Croissance démographique et développement économique dans le Tiers-Monde: une étude critiqueCroissance démographique et développement économique dans le Tiers-Monde: une étude

Croissance démographique et développement économique dans le Tiers-Monde: une étudecritiquePopulation Growth and Economic Development in the Third World by Léon TabahReview by: Joel Gregory and Victor PichéCanadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 11, No. 1(1977), pp. 101-110Published by: Canadian Association of African StudiesStable URL: http://www.jstor.org/stable/483673 .

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Revue canadienne des 6tudes africaines/Canadian Journal of African Studies Volume XI, no 1, 1977, 101-110

I. ETUDES BIBLIOGRAPHIQUE/REVIEW ARTICLES

Croissance demographique et developpement economique dans le Tiers-Monde : une etude critique

Joel GREGORY et Victor PICHIE*

Croissance dedmographique et de veloppement economique••

dans Ie Tiers-Monde ' , publie par I'Union internationale pour I'etude scientifique de la population, reunit vingt et un textes prepares dans le cadre des travaux de l'Union par le Comite sur l'economie et la demographie. II s'agit certes du premier ouvrage qui tente de relier d'une fagon aussi systematique les variables demographiques (surtout la croissance demographique) aux problemes de developpement economique dans le Tiers-Monde. Ne serait-ce que pour cette raison, cette publication merite qu'on s'y arrete attentivement. Dans un premier temps, nous faisons une analyse critique de chacun des themes abordes dans l'ouvrage. Par la suite, nous situons l'ensemble du livre par rapport au debat theorique sur le developpement.

A -ANALYSE CRITIQUE DES DIVERS THEMES

1 - POPULATION ET DEVELOPPEMENT: LE MODELE GENERAL

Cinq chapitres traitent du theme population et developpement: trois d'une fagon conventionnelle, i.e. neo-malthusienne (chapitres 15, 17 et 20) et deux d'une fagon plus ou moins non malthusienne (chapitres I et 16) . Commenqons par le chapitre de Tabah, qui se veut une vue generale sur la question. A plusieurs reprises, il laisse entendre que la croissance demographique represente un << probleme >> (p. 15) et que la reduction de la fecondite va alleger les investissements necessaires dans certains secteurs clefs comme l'education et la main-d'oeuvre (p. 16). Ailleurs, il affirme que le probleme demographique mondial en est un des plus fondamentaux (p. 8) et qu'on doit lui accorder une priorite absolue (p. 12). Comme nous le verrons plus loin, la priorite absolue devrait plutot tre accordee, selon nous, aux veritables causes du sous-developpement, qui n'ont rien 'a voir avec la croissance demographique. II n'est pas surprenant alors que Tabah soit amene a affirmer, malgre l'experience empirique contraire (e.g. voir le chapitre 8 de Mueller), qu'il est possible de changer les attitudes en matiere de population sans attendre le developpement (p. 20). La

* Professeurs au D"partement de demographie de I' Universitd de Montrdal. 1. Leon TABAH (ed.), Population Grou'th and Economic Development in the Third World,

Editions Ordina (Belgique), 1975, 2 volumes, 816p. 2. Nous definissons ainsi la position neo-malthusienne: c'est la position qui stipule que la vari-

able demographique est cruciale ou importante comme frein au developpement economique et qu'alors la politique demographique est cruciale ou importante pour favoriser le developpement. Une position non malthusienne n'accorderait pas d'importance au facteur demographique dans les problemes de developpement. Enfin, une position antimalthusienne affirmerait plut6t le r6le positif de la croissance demographique. C'est dans ce sens que nous utilisons ici ces termes.

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reduction de la croissance demographique pourra ainsi alleger les problemes du developpement economique. Bien stir, et surtoit depuis le Congres mondial de la population 'a Bucarest, les demographes sentent le besoin d'ajouter 'a la fin d'une longue argumentation neo-malthusienne cette phrase, peu convaincante dans leur bouche, o qu'une politique de population n'est pas un substitut pour une politique de developpement >>

(p. 40). Neanmoins, on aimerait bien savoir ce qui, pour les demographes, est a l'origine du sous-developpement. On aimerait savoir aussi pourquoi la f6condite demeure elev~e malgre tous les maux sociaux que provoque supposement la croissance demographique.

Dans le chapitre de McNicoll (chap. 17), qui passe en revue les modeles demo-economiques, on y trouve tous les postulats des modeles de croissance a base de l'argumentation neo-malthusienne. Meme s'il critique le modele Coale-Hoover , I'auteur est toujours a la recherche d'arguments qui pourraient convaincre les gouvernements d'agir en matiere de population (p. 675). Retenons quand meme sa critique pertinente du modele Coale-Hoover: (1) le modele ne tient pas compte de la contribution des enfants 'a leur propre support economique, ce qui affaiblit considerablement I'argument du fardeau que represente le rapport de dependance dans une population jeune (p. 660); et (2) le modele fait abstraction du contexte politique et institutionnel de l'economie (p. 662): c'est lia une erreur cruciale des demographes qui s'interessent au developpement, ia savoir, d'exclure volontairement de leurs analyses les variables les plus fondamentales, celles qui ris- queraient justement d'invalider leur argumentation.

Un troisieme chapitre (Singer, chap. 20) est egalement preoccupe par les effets de la croissance demographique (e.g. pp. 741 et 743). Le titre nous laisse croire qu'enfin les demographes-economistes ont compris qu'il fallait integrer dans leurs analyses les relations economiques internationales. Or on apprend plutot que la croissance demographique a un effet negatif sur la balance des paiements (pp. 765-68) et qu'elle constitue l'un des facteurs cruciaux responsable de l'inegalite croissante entre les pays pauvres et les pays riches (p. 771). C'est probablement l'un des chapitres les plus neo-malthusiens du volume; I'auteur va jusqu'a accepter la conclusion de Ohlin selon laquelle le controle de la population pourrait amener une croissance economique soutenue dans le Tiers-Monde (p. 765). Enfin, il est decevant de voir le contexte international ramene au niveau d'une variable dependante (de la croissance demographique, bien sur) alors qu'une analyse moins superficielle du contexte international comme variable independante aurait pu amener l'auteur a rejeter, sinon a inverser, sa relation entre la croissance demographique et les relations internationales. Mais nous y reviendrons.

Pour les non-malthusiens, il est interessant d'entendre dire de la bouche d'un economiste que l'hypothese malthusienne fondamentale a la base des modeles demo-economiques de type Coale-Hoover est sans fondement empirique (Leibenstein, chapitre 15). En effet, d'emblee, Leibenstein affirme que la position voulant que la croissance demographique soit defavorable i la croissance economique repose sur une assise empirique presque inexistante (p. 593). Il montre plus precisement que la relation entre les changements dans la structure par Age et le taux d' pargne est pour le moment

indetermin~e (voir pp. 600, 604 et 618). Or cette conclusion porte un dur coup au modele Coale-Hoover qui repose sur cette relation entre structure par age et taux d' pargne. D'ailleurs, comme l'observe Leibenstein, I'a priori fondamental de Coale et Hoover selon laquelle l'epargne determine l'investissement est criticable; il s'agit tout au plus d'une hypothese sujette a+ verification empirique. I y a chez cet auteur - du moins dans ce chapitre - un souci de nuance qui fait largement defaut dans le debat actuel: par exemple, il affirme qu'un nombre considerable de facteurs determinent I'etat d'une economie, dont plusieurs ne sont pas influences par la croissance demographique. Nous dirions: dont les plus cruciaux ne sont pas influences par la croissance demographique. En fait, c'est la notre

3. A. COALE et E. HOOVER, Population Growth and Economic Development in Low Income Countries, Princeton, N. J., Princeton University Press, 1958.



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hypothese fondamentale : les problemes du sous-developpement sont relies a des facteurs qui sont independants de la croissance demographique.

La conclusion empirique de Leibenstein concernant le taux d'epargne est 'a rapprocher a celle de Isbister sur la formation du capital (chapitre 16). D'abord, ce dernier repose la question neo-malthusienne d'une faqon originale : il croit, en effet, que les demographes-economistes se sont peut-etre trompes en concentrant tellement leur attention sur les relations a court terme entre population et croissance economique, c'est-a-dire sur les effets du contr6le de la population sur les niveaux de vie moyens si la structure de

i'economie demeure inchangee (p. 647). De plus, ses conclusions empiriques contredisent celles de la plupart des neo-malthusiens: en effet, son analyse l'amene a conclure qu'il existe une relation positive entre la croissance demographique dans le Tiers-Monde et

I'am6lioration de la productivit6 et I'augmentation de la production, tellement que les fluctuations dans les taux de croissance demographique peuvent avoir peu ou pas d'effet sur les niveaux de revenu per capita (p. 619)4 . Enfin le debat empirique est ouvert ! Enfin, les malthusiens peuvent etre critiques sur leur propre terrain ! Mais cela ne suffit pas, selon nous, car a la critique des a priori empiriques du modele, il faut ajouter une critique plus fondamentale du choix des variables retenues (ou non retenues !). Nous y reviendrons.

2 - MAIN-D'OEUVRE

11 y a trois chapitres sur la population active et l'emploi: << la main-d'oeuvre dans le

d6veloppement economique et la revolution demographique ,, (chapitre 2, par J. D. Durand):

?, l'emploi f6minin dans les pays en voie de developpement ,, (chapitre 3, par E.

Boserup); et << quelques aspects demographiques de l'emploi dans le Tiers-Monde >>

(chapitre 19, par J. N. Sinha). Malgre sa methodologie soignee, le chapitre de Boserup nous

d6eoit, au moins dans le contexte de cette collection. Elle nous parle de l'importance relative des aspects culturels et des etapes du developpement comme facteurs de la participation feminine au marche du travail; on se demande pourquoi un tel chapitre dans ce livre, etant donne l'absence totale de la variable demographique. Durand, quant a lui, examine la structure de la population et son evolution selon divers << niveaux >> de developpement et les implications de cette evolution pour les taux d'activite masculin et f6minin. Sinha, enfin, etudie les problemes d'emploi dans un contexte d'accroissement demographique. Durand et Sinha cependant different fondamentalement dans leur analyse: le premier n'offre qu'une description empirique de i'evolution des taux d'activite: Sinha analyse l'offre et la demande de main-d'aeuvre dans une situation d'expansion demographique et il maintient que les politiques d'emploi sont aussi importantes que les politiques de population. Tandis que de telles conclusions s'averent tres nuancees, Durand prend plutot position pour le caractere inevitable de la transition demographique et pour les avantages de la << modernisation >,. 11 nous affirme, par exemple que la qualite de la population en -age d'activite...

<< is fostered by the development of modem economic organization and nourished by consumption of the products including... also a wide range of other goods and services which may stretch the mind and ihet the appetite for a better ikfe >> (p. 47; c'est nous qui soulignons).

3 - EDUCATION

Les deux chapitres sur l'education ne nous apprennent rien de nouveau. Dans le premier (Stone, chapitre 4), on assiste au raisonnement logique (?) suivant: chez les populations a

4. Ceci contredit I'hypothese que la formation du capital serait favorisee par un taux de croissance demographique plus faible, hypothese que semble accepter Tabah (voir p. 30).



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taux de croissance demographique rapide, le nombre de personnes 'a eduquer est relativement grand; or les pays pauvres ont des taux de croissance demographique relativement

rapides; done, les pays pauvres tendent a avoir des difficultes particulieres en matiere d'education (p. 120). De plus, on repete les vertus de l'education formelle (occidentale ?) :

inculquer des habitudes et des attitudes*utiles telles que la capacite au travail regulier (lire : les pauvres du Tiers-Monde n'ont pas cette capacite ?), la ponctualite, I'acceptation des ordres d'autrui (i.e. I'obeissance), et la reconnaissance du fait qu'on ne peut s'attendre 5a avoir toujours ce que l'on veut (<< to have one's way all the time >). Aussi l'education formelle favorise une plus grande mobilite sociale, permettant ainsi aux individus brillants et energiques d'origine modeste d'ameliorer leur position economique et sociale (p. 121). Autant de meconnaissance anthropologique dans un meme paragraphe n'est egalee que par Musham (chapitre 5) lorsqu'il nous decrit ce qu'il croit tre l'attitude des gens du Tiers- Monde face 'a la haute mortalite. Le lecteur pourra en juger de lui-meme:

The everyday experience of dying babies and young children which everyone in the developing countries undergoes in his own home, at his neighbors as well as in the families of the elites and leaders of society, cannot fail to create a certain disregard for it'hat is referred to in Western societies as the sacro-sanctitv of lhuman life, i.e. the value of both the human being itself and its life. (...) The rapid replacement of a deceased child by an additional birth makes the recurrent sequence of births and deaths appear almost meaningless. (p. 181, c'est nous qui soulignons).

Bref, les deux chapitres considerent le facteur demographique comme variable independante: par un modele de regression, Stone montre l'effet negatif de la croissance demographique sur les taux d'analphabetisme, hypothese qu'accepte Musham puisqu'il affirme que le fait qu'un nombre considerable d'enfants n'ont pas acces a l'ecole primaire est une consequence directe de la haute f6condite, de la croissance rapide et de la structure par age de la population (p. 172). Mentionnons que Musham croit que l'education demographique (<< population education >>, i.e. montrer que la f6condite est trop elevee) pourrait aider les individus 'a adopter une attitude rationnelle face aux questions de population et 'a assumer un comportement responsable en matiere de mariage et de constitution des families (p. 175; c'est nous qui soulignons). Ce genre d'affirmation etonne d'autant plus que meme les plus chevronnes des neo-malthusiens s'accordent maintenant pour dire que cette conception du monde traditionnel est completement erronee et releve de l'ethnocentrisme le plus pur5.

4 - SANTE ET NOURRITURE

Les chapitres six et neuf traitent de deux questions apparentees: la sante, la population et le developpement socio-economique >> par (H. Hansluwka) et < la population et la nourriture >> (par K. C. Abercrombie). Hansluwka met I'accent sur le progres socio-economique pour expliquer la baisse de la mortalite et l'amelioration de la sante; Abercrombie insiste sur I'importance de la technologie en tant que telle comme aspect essentiel dans l'accroissement de la production agricole et, par consequent, de la nutrition de la population humaine. Les deux auteurs, donc, placent les variables demographiques dans un contexte large: Hansluwka examine l'effet de la sante sur la mortalite, la f6condite et la migration, et inversement I'effet de la mortalit6, la fconditf et la migration sur la sante; Abercrombie parle de l'importance de l'organisation, des politiques et des institu- tions pour la mise en valeur des technologies qui peuvent augmenter le rendement agricole pour ameliorer la condition humaine. II est a regretter que certaines idees de ces deux auteurs ne soient pas plus developpees. Abercrombie, par exemple, souleve la question des

5. J. C. CALDWELL, < Toward a Restatement of Demographic Transition Theory >, Population and Development Review, 2 (3 et 4), 1976, pp. 321-66.



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systemes fonciers et de leur importance pour l'acces aux produits alimentaires (page 378) ? il s'arr&te, malheureusement, apres sept lignes pour parler d'autres choses (e.g. le market-

ing). De son c6te, Hansluwka emet I'hypothese que la medecine preventive aurait des effets b6nefiques pour toutes les classes de la population, tandis que la medecine curative favorise les classes privilegiees (p. 238): encore, ii nous laisse sur notre soif apreis six lignes.

5 -AGRICULTURE

Les deux chapitres sur l'agriculture sont certes parmi les plus nuances: il semble que plus l'on essaie de comprendre le monde rural, plus I'on se rend compte du r6le capital joue par les changements agricoles. Ainsi, Sinha (chapitre 7) souligne comment les politiques coloniales ont provoque le de6squilibre agricole dans les pays du Tiers-Monde (p. 253). De plus, il observe que les Europeens n'ont rien fait pour developper I'agriculture de subsistance: cette negligence a ete voulue afin de maintenir l'offre de main-d'oeuvre a bon marche pour les entreprises coloniales. Bien plus, selon Sinha, I'introduction d'un nouveau systeme foncier a provoque l'expropriation de plusieurs cultivateurs et fait apparaitre une classe de travailleurs << sans terre >>

(<< landless laborers ,,) (pp. 253-54). Pour nous, ce processus, a peine effleure par Sinha, constitue le contexte fondamental dans lequel il faut situer le debat population et developpement. Bref, pour simplifier la position de Sinha, on peut dire que la croissance demographique peut exercer une pression sur une agriculture stagnante, mais encore faut-il savoir pourquoi cette agriculture est stagnante.

Mueller, quant 5a elle, prend le probleme a l'inverse (chapitre 8). Ce sont les changements agricoles qui transforment la famille surtout par le truchement de la << valeur produc- tive de l'enfant >> (pp. 326-27). A partir de trois etudes de cas (T'ai-wan, Japon et Punjab), elle conclut que la baisse de la fecondite s'est faite dans un contexte de progrtes agricole rapide (p. 318). Neanmoins, I'auteur termine sur une note fondamentalement neo-malthusienne meme si dans son argumentation rien ne l'amene a cela. Au contraire, on se serait attendu 'a une conclusion semblable 'a celle de Kocher6, c'est-a-dire que c'est par la voie du developpement rural que la fecondite baissera. Pourtant, meme si son modele causal se rapproche de celui de Kocher, Mueller trouve la position de celui-ci trop 'a sens unique (p. 342). Sa conclusion sur le role important du planning familial ne decoule pas de son modele causal mais bien plut6t d'un acte de foi qui se justifie mal dans un chapitre qui tente de demontrer que les couples decident d'avoir moins d'enfants lorsque les changements agricoles ont permis le relevement des niveaux de vie et rendu la contribution economique des enfants moins importante.

6 - ENVIRONNEMENT

Un chapitre (18) s'attarde 'a la question de la << population et l'environnement ,, A. Sauvy rappelle deux des themes pour lesquels il est dejsa connu: d'abord, l'effet positif que pourrait avoir un taux de croissance < raisonnable >> de la population (stimulation de l'conomie, dynamisme, etc.) (p. 695); et deuxiemement, l'observation que c'est le gaspil- lage plut5t que la taille de la population, qui est 'a l'origine de la deterioration de l'environnement (p. 701). Une vision d'un monde en equilibre dans le passe et en desequilibre actuellement, oi on est passe d'un homme passif .I un homme manipulateur (pp. 679 et 681) complete son analyse du developpement (sur-developpement ?) qui est a l'origine des problemes les plus fondamentaux de notre planete. La croissance de la population dans le Tiers-Monde n'est pas un probleme; elle offre plut6t un potentiel a maitriser, selon lui.

6. J. E. KOCHER, Developpement rural, distribution du revenu, et diclin de la ficonditi, New York, The Population Council, 1973.




7 - FECONDITE

Dans le chapitre 12, Leibenstein nous expose la theorie de la transition demographique. On

y retrouve les facteurs classiques de la baisse de la fecondite en Occident : industrialisation,

education, mobilite sociale, I'emploi de la femme, etc. II essaie aussi d'appliquer la theorie economique de la fecondite 'a un contexte de developpement economique. En fait, en considerant la fecondite comme variable dependante du developpement, I'auteur evite les conclusions neo-malthusiennes. Toutefois, son modele causal, issu de i'experience occidentale, nous dit peu de chose sur le pourquoi de la haute fecondite dans le Tiers-Monde. Son modele contraste d'ailleurs avec celui de Mueller.

Par contre, Ruprecht (chapitre 13) considere la fecondite comme variable independante et passe en revue les etudes qui ont demontre i'effet de la taille de la famille sur le bien-etre individuel et familial, la consommation, la sante, etc. Bien stir, il conclut que la plupart des correlations sont negatives (p. 541). Notons toutefois que certaines interpretations de Ruprecht sont contredites par Leibenstein (chapitre 15). Par exemple, alors que Ruprecht pretend qu'il existe une relation negative entre consommation et taille de la famille (p. 514), Leibenstein conclut qu'il est impossible actuellement de determiner la direction de cette relation (p. 606).

8 - MIGRATION

Deux auteurs analysent les migrations: le chapitre 10 examine << les facteurs economiques de la migration interne et de l'urbanisation >, (J. C. Elizaga), et le chapitre II parle des << facteurs economiques de la migration internationale >> (B. Thomas). Thomas nous offre rien de nouveau par rapport 'a ses autres ecrits : on nous explique encore les cycles d'expansion et de contraction des investissements de capitaux et d'exports de capitaux et leur relation empirique avec les bas et les hauts de la migration internationale. Cette analyse est appliquee aI l'Europe, et avec l'exception de quelques descriptions de la migration internationale en Amerique latine (deux pages) et de l'exode des cerveaux (quatre pages), il y a peu de choses d'interet sur le Tiers-Monde. A sa question de base, <<

jusqu'5a quel point la migration internationale peut-elle aider 'a soulager les problemes economiques du Tiers-Monde >> (p. 442), il nous repete a deux reprises sa reponse, sans demonstration logique ou empirique : << l'explosion demographique rend impossible pour la migration internationale d'avoir un effet mesurable sur la pression demographique dans le Tiers-Monde. << The Malthusian devil dominates the scene >> (p. 472). Elizaga fait un bilan beaucoup plus detaille et raffine de la migration interne et de l'urbanisation. Sans se situer en dehors de l'analyse lib6rale (pp. 392-93 et 402), Elizaga souligne au moins deux observations non orthodoxes quanta l 'effet du developpement en Amerique latine : l'accroissement des inegalites regionales dans le processus du << developpement >> (p.406), et donc une acceleration potentielle de la migration, et la tendance de certains centres 'a se developper aux depens de la peripherie (p. 419). Cependant, on cherche en vain un cadre theorique ou une hypothese qui reunirait I'ensemble de ces observations nuancees.

9 - POLITIQUES DEMOGRAPHIQUES

Deux chapitres traitent explicitement de politiques demographiques; I'un sur les couts du planning familial (chapitre 4) et I'autre sur la politique demographique (chapitre 21). Le premier se veut une description de la litterature economique portant sur les choix politiques qui impliquent l'utilisation de ressources nationales pour les programmes qui visent a changer la fecondite (p. 543). Les conclusions de la premiere partie vont dans le sens d'une reduction benefique de la fecondite (p. 572). Une fois admis le potentiel positif de la baisse de la fecondite, I'auteur consacre le reste de son chapitre a discuter des coits du planning familial. II conclut en disant que l'investissement en planning familial peut avoir des effets



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globaux positifs tres considerables, et meme plus considerables que l'investissement dans un barrage ou un projet industriel (p. 590). Toutefois, son argumentation repose sur I'a priori neo-malthusien de Coale et Hoover concernant le role negatif de la croissance demographique sur le taux d'epargne et la formation du capital: or, cet a priori, on l'a vu avec Leibenstein (chapitre 15) et Isbister (chapitre 16), est plus que fragile.

Le deuxieme chapitre sur les politiques demographiques a et6 ecrit par deux Sovietiques (Valentei et Kvasha, chapitre 21). Ce chapitre arrive comme un cheveu sur la soupe: il ne decoule pas logiquement de I'argumentation principale du volume. 11 s'agit d'un chapitre << plaque ', oui la politique demographique est presentee d'une faqon tres nuancee et tres integree avec les politiques de developpement et ofi transparait un biais antimulthasien. Selon eux, un nouveau comportement demographique ne peut etre cree que sur une base de nouvelles conditions socio-economiques (p. 790). Nous pouvons faire le meme reproche a ce chapitre (avec lequel nous sommes, par ailleurs, tout a fait d'accord) qu'au reste du volume: on affirme plut6t que l'on ne demontre. Le debat devient alors polemique : les uns acceptent les postulats de base de l'argumentation neo-malthusienne, les autres les rejettent en les remplaqant par d'autres postulats de base. A notre avis, comme l'affirme Leibenstein, les postulats doivent faire l'objet de verification empirique. La polemique ideologique n'est pas un substitut pour une analyse systematique des causes reelles du sous-developpement. Ceci implique un modele causal articule dont chaque proposition peut et doit etre empiriquement verifiee.

B. APPRECIATION GENERALE

Nous voulons ici aborder quatre aspects: (1) souligner la contribution positive de cette collection; (2) situer cette collection par rapport au debat sur le developpement ; (3) voir en quoi elle peut eclairer la situation africaine ; et (4) suggerer une approche theorique alterna- tive.

1 -ASPECTS POSITIFS

La collection dirigee par Leon Tabah offre plusieurs avantages pour tous ceux qui s'interessent a la question demographique dans le Tiers-Monde. D'abord, on sent qu'il y a eu un certain effort d'integration meme si, a notre avis, cet effort n'a pas ete completement reussi. De plus, cette collection presente des positions equilibrees ', au moins, deux points de vue. D'abord, les themes abordes sont varies et montrent que le debat demo-economique implique un ensemble complexe de facteurs. II faut souligner a cet egard que sur 21 chapitres, un seul traite explicitement du planning familial, ce qui contraste avec la litterature conventionnelle sur le sujet. Ensuite, I'eventail des positions contraste 6galement avec le monolithisme neo-malthusien qui caracterise la litterature demo-6conomique actuelle. En effet, l'on passe de la position franchement malthusienne (e.g. chapitres 4, 5, 14, 20) -a une position antimalthusienne (chapitres 18, 21) en passant par des positions plus nuancees (e.g. chapitres 7, 19). Par exemple, avec les chapitres de Sinha (7), Mueller (8) et celui des Sovi6tiques (21), il serait facile de monter une argumentation tout a' fait contraire 'a la majorite des autres chapitres.

II faut noter enfin quelques elements rafraichissants. A deux reprises au moins on parle de l'effet negatif des politiques coloniales (Sinha et Valentei et Kvasha), ce qui est plutot rare dans l'analyse des demographes. De plus, il est interessant de constater que l'approche du developpement rural (voir prochaine section) commence a attirer l'attention de << l'establishment > demographique (chapitres de Mueller et Sinha). Mentionnons aussi qu'on a enfin << ose > effleure la notion de classe sociale: en effet, Sinha fait brievement allusion au processus de l'apparition de nouvelles classes sociales sous l'effet de l'introduction du systeme prive de la propriete (pp. 271, 284 et 303).



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2 - MODELES DE DEVELOPPEMENT

On peut, en simplifiant, identifier trois approches conceptuelles utilisees en sciences sociales pour etudier le developpement economique 7. Une premiere approche serait plut6t preoccupee par la (-roissanCe economique qui viendrait par etape, surtout via l'industrialisation et la modernisation des attitudes 8. la suite des faiblesses de cette orientation, ii s'est developpe un deuxieme courant qui vise avant tout non seulement le developpement agricole mais le developpement << rural > : c'est par la base et dans

l'agriculture qu'il y a possibilite de d6veloppement 1. Enfin, une troisieme etude considere que les causes du sous-developpement resident plut6t dans l'exploitation des pays peripheriques par les pays du centre: c'est ce qu'on appelle maintenant la theorie de la dependance .o

Ou' se situe du point de vue theorique la collection de Tabah ? D'abord, malgre le titre, on parle presque exclusivement de la croissance demographique de sorte que le developpement economique est rarement defini explicitement. Dans ce sens, ce bouquin est a-thlorique, ce qui explique pourquoi il aligne une serie de facteurs (main-d'ceuvre, education, agriculture, etc.) sans les relier entre eux ni meme les ponderer ou les hierarchiser. C'est pourquoi aussi - et c'est shirement la la lacune la plus grave - il n'y a dans le bouquin aucune analyse profonde des causes du sous-developpement. Neanmoins, implicitement, on peut dire que la plupart des auteurs ont en tete le premier modele de developpement: pour eux, le developpement signifie encore croissance economique et modernisation des attitudes. On a vraiment l'impression que les demographes sont vingt ans en retard sur le debat qui a cours presentement en theorie du developpement. Seuls les chapitres de Sinha et de Mueller admettent I'existence de << l'ecole >, du developpement rural et de sa pertinence pour etudier les questions demographiques. 11 est bien evident

qu'etant donn6 cette ignorance du debat, on ne soupqonne meme pas l'existence de la troisieme ecole.

3 - LE CONTEXTE AFRICAIN

Comparee aux collections qui existent presentement sur ' Afrique, celle de Tabah nous en apprend beaucoup plus sur les rapports entre la demographie et le developpement economique, meme si elle ne fait que tres rarement reference a l'experience africaine. En effet, les trois livres importants sur I'Afrique " sont marques au coin d'un neo-malthusianisme presque dogmatique. Nous avons deja eu l'occasion de critiquer un de ces livres'2 et il est frappant de constater combien la conception peu nuancee du

7. Nous nous inspirons ici de A. PORTES, << On the Sociology of National Development: Theories and Issues >>, American Journal of Sociology, 82 (1), 1976, pp. 55-85 ; voir aussi C. CHASE- DUNN, << The Effects of International Economic Dependence on Development and Inequality: A Cross-National Study >>, American Sociological Review, 40(6), 1975, pp. 720-38.

8. Voir: A. M. KARMACK, The Economics of African Development, New York, Praeger, 1971: L. W. DooB, Becoming More Civilized, Yale University Press, 1968.

9. Voir N. T. UPHOFF et W. F. ILCHMAN (eds.), The Political Economy of Development, University of California Press, 1972, pp. 75-121: T. N. SCHULTZ, Transfirming Traditional Agricul- ture, Yale University Press, 1964.

10. Voir S. AMIN, Le dieloppement inimgal, Paris, Editions de Minuit, 1973; Colin Leys. Underdevelopment in Kenya, University of California Press, 1974.

11. J. C. CALDWELL et C. OKONJO (eds), La population de l'Afrique tropicale, New York, The Population Council, 1968; J. C. CALDWELL (ed.), Croissance demographique et dvolution socio-;conomique en Afrique de I'Ouest, New York, The Population Council, 1973; S. H. OMINDE et C. N. EJIOGU (eds), L'accroissement de la population et I'avenir conomiquel de I'Afrique, New York, The Population Council, 1974.

12. Joel GREGORY et Victor PICHE, << Population and Development in Africa: The Persistence of Conventional Wisdom >, The Journal of Modern African Studies, 14(2), 1976, pp. 370-75.



CROISSANCE 109

developpement y est explicitement centrete sur la croissance economique pure et simple, comme si, depuis Coale et Hoover (1958), il ne s'etait rien ecrit sur le developpement economique. Avec Tabah, nous possedons enfin un manuel un peu plus nuance et equilibre dans la mesure oui il tient davantage compte des travaux recents en developpement economique. A ce titre, cet ouvrage s'averera beaucoup plus utile pour comprendre la situation africaine que tout ce qui a ete publie jusqu'a maintenant sur la demographie et le developpement africain.

4 - MODELE ALTERNATIF: LA DEMOGRAPHIE DU SOUS-DEVELOPPEMENT

Pour terminer, nous aimerions quand meme suggerer que Ia theorie de la dependance et du sous-developpement pourrait ajouter un eclairage nouveau dans I'etude des comportements demographiques en Afrique (e.g. haute fecondite et migration). Cette approche nous permet d'abord de situer le comportement demographique dans un contexte international d'echange inegal. Elle nous permet aussi de proceder a une analyse historique et struc- turelle des causes du sous-developpement. Enfin, elle suggere qu'il est difficile de comprendre ce qui se passe en Afrique sans etudier le r6le des classes sociales dans la structure economique mondiale. Bref, la theorie de la dependance, appliquee aux comportements demographiques, pourrait repondre, par exemple, h la question suivante: comment I'introduction d'une 6conomie mon6tarisee et capitaliste en Afrique modifie le systeme foncier, detruit I'economie agricole traditionnelle, affecte la demande et, par consequent, F'offre de main-d'ceuvre (i.e. la reproduction et la migration)'?

En utilisant comme point de depart le phenomene de la propriete en Afrique tropicale, nous pouvons esquisser un canevas de ce que pourrait ietre la demographie du sous-developpement 13. En effet, les etudes montrent que la propriete privee et capitaliste commence a prendre de l'importance en Afrique tropicale. Or cette forme non traditionnelle de propriete, importee par les coloniaux, est aujourd'hui maintenue et meme encouragee par la plupart des gouvernements actuels de I'Afrique. 11 s'est donc formee une elite, une bourgeoisie locale, qui n'existe que grace au systeme capitaliste international 4: en fait, cette elite sert de lien entre la peripherie (i.e. I'Afrique) et les grandes metropoles occidentales.

Ce sont ces memes individus qui, par leur contr6le sur le capital et leur mainmise de plus en plus forte sur les terres agricoles, ont les moyens d'embaucher de la main-d'oeuvre salariee. Comme l'introduction du systeme prive de propriete (et reliee a elle), I'institution du salariat, phenome'ne peu important avant la penetration coloniale, modifie considerablement les rapports sociaux. Ainsi, pour repondre a cette nouvelle demande de main-d'oeuvre salarice, il s'est cree un proletariat qui prend d'ailleurs plusieurs formes selon la situation historique de chaque region. Dans le passe, plusieurs mecanismes ont ete utilises afin de forcer une partie de la population a << vendre >> son travail: impots en especes, service militaire obligatoire, travaux forces, etc. Meme si ces contraintes, issues de la periode coloniale, demeurent parfois encore tres importantes, elles sont moins necessaires puisque la situation du sous-developpement creee par l'integration de l'Afrique tropicale dans le systeme capitaliste mondial rend de plus en plus impossible la survie

13. L'effort d'application de la theorie de la dependance aux comportements demographiques est davantage explicite dans un manuscrit encore preliminaire: Joel GREGORY et Victor PICHi, The Demography of African Underdevelopmnent, Dpartement de demographie, Universite de Montreal.

14. Pour une etude de cas sur I'emergence de nouvelles classes sociales dans le contexte du processus des changements socio-economiques, voir Bonnie CAMPBELL, << Social Change and Class Formation in a French West African State >, Revue canadienne des etudes africaines, 8(2), 1974, pp. 285-306.




economique des individus (ou des families) sans une certaine participation au marche du travail salarie '".

Le concept cle, pour comprendre les comportements demographiques, est celui de la main-d'ceuvre ou de la force de travail. Les phenomenes d'appauvrissement des fermiers, de leur endettement, de la perte de leur terre, de leurs besoins en monnaie pour payer les impots et acheter des produits manufactures (qui ont supplante les produits artisanaux) font que ces derniers ont tres peu d'alternatives et dependent pour leur survie de la main- d'oeuvre familiale

' leur disposition16. Dans ce contexte, il devient extremement avan-

tageux pour les menages d'avoir un bon nombre d'enfants: certains pourront aider par leur travail sur la terre, d'autres par leur migration vers les regions a potentiel salarial plus eleve. D'une faqon ou d'une autre, la haute fecondite et la migration representent les deux

c6tes de la meme medaille, celle du sous-developpement. Ainsi, separer migration et

fecondite, comme c'est la pratique courante en demographie, sous pretexte qu'elles obeissent ia deux systemes causaux differents, est, selon nous, une erreur theorique fondamentale.

La plupart des demographes du developpement africain voudraient nous faire croire que non seulement la croissance de type capitaliste et la modernisation sont souhaitables mais qu'elles sont egalement inevitables. De plus, leur malthusiasnisme voudrait nous faire croire que la baisse de la fecondite devrait preceder cette transformation socio-economique. Pourtant, une analyse un tant soit peu poussee du sous-developpement nous permet de voir que le comportement demographique est une reponse aux conditions economiques et historiques existantes, et non I'inverse. 11 est donec urgent de tenter de nouvelles analyses demo-economiques. A ce titre, le livre edite par Tabah n'offre rien de nouveau, sinon un ton plus nuance. Toutefois, les nuances se situent toutes a l'interieur d'un cadre analytique deja tres conteste... et encore tres sous-developpe.

15. Pour une excellente etude de cas, voir Claude RAYNAUT, << Transformation d'un systeme de production et inegalite economique: le cas d'un village houassa (Niger) >, Revue canadienne des htudes africaines, 10(2), 1976, pp. 279-306.

16. Mahommed MAMDANI, The Myth of Population Control, New York, Monthly Review Press, 1972.



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Croissance démographique et développement économique dans le Tiers-Monde: une étude critiqueCroissance démographique et développement économique dans le Tiers-Monde: une étude