peut […]

fixer et modifier librement les dispositions réglementaires qui régissent les agents des

services publics, même contractuels, et notamment celles qui sont relatives aux conditions de

leur rémunération »28. Le contrat n’a qu’une vocation supplétive ou accessoire : il ne joue

qu’à la marge lorsque les dispositions réglementaires le permettent.

Les contrats de recrutement d’agents publics sont donc de « faux contrats »29. Les agents

publics non titulaires sont donc dans une situation essentiellement réglementaire.

La compétence législative ne valant que pour les fonctionnaires, le Conseil d’État a considéré « qu’il ne résulte pas de l’article 34 de la Constitution que le législateur doive fixer les principes fondamentaux applicables aux agents non titulaires de l’État ; le Premier ministre, en vertu du pouvoir réglementaire qu’il tient de l’article 21 de la Constitution peut […] fixer et modifier les dispositions sta tutaires qui régissent ces agents »30.

3. Le contenu de la situation juridique des agents publics non titulaires

Dans l’ensemble, la situation des agents non statutaires est moins avantageuse que celle des

fonctionnaires. Il n’y a guère qu’une minorité de « contractuels de luxe » qui échappent à ce

constat. Il ne faut pas occulter que les agents non titulaires « échappent au passage d’un concours

[…] mais […] aussi, et peut-être surtout, à l’affectation aléatoire et au principe de mobilité » (J.-L.

Bodiguel)

Les garanties offertes aux agents non titulaires s’accroissent régulièrement, de sorte que la

précarité de leur situation s’atténue.

a. Des garanties croissantes

Garanties textuelles. Les statuts de la fonction publique établissent, dans certains domaines,

une égalité de traitement entre fonctionnaires et agents publics non titulaires. Les agents

publics non titulaires bénéficient ainsi « des règles de protection sociale équivalentes à

celles dont bénéficient les fonctionnaires, sauf en ce qui concerne les régimes d’assurance

maladie et d’assurance vieillesse ». Sur certaines questions, les textes applicables ne distin-

guent pas entre non titulaires et titulaires. Tel est le cas en matière de mise en œuvre

d’aménagement et de réduction du temps de travail.

28 CE, Sect., 24 avril 1964, Syndicat national des médecins des établissements pénitentiaires, Rec. p. 242.29 Pour reprendre le mot du commissaire du gouvernement Jacques-Henri Stahl dans ses conclusions sur l’arrêt Ville de Lisieux.30 CE, 30 mars 1990, Fédération générale des fonctionnaires Force Ouvrière , DA, 1990, n° 264.

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Page 56: cours Fonction publique 2007 (blog)

Le décret du 12 mars 2007 qui concerne seulement les agents non titulaires de l’État marque

une nouvelle étape. Ce décret aligne, en effet, la situation des agents non titulaires sur celle

des fonctionnaires chaque fois que cela est possible31. Il en va ainsi en matière de congés ou

dans le domaine de la mobilité et sur bien d’autres aspects encore : déontologie, obéissance

hiérarchique, sanction disciplinaire…32

On frôle ici la reconnaissance d’un principe d’égalité entre non-titulaires et

fonctionnaires. L’instauration de ce véritable « statut » des agents non titulaires vient

paradoxalement ôter les derniers scrupules que l’Administration pouvait avoir à

recruter de tels agents plutôt que des fonctionnaires.

Le décret de 2007 laisse entrevoir, en outre, la possibilité pour les agents en CDI de

mener une véritable « carrière ». Ceux-ci bénéficieront notamment d’un droit à

l’avancement. Leur rémunération devrait ainsi augmenter tous les trois ans, ce qui ressemble

fort au délai permettant aux fonctionnaires de franchir un échelon. Les agents en CDI

constituent bien désormais une catégorie à part d’agents non titulaires situés à mi-chemin

entre les agents en CDD et les fonctionnaires.

En définitive, le décret du 12 mars 2007 témoigne de la naissance d’un droit dérogatoire aux

agents non titulaires de droit commun et spécifique aux détenteurs de CDI.

Garanties jurisprudentielles. Les textes relatifs aux agents non statutaires sont moins

complets que ceux relatifs aux titulaires. Aussi les garanties textuelles doivent-elles être

complétées par des garanties jurisprudentielles. Par le biais de la théorie des principes

généraux du droit, le juge administratif est souvent intervenu au soutien des agents publics

non titulaires. Renvoi aux développements de l’introduction consacrés aux rapports entre le

droit de la fonction publique et le droit du travail.

b. Une précarité déclinante

L’affirmation de la précarité de la situation des agents non titulaires n’a véritablement de

sens que si ces agents ne sont liés à leur employeur public que par un contrat à durée déterminée.

Outre le remplacement momentané de titulaires, le statut de la fonction publique prévoyait à

titre dérogatoire des possibilités de recours aux non-titulaires dans des hypothèses

limitativement énumérées : les contractuels peuvent être recrutés « lorsqu’il n’existe pas de

31 D. JEAN-PIERRE, Les agents en CDI : du statut à la carrière, JCP A 16 avril 2007, 2105.32 Mais aussi de mise à disposition des contractuels en CDI (et non pas des personnels en CDD) ; création de commissions consultatives paritaires sur le modèle des commissions administratives.

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Page 57: cours Fonction publique 2007 (blog)

corps de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes » et pour les «

emplois du niveau de la catégorie A, lorsque la nature des fonctions et les besoins du service

le justifient ».

Les agents recrutés pour faire face à ces situations ne pouvaient avant la loi du 26 juillet 2005

être engagés que par des contrats d’une durée maximale de trois ans renouvelables de façon

expresse. Les contrats à durée indéterminée n’étaient envisageables que dans le cadre

d’habilitations restrictives. Le Conseil d’Etat en déduisait que les contrats passés par les

personnes publiques en vue de recruter des agents non titulaires devaient, sauf disposition

législative spéciale contraire, être conclus pour une durée déterminée et ne pouvaient être

renouvelés que par reconduction expresse33. Les termes du débat ont évolué à la faveur de la

transposition de la directive n° 1999/70/CEE sur le travail à durée déterminée.

Cette directive a été transposée par la loi du 26 juillet 2005. Cette loi introduit le contrat à

durée indéterminée dans la fonction publique. L’introduction du CDI dans la fonction

publique a paru offrir une réponse à l’obligation posée par la directive d’établir un cadre pour

prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée

déterminée successifs.

Le recours aux contrats à durée indéterminée interviendra probablement afin de prolonger des

contrats à durée déterminée qui, ayant atteint par reconduction successive une durée de six

ans, ne pourront plus être renouvelés à l’issue de cette période maximale que par décision

expresse et pour une durée indéterminée.

Différents arrêts rendus en 200634 par la Cour de justice des Communautés européennes

soulignent l’erreur d’analyse du législateur français.

La Cour de justice rappelle certes que les Etats membres sont tenus de prendre des mesures efficaces pour prévenir le recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée successifs. Les Etats n’ont cependant pas une obligation générale de requalifier ces contrats de travail en contrats à durée indéterminée à titre de sanction d’un abus. Cette position ébranle l’argument avancé au soutien de la loi de 2005. Le caractère inévitable de l’introduction des contrats à durée indéterminée était en effet souvent avancé apparaît ici particulièrement fragilisé. L’affirmation trop rapidement écartée lors des débats parlementaires, selon laquelle la fonction publique française possédait déjà, avec le statut des fonctionnaires, ses propres relations de travail à durée indéterminée sort, en revanche, renforcée de l’argumentation de la Cour de justice.

33 Le Conseil d’État estime qu’ « il ne résulte d’aucun principe général du droit applicable aux agents publics contractuels que les contrats de travail les liant à leurs employeurs seraient conclus sans limitation de durée » (CE, 14 mars 1990, CCI de Strasbourg ; CE 27 oct. 1999, Bayeux, Rec. p. 335 ; CE avis 16 mai 2001, Mlles Joly et Padroza, Rec. p. 237).34 CJCE 4 juill. 2006, Konstantinos Adenelaer, aff. C-212/04 ; CJCE 7 sept. 2006, Andrea Vassalo, aff. C-180/04 ; CJCE 7 sept. 2006, Cristiano Marrosu, Gianluca Sardino, aff. C-53/04.

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Page 58: cours Fonction publique 2007 (blog)

La Cour de justice reconnaît que rien ne s’oppose à ce qu’un Etat membre prévoit des règles

différentes en ce qui concerne l’abus de recours à des contrats successifs, selon que

l’employeur appartient au secteur privé ou au secteur public. La Cour admet par conséquent

dans ces deux arrêts la possibilité qu’une réglementation nationale interdise la transformation

en contrat à durée indéterminée d’une succession de contrats, à condition que dans le secteur

concerné il existe « une autre mesure effective pour éviter et le cas échéant sanctionner

l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs »35. Le législateur français a

donc choisi la solution de facilité. Il a rompu en tout cas avec la tradition de la

titularisation comme réponse à la précarité.

Le recours au contrat, a fortiori à durée indéterminée, heurte la conception traditionnelle

d’une fonction publique statutaire et de carrière. L’introduction du CDI de droit public peut

certes contribuer à améliorer la situation de certains agents pris individuellement, mais

contribue aussi à une fragmentation statutaire qui porte atteinte à l’égalité. Cette évolution va,

en outre, considérablement affecter le principe du concours.

La généralisation des contrats à durée indéterminée qui n’annule pas les autres formes de

contrat existantes accroît l’hétérogénéité de la catégorie des agents publics. Il faut également

souligner le risque de voir apparaître de nouveaux déficits de protection. La transformation en

contrats à durée indéterminée ne peut, en effet, intervenir qu’au bout de six ans. Certains élus

notamment risquent de recourir plus fréquemment au contrat, pour bénéficier, sans

engagement à long terme, d’une main-d’œuvre choisie. L’agent non titulaire engagé pour une

durée déterminée ne dispose en effet d’aucun droit à renouvellement de son contrat.

35 Lorsque l’avocat général Poiares Maduro dans ses conclusions relatives à l’affaire Marrosu, admet pour justifier l’interdiction italienne de transformer en contrats à durée indéterminée les contrats à durée déterminée dans la fonction publique, « qu’il y aurait lieu de craindre que la transformation systématique de certains contrats à durée déterminée conclus avec l’administration publique en contrats à durée indéterminée ait pour effet de réduire la portée de règle constitutionnelle selon laquelle l’accès aux emplois publics a lieu, en principe, par voie de concours » (point 42), il souligne en creux l’une des faiblesses du choix français.

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Page 59: cours Fonction publique 2007 (blog)

Leçon n° 4 : L’organisation de la fonction publique

I. La période antérieure à 1946

A. L’absence initiale de statut général de la fonction publique

L’élaboration d’un statut de la fonction publique a été une entreprise de longue haleine

restée infructueuse tout au long de la IIIe République.

Le manifeste affiché sur les murs de Paris au printemps 1920 par la Fédération des

syndicats de fonctionnaires indiquait que « Les fonctionnaires […] ne veulent plus être

des citoyens diminués. Ils ne peuvent admettre qu’on leur impose un texte élaboré contre

leur volonté et affirment une fois de plus qu’ils ne veulent pas de statut. Ils entendent

bénéficier du droit commun et veulent que leur contrat de travail fasse l’objet de

conventions collectives, passées entre les administrations et leurs syndicats  ».

Certains s’opposent à toute idée de statut, d’autres à un statut trop libéral et d’autres enfin à un

statut trop autoritaire. Le résultat est que tous les projets échoueront : « Tout s’est passé comme

59

Page 60: cours Fonction publique 2007 (blog)

si le statut avait fait figure d’épouvantail, pour les gouvernants comme atteinte à leur pouvoir,

et pour les fonctionnaire comme encadrement de leur liberté ».

Cette revendication des syndicats de fonctionnaires d’obtenir l’alignement de leur situation sur

celle des salariés de droit privé surprend aujourd’hui. Elle s’explique par le contexte de

l’époque. A ce moment-là, le fonctionnaire était appréhendé comme « un citoyen diminué, un

citoyen de seconde classe »36. Le fonctionnaire était, en effet, alors soumis à un "statut

négatif", ensemble de « restrictions à la situation normale du citoyen ».

Leur liberté d’expression était ainsi strictement encadrée. Le respect du principe de

neutralité des services publics se doublait d’une exigence de loyalisme strictement

entendue à l’égard du pouvoir politique. Il en résultait que le fonctionnaire ne pouvait pas

être un travailleur comme les autres. Deux traits essentiels, consubstantiels à la logique

hiérarchique la plus stricte, distinguent jusqu’en 1946 le fonctionnaire du salarié : l’absence

de liberté syndicale et l’interdiction de faire grève.

S’agissant de l’exclusion de la liberté syndicale, le fait s’est progressivement écarté du droit.

En effet, «  si le syndicalisme demeure prohibé en droit, il va s’établir et se développer en

fait ; le gouvernement va se montrer plus libéral que la jurisprudence et que la loi elle-

même »37. Le gouvernement va d’abord pratiquer la politique des yeux fermés, puis une

politique d’acceptation formelle et même de soutien et d’encouragement. Prenant appui sur la

loi de 1901 reconnaissant la liberté d’association, des associations de fonctionnaires se sont

développées. Cette loi a permis aux associations de fonctionnaires de prospérer, le juge

reconnaissant leur aptitude à défendre devant lui les intérêts collectifs de leurs membres.

Par contre, le législateur de la IIIe République s’est toujours refusé à admettre la possibilité

pour les fonctionnaires de se syndiquer. Hauriou se félicitait de cette prise de position car il

estimait « inadmissible (...) que le principe de la lutte des classes soit posé à l’intérieur de la

hiérarchie administrative ».

Concernant la prohibition du droit de grève, la jurisprudence se montrait ferme. Le Conseil

d’Etat voyait dans la grève une rupture unilatérale par le fonctionnaire du contrat de fonction

publique. Or, cette rupture du contrat de fonction publique justifiait le congédiement du

fonctionnaire (CE, 1909, Winkell). Un an plus tard, à l’occasion d’un contentieux suscité par

la grande grève des chemins de fer de l’automne 1910, le Conseil d’État affirma la

36 Maxime Leroy, 1907.37 Christian Chavanon.

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Page 61: cours Fonction publique 2007 (blog)

légalité d’une convocation de grévistes pour une période militaire38. Ce moyen était

assurément radical de briser la grève et de remettre les grévistes dans le « droit chemin ».

Le Conseil d’État a réaffirmé cette prohibition jusqu’à la fin des années 1930. Comme

le résume Henry Puget en 1936 : «  À moins de se résoudre au suicide, l’État ne peut pas

admettre le droit de grève des fonctionnaires ».

Le Conseil d’Etat, protecteur des fonctionnaires. Même s’il est resté sévère en matière de

droit de grève, le Conseil d’Etat s’est progressivement affirmé comme le protecteur des

fonctionnaires39.

D’une jurisprudence quantitativement très abondante est né une sorte de "statut général non

écrit" portant sur « les principes généraux auxquels doivent satisfaire […] les opérations de

concours, les décisions de nomination, le régime de l’avancement, celui de la répression

disciplinaire ».

Certains auteurs ont même pu en déduire que le statut de 1946 consistait pour l’essentiel en une

codification de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Cette affirmation est cependant excessive

dans la mesure où le statut de 1946 rompt avec des éléments essentiels de la jurisprudence

administrative (la reconnaissance de la liberté syndicale en particulier).

B. Vichy : rupture ou continuité ?

On a longtemps entretenu une fiction à propos des années 1940-1944 : celle de l’inexistence

juridique du régime de Vichy. Ce régime était considéré comme une simple «  autorité de

fait » pour reprendre les termes de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la

légalité républicaine sur le territoire continental.

Cette analyse est désormais abandonnée. Pour l’essentiel, le statut de 1941 se situait dans la

continuité de la jurisprudence antérieure. Selon un auteur de l’époque, ce statut constituait

« une consécration et une codification de l’œuvre de la jurisprudence  »40. Il

conviendrait donc davantage de parler de continuité plutôt que de rupture.

38 CE, 18 juillet 1913, Syndicat national des chemins de fer de France et des colonies, Rec. p. 882.39 Il va toutefois, aux débuts du XXe siècle, sensiblement évoluer. Cet activisme, tranchant avec la frilosité antérieure du juge, aboutit au développement d’une sorte de statut jurisprudentiel relativement protecteur. On peut d’ailleurs estimer que le Conseil d’État a alors avant tout souhaité développer son rôle de "tuteur" de l’administration. Ainsi, c’est en quelque sorte par ricochet de cette volonté de "mora lisation" des pratiques administratives que les intérêts des fonctionnaires font l’objet d’une protection renforcée. Désireux de limiter les effets de la politisation de la fonction publique, le Conseil d’État a décidé d’ouvrir largement son prétoire.40 Roger GRÉGOIRE.

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Page 62: cours Fonction publique 2007 (blog)

La seule différence, et elle suffit, à elle seule, à condamner ce statut, tient à l’intolérable

incapacité d’accès aux fonctions publiques qui frappe certaines catégories de personnes,

spécialement celles qui sont de confession juive.

Ce statut est resté largement lettre morte en raison notamment de l’absence de

textes d’application. Il a, de surcroît, été déclaré nul et non avenu à la Libération.

II. L’élaboration du premier statut républicain : la rupture de 1946

L’élaboration d’un statut républicain de la fonction publique est entamée début l946. Le statut

a alors « changé de sens » : d’instrument de domination au service des gouvernants, il

dévient au contraire pour les syndicats le moyen de réaliser l’émancipation des

fonctionnaires. Ce revirement s’explique par le fait que le rapport de force politique a

considérablement évolué. Les communistes sont désormais au gouvernement. Le statut doit

permettre la conquête et la protection de nouveaux droits.

Le texte a d’abord été élaboré par le cabinet de Thorez en étroite collaboration avec la CGT.

L’ensemble du projet fut adopté à l’unanimité le 5 octobre 1946 et le texte promulgué le 19

octobre suivant. Ce vote à l’unanimité témoigne de ce que le statut de 1946 est un texte de

compromis. Sans cela, l’unanimité n’aurait jamais pu être obtenue dans une assemblée

composée de personnalités représentant des sensibilités politiques très différentes.

A. Les apports essentiels du statut

On dénombre trois apports majeurs.

Tout d’abord, le statut opère un travail de codification du droit antérieur, de « coordination des

textes et de la jurisprudence relatifs aux fonctionnaires » (par exemple en matière

disciplinaire).

Ensuite, le statut précise la nature du lien entre le fonctionnaire et l’administration, en

posant dans son article 5 que « le fonctionnaire est vis-à-vis de l’administration dans une

situation statutaire et réglementaire ». Est ainsi confirmé un principe déjà posé par le statut de

1941 (article 4) et adopté par le Conseil d’État en 1937. Le statut met dès lors fin à une longue

controverse notamment entretenue par le Conseil d’État sur le thème du « contrat de fonction

publique ».

Enfin et surtout, le statut développe la « participation organique au fonctionnement des

services publics ».

Le statut repose sur une logique participative via la reconnaissance de la liberté syndicale et la

création d’organes consultatifs composés à parité de représentants de l’administration et de ses

62

Page 63: cours Fonction publique 2007 (blog)

agents : les commissions administratives paritaires et les comités techniques paritaires. Pour

reprendre le mot de Maurice Thorez, le législateur fait prévaloir « l’idée démocratique »

sur « l’idée hiérarchique ».

La conception moderne de la fonction publique devient donc davantage participative

qu’autoritaire.

Le statut de 1946 ne se prononce toutefois pas sur la question du droit de grève. Ce silence a alors été interprété comme confirmant la position restrictive de la jurisprudence administrative.En dépit de son intitulé (loi relative au statut général des fonctionnaires), la loi du 19

octobre 1946 ne s’appliquait qu’à certains agents de l’État. Certains d’entre eux, tels

les magistrats de l’ordre judiciaire, les militaires et les agents des services publics industriels

et commerciaux étaient exclus de son champ d’application.

B. Un compromis critiqué mais durable

La doctrine a, d’une manière quasi unanime, contesté ce statut. Ainsi Jean Rivero a

intitulé une de ses célèbres chroniques « Vers la fin du droit de la fonction publique ? ».

Selon Jean Rivero, « plusieurs des dispositions essentielles de la loi du 19 octobre 1946, et plus

généralement son inspiration profonde, tendent à opérer, entre le droit de la fonction publique

et le droit commun des travailleurs, des rapprochements qui atténuent la traditionnelle

autonomie du droit public en ce domaine ». La loi de 1946 marquerait l’affaiblissement de l’idée

hiérarchique au profit de l’idée démocratique et aboutirait ainsi à ce que, entre droit de la

fonction publique et droit du travail, la frontière s’efface « de telle manière qu’ils n’apparaîtront

plus, l’un et l’autre, que comme des modalités d’application différentes d’un corps de règles

identiques ».

« Au fond des choses, on peut considérer que c’est le même statut général qui, depuis 1946,

s’applique aux fonctionnaires civils de l’État et que les textes actuels ne sont qu’une troisième

édition, revue et corrigée, de la loi du 19 octobre 1946 » (R. Chapus). Effectivement, si le

droit de la fonction publique a connu d’innombrables réformes depuis 1946, ses équilibres

fondateurs n’ont guère été atteints et son inspiration générale demeure la même.

Deux grandes périodes de réforme méritent ici mention : 1959 et 1983-1986.La réforme de 1959 est la conséquence du changement de régime constitutionnel et est, avant tout, de nature formelle. L’article 34 C se contente de poser que la loi fixe les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État ». Dans cette perspective, la loi du 19 octobre 1946 empiétait assez largement sur le domaine réservé au pouvoir réglementaire et le gouvernement, agissant par ordonnance sur la base de l’article 92 de la Constitution, a été amené à nettement réduire le champ des dispositions statutaires de nature législative, cette réduction étant aussi bien qualitative que quantitative (la loi de 19 octobre 1946 comportait 145 articles, l’ordonnance du 4 février 1959 uniquement 57). Pour autant, la réforme revient à une nouvelle « présentation » et non à une nouvelle

« orientation ».

63

Page 64: cours Fonction publique 2007 (blog)

La réforme de 1983-1984 repose sur une logique différente de celle de 1959 sans pour autant aboutir à une remise en cause du fond de la réforme de 1946. Cette réforme a abouti à une extension du champ du statut de la fonction publique et à la relative uniformisation de cette dernière. On ajoutera que cette réforme comporte un renforcement des garanties offertes aux fonctionnaires, spécialement en matière d’action syndicale, et comprend un important volet relatif à la titularisation de nombreux agents n’ayant pas la qualité de fonctionnaires.L’édifice statutaire est dès lors le suivant. La loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires vaut pour les trois fonctions publiques et constitue, à une exception près, le titre 1er du statut général des fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales. La loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État constitue quant à elle le titre II de ce statut général. La loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale en constitue le titre III et la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière en constitue enfin le titre IV.Très régulièrement réformée, cette construction statutaire est toujours debout. On peut toutefois se demander si elle n’est pas dépassée, certains critiques considérant que les problèmes de gestion de la fonction publique sont le résultat des lourdeurs de ce système. A l’heure de la mondialisation et du tournant néo-libéral, au moment où les services publics sont de plus en plus soumis au droit du marché, un tel système considéré comme exagérément égalitariste, corporatiste, rigide, inefficace, improductif, prenant insuffisamment en compte les exigences managériales et celles de la gestion des ressources humaines serait devenu un très lourd fardeau.

III. Les statuts républicains

A. Le statut de la fonction publique d’Etat

L’Etat emploie environ 1,8 million de fonctionnaires. La fonction publique de l’Etat est

qualifiée, âgée et féminine :

- qualifiée dans la mesure où les agents de catégorie A représentent environ 50 %

des effectifs. Toutefois, si l’on exclut les enseignants, les fonctionnaires de

catégorie A ne représente plus guère que 20 % des effectifs. Les fonctionnaires de

catégorie B correspondent environ à 20 % et ceux de catégorie C à peine à 30 % ;

- âgée. Le problème du vieillissement de cette fonction publique se pose avec une

grande acuité ;

- féminisée. 57 % des fonctionnaires de l’Etat sont des femmes. Cette féminisation est

variable suivant les catégories (57 % des agents de catégorie A, 65 % de ceux de

catégorie B et 52 % des agents de catégorie C). Si l’on ne tient pas compte des effectifs

d’enseignants, les statistiques montrent que l’égalité n’est pas aussi bien respectée qu’il

n’y paraît de prime abord. Les femmes ne représentent plus alors que 36 % des

fonctionnaires de catégorie A, 50 % de ceux de catégorie B et 46 % de ceux de

catégorie C. Cette sous-représentation des femmes dans la catégorie A est encore plus

importante dans la haute fonction publique. Introduire article sur la parité dans la

fonction publique.

La fonction publique de l’Etat est moins homogène qu’il n’y paraît. L’examen du champ

d’application de la loi du 11 janvier 1984 (1) et l’analyse de ses modalités d’application

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Page 65: cours Fonction publique 2007 (blog)

(2) soulignent davantage la complexité de ce statut que sa cohérence. Cette complexité tient en

particulier au fait que 60 % des agents de l’Etat ne sont pas au soumis au statut général.

1. Le champ d’application du statut

Tous les fonctionnaires civils de l’Etat ne sont pas soumis aux prescriptions de la loi du 11

janvier 1984. La détermination des fonctionnaires qui relèvent du statut général s’obtient de

manière négative : en déduisant les fonctionnaires qui échappent au statut général.

Cette exclusion du champ d’application du statut entraîne la soumission à des statuts

autonomes qui contiennent des dispositions souvent très comparables à celles du statut général.

Sont notamment exclus du champ d’application du statut général : les agents des chambres

consulaires, les magistrats, les militaires ou encore les médecins hospitaliers.

a. Les agents des chambres consulaires

La « situation du personnel administratif des Chambres d’Agriculture, des Chambre de

Commerce et des Chambres des Métiers de France est déterminée par un statut établi par des

commissions nationales paritaires nommées, pour chacune de ces institutions, par le ministre

de tutelle ». Les décisions de ces commissions nationales sont exécutoires et ne doivent pas

être homologuées par les ministres compétents. Les statuts de ces agents ne résultent donc pas

d’une loi ou d’un règlement classique mais d’une sorte de convention collective.

Le Conseil d’État a jugé que ces commissions nationales paritaires « doivent, pour élaborer

le statut de ces personnels, faire application des principes généraux sur lesquels s’appuient

les dispositions textuelles applicables aux agents de l’État ». Dès lors, c’est davantage son

mode d’élaboration que son contenu qui distingue le statut des agents des chambres consulaires du

statut général de la fonction publique de l’État

b. Le statut des magistrats

C’est le seul statut autonome expressément exigé par des dispositions

constitutionnelles. L’article 64 alinéa 3 de la Constitution prévoit en effet qu’ « une loi

organique porte statut des magistrats ». Les magistrats ainsi visés sont uniquement « les

magistrats de carrière de l’ordre judiciaire », soit environ 7 000 personnes. Le statut de la

magistrature résulte d’une ordonnance du 22 décembre 1958.

Ses principaux particularismes visent à concrétiser l’exigence constitutionnelle d’ «

indépendance de l’autorité judiciaire ». L’ordonnance prévoit ainsi que « les magistrats du

siège sont inamovibles. En conséquence, le magistrat du siège ne peut recevoir, sans son

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Page 66: cours Fonction publique 2007 (blog)

consentement, une affectation nouvelle, même en avancement ». La "placardisation" des

magistrats est donc théoriquement impossible. Par ailleurs, le Conseil supérieur de la

magistrature (CSM) joue un rôle important en matière de déroulement des carrières et en

matière disciplinaire.

L’exigence d’une loi organique portant statut des magistrats ne signifie cependant pas que seul

le législateur organique ait compétence pour déterminer ce statut. Il arrive, en effet, que

l’ordonnance de 1958 laisse au pouvoir réglementaire le soin de régler telles ou telles

questions, telles que le traitement des magistrats.

c. Le statut des médecins hospitaliers

Les médecins hospitaliers publics ne sont pas soumis aux dispositions statutaires relatives

à la fonction publique hospitalière (loi du 9 janvier 1986). La plupart d’entre eux ne

sont pas fonctionnaires mais simplement agents publics. En effet, seuls les professeurs des

universités-praticiens hospitaliers et les maîtres de conférences des universités-praticiens

hospitaliers ont la qualité de fonctionnaires. Ils sont environ 10 000. Parmi les autres

médecins hospitaliers, environ 90 000 personnes, certains sont nommés et titularisés dans

un emploi et non dans un grade (il s’agit des praticiens hospitaliers) et d’autres sont des

contractuels de droit public, qu’il s’agisse des attachés ou autres assistants.

2. Les modalités d’application du statut

L’article 34 de la Constitution exige seulement du législateur qu’il fixe les règles

concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils de l’Etat. Cette

solution ouvre la voie à une application différenciée du statut. Dans ces conditions, deux types

de statuts peuvent voir le jour :

- certains entendent concrétiser des règles statutaires. On parle alors de statuts particuliers

"ordinaires"

- d’autres visent à s’écarter des règles posées par le statut général. On parle ici de statuts

particuliers "dérogatoires" ou "spéciaux". Attention, les deux expressions ne sont pas

synonymes.

a. La concrétisation des exigences statutaires : les statuts particuliers "ordinaires"

La loi du 11 janvier 1984 prévoit que « des décrets en Conseil d’État portant statuts

particuliers précisent, pour les corps de fonctionnaires, les modalités d’application des

dispositions de la présente loi ». Ces décrets doivent être délibérés en conseil des ministres

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Page 67: cours Fonction publique 2007 (blog)

s’ils concernent des corps comportant des emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres

ou certains corps pour lesquels le président de la République dispose du pouvoir de nomination.

Principe du parallélisme des compétences.

Le statut particulier précise le classement du corps (catégorie A, B ou C), décrit à grands traits

les emplois auxquels ont vocation les membres du corps, détaille sa structuration interne

(nombre de grades, classes, échelons) ainsi que les modalités de recrutement, d’avancement et

de détachement.

b. La mise à l’écart des exigences statutaires : les statuts particuliers dérogatoires et spéciaux

α. Les statuts particuliers des magistrats administratifs et financiers La singularité des statuts des magistrats administratifs et financiers est d’être fixé par une loi. Les membres du corps des tribunaux administratifs (TA) et des cours administratives d’appel (CAA) et les membres du corps des chambres régionales des comptes (CRC) sont dans une situation statutaire relativement originale résultant de la nécessité de garantir leur indépendance. C’est pourquoi ils sont soumis à des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont propres. Ce particularisme doit cependant être nuancé pour deux raisons. Tout d’abord, dans le silence des dispositions spécifiques aux magistrats administratifs et financiers, les dispositions du statut général leur sont applicables. En outre, certaines de ces prescriptions se bornent à opérer un simple renvoi au statut général.

β. Les statuts particuliers "dérogatoires"

Ces statuts ont un champ d’application limité. Ils sont prévus par la loi du 11 janvier

1984. « En ce qui concerne les membres des corps recrutés par la voie de l’École

nationale d’administration, des corps enseignants et des personnels de la recherche, des

corps reconnus comme ayant un caractère technique, les statuts particuliers (...) peuvent

déroger, après avis du Conseil supérieur de la fonction publique de l’État (...), à certaines

des dispositions du statut général qui ne correspondraient pas aux besoins propres de ces

corps ou aux missions que ces membres sont destinés à assurer, notamment pour

l’accomplissement d’une obligation statutaire de mobilité ».

La technique du statut particulier dérogatoire a progressivement vu son champ

d’application s’étendre alors même que sa constitutionnalité est problématique. Il est

douteux que la Constitution permette au pouvoir réglementaire de déroger aux

garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils . La détermination de ces

garanties fondamentales exige, en effet, conformément à l’article 34 de la Constitution, une

intervention législative. Or, le principe du parallélisme des compétences conduit à réserver le

pouvoir de déroger à ces garanties fondamentales au législateur.

C’est probablement en raison de cette fragilité constitutionnelle que le Conseil d’État

soumet à un contrôle drastique le champ d’application et le contenu des dérogations.

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Page 68: cours Fonction publique 2007 (blog)

γ. Les statuts spéciaux

C’est la loi du 28 septembre 1948 relative au statut spécial des personnels de police

qui a créé cette catégorie. L’apparition de cette catégorie était justifiée par la

volonté d’interdire aux agents d’un corps de bénéficier du droit de grève et de leur

accorder en contrepartie différents avantages, en particulier leur classement hors

catégorie pour la détermination de leurs indices de traitement.

B. Le statut de la fonction publique territoriale

La fonction publique territoriale emploie environ 1,6 million d’agents dont plus de

1,1 million de fonctionnaires.

- 60 % des agents sont employés par les communes contre à peu près 10 % pour les

départements et moins de 1 % pour les régions ;

- La fonction publique territoriale est ensuite peu qualifiée, ou plus exactement moins

qualifiée que la fonction publique de l’État. Les fonctionnaires territoriaux de

catégorie A représentent environ 7,5 % des effectifs, ceux de catégorie B 13,5 % et

ceux de catégorie C 79 %. La qualification des agents non titulaires des

collectivités territoriales est plus élevée que celle des titulaires (plus de 13 %

d’agents non titulaires assimilés à la catégorie A). Les statistiques varient

cependant considérablement d’une collectivité à l’autre. C’est ainsi qu’un tiers du

personnel appartient à la catégorie A dans les régions par exemple.

- La fonction publique territoriale emploie une proportion élevée d’agents non-

titulaires (25 % environ). Ce taux est, lui aussi, très variable. Il atteint 70 % dans la

filière animation, 40 % dans la filière culturelle et moins de 5 % dans la filière

sapeurs pompiers professionnels par exemple. Ce taux supérieur à celui observable

dans les autres fonctions publiques tient notamment à la réticence de nombre de

décideurs locaux à l’égard du recrutement par concours.

- Le problème du vieillissement se pose avec un peu moins d’urgence dans la

fonction publique territoriale que dans les deux autres fonctions publiques civiles.

- Enfin, la fonction publique territoriale est largement féminisée, 60 % des agents

territoriaux étant des femmes.

1. Historique du statut de la fonction publique territoriale

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Le statut de la fonction publique territoriale résulte de la loi du 26 janvier 1984. Cette loi

constitue le titre III du statut général des fonctionnaires. L’édiction de ce statut est

indissociable du mouvement de décentralisation initié en 1982. La loi de 1984

constitue le terme d’un siècle d’évolution.

La publicisation de la situation des agents territoriaux a commencé avec l’arrêt Cadot /

Ville de Marseille de 1889. L’arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel marquant le

passage de nombreux agents communaux d’une situation de droit privé (où les juges

judiciaires sont donc compétents) à une situation de droit public (où le juge administratif est

compétent).

La loi du 13 juillet 1972 marque une étape vers le système de la carrière au détriment de celui

de l’emploi puisqu’elle permet à un agent communal de changer de collectivité sans

démissionner de sa collectivité d’origine et en conservant son ancienneté.

La réforme de 1983-1984 a opposé deux courants de pensée. Certains défendaient une

conception unitaire de la fonction publique, cherchant à obtenir l’alignement le plus

complet possible de la fonction publique territoriale sur la fonction publique de l’État. Tel

était en particulier le cas d’Anicet Le Pors, ministre puis secrétaire d’État chargé de la

Fonction publique. D’autres, à l’instar du ministre de l’Intérieur Gaston Deferre, ont

cherché à préserver la spécificité de l’emploi local et la latitude d’action des élus

locaux. La première tendance, uniformisante, a initialement prévalu. Cependant,

l’alternance politique intervenue en 1986 a alors conduit à une valorisation de la logique de

spécificité, à travers la loi du 13 juillet 1987.

Alors que les tenants de l’unité auraient souhaité un texte unique pour l’État et les

collectivités territoriales et que les partisans de la spécificité militaient pour deux

législations distinctes, la solution adoptée a été l’élaboration d’un socle commun (la loi

du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) puis de deux textes

séparés (respectivement les lois du 11 janvier 1984 pour l’État et du 26 janvier 1984 pour les

collectivités territoriales).

Reposant sur des principes difficiles à concilier (unité et spécificité), le statut de la fonction

publique territoriale a subi de multiples révisions (une quarantaine en 20 ans)41.

41 Cette fréquence est également entretenue par le fait que le champ de compétence du législateur est plus large en matière de fonction publique territoriale qu’en matière de fonction publique de l’État dans la mesure où le législateur ne doit pas se contenter de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires territoriaux mais doit déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales (articles 34 et 72 de la Constitution).

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Page 70: cours Fonction publique 2007 (blog)

Deux textes doivent être signalés.

Le premier est la loi du 13 juillet 1987 modifiant les dispositions relatives à la fonction

publique territoriale dite loi Galland. Ce texte est une réaction au statut de 1984 et

privilégie la spécificité de la fonction publique territoriale. Cette loi :

- accroît la liberté des élus locaux et allège un système institutionnel très lourd ;

- réforme les organes de gestion et assouplit les conditions d’embauche (extension

des hypothèses de recours à des agents non titulaires, renouveau du concours de

réserve où les lauréats du concours sont simplement inscrits sur une liste d’aptitude

et librement recrutés par les collectivités territoriales à l’inverse de la logique du

concours au mérite) ;

- ce texte substitue la notion de cadres d’emploi à celle de corps.

Cette loi aboutit à limiter grandement la comparabilité entre les fonctions

publiques. Le législateur supprime en effet la grille commune de traitement. La loi

Galland rend également plus difficile la mobilité entre les fonctions publiques.

Le second texte, beaucoup plus consensuel, est la loi du 27 décembre 1994 modifiant

certaines dispositions relatives à la fonction publique territoriale dite loi Hoeffel. Cette

loi réalise un assouplissement des procédures de recrutement par une extension des

recrutements sans concours. Elle développe les compétences des centres de gestion au

détriment de celles du centre national de la fonction publique territo riale et réforme les

modalités de formation des agents tout comme celles relatives à la perte d’emploi. Il

s’agit non d’une réforme du cadre de la fonction publique territoriale mais d’une

évolution au sein de ce cadre tel qu’il a été amendé en 1987.

2. Les principes structurants

Le statut de la fonction publique territoriale repose sur trois grands principes qui ne coexistent

pas toujours harmonieusement : l’unité, la comparabilité et la spécificité.

a. Le principe d’unité

Ce principe se matérialise par la loi du 13 juillet 1983 qui contient des dispositions aussi

essentielles que l’affirmation du principe de l’occupation des emplois permanents par des

fonctionnaires, l’affirmation de la situation statutaire et réglementaire du fonctionnaire, les

principales conditions d’accès à la fonction publique, les garanties, l’énoncé des grands

principes de la carrière (distinction du grade et de l’emploi, principe du recrutement par

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Page 71: cours Fonction publique 2007 (blog)

concours, notation, dossier, discipline, rémunération...) ainsi que la présentation des

obligations des fonctionnaires.

L’unité est également perceptible dans le fait que les textes de 1983-1984 traitent indistinctement

des agents communaux, départementaux et régionaux alors même qu’ils étaient jusque-là

soumis à des textes différents.

b. Le principe de comparabilité

Ce principe se décline en deux volets. La comparabilité s’entend de la comparabilité de la

mobilité et de l’égalité. La comparabilité permet donc de passer d’une fonction publique à

l’autre et cela n’est possible que parce que les agents disposant de qualifications et

d’attributions équivalentes sont dans des situations proches.

Le volet mobilité du principe de comparabilité, considérablement réduit dès 1987, est

consacré par la loi du 13 juillet 1983. « L’accès des fonctionnaires de l’État, des

fonctionnaires territoriaux et des fonctionnaires hospitaliers aux deux autres fonctions

publiques, ainsi que leur mobilité au sein de chacune de ces trois fonctions publiques,

constituent des garanties fondamentales de leur carrière. A cet effet, l’accès des

fonctionnaires de l’État, des fonctionnaires territoriaux et des fonctionnaires hospitaliers aux

deux autres fonctions publiques s’effectue par voie de détachement suivi ou non d’intégration.

Les statuts particuliers peuvent également prévoir cet accès par voie de concours interne et, le

cas échéant, de tour extérieur ».

Le volet égalité du principe de comparabilité prend la forme du principe dit de parité.

« Chaque collectivité territoriale ou le conseil d’administration d’un établissement public

local fixe (...) les régimes indemnitaires dans la limite de ceux dont bénéficient les

différents services de l’État ». Ce principe de parité vaut à la fois pour la rémunération

proprement dite mais aussi, et sauf dispositions législatives contraires, pour les

avantages financiers indirects ou en nature. Le respect de ce principe est scrupuleusement

vérifié lors du contrôle de légalité des délibérations locales par les services

préfectoraux. Il est d’ailleurs révélateur d’une certaine asymétrie entre les deux

fonctions publiques dans la mesure où les fonctionnaires territoriaux ne peuvent, sauf

exception législative, obtenir plus que leurs homologues de l’État mais peuvent

parfaitement être moins bien traités.

Au fil des réformes, le principe de comparabilité a été affaibli au profit du troisième et

dernier grand principe, celui de spécificité.

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Page 72: cours Fonction publique 2007 (blog)

c. Le principe de spécificité

Ce principe est étroitement lié au principe de libre administration des collectivités

territoriales garanti par la Constitution (article 72). Cette spécificité se justifie par la

situation particulière des employeurs publics locaux (plus de 50 000 collectivités et

établissements publics). Ces derniers réclament souvent une plus grande marge de manœuvre

dans le recrutement de leurs agents et dans la gestion de leurs carrières (et militent pour un

assouplissement du cadre statutaire au profit d’une logique contractuelle).

Le particularisme se rapporte essentiellement au recrutement et à la gestion des carrières.

Pour ce qui est du recrutement :

- le principe du concours est souvent court-circuité. Les possibilités de recourir à

des agents non titulaires sont ainsi plus variées que dans la fonction publique de

l’Etat. Le recrutement direct est facilité, tout particulièrement pour les

emplois supérieurs. « Les collaborateurs de cabinet sont ainsi recrutés et nommés

directement par l’autorité locale […] pour exercer auprès de lui des fonctions qui ne leur

permettent pas d’être regardés comme intégrés à la hiérarchie des administrations de la

collectivité concernée et qui doivent prendre fin, au plus tard, en même temps que le mandat

de l’autorité qui les a recrutés » (CAA Paris, 27 novembre 2003, Ville de Paris, AJFP

2004, p. 124). Les emplois fonctionnels, qui correspondent aux postes

hiérarchiquement les plus élevés, sont également pourvus par la voie du détachement. Il

peut y être mis fin pour une simple perte de confiance.

Voir pour une illustration symptomatique CE, 7 janvier 2004, Broulhet. Est jugé légal

l'arrêté mettant fin au détachement d'un fonctionnaire territorial occupant un emploi de

secrétaire général d'une commune, fonctionnaire qui avait été molesté par un adjoint au

maire (qui avait été déclaré coupable de violences volontaires à son encontre par le juge

pénal et condamné à quinze jours d'emprisonnement avec sursis et 8 000 F d'amende pour

un violent coup de tête). Le Conseil d'État constate que les « différents d'ordre

professionnel » (sic) observés étaient de nature à entraîner une perte de confiance de

l'autorité territoriale et à justifier sa décision.

- Le principe du concours est également régulièrement atténué . L’autorité

territoriale ne peut se voir imposer un recrutement et est amenée à choisir dans une

liste d’aptitude dressée par le jury du concours. La liste des lauréats est présentée par ordre

alphabétique et demeure valable en principe trois ans. Il s’agit donc de concours

de réserve qui permettent de présélectionner un vivier de personnes compétentes au

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Page 73: cours Fonction publique 2007 (blog)

sein duquel les collectivités feront leur choix. Le concours au mérite dans lequel les

candidats sont classés par ordre de mérite et sont nommés dans la fonction publique

dans cet ordre-là et peuvent le cas échéant choisir leur affectation sur cette base est

donc exclu. Les concours de la fonction publique territoriale génèrent ainsi un

nombre significatif de « reçus-collés » qui ne favorise pas leur attractivité.

Le second volet du particularisme a trait à la gestion des carrières. Nous

verrons ce point lors de la leçon n° 5 .

C. Le statut de la fonction publique hospitalière

La fonction publique hospitalière est la plus récente des trois grandes fonctions publiques

civiles puisqu’elle n’a été consacrée qu’avec la loi du 9 janvier 1986. Elle est aussi la

moins importante du point de vue de ses effectifs.

1. Traits généraux

Si on exclut les médecins qui ne relèvent pas du statut de la fonction publique hospitalière, les

effectifs de la fonction publique hospitalière sont estimés à environ 800 000 agents.

Comme pour l’État, le vieillissement de la fonction publique hospitalière est

particulièrement marqué.

La répartition par catégories hiérarchiques est par contre plus proche de celle de la fonction

publique territoriale (environ 4 % des titulaires de la fonction publique hospitalière

appartiennent à la catégorie A, 43 % à la catégorie B et 53 % à la catégorie C). Cette

faible qualification doit être nuancée compte tenu notamment de l’exclusion des médecins des

statistiques.

La fonction publique hospitalière est très fortement féminisée (environ 80 %). Les non-

titulaires ne représentent guère que 5 % des effectifs.

La loi du 9 janvier 1986 constitue le titre IV du statut général des fonctionnaires. La

réforme de 1986 marque l’alignement de la situation juridique des agents du service

public hospitalier sur celle des fonctionnaires de l’Etat.

L’intervention du législateur, qui n’est pas expressément exigée par la Constitution (à l’inverse de la fonction publique de l’État), était sans doute nécessaire eu égard à la nature juridique des employeurs hospitaliers. En effet, s’agissant essentiellement d’établissements publics locaux et compte tenu du lien très ténu avec le principe de libre administration des collectivités territoriales, une intervention législative était préférable.Le champ de compétence du législateur est toutefois plus réduit en matière hospitalière qu’en matière de fonction publique territoriale. Ainsi, et par exemple, la réduction du temps de travail a été opérée par décret en matière hospitalière alors qu’elle a nécessité une intervention du législateur à propos de la fonction publique territoriale.

2. Particularismes limités

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Page 74: cours Fonction publique 2007 (blog)

Les spécificités de la fonction publique hospitalière résultent tout d’abord des

particularités de l’activité hospitalière. Le temps de travail et son organisation sont ainsi

soumis à des règles originales, la mise en place de la réduction du temps de travail dans les

hôpitaux s’avérant d’ailleurs très problématique du fait du manque de personnel

chronique.

« La durée hebdomadaire de travail effectif, heures supplémentaires comprises, ne peut

excéder 48 heures au cours d’une période de 7 jours. Les agents bénéficient d’un repos quotidien

de 12 heures consécutives minimum et d’un repos hebdomadaire de 36 heures consécutives

minimum. Le nombre de jours de repos est fixé à 4 jours pour deux semaines, deux d’entre eux, au

moins, devant être consécutifs, dont un dimanche ».

Les agents doivent satisfaire à des conditions d’aptitude physique renforcées et à des

exigences strictes en matière de vaccination.

On peut hésiter à affirmer le particularisme des règles relatives au secret et à la

discrétion professionnels dans la mesure où il s’agit d’obligations pesant sur tous les

fonctionnaires.

Un raisonnement analogue peut être conduit au sujet du principe d’obéissance hiérarchique, posé par l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 pour tous les fonctionnaires mais concrétisé de manière originale par la loi du 9 janvier 1986 pour les fonctionnaires hospitaliers42.

D’autres particularismes tiennent à la nature juridique et au nombre des

employeurs. Le caractère d’établissement public local de la quasi-totalité des

employeurs publics hospitaliers a des incidences sur la composition des structures de

la fonction publique hospitalière. Cf. leçon n° 5.

D. Le statut des militaires43

Le statut des militaires est désormais fixé par la loi du 24 mars 2005. La loi de 2005

modernise le statut de 1972 sans le bouleverser.

Le principe d’unicité du statut militaire est renforcé dans la mesure où le statut s’applique

désormais également aux contractuels. Cette extension du champ d’application du statut

était inévitable dans la mesure où près de la moitié des militaires servent en vertu d’un

contrat.

42 « En cas d’empêchement du fonctionnaire chargé d’un travail déterminé, et en cas d’urgence, aucun autre fonctionnaire ayant reçu l’ordre d’exécuter ce travail ne peut s’y soustraire pour le motif que celui-ci n’entre pas dans sa spécialité ou n’est pas en rapport avec ses attributions ou son grade. Toutefois, l’application de cette dispo-sition ne peut faire échec aux règles d’exercice des professions réglementées par des dispositions législatives ».43 Ramu de BELLESCIZE, La réforme du statut général des militaires (Loi no 2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires), RDP 2006, p. 313.

74

Page 75: cours Fonction publique 2007 (blog)

Dès lors que la loi de 2005 n’entend pas rompre avec le statut de 1972, on aurait dû se

contenter de modifier ce dernier. On a pourtant préféré l’abroger. Le facteur décisif réside

dans la profonde mutation du rôle de l’armée depuis 1972 :

- mutation quant au mode de recrutement. L’armée est aujourd’hui tributaire des

candidats à l’engagement. Cela suppose donc qu’elle propose des métiers attractifs.

Cependant, il faut aussi, et dans le même temps, que l’Armée continue d’être

essentiellement composée de jeunes gens. S’il est indispensable de fidéliser les

personnels, il est par conséquent tout aussi crucial qu’elle ait la possibilité de

renouveler ses cadres.

- mutation du contexte géopolitique. Le statut de 1972 avait été rédigé durant la

guerre froide.

- mutation du contexte social. Certaines dispositions étaient devenues anachroniques.

Telle était le cas par exemple, de l’obligation de demander une autorisation avant

d’épouser un étranger ou de l’obligation de déclarer la profession de son conjoint.

Les militaires demeurent soumis à un statut spécifique (1) de sorte que leur cantonnement

juridique est maintenu (2). Ce statut, et c’est la grande innovation, leur offre une protection

pénale et médicale renforcée en opération extérieure (3).

1. Le maintien d’un statut spécifique

L’on s’est interrogé sur l’opportunité de maintenir un statut spécifique aux militaires.

Certains soulignaient que les militaires ne constituent qu’une variété de fonctionnaires et

suggéraient de les soumettre au statut général. Le choix a néanmoins été fait de conserver un

statut spécifique tout en le rapprochant autant que possible du statut des fonctionnaires

civils.

a. La fin programmée du conditionnalat

Le conditionnalat désigne un procédé consistant à promouvoir des officiers généraux à la

condition qu’ils signent une lettre de démission non datée. Par cette lettre, l’officier promu

offrait la garantie au ministère de la Défense de quitter l’armée avant la limite d’âge, s’il

était promu au grade supérieur. À chaque passage de grade, la lettre était renouvelée.

Le conditionnalat a pris une ampleur considérable puisqu’au sein de l’armée de terre, la

totalité des officiers généraux servaient à titre conditionnel. Cette règle avait été introduite

afin d’accélérer l’avancement et le rajeunissement des officiers supérieurs. Permettre à

75

Page 76: cours Fonction publique 2007 (blog)

certains officiers d’accéder au grade d’officier général très jeunes et pour une longue durée

risquait d’entraîner un blocage de l’avancement au grade de général. Or, un tel blocage

aurait affecté de proche en proche l’ensemble de l’avancement des officiers. En restreignant

artificiellement la durée de service moyenne des officiers généraux, le conditionnalat évitait

d’avoir à durcir des conditions de sélection déjà rigoureuses.

Le conditionnalat existait donc tant dans l’intérêt des officiers, en ce qu’il permettait de faire

progresser le plus grand nombre que de celui de l’institution militaire à laquelle il offrait une

certaine souplesse de gestion des officiers.

Cependant, la contrariété du conditionnalat avec le droit en vigueur rendait son maintien

difficile. Il s’affranchissait des limites d’âges statutaires définies par le statut de 1972. En

2000, par sa décision Bavoil, le Conseil d’Etat constata l’illégalité du conditionnalat. Seule

la reconnaissance des mérites des intéressés doit être prise en compte. Dès lors, la

subordination de l’inscription au tableau d’avancement à l’acceptation d’une mise à la

retraite anticipée était illégale.

Cette condamnation imposait une réaction du législateur. Le statut de 2005 opte pour une

solution médiane. L’abandon pur et simple du conditionnalat paraissait impossible. En

conservant les limites d’âge actuelles des officiers généraux, un tel abandon conduirait à

réduire le volume des listes d’aptitude d’un tiers.

Le conditionnalat sera par conséquent progressivement remplacé par un dispositif plus

transparent. Le statut détermine pour les généraux des limites d’âge légèrement supérieures

à celles des colonels. Les intéressés pourront être maintenus en activité au-delà de cette

limite d’âge pour une durée déterminée en fonction des emplois à pourvoir. Cette solution,

posée par la loi, donnera ainsi aux officiers généraux la certitude de servir jusqu’à leur limite

d’âge statutaire, les prolongations étant accordées en fonction des seuls besoins d’emploi.

b. Les effets de la construction européenne sur le statut des militaires

« L’armée de la République est au service de la Nation ». Certains parlementaires

souhaitaient profiter de la révision pour officialiser l’insertion de la défense française au sein

de la défense européenne. Un amendement proposait d’ajouter que la défense de la France

participe, dans le cadre des traités européens en vigueur, à la politique de défense de l’Union

européenne ». La ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, rejeta l’amendement au

motif que « la référence à l’Europe aurait un caractère restrictif par rapport aux opérations

menées actuellement dans le cadre de l’OTAN ».

La question essentielle s’agissant du nouveau statut est de savoir quelle valeur la CJCE

76

Page 77: cours Fonction publique 2007 (blog)

acceptera de donner à l’article 20-1 au terme duquel « nul ne peut être militaire s’il ne

possède la nationalité française ».

La Direction générale de l’administration et de la fonction publique dans une note du 31

janvier 2003 a estimé qu’un grand nombre de postes en état-major devraient être ouverts aux

ressortissants de l’Union européenne au motif que les fonctions d’étude ou d’analyse ne

mettent pas en œuvre des prérogatives de puissance publique44.

2. La permanence du cantonnement juridique

Il n’est plus question d’appliquer aux militaires la formule prononcée par le député Reille-

Soult en 1937 selon laquelle « dans le service, le fonctionnaire se dépouille de sa qualité de

citoyen pour servir ». Sur le plan des libertés individuelles le statut ne marque pas de

changement fondamental.

a. Les manifestations du cantonnement juridique

L’interdiction d’adhérer à un syndicat a été maintenue. Le débat a, cette fois-ci, pris un

tour nouveau. Classiquement, les partisans de la syndicalisation s’attachaient à dénoncer la

faiblesse voire l’absence de fondement juridique de l’interdiction ainsi que son

anachronisme. Ses adversaires soulignaient, en revanche, que l’introduction du syndicalisme

risquerait de porter atteinte à l’unité et à la neutralité de l’armée et de remettre en cause la

discipline.

En 2005, les partisans de la reconnaissance d’un droit syndical aux militaires se sont

prévalus de l’attribution d’un tel droit dans les armées avec lesquelles l’Armée française

collabore (Allemagne, Belgique, Pays-Bas et Royaume-Uni).

Cette présentation de la réalité est cependant quelque peu faussée. En effet, il n’y a pas de

syndicat dans les grandes armées qui nous sont comparables, comme l’armée américaine ou

britannique. En outre, le fonctionnement des syndicats de militaires pose parfois des

difficultés. En Suède, seuls les militaires volontaires peuvent être envoyés en opération

extérieure. Certains militaires refusent systématiquement de partir. L’armée suédoise doit

souvent se contenter d’envoyer des officiers au sein d’états-majors multinationaux.

L’interdiction d’adhérer à un parti politique peut sembler anachronique. L’argument

tiré de l’obligation de neutralité qui pèse sur les militaires n’emporte pas l’adhésion dans la 44 Dans l’arrêt Sirdar du 26 octobre 1999, la Cour de justice a admis un recrutement exclusivement masculin au sein d’un régiment des Royal marines de l’armée britannique. La présence de femmes dans le corps des Royal marines ferait obstacle à l’interopérabilité et à l’efficacité de soldats qui doivent tous être aptes à assurer aussi bien une fonction de soutien que de combat. Dans la mesure où les Royal marines constituent le fer de lance de l’armée britannique, les femmes peuvent en être exclues.

77

Page 78: cours Fonction publique 2007 (blog)

mesure où une telle obligation incombe à tous les fonctionnaires. En outre, les militaires ont

d’ores et déjà le droit d’être candidats à une fonction élective. En cas de succès, ils peuvent,

pendant leur mandat, adhérer à un parti politique. Ils sont certes dans une situation de

disponibilité, mais peuvent réintégrer l’armée à l’issue de leur mandat.

Dans ces conditions, si l’on interdit aux militaires d’adhérer à un parti politique, c’est

uniquement pour éviter qu’un parti se prévale publiquement de l’adhésion de militaires. Une

telle attitude serait, en effet, préjudiciable à l’image même de neutralité de l’Armée.

b. Les tempéraments au cantonnement juridique

Le dispositif de concertation est renforcé par le nouveau statut. Ce dispositif poursuit un

double objectif : éclairer le commandement et permettre à la communauté militaire de

s’exprimer.

Les organismes de concertation demeurent des organismes de consultation. Cependant, leur

existence et leur fonctionnement sont désormais inscrits dans le statut lui-même et non plus

dans un texte distinct. En outre, la loi garantit dorénavant la liberté d’expression des

membres de ces organismes.

Enfin, un Haut comité d’évaluation de la condition militaire est institué. Ce haut comité sera

chargé d’estimer dans les domaines juridiques, économiques, sociaux, culturels et

opérationnels les évolutions favorables ou défavorables qui pourraient avoir une influence,

notamment sur le recrutement, la fidélisation, les conditions de vie des militaires et de leurs

familles et les conditions de réinsertion dans la société civile. Ce Haut comité remettra un

rapport annuel dans lequel il pourra formuler des avis et émettre des recommandations sur

ces questions. Ce rapport sera adressé au président de la République et transmis au

Parlement.

Le renforcement de la liberté d’expression. Le statut de 1972 obligeait les militaires à

obtenir une autorisation préalable du ministre lorsqu’ils désiraient évoquer publiquement des

questions de politique ou mettant en cause une puissance étrangère ou une organisation

internationale. Le contrôle a priori est désormais remplacé par un contrôle a posteriori. Les

militaires pourront donc désormais s’exprimer librement sans autorisation préalable pour

évoquer, dans le cadre de conférences, exposés ou articles dans la presse, des sujets

politiques ou des questions internationales militaires non couverts par le secret.

3. L’amélioration du régime juridique des militaires en opération extérieure

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Page 79: cours Fonction publique 2007 (blog)

Le régime juridique des militaires en opération extérieure constitue l’innovation la plus

importante du statut. La transformation radicale des missions de l’armée l’avait rendue

indispensable et même urgente. Alors que la menace de guerre s’éloigne de plus en plus de

leur horizon quotidien, nos militaires sont, pour leur part, de plus en plus souvent exposés au

feu. La guerre est donc sortie de son cadre traditionnel.

Or il n’existait aucun régime juridique spécifique pour ce type d’opération, l’état du droit

reposant entièrement sur la distinction entre la guerre et la paix.

Les militaires se retrouvaient de ce fait face à une double incertitude à laquelle remédie le

statut : d’une part, ils n’étaient pas assurés d’être couverts en cas d’accident ou de blessure,

d’autre part, ils ne possédaient pas de garantie d’être pénalement protégés au cas où ils

faisaient usage de leurs armes45.

II. La structure interne de la fonction publique

Le système de la carrière repose sur l’existence des corps ou cadres d’emploi (A) et sur la règle

de la séparation du grade et de l’emploi (B).

A. Les corps et cadres d’emplois

1. Définitions

L’expression corps de fonctionnaires est apparue en 1959. Elle s’est substituée à la notion de

« cadre ». La notion de corps est essentielle. Il s’agit du cadre juridique auquel appartiennent

les fonctionnaires et dans lequel va se dérouler leur carrière. Un corps regroupe en effet des

45 Lorsqu’un militaire faisait usage de la force en opération extérieure le fondement devait en être trouvé dans le droit du temps de paix, c’est-à-dire dans les dispositions relatives à la légitime défense des personnes et des biens. La règle nouvelle prévoit que la responsabilité du militaire en opération n’est pas engagée lorsqu’il pourra faire valoir, d’une part, qu’il a agi dans le cadre du droit international et d’autre part, que l’usage de la force était nécessaire à l’accomplissement de sa mission. Cette dernière condition couvre un nombre de situations beaucoup plus large que la légitime défense.S’agissant de la protection médicale des militaires en opérations extérieures, deux conditions devaient être réunies pour qu’une blessure soit reconnue imputable au service. Il était nécessaire que l’accident soit survenu d’une part à un moment et en un lieu où le militaire était requis par les nécessités du service, d’autre part à l’occasion d’un fait lui-même en relation avec les nécessités du service.Cette double condition excluait en principe la couverture des actes de la vie courante et de toute activité de détente, y compris sur le théâtre d’une opération extérieure.L’inadéquation, voire l’injustice auquel pouvait aboutir ce régime, a été illustrée par deux affaires qui, en leur temps, ont provoqué des remous au sein de la communauté militaire. La première est l’affaire Manoni, du nom d’un quartier maître principal. Le 10 mars 1996, le transport de chaland de débarquement au sein duquel il sert est en escale à Casablanca. Au cours de l’excursion organisée conjointement par la marine nationale et l’ambassade de France, dont le programme était fixé par un « ordre de circonstance », signé par le commandant du navire, le car se renversa, le quartier-maître principal éjecté mourut quelques heures plus tard. Sa veuve obtint une pension. Les ministères des Finances et de la Défense firent appel du jugement du tribunal des pensions au motif que la présence dans le bus du marin décédé n’était pas « imputable au service ». L’État perdit en appel mais se pourvut en cassation et obtint gain de cause. Non seulement la veuve Manoni perdit sa pension mais, à la suite du jugement défavorable, la trésorerie générale lui réclama le « trop perçu ».

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Page 80: cours Fonction publique 2007 (blog)

fonctionnaires soumis au même statut particulier et ayant vocation aux mêmes

grades. Par principe, les fonctionnaires recrutés par concours au premier grade d’un corps

ont vocation à accéder à l’ensemble des grades de ce corps.

L’organisation d’une fonction publique en corps est caractéristique d’une logique de

carrière. Le corps est « l’ossature mentale et technique » de la gestion des fonctionnaires.

Sur le plan juridique comme sociologique, un fonctionnaire ne fait pas carrière dans la

fonction publique mais dans le corps auquel il appartient. Comme le souligne René Chapus,

« cette notion de corps est essentielle. Normalement, un fonctionnaire est voué à faire carrière,

non pas dans la fonction publique en général, mais plus étroitement dans le corps où il a été

admis et son destin normal est d’y demeurer, en y avançant, jusqu’à sa sortie de la fonction

publique ». Les fonctionnaires ne sont toutefois pas condamnés à rester dans leur corps

d’origine, différentes techniques (concours interne, tour extérieur ou encore détachement

suivi d’une intégration) leur permettant de mettre en œuvre deux garanties fondamentales

de leur carrière : l’accès aux autres fonctions publiques civiles ainsi que leur mobilité au

sein des trois grandes fonctions publiques. En fonction du prestige, de la spécificité des

fonctions exercées, l’appartenance à un corps développe chez ses membres des réflexes

corporatistes plus ou moins prononcés.

La multiplication des corps . Il existe pour l’État environ 1 500 corps de fonctionnaires

dont 900 corps qui recrutent encore, les autres sont en voie d’extinction. On mesure ainsi que

la multiplication des corps a pris des proportions spectaculaires. Si certains corps

présentent des effectifs substantiels (spécialement dans l’éducation nationale et en

matière de police), la plupart sont peu fournis et certains sont uniquement composés

d’une poignée d’agents : près de 120 000 professeurs des écoles mais seulement 760 inspec-

teurs du permis de conduire, 138 préfets, 36 géomètres de l’Institut géographique national,

48 ouvriers du service des alcools, 9 maîtres graveurs aux Monnaies et médailles...

Cette situation est problématique parce qu’elle rigidifie et éparpille la gestion des

fonctionnaires en la soumettant à autant de régimes et de procédures qu’il y a de corps.

Elle oppose, en outre, un frein à la mobilité. Les corps constituent en effet autant de

cloisons que les agents doivent franchir s’ils veulent accéder à un emploi relevant d’un

autre corps. Enfin, elle interdit, sauf pour les quelques corps à forts effectifs, toute

véritable déconcentration de la gestion.

Devant cette situation très préjudiciable en terme de gestion publique, une réforme s’impose. A

80

Page 81: cours Fonction publique 2007 (blog)

cet égard, la fonction publique territoriale pourrait servir d’exemple avec sa soixantaine de

cadres d’emplois répartis au sein de huit filières.

Depuis 1987, la notion de cadres d’emploi remplace celle de corps dans la fonction

publique territoriale. « Un cadre d’emplois regroupe les fonctionnaires soumis au

même statut particulier, titulaires d’un grade leur donnant vocation à occuper un

ensemble d’emplois » (v. administrateurs territoriaux, agents de police municipale). Cette

définition est très proche de celle du corps. La seule différence tient au fait que la gestion

du cadre d’emplois est parcellisée, ce qui l’oppose à la gestion unitaire du corps. Chaque

collectivité ou établissement définit et applique sa politique à chaque cadre d’emplois dont elle

ou il dispose.

La création des cadres d’emploi permet de concilier la liberté de gestion de leurs personnels

par les collectivités territoriales et le maintien pour les fonctionnaires d’une perspective de

carrière. Les cadres d’emploi sont pris par décret en Conseil d’État. Il revient à chaque

collectivité de gérer ses agents dans le cadre juridique ainsi défini. Il existe un nombre restreint

de cadres d’emploi (une soixantaine). Ils sont organisés en huit filières professionnelles selon

la nature des missions exercées (administrative, technique, sanitaire et sociale...). Cette logique

de métiers (280 environ) se distingue nettement de l’organisation de la fonction publique

d’État cloisonnée en plusieurs centaines de corps.

La classe. Contrairement au grade, la classe n’est pas définie dans le statut général

mais simplement mentionnée. Il s’agit d’une division du grade. La division d’un corps en

classes n’est obligatoire que si le corps est constitué d’un seul grade. Elle permet de

valoriser le mérite dans le déroulement des carrières et dans l’obtention d’un avancement

par les fonctionnaires. En effet, l’avancement de classe (comme celui de grade) se fait

sur la base d’une appréciation des mérites des agents. Ainsi, à l’inverse d’un avancement

de grade, un avancement de classe ne modifie en rien le niveau hiérarchique du

fonctionnaire. L’agent continue, en effet, à occuper le même type de fonctions.

L’échelon est une subdivision du grade et, le cas échéant, de la classe. L’échelon

joue un rôle essentiel dans la détermination du traitement du fonctionnaire. Le

montant du traitement est en effet fixé en fonction du grade de l’agent et de l’échelon

auquel il est parvenu. L’avancement d’échelon n’entraîne aucun changement de

niveau hiérarchique de l’agent (à l’inverse de l’avancement de grade mais comme

l’avancement de classe) et uniquement une modification du traitement (comme

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Page 82: cours Fonction publique 2007 (blog)

l’avancement de classe). Il est normalement fonction à la fois de l’ancienneté et de la

valeur professionnelle des fonctionnaires, ce qui le distingue de l’avancement de classe

(comme de grade) qui est lui supposé être avant tout fonction de la valeur des agents.

Ainsi, avancements d’échelon et de classe ne conduisent pas à une élévation du niveau

hiérarchique du fonctionnaire mais simplement à une amélioration de son traitement, le

premier étant fonction de l’ancienneté et le second du mérite.

L’emploi. Si le fonctionnaire est titulaire de son grade, il ne l’est pas de son

emploi. Dès lors, et sauf le cas particulier des fonctionnaires inamovibles (magistrats

du siège et professeurs d’université notamment), l’administration dispose d’une grande

latitude d’action dans le changement d’affectation des fonctionnaires sur tel ou tel

emploi. « Si l’intérêt du fonctionnaire justifie qu’il ne soit pas abusivement privé des avantages

attachés à son grade, l’intérêt du service commande qu’il exerce ses fonctions au poste où il

sera le plus utile. Conséquence tenue de respecter le grade, l’Administration sera dans une

large mesure maîtresse de l’emploi » (Robert Savy).

2. Le classement des corps

Les corps et cadres d’emploi sont classés, par ordre hiérarchique décroissant, en trois

catégories : A, B et C. Traditionnellement, on distinguait quatre groupes de fonctions

administratives correspondant à quatre degrés distincts de qualification professionnelle et,

par suite, à quatre niveaux moyens de recrutement : fonctions de conception (catégorie

A) ; fonctions d’application (catégorie B) ; fonctions d’exécution, spécialisées (catégorie

C) ou non spécialisées (catégorie D).

La catégorie A correspond aux tâches de conception et de direction. Le niveau de

recrutement des corps concernés est celui des diplômes d’enseignement supérieur (licence

ou master 1).

La catégorie B correspond aux tâches d’application (contrôleurs du Trésor, secrétaires

d’administration scolaire et universitaire, rédacteurs territoriaux). Les corps sont recrutés

au niveau du baccalauréat.

La catégorie C correspond aux tâches d’exécution spécialisées (adjoints administratifs,

préposés des postes, chauffeurs). Le niveau de recrutement est le brevet des collèges.

Jusqu’en 1990, il existait une catégorie D qui regroupait les tâches d’exécution non

spécialisées (agents d’entretien, agents techniques). Le niveau de recrutement était

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Page 83: cours Fonction publique 2007 (blog)

l’ancien certificat de fin d’études primaires. Cette catégorie a disparu par incorporation

des corps concernés dans la catégorie C.

Le statut particulier de chaque corps précise de quelle catégorie celui-ci relève.

L’appartenance d’un corps à une catégorie détermine à la fois le niveau de recrutement et

celui de la rémunération. Ce classement doit toutefois être relativisé pour deux raisons : tout

d’abord, les candidats qui se présentent aux concours, notamment pour les corps de catégorie B,

sont surqualifiés ; ensuite, les corps classés en catégorie A sont très hétérogènes.

Les textes contemporains ne mentionnent plus pour classer les corps que « leur niveau de

recrutement ». Il est toutefois évident que ce niveau et la nature des fonctions exercées

par les membres du corps sont corrélés : les deux éléments continuent donc à servir

conjointement de base au classement des corps et cadres d’emplois . La catégorie A

correspond aux corps pour lesquels un diplôme d’enseignement supérieur est

nécessaire, la catégorie B à ceux où est simplement exigé le baccalauréat et les

catégories C et D à l’obtention respective du BEPC et du CEP. Il convient toutefois

de ne pas se méprendre sur ces niveaux d’exigences. Bien souvent, les candidats

possèdent des diplômes nettement supérieurs à ceux exigés pour se présenter aux concours

de recrutement.

Ainsi et par exemple, pour ce qui est de la fonction publique de l’État, pour les concours

ouverts aux candidats titulaires du baccalauréat, la moitié des personnes recrutées est titulaire d’un

diplôme au moins égal à la licence alors que 17 % ne disposent que du baccalauréat. 65 % des

recrutés en catégorie C sont bacheliers alors que le niveau de diplôme exigé est celui du brevet. De

même, il convient de souligner « que ce phénomène de surqualification est plus marqué au sein de

la fonction publique que dans le secteur privé.

Une conséquence importante du classement d’un corps dans une catégorie a trait au

traitement des agents appartenant à ce corps puisqu’à chaque catégorie correspond une

fourchette de niveaux indiciaires (et que c’est l’indice atteint par l’agent qui permet de

déterminer son traitement).

La catégorie C occupe l’espace compris entre les indices nouveaux majorés 253 et 415, la

catégorie B les indices compris entre 288 et 513, la catégorie A à partir de l’indice 347.

Les fonctionnaires soumis à un statut spécial sont classés hors catégorie pour leurs indices

de traitement.

B. La séparation du grade et de l’emploi

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Page 84: cours Fonction publique 2007 (blog)

La distinction entre le grade et l’emploi est instituée par la loi du 19 mai 1834 sur l’état des

officiers. Le maréchal Soult, son rapporteur, explique à la Chambre des députés que le grade

relève de « l’état » de l’officier, alors que l’emploi appartient « au commandement

supérieur des armées dont était investi le roi ». On dit souvent aujourd’hui que le grade

appartient à l’agent et l’emploi à l’administration. Après avoir été réservée aux militaires

durant un siècle, cette séparation a été introduite dans la fonction publique civile de

l’Etat en 1945.

1. Le lien entre le grade et l’emploi

Le lien entre le grade et l’emploi se résume en deux propositions :

- le grade confère un emploi qui lui correspond ;

- l’absence d’emploi ne prive pas de grade.

Le grade confère un emploi qui lui correspond

Le grade est « le titre qui confère à son titulaire vocation à occuper l’un des emplois qui

lui correspondent ». Il est l’expression du droit à une carrière. L’emploi n’est donc pas

sans lien avec le grade dans la mesure où « un fonctionnaire public ne peut, en règle

générale , être affecté qu’à un emploi correspondant à son grade » (CE, 8 février 1961,

Bourianne). Il y a là une application de la définition même du grade qui précise que

les fonctionnaires ont vocation à occuper un emploi correspondant à leur grade. Mais

« vocation à » ne signifie pas « droit à » et c’est pourquoi, si l’intérêt du service

l’exige, un agent peut occuper un emploi correspondant à un grade supérieur ou inférieur

au sien et ainsi, et suivant les cas, être le supérieur hiérarchique d’un agent de grade

supérieur ou le subordonné d’un agent de grade inférieur. Le Conseil d’État souligne ainsi qu’

« aucune disposition, non plus qu’aucun principe général applicable aux fonctionnaires

civils, n’interdisent à l’administration de prévoir qu’un fonctionnaire puisse être placé sous

les ordres d’un agent de grade inférieur au sien » (CE, 11 décembre 1996, Département du

Val-d’Oise /Lacombe).

Le fonctionnaire en activité dispose d’un droit à recevoir une affectation dans un délai

raisonnable. Autrement dit, s’il n’a pas droit à un emploi en particulier il a par contre

droit à un emploi (correspondant en principe à son grade).

Il existe en principe plusieurs grades dans un corps. Le corps des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel comprend ainsi trois grades conseiller, premier conseiller, président. Certains corps ne comprennent qu’un seul grade (préfet, professeur des universités ou administrateur civil). La hié rarchie se marque alors au moyen de classes : professeur de seconde classe, de première classe, de classe exceptionnelle. Le statut particulier de chaque corps détermine la hiérarchie des grades (ou classes) dans le corps, les règles

84

Page 85: cours Fonction publique 2007 (blog)

d’avancement d’échelon et de promotion de grade (ancienneté et choix). L’attribution de son premier grade (ou titularisation) traduit l’appartenance définitive d’un fonctionnaire jusque-là stagiaire à la fonction publique. Chaque grade (ou classe) est lui-même divisé en un certain nombre d’échelons. Chaque échelon correspond à un indice majoré qui permet de calculer le traitement. Le grade influe donc directement sur la rémunération du fonctionnaire.

Le statut ne définit pas la notion d’emploi. L’emploi désigne une fonction administrative

permanente, juridiquement distincte des autres : chef de bureau, directeur d’administration

centrale, chef de service... L’emploi permanent correspond à un besoin prévisible et

constant d’une collectivité publique : il doit en principe être occupé par un fonctionnaire.

L’emploi non permanent satisfait en revanche des besoins saisonniers ou occasionnels. Il ne

peut être occupé que par un agent non titulaire.

Un emploi permanent peut être à temps complet ou à temps non complet. Tout emploi à

temps complet doit être confié à un fonctionnaire, tandis qu’un emploi à temps non complet

doit être assuré par un agent non titulaire. Cependant, les spécificités des petites communes

justifient le recrutement d’un fonctionnaire territorial sur un emploi à temps non complet.

Si le grade appartient à l’agent, l’emploi est à la disposition de l’administration.

Cette affirmation traduit la liberté relative dont cette dernière jouit, sous le contrôle du

juge, pour affecter les agents suivant les nécessités du service dans la limite toutefois des

emplois correspondant à leur grade. L’intérêt du service peut justifier des dérogations à ce

principe. Affecter un agent à un emploi où il se trouve sous les ordres d’un autre agent

de grade inférieur au sien n’est ainsi pas illégal.

L’absence d’emploi ne prive pas de grade

En cas de disparition de son emploi, le fonctionnaire est affecté dans un nouvel emploi. Cette

règle résulte de la séparation du grade et de l’emploi. Dans la fonction publique d’État,

seule une loi spéciale de « dégagement des cadres » peut licencier des fonctionnaires.

Dans les autres fonctions publiques, le licenciement pour suppression d’emploi ne nécessite

pas l’intervention de la loi. Aussi n’est-il pas totalement exclu. Le fonctionnaire territorial

notamment peut connaître des interruptions de carrière en raison de la suppression de son

emploi ou de la fin de son détachement sur un emploi fonctionnel. Si la collectivité ou

l’établissement territorial d’affectation ne peut lui offrir un emploi équivalant à l’emploi

supprimé, l’intéressé est maintenu en surnombre pendant un an. Au terme de ce délai, le

fonctionnaire sans emploi est pris en charge par le centre de gestion compétent. Cette prise en

charge cesse après trois refus d’emplois correspondant à son grade. L’agent est alors licencié

ou admis à faire valoir ses droits à la retraite.

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Page 86: cours Fonction publique 2007 (blog)

Lorsqu’un fonctionnaire reste sans affectation pendant un délai prolongé, il perçoit son

traitement sans avoir de service à accomplir. En n’attribuant aucun emploi à cet agent,

l’administration engage sa responsabilité pour faute (CE, Sect., 20 juin 1952, Sieur Bastide).

Tout fonctionnaire en activité tient en effet de son statut le droit de recevoir, dans un délai

raisonnable, une affectation correspondant à son grade. Si elle estime l’agent inapte,

l’administration doit engager une procédure de licenciement. Le préjudice moral et matériel

subi par l’intéressé en raison de la carence de son employeur doit être indemnisé. Celui-ci a

droit en principe à une indemnité tenant compte de la différence entre les sommes qu’il a

perçues et la rémunération qui aurait été la sienne s’il avait reçu une affectation.

L’absence de démarche du fonctionnaire pour alerter l’administration sur sa situation

constitue une faute de l’agent. Elle est prise en compte pour le calcul de l’indemnité compte

tenu du rang de l’agent dans la hiérarchie administrative et de la durée de son inactivité (CE,

Sect., 6 nov. 2002, Guisset : un conseiller des affaires étrangères, privé d’affectation durant

douze ans, qui se borne à produire une lettre adressée à son administration à une date à

laquelle il était sans affectation depuis plus de six ans, exonère l’État du tiers de sa

responsabilité).

2. L’altération du lien entre le grade et l’emploi

L’altération du lien entre le grade et l’emploi se rencontre dans deux situations particulières.

La première correspond aux emplois sans grade, c’est-à-dire aux emplois pourvus

discrétionnairement (a). La seconde forme d’altération est constituée par les fonctionnaires

inamovibles (b).

a. Les emplois sans grade

Bien que fondé sur la carrière, notre système laisse une place résiduelle à la logique de

l’emploi. Il persiste en effet une logique d’emploi pour les fonctions supérieures qui se situent

à la charnière des sphères politique et administrative. Deux catégories d’emplois sont

concernées : les emplois à la décision du gouvernement dans la fonction publique d’État et

les emplois fonctionnels dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Par

dérogation au principe du concours, les nominations à ces emplois sont laissées à l’appréciation

du gouvernement et de l’exécutif territorial. Ce choix quasi discrétionnaire s’explique par le

loyalisme absolu dont ces responsables administratifs doivent faire preuve à l’égard de

l’autorité qui les nomme. Ils sont en effet étroitement associés à la préparation et à la

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Page 87: cours Fonction publique 2007 (blog)

mise en œuvre de la politique nationale ou locale. La nomination à l’un de ces emplois ne

confère enfin nullement à l’intéressé la qualité de fonctionnaire s’il en est jusque-là dépourvu.

Emplois à la discrétion (ou à la décision) du gouvernement. Le statut général prévoit

l’existence des emplois supérieurs de l’État. Leur liste est fixée par décret en Conseil d’État.

Ils sont pourvus par décret en Conseil des ministres. Cette haute hiérarchie administrative

comprend, entre autres, les emplois de secrétaire général du gouvernement et de la Défense

nationale, de directeur d’administration centrale et de secrétaire général de ministère,

d’ambassadeur, de préfet, de recteur d’académie. Le juge ne s’estime toutefois pas lié par

cette liste. Pour définir le contenu de cette catégorie d’emplois publics, il se fonde en effet

sur la nature des fonctions considérées (CE, 10 déc. 1948, Lavaud).

Ces emplois sont pourvus « à la décision » du gouvernement, c’est-à-dire à sa

discrétion. L’exécutif peut nommer un fonctionnaire ou une personne étrangère à la fonction

publique. L’accès de cette dernière à ces emplois n’entraîne pas sa titularisation dans un

corps. Le choix des autorités se porte le plus souvent sur des fonctionnaires qui occuperont

l’emploi par détachement. Il peut être mis fin au détachement à tout moment. Le juge précise

le cadre juridique dans lequel s’exerce cette compétence. Le retrait d’un tel emploi, lors-

qu’il constitue une mesure prise en considération de la personne, implique ainsi l’accès au

dossier. Lorsqu’il s’agit de fonctionnaires, le choix de l’exécutif est limité par les

dispositions statutaires fixant les conditions d’accès aux emplois concernés. Le Chef de

l’État ne peut ainsi nommer ambassadeur un diplomate que si son statut le permet (CE, Ass.,

31 mai 2006, Synd. CFDT du ministère des Affaires étrangères, AJDA, 2006, p. 1899, concl.

Olson : nomination illégale d’un secrétaire aux affaires étrangères comme ambassadeur car il

n’a pas été préalablement détaché dans le grade de conseiller des affaires étrangères hors

classe qui est l’une des situations permettant cette désignation).

Les emplois fonctionnels désignent les emplois de direction les plus élevés dans la

territoriale. Ils sont pourvus par la voie du détachement ou, à défaut par recrutement direct

par contrat. Ils sont énumérés par la loi du 26 janvier 1984. Il s’agit, par exemple, des

emplois de directeur général et directeur général adjoint des services d’une région, d’un

département ou d’une commune de plus de 3 500 habitants ; de directeur général des services

techniques d’une commune de plus de 20 000 habitants, de directeur général de certains

établissements publics territoriaux (v. communauté urbaine, syndicat intercommunal).

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Page 88: cours Fonction publique 2007 (blog)

L’autorité territoriale peut mettre fin au détachement d’un agent occupant un tel emploi. La

fin de fonctions ne peut intervenir qu’après un délai de six mois suivant soit leur

nomination dans l’emploi, soit l’élection de l’autorité territoriale. Cette décision doit être

motivée, par exemple par la simple perte de confiance de l’exécutif territorial dans son

subordonné. Enfin, la loi précise les possibilités s’offrant à l’intéressé (reclassement, prise en

charge, congé spécial, licenciement) dans le cas où la collectivité ou l’établissement ne

peut lui offrir un emploi correspondant à son grade.

b. Les fonctionnaires inamovibles

Certains fonctionnaires sont inamovibles. Il s’agit notamment des magistrats du siège et des

professeurs d’université. L’inamovibilité contribue à garantir leur indépendance. La

distinction entre grade et emploi perd alors de son sens. Les agents concernés ne peuvent être

soumis à un pouvoir hiérarchique classique. Ils doivent être protégés contre une éventuelle

mutation décidée par l’autorité administrative. L’administration ne peut par conséquent pas

disposer de leur emploi comme elle l’entend. Même s’il répond à l’intérêt du service, un

changement d’affectation n’est possible qu’avec l’accord de l’agent concerné ou sur sa

demande.

Les magistrats du siège tirent leur inamovibilité de la Constitution. Pour les autres

fonctionnaires, l’inamovibilité résulte normalement de la loi. Tel est le cas pour les

magistrats financiers et pour les membres des tribunaux administratifs et cours

administratives d’appel. Cette inamovibilité est, en revanche, une garantie réglementaire

pour les professeurs des universités et maîtres de conférences.

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Page 89: cours Fonction publique 2007 (blog)

Leçon n° 5 : La gestion de la fonction publique

Nous étudierons les organes de gestion et les organes de participation avant d’exposer les

défauts majeurs du système actuel de gestion de la fonction publique.

I. Les organes de gestion

La définition des grandes orientations et des réformes d’ensemble relève de la définition de

la politique générale du gouvernement. La gestion au quotidien de la carrière des agents

appartient aux organes spécifiques des trois fonctions publiques.

A. La définition gouvernementale de la politique générale

1. Le rôle central du gouvernement

Le Premier ministre joue un rôle fondamental d’impulsion en matière de fonction

publique. En tant que chef du gouvernement, il détermine et conduit la politique

nationale en matière de fonction publique, sous réserve des choix du président de la

République (réforme des retraites par exemple). Le Premier ministre est titulaire du pouvoir

réglementaire de droit commun. A ce titre, il signe les décrets portant statut particulier des

corps ou cadres d’emploi. Il dispose de l’initiative des lois pour faire modifier le statut

général par le Parlement.

En pratique, le Premier ministre confie l’exercice de ses compétences de gestion au ministre

chargé de la Fonction publique. Ce dernier exerce les compétences dévolues au Premier

ministre en matière de fonction publique. Il prépare et met en œuvre la politique du

gouvernement en ce qui concerne la fonction publique. La direction générale de

l’administration et de la fonction publique lui est rattachée. Il veille au respect tant des

droits et obligations de l’ensemble des fonctionnaires que des principes régissant leur

carrière. Le ministre conduit la politique salariale dans la fonction publique et assure la

coordination des règles statutaires et indiciaires particulières. Il préside le Conseil supérieur

de la fonction publique de l’État.

Bien qu’il ne dispose pas d’attributions générales en matière de fonction publique, le

ministre de l’Économie et des Finances est nécessairement associé aux réformes de la fonction

publique en raison des fortes implications financières qu’elles comportent.

89

Page 90: cours Fonction publique 2007 (blog)

- La direction du Budget apprécie l’incidence sur le budget de l’État des mesures

statutaires (échelonnement indiciaire des corps, réforme des retraites). Cela suppose

de lui reconnaître un droit de regard lors des négociations salariales dans la fonction

publique.

- Créée par un décret du 30 décembre 2005, la direction générale de la modernisation

de l’État participe à la conception et à la promotion des nouveaux modes de

gestion de l’État dans le cadre de la mise en œuvre de la LOLF.

2. L’appoint nécessaire des administrations spécialisées

Créée en 1945, la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP)

dépend directement du Premier ministre. En pratique, la DGAFP est mise à la disposition du

ministre de la Fonction publique. Ses effectifs sont limités puisqu’elle ne comprend que

150 agents. Traditionnellement, son rôle était centré sur la gestion du statut général des

fonctionnaires de l’État. Il s’étend désormais à tous les aspects transversaux de la politique du

gouvernement en matière de fonction publique. La DGAFP occupe aujourd’hui une place

centrale dans le renouveau de la gestion publique des ressources humaines.

Depuis 2007, la DGAFP est composée de trois sous-directions. Cette nouvelle organisation rend

plus visible les trois principales orientations de son action :

- la DGAFP assure la cohérence statutaire (élaborer les textes, simplifier les règles de

gestion, prévoir les évolutions) ;

- elle prépare et conduit le dialogue social dans la fonction publique, notamment en

matière de rémunération. Elle élabore et pilote la nouvelle politique des ressources

humaines.

- la DGAFP exerce enfin la tutelle de l’État sur l’ENA et les cinq instituts régionaux

d’administration (IRA).

La Direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l’Intérieur et celle de

l’hospitalisation et de l’organisation des soins du ministère de la Santé constituent les pendants de

la DGAFP dans leur fonction publique respective.

Créé en avril 2006, le secrétariat général de l’administration est rattaché au Premier ministre.

Le secrétariat général de l’administration est chargé de préparer les orientations de la

politique de gestion des cadres supérieurs de l’État et de ses établissements publics. Il recense les

emplois vacants et renseigne les autorités compétentes sur le profil des hauts fonctionnaires

susceptibles de les occuper. Il suit le développement de la rémunération à la performance dans

90

Page 91: cours Fonction publique 2007 (blog)

l’encadrement supérieur de l’État. Il est associé au processus de sélection de ces cadres.

B. La gestion quotidienne des agents

1. Les organes de gestion de la fonction publique d’Etat

Le processus de déconcentration n’y change rien, la gestion des agents publics demeure

largement centralisée. La gestion centralisée est destinée à garantir un meilleur respect de

l’égalité de traitement. Elle assure en effet que les décisions individuelles concernant les

agents sont prises de façon coordonnée par un petit nombre d’autorités. L’inconvénient est

toutefois que les mécanismes décisionnels sont lourds dans la mesure où toute décision doit

être approuvée au niveau ministériel. La gestion des agents de l’État relève donc en principe

du ministre et, à titre subsidiaire, d’autres chefs de service.

L’exercice par le ministre de ses responsabilités en matière de gestion des agents de son

ministère est étroitement encadré. Toute velléité de politique personnelle se heurte à trois

obstacles majeurs.

- La Constitution confie tout d’abord au Premier ministre l’exercice du pouvoir

réglementaire.

- Le statut général renvoie principalement, pour définir ses modalités d’application, à

des décrets simples ou en Conseil d’Etat.

- Enfin, le Premier ministre ne peut sans méconnaître la Constitution subdéléguer aux

ministres une compétence que celle-ci lui attribue (CE, Ass., 13 juill. 1968, Moreau).

Le ministre ne peut donc intervenir que dans trois hypothèses. Ses services assurent tout

d’abord pour l’ensemble des agents du ministère l’exécution des lois et de leurs décrets

d’application. Il peut aussi, à l’occasion, être directement habilité par la loi pour prendre

certaines mesures d’exécution (à propos de la déconcentration des concours). En l’absence de

loi, il dispose enfin, comme tout chef de service, d’un pouvoir réglementaire autonome qu’il

peut exercer si la matière en cause n’est ni législative ni statutaire. Le ministre peut ainsi

réglementer l’exercice du droit de grève par les agents placés sous ses ordres (v. CE, Ass., 7

juill. 1950, Dehaene). Le ministre de la Défense de prendre une instruction qui rend

obligatoires certaines vaccinations pour les militaires (CE, Ass., 3 mars 2004, Assoc. Liberté,

Information, Santé, Rec. p. 113). Le droit en vigueur laisse ainsi peu de place à l’initiative

minis térielle en matière de fonction publique .

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Page 92: cours Fonction publique 2007 (blog)

L’implication des chefs des services déconcentrés dans la gestion de leurs agents dépend de

l’ampleur des délégations de compétences intervenues en leur faveur. Celles-ci varient

considérablement d’un ministère à l’autre. La gestion des corps de professeurs des écoles et

d’instituteurs relève entièrement des rectorats. D’une manière générale, la déconcentration

reste toutefois un processus limité. Dans la plupart des corps, la déconcentration se limite

aux actes de gestion les plus courants qui ne nécessitent pas la consultation de la Commission

administrative paritaire du corps (congés, autorisations d’absence...). Pour tous les autres actes,

la compétence continue de relever du ministre et de la CAP nationale.

Établissements publics nationaux. Au sein des établissements publics de l’État, le chef d’établissement et son conseil d’administration sont compétents, dans le respect des statuts particuliers des différents corps, pour prendre les mesures individuelles de gestion. La situation est toutefois là aussi assez contrastée. Il existe souvent au sein d’un même établissement des corps de fonctionnaires gérés par des autorités différentes. Dans une université par exemple, les enseignants-chercheurs relèvent pour leur gestion de la direction générale de l’enseignement supérieur du ministère de l’Éducation et les personnels administratifs dépendent du rectorat de l’académie. Il n’y a guère que les personnels techniques qui sont gérés par l’université.

2. Les organes de gestions de la fonction publique territoriale

Le statut général reconnaît l’autonomie de gestion des collectivités territoriales sur

leurs personnels. Les décisions individuelles relatives à la gestion des personnels sont

néanmoins transmises au préfet pour permettre le contrôle de leur légalité.

L’assemblée délibérante décide la création et la suppression des emplois de la collectivité

concernée, ce pouvoir étant lié à sa compétence budgétaire. Elle précise aussi les éléments

du statut des fonctionnaires qui ne sont pas fixés par la loi ou les règlements : par exemple,

le régime indemnitaire des agents dans le respect du principe de parité. Si l’emploi créé

doit être pourvu par un contractuel, l’assemblée établit les règles qui lui sont applicables.

L’autorité exécutive (maire, président de conseil général ou régional) met en œuvre les

délibérations adoptées par l’assemblée. Elle prend aussi les mesures individuelles

concernant la carrière des fonctionnaires (nomination, titularisation, avancement, sanctions)

comme la situation des contractuels. Elle fixe les modalités de fonctionnement du service

(heures d’ouverture, congés).

Les centres de gestion sont des établissements publics spécialisés dans la gestion et la

formation des fonctionnaires. En les créant en 1984, la loi a entendu répondre à un double

objectif : aider les collectivités qui en ont besoin dans la gestion de leur personnel et garantir

aux fonctionnaires la stabilité inhérente au système de la carrière.

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Page 93: cours Fonction publique 2007 (blog)

Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) est un établissement public

administratif de l’État qui regroupe la totalité des collectivités et établissements

territoriaux. Il est dirigé par un conseil d’administration composé à part égale de

représentants des collectivités et des organisations syndicales des agents territoriaux. Il

dispose d’une trentaine de délégations régionales ou interdépartementales qui sont chargées de

l’organisation matérielle des concours et examens. Il exerce des fonctions de gestion et de

formation. Au titre des premières, il prend ainsi en charge les fonctionnaires de catégorie

A momentanément privés d’emploi et favorise leur reclassement. Au titre des secondes, il

organise la formation initiale des lauréats de certains concours (administrateur territorial) et la

formation continue d’un grand nombre d’agents.

Les centres départementaux de gestion sont des établissements publics locaux. Chaque centre est

dirigé par un conseil d’administration composé d’élus qui représentent les collectivités et

établissements territoriaux qui en sont membres. Sont obligatoirement affiliés à un centre de

gestion les communes et leurs établissements publics employant moins de 350 fonctionnaires,

celles qui n’employant aucun fonctionnaire titulaire ou stagiaire à temps complet,

emploient au moins un fonctionnaire à temps non complet et celles qui n’emploient que des

agents non titulaires. Les autres collectivités sont libres de s’affilier ou non à un centre de

gestion. Pour l’essentiel, ces centres assurent la tenue des bourses d’emplois, la publicité des

créations et vacances d’emplois et des listes d’aptitude. Ils organisent aussi certains concours et

examens professionnels. Ils prennent enfin en charge les fonctionnaires de catégorie B et

C privés d’emploi.

Réforme des centres de gestion. cf. BOURDON Le projet de loi relatif à ‘la fonction publique territoriale entendait réformer profondément ces organes territoriaux. Le texte adopté en première lecture par le Sénat le 16 mars 2006 s’écarte sensiblement de celui du gouvernement. Le CNFPT, qualifié désormais d’ « instance représentative de la fonction publique territoriale », en sort plutôt conforté. Il conserve la plupart de compétences dont le gouvernement voulait le priver. Il se voit confier en outre des attributions en matière de reconnaissance de l’expérience professionnelle et de validation des acquis de l’expérience. Quant aux centres de gestion locaux, leur coordination grâce à la création d’un nouvel établissement public national spécialisé est abandonnée en raison de son coût.

3. Les organes de gestion de la fonction publique hospitalièreCadre général. Les corps et emplois de la fonction publique hospitalière sont pourvus et gérés dans le cadre de chaque établissement (titre IV, art. 4, al. 5). Par dérogation, les corps et emplois des personnels de direction sont recrutés et gérés au niveau national. Il existe donc bien deux niveaux de gestion des carrières dans la fonction publique hospitalière. Le niveau national pour les personnels de direc tion et le niveau local pour tous les autres personnels.Attributions du ministre de la Santé. Il est en principe pourvu aux emplois de directeurs d’établissements publics hospitaliers par arrêté ministériel (C. santé publ., art. L. 6141-1). Les directeurs des établissements les plus

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Page 94: cours Fonction publique 2007 (blog)

importants (Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Hospices civils de Lyon et Assistance publique de Marseille) sont toutefois nommés par décret sur proposition du ministre de la Santé.Attributions du chef d’établissement. Le directeur est chargé de l’exécution des décisions du conseil d’administration : il met en œuvre la politique définie par ce dernier. Il exerce à titre exclusif, son autorité sur l’ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s’imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l’administration des soins et de l’indépendance professionnelle du praticien dans l’exercice de son art (C. santé pub., art. L. 6143-7). Il lui appartient, sous réserve de l’intervention des organismes paritaires, de décider des recrutements, des avancements et des affectations de l’ensemble des agents. Il détient le pouvoir disciplinaire à l’égard des personnels non médicaux de son établissement.

II. Les organes de participation

C’est en 1946 que les fonctionnaires se sont vu reconnaître, pour la première fois, le droit

d’être consultés, au moyen de leurs représentants, sur les principales décisions qui les

concernent (projet de textes généraux ou de décisions individuelles). Le statut de 1946

concrétise pour la fonction publique le principe affirmé par le huitième alinéa du

préambule de la Constitution de 1946 selon lequel tout travailleur participe, par

l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi

qu’à la gestion des entreprises. L’actuel statut général proclame que « Les fonctionnaires

participent, par l’intermédiaire de leurs délégués siégeant dans des organismes consultatifs, à

l’organisation et au fonctionnement des services publics, à l’élaboration des règles

statutaires et à l’examen des décisions individuelles relatives à leur carrière ».

Afin de donner corps à ce principe de participation, le statut de 1946 a créé les instances

paritaires de concertation, instances qui existent toujours. Le statut de 1983 procède à

l’extension de leurs compétences et généralise leur présence dans toutes les fonctions

publiques.

A. Les conseils supérieurs des fonctions publiques

Le Conseil supérieur de la fonction publique a été créé en 1946. Il assure la participation des

agents à la définition de leurs conditions de travail en favorisant la concertation entre

employeur public et représentants syndicaux.

1. Le conseil supérieur de la fonction publique d’Etat

Cette instance nationale comprend en nombre égal des représentants de l’administration et

des représentants des organisations syndicales de fonctionnaires. Elle est présidée par le

Premier ministre que supplée le ministre chargé de la Fonction publique. Outre son prési -

dent, le Conseil supérieur comprend 40 membres nommés par décret pour trois ans

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Page 95: cours Fonction publique 2007 (blog)

renouvelables. Les 20 représentants des fonctionnaires sont désignés par les syndicats

représentatifs.

Cet organisme paritaire peut connaître de toute question d’ordre général intéressant la

fonction publique de l’État ou les fonctionnaires de l’État. Ses attributions sont

consultatives. Son intervention est tantôt obligatoire tantôt facultative. Il est obligatoirement

consulté sur quatre types de projets de textes généraux : les projets de loi qui modifient les

deux premiers titres du statut général ; les projets de décret portant statut particulier des

corps qui dérogent au statut général ; les projets de classement indiciaire des grades et emplois

des fonctionnaires civils et militaires de l’État et les projets de décret comportant des

dispositions communes à plusieurs corps de fonctionnaires. Dans les autres hypothèses, l’avis

du Conseil est demandé à titre facultatif. Celui-ci est alors saisi soit par le Premier ministre

soit à la demande écrite d’au moins un tiers de ses membres.

Le Conseil supérieur connaît aussi de certaines situations individuelles. Il remplit en effet le

rôle d’organe supérieur de recours en matière disciplinaire, d’avancement et de licenciement

pour insuffisance professionnelle. Sous certaines conditions en effet, les fonctionnaires

de l’État disposent d’une voie de recours administratif devant lui contre la décision prise à

leur encontre par leur supérieur hiérarchique après consultation du conseil de discipline.

L’exercice de ce recours ne fait pas obstacle à l’exécution de la décision ; il suspend

néanmoins le délai de recours contentieux.

Le Conseil entend enfin un rapport annuel sur l’état de la fonction publique de l’État qui

porte notamment sur les conditions générales d’emploi et de rémunération des femmes et des

hommes. Il en débat. Le rapport, accompagné de l’avis formulé par le Conseil, est transmis

par le Premier ministre aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.

L’avis rendu par le Conseil est adopté à la majorité. En raison du fréquent clivage entre

représentants de l’administration et syndicats, le Conseil est souvent dans l’impossibilité de

statuer. Dans cette hypothèse, la procédure suit son cours même si l’avis est obligatoire. Il

suffit que les membres du Conseil aient été en mesure de délibérer sur le projet de texte qui

leur est soumis pour que la formalité soit considérée comme remplie (CE, Ass., 21 avr.

1972, Synd. chrétien du corps des officiers de police).

2. Le conseil supérieur de la fonction publique territoriale

Le conseil supérieur de la fonction publique territoriale est un organisme paritaire national. Il

s’agit du pendant du précédent pour la territoriale. Il est composé de 40 membres : 20 re-

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Page 96: cours Fonction publique 2007 (blog)

présentants élus des collectivités territoriales et 20 représentants du personnel désignés par les

syndicats de fonctionnaires territoriaux. Ils élisent leur président. Ce Conseil dispose

d’attributions consultatives (avis sur les projets de loi et de statut particulier) et d’un

pouvoir de proposition (initiative en matière statutaire). Depuis 1987, il est privé de toute

compétence en matière de recours (disciplinaire, licenciement).

Conseil supérieur de la FPH. Cet organisme paritaire national présente quelques particularités (titre IV, art. Il et s. et D. n° 88-981 du 13 oct. 1988). Il comprend de façon originale 38 membres dont 19 représentants des organisations syndicales des fonctionnaires hospitaliers. Les 19 autres membres représentent les employeurs : il y a six représentants des ministères concernés (directeurs d’administration centrale), huit représentants des assemblées délibérantes des collectivités territoriales impliquées et quatre représentants des directeurs d’hôpitaux. Il est présidé par un conseiller d’État. Ce Conseil supérieur détient une compétence consultative (projet de loi et décret relatif aux statuts particuliers) et un pouvoir de proposition. Il est l’organe supérieur de recours pour les sanctions disciplinaires les plus sévères et pour les licenciements. Cette compétence est exercée par une commission des recours dirigée par son président et composée de façon paritaire.

B. Les commissions administratives paritaires

Les commissions administratives paritaires existent dans les trois fonctions publiques. Elles

jouent un rôle fondamental dans la vie professionnelle des fonctionnaires. Elles se

prononcent en effet, à titre consultatif, sur les décisions individuelles relatives à leur carrière.

L’existence de ces instances garantit la transparence de la gestion des agents et prévient

l’arbitraire.

Dans la FPE, il y a en principe une commission administrative paritaire nationale par

corps de fonctionnaires. Un même corps peut toutefois justifier l’existence de plusieurs

commissions, l’une nationale, les autres locales, lorsqu’il y a déconcentration de certains

actes de gestion en raison des effectifs. Afin d’assurer l’égalité de traitement entre

fonctionnaires d’un même corps, le Conseil d’État s’oppose toutefois à la création de CAP

locale lorsque le nombre d’agents à gérer est inférieur à cinquante. En deçà de ce seuil, il

n’est en effet plus possible de prendre en compte de façon équitable les mérites respectifs des

agents. Dans la territoriale, il y a une commission par catégorie de cadres d’emploi (A, B

et C) dans chaque centre de gestion ou dans chaque collectivité territoriale si celle-ci n’est

affiliée à aucun centre. Dans la FPH enfin, il existe une commission nationale pour les

personnels de direction et des commissions départementales par catégorie professionnelle.

Chaque commission comprend en nombre égal des représentants de l’administration et

des représentants du personnel. Les premiers sont désignés par l’autorité administrative (FPE :

arrêté ministériel ; FPT : décision de l’exécutif territorial ; FPH : arrêté préfectoral). Les

représentants du personnel sont élus à la proportionnelle par les agents. Les syndicats

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Page 97: cours Fonction publique 2007 (blog)

représentatifs sont les seuls à pouvoir présenter des candidatures. Le principe de

l’élection des représentants du personnel aux CAP constitue une garantie fondamentale au

sens de l’article 34 de la Constitution. Les membres des CAP sont désignés pour une durée

variable (FPE : trois ans : FPT : six ans ; FPH : quatre ans).

Les commissions administrations paritaire disposent d’attributions consultatives. Leur champ

de compétence est large. Les CAP sont saisies pour avis de la plupart des décisions

individuelles affectant la carrière d’un fonctionnaire : titularisation, promotion,

détachement, notation... L’avis rendu par la CAP ne lie pas l’autorité gestionnaire. Il

constitue néanmoins toujours une formalité substantielle : l’absence de saisine de la

commission peut être invoquée à l’appui de la contestation de la décision finale. Les CAP

jouent enfin, dans une composition particulière, le rôle de conseil de discipline et rendent

un avis avant que l’autorité administrative ne statue.

C. Les autres organes consultatifs

1. Les comités techniques paritaires

Contrairement aux CAP, les attributions consultatives des comités techniques paritaires portent

sur des questions générales : l’organisation et de fonctionnement des services, la

modernisation des méthodes et techniques de travail, les règles statutaires. Au niveau

national, il existe un CTP par département ministériel. Des CTP régionaux ou départe-

mentaux sont créés auprès des chefs de services déconcentrés dès que les effectifs sont égaux

ou supérieurs à 50 agents. Dans la territoriale, un CTP est créé dans chaque collectivité ou

établissement public employant au moins 50 agents. Un CTP est aussi créé auprès de chaque

centre de gestion.

2. Les comités d’hygiène et de sécurité

Les comités d’hygiène et de sécurité constituent une innovation du statut général de 1983.

Leur création dans les trois fonctions publiques s’inspire directement du droit du travail.

Les règles applicables aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de

la fonction publique hospitalière figurent d’ailleurs dans le Code du travail. Ces comités

assistent les CTP pour les questions relatives à la protection de la santé des agents et à leur sécu-

rité dans le travail. Ils veillent à l’observation de la réglementation dans ces domaines. Ils

sont consultés sur les projets de textes. Leur composition n’est paritaire que dans la

territoriale. Les représentants du personnel sont majoritaires dans les autres.

97

Page 98: cours Fonction publique 2007 (blog)

III. Les défauts actuels de la gestion de la fonction publique

A. Une gestion bureaucratique

La multiplicité des statuts particuliers, la complexité de la réglementation et la lourdeur des

procédures sont autant d’éléments qui favorisent le respect scrupuleux de la règle au

détriment de l’évaluation du profil d’un candidat ou de la performance du service. Le

caractère bureaucratique de cette gestion s’explique par son caractère impersonnel et la

place réduite qu’elle accorde à la négociation.

1. Une gestion impersonnelle

La fonction publique ne conduit pas à gérer des agents mais à appliquer des textes. À

la place d’objectifs à atteindre, l’autorité compétente doit respecter des normes qui codifient

à l’avance son comportement. Le gestionnaire s’interroge peu sur l’adéquation entre un

emploi et un agent. Il consulte surtout le statut particulier du corps de l’intéressé pour

connaître les emplois auxquels celui-ci peut accéder. En raison du grand nombre d’agents et

de corps, les procédures de mutations, d’avancement ou de recrutement sont des tâches

lourdes. Elles absorbent chaque année beaucoup de temps et d’énergie au détriment d’une

approche plus qualitative. L’employeur public pâtit de cette situation autant que le

fonctionnaire. L’administration ne parvient fréquemment pas à affecter ses agents dans les

emplois les plus appropriés. Ainsi l’Éducation nationale envoie dans les ZEP ses

enseignants fraîchement émoulus des IUFM.

Le rapport public du Conseil d’État pour 2003 propose comme perspective pour la

fonction publique d’État l’introduction d’une gestion « fonctionnelle » prenant mieux en

compte à la fois les missions à remplir, les emplois à pourvoir et les compétences

requises.

2. La place réduite de la négociation

L’agent public est dans une situation légale et réglementaire. Sa condition ne saurait

donc résulter d’accords collectifs négociés entre l’employeur public et les syndicats. La

fonction publique n’ignore pourtant pas la négociation collective. Celle-ci apparaît en

1968 dans le domaine des rémunérations. Elle se diversifie en 1990 avec les « accords

Durafour » qui portent sur une refonte de la grille indiciaire. On y a également eu recours

98

Page 99: cours Fonction publique 2007 (blog)

afin de mettre en œuvre les 35 heures dans les fonctions publiques. L’employeur public n’est

nullement tenu d’engager, à intervalles réguliers, des concertations. La tenue de

négociations relève donc du bon vouloir de l’administration.

Apparue en juin 1968, la négociation sur les rémunérations des fonctionnaires est la

seule à être reconnue par le statut général : « les organisations syndicales de

fonctionnaires ont qualité pour conduire au niveau national avec le gouvernement des

négociations préalables à la détermination de l’évolution des rémunérations et pour

débattre avec les autorités chargées de la gestion, aux différents niveaux, des questions

relatives aux conditions et à l’organisation du travail ». Il ne s’agit pas de négociation

mais de simples concertations préalables à la décision par le gouvernement de la hausse ou

non des traitements. Leur résultat n’est donc pas contraignant. Ces discussions concernent, en

outre, l’ensemble des trois fonctions publiques sans que les employeurs territoriaux ou

hospitaliers ne soient parties prenantes. Le ministre de la Fonction publique négocie sous

le contrôle étroit de son collègue des finances et du cabinet du Premier ministre. Une

évolution de 1 % du point coûte près d’un milliard d’euros au budget de l’État alors

que son incidence sur le traitement de bon nombre de fonctionnaires est négligeable.

B. Une gestion égalitariste

L’égal accès aux emplois publics, consacré par l’article 6 de la Déclaration de 1789,

implique à la fois l’égalité de traitement entre fonctionnaires et la distinction de leurs

mérites et de leurs talents. La mise en œuvre de la première conduit toutefois en pratique à

occulter la seconde. Dans la gestion de leur carrière, les fonctionnaires sont en effet

souvent traités de façon identique sans que leur manière de servir soit prise en compte.

L’égalitarisme gangrène l’ensemble des procédures de gestion.

1. Le principe d’égalité : un principe structurant

Le principe d’égalité de traitement entre les fonctionnaires d’un même corps n’est pas prévu

par le statut général. Il irrigue pourtant le système de fonction publique. Ce principe a d’abord

été dégagé par l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat sous la forme d’un principe

général du droit à l’occasion de l’arrêt Syndicat général CGT de l’administration centrale du

ministère des Finances du 6 mars 1959 (Rec. p. 163). Le principe d’égalité de traitement a

ensuite reçu l’onction constitutionnelle de la part du Conseil constitutionnel dans sa décision

du 15 juillet 1976, Loi modifiant l’ordonnance n° 59-244 relative au statut général des

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Page 100: cours Fonction publique 2007 (blog)

fonctionnaires (Rec. p. 35). Le Conseil constitutionnel a alors déduit le principe d’égalité de

l’article 6 de la DDHC. Le principe d’égalité n’ayant vocation à s’appliquer qu’aux

personnes placées dans une situation identique, l’égalité ne vaut qu’entre les

fonctionnaires d’un même corps.

Au-delà des aspects purement juridiques, l’égalité constitue une revendication constante des

fonctionnaires. L’égalité de traitement apparaît comme « le maître mot qui caractérise [le]

fonctionnement [de la fonction publique mais aussi] la mentalité collective des agents et de

leurs représentants » (Marcel Pochard).

a. La conception classique du principe d’égalité de traitement

En vertu de ce principe, les fonctionnaires qui appartiennent au même corps et qui ont été

titularisés dans le même grade, doivent être dans une situation juridique identique. Cette règle tend

à éviter que les agents ne soient exposés à l’arbitraire de l’administration. Ce postulat ne saurait

être remis en cause. Cependant, le principe d’égalité devient critiquable lorsque l’égalité conduit à

l’égalitarisme.

Chercher ces exemples : CE, Ass., 27 oct. 1989, Cottrel, Rec. p. 215 ; L’égalité s’applique aux agents non titulaires se trouvant dans la même situation juridique (v. CE, 25 juin 1982, Raveau e. a., Rec. p. 247).

Il ne peut être dérogé que très difficilement au principe d’égalité de traitement entre les membres

d’un même corps. Il n’y a traditionnellement guère que deux, voire trois, hypothèses qui autorisent

à introduire des éléments de différenciation parmi les membres d’un même corps.

- Il s’agit, en premier lieu, de l’existence de « circonstances exceptionnelles »

légitimant l’édiction de règles discriminatoires dans l’intérêt du service.

- Il est, en second lieu, possible d’introduire une discrimination entre agents d’un

même corps lorsque les membres d’un corps exercent leurs fonctions dans des

conditions différentes. Ainsi l’agent qui assure correctement ses fonctions n’est

pas dans la même situation que celui qui les néglige (v. CE, 10 octobre 1990,

Min. des Postes / Mme Rivaleau, 96448 : réduction de moitié de la prime de

l’intéressé).

- Enfin, lors de la constitution d’un corps ou d’un cadre d’emploi par voie

d’intégration d’agents appartenant à des corps, cadres d’emploi ou emplois

différents (v. CE, 21 novembre 1984, Beyssac, Rec. t. p. 650).

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Page 101: cours Fonction publique 2007 (blog)

b. L’esquisse d’un renouvellement du principe d’égalité de traitement

Dans l’arrêt Syndicat départemental CFDT de la DDE du Gard (CE, Section, 11 juillet 2001,

Rec. p. 339), la Section du contentieux du Conseil d’Etat a paru dégager une nouvelle

conception du principe d’égalité. Le syndicat requérant contestait la légalité de la modulation

d’une prime fondée sur une base territoriale. Cette prime était accrue dans les départements

géographiquement les moins attractifs (multipliée par un coefficient pouvant aller jusqu’à

1,2) et réduite dans les départements les plus attractifs (multipliée par un coefficient au

minimum de 0,85). S’il avait appliqué sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’État aurait dû

censurer cette modulation. Il n’y avait en effet ni circonstances exceptionnelles ni

conditions différentes d’exercice des fonctions. La Section du contentieux a toutefois admis

cette modulation : « Eu égard à l’intérêt général qui s’attache à ce que les agents publics

soient répartis sur le territoire en fonction des besoins de la population et des nécessités du

service, le gouvernement a pu, sans méconnaître le principe d’égalité entre agents d’un même

corps, prévoir que le montant de « l’indemnité spécifique de service » - qui est distincte du

traitement - varierait selon les départements et chercher ainsi à remédier par cette incitation

financière aux déséquilibres constatés dans les demandes d’affectation et les vacances

d’emplois ». Cet arrêt semble ainsi marquer un assouplissement de la jurisprudence antérieure et

ouvrir la voie à la mise en œuvre de politiques de discrimination positive.

L’arrêt Chaumet (CE, Ass., 28 juin 2002) rendu peu de temps après par l’Assemblée du

Conseil d’Etat renoue cependant avec la jurisprudence antérieure46. La relative concomitance

de deux arrêts contradictoires émanant des deux formations les plus solennelles du Conseil

d’Etat rend incertain l’état du droit. Une interprétation possible est de considérer que l’arrêt

Syndical départemental CFDT de la DDE du Gard ne constitue qu’une nouvelle exception au

champ d’application strictement limité au principe d’égalité de traitement. Seules seraient

tolérées les discriminations fondées sur un critère territorial.

2. De l’égalité à l’égalitarisme

46 Le juge y use en effet d’un considérant très restrictif, affirmant que « sous réserve des cas où des circonstances exceptionnelles peuvent justifier que de telles règles soient édictées dans l’intérêt du service, le principe d’égalité entre les fonctionnaires appartenant à un même corps fait obstacle à ce que le statut particulier de ce corps fixe des règles établissant une différence de traitement entre ces fonctionnaires ». Et, sur cette base, l’Assemblée du contentieux annule partiellement un décret modifiant le statut particulier du corps des ingénieurs des télécommunications, plus précisément un article qui modulait les possibilités de détachement des agents selon la date de leur titularisation dans le corps. S’il n’y avait certainement pas circonstances exceptionnelles, on aurait pu estimer qu’un substantiel motif d’intérêt général justifiait cette mesure (la volonté, dans le contexte très particulier que constitue la transformation entamée par France Télécom en 1990 et poursuivie en 1996, de favoriser le détachement d’ingénieurs auprès de personnes morales de droit public).

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L’égalité conduit à l’égalitarisme. Ce mouvement constitue une perversion du principe

d’égalité. L’égalité a, en effet, tendance à entraîner le nivellement des situations et à interdire

de prendre en compte les différences de situation et les mérites des agents. L’égalitarisme est

en terme de gestion des ressources humaines très préjudiciable car il exclut toute valorisation

des efforts fournis par les agents et toute prise en compte de la diversité des affectations. Dans

le cadre de son rapport annuel 2003 consacré aux Perspectives pour la fonction publique, le

Conseil d’Etat a d’ailleurs stigmatisé « la tendance lourde [qui consiste à] traiter tous les

agents de la même façon, quelle que soit leur manière de servir, pour ce qui est de la

notation, des rémunérations ou du déroulement de carrière. Cet égalitarisme prend de

multiples formes : notations non discriminantes, avancement à l’ancienneté, forfaitisation des

primes, refus de mesures impliquant une différenciation selon les emplois occupés, absence

de sanctions... ».

Les syndicats n’ont, au sein des CAP, que l’égalitarisme comme principale ligne de

conduite. Les gestionnaires, par conformisme ou manque de courage, garantissent par leur

adhésion tacite à ce mot d’ordre la sérénité de leur service. Les agents acceptent pour la

plupart d’échanger la lenteur de leur avancement contre la certitude d’en bénéficier.

3. La nécessité de mieux récompenser le mérite dans la fonction publique47

Contrairement à ce que certaines présentations suggèrent, la prise en compte du mérite dans

la fonction publique constitue une obligation relativement ancienne pour

l’administration. Depuis 1946, dans tous les corps, l’avancement repose à la fois sur

l’ancienneté et sur le choix, donc sur le mérite. Dans cette optique, on a d’ailleurs institué en

1950 des primes de rendement dans le but de récompenser financièrement les meilleurs

fonctionnaires. On pourrait d’ailleurs remonter plus loin. Le mérite n'est-il pas une valeur

inhérente à l'administration publique depuis la Révolution française ? L’article 6 de la

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n’affirme-t-elle pas que les citoyens peuvent

accéder aux emplois publics selon « leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs

vertus et de leurs talents » ?

La pratique de l’égalitarisme a cependant fini par estomper ces différenciations. Il a donc

fallu attendre 2002 pour que la réforme de la procédure d’évaluation et de notation des

fonctionnaires permette de renouer avec la valorisation de leur travail. Elle favorise la

distinction des agents par l’octroi de bonifications d’ancienneté significatives et de hausses

de rémunérations en fonction de leurs résultats.

47 S. Salon et J.-Ch. Savignac, La réforme de la notation des fonctionnaires de l'Etat, AJDA 2004, p. 958.

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La présentation qui insiste sur l’absolue nouveauté que constitue l’accroissement de la

prise en compte des mérites de l’agent dans le calcul de sa rémunération est donc

théoriquement erronée. On doit néanmoins admettre que, sur ce terrain tout

particulièrement, le fait s’est considérablement écarté du droit. La réintroduction

contemporaine de la rémunération au mérite fait donc bien figure d’une véritable

révolution.

a. Les faiblesses de l’ancien système

Selon le décret du 14 février 1959, la notation annuelle des fonctionnaires se composait d'une

note chiffrée, établie selon une cotation de 0 à 20 et, en cohérence avec celle-ci, d'une

appréciation d'ordre général exprimant leur valeur professionnelle.

C'est après le retour de la fiche que le chef de service y inscrivait l'appréciation générale, dont

le fonctionnaire n'avait donc pas normalement connaissance. Cette disposition était devenue

contraire à la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dont

l'article 17 prévoit que « les notes et appréciations générales attribuées aux fonctionnaires et

exprimant leur valeur professionnelle leur sont communiquées » mais elle n'avait pas, pour

autant, été modifiée.

Au vu de la note chiffrée définitive, il était attribué chaque année aux fonctionnaires, dans

chaque corps, des réductions ou des majorations du temps nécessaire pour accéder à l'échelon

supérieur. Par ailleurs, les notes exprimant la valeur professionnelle des candidats devaient

jouer un rôle essentiel pour l'établissement du tableau d'avancement de grade.

C système ne rendait pas réellement compte de la valeur professionnelle des fonctionnaires.

Les bonifications pour l'avancement d'échelon bénéficiaient naturellement aux plus anciens et

les avancements de grade, lorsqu'ils devaient intervenir au choix, étaient en fait prononcés

compte tenu de l'ancienneté. Il existait en fait une sorte de consensus pour priver la notation

de toute efficacité.

Le plus grand reproche fait au système de notation portait sur l'absence de dialogue entre le

fonctionnaire et l'autorité chargée de l'apprécier, dialogue dont on pensait à juste titre qu'il

pouvait donner à la notation transparence, sincérité, objectivité et dynamisme.

La notation apparaissait donc comme une procédure inutile et totalement inadaptée à

une gestion moderne des ressources humaines.

b. Un système rénové

Le décret du 29 avril 2002 relatif aux conditions générales d'évaluation, de notation et

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d'avancement des fonctionnaires de l'Etat entend promouvoir le mérite du fonctionnaire. La

notation est désormais précédée d'une évaluation comportant un entretien conduit par le

supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. Cet entretien porte principalement :

- sur les résultats professionnels obtenus par le fonctionnaire au regard des objectifs qui

lui sont assignés ;

- sur ses besoins de formation, compte tenu des missions qui lui sont confiées, mais

aussi dans la perspective d'une évolution de carrière ou d'une mobilité.

L'entretien donne lieu à un compte-rendu qui est versé au dossier du fonctionnaire après avoir

été signé par lui.

La notation, qui donne lieu à l'établissement d'une fiche, comporte toujours une appréciation

générale et une note chiffrée. La notation sera effectuée tous les ans ou tous les deux ans. Le

pouvoir de notation appartient au chef de service.

La fiche individuelle de notation est communiquée au fonctionnaire, qui peut y mentionner

des observations et des vœux quant à son évolution professionnelle et la renvoie à son chef de

service après l'avoir signée.

Enfin, comme précédemment, le fonctionnaire peut demander la révision de sa notation par

l'intermédiaire de la commission administrative paritaire.

La note chiffrée est prise en compte pour les avancements d'échelon. Cette note permet aux

fonctionnaires les mieux notés de bénéficier de réductions du temps prévu pour accéder à

l'échelon supérieur. Ces bonifications sont plus importantes que par le passé. En revanche, les

fonctionnaires dont la valeur professionnelle est jugée insuffisante se voient infliger des

majorations de temps.

Les critères sur la base desquels est arrêtée l'appréciation générale sont :

- les connaissances professionnelles,

- l'efficacité,

- le sens de l'organisation et de la méthode,

- les qualités particulières,

- les aptitudes spéciales.

Ce système ne constitue toutefois pas une panacée. Le pouvoir d’appréciation du notateur

est en effet bridé. La note chiffrée est ainsi théoriquement comprise entre 0 et 20. La première

note attribuée après titularisation ou nomination au choix doit cependant forfaitairement être

fixée à 13,5 ou 14 selon le corps auquel accède le fonctionnaire. Elle est de 14,25 ou de 15

pour les fonctionnaires de certains corps qui accèdent au grade supérieur. L'évolution de la

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note chiffrée provisoire ne peut en outre être supérieure à 1/4 de point tous les deux ans. Il

n'est néanmoins pas interdit de proposer un dépassement de cette limite. Dans ce cas, il est

cependant exigé du chef de service qu’il motive expressément la proposition. Autant dire que

cela n’arrive pratiquement jamais.

Enfin, la plage de notation dont dispose le notateur juridique ne peut excéder deux points par

période de deux années. C'est l'évolution de la note chiffrée et non la note chiffrée elle-

même qui sert de référence pour la distribution des réductions ou majorations du temps

nécessaire pour accéder à l'échelon supérieur.

En dépit de ses imperfections, le champ d’application de la rémunération au mérite s’étend

dans la fonction publique. Désormais, pour les cadres supérieurs de l’Etat (recteurs, chefs de

services, préfets), 15 à 20 % de la rémunération sont conditionnés par les résultats.

Conclusion sur la rémunération au mérite : Nulle personne ayant exercé des

responsabilités de gestion d'un service ou d'un organisme public ne peut nier l'utilité de la

prise en compte du mérite comme élément de la rémunération. Parallèlement, nul connaisseur

du fonctionnement de l'administration ne peut ignorer la tendance générale à l'uniformisation

des rémunérations et à la perte de sens des différentes primes ou indemnités existantes (v. par

exemple, les avatars de la prime au mérite pour la police). La réutilisation du mérite pour

déterminer une part de la rémunération peut ainsi se révéler un simple gadget ou au contraire

un véritable instrument de gestion. Pour atteindre ce second objectif, elle doit remplir

plusieurs conditions. Il s'agit d'éviter le subjectivisme du « petit chef » et d'utiliser des critères

objectifs et transparents. Les encadrements intermédiaire et supérieur doivent être en premier

lieu formés aux techniques de définition des objectifs professionnels, de l'évaluation et des

entretiens. Les indicateurs de résultats collectifs et individuels doivent être déterminés à

l'avance, arrêtés de manière concertée et connus de tous les intéressés48.

48 Jacques Bourdon, La rémunération au mérite ou faire du neuf avec du vieux, AJFP 2004, p. 113.

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Leçon n° 6 : La carrière du fonctionnaire

Nous retiendrons une approche chronologique pour présenter la carrière du fonctionnaire.

Nous verrons donc successivement : le recrutement, le déroulement et la fin de la carrière.

I. Le recrutement

L’examen du recrutement suppose d’étudier trois éléments :

- tout d’abord, quelles sont les conditions d’accès à la fonction publique ?

- ensuite, quelles sont les voies d’accès à la fonction publique ?

- enfin, comment est attribuée la qualité de fonctionnaire ?

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A. L’admissibilité aux emplois publics

L’admissibilité aux emplois publics est régie par l’article 6 de la DDHC. Au terme de

cette disposition, « tous les citoyens […] sont également admissibles à toutes dignités,

places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de

leurs vertus et de leurs talents ». L’égale admissibilité aux emplois publics qui est ainsi

posée suppose donc que les candidats à la fonction publique soient tous soumis aux mêmes

conditions d’accès (1). Pour être véritablement effective, l’égalité d’accès à la fonction

publique exige également que l’administration apprécie ces conditions de manière non

discriminatoire (2).

1. Les conditions requises des candidats

a. La condition de nationalité

Cette exigence est ancienne. Elle a été exprimée au XVIIe siècle par Jean Domat dans une

formule restée célèbre : « On exclut les étrangers des charges publiques parce qu'ils ne sont

pas du corps de la société qui compose l'État d'une nation et parce que ces charges

demandent une fidélité et une affection au Prince et aux lois de l'État qu'on ne présume pas

dans un étranger ». L'aptitude à être fonctionnaire constitue un droit civique dont l'étranger n'a

pas la jouissance. Il n’est d’ailleurs pas illogique de confier à ses nationaux le soin

d'administrer un pays ou d'y représenter la puissance publique

Cette attitude n’est évidemment pas propre à la France. L’article 98 § 1 de la Constitution

italienne indique ainsi que les fonctionnaires sont au service exclusif de la Nation.

Bien que dans l’inconscient collectif, la fonction publique doive être assurée par des nationaux,

des exceptions ont toujours existé.

S’agissant, tout d’abord, des agents non titulaires, le principe est renversé. Le Conseil d’Etat

a ainsi estimé dans un avis émis par l’Assemblée générale le 17 mai 1973 qu’ « aucune

disposition législative actuellement en vigueur ni aucun principe du droit public n'interdisent de

façon générale de recruter un étranger comme agent de l'État en qualité de contractuel ou

d'auxiliaire ». On exige évidemment de ces étrangers candidats à l’exercice des fonctions

d’agents publics non titulaires qu’ils respectent les conditions de moralité, qu’ils soient en

règle au regard de la législation sur l’immigration. En bref, ces étrangers doivent remplir

les critères requis des français à l’exception de la condition de nationalité.

Il est ensuite possible de nommer des étrangers fonctionnaires dans deux hypothèses :

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- l’accès à certains corps de fonctionnaires n’est en effet pas subordonné à la

possession de la nationalité française. Cette exception bénéficie essentiellement, pour

ne pas dire exclusivement, aux enseignants et chercheurs étrangers.

- la seconde exception bénéficie seulement aux ressortissants des Etats membres de

l’Union européenne. Elle a, en revanche, un champ d’application beaucoup plus

vaste. Cette dérogation à l’exigence de la nationalité française est fondée sur le

principe de libre circulation des travailleurs affirmé par l’article 39 CE. La loi du 26

juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la

fonction publique a renversé le principe énoncé par l’article 5 bis de la loi de 1991.

Désormais les corps sont en principe ouverts. Les citoyens européens (non

nationaux) peuvent, par principe, accéder à tous les corps, cadres d’emplois et

emplois. Cette liberté d’accès est toutefois écartée à l’égard des emplois inséparables

de l’exercice de la souveraineté ou qui comportent une participation à l’exercice de

prérogatives de puissance publique par une collectivité publique.

Compte tenu de la nécessité de conformer le droit français aux exigences du droit

communautaire, Bernard Stirn a proposé de supprimer l’exigence de la nationalité

française. Cet auteur, qui n’est autre que l’actuel président de la Section du

contentieux du Conseil d’Etat, soulignait que « l’opportunité de maintenir (...) la réserve des

emplois de souveraineté » est discutable dès lors que le statut général prévoit « des sanctions

disciplinaires à l’encontre de ceux qui viendraient manquer à leur obligation de loyauté ».

b. Les autres conditions

Les autres conditions d’accès à la fonction publique sont également mentionnées à l’article 5

de la loi du 13 juillet 1983. Elles sont au nombre de 4 :

Nul ne peut avoir la qualité d’agent public s’il ne jouit de ses droits civiques. Le candidat à

l’accès à la fonction publique doit jouir de l’intégralité de ses droits civiques, c’est-à-dire du

droit de vote et d’éligibilité, du droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert

devant une juridiction, de témoigner en justice autrement que pour y faire de simples

déclarations.

Une déchéance, même partielle, des droits civiques interdit à un individu de se porter candidat

à un concours d’accès à la fonction publique. Pour les fonctionnaires en poste, la déchéance des

droits civiques implique la perte de la qualité de fonctionnaire.

G. PEISER, La radiation des cadres pour perte des droits civiques face au nouveau code pénal, AJDA 2007, p. 545.

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M. N., régisseur des recettes au musée de Renoir à Cagnes-sur-Mer a organisé pendant cinq ans une fausse billetterie, lui permettant de détourner 400 000 francs. Il a été condamné en 1998 par le tribunal correctionnel de Grasse, pour détournement de fonds publics commis par une personne chargée d'une mission de service public, à deux ans d'emprisonnement dont six mois ferme. Son épouse, agent d'entretien de la commune, a été condamnée à un an d'emprisonnement avec sursis et trois ans de mise à l'épreuve pour recel, faits réprimés par les articles 321-1, 321-3 et 321-10 du code pénal.A la suite de ces condamnations Mme N. a été radiée des cadres, par arrêté du 19 avril 1999 en application de l'article 7 du code électoral et de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Nice du 11 février 2002, lui-même infirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du l0 juin 2003.En cassation, Mme N. soulève un seul moyen, qui a justifié le renvoi en Assemblée du contentieux : la privation du droit de vote et d'éligibilité résultant de l'article 7 du code électoral ne constitue pas une privation des droits civiques au sens de l'article 5 de la loi du 13 juillet 1983 du statut de la fonction publique et n'entraîne donc pas la perte de plein droit de la qualité de fonctionnaire.

De 1810 jusqu'à une date récente, le Conseil d'Etat avait toujours jugé que ceux qui ne jouissent pas de l'intégralité des droits civiques se voient interdire l'accès à un emploi public ou le maintien dans un tel emploi ; il s'agit d'un principe général applicable à tous les emplois publics.Mais le nouveau code pénal a complètement modifié le système. Du fait de leur automaticité, les peines accessoires ont toujours été fortement critiquées. L'article 132-17 alinéa 1er du nouveau code pénal prévoit de façon nette qu'« aucune peine ne peut être appliquée si la juridiction ne l'a expressément prononcée ». L'article l32-21 prévoit que « l'interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille mentionnés à l'article 131-26 ne peut nonobstant toute disposition contraire résulter de plein droit d'une condamnation pénale ». Selon l'article 131-10, le juge peut assortir la condamnation pénale de peines accessoires, en particulier de celles de l'article 131-26. Quant à l'article 131-26, il prévoit que l'interdiction des droits civiques, civils et de famille porte sur le droit de vote, l'éligibilité, l'exercice de fonctions juridictionnelles, le témoignage en justice, l'interdiction d'être curateur ou tuteur. La juridiction peut prononcer l'interdiction de toutes ou de parties de celle-ci. Mais surtout l'interdiction du droit de vote ou d'inéligibilité prononcée en application de cet article emporte l'interdiction ou l'incapacité d'exercer une fonction publique.

La notion de peine accessoire automatique est ainsi apparemment totalement rejetée.

Or le problème se pose justement avec l'article 7 du code électoral, issu de la loi du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique et donc postérieur à la modification du code pénal. L'article L. 7 du code électoral constitue un bel exemple de création de peine accessoire par delà de la rupture constituée par le nouveau code pénal. Aux termes de l'article L. 7 : « Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les personnes condamnées pour l'une des infractions prévues par les articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2 du code pénal ou pour le délit de recel de l'une des ces infractions, défini par les articles 321-1 et 321-2 du code pénal ». Cette énumération recouvre aussi bien des atteintes à l'administration commises par des personnes exerçant des fonctions publiques (concussion, corruption passive et trafic d'influence, prise illégale d'intérêt, violation des règles de

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passation des marchés et délégations de service public et soustraction ou détournement de biens ; les agents publics sont bien inclus dans cette définition). Il y a aussi les atteintes à l'administration commises par les particuliers (corruption active, trafic d'influence, menaces et actes d'intimidation contre les personnes exerçant une fonction publique et détournement de biens contenus dans un dépôt public...).

Le Conseil d'Etat a admis à plusieurs reprises l'applicabilité de l'article L. 7 du code électoral. Le Conseil d'Etat estime que la peine complémentaire ainsi instaurée n'est pas incompatible avec l'interdiction résultant de l'article 4 du protocole additionnel à la CEDH de poursuivre ou de punir pénalement une personne à raison d'une infraction pour laquelle elle a déjà été condamnée ou acquittée par un jugement définitif (CE Sect. 1er juillet 2005, Gravier, AJDA 2005, p. 1824, chron. C. Landais et F. Lenica ).

Si on tient compte de toute cette jurisprudence, c'est donc apparemment à juste titre que la cour administrative d'appel a tenu le raisonnement suivant : la condamnation de Mme N. pour recel, entraîne, sur le fondement du code électoral, sa radiation des listes électorales, qui entraîne la perte du droit de vote et d'éligibilité, qui entraîne, sur le fondement du statut général de la fonction publique, la perte de la qualité de fonctionnaire.Mais on peut avoir une autre vision des choses si on s'en tient non pas à la lettre des textes, mais à leur esprit. L'article L. 7 du code électoral a été voté dans le cadre des mesures qui ont pour objet de mettre fin aux illégalités souvent très graves, qui ont émaillé en France le système de financement des partis politiques. Lors de la discussion de l'article L. 7, le débat était entièrement concentré, même si cela ne ressort pas du texte lui-même, sur la corruption en matière politique et le statut électoral.Aussi le Conseil d'Etat choisit-il une solution audacieuse : se faisant respectueux du code pénal, il souligne « qu'il ressort des dispositions du nouveau code pénal, éclairées par leurs travaux préparatoires, que l'intention du législateur a été de réduire le nombre de peines accessoires dont l'intervention découle obligatoirement de l'application de la peine principale ». Surtout, il va donner une interprétation très restrictive à l'article L. 7 en considérant « que si par les dispositions de l'article L. 7 du code électoral le législateur a dérogé au principe posé par l'article 131-21 du code pénal selon lequel l'interdiction des droits civiques ne peut résulter de plein droit d'une condamnation pénale, il a entendu limiter les effets de cette dérogation à l'application de la loi électorale ». Par conséquent « la déchéance des droits civiques de nature à entraîner la radiation des cadres de la fonction publique par application de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1983 ne peut quant à elle résulter que d'une condamnation prononcée sur le fondement de l'article 131-26 du code pénal ». Ainsi le maire de Cagnes n'était pas tenu à la radiation des cadres de Mme N. alors que le juge pénal n'avait prononcé aucune peine complémentaire.

Une privation des droits civiques au sens du code pénal et du code électoral « n'est pas nécessairement une privation des droits civiques au sens du statut de la fonction publique » (concl. Glaser dans l'affaire N.).

Deux remarques.Rien n'empêchera l'administration d'exercer son pouvoir disciplinaire. Et c'est une bonne chose de séparer ainsi le pouvoir disciplinaire de l'administration, de le rendre autonome par rapport à la procédure pénale et même de l'exercer antérieurement à toute sanction pénale. Cela d'autant plus que, contrairement à la sanction pénale, la sanction disciplinaire peut être modulée entre le simple avertissement et la révocation avec suspension des droits à pension. L'individualisation des « peines » y trouvera certainement son compte.

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Encore faut-il que l'administration ait la volonté - ou le courage - de sanctionner. Ce n'est pas sans raison que l'on a souligné à maintes reprises, le caractère trop systématique de l'absence de sanctions dans la fonction publique.

L'arrêt du Conseil d'Etat constitue un bon moyen pour responsabiliser l'administration et lui

permettre de repenser l'exercice de son pouvoir disciplinaire.

La loi du 13 juillet 1983 a substitué à l’exigence de bonne moralité qui était posée par les

statuts de 1946 et 1959 une condition plus objective. Le candidat doit établir que les mentions

portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire ne soient pas incompatibles avec l'exercice

des fonctions.

Le candidat doit ensuite justifier qu’il est libéré de ses obligations militaires. Il suffit

désormais d’avoir simplement satisfait à l'obligation de recensement et d'avoir participé à

l'appel de préparation à la défense pour la satisfaire.

Enfin, le candidat doit remplir les conditions d'aptitude physique exigées pour l'exercice de

la fonction. L’aptitude physique est appréciée au regard des possibilités de compensation du

handicap. Une taille minimale est ainsi exigée des candidats aux emplois de gardien de la pax

ou de lieutenant de police (1,68 m pour les hommes et 1,60 m pour les femmes).

L'appréciation portée par l'administration sur l’aptitude physique des candidats est

soumise à un contrôle normal de la part du juge administratif. Constitue ainsi une inaptitude

physique le fait d'être amputé de l'avant-bras pour les fonctions de chef de service de maternité. Ne

constituent, en revanche, pas une inaptitude physique : la cécité pour un professeur de médecine

(CE, Sect., 25 juillet 1952, Loubeyre) ou pour assurer les fonctions de principal adjoint ; le

fait d'être appareillé d'un avant-bras artificiel pour un inspecteur des postes et télécommunications ;

une invalidité à 80 % pour déficience visuelle pour le professorat d'histoire et géographie ; un

handicap correspondant à un taux d'incapacité de 80 % pour le professorat d'éducation physique.

Enfin, un mot sur les personnes handicapées qui postulent à un concours d’accès à la fonction

publique. Leur situation est réglée par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et

des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Les employeurs

publics qui emploient au moins vingt agents à temps plein (ou en équivalent temps plein)

sont soumis aux obligations du code du travail en matière d'emploi des travailleurs

handicapés. A ce titre, ils doivent employer au moins 6 % de travailleurs handicapés .

Cette obligation peut cependant être acquittée en versant une contribution annuelle au

fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.

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2. L’interdiction pour l’Administration de discriminer les candidats

Le principe constitutionnel d'égale admissibilité aux emplois publics est, d’après Gaston

Jèze, « à la base de l'organisation politique et administrative de la France moderne ». le

principe d’égalité est en effet un principe cardinal de notre société ainsi qu’en témoigne sa

consécration par trois textes à valeur constitutionnelle : l’article 1er de la Constitution49,

l’article 6 de la DDHC50 et, enfin le préambule de la Constitution de 194651.

Dans son arrêt Barel (CE, Ass., 28 mai 1974, GAJA n° 72), le Conseil d’Etat a érigé

le principe d’égalité au rang de principe général du droit. Cette qualification

entendait écarter tout rattachement textuel du principe. Le Conseil d’Etat a, depuis

lors, fait évoluer sa jurisprudence et se fonde sur une source constitutionnelle (CE,

Ass., 16 décembre 1988, Bléton, Rec. P. 451).

La jurisprudence administrative renferme de grands arrêts qui ont permis au Conseil

d’Etat de prendre position sur les discriminations fondées sur les croyances

religieuses (a), sur les opinions politiques (b), ou encore sur le sexe (c).

a. L’interdiction des discriminations fondées sur les croyances religieuses

La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 affirme que « la République assure la

liberté de conscience ». La liberté de conscience ne saurait toutefois être absolue. Il faut

parvenir à trouver juste équilibre entre cette liberté, d’une part, et les principes de neutralité et

de laïcité, d’autre part.

Rien ne s’oppose au recrutement d’un candidat qui « professe [seulement] en son for

intérieur » ses convictions religieuses. L’appartenance à la fonction publique n’est pas

réservée aux personnes athées ou agnostiques. Dans un arrêt demeuré célèbre, Demoiselle

Weiss de 1938, le Conseil d’Etat a annulé le refus de titularisation d’une institutrice au

motif qu’elle invité, par une correspondance privée, une de ses collègues à assister pendant les

vacances à des conférences à caractère religieux52. Sont également censurées les refus de

candidature fondés sur le fait qu’une candidate a suivi ses études dans un établissement

49 La France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion » et ajoute qu' « elle respecte toutes les croyances ».50 « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».51 « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à l'homme » (al. 3) et que « nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » (al. 5).52 CE, 28 avril 1938, Demoiselle Weiss, Rec. p. 379.

112

Page 113: cours Fonction publique 2007 (blog)

confessionnel53 ou que ses enfants y sont scolarisés54.

La question la plus délicate est celle de savoir si les ministres du Culte peuvent accéder à la

fonction publique. Ce n’est alors plus la conduite privée d’un candidat qui est en cause mais bel

et bien son comportement public. Une vieille loi de 1886 prévoit que « dans les établissements

du premier degré publics, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel

laïque ». Dans le silence de la loi, le juge a dû se prononcer pour l’enseignement

secondaire et supérieur. Dans le supérieur, les étudiants sont suffisamment matures de

sorte que des cours peuvent leur être dispensés par un ministre du Culte. La difficulté

se focalise donc sur l’enseignement secondaire.

Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la possibilité pour un ministre du Culte d’intégrer la

fonction publique dans son célèbre arrêt Abbé Bouteyre (CE, 10 mai 1912, GAJA n°

25). En l’espèce, l’abbé s’est vu privé du droit de passer le concours d'agrégation de

philosophie. La matière enseignée a indéniablement joué un rôle décisif. Il est évident

que cette solution n’est pas (et n’a jamais été) transposable à d’autres matières telles

que les mathématiques, voire l’histoire. Il n’est d’ailleurs pas sûr que cette solution

reflète toujours la position du Conseil d’Etat. Un jugement rendu par le Tribunal

administratif de Paris en 1970 et un avis rendu par l’Assemblée générale du Conseil

d’Etat en 1972 suggèrent en effet que cette position initiale a été abandonnée.

b. L’interdiction des discriminations fondées sur les opinions politiques

Une forme de discrimination consiste à favoriser un candidat en raison de ses

opinions politiques. L’hypothèse est tout à fait envisageable mais il ne semble que

l’on dispose de jurisprudence sur ce point.

Dans ces conditions, la discrimination la plus courante consiste à pénaliser un

candidat en raison de ses opinions politiques. L’arrêt de principe est ici l’arrêt Barel

(CE, Ass. 28 mai 1954, GAJA n° 73). Dans cet arrêt d’Assemblée, le Conseil d’Etat

affirme que l'administration « ne saurait, sans méconnaître le principe de l'égalité de

tous les français aux emplois et fonctions publics, écarter de [la] liste [des candidats

admis à concourir au concours de l'ENA] un candidat en se fondant exclusivement sur ses

opinions politiques ».

En l’espèce, M. Barel et quatre autres candidats avaient été empêchés de passer le

concours d’accès à l’ENA. Le gouvernement n’avait pas justifié ses décisions et refusait

de transmettre au juge les dossiers constitués au sujet de ces candidatures. Devant la volonté 53 CE, 25 juillet 1939, Demoiselle Beis, Rec. p. 524.54 CE, 4 janvier 1944, Dame Tétaud, Rec. p. 1.

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Page 114: cours Fonction publique 2007 (blog)

d’obstruction évidente du gouvernement, le Conseil d'État a estimé, de façon rarissime, que le

motif allégué par les candidats devait être regardé comme établi. Différents indices (notamment

des fuites dans la presse), permettaient de conclure que le motif fondant ces refus était leur

appartenance vraie ou supposée au parti communiste.

c. L’interdiction des discriminations fondées sur le sexe

D’un point de vue juridique, l’égalité hommes / femmes est parfaitement garantie dans la

fonction publique depuis la loi du 6 mai 2001. Un article spécifique de la loi est ainsi

consacré à l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe (art. 6 bis). Ce motif

de discrimination a donc été disjoint des autres formes de discrimination (qui relèvent

quant à elles de l'article 6). L’existence de cette loi ne doit pas occulter que la marche

des femmes vers l’égalité de traitement par rapport aux hommes a été un long "chemin

de croix".

Il a ainsi fallu attendre l’arrêt d'Assemblée Bobard de 1936 pour que le Conseil d’Etat

reconnaisse que « les femmes ont l'aptitude légale aux emplois dépendant des

administrations centrales des ministères ». Ce progrès est presque un trompe-l’œil dans la

mesure où le juge permet néanmoins au gouvernement de restreindre l’accès et

l’avancement des femmes si des raisons de service le nécessi tent. Ces exceptions ont pu

jouer dans le cas d’espèce alors même que le litige concernait des emplois administratifs

du ministère de la guerre.

Le statut élaboré par le régime de Vichy en 1941 a renversé la perspective. « Les

femmes ont [en effet uniquement] accès aux emplois publics dans la mesure où leur

présence dans l'administration est justifiée par l'intérêt du service ». Le principe dégagé

par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Bobard est ainsi condamné.

Sous la IVème République, le Conseil d’Etat disposaient de deux fondements textuels pour

établir une véritable égalité entre les hommes et les femmes. Le préambule de la

Constitution du 27 octobre 1946 dispose, en effet, que « la loi garantit à la femme, dans

tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ». Quant au statut du 19 octobre

1946, il prévoit qu’ « aucune distinction pour l'application du présent statut n'est faite

entre les deux sexes sous réserve des dispositions spéciales qu'il prévoit ». Or, le statut ne

contient aucune disposition spéciale relative à l'accès des femmes à la fonction

publique. Il aurait paru logique que le Conseil d’Etat consacre une égalité effective entre

les hommes et les femmes.

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Page 115: cours Fonction publique 2007 (blog)

Le Conseil d’Etat, pour des raisons inconnues55, va cependant préférer s’inscrire dans la

logique de l’arrêt Bobard. Par un arrêt d’Assemblée Syndicat national autonome du

cadre d'administration générale des colonies (Ass. 6 janvier 1956), le Conseil d’Etat réaffirme

le principe de l'aptitude des femmes à occuper tous les emplois publics. Le

gouvernement conserve toutefois la possibilité de restreindre l’accès des femmes à

certains corps si « la nature des fonctions » ou leurs « conditions d'exercice » le justifie.

L’arrêt Syndicat national autonome du cadre d’administration générale des colonies ne

constitue toutefois pas un retour en arrière. La situation des femmes s’améliore quelque

peu dans la mesure où le contrôle porté par le juge administratif sur les justifications

avancées par le gouvernement s’accroît.

Les véritables progrès n’interviendront finalement qu’à l’initiative du législateur. La loi du

10 juillet 1975, adoptée afin de rendre possible la publication de la Convention de l'ONU sur

les droits politiques de la femme limite ainsi les possibilités de discriminations aux cas où

l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante de l'exercice des

fonctions. La loi du 7 mai 1982 a affiné ce dispositif en interdisant le recrutement exclusif

d'hommes ou de femmes et en autorisant uniquement des recrutements distincts56.

Le droit positif résulte désormais de la loi du 9 mai 2001. Cette loi précise notamment que les

possibilités de recrutement distinct doivent être exceptionnelles. Surtout, la loi de 2001 permet

la constitution de quotas de femmes dans les jurys. Cette représentation féminine est supposée

favoriser l'accession des femmes aux emplois publics.

La Cour de justice admet une telle discrimination positive si elle n'accorde pas de manière automatique et inconditionnelle la priorité aux candidats féminins ayant une qualification égale à celle de leurs concurrents masculins et si les candidatures font l'objet d'une appréciation objective qui tient compte des situations particulières d'ordre personnel de tous les candidats (CJCE, 28 mars 2000, Badeck ; CJCE, 6 juillet 2000, Abrahamsson et Anderson). Il importe que la législation nationale oblige l'administration à prendre en considération, lors de l'engagement, en ce qui concerne les candidats qui ne bénéficient pas de l'action positive, des circonstances et situations particulières d'ordre personnel qui peuvent être l'indice de situations sociales ayant la même importance que celles que doivent normalement affronter les femmes.

B. Le principe du recrutement par concours

1. Généralités

L’importance du concours dans la tradition française . « La pratique administrative

française s'est depuis longtemps orientée vers la généralisation du procédé du concours

55 Au mieux d’attachement à sa jurisprudence ou de cohérence de celle-ci conservatisme.56 Tous les corps et cadres d'emplois de la fonction publique civile doivent donc être mixtes. Cependant, lorsque l'appartenance à un sexe constitue une condition déterminante d'exercice des fonctions assurées par les membres du corps en cause, une différenciation est légale en particulier via l'instauration de quotas (corps des gradés et surveillants des services extérieurs de l'administration pénitentiaire).

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Page 116: cours Fonction publique 2007 (blog)

de recrutement. Elle y voit le double avantage d'éliminer les risques d'arbitraire dans le

choix des agents et d'assurer au maximum les garanties de qualification par les moyens

d'une sélection technique » (André de Laubadère et Yves Gaudemet). La loi du 13 juillet

1983 dispose ainsi que « les fonctionnaires sont recrutés par concours sauf dérogation

prévue par la loi ». Le principe du recrutement par concours constitue une garantie

fondamentale des fonctionnaires. Il n’a cependant pas valeur constitutionnelle. Des

exceptions peuvent donc lui être apportées par le législateur.

Des exceptions au recrutement par concours sont cependant nécessaires. Le concours

n’est en effet pas adapté pour pourvoir aux emplois fonctionnels qui supposent un

rapport de confiance et de dépendance très étroit entre l'autorité politique et l'agent.

L’organisation d’un concours ne paraît pas non plus pertinente en raison de sa lenteur, de

sa lourdeur et de son coût lorsqu’il s’agit de recruter des agents sans qualification.

Le principe du concours est aujourd’hui de plus en plus souvent écarté. Aux reproches

traditionnels tirés de son coût et de sa lourdeur, s’ajoutent de nouveaux griefs. Le

concours reposerait sur une logique trop scolaire. Il ferait barrage à l'accès des plus

modestes à la fonction publique.

On en finirait presque par oublier l’affirmation du doyen Duguit selon laquelle « malgré

les inconvénients que présente ce système de recrutement, c'est encore celui qui offre le

plus de garanties contre l'arbitraire et le favoritisme ».

Critères du concours. Le critère essentiel d’identification d’un concours administratif

sont au nombre de quatre. Il est d’ailleurs possible de les hiérarchiser. Il existe ainsi un

critère principe et trois critères complémentaires. Le principal critère réside dans le

caractère déterminant des épreuves dans le choix des agents. Ce premier critère a pour

conséquence de limiter la liberté d'appréciation de l'autorité de nomination. Les trois

critères complémentaires sont : l’appréciation des mérites des candidats par un jury

indépendant de l'autorité hiérarchique ; le nombre limité des mises au concours ; le

classement des candidats par ordre de mérite. Ce dernier élément est évidemment écarté

dans les concours d’accès à la fonction publique territoriale57.

Diversité des concours. Le concours peut être sur épreuves ou sur titres. Il peut également

être externe ou interne. On dit aussi qu’il peut être étudiants ou fonctionnaires. La loi du 3

57 Voir pour une illustration de l'identification d'un concours par le juge administratif CE, Ass., 13 juillet 1967, Geslin (Rec. p. 316) : « Considérant que le nombre des emplois d'externe des hôpitaux offerts aux candidats est, chaque année, limité ; qu'il est pourvu à ces emplois d'après un classement qui résulte des notes obtenues' par les intéressés ; qu'ainsi les opérations qui aboutissent à la nomination des externes des hôpitaux ont le caractère d'un concours ».

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Page 117: cours Fonction publique 2007 (blog)

janvier 2001 permet de valoriser l’expérience professionnelle acquise aussi bien en France

qu’à l’étranger, dans la fonction publique que dans le privé. La validation des acquis

professionnels permet ainsi à des salariés ou fonctionnaires de convertir leur ancienneté en

un diplôme. Les candidats disposant d'une expérience professionnelle conduisant à une

qualification équivalente à celle sanctionnée par le diplôme requis peuvent ainsi, lorsque la

nature des fonctions le justifie, être admis à se présenter à un concours.

Il existe enfin un « troisième concours » ouvert à des personnes justifiant d'une expérience

particulière, d'une durée d'au moins huit ans en principe, qu'elle soit professionnelle,

associative ou politique (élus locaux). Cette troisième voie d'accès, initiée à propos de l'ENA,

a ensuite été étendue à d'autres écoles (IRA, ENM...). Elle vaut désormais pour les trois

fonctions publiques. Elle ne permet toutefois d’accéder qu’à certains corps et dans les conditions

fixées par leur statut particulier. Le troisième concours est ainsi une formule hybride, à

mi-chemin entre le concours externe et le concours interne.

Enfin, un concours peut être soit spécialisé soit généraliste. Ce qualificatif ne désigne pas tant

la nature et le programme des épreuves que les débouchés offerts aux candidats reçus. En effet,

certains concours donnent accès à un seul- corps de fonctionnaires alors que d'autres ouvrent la

voie à différents corps.

2. Les préliminaires du concours

Le concours constitue une opération complexe au sens du contentieux administratif,

autrement dit est formé d'un ensemble d'actes solidaires. Le premier de ces actes consiste

en l'ouverture du concours. L’administration dispose d'une grande latitude d'action, pou-

vant même retirer sa décision d'ouvrir un concours alors même que des candidats se seraient

manifestés. Il s'agit en effet d'un acte non créateur de droits.

L’avis d'ouverture du concours, qui doit faire l'objet d'une publicité suffisante (en principe

par une publication au Journal Officiel s'il s'agit d'un concours national), est un acte

insusceptible de recours pour excès de pouvoir mais sa légalité peut être contestée par voie

d'exception à l'occasion de la contestation des résultats du concours.

Il contient généralement l'ensemble des informations permettant de s'inscrire au concours et de

concourir : date limite de retrait des dossiers ; date limite de dépôt des candidatures ; calendrier

des épreuves ; centres où se déroulent les épreuves ; rappel des conditions particulières du

concours ; nombre de places offertes au concours...

La réglementation du concours ne peut être modifiée après la date de clôture des

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inscriptions à l'inverse du nombre de places offertes qui peut être changé jusqu'au

commencement des épreuves.

Le jury est nommé par l'autorité organisatrice du concours. Il est cependant indépendant.

La vérification de l’admission à concourir. L'administration chargée de l'organisation

du concours doit vérifier que les candidats remplissent bien les conditions générales posées

par les articles 5 et 5 bis de la loi du 13 juillet 1983 ainsi que les conditions

particulières relatives au concours en cause. L'administration dispose aussi, sans base

législative générale, d'un pouvoir d'agrément des candidatures. Elle doit alors apprécier,

dans l'intérêt du service, si les candidats présentent les garanties requises pour l'exercice

des fonctions auxquelles ils prétendent. Ce pouvoir ne porte pas sur les compétences

professionnelles des candidats, qui doivent être exclusivement appréciées par le jury2,

mais sur leur comportement général. Le juge administratif opère depuis 1983 un contrôle

normal sur les refus d'admission à concourir opposés par l'administration, refus qui

semblent d'ailleurs peu nombreux et limités à ces fonctions régaliennes (maintien de l'ordre,

justice).

Condition d'accès à un emploi public, l'aptitude à exercer la fonction postulée ne se limite pas

à la condition physique du candidat ; elle s'étend également à l'adéquation de son « profil »

aux fonctions. L'aptitude peut être définie comme la vérification, par l'autorité

compétente, de la compatibilité entre les qualités personnelles du candidat et les

exigences fonctionnelles de l'emploi auquel ce dernier postule ; instaurant une « relation

de compatibilité », l'aptitude suppose une appréciation individuelle qui ne doit toutefois

pas créer de discriminations fondées, par exemple, sur le handicap du postulant58.

Ont été jugées légaux les refus d'agrément suivants : celui d'un candidat à l'ENM ayant participé

lors de son service militaire à la rédaction et à la diffusion, dans l'enceinte d'une base aérienne, du

journal d'un comité de soldats, le contenu de certains passages du journal était une manifestation

publique d'opinion incompatible avec la réserve et la pondération qui s'imposent à un candidat à

l'exercice des fonctions de magistrat (CE, Sect., 10 juin 1983, Raoult) ; celui d'une candidate aux

fonctions d'inspecteur de police ayant vécu en concubinage avec une personne ayant été ensuite

placée en détention en raison de divers délits ; celui d'un candidat aux fonctions d'officier de

gendarmerie ayant été condamné pour conduite sous l'emprise d'un état alcoolique ; celui d'une

58 Emmanuel AUBIN, La cécité, l'aptitude à exercer toutes les fonctions judiciaires et l'intégration directe dans la magistrature, AJDA 2005, p. 489.

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candidate aux fonctions d'agent de surveillance de Paris ayant commis trois ans plus tôt un vol à

l'étalage dans un centre commercial.

Emmanuel AUBIN, La cécité, l'aptitude à exercer toutes les fonctions judiciaires et l'intégration directe dans la magistrature, AJDA 2005, p. 489.

L’arrêt Chopard retient l'attention en raison du moyen principal tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise l'administration en se fondant sur la cécité de M. Chopard et sur son inaptitude à exercer toutes les fonctions judiciaires pour refuser son intégration directe. Le juge exerce un contrôle normal depuis 1979 sur les décisions motivées par l'existence d'une inaptitude physique (CE 6 avril 1979, Picot, Lebon tables p. 785). Le contrôle sur les avis de la commission d'avancement est, en revanche, restreint.

Après avoir affirmé que la cécité du candidat n'a pas justifié, à elle seule, le rejet de son intégration directe, le Conseil d'Etat s'est livré à une interprétation constructive en jugeant que l'inaptitude à exercer toutes les fonctions judiciaires justifiait légalement la décision prise par la commission d'avancement qui n'a, dès lors, commis ni d'erreur de droit ni d'erreur manifeste d'appréciation.

La cécité n’est pas un obstacle dirimant à l'accès direct à la fonction de magistrat. En refusant de donner une suite favorable à la demande d'intégration directe dans la magistrature d'une personne non voyante, l'administration n’a pas méconnu les dispositions du code du travail relatives à l'obligation d'emploi, par les personnes publiques et leurs établissements publics autres qu'industriels et commerciaux, de travailleurs handicapés dans la proportion de 6 % de l'effectif total. L’administration n’a pas non plus créé une discrimination contraire aux stipulations de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Dans la magistrature, le Conseil d'Etat a déjà jugé dans l'affaire Hubac, que le garde des Sceaux tenait un pouvoir d'appréciation lui permettant de refuser de nommer un magistrat - aveugle - inscrit sur la liste d'aptitude des juges d'instruction et des substituts de procureur de la République (CE 20 avril 1988, Hubac, Lebon p. 144 ; CE 11 octobre 1989, Hubac, req. n° 90000) laissant sous-entendre qu'un magistrat souffrant de ce handicap ne pouvait pas occuper un poste du siège qui amène le magistrat - inamovible - à juger. Le commissaire du gouvernement Guionin soulignait, dans ses conclusions sur l'arrêt Loubeyre, que « la cécité, comme toute infirmité physique, comme un quelconque défaut intellectuel, est un élément de la valeur du candidat. Elle doit donner lieu, comme tous les autres éléments, à l'appréciation qu'il appartient à l'autorité compétente de faire des titres respectifs des divers candidats ». De son côté, Mattias Guyomar a pu préciser que « la commission non seulement pouvait mais encore devait prendre la cécité de M. Chopard en considération dans l'appréciation globale de sa valeur ». L'arrêt s'inscrit dans cette logique en soulignant que la commission a légalement intégré, dans son appréciation de l'aptitude, le handicap physique du requérant ; en revanche, elle ne s'est pas fondée « exclusivement sur la cécité » de M. Chopard pour refuser son intégration directe, la période probatoire imposée n'ayant pas été probante.

Pouvait-on envisager l'existence d'aménagements de poste qui auraient eu pour effet de compenser le handicap de M. Chopard ? La commission pouvait-elle nuancer son appréciation en prenant en compte la possibilité de tels aménagements ? Le Conseil d’Etat avait déjà affirmé que des aménagements de poste « auraient permis de compenser les conséquences du handicap » d'une candidate à l'emploi de professeur d'éducation physique (CE 30 avril 2004, Mlle Monnier, AJDA 2004).

La question de la compensation n'a pas été abordée dans l'arrêt Chopard ; en pratique, l'on imagine difficilement la présence d'un assistant qui ferait part de ses impressions visuelles à un magistrat souffrant de cécité afin d'amener ce dernier à forger son intime conviction. L’impression est, en effet, nécessairement subjective.

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L’inaptitude du requérant n'a pas été déduite de son seul handicap qui ne peut faire obstacle, en lui-même, à l'intégration directe du requérant ; la prise en compte de la cécité était un élément supplémentaire qui a pu conforter le sentiment global, éprouvé par les membres de la commission, que le candidat n'était pas en mesure d'exercer l'ensemble des fonctions judiciaires. C’est donc l’inaptitude du requérant à exercer toutes les fonctions judiciaires qui s’est révélée rédhibitoire.

Admettre l'idée d'une aptitude « à géométrie variable » (M. Guyomar, concl. préc.) reviendrait à rompre l'unité du corps judiciaire et à consacrer plusieurs catégories de magistrats ; ceux dont l'aptitude est générale pourraient exercer n'importe quelle fonction alors que ceux qui ne sont pas pleinement aptes - en raison, notamment, d'un handicap - seraient cantonnés, comme cela aurait été le cas pour le requérant - à une fonction de magistrat du siège, d'assesseur d'une formation civile ou de magistrat du parquet chargé de travaux d'étude et de rédaction.

Le Conseil d’Etat a élargi les caractéristiques de l'aptitude à exercer la fonction de magistrat judiciaire et en passant de la fonction à « l'ensemble des fonctions judiciaires ».

La logique de la discrimination positive - qui apparaît en filigrane - doit logiquement s'arrêter là où commence celle de la polyvalence fonctionnelle qui suppose la mobilisation, par l'agent, de sens (la vue et l'ouïe essentiellement) dont l'ineffectivité, aussi malheureuse soit-elle pour l'individu, ne peut être compensée par des aménagements de poste et la présence d'un assistant et ne saurait, pour cette raison, justifier la création d'un droit préférentiel. La cécité de M. Chopard n'était pas la seule raison fondant juridiquement l'appréciation à laquelle la commission s'est livrée; il reste à savoir si la logique de cet arrêt sera étendue à d'autres emplois publics au risque de créer des zones d'exclusion de personnes handicapées dans le secteur public au moment même où le législateur entend lutter contre ce phénomène.

Ont au contraire été jugés illégaux les refus suivants : celui d'un candidat à l'ENM au motif

qu'il avait participé plusieurs années avant le dépôt de sa candidature à des manifestations

d'étudiants de caractère véhément mais qui ne s'étaient accompagnées d'aucune violence (CE,

18 mars 1983, Mulsant) ; celui d'un candidat aux fonctions de gardien de la paix qui avait été, à

l'âge de 17 ans et une dizaine d'années plus tôt, poursuivi pour des cambriolages et un vol de

voiture, ces faits n'étant pas, eu égard à leur ancienneté et à la circonstance que le comportement

de l'intéressé n'a ultérieurement donné lieu à aucun reproche, de nature à établir qu'il n'offrait

pas les garanties exigées pour exercer ces fonctions ; celui d'une candidate aux fonctions d'agent

administratif de la police nationale impliquée quinze ans plus tôt dans des affaires de vol et

d'usage de stupéfiants…

Les candidats doivent remplir les conditions statutaires en principe au plus tard à la date

de la première épreuve ou de la première réunion du jury s'il s'agit d'un concours sur

titres. C'est donc leur situation juridique à cette date qui permet d'apprécier leur aptitude

à concourir. Pour autant, et étant donné les difficultés matérielles que suscite la véri fication

de milliers de dossiers dans des délais souvent réduits, l'administration se contente

généralement d'un examen superficiel des dossiers qu'elle n'approfondira qu'après la

proclamation des résultats. Autrement dit, l'administration ne va véritablement établir

120

Page 121: cours Fonction publique 2007 (blog)

qu'un candidat pouvait concourir qu'après que le jury l'ait proposé à la nomination ! Cette

pratique a été admise par le législateur qui accepte que la vérification intervienne au plus

tard à la date de la nomination.

3. Le déroulement du concours

Le jury est indépendant. Une fois nommé par l'autorité organisatrice du concours, il n'est

uni à cette dernière pas plus qu'à aucune autre autorité administrative ou politique par un

quelconque lien de subordination.

Le jury est ensuite souverain. Dans les limites posées par les textes généraux encadrant

l'organisation du concours, son appréciation de la valeur des candidats est juridiquement

incontestable, s'impose à l'administration et ne peut être directement contrôlée par le

juge. Il lui appartient d'opérer librement une comparaison et une sélection des candidats

sur leurs valeurs et leurs mérites respectifs. Ainsi, le jury est tenu de respecter le

programme des épreuves, leur notation. Il ne peut pas fixer une note éliminatoire,

d'élever un seuil d'admissibilité ou encore d'ajouter une épreuve supplémentaire ou un

nouveau critère d'appréciation. De même, il ne doit pas se prononcer sur l'aptitude

physique des candidats, cette appréciation relevant de la seule compétence de l'autorité

administrative. Sous ces réserves, le jury, qui n'a pas à motiver ses délibé rations,

dispose d'une totale latitude d'appréciation. Le juge administratif se refuse en effet, fort

prudemment, à contrôler si le jury a correctement apprécié la valeur des titres du

candidat ou des épreuves qu'il a subies.

Le jury est un organe collégial, cette caractéristique offrant assurément « une double

garantie de compétence et d'honnêteté » et l'absence de l'un de ses membres à l'une des

épreuves orales a pour conséquence de l'empêcher de participer à la suite du concours.

Plus largement, il se doit de respecter une conception exigeante des principes d'égalité et

d'impartialité. L'unicité du jury est ainsi une importante garantie de l'égalité de traitement

des candidats. Et si, eu égard au nombre de candidats et aux contraintes matérielles, le

jury doit se subdiviser pour certaines épreuves en groupes d'examinateurs, il se doit

alors d'opérer, si besoin est, une péréquation des notes attribuées par chaque groupe

d'examinateurs.

Le jury est enfin soumis à une obligation d'impartialité, sa partialité étant régulièrement

mise en doute devant le juge. La partialité du jury, ou plus exactement d'un ou plusieurs de

ses membres, peut résulter en particulier des liens personnels' ou professionnels les

121

Page 122: cours Fonction publique 2007 (blog)

unissant à certains candidats.

La proclamation des résultats du concours . Au terme du concours, le jury, après

en avoir délibéré collégialement, établit une liste des candidats reçus. Cette liste classe les

candidats par ordre de mérite dans les fonctions publiques de l'État et hospitalière mais pas

dans la fonction publique territoriale où il s'agit d'une liste d'aptitude par ordre

alphabétique. Afin de pouvoir faire face à d'éventuels désistements ou à des vacances

imprévues dans le corps avant que soit organisé un nouveau concours, le jury établi

également une liste complémentaire.

Le jury n'est toutefois jamais tenu d'attribuer toutes les places mises au concours. Il peut en

effet, s’il estime que le niveau des candidats est insuffisant, ne pas pourvoir tous les postes

ouverts voire n'en pourvoir aucun.

C. Les résultats du concours

1. L’attribution de la qualité de fonctionnaire

L'administration n'est nullement tenue de nommer les candidats proposés par le jury. Elle peut

parfaitement n'en nommer aucun ou seulement certains d'entre eux. Toutefois, si elle opte

pour cette dernière solution elle doit respecter l'ordre d'inscription sur la liste principale, puis

le cas échéant sur la liste complémentaire.

Les collectivités locales bénéficient d'une latitude d'action beaucoup plus importante

puisqu'elles ne sont tenues par aucun ordre de mérite. Dès lors, elles peuvent puiser librement

dans la liste d'aptitude établie par le jury, liste en principe caduque au bout de trois ans.

Ainsi, d'un point de vue strictement juridique, le succès à un concours administratif

n'offre aucune certitude d'être recruté mais une simple vocation.

2. La contestation des résultats du concours

Un candidat malheureux, un membre d'un corps ou cadre d'emplois ouvert aux lauréats ou

encore une association ou un syndicat de fonctionnaires peut chercher à obtenir l'annulation des

opérations du concours (ou des nominations effectuées sur sa base). Il faudra au requérant

contester la délibération du jury dans son ensemble. En effet, il s'agit d'un acte indivisible et

l'on ne peut dès lors se limiter à contester tel ou tel résultat.

L’annulation du concours est régulièrement envisageable. Pour autant, elle est souvent

platonique, le législateur se hâtant alors d'opérer une validation législative des résultats du

concours ou des nominations prononcées sur leur base afin de sécuriser la situation juridique des

122

Page 123: cours Fonction publique 2007 (blog)

agents nommés suite au concours illégal. Ce contentieux est peut-être amené à évoluer

maintenant que le juge administratif se reconnaît la possibilité de moduler les effets dans le

temps de ses annulations.

Même en cas de validation législative, le candidat malheureux n'aura cependant pas

nécessairement tout perdu. L'illégalité du concours ou d'une décision le concernant

n'imposeront certes pas à l'administration d'organiser un nouveau concours. Par contre elle

pourra permettre l'indemnisation du candidat en application de la théorie dite de la perte de

chance.

II. Le déroulement de la carrière

A. Les positions du fonctionnaire

Les positions du fonctionnaire désignent « les situations diverses qu'un agent public peut être

amené à occuper par rapport à son emploi et à son grade ». La position d'activité est la

position normale du fonctionnaire. Environ 95 % des fonctionnaires de l’Etat se trouvent dans

cette position.

1. La position d’activité

L’activité est la position du fonctionnaire qui exerce les fonctions de l'un des emplois

correspondant au grade dont il est titulaire. Parfois, le bénéfice de la position d’activité repose

sur une fiction. Sont ainsi réputés en position d’activité les agents qui bénéficient d'une

décharge de service pour l'exercice d'un mandat syndical, les agents en congé ou encore

les agents provisoirement incarcérés.

2. Les autres positions

a. La mise à disposition59

La mise à disposition était traditionnellement considérée comme une variante de l'activité.

La loi de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007 l’a cependant autonomisée.

Son régime est unifié pour les trois fonctions publiques. La mise à disposition permet à un

fonctionnaire d'exercer des fonctions dans une autre administration, voire dans d'autres

organismes publics ou privés chargés d'une mission d'intérêt général, tout en continuant

à demeurer dans son corps d'origine, à être rémunéré par son administration d'origine

et à y acquérir des droits à l'avancement et à la retraite. En raison de sa souplesse et de

son formalisme réduit, cette position est prisée tant des fonctionnaires que de

59 Ph. LAGRANGE, La réforme des mises à disposition : nouvelle étape vers une fonction publique ouverte  ?, AJDA 2007, p. 524.

123

Page 124: cours Fonction publique 2007 (blog)

l'administration.

La mise à disposition de fonctionnaires a été initialement définie par l'article 41 de la loi du

11 janvier 1984 comme « la situation du fonctionnaire qui demeure dans son corps d'origine,

est réputé occuper son emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante, mais

qui effectue son service dans une autre administration que la sienne ». La loi du 2 février

2007 est venue apporter une modification. La mise à disposition se définit désormais comme

« la situation du fonctionnaire qui demeure dans son corps d'origine, est réputé occuper son

emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante, mais qui exerce des fonctions

hors du service où il a vocation à servir ». Cette nouvelle rédaction a pour effet d’autoriser

les mises à disposition internes à chaque ministère.

La mise à disposition constitue un instrument intéressant tant pour les agents que pour

l'administration. La mise à disposition est une manière de renforcer temporairement, en

fonction des besoins, les ressources humaines d'une administration ou d'un établissement

public qui ne dispose pas d'emploi budgétaire lui permettant de nommer un fonctionnaire ou

de l'accueillir en détachement. Cette pratique permet au surplus à l'administration de favoriser

la mobilité de son personnel et de développer les échanges entre les différentes

administrations publiques, ainsi qu'entre le secteur public et le secteur privé.

Un fonctionnaire peut être mis à disposition auprès :

- d'une administration de l’Etat,

- d'une collectivité territoriale,

- d'un établissement public,

- d'une organisation internationale,

- d'un organisme contribuant à la mise en œuvre d'une politique publique pour

l'exécution des seules missions de service public qui lui sont confiées. Cette dernière

précision restreint le champ des mises à disposition de fonctionnaires auprès

d'organismes privés,

- d’Etats étrangers, sous réserve que « le fonctionnaire conserve, par ses missions, un

lien fonctionnel avec l'administration d'origine ».

- Un fonctionnaire pourra dorénavant être mis à disposition « auprès d'un ou de

plusieurs organismes pour y effectuer tout ou partie de son service ». Cette mise à

disposition "à temps partagé" présenterait le triple intérêt d'apporter une plus grande

souplesse dans la gestion des ressources humaines, de permettre la pluriactivité et de

favoriser la mobilité.

La mise à disposition est, en principe, autorisée pour trois ans. Le plus souvent, c’est le

124

Page 125: cours Fonction publique 2007 (blog)

fonctionnaire lui-même qui en prend l'initiative. La mise à disposition ne saurait, de toute

façon, lui être imposée. L’administration se prononçait traditionnellement sur la demande

de mise à disposition en tenant compte des nécessités de service. La loi du 2 février 2007

innove sur deux points. En premier lieu, elle supprime l'exigence d'une « nécessité de

service ». En second lieu, disparaît l’obligation de confier à l'agent des « fonctions d'un niveau

hiérarchique comparable à celui des fonctions exercées dans son administration d'origine ».

La loi du 2 février 2007 impose, en revanche, la conclusion d'une convention entre

l’administration d’origine et l'organisme d'accueil. Cette convention doit tout

particulièrement fixer les modalités de remboursement du coût de l'argent ainsi prêté. En

réalité, cette exigence préexistait. Elle n'avait cependant qu’une valeur réglementaire et était

presque systématiquement bafouée. Les raisons de la consécration de cette obligation de

remboursement sont multiples :

- tout d’abord, l’obligation de remboursement, qui devrait être un remboursement

intégral, est censée réduire la durée moyenne des mises à disposition qui s’élève

actuellement à 7 ans. Or, il y a ici un détournement manifeste de la finalité de la mise

à disposition. Cette pratique s'analyse avant tout comme un prêt temporaire de main-

d'œuvre, destiné à répondre à un besoin ponctuel précis. Dans la logique du statut, si le

besoin apparaît comme permanent, l'emploi devrait être occupé par un fonctionnaire

en position d'activité, soit en détachement. Les mises à disposition ne doivent pas

servir « d'expédient pour faire occuper de manière pérenne des emplois qui devraient

être pourvus d'une autre manière » (D. Jean-Pierre).

- ensuite, les mises à disposition non remboursées peuvent être qualifiées d’aides d'Etat

au sens du droit communautaire (CE, 26 septembre 2005, Mutuelle générale des

services publics).

- enfin, les mises à dispositions gratuites grèvent en effet le budget de l'État et ne

répondent plus aux nouvelles exigences budgétaires posées par la LOLF.

Ces raisons ont conduit le législateur à préciser que « la mise à disposition donne lieu à

remboursement ». Une dérogation à cette règle est cependant prévue pour le cas d'une mise à

disposition au sein de l'administration de l'Etat ou auprès d'un de ses établissements publics

administratifs ou bien encore auprès d'une organisation internationale intergouvernementale

ou d'un Etat étranger.

La situation d'un fonctionnaire mis à disposition d'une personne privée (Croix-Rouge...) est

assimilée par la jurisprudence à celle du fonctionnaire détaché. Dès lors que le fonctionnaire

se trouve uni à un organisme privé par un rapport de subordination, la jurisprudence

125

Page 126: cours Fonction publique 2007 (blog)

considère qu’il est lié à cet organisme par un contrat de travail. En cas de contentieux entre

le fonctionnaire mis à disposition et son employeur, celui-ci relèvera de la compétence des

prud'hommes.

La loi du 2 février 2007 confère une base légale aux mises à disposition entrantes. On dit

qu’une mise à disposition est "entrante" lorsque ce sont des salariés de droit privé qui sont mis

à disposition de l'administration. Cette possibilité s’était développée en marge des textes. La

loi de modernisation de la fonction publique la consacre. Une telle mise à disposition sera

possible « lorsque des fonctions exercées [...] nécessitent une qualification technique

spécialisée ».

L’administration devra rembourser à l’employeur privé le coût de la mise à disposition, c’est-

à-dire la rémunération, les charges sociales, les frais professionnels et les avantages en nature.

La loi ne précise pas si les conventions de mise à disposition doivent être soumises au code

des marchés publics. Aucune obligation de publicité préalable ou de mise en concurrence n’a

été posée. Cette lacune paraît d’autant plus étonnante que la convention de mise à disposition

entrante s'analyse comme une convention de prêt de main-d'œuvre spécialisée par une

entreprise. Or, une telle convention paraît évidemment relever des règles de la commande

publique.

Enfin, les salariés mis à disposition de l'Etat ou de l'un de ses établissements publics

administratifs « sont soumis aux règles d'organisation et de fonctionnement du service où ils

servent et aux obligations s'imposant aux fonctionnaires ». Cette innovation conduira à

confier, de plus en plus souvent, à des salariés de droit privé des emplois permanents de la

fonction publique, normalement réservés à des fonctionnaires titulaires placés dans une

situation statutaire.

L’une des innovations les plus importantes de la loi de modernisation de la fonction

publique tient à l’affirmation du principe de la mise à disposition entre les trois fonctions

publiques. Jusqu'à la loi du 2 février 2007, seuls les fonctionnaires d'Etat pouvaient prétendre

exercer un temps dans la fonction publique territoriale ou hospitalière. L'inverse n'était pas

vrai. La réciproque est désormais possible. La loi prévoit en effet que « la mobilité des

fonctionnaires entre les trois fonctions publiques peut s'exercer par la voie de la mise à

disposition ».

La loi du 2 février 2007 est donc importante dans la mesure où elle entend accroître la

mobilité entre fonctions publiques et intensifier l'ouverture sur le secteur privé.

126

Page 127: cours Fonction publique 2007 (blog)

b. Le détachement

Le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son corps ou de son cadre

d'emploi d'origine tout en continuant à bénéficier dans ce corps ou ce cadre de ses droits

à l'avancement et à la retraite. Cette position permet par exemple à un fonctionnaire d'État

de travailler dans une collectivité territoriale, un organisme privé ou un groupement d'intérêt

public pour exécuter des travaux de recherche et d'intérêt national, de dispenser un

enseignement à l'étranger ou d'occuper un emploi auprès d'une entreprise publique. Le

détachement de l'agent est parfois de droit. Il en va ainsi en cas de nomination à un emploi à

la décision du gouvernement ou à un emploi fonctionnel ou en cas d’exercice de fonctions

gouvernementales, d'un mandat public électif empêchant l'exercice normal de la fonction. Ces

deux dernières hypothèses sont très décriées car elles favorisent la surreprésentation des

fonctionnaires dans le personnel politique puisqu'ils sont assurés de retrouver leur corps

d'origine au terme de leur mandat.

Le détachement est une procédure très appréciée des fonctionnaires, tout particulièrement

parce qu’elle leur permet d’être mieux rémunérés que dans leur corps ou cadre d'emploi

d'origine. L'agent détaché peut en outre bénéficier d'un avancement dans le corps ou

l'emploi sur lequel il est détaché.

Le détachement est prononcé par l'autorité hiérarchique (ministre, exécutif local). Le

fonctionnaire doit en faire la demande. Dans la fonction publique d'Etat, le détachement peut

toutefois être décidé d'office dans l'intérêt du service au profit d'une autre administration

de l'État ou de l'un de ses établissements publics. La saisine de la CAP est alors obligatoire.

L'emploi de détachement doit de toute façon être équivalent à celui qu'occupait l'agent jusque-

là. Le juge exerce un contrôle restreint sur le refus opposé par l'administration.

Le fonctionnaire détaché est soumis aux règles applicables à la fonction qu'il exerce. Il

est sous l'autorité du supérieur hiérarchique du service ou de l'organisme d'accueil.

Celui-ci exerce le pouvoir de notation sauf détachement de courte durée. En revanche, le

pouvoir disciplinaire appartient toujours à l'autorité du corps d'origine.

Si le fonctionnaire est détaché auprès d'un EPIC ou dans une entreprise privée, il est

placé dans la situation d'un salarié de droit privé. La fin du détachement, sur demande de

l'employeur privé, peut même constituer un licenciement sans cause réelle et sérieuse donnant

droit à indemnités.

127

Page 128: cours Fonction publique 2007 (blog)

Réintégration du fonctionnaire détaché. Les textes distinguent deux types de

détachement selon leur durée.

- Le détachement de courte durée (ou délégation) est en principe accordé pour une

période de moins de six mois. Il n'est pas renouvelable. Il peut être écourté à

l'initiative de l'administration d'origine, de l'organisme d'accueil ou de l'agent. À son

terme, le fonctionnaire est réintégré dans son emploi d'origine. L'administration ne

peut en effet pourvoir l'emploi temporairement libéré par l'agent détaché.

- Le détachement de longue durée ne peut excéder cinq années. Il est renouvelable par

période de cinq ans et peut être écourté dans les mêmes conditions que le cas

précédent. Il entraîne en revanche le remplacement de l'agent détaché sur son poste

d'origine. Trois mois avant la fin de son détachement, le fonctionnaire doit faire

connaître à l'administration sa décision de demander un renouvellement ou de

réintégrer son corps d'origine. Au terme de son détachement, le fonctionnaire est

réintégré de droit dans son corps ou cadre d'emploi d'origine, au besoin en surnombre.

Il existe enfin des régimes spéciaux de détachement.

- Depuis 2002, il existe ainsi une procédure de détachement qui permet l'accueil

dans la fonction publique française des fonctionnaires d'un Etat membre de la

Communauté. La durée de ce détachement ne peut excéder cinq ans. L'emploi auquel

peuvent prétendre les intéressés doit être étranger à l'exercice de la souveraineté et ne

comporter aucune participation à l'exercice de prérogatives de puissance publique. Il

doit correspondre au niveau de l'emploi précédemment occupé. Il est tenu compte pour

leur classement dans ce corps de l'expérience professionnelle acquise dans les

fonctions antérieures.

- Depuis 2004, il existe une procédure dérogatoire de détachement pour les

fonctionnaires de l'État dont les services sont transférés aux collectivités

territoriales. Les personnels techniciens, ouvriers et de service (Tos) de l'Éducation

nationale sont concernés en priorité. Mis temporairement à disposition des

collectivités territoriales ou de leurs groupements, ils ont vocation à être intégrés dans

la territoriale. Ils peuvent toutefois choisir leur maintien dans la fonction publique de

l'État. Par exception, dans cette hypothèse, le détachement s’effectue sans limitation

de durée dans les cadres d'emploi de la fonction publique territoriale.

c. La position hors cadre

128

Page 129: cours Fonction publique 2007 (blog)

La position hors cadre est un prolongement du détachement. Le fonctionnaire qui arrive au

terme de son détachement peut demander à continuer à servir dans l'administration ou

l'entreprise qui l'accueille. Cette faculté n’est ouverte qu’aux fonctionnaires qui justifient d’au

moins quinze années de service. La mise hors cadre ne peut excéder cinq années. Elle est

renouvelable par période de cinq ans maximum. Le fonctionnaire perd alors ses droits à

traitement, à l'avancement et à la retraite dans son corps d'origine. Il se trouve soumis aux

régimes statutaire et de retraite qui régissent les fonctions qu'il occupe. Le fonctionnaire peut

être réintégré dans son corps d'origine à l'expiration de chaque période de mise hors cadre.

Cette réintégration est obligatoire dès la première vacance d'emploi lorsque la mise hors cadre

n'est pas renouvelée.

Cette position est peu sollicitée (800 personnes en 2002) car le détachement qui en est très

proche est souvent plus avantageux. La position hors cadres n'a ainsi le plus souvent d'intérêt

que pour des fonctionnaires en poste dans une institution offrant un régime de retraite supérieur

à celui de la fonction publique.

d. La disponibilité

La disponibilité désigne la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration

d'origine, cesse de bénéficier de ses droits à rémunération, à l'avancement et à la retraite dans

son corps ou cadre d'emploi. Le lien qu’entretient l'intéressé avec son administration d’origine

s’atténue sans disparaître pour autant. Les règles déontologiques lui interdisent par exemple

d'exercer certaines activités professionnelles.

La disponibilité est prononcée d'office lorsque l'agent est temporairement inapte à

reprendre ses fonctions à l'expiration d'un congé de longue maladie ou de longue durée

et qu'il ne peut bénéficier d'un reclassement. Sa durée est d'un an maximum, renouvelable

deux fois. À la fin de cette période, l'agent est soit réintégré, soit mis à la retraite, soit, s'il n'a

pas droit à pension, licencié pour inaptitude physique.

La disponibilité peut également être sollicitée par l’agent qui souhaite poursuivre ses études,

créer ou reprendre une entreprise ou encore pour convenance personnelle. Elle est alors

accordée sous réserve des nécessités du service et après avis de la CAP. Sa durée ne peut

excéder dix ans pour l'ensemble de la carrière. L'intéressé peut alors exercer une activité

publique ou privée (avocat, banquier d'affaires...). Cette position est très décriée car elle

permet à certains fonctionnaires de rejoindre le secteur privé tout en gardant une sorte de

"filet de sécurité" dans la fonction publique.

129

Page 130: cours Fonction publique 2007 (blog)

Trois mois au moins avant la fin de la disponibilité, le fonctionnaire peut solliciter sa

réintégration. Celle-ci est alors de droit (CE, Ass., 11 juillet 1975, Ministre de l’Education

nationale / Dame Saïd : l'autonomie des universités ne peut s'opposer à la réintégration d'une

assistante). L'administration propose à l'intéressé l'une des trois premières vacances dans son

grade. Si celui-ci refuse successivement trois postes, il peut être licencié après avis de la CAP.

S'il ne demande pas sa réintégration dans les délais impartis, l'agent risque la radiation sans

qu'une mise en demeure soit nécessaire.

Cette position concernait 29 000 fonctionnaires en 2002 (70 % de femmes).

B. La dynamique de la carrière

1. L’avancement dans le corps

Le statut général affirme que « L'avancement des fonctionnaires comprend l'avancement

d'échelon et l'avancement de grade ».

L’avancement d'échelon implique une augmentation du traitement sans changement

d'emploi. Tout fonctionnaire en bénéficie, même s'il est mal noté, car l'avancement d'échelon

est accordé en fonction de l'ancienneté dans l'échelon inférieur. La notation permet seulement

de hâter (réduction d'ancienneté) ou de retarder (majoration d'ancienneté) la date de cette

promotion.

L’avancement de grade se traduit par l'augmentation du traitement et, en principe, par

l'affectation à un emploi hiérarchiquement supérieur. Sauf s'il est subordonné à une sélection

professionnelle, cet avancement a lieu de façon continue de grade en grade. La valeur

professionnelle de l'agent conditionne l'avancement en grade.

Le statut général actuel prévoit deux procédés pour apprécier les mérites des

candidats qui remplissent les conditions pour une promotion de grade ou de classe. Le

statut particulier précise, pour chaque corps, celui qui a été retenu.

- La technique classique est celle de l'inscription au tableau d'avancement. Le chef de

service établit chaque année la liste des agents qui au vue de leur notation peuvent

prétendre à une promotion. Le projet de tableau est ensuite soumis pour avis à la

CAP siégeant en formation restreinte aux membres du corps de grade égal ou

supérieur à celui des promouvables. Celle-ci soumet ses propositions au chef de

service. Lorsqu'il est arrêté, le tableau est porté à la connaissance des agents. L'autorité

compétente ne peut s'opposer deux années de suite à l'inscription d'un agent dont la

CAP propose la candidature. Le Conseil supérieur de la fonction publique peut être

130

Page 131: cours Fonction publique 2007 (blog)

saisi de ce refus, à l'initiative de l'intéressé ou de la CAP. Il peut recommander

l'inscription.

- Le procédé le plus complexe consiste en l'organisation de véritables épreuves de

sélection qui peuvent prendre deux formes : soit l'inscription au tableau

d'avancement est précédée d'un examen professionnel (le tableau des promouvables

est alors établi en fonction de la valeur professionnelle des agents et de leurs résultats

aux épreuves) ; soit la sélection repose uniquement sur les résultats obtenus aux

épreuves de ce qui constitue alors un véritable concours. L'institution d'épreuves de

sélection permet de lutter contre la tentation à laquelle l'autorité administrative

succombe trop souvent : dénaturer l'avancement au choix en établissant le

tableau d'avancement par ordre d'ancienneté.

Tout fonctionnaire qui bénéficie d'un avancement est tenu d'accepter l'emploi qui lui est

assigné dans son nouveau grade, faute de quoi il perd le bénéfice de cette promotion.

2. Les mouvements des fonctionnaires

La carrière d’un fonctionnaire peut être dynamisée par deux processus : la mobilité

fonctionnelle et les mutations.

a. La mobilité fonctionnelle

La mobilité des fonctionnaires au sein de chaque fonction publique (mobilité interne) mais

aussi l'accès des fonctionnaires aux autres fonctions publiques (mobilité externe) constituent

une garantie fondamentale de leur carrière. La mobilité fonctionnelle ne présente que des

avantages tant pour le fonctionnaire que pour l’administration : elle offre des perspectives

nouvelles de carrière pour les agents ; elle favorise ensuite leurs capacités d'adaptation, enfin,

elle enrichit leur connaissance de l'administration. C'est pourquoi les gouvernements tentent

régulièrement de la favoriser. La mobilité est en principe ouverte à tous les fonctionnaires.

Certaines de ses modalités sont cependant réservées à des catégories particulières d'agents.

Le régime de droit commun : la mobilité au sein d'une fonction publique. Elle est

favorisée par les procédures qui permettent de changer de corps ou de cadres d'emploi :

concours internes, promotions internes ou tours extérieurs. Le détachement constitue

aujourd'hui le principal vecteur de la mobilité des fonctionnaires. Or, il n'est pas possible dans

tous les corps, certains demeurant encore fermés.

La mobilité entre fonctions publiques peut s'effectuer dans l'une des deux autres

fonctions publiques nationales ou dans celle d'un autre État membre de l'Union européenne ou

131

Page 132: cours Fonction publique 2007 (blog)

de l'Espace économique européen. Le remplacement par la loi Galland du 13 juillet 1987 des

corps de la territoriale par des cadres d'emploi complique les échanges entre fonctionnaires de

l'Etat et fonctionnaires territoriaux en raison de la nécessaire comparabilité du cadre d'accueil

avec le cadre d'origine. Cette forme de mobilité est enfin subordonnée à l'accord des deux

gestionnaires concernés. Il est en règle générale assez facile pour un haut fonctionnaire d'État

d'occuper, sur la demande d'un exécutif territorial, un emploi fonctionnel dans une

collectivité. L'inverse est beaucoup plus délicat car les emplois supérieurs de l'État sont

considérés comme réservés, en pratique, aux membres de certains corps.

La mobilité constitue parfois une obligation statutaire. Cette mobilité obligatoire est censée

diversifier l’expérience de certains fonctionnaires. Cette obligation concerne les

fonctionnaires des corps recrutés par la voie de l'ENA et les administrateurs des postes et

télécommunications. Cette mobilité statutaire doit être effectuée après au moins deux ans de

service effectif dans le corps d'affectation. Sa durée est fixée à deux ans. Au terme de sa

mobilité, le fonctionnaire est en principe réintégré dans son administration d'origine.

b. Les mutations

Les mutations sont décidées dans l'intérêt du service, à la demande du fonctionnaire ou

d'office. Elles impliquent un changement de résidence administrative ou une modification de

la situation administrative de l'agent qui demeure dans son corps ou cadre d'emploi.

La mutation sur demande est sollicitée par le fonctionnaire qui souhaite changer

d'affectation. Les vœux formulés par l'agent sont pris en compte par l'autorité hiérarchique

dans la mesure où ils sont compatibles avec les nécessités du service. L'administration prend

en considération la situation familiale de l'agent en favorisant le rapprochement des

fonctionnaires séparés de leur conjoint pour des raisons professionnelles. Elle doit privilégier

les demandes des personnels handicapés. Les emplois vacants doivent être publiés afin de

permettre aux agents intéressés de postuler à la mutation. L'absence de toute publicité ou

d'une publicité suffisante entache la procédure d'irrégularité. L'autorité compétente procède

ensuite aux mouvements de fonctionnaires après avis des CAP.

Le rapprochement familial est prévu par la loi du 30 décembre 1921, dite Loi Roustan. Cette

loi permet aux fonctionnaires mariés de demander à être affectés dans le département où

exerce l'un des deux époux. Cette priorité de rapprochement s'applique même si l'un des

époux n'est pas fonctionnaire. Le statut général étend cette possibilité aux partenaires d'un

PACS qui sont séparés pour des raisons professionnelles.

132

Page 133: cours Fonction publique 2007 (blog)

Depuis 1991, la loi Roustan a été implicitement abrogée pour les fonctionnaires de l'État qui relèvent du statut général. Ces derniers sont soumis aux dispositions similaires de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 (v. CE, Sect., 23 nov. 2005, Mme Baux). La loi du 30 décembre 1921 demeure toutefois applicable aux autres agents titulaires de l'État comme les magistrats ou les militaires. Une demande de mutation peut être refusée pour raison de service.

Mutation d'office dans l'intérêt du service. La distinction entre grade et emploi laisse en

théorie à l'administration une marge d'appréciation importante pour déterminer l'affectation

des agents aux emplois correspondant à leur grade. Elle peut donc prononcer leur mutation

d'office pour pourvoir un emploi dont la vacance compromet le bon fonctionnement du

service ou pour déplacer un agent dont le comportement, sans être fautif, nuit à sa bonne

marche.

L’administration est parfois tentée de substituer une telle mutation à la procédure disciplinaire

(mutation des directeurs d'hôpitaux). La mutation d’office d'un agent constitue alors une

sanction déguisée. La mutation d'office est en effet très proche dans ses effets du déplacement

d'office qui constitue une sanction disciplinaire. Comme le souligne Olivier Dord, « Souvent

par réalisme, parfois par faiblesse, l'administration ne se résout pas à engager une action

disciplinaire contre l'agent concerné. Sa mutation d'office constitue alors l'unique voie pour

rétablir la tranquillité au sein du service : le risque étant, bien sûr, de déplacer le problème

avec l'agent... ».

Le juge estime, par conséquent, que la décision de muter d'office un fonctionnaire doit

répondre à l'intérêt du service (CE, 15 avril 1996, Aubriet : mutation d'office du directeur d'un

aérodrome pour mettre fin aux différends qui l'opposent aux personnels de son service et qui

nuisent à la bonne marche de celui-ci). Elle ne doit pas conduire à déclasser l'agent, ni à

diminuer de façon sensible ses responsabilités (v. CE, 5 avr. 1991, Mme Imbert-Quaretta :

annulation de la décision qui prive un chef de bureau de ses fonctions et le nomme chargé de

mission auprès de son directeur pour exercer une partie de ses précédentes attributions). Le

comportement de l'agent muté ne doit pas non plus être fautif. Dans le cas contraire, le

caractère disciplinaire de la décision de mutation est avéré. Celle-ci est alors entachée

d’illégalité. Au plan procédural ensuite, la mutation d'office ne figure pas au nombre des

décisions dont la loi impose la motivation. Elle nécessite cependant non seulement la saisine

préalable de la CAP, mais encore l'accès de l'agent intéressé à son dossier (CE, Sect., 30

décembre 2003, Min. de l'Education nationale / Mme Tiraspolsky).

III. Le terme de la carrière

133

Page 134: cours Fonction publique 2007 (blog)

La radiation des cadres. La cessation définitive des fonctions entraîne la radiation des cadres

de la fonction publique et la perte de la qualité de fonctionnaire. L’édiction d'une décision

formelle et motivée est nécessaire (CE, 28 janvier 1949, Siboul). En vertu du parallélisme des

compétences, cet acte est pris par l'autorité investie du pouvoir de nomination. Les causes de

radiation des cadres sont énumérées par le statut. On trouve à titre principal l'admission à la

retraite (A) et, à titres exceptionnels (B), la démission et le licenciement.

A. Le terme ordinaire : l’admission à la retraite

Détermination de l'âge légal. L’âge limite au-delà duquel l'agent est réputé ne plus

pouvoir remplir convenablement ses fonctions est fixé de façon générale par la loi, sans

égard pour les capacités réelles et la situation du fonctionnaire. Ce choix obéit à des

considérations d’ordre budgétaire, démographique et administratif. Cette limite légale

s'impose tant au fonctionnaire qu'à son administration.

La limite d'âge est actuellement fixée à 65 ans pour l'ensemble des fonctionnaires. Cette

limite n’est en réalité qu’un plafond. Il revient aux statuts particuliers d'arrêter les limites

d'âge pour chaque corps de fonctionnaires. Le pouvoir réglementaire dispose ainsi d'un

pouvoir discrétionnaire à l'intérieur des limites fixées par le législateur et dans le respect

du principe d'égalité de traitement des fonctionnaires. L'âge légal de départ du

fonctionnaire dépend surtout depuis 1936 du classement de l'emploi qu'il occupe dans

le groupe A des emplois dits « sédentaires » (65 ans) ou le groupe B des emplois dits

« actifs » (60 ou 55 ans). Ces derniers exposent les agents qui les exercent à des

risques particuliers ou à des fatigues importantes (personnels de police, douaniers, facteurs,

infirmiers et aussi instituteurs). La limite légale peut être plus élevée : 68 ans pour le

vice-président du Conseil d'État, le premier président et le procureur général de la Cour

des comptes comme pour le premier président et le procureur général de la Cour de

cassation. La limite est même de 70 ans pour les professeurs au Collège de France.

Sur leur demande présentée avant d'avoir atteint 65 ans, certains hauts fonctionnaires sont maintenus en activité, en surnombre, jusqu'à 68 ans. Sont concernés les membres du Conseil d'État, les magistrats de la Cour des comptes, les membres de l'inspection générale des finances. Les professeurs de l'enseignement supérieur bénéficient aussi de cette faculté.

L’admission à la retraite intervient de façon différente si le fonctionnaire a atteint ou non

la limite d'âge. Lorsque l'agent atteint la limite d'âge de son grade, l'administration a

compétence liée pour prononcer sa mise à la retraite, sauf dérogations prévues par la loi. La

prolongation temporaire d'activité peut aller de quelques mois (fin de l'année scolaire ou

universitaire pour les enseignants) à trois années. En vertu du principe de continuité du

134

Page 135: cours Fonction publique 2007 (blog)

service public, le maintien d'un fonctionnaire au-delà de la limite d'âge peut aussi être rendu

nécessaire par des circonstances particulières liées aux responsabilités qui lui sont confiées ou

à l'impossibilité de désigner immédiatement un agent chargé de l'intérim.

L'admission à la retraite peut aussi intervenir par anticipation sur demande du fonctionnaire

ou à l'initiative de l'administration. Celui-ci peut tout d'abord demander à faire valoir ses

droits à la retraite avant d'avoir atteint la limite d'âge s'il justifie au minimum de quinze

années de service. La jouissance effective des droits à pension est alors différée jusqu'à l'âge

fixé par les statuts. La mise à la retraite d'office d'un agent peut intervenir « dans l'intérêt du

service » en raison de son invalidité ou de la commission d'une faute. Si le service est à

l'origine de l'invalidité, l'agent a droit à une rente. La mise à la retraite d'office constitue

également une sanction disciplinaire du quatrième groupe. Elle ne peut être infligée que si

l'intéressé remplit les conditions légales de durée de service pour l'ouverture des droits à

pension.

L'atteinte de la limite d'âge entraîne de plein droit la rupture du lien de ces agents avec le

service. En conséquence, les décisions administratives individuelles, prises en

méconnaissance de la situation née de cette rupture « sont entachées d'un vice tel qu'elles

doivent être regardées comme nulles et non avenues »60. Ne créant aucun droit au profit des

intéressés, elles sont retirées par l'administration sans condition de délai (CE, Sect., 3 février

1956, Sieur de Fontbonne). Sauf exception prévue par la loi, les services accomplis

postérieurement à la limite d'âge ne peuvent en outre être pris en compte pour le calcul des

droits à pension. L'application de la théorie du « fonctionnaire de fait », selon laquelle un

agent irrégulièrement nommé aux fonctions qu'il occupe doit être regardé comme légalement

investi tant que sa nomination n'a pas été annulée (CE, 2 novembre 1923, Assocation des

fonctionnaires de l'administration centrale des P. & T., Rec. p. 699) peut parfois légaliser des

situations extrêmes.

Les décisions prises en matière de police des étrangers, par délégation d'un préfet de police maintenu irrégulièrement en activité au-delà de la limite d'âge, ne sont pas entachées d'incompétence. La situation de ce dernier n'a pas en effet été contestée au contentieux (CE, Sect., 16 mai 2001, Préfet de police de Paris / M. Mtimet, AJDA, 2001, p. 643, chr. Guyomar et Collin).

B. Les termes exceptionnels

1. La démission61

60 « Considérant que la survenance de la limite d'âge des agents publics, telle qu'elle est déterminée par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, entraîne de plein droit la rupture du lien de ces agents avec le service ; que les décisions administratives individuelles prises en méconnaissance de la situation née de la rupture de ce lien sont entachées d'un vice tel qu'elles doivent être regardées comme nulles et non avenues » (CE, 8 novembre 2000, Muzi, DA, 2001, n° 19).61 Cyril Laroche, La démission de l’agent titulaire de l’Etat, AJFP 2007, p. 219.

135

Page 136: cours Fonction publique 2007 (blog)

La démission a été définie par le Doyen Bonnard comme « un acte unilatéral du fonctionnaire

comportant la condition suspensive de l’accord de l’administration ». Cette définition ne

convainc pas pleinement car elle suggère que l’agent disposerait seul du pouvoir de décider de

démissionner. Or, il n’en est rien. Aussi convient-il de préférer la définition proposée par le

professeur Jèze. Selon cet auteur, la démission s’analyse en une décision provoquée par

l’agent public mais prononcée unilatéralement par le chef de service.

a. Le rejet de la demande de démission de l’agent

La décision de rejet de la demande de démission formulée par un agent doit être motivée en

application de la loi du 11 juillet 1979. Une telle décision a en effet pour objet de refuser une

autorisation. Cette décision peut faire l’objet d’un recours tant administratif que juridictionnel.

Refuser une démission est illégal si un tel refus n’est pas motivé par les nécessités du

service. Le juge administratif exerce, sur ce point, un contrôle de l’erreur manifeste

d’appréciation.

b. L’acceptation de la demande de démission de l’agent

L’administration détient un pouvoir discrétionnaire pour décider, dans l'intérêt du service

d'accepter ou de refuser la démission (v. CE, 19 mars 1997, Desmoineaux). Elle a quatre mois

pour prendre sa décision (un mois dans la territoriale et l'hospitalière). Dans l'attente de cette

acceptation, l'agent doit continuer à assurer son service. L'administration est même libre de

refuser cette démission si l'intérêt du service le justifie.

La démission ne devient irrévocable qu’à partir du moment où elle a été acceptée par

l'administration. Elle ne peut pas être retirée sauf illégalité (CE, 8 novembre 1985,

Chevallier). Elle entraîne la radiation définitive des cadres du fonctionnaire. S'il apparaît que

sa démission n'est pas raisonnée ou libre, l'agent radié est toutefois recevable à contester la

décision par laquelle l'administration accepte sa démission ou celle qui l'exclut des cadres.

L'acceptation d'une démission est ainsi illégale lorsque l'intéressé est dans l'incapacité

d'apprécier la portée de son acte (CE, 5 novembre 1971, Commune de Billère : illégalité de la

démission d'un agent communal en grave dépression nerveuse). Elle est aussi irrégulière si le

consentement de l'agent est vicié par l'exercice à son encontre d'une contrainte physique (v.

CE, 28 avril 1976, Ruy : démission d'un secrétaire de mairie en raison des menaces de la

nouvelle majorité sur sa carrière) ou psychologique (CE, 22 juin 1994, Commune de Lançon-

Provence : démission présentée et acceptée au cours d'un entretien avec le maire et sur

laquelle l'agent revient dès le lendemain).

136

Page 137: cours Fonction publique 2007 (blog)

Aussi longtemps que l'administration ne s'est pas prononcée sur sa demande, l'intéressé peut

la retirer. Le refus de tenir compte de ce retrait donne à la démission acceptée le caractère

d'une révocation illégale faute de consultation du conseil de discipline (CE, 13 avril 1951,

Commune de Pommeuse). Un agent titulaire de l’Etat est fondé à solliciter par un recours

administratif gracieux ou hiérarchique le retrait de la décision qui accepte sa demande de

démission à la double condition d’agir dans le délai de 4 mois en application de la

jurisprudence Ternon et que cette décision d’acceptation de la démission soit entachée

d’illégalité.

L’agent peut demander au juge d’ordonner sa réintégration dans le même emploi ou dans

un emploi équivalent à celui qu’il occupait à la date à laquelle il en a été illégalement privé.

La preuve de l’illégalité externe d’une décision d’acceptation d’une demande de démission est

cependant délicate à apporter dès lors qu’une telle décision n’a ni à être motivée, ni à être

précédée par la communication de son dossier à l’agent. Au fond, l’agent tentera d’établir que

sa demande est entachée d’un « vice de consentement » au motif qu’il n’était pas dans un état

qui lui avait permis d’en apprécier la portée à la date à laquelle il l’avait formulée.

La démission régulièrement acceptée par l’administration entraîne la radiation des cadres de

l’agent et la perte de la qualité de fonctionnaire. Le fonctionnaire démissionnaire ne saurait

prétendre à l’allocation de l’assurance chômage. La reprise du service exige une nouvelle

nomination et donc un nouveau succès dans un concours d’accès à la fonction publique.

L’agent ne peut plus se prévaloir des droits afférents à la qualité de fonctionnaire. Il a

toutefois droit au versement d’une pension de retraite s’il remplit les conditions requises.

La démission de l’agent de l’Etat prend effet à la date fixée par l’autorité administrative qui

l’a acceptée. Ayant pour effet de rompre tout lien avec le service, la démission ne doit pas

constituer un moyen commode pour l’agent d’échapper à une sanction disciplinaire qu’il

aurait encourue s’il était resté en poste. Aussi l’acceptation de l’offre de démission ne fait pas

obstacle à l’exercice de l’action disciplinaire en raison de faits qui n’auraient été révélés à

l’administration que postérieurement à cette acceptation.

2. Le licenciement

La garantie de l'emploi dans la fonction publique n'exclut pas complètement toute forme de

licenciement pour les fonctionnaires. Le système de la carrière n'exclut en réalité que le

licenciement économique. Un agent peut donc être licencié pour insuffisance professionnelle

(a), inaptitude physique (b) ou abandon de poste (c).

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Page 138: cours Fonction publique 2007 (blog)

a. Le licenciement pour insuffisance professionnelle

L’insuffisance professionnelle n’est pas nécessairement constituée par un manquement à

une obligation textuelle (v. CE, 27 septembre 2000, CNRS : licenciement en 1992 d'un

chercheur n'ayant rien publié depuis 1986 ni établi de projet de recherche depuis 1988).

L'insuffisance professionnelle s'apprécie en fonction du comportement général de l'agent

(déficiences permanentes ou persistantes dans la manière de servir) et non à partir de faits

isolés. Son attitude doit conduire à la répétition d'actes graves de nature à troubler

l'environnement de travail de l'agent jusqu'à rendre difficile, voire impossible, le bon

fonctionnement du service (v. CE, 22 juillet 1994, Maison de retraite médicalisée de Cazouls-

les-Béziers, Rec. t. p. 989 : licenciement du cuisinier d'une maison de retraite qui, lors de la

confection des repas, fait preuve de graves et persistantes négligences dans la surveillance de

la date de péremption des produits et, dans les soins à apporter à leur conservation).

Le constat de l'inaptitude de l'agent à exercer ses fonctions conditionne la régularité de la

procédure. L’administration doit prouver l'insuffisance professionnelle. L’administration ne

peut pas justifier le licenciement par l’insuffisance professionnelle, si ce licenciement est, en

réalité, fondé sur des faits qui sont disciplinairement sanctionnables.

En cas d'insuffisance avérée, l'administration peut choisir de reclasser l'agent. S’il remplit

les conditions, le fonctionnaire est admis à la retraite avec jouissance immédiate de la

pension. Enfin, l'administration procède au licenciement de l'agent définitivement inapte. En

raison de la gravité de la mesure et pour éviter le détournement de procédure, le statut

impose le respect de la procédure disciplinaire avant le prononcé du licenciement pour

un tel motif. Le fonctionnaire licencié peut recevoir une indemnité.

b. Le licenciement pour inaptitude physique

La qualité de fonctionnaire est subordonnée à l'aptitude physique à l'exercice de la fonction.

Cette condition, valable pour tout candidat à un emploi public, s'applique aussi au

fonctionnaire tout au long de sa carrière. Lorsqu'un agent est reconnu définitivement inapte à

exercer ses fonctions, à la suite de l'altération de son état physique, l'administration est tenue

de rechercher des solutions pour le maintenir dans son emploi ou lui en attribuer un autre. Si

aucune mesure d'adaptation ou de reclassement n'est possible, l'administration met l'intéressé

en disponibilité d'office s'il est titulaire ou le licencie s'il est contractuel. Au terme de la

disponibilité d'office, le fonctionnaire qui n'est toujours pas apte est licencié, sauf s'il remplit

les conditions pour être mis à la retraite pour invalidité.

Obligation de reclasser l'agent sur sa demande.

138

Page 139: cours Fonction publique 2007 (blog)

Garanties procédurales.

La décision de licencier un agent public pour inaptitude physique nécessite la saisine préalable du comité médical départemental et de la CAP. Seul le comité médical peut reconnaître le caractère définitif et absolu de l'inaptitude physique du fonctionnaire. Parce qu'il est décidé en considération de la personne, ce licenciement doit aussi être précédé de la communication du dossier au titre de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 (CE, Sect., 26 octobre 1984, Centre hospitalier général de Firminy / Chapuis, Rec. p. 342, RDP 1985, p. 209, concl. Labetoulle). Conformément au principe général des droits de la défense, le respect de cette garantie implique l'accès de l'intéressé à l'ensemble de son dossier individuel, et non à son seul dossier médical (CE, 27 septembre 1991, Ministre de la Défense / Hoffmann).

c. Le licenciement pour abandon de poste

L'abandon de poste n'est pas défini par les dispositions du statut qui le mentionnent. Cette

construction d'origine prétorienne, antérieure à 1946, caractérise à l'origine la situation

illégale du fonctionnaire en grève. Le fonctionnaire qui abandonne son poste rompt de sa

propre initiative le lien qui l'unit à l'administration et se place en dehors du champ

d'application des lois et règlements édictés en vue de garantir l'exercice des droits inhérents à

son emploi (CE, 21 avril 1950, Gicquel). Son économie générale est définie par la circulaire

n° 463/FP du Premier ministre du 11 février 1960. La décision de radiation des cadres pour

abandon de poste n'a pas le caractère d'une sanction disciplinaire : elle n'est donc pas soumise

aux formalités prévues en la matière.

La logique de l'abandon de poste implique que l'administration déduise de l'absence sans

motif licite d'un agent sa volonté implicite de rompre tout lien avec elle. Commet ainsi un

abandon de poste le fonctionnaire qui s'absente sans autorisation de son poste de travail ou qui

refuse de reprendre le travail au terme d'un congé.

Compte tenu toutefois de son caractère imprécis, la jurisprudence circonscrit, le champ

d'application de cette théorie. Le juge estime ainsi que sont des fautes disciplinaires : les

simples retards (CE, 10 janv. 1964, Demarcy), les absences ponctuelles sans autorisation ou

encore la participation à une grève illicite (CE, Sect., 11 déc. 1998, Samoy).

Renforcement des garanties procédurales. Afin d'éviter les risques d'éviction arbitraire,

le juge impose à l'administration le respect de nombreuses règles de procédure qui constituent

autant de formalités substantielles. L'autorité de nomination doit tout d'abord adresser à

l'agent une mise en demeure. Elle constitue à la fois un ordre donné à un subordonné de

rejoindre son poste et une occasion pour l'agent de justifier son absence. Elle est prise par

lettre recommandée avec avis de réception. Elle fixe la date où l'agent doit avoir rejoint son

poste. Le délai fixé par l'administration doit être approprié pour que celui-ci puisse s'exécuter

(un délai de huit jours est suffisant ; CE, 25 juin 2003, Office départemental HLM de la

Haute-Vienne : la reprise des fonctions fixée le jour même à 13 h 30 par une lettre remise à 12

h 15 constitue un délai d'une « excessive brièveté »). La mise en demeure doit prendre la

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Page 140: cours Fonction publique 2007 (blog)

forme d'un document écrit, notifié et informant l'agent du risque qu'il encourt une radiation

des cadres sans procédure disciplinaire préalable. La décision de radiation doit être

suffisamment motivée. Viser la seule lettre de mise en demeure est ainsi illégal au regard de la

loi du 11 juillet 1979 qui exige une motivation propre. La mise en demeure doit enfin porter,

en application de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000, les nom et prénom de son auteur (CE,

15 novembre 2006, Mme Devois, AJDA 2007, p. 254, concl. Guyomar).

C. La sanction de l’éviction illégale du fonctionnaire

Dans l’hypothèse où un fonctionnaire est radié des cadres illégalement, trois obligations

pèsent sur l’administration :

- tout d'abord, l'administration doit réintégrer l'agent. Cette réintégration dans

un corps inclut également l'affectation du fonctionnaire dans un emploi. Le

fonctionnaire n'a toutefois droit à être réintégré dans son ancien emploi que s'il

s'agit d'un fonctionnaire inamovible ou lorsque l'emploi occupé n'a pas d'équivalent,

est unique ;

- ensuite, l'administration doit reconstituer la carrière de l'agent. Conformément à

l’arrêt Rodière62, il appartient à l'administration d'opérer cette reconstitution dans les

conditions où elle peut être réputée avoir dû normalement se poursuivre si aucune

irrégularité n'avait été commise. Cet exercice peut s'avérer parfois délicat. S'il n'est

guère malaisé de déterminer les avancements d'échelon dont le fonctionnaire aurait

bénéficié (puisqu'ils ont essentiellement lieu à l'ancienneté), il est plus difficile

d'apprécier s'il aurait obtenu un avancement de grade (ou de classe) et à quelle date. Et il

est franchement aléatoire de présumer de ses chances de réussite à un hypothétique

concours interne ;

- enfin, pèse sur l'administration une obligation de réparation du préjudice subi par le

fonctionnaire. A d'abord été appliquée en la matière, au moins pour certains

fonctionnaires, la théorie dite du traitement. Autrement dit, le fonctionnaire avait droit

à toucher toutes les sommes qu'il aurait dû toucher si l'acte annulé n'était pas intervenu.

Cette application très stricte de la logique fictionnelle de l'annulation était beaucoup

trop favorable à l'agent qui, entre temps, avait pu retrouver un emploi et heurtait

frontalement le principe dit du service fait. C'est pourquoi le Conseil d'État a opté en

1933 pour la théorie dite de l'indemnité. Autrement dit, l'agent n'a plus droit qu'à la

réparation du préjudice qu'il a réellement subi. Ainsi, et par exemple, si l'agent a

62 CE, 26 décembre 1925, Rodière, RDP 1926, p. 32.

140

Page 141: cours Fonction publique 2007 (blog)

retrouvé un emploi entre la date de sa radiation et celle de sa réintégration, il convient

de déduire les revenus obtenus du traitement qu'il aurait dû percevoir. Peuvent s'ajouter

d'autres chefs de préjudice, comme, par exemple, les éventuels troubles dans les

conditions d'existence du fonctionnaire (changement de résidence...). De plus,

l'indemnité versée à l'agent doit tenir compte de l'importance respec tive des

irrégularités entachant les actes annulés et des fautes éventuellement relevées à la

charge de l'agent. Ainsi, et par exemple, si l'agent est indemnisé suite à une

révocation annulée pour vice de forme alors même que les fautes qui lui étaient

reprochées sont avérées son indemnisation sera minime voire nulle.

La mise en œuvre effective de cette série d'obligations a évidemment été renforcée par la

reconnaissance au profit du juge administratif d'un pouvoir d'injonction par la loi du 8 février

1995. Le contentieux des évictions illégales était en effet, spécialement au niveau local, un

des domaines privilégiés des difficultés d'exécution.

Comparaison avec le droit du travail. On peut noter que le fonctionnaire illégalement

évincé est généralement mieux protégé que le salarié se trouvant dans une situation

comparable. Ainsi, le salarié licencié pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse n'a pas pour

autant droit à être réintégré, son ancien employeur pouvant s'y opposer et préférer lui verser

une indemnité.

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