Les débats qui se sont déroulésà l’occasion de la CommissionBouchard-Taylor ont largement

dépassé la seule question de l’accom-modement raisonnable, qui constitueen fait une mesure juridique bien spé-cifique. D’une part, le gouvernement alui-même donné à cette Commissionun mandat très large devant abordertoutes les pratiques d’accommode-ments reliées aux différences cultu -relles. D’autre part, les prises deparole entourant la « crise des accom-modements » ont aussi exprimé desenjeux identitaires, des questionsd’intégration et un rapport complexeau fait religieux. Des visions dif-férentes sont en tension concernantla place de la religion dans l’espacepublic. Et des préoccupations impor-tantes ont été exprimées concernantl’impact de certaines pratiques, ausein des traditions religieuses, surdes acquis importants de la sociétéquébécoise dont celui du principe d’égalité entre les hommes et lesfemmes. Comme chrétiennes et fémi -nistes, nous devons apporter uneattention particulière à ces enjeux etcontinuer à réfléchir à la contribution

que nous pouvons apporter à cetteréflexion collective qui ne se termi -nera certainement pas avec le rapportBouchard-Taylor.

La religion, une questionprivée ?

Certaines personnes expriment, aunom d’une certaine vision de la laï cité, une fin de non-recevoir auxdemandes religieuses dans l’espacepublic et veulent relé -guer la question reli -gieuse à la sphère pri -vée uniquement. Pour -tant, la laïcité telle quenous la comprenons etla vivons au Québec etsurtout l’image simpli-fiée de la laïcité fran -çaise, qui est le plussouvent véhiculée ici,est celle d’une laïcitérépublicaine anticléri-cale. Le cadre de la laï -cité comporte un po -ten tiel de reconnais-sance du plura lismereligieux qu’il nousrevient d’actua liser.

Tout en affirmant quela laïcité établit uneséparation entre l’Étatet l’Église et une auto -nomie de l’un par rap-port à l’autre, il noussemble important de reconnaître quedes interactions multi ples ont coursentre les communautés de foi et l’espace public. La société québécoisea rejeté, dans un passé qui n’est pasencore très loin, certaines formesd’intervention reli gieuse dans l’espacepublic. Ceci dit, il n’est évidemmentpas question de laisser le discoursreligieux gérer le débat public ni le

pouvoir politi que faire la promotiond’une seule religion.

Par contre, ces deux niveaux n’épui -sent pas toute la contribution reli gieuse possible dans l’espace pu blic. Certaines interventions desinstitutions religieuses et groupesreli gieux ou croyants consistent àprendre position sur des enjeux sociaux, sur des préoccupations dejustice sociale, à partir de convictions

religieuses, morales ou spirituelles. Cesexpres sions d’une res -ponsabilité des tradi-tions religieuses faceau bien commun sontnon seulement possi-bles mais souhaita-bles.

Le débat sur la religionà l’école au Québec ad’ailleurs privilégié cequ’on a appelé la laï -cité ouverte, c’est-à-dire une école qui nefait la promotion d’au-cune tradition reli -gieuse, mais qui esti -me que la formationdes futurs citoyens etcitoyennes ne peutfaire abstraction de laquestion religieuse.Elle doit leur donnerune base de compré -

hension pour saisir le vécu religieuxd’un nombre significatif de person-nes, mais sur tout l’influence dureligieux dans la société.

Force nous est de reconnaître que lareligion permet, à une majorité defemmes et d’hommes, d’accéder auxquestions fondamentales de la viehumaine. Car l’univers religieux est

Dans la foulée de la commission Bouchard-Taylor :

des questions à porter com

4 RELI-FEMMES, no 63 - MAI 2008+

Madame Élisabeth Garant, directrice du Centre justice et foi /

revue Relations

Tout en affirmant que

la laïcité établit une

sépa ration entre l’État

et l’Église et une

autonomie de l’un

par rapport à l’autre,

il nous semble impor-

tant de reconnaître

que des interactions

multiples ont cours

entre les commu-

nautés de foi et l’es -

pace public.

un espace privilégié où se fondentdes valeurs, mais où se construitaussi une relation aux autres et aumonde. Même si, de nos jours, l’adhé-sion religieuse repose davantage surun choix individuel, la religion conserve toujours une dimension collective importante et ne peut être confinée uniquement à l’espaceprivé.

L’égalité homme/femmeau sein des traditionsreligieuses

La reconnaissance de la diversitéreligieuse que permet la laïcité nedoit pas être une ouverture quiabdique tout esprit critique et quiaccepte tout au nom du respect desdifférences. Elle ne doit surtout pasêtre une dilution des prin cipes fonda-mentaux comme celui de l’éga litéentre les hommes et les femmes.

Tout en ayant la préoccupation quel’espace public permette l’expressionde chacun et chacune, nous avonsaussi la responsabilité d’assurer quele vivre ensemble soit possible, qu’unlien social se construise sur la base dela reconnaissance des différences etque le souci du bien commun pré-domine dans l’intervention publique.Une telle vision de la laïcité repré -sente, à notre avis, une chance pourles traditions religieuses tout enfavorisant un dialogue des traditionsreligieuses avec la modernité et avecla société.

En contexte de laïcité ouverte, les reli-gions doivent accepter d’entrer endialogue avec la société moderne.Cela implique la reconnaissance desidentités en présence, mais aussi unecapacité de se laisser transformer parles fruits du dialogue. Toutes les reli-

gions ont un travail à faire en ce sens,non seulement l’Islam que l’on cri-tique plus souvent pour sa résistanceaux valeurs de la modernité. Aussi, lacrédibilité de la contribution del’Église catholique auQuébec dans l’espacepublic est très liée à cedialogue, défi qu’elle asu relever à plusieursoccasions pour ré -cla mer la réalisationd’une plus grande justice sociale, mais defaçon nettement in-suf fisante en regarddes enjeux portés par le mouvement desfemmes. Si le traite-ment fait aux enjeuxconcernant les femmes,au sein de cette institu-tion et des autres tra-ditions reli gieuses, estsource de discréditdans leurs interven-tions publi ques, leurcapacité d’auto critiquepourrait être un fac-teur déterminant pour que le fait reli-gieux trouve une place dans l’espacepublic.

Notre solidarité avec les autres croyantes

Toutes les traditions religieuses sontcaractérisées par un pluralismeinterne et des courants qui font lapromotion d’une meilleure actualisa-tion de leur credo. Au sein de chaquereligion, on se heurte à des pratiquespatriarcales, mais on retrouve aussides démarches visant à transformerde l’intérieur ces traditions vers unepleine reconnaissance des femmes. Il s’avère donc important de multi -plier les initiatives qui permettent

que les courants progressistes des tra ditions religieuses soient valo-risés, qu’ils se soutiennent les uns les autres, qu’ils s’enrichissent desluttes et des expé riences des autres

croyantes.

Notre conviction de laprésence de Dieu aucœur de chaque êtrehumain conforte cetteidée que Dieu se révèleà travers l’autre. Cettealtérité est fondamen-tale pour comprendrenotre humanité etnous ouvrir avec l’au -tre à la transcendancequi nous habite etnous dépasse.

Notre foi nous amèneà un engagement pourla paix et la justice,donc dans la ligne dela construction d’unvivre ensemble har-monieux. Alors quel’intégration des immi-

grants et des immigrantes estsoulevée dans nos débats, la prise encompte de la dimension socio-économique de cette intégrationdemeure un des aspects fondamen-taux à promouvoir. Notre option pourla justice sociale doit nous amener àrappeler la dignité de chaque person-ne et à intervenir pour des transfor-mations sociales significatives.

me croyantes et citoyennes

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Même si, de nos

jours, l’adhésion reli -

gieuse repose davan-

tage sur un choix

individuel, la religion

conserve toujours

une dimension collec-

tive importante et ne

peut être confi née

uniquement à l’es -

pace privé.