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  LA GRANDE GUERRE DES SOLDATS TUBERCULEUX. Hôpitaux et stations sanitaires Pierre Darmon Belin | Annales de démographie historique 2002/1 - no 103 pages 35 à 50  ISSN 0066-2062 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-ann ales-de-demographie-histor ique-2002-1-page-35.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Darmon Pierre, « La Grande Guerre des soldats tuberculeux. » Hôpitaux et stations sanitaires, Annales de démographie historique , 2002/1 no 103, p. 35-50. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin.  © Belin. Tous droits réservés pour tous p ays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.    D   o   c   u   m   e   n    t    t    é    l    é   c    h   a   r   g    é    d   e   p   u    i   s   w   w   w  .   c   a    i   r   n  .    i   n    f   o      E    H    E    S    S        1    9    3  .    4    8  .    4    5  .    2    7      2    8    /    0    3    /    2    0    1    2    1    9    h    5    0  .    ©    B   e    l    i   n D m e é é g d s w c r n n o E 1 4 4 2 2 0 2 1 © B n

Darmon, P. La Grande Guerre Des Soldats Tuberculeux

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LA GRANDE GUERRE DES SOLDATS TUBERCULEUX.Hôpitaux et stations sanitairesPierre Darmon Belin | Annales de démographie historique 

2002/1 - no 103

pages 35 à 50

 

ISSN 0066-2062

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2002-1-page-35.htm

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Pour citer cet article :

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Darmon Pierre, «La Grande Guerre des soldats tuberculeux.» Hôpitaux et stations sanitaires,

Annales de démographie historique , 2002/1 no 103, p. 35-50.

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L’art du paradoxe a atteint dessommets durant la Grande Guerre. Leslecteurs du Journal se seront longtempssouvenu du pyramidal optimisme duDr Toulouse affirmant, dans l’édition

du 31 août 1914 : « Contrairement àune opi-nion généralement répandue, lenombre proportionnel des blessés et desmorts a diminué en même temps que lesarmées se perfectionnaient. » À la mêmeépoque, un autre journaliste neprétendait-il pas que les balles alleman-des traversent les chairs de part en partsans provoquer la moindre blessure? EtLe Matin raillait cette armée ennemie

composée de « cardiaques, d’emphysé-mateux, de cancéreux, de diabétiques etd’albuminériques ». « Ces malades,précisait-il le 29 mai 1915, sont assezbons pour la guerre de tranchée et pourl’attaque par masse. » Mais lorsque les

 Allemands affirmaient à leur tour :« Tous les Français sont tuberculeux »,avaient-ils toujours tort?

Le « bourrage de crânes » n’était pastoujours dénué de signification. C’estun étrange article que publiait, souscouvert d’anonymat, la Gazette médicale du 21 avril 1915. On y apprenait que lePr. Chauffard venait de soutenir, aucours d’une conférence, que l’air destranchées associé à la « vie active sous lesintempéries » constituait la meilleure descures de santé. « Rien de plus exact,

commentait l’éditorialiste. Un grandnombre d’individus qui, dans le civil,

étaient des individus malingres, souffre-teux ou neurasthéniques, qui se cro-yaient à la veille de toutes les maladies,ont acquis, depuis qu’ils sont dans lestranchées, une résistance physique

merveilleuse. Ceux-ci, s’ils échappentaux balles et aux obus, sont destinés àrevenir chez eux pourvus de la plusadmirable santé. » Il s’agissait en faitd’une publicité banalisée car l’article seterminait sur une note beaucoup pluspessimiste : « Un premier rhume neguérit pas, le soldat tousse, crache. Latuberculose s’est installée. Mais ce n’estpas irréversible : le Globéol en apporte la

preuve. Les cytoprotéines qu’il renfermefouettent la reproduction cellulaire tantque la lésion n’est pas irréversible. »

Cela avait, du moins, le mérite derappeler que des tuberculeux piétinaientdans les tranchées.

L  A GUERRE DES TUBERCULEUX 

La Grande Guerre a eu sa « guerre desenfants » (Audoin-Rouzeau, 1993). Ellea eu aussi, pourrait-on dire, sa « guerredes tuberculeux ».

Le 25 mars 1915, le Pr. Landouzy,éminent phtisiologue et doyen de laFaculté de médecine de Paris, jetait uncri d’alarme. Entre 1894 et 1902, sur uncontingent de quatre millionsd’hommes, l’administration militaire en

a rayé 36000, réformés ou morts, pourraison de tuberculose. Or, la plupart des

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 ANNALES DE DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 2002 n° 1 p. 35 à 50 

LA GRANDE GUERRE DES SOLDATS TUBERCULEUX.

HÔPITAUX ET STATIONS SANITAIRES

par Pierre DARMON

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tuberculeux jadis réformés sont aujour-d’hui incorporés ou « récupérés » par laFrance en guerre. À ce compte, l’arméepourrait bien, dans les années à venir,

déverser 50000 tuberculeux sur le pays,libérant ainsi un formidable potentiel decontagiosité1.

De cette sombre cohorte se dégagentquelques phtisiques qui, mieux connusque d’autres, donnent une idée de latragédie.

Le 4 février 1918, le journaliste Henry Torrès, du quotidien La Vérité, mettaiten lumière le cas du deuxième classeGaston Salzes, juge d’instruction dans lecivil et tuberculeux avéré, reconnucoupable de désobéissance par la justicemilitaire et condamné à un an de prisonpour « n’avoir pas eu la force de fairel’exercice ». Après deux ajournements,Salzes avait été définitivement réforméle 31 octobre 1906 pour tuberculosepulmonaire. Classé « bon service armé »en décembre 1914, il est déclaré« inapte » en juin 1915 pour « bronchitedu sommet ». En août 1915, le voilà denouveau « apte », puis « inapte » enfévrier 1916, et « apte » deux semainesplus tard. En mai 1916, il se bat dans lestranchées du 311e régiment d’infanterie,mais au cantonnement de repos deRozières, il tombe d’épuisement et sedérobe à l’exercice. L’affaire est portéedevant le conseil de guerre où lesmédecins le dégagent de toute respons-abilité. Et la valse recommence. Enfévrier 1917, il est déclaré « apte ». Enaoût, il entre à l’hôpital militaire deMarseille avec « au sommet, des signesindiscutables de lésions d’origine tuber-culeuse ». Le 27 octobre, il passe denouveau en conseil de guerre et, denouveau, les médecins invoquent sa

tuberculose. Mais c’est à l’unanimitéqu’il est condamné à un an de prison. Il

est alors incarcéré au fort Saint-Nicolasdans une atmosphère fort propice àl’épanouissement des bacilles de Koch.

Encore Gaston Salzes a-t-il eu le

bonheur de survivre à la guerre. Tel n’estpas le privilège de tous les tuberculeux.Certains d’entre eux semblent mêmeavoir été enrôlés à la dernière extrémité.

 Au cours de sa tournée d’inspection dansle secteur médical du Mans, le médecin-major Nordmann, chef de secteur,signale, en novembre 1916, l’hospitalisa-tion d’un tuberculeux « en très mauvaisétat, presque agonisant, avec lésions d’hé-patisation pulmonaire ». Or, ce moribondavait été incorporé deux mois auparavant,le 4 septembre2. Dans son rapport dumois de mars 1917, le médecin-majorGrenet cite le cas d’un tuberculeux auxcrachats gorgés de bacilles de Kochproposé pour le service auxiliaire et main-tenu dans les tranchées cinq mois durant,« sa tuberculose paraissant apaisée malgréla persistance de signes cliniques ». « Cecas n’est pas unique », précise Grenet, « enagissant ainsi, on augmente les effectifs defaçon fictive; on les surcharge de poidsmorts, et cela, au détriment de la santé deshommes3. »

 Ainsi se pose le problème plus généralde ces militaires dont la santé officiellese trouve aux antipodes de la santé réelleet justement désignés sous l’appellationgénérique de « récupérés ».

L ES DEGRÉS DE MORBIDITÉTUBERCULEUSE

Ce matériel humain de récupérationcomprend non seulement des tuber-culeux mais aussi des cardiaques, des« entéritiques », des imbéciles ou despsycho-névrosés... Entre l’avant et les

centres sanitaires de l’arrière, leur va etvient est permanent, au grand dam des

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officiers et des médecins de la zone desarmées qui n’ont que faire de« tousseurs » et de « cracheurs » dontl’épuisement chronique sape le moral

des combattants.Mais, loin du front, les conseils de

révision et de réforme ont à cœur departiciper à l’effort de guerre en four-nissant à la patrie un maximum desoldats. En prévision d’un conflit qui, audébut, devait être de courte durée, ilimportait peu qu’un combattant fûttuberculeux ou cardiaque. Par la suite, ilne sera pas davantage nécessaire qu’ilsoit en bonne santé pour mourir enhéros. Et puis, la psychose de l’em-busque aidant, conseils de révision et deréforme se défendent d’entretenir des« repaires d’embusquage », selon l’ex-pression en vogue.

Les incertitudes du diagnostic et lamultiplicité des degrés de morbiditéaggravent la complexité du problème. Lesmédecins se perdent dans le labyrinthedes tuberculeux « ouverts » ou « fermés »,des « évolutifs », des « faux tuberculeux »,des « tuberculeux latents » et des « bron-chites suspectes ».

Certains conscrits, bien portants enapparence, se savent pulmonaires et seconsidèrent, à juste titre, comme d’éter-nels convalescents. Dès lors, leur incor-poration tombe comme un arrêt demort. Ils se dérobent parfois et se fonthospitaliser à perpétuité avec l’appui deplusieurs médecins.

Mais la plupart des tuberculeux seprésentent devant le conseil de révisionsans connaître leur état. Les examens dedépistage étant longs et incertains, mieuxvaut confier tout sujet à l’épreuve de laguerre. Elle seule dictera la conduite àsuivre. Lorsque les symptômes ne peu-

vent plus passer inaperçus, le maladeévacué se présente à la formation sanitaire

les mains nues. Or, comme le souligne leDr Nordmann, « il est très difficile de sefaire une opinion ferme à propos d’unmalade atteint des bronches ou des

poumons sans courbes de températures,pesées régulières et examens de crachats. Ilfaut que les médecins régimentaires pren-nent l’habitude d’envoyer à la consulta-tion des hommes munis de renseigne-ments précis. Ils doivent aussi les mettresous plis cachetés et éviter tout diagnosticen présence des malades qui arrivent à laconsultation en disant non pas “je souffrede telle chose” mais “j’ai telle maladie4” ».

Parmi les militaires dirigés sur lesformations sanitaires, le contingent leplus important est formé depulmonaires. Sur 1000 malades exa-minés en avril 1916 dans le secteurd’Alençon, 177 sont des tuberculeux« avérés ou probables ». Et encore,précise le médecin-major Gandy, chef desecteur, « j’ai l’impression que ce chiffreest au dessous de la réalité, vu la mé-thode d’observation de ces médecins.

 J’estime à un pour cinq le nombre desmalades atteints ou suspects5 ». Enseptembre et octobre 1917, le médecin-major Daguet trouve 463 pulmonairessur un total de 1 731 malades observésdans le secteur de Bourg-Belley (Ain),soit un pourcentage de 26,7 %6.D’autres statistiques conduisent auxmêmes conclusions.

Il existe différents degrés de morbiditétuberculeuse. La tuberculose avérée, aussiclassée sous l’étiquette de « tuberculoseévolutive », peut être dépistée à la radio-scopie et grâce à la présence de bacilles deKoch dans les crachats. Encore faut-il quele centre soit équipé d’une centrifugeuseélectrique, la centrifugation à mains’avérant insuffisante. De plus, il est

nécessaire de « fouetter » la flore bacillaireen administrant au malade un à deux

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grammes d’iodure de potassium par jourpendant la période qui précède l’exa-men7. Or, ces conditions sont rarementréunies. Enfin, il n’existe aucun appareil

radiologique dans la plupart des forma-tions sanitaires. Lorsque les signes cli-niques de tuberculose ne crèvent pas lesyeux, une erreur de diagnostic restetoujours possible.

Pour couronner le tout, il n’est pasrare que la fraude s’en mêle. Pourcertains militaires, passés maîtres en l’artdes maladies de contrefaçon, c’est un jeud’enfant que de semer dans ses crachatsles bacilles d’un camarade pulmonaire.

 Au centre sanitaire de Téloché, note lemédecin-major Nordmann, « toutes lesprécautions sont prises pour éviter lafraude dans le recueil des crachats. Lesmalades vont cracher chez le pharma-cien et devant lui. À Solemnes, l’hommeest muni d’un crachoir dans une cham-bre isolée et fermée à clef 8 ».

En l’absence de bacilles, une lésiontuberculeuse est dite « fermée », « cica-trisée » ou « non évolutive » et le tuber-culeux, déclaré en état de « latence », estversé dans le service auxiliaire ou, plussimplement, dans le service armé.Combien de tuberculoses assoupies nese sont-elles pas ainsi réveillées!

Certains tuberculeux peuvent être« ouverts » et libérer des bacilles sanspour autant être évolutifs.

Quant aux « faux-tuberculeux » sanssignes bactériologiques ni radiologiques,ils souffriraient le plus souvent delésions ou de malformations extrapulmonaires, d’infections nasales oularyngées, de dyspepsie... Tous sontdéclarés « curables » ou « transitoires » etrenvoyés au front sans autre forme deprocès.

Il existe une pitoyable catégorie depulmonaires. Classés sous l’étiquette

« bronchite suspecte », ils sont promenésde l’un à l’autre et partagent leur vieentre la ligne de feu et l’hôpital.

Comment se répartissent ces divers

types de tuberculeux? Dans un articlepublié en 1916 dans le Paris Médical , leDr Louis Marre cite la statistique deSergent et Delamare qui, aux hôpitaux dela Charité et du Vésinet, ont examiné600 malades souffrant de symptômespulmonaires parmi lesquels : 89 « nontuberculeux », 83 « cracheurs de bacilles »et « 428 suspects » dont 216 malades « enévolution » et 212 « cicatrisés » (enlatence). Les 89 non tuberculeux et les212 cicatrisés formeront un contingentde 301 récupérés, soit 50 % de l’effectif initial9. Sur les 463 pulmonaires dépistéspar le médecin-major Daguet dans larégion de Bourg-Belley (Ain), on relève161 bronchites suspectes, 117 tubercu-loses pulmonaires évolutives, 113pleurésies tuberculeuses et 13 péritonites

ou méningites tuberculeuses10

.Si le faciès de la tuberculose et l’éva-luation de sa gravité sont d’unecomplexité inouïe, le sort des militairesatteints de l’une ou l’autre tuberculoseest d’une horrifique simplicité.

ÊTRE TUBERCULEUX ET SOLDAT

Le cas exemplaire du tuberculeuxSalzes est l’expression d’une réalité queles chiffres traduisent avec sécheresse.Dans son rapport du mois de novembre1917, le médecin-major Péhu note que,dans son secteur de Bourg-Belley (Ain),« les militaires atteints de tuberculosepulmonaire évolutive appartiennent auservice armé dans la proportion de 89 %et ceux qui souffrent de tuberculose non

évolutive à 85 %11

». Ainsi, que lestuberculeux soient « évolutifs » ou

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assoupis, ils peuvent être déclarés « aptespour le service armé » dans plus de 85 %des cas. Pire: en vertu d’un caprice dontles conseils de réforme ont gardé le

secret, les malades atteints de tubercu-lose active auraient plus de chances de seretrouver dans les tranchées (89 %) queles tuberculeux latents (85 %).

Si pareille sévérité répond à descritères administratifs, le séjour destuberculeux sur le front n’en est pasmoins effectif. Très bref dans certainscas, il peut aussi se prolonger des moisdurant. C’est plus qu’il n’en faut pourattiser le mal. Le malade est exposé auxintempéries, aux fatigues et auxblessures de guerre qui, même bénignes,prennent chez lui un caractère parti-culier de gravité. Comme le souligne leDr Péhu, « nombreux sont les trauma-tismes de guerre susceptibles d’exercerune action sur l’ensemble de l’appareilrespiratoire. Dès le début, ce furent lesprojectiles créant des blessures pleu-ropulmonaires. Un peu plus tardapparurent les contusions thoraciquespar éclatements d’obus, explosion demines ou bouleversements de terrains ;enfin, dès mars 1915, l’emploi des gazasphyxiants ou toxiques provoquèrentde nombreuses bronchites, broncho-pneumonies, et tous les processusinflammatoires ou congestifs des voiesaériennes dont beaucoup revêtirent uneallure traînante ou chronique suscepti-ble de créer le berceau du bacille deKoch12 ».

Tôt ou tard, le malade se retrouvedonc à l’hôpital dans l’attente d’unenouvelle décision du conseil de réforme.

Sur son lit de douleur, il doit subirune nouvelle avanie. Pour une partie dupersonnel médical, le blessé de guerre,

seul, est digne de considération, et toutmalade lui dérobant sa place est un

usurpateur. En juillet 1917, leDr Nordmann signale que certainshôpitaux auxiliaires refoulent lesmalades13. Aussi des médecins human-

istes ont-ils à cœur de réhabiliter lestuberculeux, à l’image du Pr. Rozier, dela Faculté de médecine de Montpellier,qui écrit : « Bien que la nature de l’affec-tion dont ils sont porteurs éveille engénéral moins de sympathie que la situ-ation des blessés proprement dits, ilsn’en ont pas moins puisé leur mal à lamême source et n’en ont pas moinssacrifié leur santé pour la défense de lapatrie. Il serait juste et humain que lesplus gravement atteints, ceux pourlesquels la guérison n’est plus possible,eussent la faculté d’être rendus à leurfamille et de mourir dans leur foyer14. »

De surcroît, ces tuberculeux sont dessemeurs de bacilles, dans les tranchéescomme dans les hôpitaux. En principe,l’évacuation des contagieux devrait êtreimmédiate, mais dans les faits, nombreuxsont les malades oubliés au milieu de leurscamarades. C’est la phase dite « d’incerti-tude » qui est la plus dangereuse. L’indi-vidu, généralement un ancien réformé,expectore sans prendre de précaution,maigrit, mais n’en poursuit pas moins sonséjour dans des abris souterrains, encontact étroit avec ses compagnons15. LePr. Landouzy s’en indigne: « Combien decas d’inoculation [transmission] aurait-onévité à l’armée si tant d’éclosions tuber-culeuses n’étaient survenues chez d’an-ciens réformés. Pareils mobilisés, sansavoir profité à la Défense nationale, n’au-ront servi, par le réveil de leurs lésionspulmonaires, qu’à diffuser la tuberculose.C’est le fruit de la déprimante stabulationdans les tranchées16. »

L’encombrement hospitalier est un

facteur supplémentaire de risque. D’au-tant que les tuberculeux avérés sont

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répartis au hasard dans différentesformations sanitaires. « On ne peut pasne pas être vivement impressionné par lenombre de tuberculeux qu’on trouve

dans toutes les formations », note leDr Rocaz en mai 191617. Dans le secteurmédical du Mans, le Dr Louste déplore:« J’ai trouvé dans les salles communesdes tuberculeux connus, diagnostiqués etvérifiés, au contact immédiat de conva-lescents encore déprimés18. »

Une fois au repos, le malade doit se« cicatriser » en un laps de temps déter-miné. C’est ainsi que les sujets atteintsde tuberculose ganglionnaire et évacuéssur la station de Biarritz sont renvoyéslanguissants à leur corps, le traitementmarin ne pouvant excéder la durée régle-mentaire d’un mois19.

Dans certains cas, les tuberculeuxlatents sont versés dans le service auxili-aire, ce qui n’est pas la solution idéale.Pour le médecin-major Roque, de Lyon,ce sont des « mines de tuberculeux » quisont crées par « ces auxiliaires de dépôtset ces mobilisés d’usines, anciensfibreux, bronchitiques chroniques, vieuxtousseurs dont la tuberculose maléteinte va se réveiller sous l’influence dufroid, du surmenage, du travail dans lespoussières ou les poudres20 ».

D’autres, enfin, sont placés en instancede réforme. À en croire le Pr. Landouzy,pour 1000 soldats incorporés, 16 seraienttôt ou tard réformés pour tuberculose.Mais les commissions de réforme sontlunatiques. Elles n’ont recours ni àl’analyse des crachats ni à l’examen radio-scopique. Leur diagnostic, uniquementfondé sur l’auscultation pratiquée dansdes conditions défectueuses, est souventerroné, le tuberculeux pouvant présenterau stéthoscope tous les signes d’une santé

florissante. En revanche, de nombreux« pseudo-tuberculeux » sont réformés à la

faveur de cet examen fallacieux21. Pareilleincohérence peut avoir de graves con-séquences. Devant la commission sani-taire de réforme de la Côte-Saint-André,

le médecin-major de 1re classe GermainRoque (Lyon) ne présente que des« tuberculoses graves évolutives ». Or,parmi ces incurables, le pourcentage deréformes temporaires ou définitives nes’élève, suivant des séances, qu’à 50 % ou70 %, les pulmonaires déclarés « aptes »étant renvoyés à leur corps ou versés dansle service auxiliaire22.

Il existe deux catégories de réformés:les numéros 1 et 2. Les militaires ayantcontracté la maladie en servicecommandé bénéficient de la « réformen° 1 » avec pension, ceux dont la maladieétait antérieure à l’incorporation sont« réformés n° 2 » sans pension. L’injus-tice est manifeste. Pourquoi les avoirincorporés, s’ils étaient tuberculeux, etpourquoi ne pas reconnaître l’aggrava-tion du mal en service commandé? Desurcroît, bien des tuberculeux, ignorantset timides, acceptent de bon cœur laréforme n° 2 tandis que d’autres, moinsmalades mais mieux informés, parvien-nent à décrocher la réforme n° 1.

Mais ici, la « faveur » a-t-elle encoreun sens ? La réforme n° 1, si désirable àpremière vue, impose une foule dedémarches qui supposent le maintien dutuberculeux sous les drapeaux alors quela réforme n° 2, plus rapide, offre aumalade la triste consolation de mourirdans ses foyers23. Le médecin-majorGrenet s’en indigne : « Les dossiers deréforme sont lents, écrit-il. Il faut faireune enquête au corps d’origine. Elle apour but de prouver que la maladie a étécontractée ou aggravée du fait du ser-vice. Or, est-il un seul tuberculeux qui,

ayant été au front, n’a pas vu son états’aggraver ? À combien de tuberculeux

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ayant été au front pourra-t-on légitime-ment refuser la réforme n° 124 ? »

Les formalités de réforme sont silongues que plusieurs tuberculeux finis-

sent par mourir dans les formationssanitaires sans avoir revu leur foyer,provoquant la révolte des médecins mili-taires contraints d’assister impuissants àleur agonie. « Certains malades nedemandent qu’à mourir chez eux. Peut-on leur refuser cette suprême satisfac-tion ? », demande le Dr Nordmann, duMans, après avoir renvoyé dans leurfoyer deux moribonds en instance deréforme. Timide mesure d’humanité etde bon sens qui lui a pourtant attiré lesfoudres de Justin Godart, sous-secrétaired’État du Service de santé. Dans unenote datée du 31 janvier 1917, celui-ciordonne en effet « qu’il ne soit plusprocédé de la sorte ». D’où la réactionindignée de Nordmann : « Pourquelques-uns d’entre eux j’ai donné lamention “à réformer d’urgence”. Ceshommes n’auraient pas dû rester un seul

 jour en caserne. Deux incorporés de laclasse 1919 sont morts dans mon servicede tuberculose aiguë moins d’un moisaprès leur incorporation. Tous deuxn’étaient pas malades en apparence.Pour le second, la radioscopie confirmamon diagnostic d’infiltration tuber-culeuse et je conclus à la réforme tempo-raire. Entre cette consultation et laprésentation devant la commission deréforme, le malade fut pris d’uneviolente hémoptysie, fit une phtisieulcéreuse aiguë et mourut au bout de15 jours25. »

Entre le 2 août 1914 et le 31 octobre1917, 81500 tuberculeux auraient étéréformés n° 2 et 6 579 n° 1. Mais quelleque soit leur catégorie, tous ces réfor-més

se retrouvent unis dans le même malheur,comme l’indique le Pr. Landouzy :

« Moins bien partagé que ses camaradesqui bénéficient d’une situation de faveurpour accidents ou infirmités “contractéesen service”; n’ayant, d’ordinaire, droit à

aucune assistance, à aucune pension, etcongédié sans autre forme de procès, letuberculeux a, pour unique ressource, des’en retourner mourir au pays natal26. »« Or, qu’il soit victime d’une tuberculosed’éclosion ou d’inoculation, il n’en est pasmoins, dans les deux cas, victime d’unfait de guerre27. »

La détresse des tuberculeux a laisséd’innombrables traces dans les archives.Un seul détail permet d’en mesurerl’ampleur. Plus que tout autre, lepulmonaire, dont la santé est tributaired’une bonne assimilation des aliments, abesoin d’avoir de bonnes dents. Or, lesrèglements prescrivent que seuls les mili-taires susceptibles d’être « conservés auservice » peuvent bénéficier de prothèsesdentaires. Les réformés tuberculeux ou

en instance de réforme n’entrant pasdans cette catégorie, ils devrontsupporter les conséquences de leurmauvaise dentition28.

 À partir de 1916 sont cependant créésen leur faveur des hôpitaux et descentres sanitaires spécialisés.

L  A FONDATION DES HÔPITAUX 

SANITAIRESTout commence par le vote de

subsides. Dès 1915, la loi du 18 octobre« porte ouverture d’un crédit de deuxmillions pour assistance aux militairesen instance de réforme ou réformés pourtuberculose ». Pour l’exercice 1916, c’estun crédit de quatre millions de francsqui sera voté. Les fonds seront affectés à

la création et au fonctionnementd’hôpitaux et de stations sanitaires sous

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l’impulsion de l’Assistance publique, despréfets et du député Honnorat, auteurparlementaire du projet. Dans les hôpi-taux sanitaires seront hébergés et soignés

les tuberculeux évolutifs. Dans lesstations sanitaires seront accueillis lestuberculeux ouverts et latents où, durantles trois mois qui précèdent la réforme,ils recevront une éducation hygiéniqueappropriée29.

Les mots « tuberculose » et « sanato-rium » ont été bannis de la désignationde ces établissements afin de ne paseffaroucher le public. Pourtant, lorsqu’ils’agit de procéder à l’achat ou à la loca-tion des locaux, les propriétaires et lesriverains, effrayés par la perspectived’une promiscuité empoisonnée,oublient toute ferveur patriotique et sedérobent. En définitive, ne restent sur lemarché que les locaux délabrés ouinsalubres.

De cette triste réalité, les archives ontgardé la trace. Sous le titre Hôpitaux sanitaires. Anciens projets infructueux existe au Val-de-Grâce une liste deprojets avortés précédée d’un avertisse-ment explicite: « Le choix de l’emplace-ment des hôpitaux sanitaires n’a pas étéeffectué au hasard. Il a donné lieu à denombreuses recherches et négociations,dont un grand nombre n’ont pu aboutirpar suite de l’inadéquation des locauxou des oppositions diverses30. » Sur48 projets étudiés par l’administrationcentrale du Service de santé, 15 ont faitl’objet d’un refus du propriétaire ou desriverains. Le rapport se termine en cestermes : « Seuls les autres, insalubres,sont disponibles et les propriétairesessayent de les vendre à des prix exorbi-tants. » Bien des Français qui, la larme àl’œil et le patriotisme dans l’âme, versent

sans doute leur obole lors de la « Journée[annuelle] du soldat tuberculeux »,

repoussent le voisinage de leursprotecteurs à l’agonie lorsque leursintérêts personnels semblent en jeu:

Septembre 1915. Campagne-les-Bains,

HO 69, (Aude). Protestation du syndicat d’initiative de Carcassonne et de l’Aude,de l’Automobile-Club de France, duTouring-Club de France, du ministre des Travaux Publics, de l’Office national duTourisme, de M. Maurice Sarraut, séna-teur, de M. Malavialle, député.

 Mars 1916. Petit séminaire de  Montmorillon. Refus de l’administration, propriétaire de l’immeuble.

 Mai 1916. St-Marcel, à 3 kilomètres de Châlons. Protestations de cinq municipa-lités présentées par M. Richard, sénateur […] 

Décembre 1916. Établissement Saint-Gabriel, près Clermont-Ferrand. Beau

 projet mais protestation du Conseil muni-cipal de Clermont, présentée par 

 M. Gomot, sénateur, Reynouard député,Chaussat, député, Marrou et Varenne,députés […] 

Novembre 1917. Ancien couvent de laCordelle (Isle-sur-Serein). Protestations avant que les intentions des autorités locales aient pris corps. Opposition des notables, du maire, de M. Bidault de l’Isle,de MM. Lucien Cornet et Rivière, séna-teurs de l’Yonne […] 

Décembre 1917. Villa Nitot, à Pau,H.C. n° 59. Projet d’affectation de cet hôpital aux officiers tuberculeux. Protesta-tion du propriétaire de l’immeuble qui envoie au Directeur du Service de Santé une assignation par huissier enjoignant d’avoir à renoncer à placer des tuberculeux dans l’immeuble […] etc.

Et voici les locaux qui restent à ladisposition des autorités sanitaires:

 Mai 1916. 4 e  région. Établissement des 

Oblats à Pontmain (Mayenne). Climat humide. Évacuation des matières usées 

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dans la rivière. Dépenses élevées. Travaux longs.

 Juillet 1916. Abbaye de Jouarre (S. et  M.). Locaux sombres, frais, disproportion-

nés à ce qu’on aurait pu obtenir […] Novembre 1916. 8 e  région. Immeuble 

des Cordeliers près Rougemont (Doubs).Immeuble acheté 10 000 francs mais 110000 francs de travaux […] 

Novembre 1916. Château des Quatre Chevaliers à Périgny près La Rochelle.Offre écartée, le propriétaire voulant vendre le château 70 000 francs et non le louer ce qui aurait mis l’hôpital de 60 à70 lits à 100 000 francs environ, en y comprenant les frais d’aménagement […] 

Dans l’esprit de plusieurs médecins etadministrateurs, la confusion est totaleentre les « hôpitaux sanitaires », réservésaux soins, et les « stations sanitaires »destinées à l’éducation hygiénique desfuturs réformés. Des évolutifs cachec-tiques sont donc orientés vers lesstations sanitaires et des tuberculeuxlatents vers les hôpitaux sanitaires.Pareille confusion, en favorisant lapromiscuité entre moribonds etsurvivants, entraîne une érosion dumoral. Dans une lettre adressée le8 octobre 1918 aux directeurs duService de santé de toutes les régions,Louis Mourier, sous-secrétaire d’État duService de santé, rappelle une fois deplus: « Je tiens à attirer une dernière foisvotre attention sur le fait que les hôpi-taux sanitaires, ainsi qu’il résulte detoutes les circulaires traitant depuis troisans de ce sujet, sont réservés aux tuber-culoses confirmées évolutives, à l’exclu-sion des simples suspects et des formesgraves (ramollissements, cavernes, into-xications graves, fièvres hectiques…)31. »

En fait, personne ne veut de ces évolu-

tifs critiques dont la mort prochainesape le moral. Ce sont des « non-

valeurs », selon l’expression du Dr Kuss,que l’on se renvoie de l’un à l’autre etqui finissent parfois par mourir en coursde transfert. Dans sa lettre circulaire du

8 octobre 1918, Louis Mourier faitimplicitement référence à ce drame: « Ilm’est signalé qu’à différentes reprises,des officiers tuberculeux ont été récem-ment évacués sur le sanatorium [stationsanitaire] de la Croix-Rouge àHauteville dans un état grave, sinondésespéré. Plusieurs d’entre eux sontmorts peu de temps après leur arrivéedans cet hôpital. Ces officiers n’étaientpas transportables et n’auraient pas dûêtre considérés comme tels par lesmédecins-chefs des hôpitaux qui ontadressé à mon administration centraledes demandes d’évacuation32. »

 Aussi n’est-il pas étonnant que leshôpitaux sanitaires, à l’origine réservésaux tuberculoses évolutives, aient étéconsidérés par plusieurs médecinscomme le refuge naturel et ultime de cesmalheureux. Au demeurant, ces éta-blissements deviennent tôt ou tard desmouroirs, comme l’indique le médecin-major Léon Bernard au terme d’unetournée d’inspection réalisée en 1916.Sa description de l’hôpital auxiliairesanitaire 63 (Saint-Genis-Laval) estédifiante: « Rien ne saurait dépeindre lespectacle de désolation offert par cesmalheureux. Il y a 200 lits presque tousoccupés, et par les pires souffrances,installés dans un ancien établissementreligieux, au milieu d’un parc splendidedont ils ne peuvent même pas pro-fiter. 8 dames de la Croix-Rouge et12 religieuses, dont le dévouement estadmirable, travaillent dans cet hô-pital33. » D’un autre hôpital sanitaire, lemédecin major Cantonnet écrit :

« Hôpital très intéressant parce qu’ilreçoit de très graves malades et,

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“mouroir” systématisé, ne donne pasl’impression d’être cela34. »

Les stations sanitaires offrent-elles uneimage moins lugubre?

S ANATORIA DE FORTUNE

Les stations sanitaires, encorepompeusement appelées « sanatoria »,sont au nombre de 21 au mois d’août1916 avec une capacité de 1806 lits. Laplus importante est celle d’Alix (près deLyon) avec 215 lits, la plus petite cellede Riberac avec 25 lits. La plupart d’en-

tre elles sont équipées d’une cinquan-taine de lits. Le séjour moyen d’untuberculeux étant de trois mois, ce sont7 500 tuberculeux qui, chaque année,peuvent transiter par ces centres35. Versla fin de la guerre, 60 sanatoria et7 000 lits pourront en accueillir près de30000. Mais certains ne fonctionnerontque comme centres de triage tandis qued’autres seront réservés aux Serbes ouaux Russes.

En fait, le taux de remplissage desstations sanitaires est rarementpléthorique. Dans celle de Sémur enBriançonnais, 32 des 60 lits sontoccupés vers la fin de 1917. En octobre1917, le médecin-major Cantonnetnote dans son rapport : « Le jour où jevisite l’hôpital [station sanitaire] deTéloché, 9 lits sur 100 sont occupés36. »On assiste au même phénomène dans leshôpitaux sanitaires. L’énorme unité de laCôte-Saint-André, qui contient 558 lits,n’a jamais affiché « complet » etn’héberge que des « malades gravesgardant le lit37 ».

La tâche du médecin-chef de station aété définie par les inspecteurs Guinon etKuss : tri des malades et affectation de

locaux séparés en fonction des risquesde contagion, élimination des faux

tuberculeux, mise en œuvre d’un traite-ment et surveillance disciplinaire.Surtout, il devra « instruire les malades,par des causeries éducatives, de leurs

devoirs vis-à-vis de leur famille et dumilieu dans lequel ils vivront à leursortie de la station sanitaire ». L’impuis-sance thérapeutique étant avérée, lavocation éducative est devenue la raisond’être de ces établissements. L’une deshantises des médecins n’est-elle pas quene se déversent un jour sur le territoirenational des dizaines de milliers de mili-taires contagieux38 ?

L’opération semble parfois couronnéede succès. Selon le Dr Péhu (Bourg-Belley), les futurs réformés « sont acces-sibles aux recommandations. Unnombre notoire porte un crachoir depoche. Si l’un d’eux n’a pas l’habitude des’en servir, il est dénoncé par ses cama-rades. La discipline de la toux évite laprojection de particules de salive bacil-lifère. Tracts, brochures, et affichettescontribuent à leur éducation. Rentréschez eux, les tuberculeux conservent cespratiques. Plusieurs écrivent auxmédecins de sanatorium pour demanderdes renseignements complémen-taires39 ». Dans le secteur d’Évreux, leDr Salomon constate : « L’usage ducrachoir leur est devenu familier et il y atout lieu de penser que, de retour dansleurs foyers, ils diminueront les risquesde contagion40. »

 À l’éducation antituberculeuses’ajoutent parfois les bienfaits du travail,ébauche d’une réinsertion prochaine. Auterme de sa mission d’inspection, lemédecin-major Cantonnet rédige unrapport dont certains passages baignentdans une atmosphère de comices agri-coles. À Mellerey, la production de

pommes de terre s’élève à 45 tonnes en1916-1917 et celle de légumes variés à

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trois tonnes. À Campagne-les-Bains, « letravail progressif est devenu un vraiplaisir. Les potagers, la ferme miniatureavec ses 7 vaches, ses 11 porcs, ses

20 moutons et sa centaine de lapins,oies, canards, apportent à l’hôpital[station] une véritable petite fortune ».

 À Becquet, les tuberculeux font dutravail de vannerie en plein air et du

 jardinage dans le jardin potager41. À Téloché et à Solemnes, le Dr Nordmannmultiplie les loisirs (quilles, boules,cartes) et organise des concerts auxquelsles riverains sont conviés.

Mais ces quelques réussites nesauraient faire illusion. Dans la conclu-sion de leur rapport « sur le fonction-nement des stations sanitaires », lesDr Guinon et Kuss doivent reconnaître :« Pour deux hôpitaux [stations] sani-taires satisfaisants, combien d’autres lais-sent à désirer, combien où le mal dépasseinfiniment le bien qu’on en retire ! »

Organisés sur le tas, tributaires de l’im-provisation, ils forment un vastechantier. Pour les futurs réformés, pour-suit le rapport, la désillusion est totale:« Venus dans les stations sanitairesalléchés par de belles promesses, l’espoird’une bonne nourriture, de soinsdévoués, d’une guérison rapide, lesmalades tombent sur des chantiers, nevoient un médecin que de loin en loin,

ont l’impression d’être abandonnés àeux-mêmes, se démoralisent, deviennentindisciplinés et ne songent qu’à sortirpour aller boire et coucher dehors42. »

« Sanatoria de fortune », ces établisse-ments n’offrent de plus qu’une assistancethérapeutique médiocre. La plupart desmalades y sont envoyés trop tard, pourun bref séjour de trois mois, tandis que

les médecins sont constamment happéspar la relève. L’héliothérapie y est la seule

cure pratiquée. Une seule station, cellede Saint-Genis-Laval, a recours au pneu-mothorax dans les cas désespérés. Maisles insufflés doivent quitter les lieux

avant la fin du traitement.Faute de laboratoire, les crachats sont

rarement examinés, ce qui entretient lapromiscuité entre porteurs de bacilles ettuberculeux « fermés ». Toute séparations’avère d’ailleurs illusoire, les pension-naires pouvant librement circuler dansles lieux et même dans les villages desenvirons. À Téloché et à Solemnes, lesfébriles prennent leur repas à part etoccupent des locaux isolés, mais cettequarantaine crée une situation sicomplexe que le Dr Nordmann neparvient même pas à la décrire en termesintelligibles : « Comme les salles detuberculeux graves ont mauvaise réputa-tion auprès des malades qui saventqu’on y meurt, j’ai prescrit au médecinde faire de temps en temps le vide dansces salles43. » Il n’est donc pas rare que lasanté des pensionnaires s’en ressente,comme à Alix où le Dr Theil « a l’im-pression que leur état s’aggrave rapide-ment en raison de la promiscuité ».

Sur les lieux plane d’ailleurs une atmo-sphère peu propice à l’épanouissementdu moral d’individus ravagés par la souf-france. À la station sanitaire de Semuren Briançonnais, « une même pièce sertà la formolisation, à l’isolement desmourants et à la dépose des morts ». Iln’est pas rare que la station ait étéaménagée dans des asiles de vieillards oud’aliénés à moitié désertés. La cohabita-tion avec les anciens pensionnairess’avère alors laborieuse d’autant que lesvieillards donnent le mauvais exempleen crachant n’importe où.

Un peu partout règne la saleté. Les

murs, rarement blanchis à la chaux,s’encrassent vite en raison d’un

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chauffage défectueux et de l’usage d’uncharbon de guerre impur. Les parquets,sillonnés de crevasses et d’aspérités,deviennent des nids à microbes.

L’espace réglementaire entre les lits n’estpas respecté. À Montlieu, des monceauxde détritus s’accumulent devant lacuisine où sont conservées des eauxsales et grasses. Il n’existe ni bains nidouches. La salle de désinfection estdevenue un lieu de contamination pri-vilégié. Le linge y est déposé en des tassur lesquels on verse une eau à 50° quiest évacuée vers la rivière (rapportCantonnet). À l’hôpital de la Côte-Saint-André, il n’existe même pas depoint d’eau et le linge sale doit êtretraité dans la ville voisine.

Les crachoirs sont en carton ou enverre plein sans couvercle. Plusieurs secassent. Leur désinfection à l’eau bouil-lante, peu pratique et insuffisante, est àla charge du malade. À Montlieu, ilssont en aluminium et ne peuvent êtredésinfectés à la chaleur et aux antisep-tiques sous peine de se détériorer. Il fautdonc se contenter de les soumettre à unesolution de grésyl. Quant aux crachoirsportatifs, ils semblent avoir pour voca-tion de se vider dans les poches.

On conçoit que nombre de maladesn’aient qu’un seul désir : celui des’évader. Épuisés par des années deguerre, condamnés à une espérance devie réduite, privés de permissions quipourraient les exposer à des tentationsdangereuses pour leur santé, ils suppor-tent mal cette attente inutile de troismois qui, en ces lieux de désolation, leséloigne un peu plus de leur famille.Dans le civil, les tuberculeux n’ont pasbonne réputation. On leur reproche unmythique appétit de jouissance, ce qui

leur a valu l’appellation d’« embrasés ».Et que dire de ces trublions aigris par la

guerre dont les « descentes » en ville ontsi mauvaise presse? Dans un rapport dela « Section de centralisation desrenseignements » adressé au ministère de

la Guerre, on peut lire l’appréciationsuivante : « On signale que les tuber-culeux de l’hôpital d’Auray (Morbihan)n’ont pas toujours une tenueirréprochable. Leur attitude est im-putable à la nature de leur maladie: cesont des aigris. Leur présence est regret-table dans une ville où il y a des troupes,au point de vue moral comme au pointde vue physique44. »

Installées pour la plupart en rasecampagne, les stations sanitaires sontentourées de jardins non clos. C’est laporte ouverte aux escapades, hantise desmédecins qui redoutent à juste titrequ’elles ne trouvent leur épilogue dans laboisson.

 Aucun mur n’entoure la station deSemur en Briançonnais. « De ce fait,

note l’inspecteur Kuss, on est obligé delaisser sortir les malades. Ceux-ci,porteurs ou non de bacilles, vont dansles cafés des environs comme chez lesparticuliers qui vendent des boissons. Ladiscipline est, encore ici, impossible. » À 

 Alix, « les bâtiments ne sont pas clos et,dans toutes les maisons du village, onsert à boire. Il n’y a qu’un seul médecintraitant pour les 200 malades et il ne

peut pas assurer la discipline. Beaucoupde malades ont fait venir leurs femmesdans les maisons d’alentour et vontcoucher hors de l’hôpital toutes les nuits(rapport Cantonnet) ».

 À Téloché, le Dr Nordmann doit faireappel à la force publique et c’est grâceaux contrôles de gendarmerie que lestuberculeux sont écartés des débits de

boisson. Mais les cafés pullulent dans larégion ce qui l’incite à réclamer leur

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mise en consigne à Solemnes, Sablé et Juigné. En fait, les questions de disci-pline ne relèvent même pas du médecinmais du directeur et de l’économe qui

dépendent du ministère de l’Intérieur.Le Dr Theil, médecin chef de la stationd’Alix, se trouve même placé sous laquadruple autorité du directeur du ser-vice de santé de la région, de la préfec-ture, du ministère de l’Intérieur et del’administration des hospices civils deLyon.

Paralysés par l’administration, privés

de la menace de suspension des permis-sions depuis que celles-ci ont été inter-dites aux tuberculeux, les médecins onttendance à se tourner vers la seule formede pouvoir qu’ils maîtrisent: le pouvoirmédical. Contre les fortes têtes, ils bran-dissent le spectre de la mise au régime,de l’isolement, de l’alitement forcé. Ilsrêvent même d’épouvantails plus terri-fiants : suspension de la procédure de

réforme, révision du taux de pension…En désespoir de cause, ils en viennent àconstater l’inutilité des stations sani-taires et la nécessité de réformer lestuberculeux au plus vite.

En fait, la débauche de moyens misen œuvre pour l’organisation d’unréseau de stations sanitaires feraitplutôt figure de réaction de compen-sation face à l’impuissance thérapeu-tique. Dès l’abord, le système semblaitvoué à l’échec. Comment, devant unproblème aussi gigantesque, créer detoutes pièces une structure si complexedans un monde désarticulé par laguerre ? Considérée dans sa finalité,l’entreprise fut donc un échec, maiscomme modèle ou comme point dedépart de l’essor sanatorial dans la

France de l’entre-deux-guerres, elle apu avoir son importance.

Reste une question. La vague tuber-culeuse qui, selon l’expression du Pr.Landouzy, menaçait « de s’étendre sur lepays comme firent certaines pestilences

pendant les guerres du Moyen Âge » a-t-elle eu lieu? C’était la grande peur desphtisiologues et c’est elle qui a justifié lacréation des stations sanitaires où lestuberculeux devaient apprendre à ne pasdisséminer le mal.

En 1913, 180 Français pour 100000mouraient chaque année de tubercu-lose. Jusqu’en 1917, ce taux reste stableou subit une légère décrue. En 1918, ils’élève à 190 pour 100000 et à 208 en1919. Mais, brusquement, il s’effondreà 170 puis à moins de 150 en 1920 et1921. Tout au plus la guerre a-t-elledonc provoqué un certain frémisse-ment vite suivi d’une réaction d’apaise-ment. La Seconde Guerre mondialeconnaîtra un phénomène identique. De103 pour 100000 en 1936, le taux demortalité tuberculeux s’élève à 135 en1942 et à 125 en 1943 avant de s’effon-drer à 110 et à 100 en 1944 et 1945, età moins de 70 en 1946 (Guillaume,1986, 153).

La courbe descendante de la tubercu-lose s’inscrit en fait dans un mouvementde fond amorcé dès la fin du  XIX e sièclesous l’impulsion des conquêtes de l’hy-giène anti-microbienne. Un événement

ponctuel peut rompre un équilibre fra-gile, mais lorsque cet équilibre s’intègredans un mouvement de longue durée, cemême événement ponctuel, aussi cata-clysmique soit-il qu’un double conflitmondial, peut provoquer un sursautsans jamais le remettre en question.

Pierre D ARMON

Centre Roland-Mousnier (UMR 8596)1, rue Victor-Cousin

75230 Paris Cedex 05 

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1. Proposition de résolution invitant leGouvernement à assurer des soins aux militaires

tuberculeux avant leur renvoi dans leurs foyers.Chambre des députés, n° 800, session de 1915. Annexe au procès-verbal de la séance du 25 mars1915. L’historienne Sophie Delaporte consacreune importante étude à la tuberculose dans l’ar-mée française pendant la Grande Guerre dans sathèse (Delaporte, 1999, vol. 2, 228-254).2. 4e région. Place du Mans. « Rapports sur lefonctionnement du 2e secteur médical pendant lemois novembre 1916, par le Dr aide-major de1re classe Nordmann, chef de secteur », ASSA 

(Archives du Service de Santé des Armées,Val-de-Grâce), carton 40.3. 4e Région. Place de Laval. « Rapport sur lefonctionnement du 4e secteur médical pendant lemois de mars 1917 par M. le médecin major de2e classe Grenet, médecin du secteur. » ASSA,carton 41.4. 4e région. Place du Mans. « Rapports sur le fonc-tionnement du 2e secteur médical pendant le moisd’octobre 1916, par Dr aide-major de 1 re classeNordmann, chef de secteur », ASSA, carton 40.

5. 4e région, 3e secteur médical d’Alençon,« Rapport du mois d’avril 1916, par le médecinmajor de 1re classe Gandy, médecin de secteur » ASSA, carton 41.6. 7e région, secteur médical de Bourg-Belley (Ain), « Rapport du médecin-major de 2e classePéhu, novembre 1917 », ASSA, carton 45.7. 4e région, place de Laval, « Rapport sur le fonc-tionnement pendant le mois mars 1918, par lemédecin major de 2e classe H. Grenet, médecinchef du secteur », ASSA, carton 41.

8. 4e région. Place du Mans, Dr Nordmann, op.cit ., rapport d’octobre 1916.9. Laubry et Louis Marre, « L’aptitude au servicemilitaire des tuberculeux pleuro-pulmonaires »,Paris Médical , 1916, p. 62-66.10. Dr Péhu, « Rapport de novembre 1917 », op.cit ., ASSA, carton 45.11. Ibid .12. Ibid .13. Cité par le médecin major Louste, 4e région,

2e

secteur médical, Le Mans. « Rapport de juillet1916 », ASSA, carton 40.

14. Lettre du Dr G. Rauzier, Professeur de clin-ique médicale à la Faculté de Médecine de Mont-

pellier, médecin en chef des salles civiles à l’hôpitalsuburbain, chargé d’une formation sanitaire aumême hôpital, à Justin Godard, sous-secrétaired’État du Service de Santé, Montpellier le1er février 1916, ASSA, carton 726, p. 1-2.

15. Dr Péhu, op. cit ., p. 16.

16. Pr. Landouzy, « La guerre et la tuberculose.1914-1915 », Paris Médical , 1916, p. 62.

17. 9e région (hôpital temporaire d’Angers n° 6),« Rapport de mai 1916 sur le fonctionnement du3e secteur médical pendant le mois…, médecinmajor de première classe Rocaz », ASSA, carton 49.18. Secteur médical du Mans, « Rapport de juillet1916 », op. cit .19. Médecin aide-major de première classeHarvier, 5e région. Rapport sur le fonction-nement du 4e secteur médical pendant le mois deseptembre 1917, ASSA, carton 43.

20. 14e région, Lyon, « Rapport du médecinmajor de première classe Germain Roque, avril1918 », ASSA, carton 55.

21. 4e région, 3e secteur médical d’Alençon,« Rapport du mois de juin 1918, par le médecinmajor de 1re classe Gandy, médecin de secteur », ASSA, carton 41.

22. 14e région, Lyon, « Rapports du médecinmajor de première classe Germain Roque pour lemois de février 1918 », ASSA, carton 55.

23. Pr. Rauzier, lettre à Justin Godard du1er février 1916, op. cit ., ASSA, carton 726.

24. 4e Région. Place de Laval. « Rapport sur lefonctionnement du 4e secteur médical pendant lemois de mars 1917 par M. le médecin major de2e classe H. Grenet, médecin du secteur », ASSA,carton 41.

25. 4e région. Place du Mans. « Rapports sur lefonctionnement du 2e secteur médical pendant lemois d’octobre 1916, par Dr aide-major de1re classe Nordmann, chef de secteur », ASSA,carton 40.

26. Proposition de résolution invitant leGouvernement…, 25 mars 1915, op. cit ., p. 2.

27. Pr. Landouzy, « La guerre et la tuberculose.1914-1915 », Paris Médical , 1916, p. 62.

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NOTES

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28. 4e région, place de Laval, « Rapport sur le fonc-tionnement pendant le mois d’avril 1917, par lemédecin major de 2e classe H. Grenet, médecin chef du secteur », ASSA, carton 41.

29. Dr M.G. Kuss, médecin en chef du Sanato-rium [station sanitaire] d’Agincourt, Le Bulletinmédical , 12 août 1916, p. 417.

30. ASSA, carton 724, document non datépostérieur à décembre 1917.

31. ASSA, carton 728, « Service technique,section de médecine ».

32. Ibid .

33. ASSA, carton 725, « Organisation des hôpi-taux sanitaires ».

34. ASSA, carton 726, « Hôpitaux et stationssanitaires ».

35. Dr M.G. Kuss, médecin en chef du Sanato-rium [station sanitaire] d’Agincourt, Le Bulletinmédical , 12 août 1916, p. 417.

36. Rapport du 22 octobre 1917, ASSA,carton 726.

37. Gouvernement militaire de Paris, « Rapportde mission du médecin-major Cantonnet,

15 juin 1916 », ASSA, carton 725.38. Rapport non daté, ASSA, carton 726.39. 7e région. Secteur de Bourg-Belley (Ain),médecin-major de 2e classe Péhu, « Rapport denovembre 1917 », ASSA, carton 45.40. 3e région, « Rapport du mois d’octobre1916 », ASSA, carton 40.41. Rapport du médecin-major Cantonnet, op.cit., ASSA, carton 726.42. Op. cit ., ASSA, carton 726.

43. Dr Nordmann, secteur du Mans, « Rapportd’octobre 1916 », op. cit ., ASSA, carton 40.44. Archives de la Préfecture de police de Paris,Ministère de la guerre, 2e bureau, rapport du15 novembre 1917, carton BA/1639.

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LA GRANDE GUERRE DES SOLDATS TUBERCULEUX . HÔPITAUX ET STATIONS SANITAIRES

R ÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 A UDOIN-R OUZEAU, Stéphane (1993), La guerre des enfants (1914-1918), Paris, Armand Colin.

D ARMON, Pierre (2002), Vivre à Paris pendant la Grande Guerre , Paris, Fayard.

DELAPORTE, Sophie (1999), Le discours médical sur les blessures et les maladies 

 pendant la Première Guerre mondiale,Thèse d’histoire, Amiens, Université dePicardie Jules-Verne.

GUILLAUME, Pierre (1986), Du désespoir ausalut: les tuberculeux aux  XIX e  et  XX e  siècles ,Paris, Aubier.

R ÉSUMÉ

Le 25 mars 1915, le Pr. Landouzy, éminentphtisiologue, lançait un cri d’alarme: lessoldats tuberculeux sont légion et l’arméepourrait bien, dans les années à venir, libéreren France de formidables foyers de conta-giosité. En effet, les conseils de révision sontmal équipés pour dépister le mal et se font unpoint d’honneur d’envoyer un maximum de« récupérés » au feu. Au fil des mois, le

pullulement des « cracheurs » finit toutefoispar inquiéter le service de santé. Pour lestuberculeux graves sont fondés des hôpitauxsanitaires aux allures de mouroirs. Les tuber-culeux « latents » ou « ouverts » seronthébergés dans des stations sanitaires, sortes desanatoriums de fortune, où, durant les troismois qui précèdent la réforme, ils recevrontune éducation hygiénique appropriée.

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On March 25th, 1915, the well-knownphthisiologist, Professor Landouzy, issued a

formal warning: the number of soldiers withtuberculosis was enormous and in the nearfuture, the army could very well disseminatedangerous contagious zones throughoutFrance. Indeed, medical committees werepoorly equipped and unable to properly diagnose the illness, and seemed more benton sending a maximum number of “recove-red” soldiers back to battle. As time went

on, the proliferation of “coughers and spit-ters” was finally dealt with by the health

services. Persons with the most serious casesof tuberculosis were sent to sanitary hospi-tals that resembled institutions for elderly and dying people. Persons having latent orsymptomatic cases were placed in sanitary institutions, more or less temporary sanita-riums, wherein over a period of threemonths that preceded the reform, they received an appropriate hygienic education.

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