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Editions l'Atelier Roman noir Author(s): Dominique Manotti Source: Le Mouvement social, No. 219/220, Culture et Politique (Apr. - Jun., 2007), pp. 107-109 Published by: Editions l'Atelier on behalf of Association Le Mouvement Social Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27639546 . Accessed: 14/06/2014 04:22 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Association Le Mouvement Social and Editions l'Atelier are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Le Mouvement social. http://www.jstor.org This content downloaded from 144.64.6.65 on Sat, 14 Jun 2014 04:22:45 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Culture et Politique || Roman noir

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Editions l'Atelier

Roman noirAuthor(s): Dominique ManottiSource: Le Mouvement social, No. 219/220, Culture et Politique (Apr. - Jun., 2007), pp. 107-109Published by: Editions l'Atelier on behalf of Association Le Mouvement SocialStable URL: http://www.jstor.org/stable/27639546 .

Accessed: 14/06/2014 04:22

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Roman noir

par Dominique MANOTTI*

Le roman policier est une forme de litt?rature ? populaire ? tr?s r?pandue en France (best sellers, nombre de titres publi?s chaque ann?e, ventes de l'ensemble de la branche) et fortement structur?e : maisons d'?dition, collections, rayons dans les librairies, points

de vente dans les gares, revues, festivals sp?cialis?s. On peut d?finir le genre de fa?on rapide, mais pas fausse, par son contenu : des crimes provoquent une crise, une ou plusieurs enqu?tes la r?solvent. Le genre a son public fid?le, des lecteurs qui se revendiquent comme des aficio nados et parfois m?me affichent ne lire ? que des polars ?. Il provoque aussi la r?action inverse : bon nombre de lecteurs de romans affirment qu'ils n'ont jamais lu de romans policiers, et qu'ils refusent d'en ouvrir un. Dans l'un et l'autre cas, cela tient probablement ? la fa?on dont

le genre joue, par toute une s?rie de proc?d?s, sur l'action, la peur, l'angoisse, dans un rapport tr?s personnel avec le lecteur, et finalement assez superficiel, car, ? la fin du r?cit, les enqu?tes aboutissent, et le lecteur, apais?, est confort? dans l'id?e que la soci?t? dans laquelle il vit est rationnelle, ordonn?e, et donc acceptable. En ce sens, le roman policier est un roman ?difiant.

Et c'est peut-?tre pour cela que le genre est syst?matiquement d?crit par les sp?cialistes de litt?rature comme une ? litt?rature populaire ?, le terme le plus souvent employ? est ? paralit t?rature ?, ces expressions ayant ?videmment une forte connotation p?jorative.

Mais le ? genre policier ? recouvre bien des sous-genres, qui ne fonctionnent pas tous

de la m?me fa?on. Le ? roman noir ? me semble le plus int?ressant. Son appartenance au

genre policier est affirm?e par toutes sortes de signes. M?mes ?diteurs, collections, etc. (mais moins de best sellers); souci, ?galement, d'appartenir ? une litt?rature populaire : les fonda teurs du ? noir ? aux ?tats-Unis, les hard-boiled des ann?es 20, publient leurs romans dans les pulps, des ouvrages ? deux sous. Et pourtant le roman noir raconte une autre histoire, et il la raconte autrement.

Dans l'histoire polici?re ? traditionnelle ?, le crime est un acte individuel, qui renvoie ? des mobiles personnels, des relations interpersonnelles. Le roman policier baigne dans la

psychologie, ou carr?ment dans la psychiatrie avec le personnage du tueur en s?rie, qui est

le nouvel arch?type de cette litt?rature. Le roman ? noir ?, lui, enracine les crimes dans les

circonstances sociales dans lesquelles ils sont commis. Ce n'est plus l'individu seul qui est criminel, c'est le monde de souffrance, de mis?re, de violence et de corruption dans lequel nous vivons qui produit les individus criminels, ce monde que la loi et la justice recouvrent, sans l'organiser. Le r?tablissement de l'ordre, s'il a lieu, n'est jamais que le r?tablissement pr?caire, identifi? comme tel, d'une apparence d'ordre et de paix. On est aux antipodes d'une

litt?rature ?difiante. Plusieurs remarques. Quand ils plongent dans l'histoire, les auteurs de ? noir ? ne font

pas de la reconstitution historique. Ils ne s'astreignent pas ? retracer une continuit?. Ils plongent

* Romanci?re.

Le Mouvement Social, n? 219-220, avril-sept. 2007, ? Les ?ditions de l'Atelier/?ditions Ouvri?res

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D. MANOTTI

dans le pass? pour y trouver des faits qui entrent en r?sonance avec leur pr?sent, qui l'ont fa?onn?. Ils revendiquent ? la fois leur subjectivit? et le fait d'?crire l'histoire du point de vue du pr?sent, pas pour reconstituer le pass?, mais pour reconstituer le pr?sent. Ils racontent

leur propre histoire, dans son ?paisseur, pas celle d'autres hommes, en d'autres temps. Ce

que font aussi les historiens, si l'on y regarde de pr?s, mais de fa?on implicite, indirecte, moins libre, sans l'assumer. Les auteurs de ? noir ? ont un rapport passionn? et violent ? l'histoire, ce qui ne les emp?che pas de travailler beaucoup et s?rieusement la documentation et les faits qu'ils font entrer aux forceps dans leurs r?cits fictionnels.

Je ne prendrai qu'un exemple : Meurtres pour m?moire de Didier Daeninckx, publi? en 1984. Pour trouver le ou les coupables d'un meurtre commis au d?but des ann?es 80, les enqu?teurs remontent jusqu'? la manifestation des Alg?riens ? Paris du 17 octobre 1961, et ? la collaboration. Et, du coup, ce roman raconte pour la premi?re fois le massacre des

Alg?riens ? Paris dans cette sinistre nuit du 17 octobre, bien avant que les historiens ne commencent ? publier des ?tudes dessus (dont certaines nieront longtemps, et avec force arguments scientifiques et appareil critique, l'existence m?me des massacres, ne l'oublions

pas). Par son succ?s de masse, ce roman a eu un r?le pionnier dans le d?voilement de cette

trag?die, et donc dans la construction de la m?moire collective. Car le romancier du ? noir ? a un double privil?ge par rapport ? l'historien dont il utilise souvent les travaux : il touche plus de lecteurs, et il les touche plus profond?ment, parce qu'il raconte l'histoire non de l'ext?rieur, non avec une vue cavali?re, mais ? hauteur d'homme, ? travers des personnages, des destins

individuels ? travers lesquels le lecteur vit le r?cit, et pour un peu pourrait penser peser sur le cours des ?v?nements.

Autre pays, m?me d?marche. Le chef d' uvre d'Ellroy, le Quatuor de Los Angeles, est lui aussi totalement tiss? d'histoire. Pour affronter le traumatisme de l'assassinat de sa m?re, dans l'apr?s-Deuxi?me Guerre mondiale, ce n'est pas la psychanalyse qu'il convoque, mais

l'histoire, celle de la ville de cette ?poque, avec sa violence, sa corruption, le meurtre du Dahlia Noir comme obsession et comme embl?me, ses admirables portraits d'hommes et de femmes, un formidable portrait

? choral ?, et pour ma part, ? la lecture de ces quatre chefs d' uvre,

j'ai l'impression de n'avoir jamais ?t? aussi pr?s de comprendre les Etats-Unis. Un mot de la nouvelle trilogie d'Ellroy, American Tablo?d, American Death Trip, on attend la suite :

comprendre l'?tat actuel de l'Am?rique ? travers la d?molition du mythe Kennedy, une famille de mafieux, contr?l?e par des mafieux, dont le destin historique est fabriqu? par des mafieux. Apr?s le Quatuor, Ellroy continue ? avancer, et nous dit (citation tr?s approximative, mais le sens est conserv?) : ? Ces hommes furent mauvais, mais c'est eux qui firent l'Am?rique. Per

sonne d'autre ?. Et nous sommes leur descendance. On retrouve l'id?e de d?part : les crimes

d'hier engendrent les crimes d'aujourd'hui. Aucune soci?t? ne peut y ?chapper. Retour en France. Toute une g?n?ration de soixante-huitards et post-soixante-huitards,

de Manchette ? Jonquet en passant par tous les autres, a produit beaucoup de tr?s beaux romans, impr?gn?s d'une id?ologie de gauche ou d'extr?me gauche, dans l'ensemble tr?s

marqu?s par le marxisme (mais apr?s tout, c'est logique, la fameuse question : ? A qui profite le crime ? ? peut bien avoir quelques relents marxistes) et par la recherche dans l'histoire du XXe si?cle fran?ais de r?sonances pouvant expliquer l'?chec de Mai 68, l'?v?nement fondateur de cette g?n?ration. Elfried M?ller et Alexander Ruoff, deux sp?cialistes allemands du ? polar ?

fran?ais, notent ? propos de cette g?n?ration : ? Alors que la gauche perdait son h?g?monie culturelle dans la soci?t?, elle gagnait du terrain dans le ? polar ?. Le roman noir se politisait quand la soci?t? fran?aise se d?politisait ? (1). Aujourd'hui, le cycle ouvert par les ann?es

(1) E. M?ller, A. Ruoff, Le polar fran?ais : crime et histoire, Paris, La Fabrique ?ditions, 2002.

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ROMAN NOIR

Mitterrand s'ach?ve par l'effondrement complet du communisme et de l'ensemble des sys t?mes de pens?e qui gravitaient autour. La g?n?ration des post-soixante-huitards (? laquelle j'appartiens) vieillit et s'?puise. Les temps ont chang?, dit-on. Je pense que c'est vrai. Il faut r?inventer le ? noir ?. ?crire le roman noir de la mondialisation, du capitalisme triomphant sans adversaire structur?, sans limites. ?crire le roman de ces hommes mauvais qui font notre

monde, dirait peut-?tre Ellroy. Et pour cela, nous atteler ? la r??criture de notre pass?, comme

chaque g?n?ration doit le faire, pour savoir qui elle est. Rien de plus vivant. Je comprends que Madeleine Reb?rioux ait partag? mon go?t du

noir.

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