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Dialogue http://journals.cambridge.org/DIA Additional services for Dialogue: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here De la relativité des jugements moraux Pascal Ludwig Dialogue / Volume 51 / Issue 01 / March 2012, pp 79 97 DOI: 10.1017/S0012217312000248, Published online: 28 September 2012 Link to this article: http://journals.cambridge.org/abstract_S0012217312000248 How to cite this article: Pascal Ludwig (2012). De la relativité des jugements moraux. Dialogue, 51, pp 7997 doi:10.1017/S0012217312000248 Request Permissions : Click here Downloaded from http://journals.cambridge.org/DIA, IP address: 203.19.81.250 on 22 May 2013

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De la relativité des jugements moraux

Pascal Ludwig

Dialogue / Volume 51 / Issue 01 / March 2012, pp 79 ­ 97DOI: 10.1017/S0012217312000248, Published online: 28 September 2012

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Dialogue 51 (2012), 79– 97 .© Canadian Philosophical Association /Association canadienne de philosophie 2012doi:10.1017/S0012217312000248

De la relativité des jugements moraux

P ASCAL L UDWIG Université de Paris I — Panthéon Sorbonne

ABSTRACT: In the fi rst part of this paper, I criticize the indexical interpretation of meta-ethical relativism. According to the indexical interpretation, the content of a moral statement varies with the context of its utterance. I argue that such an interpretation is not empirically plausible, and that it cannot explain the seriousness of radical moral disagreements. In the constructive part of the paper, I offer an alternative, minimalist interpretation of moral relativism, which is based upon an analogy with the case of the relativity of motion.

RÉSUMÉ: Dans la première partie de cet article, je propose une critique de l’interprétation indexicale du relativisme méta-éthique. Selon l’interprétation indexicale, le contenu des énoncés moraux varie avec le contexte de leur énonciation. Je soutiens qu’une telle interprétation n’est pas plausible empiriquement, et qu’elle ne peut pas rendre compte de façon satisfaisante du sérieux des désaccords moraux fondamentaux. Dans la partie constructive de l’article, j’offre une interprétation alternative du relativisme moral d’inspiration minimaliste qui se fonde sur une analogie avec le cas de la relativité du mouvement.

1. Le but principal de cet article est de clarifi er la position connue sous le nom de «relativisme méta-éthique», qui concerne le contenu des jugements moraux. Il ne s’agira donc pas d’articuler une défense du relativisme, mais de tâcher de mieux comprendre cette position philosophique. Selon l’interprétation la plus courante qu’on lui accorde, le contenu d’un jugement moral donné est relatif à un aspect du contexte dans lequel le jugement a été produit 1 . L’aspect du contexte pertinent comporte typiquement un système de normes. Considérons ainsi le jugement moral (1) : il est mal d’exciser les petites fi lles.

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Selon le relativisme méta-éthique dans son interprétation commune, ce jugement possède des contenus différents selon les contextes dans lesquels il est produit : produit dans le contexte d’une société occidentale libérale, dans laquelle il existe un système de normes condamnant les atteintes à l’intégrité corporelle des enfants, le jugement exprime une proposition vraie. Il n’en va pas de même s’il se trouve produit dans le contexte d’une société traditionnelle, dans laquelle de telles normes n’existent pas nécessairement. Dans ce contexte traditionnel, le jugement peut tout à fait, selon le relativisme méta-éthique, exprimer une proposition fausse.

L’argument le plus fort généralement proposé pour motiver le relativisme méta-éthique est une inférence à la meilleure explication, qui part du constat de l’existence de désaccords moraux fondamentaux 2 entre des individus par ailleurs rationnels 3 . Cette inférence part en effet d’une prémisse factuelle con-testable, mais que nous accepterons pour les besoins de la discussion : il existe des désaccords moraux qui sont fondamentaux, au sens particulier où aucune enquête factuelle empirique et aucun raisonnement ne peuvent permettre à des individus par ailleurs supposés parfaitement rationnels de faire disparaître leur désaccord moral.

Afi n de mieux saisir la nature de ces désaccords fondamentaux, il peut être utile d’établir un contraste avec des désaccords non-fondamentaux. Considérons le désaccord moral suivant : Pierre affi rme que le comportement du cycliste Alberto Contador est moralement indigne, car il a triché lors de nombreuses courses en utilisant des produits dopants; Jean n’est pas d’accord, car il con-sidère que Contador n’a jamais fait usage de telles substances. Il est clair qu’une enquête empirique établissant si oui ou non Alberto Contador a fait usage de produits dopants peut conduire à faire cesser le désaccord moral entre Pierre et Jean. Ce désaccord n’est donc pas fondamental. Considérons mainte-nant le désaccord suivant entre les mêmes interlocuteurs : Pierre affi rme qu’il est mal d’avorter, car la vie humaine doit être respectée même sous la forme d’un embryon. Jean n’est pas d’accord : selon lui, un embryon n’est pas une personne humaine, et l’avortement n’est donc pas moralement condamnable. Pierre accepte donc la phrase (2), que Jean rejette : avorter est toujours moralement condamnable.

Il ne semble pas, du moins de prime abord, que ce second désaccord puisse être dissous simplement à l’aide d’une enquête empirique. Il n’est pas non plus évident d’articuler un raisonnement acceptable par les deux parties sans pétition de principe, et qui parviendrait à les mettre d’accord. On peut donc considérer, au moins prima facie , que le désaccord moral portant sur le statut de l’avortement est fondamental.

Admettons donc qu’il existe de tels désaccords moraux fondamentaux, et tentons de comprendre comment on peut tirer de leur existence un argument en faveur du relativisme méta-éthique. La structure de l’argument est facile à saisir : le contenu des jugements moraux est relatif au contexte, et cette relativité dépendant du contexte est la meilleure explication disponible de

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l’existence des désaccords moraux fondamentaux. Il s’agit bien d’une inférence à la meilleure explication : on fait appel à une caractéristique des jugements moraux que l’analyse philosophique est censée mettre en évidence au moins à titre d’hypothèse, à savoir la relativité contextuelle de leurs contenus, et l’on soutient que cette relativité contextuelle constitue la meilleure explication disponible des phénomènes observables que sont les désaccords moraux fondamentaux. Au terme de cette inférence, on conclut que l’hypothèse de la relativité contextuelle se trouve confi rmée.

Si la structure de l’argument central en faveur du relativisme méta-éthique est claire, il n’est va pas de même du détail de cet argument. Deux points me semblent devoir être clarifi és. En premier lieu, en quoi consiste exactement la relativité contextuelle du contenu des jugements moraux? En second lieu, et de façon liée, en quoi cette relativité contextuelle peut-elle constituer une explica-tion satisfaisante de l’existence des désaccords moraux fondamentaux?

De nombreux auteurs répondent à la première question en utilisant un modèle linguistique, plus spécifi quement indexical , de la dépendance contextuelle du contenu des jugements moraux 4 . Dans le cadre de cet article, nous nommerons «indexicales» toutes les expressions linguistiques dont la référence varie en fonction des circonstances dans lesquelles les phrases où elles fi gurent se trou-vent énoncées. Le mot «je» est une expression indexicale en ce sens, puisqu’elle fait référence au producteur de l’énonciation de toute phrase où elle fi gure, et pour cette raison sa dénotation varie en fonction du contexte d’énonciation. Considérons la phrase (3) suivante : j’ai raison et tu as tort.

Prononcée par Pierre s’adressant à Jean, elle signifi e que Pierre a raison et que Jean a tort, en vertu de l’indexicalité des expressions «je» et «tu». Pro-noncée par Jean s’adressant à Pierre, la même phrase permet d’exprimer une proposition contradictoire, la proposition que Jean a raison et que Pierre a tort.

Faire appel à une conception indexicale de la relativité contextuelle des jugements moraux revient donc à considérer que les phrases permettant de proférer ces jugements contiennent des constituants linguistiques, peut-être inaudibles, dont la référence peut dépendre du contexte d’énonciation 5 . La première thèse que je voudrais défendre dans cet article est que ce modèle indexical du relativisme méta-éthique n’est pas plausible. Je développerai deux arguments en faveur de cette thèse. En premier lieu, je montrerai qu’il n’est pas plausible de soutenir que des expressions indexicales, articulées phonologiquement ou non, fi gurent dans les jugements moraux. Mais surtout, je soutiendrai que le modèle indexical rend peu convaincant l’argument central en faveur du relativisme méta-éthique. Il est facile de voir dès maintenant pourquoi. Considérons la phrase (4) : j’aime le haggis.

On peut facilement concevoir que Pierre et Jean entretiennent des attitudes divergentes vis-à-vis de (4) : Pierre accepte (4) parce qu’il est un grand ama-teur de la cuisine écossaise, mais Jean, qui ne partage pas ses goûts, la rejette. Il est clair que cette divergence d’attitudes vis-à-vis de (4) ne peut se trouver dissoute par une enquête empirique. Ce n’est certainement pas à cause d’un

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manque d’informations sur le monde que Pierre accepte la phrase (4) alors que Jean la rejette. Il y a à cet égard au moins une ressemblance avec le cas des désaccords moraux fondamentaux, qui, eux non plus, ne peuvent être tranchés à l’issue d’une enquête empirique.

Peut-on néanmoins interpréter la divergence des attitudes de Pierre et Jean vis-à-vis de (2) en prenant pour modèle leur divergence d’attitude vis-à-vis de (3)? Je soutiendrai que ce n’est pas le cas : le désaccord vis-à-vis de (4) est purement linguistique ou verbal, et il peut être dissout sitôt que l’on prête attention à l’indexicalité de l’expression «je». Or, il semble en aller bien différemment dans le cas de l’exemple (2), qu’il est diffi cile d’interpréter comme un désaccord verbal.

Je n’en déduirai pas pour autant qu’il faut nécessairement rejeter le relati-visme méta-éthique. Il me semble en effet qu’un second modèle interprétatif pour le relativisme, très différent du modèle indexical, peut être avancé. L’apport positif du présent article sera de présenter en détail cette seconde interprétation, que je vais pour le moment me contenter d’esquisser. Elle se fonde non pas sur une analogie avec les jugements indexicaux, mais sur une analogie avec le concept physique de relativité 6 . Considérons ainsi le désac-cord exprimé par le dialogue suivant (5) :

— Pierre : Jean est en mouvement. — Jean : Non, Jean n’est pas en mouvement.

Supposons d’autre part que Pierre soit situé sur le quai d’une gare, et qu’il observe le départ d’un train dans lequel Jean est installé comme voyageur. Le désaccord entre Pierre et Jean n’est pas explicable par un manque d’informations sur le monde : Jean croit qu’il ne bouge pas, et sa croyance selon laquelle il ne bouge pas est justifi ée par des expériences perceptives à la fois fi ables et correctes; Pierre croit que Jean bouge, et, de nouveau, sa croyance est correctement justifi ée. Il ne s’agit pas non plus d’un désaccord purement verbal, puisque l’expression «en mouvement», nous le verrons, ne peut pas être analysée de façon plausible comme une expression indexicale.

Pour un observateur au fait de la théorie galiléenne du mouvement, le désac-cord peut être expliqué de la façon suivante : Jean est bien en mouvement par rapport à un premier référentiel r 1 , disons le quai de la gare où se trouve Pierre; mais il est en repos par rapport à un second référentiel r 2 , constitué par le wagon dans lequel il a pris place. Ni Pierre ni Jean n’ont donc tort, et c’est la raison pour laquelle leur désaccord ne peut être tranché par une enquête empirique. Il s’agit d’un désaccord sans faute, qui ne repose pas sur un défi cit de rationalité.

Décrire correctement le modèle physique de la relativité n’est pas aussi trivial qu’il y paraît, néanmoins. Ce modèle se trouve en effet immédiatement confronté à un dilemme. S’il s’agit véritablement d’une explication alternative au modèle indexical, il faut considérer, comme nous l’avons souligné plus

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haut, que l’expression «en mouvement» n’est pas une expression indexicale; en conséquence, on doit inférer que les conditions de vérité des phrases énon-cées dans le dialogue (5) sont déterminées, de façon absolue, par les règles sémantiques, et ce indépendamment du contexte dans lequel le dialogue trouve place. Mais si c’est le cas, l’un des interlocuteurs dans le dialogue doit néces-sairement avoir tort et l’autre raison, et ce en vertu du principe logique de non-contradiction, puisque le premier interlocuteur attribue la propriété d’être en mouvement à Jean, alors que le second nie que Jean possède cette propriété. Dans la dernière partie du cet article, je montrerai que l’on peut sortir de ce dilemme sans pour autant faire du modèle «physique» du relativisme une simple variante notationnelle du modèle indexical.

2. Avant de présenter plus avant les arguments contre l’interprétation indexicale du relativisme méta-éthique, il me semble important de faire quelques remarques concernant la notion de désaccord moral fondamental. J’ai insisté, dans le paragraphe précédent, sur le fait que ces désaccords doivent être radicaux et non simplement superfi ciels : pour être fondamental, un désaccord moral ne doit pas pouvoir être résolu simplement à l’aide de données empiriques. Il faut aussi noter, à la suite de Tersman ( 2006 ), que les désaccords moraux fonda-mentaux doivent être sérieux et non simplement superfi ciels. Ils doivent être sérieux au sens où ils ne doivent pas consister en de simples malentendus. À cet égard, un désaccord fondé sur une homonymie ne devrait pas être consi-déré comme un désaccord moral fondamental. Considérons ainsi le désaccord suivant (6) :

— Pierre : Nous nous devons de protéger les loups. — Jean : Non, protéger les loups n’est pas un devoir moral.

Supposons que par «loups», Pierre entende les individus de l’espèce Canis lupus , tandis que Jean entende les individus d’une espèce de poissons. Certes, une enquête empirique ne permettra pas, à proprement parler, de résoudre le désaccord; néanmoins, il est bien évident qu’il s’agit d’un désaccord superfi ciel, qui peut être résolu par une discussion portant sur la façon dont les interlocu-teurs utilisent le terme «loup» : Pierre et Jean peuvent convenir qu’ils n’utilisent pas ce terme pour désigner la même espèce animale et par conséquent que leur querelle n’est rien d’autre qu’une querelle de mots. Je considérerai en général comme superfi ciels les désaccords portant sur le sens des mots, même lorsque ces désaccords ne reposent pas sur des malentendus linguistiques. Voici un exemple d’un tel désaccord superfi ciel (7) :

— Pierre : J’ai de l’arthrite à la cuisse. — Jean : Non, tu n’as pas de l’arthrite à la cuisse, l’arthrite est un problème d’articulation.

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La négation opérée par Jean dans ce dialogue est méta-linguistique : ce qu’il rejette, c’est le fait qu’on puisse nommer «arthrite» une lésion située au niveau de la cuisse. Il n’y a pas à proprement parler de malentendu dans cet exemple, mais bien un désaccord qui est malgré tout superfi ciel car il ne porte que sur le sens qu’il convient de donner à certaines expressions.

Il me semble donc que nous pouvons nous accorder sur le point suivant. Pour pouvoir être mentionné dans la prémisse de l’inférence à la meilleure explication en faveur du relativisme méta-éthique, un désaccord moral ne doit pas être superfi ciel : une discussion entre les interlocuteurs, portant sur la façon dont ils utilisent les expressions linguistiques permettant de formuler le désac-cord, ne doit pas permettre de faire disparaître celui-ci.

3. Cette mise au point étant effectuée, considérons plus en détail l’interprétation indexicale du relativisme méta-éthique, par exemple dans la version qu’a récemment présentée Jesse Prinz ( 2007 ). Selon Prinz, un jugement selon lequel X doit faire F est vrai si et seulement s’il est mal ( wrong ) de ne pas F-er selon le système de valeurs du locuteur et de X; par ailleurs, un jugement selon lequel F-er est mal ( wrong ) est vrai si et seulement si F-er est l’objet d’un sentiment de désapprobation parmi l’ensemble des individus saillants dans le contexte du jugement moral. Prinz soutient donc, de façon claire et explicite, une version de l’interprétation indexicale du relativisme méta-éthique. D’après lui, un jugement tel que (1) : il est mal d’exciser les petites fi lles, contient une expression indexicale qui renvoie au système de normes en vigueur dans une communauté contextuellement saillante. Certes, cette expression indexicale n’est pas articulée dans la forme phonologique de l’énoncé, mais elle n’en existe pas moins, et c’est son existence qui explique que les conditions de vérité de (1) soient relatives au contexte. Ainsi, l’énoncé (1), produit dans une communauté constituée d’individus occidentaux de culture libérale, exprime la proposition vraie selon laquelle il est mal selon le système de valeurs en vigueur dans la culture occidentale libérale d’exciser les petites fi lles. Prinz précise par ailleurs qu’exciser les petites fi lles est mal parce qu’une telle action est l’objet d’un sentiment de désapprobation dans l’ensemble des individus saillants dans le contexte du jugement, mais ce point n’importe pas pour notre discussion.

Soulignons d’emblée que dans son interprétation indexicale, le relativisme méta-éthique est entièrement solidaire d’une thèse sémantique concernant les jugements moraux : la thèse selon laquelle ces jugements contiennent des expressions indexicales, que ces expressions soient articulées phonologiquement ou non. Tout argument contre cette thèse sémantique est donc également un argument contre l’interprétation indexicale du relativisme méta-éthique. Or, il ne semble pas que cette thèse sémantique soit motivée par les données linguistiques : au mieux, il s’agit d’une hypothèse ad hoc ; au pire, d’une hypothèse incompatible avec les données disponibles.

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Au mieux une hypothèse ad hoc , puisque l’hypothèse sémantique de l’existence d’un constituant indexical inarticulé phonologiquement n’est pas motivée indépendamment de la discussion sur le relativisme méta-éthique. À cet égard, cette hypothèse doit être soigneusement distinguée d’autres hypothèses contextualistes du même type, qui postulent également des consti-tuants indexicaux cachés. Considérons l’exemple de l’adjectif «local», discuté dans Partee ( 1989 ) (8) : l’équipe de football locale s’est encore distinguée. Énoncée à Boulogne, la phrase (8) signifi e que l’équipe de foot de Boulogne s’est distinguée; énoncée à Montreuil, elle signifi e que l’équipe de foot de Montreuil s’est distinguée. Il semble plausible d’arguer, à tort ou à raison, que ce qui est dit par une énonciation de la phrase (8) dépend du contexte d’énonciation : il existe une intuition linguistique assez largement partagée, selon laquelle le référent de l’expression «l’équipe de football locale» varie avec le contexte d’usage de l’expression. Mais je pense que nous pouvons nous accorder sur le fait qu’il n’en va pas de même de l’expression «mal » dans la phrase (1). À supposer qu’il existe une intuition selon laquelle cette expression ferait référence à un système de valeurs, il ne me semble pas qu’on puisse considérer cette intuition comme purement linguistique, et donc indépendante de la théorie relativiste elle-même. Au contraire, dans l’acception commune, l’adjectif «mal» a un sens absolu, et il est facile de le contraster, à cet égard, avec des adjectifs comme «local» ou «grand».

Mais il y a pire, comme je le laissais entendre plus haut : certaines données linguistiques semblent incompatibles avec l’hypothèse indexicale 7 . En effet, lorsqu’un constituant linguistique opère un acte de référence indexicale ou démonstrative dans une phrase, il est normalement possible de reprendre la référence qui a été opérée de façon anaphorique. Considérons ainsi les énoncés suivants (9) : cet homme marche. Il fume la pipe; (10) : c’est ici que Pierre et Marie se sont rencontrés. C’est vraiment un lieu magnifi que.

Dans les deux cas, une expression référentielle dite «anaphorique» reprend l’acte de référence effectué à l’aide du démonstratif. Il y a tout lieu de considérer qu’en toute généralité, tout acte de référence peut être repris anaphoriquement. Or si c’est le cas, une reprise anaphorique faisant référence à un système de valeurs ou à une communauté servant de repère doit être non seulement possible, mais réellement observable, dans certaines utilisations des expres-sions morales. Cela ne semble pas être le cas, comme en témoignent les exemples suivants (11) : l’excision est moralement condamnable.?? Ce système de normes est drastique; (12) : il est mal d’avorter.?? Cette communauté a de drôles de valeurs.

Ce que semble montrer le caractère parfaitement incongru des exemples (11) et (12), c’est que l’utilisation d’expressions morales comme «moralement condamnable» ou «mal» ne va pas de pair avec un acte de référence renvoyant à un système de normes ou à une communauté servant de repère. Par ailleurs, les expressions appartenant au vocabulaire moral ne semblent pas se comporter comme des expressions indexicales dans les contextes de citation au discours

86 Dialogue

direct. On peut en effet rapporter au discours direct l’acceptation par un indi-vidu d’une phrase contenant un indexical, tout en rejetant soi-même cette phrase (13) : lorsque Pierre a dit «J’aime le haggis», il disait vrai. Mais moi, je n’aime pas le haggis. Or, il est diffi cile de trouver un équivalent de cette situation lorsque le vocabulaire moral intervient. Le discours (14) paraît en effet contradictoire : lorsque Pierre a dit «il est mal d’avorter», il disait vrai. Mais il n’est pas mal d’avorter.

S’il existait un acte de référence tacite à un système de valeurs dans le discours (14), il ne paraîtrait pas plus contradictoire que (15) : lorsque Pierre dit qu’il est mal d’avorter selon son système de valeurs, il dit vrai. Mais selon mon système de valeurs, il n’est pas mal d’avorter.

Enfi n, les philosophes du langage considèrent que les indexicaux possèdent une signifi cation linguistique fi xe à côté de leur dénotation contextuellement variable. Kaplan ( 1989 ) nomme «caractère» cette signifi cation, et il soutient qu’elle peut être en général identifi ée à une fonction des contextes d’énonciation vers l’ensemble des individus d’un domaine de discours. Ainsi, à l’indexical «je» est associé un caractère, que l’on peut décrire comme la fonction qui à chaque contexte d’énonciation possible fait correspondre l’unique producteur d’une occurrence donnée de «je» dans le contexte. C’est en vertu de ce carac-tère associé à «je» au travers des conventions linguistiques que chaque occur-rence du mot se trouve associée à un référent. L’existence de ces signifi cations linguistiques associées aux indexicaux explique que certains énoncés où fi gurent des indexicaux soient analytiquement vrais, bien qu’ils soient contin-gents. Voici quelques exemples d’énoncés analytiques en ce sens (16) : je suis le locuteur du présent énoncé; (17) : ici est le lieu où se trouve énoncée la présente phrase; (18) : cet homme est désigné par le locuteur du présent énoncé.

Aucune de ces phrases n’exprime de proposition nécessaire, mais chacune est analytiquement vraie en vertu des conventions permettant de déterminer les référents des indexicaux («je», «ici», «cet homme») qui y fi gurent 8 . Si les expressions du vocabulaire moral sont des indexicaux, ou du moins si les juge-ments moraux contiennent de tels indexicaux, on doit pouvoir également trouver des énoncés analytiquement vrais mais contingents, sur le modèle des exemples (16) à (18). Supposons ainsi qu’au mot «mal» soit associé, en vertu des conventions linguistiques, la propriété d’être l’objet de la réprobation de la plupart des agents de la communauté linguistique contextuellement saillante lors du jugement moral. L’énoncé (19) devrait dès lors être analytiquement vrai : s’il est mal d’exciser les petites fi lles, exciser les petites fi lles fait l’objet d’un sentiment de réprobation dans la communauté linguistique saillante lors de la présente énonciation.

Or, il est intuitivement évident que si (16’) est absolument inacceptable, (19’) est en revanche parfaitement soutenable (16’) : je ne suis pas le locuteur du présent énoncé; (19’) : il est mal d’exciser les petites fi lles, mais exciser les petites fi lles ne fait pas l’objet d’un sentiment de réprobation dans la commu-nauté linguistique saillante lors de la présente énonciation.

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Un locuteur affi rmant (16’) est ou bien incompétent quant aux règles linguistiques du français, ou bien il se contredit lui-même. En revanche, il n’est nullement contradictoire en français d’affi rmer qu’il est mal d’exciser les petites fi lles, tout en reconnaissant que dans une certaine communauté linguis-tique saillante, ce comportement n’est pas l’objet d’un sentiment général de désapprobation 9 .

4. Soulignons que ces différents arguments linguistiques renvoient tous à un problème de fond pour l’hypothèse indexicale. Comme le remarque Kalderon ( 2005 ), tout jugement moral semble véhiculer la présupposition selon laquelle l’auteur du jugement possède une certaine autorité morale à portée universelle. C’est la raison pour laquelle l’énoncé (14) semble inacceptable (14) : lorsque Pierre a dit «il est mal d’avorter», il disait vrai. Mais il n’est pas mal d’avorter.

Cela ne paraît pas acceptable, car en accordant que le jugement moral de Pierre est vrai, nous lui accordons une autorité morale à portée universelle; et du coup, il devient contradictoire d’affi rmer qu’il n’est pas mal d’avorter. Il semble donc que nous utilisons les expressions morales comme si elles avaient une portée universelle et absolue, et non comme des expressions dont la déno-tation dépendrait du contexte d’usage. Or, ce point n’est pas compatible avec l’hypothèse indexicale, puisque selon cette hypothèse un locuteur sait, en vertu de sa connaissance des conventions linguistiques, que les énoncés moraux contiennent des indexicaux, et donc que leurs conditions de vérité peuvent varier en fonction du contexte.

Arrivés à ce stade de notre discussion, l’analogie avec la relativité du mou-vement, et en général avec le caractère relationnel de nombreuses propriétés physiques, est particulièrement pertinente. Comme le souligne Boghossian ( 2006 ), il y a un contraste très net entre les énoncés (20) : Pierre est assis à gauche de Jean, et (21) : les feuilles de l’arbre bougent.

Il paraît en effet au moins plausible à première vue de soutenir que l’expression relationnelle «est assis à gauche de» est utilisée, dans (20), comme un indexical : ce qu’un locuteur veut dire lorsqu’il énonce (20), c’est que par rapport à son point de vue , Pierre est situé à gauche de Jean. C’est en revanche peu plausible en ce qui concerne les attributions de mouvement à des systèmes physiques. Si l’expression «bougent» est un indexical, si ce qu’un locuteur compétent du français (ou d’une langue dans laquelle (21) est traduisible) veut dire en énonçant (21) est que les feuilles de l’arbre sont en mouvement rela-tivement au référentiel constitué par la planète Terre, l’œuvre de Galilée peut être réduite à une analyse linguistique. Ce n’est évidemment pas le cas : parmi les nombreuses justifi cations que Galilée donne à sa conception relativiste du mouvement, on ne trouvera aucune trace de considérations linguistiques faisant appel aux conventions de la langue. On peut donner de nombreux exemples du même genre d’énoncés qui attribuent des propriétés qui se trouvent être rela-tionnelles, sans pour autant contenir d’indexicaux (22) : Pierre pèse 75 kg; (23) :

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il est exactement 17h; (24) : l’anniversaire de Pierre et celui de Jean ont eu lieu simultanément.

Un interprète connaissant la physique sait que ces énoncés attribuent, de fait, des propriétés relationnelles (22’) : le poids de Pierre est de 75 kg relativement au cadre de référence terrestre; (23’) : le moment actuel est identique à 17h relativement au fuseau horaire F; (24’) : l’anniversaire de Pierre est celui de Jean ont eu lieu à des instants simultanés relativement au référentiel R’.

Cependant, le fait que l’on puisse reconnaître le caractère relationnel des conditions de vérité des énoncés (22) à (24) lorsqu’on est compétent en physique n’implique pas que ce caractère relationnel soit encodé dans les conventions linguistiques. Un locuteur compétent du français peut utiliser, par exemple, l’énoncé (23), sans avoir aucune idée de ce qu’est un fuseau horaire; et il est probable que la grande majorité des utilisateurs du mot «simultanément» n’ont aucune idée du fait que la simultanéité est relative à un référentiel galiléen.

Cette discussion, fondée sur l’analogie avec la relativité des propriétés physiques, débouche sur la conclusion suivante : ce n’est pas parce que nous pouvons montrer, à l’aide d’une analyse scientifi que, que les conditions de vérité d’un énoncé sont relatives à un élément du contexte — par exemple, que l’attribution d’une relation de simultanéité entre deux instants est relative à un repère galiléen — que cette relativité est encodée linguistiquement, au travers de règles conventionnelles. Un locuteur compétent peut, en conséquence, exprimer des conditions de vérité relationnelles, tout en ignorant qu’elles sont relationnelles. Selon l’interprétation indexicale du relativisme méta-éthique en revanche, un locuteur compétent ne peut pas ignorer la relativité contextuelle des expressions morales. Le fait que l’énoncé (14) paraisse inacceptable constitue donc une première raison d’abandonner l’interprétation indexicale.

5. L’usage que nous faisons normalement des expressions morales, usage dans lequel nous leur donnons une portée universelle et absolue, semble contredire le modèle indexical. Je voudrais maintenant montrer que ce modèle n’est pas non plus compatible avec l’argument principal en faveur du relativisme méta-éthique. Rappelons que cet argument a la forme d’une inférence vers la meilleure explication, dont les prémisses et la conclusion sont les suivantes :

1) il existe des désaccords moraux fondamentaux, au sens où ils sont radi-caux (une simple enquête empirique ne permet pas de les éliminer) et sérieux (il ne s’agit pas de malentendus linguistiques);

2) le relativisme méta-éthique constitue la meilleure explication de l’existence de tels désaccords dans des communautés d’agents rationnels;

3) conclusion : le relativisme méta-éthique est vrai.

L’interprétation indexicale du relativisme méta-éthique sape cependant la pre-mière prémisse de l’argument. Supposons en effet que deux interlocuteurs,

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Pierre et Jean, discutent rationnellement de leur désaccord moral portant sur l’avortement. Pierre accepte l’énoncé moral (25), que Jean rejette : il est mal d’avorter.

D’après l’interprétation indexicale, la forme logique de cet énoncé comporte une expression phonologiquement inexprimée, renvoyant au contexte de l’énonciation. On peut donc paraphraser ainsi la signifi cation linguistique de (25) par (25’) : avorter est l’objet d’un sentiment de désapprobation parmi l’ensemble des individus saillants au moment de l’énonciation.

Puisque Pierre et Jean sont tous les deux des locuteurs compétents, cette signifi cation linguistique leur est cognitivement accessible, et ils peuvent même, bien entendu, y faire référence dans le cadre de leur discussion ration-nelle portant sur leur désaccord. Mais du coup, il leur est facile de dissiper le désaccord : il leur suffi t de prendre conscience que les individus saillants pour Pierre, pour lesquels avorter est l’objet d’un sentiment de désapprobation, ne sont pas les mêmes que les individus saillants pour Jean, qui, pour leur part, ne réprouvent pas l’action d’avorter. En conséquence, l’énoncé (25) n’a pas les mêmes conditions de vérité lorsqu’il est énoncé par Pierre et lorsqu’il est énoncé par Jean, et — ce point est crucial — les deux interlocuteurs le savent, puisqu’ils sont tous les deux des locuteurs compétents qui connaissent les con-textes respectifs des deux énonciations. Le désaccord moral entre Pierre et Jean n’est donc pas sérieux : il s’agit d’un simple malentendu linguistique, superfi ciel, qui n’a aucune raison de subsister.

Mais du coup, l’argument principal en faveur du relativisme méta-éthique s’effondre. Non seulement le relativisme méta-éthique n’est pas capable d’expliquer l’existence de désaccords moraux fondamentaux sérieux lorsqu’on l’interprète dans le cadre du modèle indexical, mais il devrait prédire que tous les désaccords moraux en apparence sérieux sont en réalité des désaccords superfi ciels, qu’une analyse de la sémantique des énoncés moraux pertinents et des circonstances de leur énonciation devrait permettre de dissiper sans diffi culté.

6. Je voudrais, avant de présenter l’interprétation du relativisme méta-éthique qui me semble la plus solide, commencer par discuter une version de l’interprétation indexicale qui s’est beaucoup développée récemment, en particulier depuis les travaux infl uents de J. MacFarlane, de M. Kölbel et de P. Lasersohn 10 . On peut qualifi er cette version de relativisme sémantique , car elle soutient qu’il existe des propositions relatives, dont la vérité ne peut être évaluée que relativement à des circonstances d’évaluation comportant certains paramètres. L’idée selon laquelle une proposition ou un énoncé pourraient être évalués relativement à des circonstances d’évaluation est issue de la sémantique intensionnelle. En logique modale par exemple, cette idée est utilisée pour interpréter les énoncés modaux. Ainsi, l’énoncé (26) : Wittgenstein aurait pu avoir un fi ls, est vrai si et seulement s’il existe un monde possible w relativement auquel l’énoncé

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«Wittgenstein a un fi ls» est vrai. La sémantique intentionnelle des temps linguistiques fait fond sur la même idée, en incluant des instants, à côté des mondes possibles, dans les circonstances d’évaluation. De la sorte, l’énoncé (27) est vrai au moment présent t : Pierre travaillera dans une banque, si et seulement s’il existe une circonstance d’évaluation contenant le monde réel ainsi qu’un instant t’ postérieur à t, relativement à laquelle l’énoncé «Pierre travaille dans une banque» est vrai. Selon le relativisme sémantique, on doit inclure d’autres paramètres qu’un monde possible et un instant dans les circons-tances d’évaluation afi n d’évaluer certains jugements de valeurs.

Considérons en effet les désaccords portant sur les questions de goût, dont la prise en compte a joué un rôle central dans cette école de pensée (28) :

— Pierre : Le haggis est délicieux. — Jean : Non, le haggis n’est absolument pas délicieux.

Si l’on considère que ces énoncés comportent un indexical caché, le désaccord entre Pierre et Jean ne sera qu’apparent : les conditions de vérité de la pro-position assertée par Pierre ne seront en effet pas les mêmes que les conditions de vérité de la proposition assertée par Jean. On peut s’en apercevoir en décri-vant les croyances des deux interlocuteurs : Pierre considère que le haggis est délicieux selon ses propres préférences (auxquelles on supposera qu’un élément indexical fait référence), alors que Jean, lui, considère que le haggis n’est pas délicieux selon ses préférences à lui 11 . Accepter l’énoncé de Pierre, tout bien considéré, ne conduirait donc pas Jean à changer ses propres opinions. Or les relativistes sémantiques veulent absolument expliquer l’intuition selon laquelle un véritable désaccord se trouve exprimé entre Pierre et Jean au travers du dialogue ci-dessus.

La solution proposée consiste à abandonner l’hypothèse selon laquelle une référence serait faite à un paramètre du contexte d’énonciation par une expres-sion linguistique indexicale, et à la remplacer par une hypothèse relativiste : il y a bien un même et unique contenu propositionnel qui se trouve accepté par Pierre et rejeté par Jean dans (28), mais lorsqu’on considère les jugements respectifs de Pierre et de Jean, cet unique contenu doit être évalué relativement à des circonstances d’évaluation différentes : relativement aux circonstances contenant le système de valeurs gustatives de Pierre, l’énoncé «le haggis est délicieux» est vrai; mais relativement aux circonstances contenant le système de valeurs gustatives de Jean, ce même énoncé est faux.

Les relativistes sémantiques concluent qu’un dialogue comme (28) exprime un désaccord sans faute (faultless disagreement) : désaccord parce que Jean ne peut pas accepter la proposition exprimée par l’énoncé proféré par Pierre sans changer ses opinions; mais désaccord sans faute, car ni Pierre ni Jean ne com-mettent d’erreur dans leur jugement, ni ne font preuve d’irrationalité.

Une interprétation relativiste (au sens sémantique) du relativisme méta-éthique est bien entendu immunisée contre les arguments linguistiques que j’ai

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passés en revue, et qui visaient à réfuter l’hypothèse selon laquelle les jugements moraux comportent des expressions indexicales éventuellement cachées : une telle interprétation ne postule en effet pas qu’il existe de telles expressions. En revanche, l’argument développé au début de la section précédente continue d’être valide. Si l’on interprète les jugements moraux sur le modèle de l’analyse proposée par les relativistes sémantiques pour les jugements de goût, on doit soutenir qu’il existe une règle sémantique, faisant partie des conventions linguistiques gouvernant l’usage des expressions morales, imposant aux locuteurs d’évaluer les jugements moraux relativement à des circonstances d’évaluation contenant par exemple des systèmes de normes, ou des ensembles d’agents doués de sentiments moraux. Il est du coup diffi cile dans le cadre d’une telle interprétation de considérer les désaccords moraux fondamentaux comme des désaccords sérieux. Certes, il ne s’agit pas de simples malentendus linguistiques; mais il s’agit pourtant de désaccords superfi ciels, qui ne naissent que de l’utilisation de circonstances d’évaluation différentes pour l’évaluation d’un même énoncé. Or, si l’on peut tout à fait considérer que les querelles de goût sont superfi cielles en ce sens, il semble plus diffi cile de le faire en ce qui concerne les débats moraux. Comme je l’ai souligné dans la section 4, il semble que nous fassions un usage universel et absolu des expressions qui appartiennent au vocabulaire moral. C’est une caractéristique essentielle de ce vocabulaire, qui le distingue précisément du vocabulaire du goût ou du vocabulaire normatif concernant les usages socialement acceptés et les coutumes.

7. Selon les interprétations indexicale et relativiste (au sens sémantique) du rela-tivisme méta-éthique, la relativité contextuelle des expressions morales trouve son origine dans les règles sémantiques. C’est la raison pour laquelle ces inter-prétations m’ont semblé peu à même de fournir une explication véritablement satisfaisante de l’existence de désaccords moraux sérieux . Il semble cependant possible d’approfondir une interprétation concurrente du relativisme méta-éthique qui part de l’analogie avec la relativité de certaines propriétés phy-siques. Rappelons les principaux exemples discutés plus haut (21) : les feuilles de l’arbre bougent; (22) : Pierre pèse 75 kg; (23) : il est exactement 17h.; (24) : l’anniversaire et celui de Jean ont eu lieu simultanément.

Chacune de ces vérités est semble-t-il relative, au moins au sens suivant : si les feuilles bougent, c’est relativement au repère constitué par la Terre; si Pierre pèse 75 kg, c’est relativement à l’accélération gravitationnelle créée par la Terre; etc. Comme je l’ai souligné, il n’est pas plausible de considérer que cette relativité soit encodée linguistiquement : un locuteur peut utiliser tous ces énoncés de façon parfaitement compétente sans même savoir qu’il s’agit de vérités relatives.

L’analogie avec les exemples physiques semble donc constituer une porte de sortie élégante, permettant d’interpréter le relativisme méta-éthique tout en donnant une explication satisfaisante à l’existence de désaccords moraux

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fondamentaux. Supposons que certaines expressions morales désignent des propriétés relationnelles — exactement comme le verbe «bouger» dans (21) ci-dessus —, sans que ce caractère relationnel soit encodé au travers de règles linguistiques. Une telle hypothèse permet d’expliquer à la fois le caractère radical et sérieux des désaccords moraux. Ces désaccords sont radicaux, car, comme les expressions morales désignent des propriétés relationnelles, deux locuteurs peuvent exprimer un désaccord impossible à résoudre par une simple enquête empirique. Reprenons l’exemple (29) :

— Pierre : Il est mal d’avorter. — Jean : Non, il n’est pas mal d’avorter.

Décrite de la façon la plus adéquate possible, c’est-à-dire par un théoricien connaissant la théorie du relativisme méta-éthique (que l’on supposera vraie pour les besoins de la discussion), ces énoncés ont des conditions de vérité du type suivant (29’) :

— Pierre : Dans la communauté saillante pour Pierre, avorter suscite un sentiment de désapprobation. — Jean : Dans la communauté saillante pour Jean, avorter ne suscite pas de sentiment de désapprobation.

Une fois formulé de la sorte, le désaccord disparaît; néanmoins, il n’est pas superfi ciel, car il ne suffi t pas de maîtriser les règles du langage commun pour pouvoir formuler le dialogue ainsi : il faut également connaître la théorie du relativisme méta-éthique. Or on peut supposer que deux agents peuvent être parfaitement rationnels, posséder toutes les informations empiriques pertinentes au sujet de l’avortement, tout en ignorant cette théorie.

Cette interprétation du relativisme méta-éthique est clairement d’esprit minimaliste, au sens que Cappelen et LePore (2006) donnent à ce terme. Le point central est en effet de considérer que la relativité des propositions morales provient non pas des expressions ou des concepts moraux, mais des propriétés désignées par ces expressions ou ces concepts. Il nous faut du coup discuter une objection assez évidente contre cette interprétation d’esprit minimaliste.

L’objection en question possède la forme suivante. Supposons que nous souhaitions analyser le dialogue (29) et décrire les conditions de vérité des deux jugements qui y fi gurent. Nous pouvons le faire en utilisant le français standard comme méta-langage. Selon notre approche minimaliste, la relativité contextuelle des propriétés morales n’est pas encodée linguistiquement. De la simple application des règles sémantiques, nous obtenons donc la description suivante des conditions de vérité (30) : «Il est mal d’avorter» est vrai si, et seulement si, il est mal d’avorter, simpliciter ; (31) : «Il n’est pas mal d’avorter» est vrai si, et seulement si, il n’est pas mal d’avorter.

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Il semble donc exister une proposition, la proposition selon laquelle il est mal d’avorter , que Pierre accepte et que Jean rejette. Si c’est le cas, le principe logique de non-contradiction implique que l’une des deux parties a raison et que l’autre tort. Mais dans ce cas, le désaccord moral en question ne peut plus être considéré comme radical : n’est-on alors pas conduit, en effet, à penser qu’un des deux interlocuteurs est en faute du point de vue épistémique? Cela devrait nous amener à penser qu’il n’existe pas vraiment de désaccords moraux fondamentaux, ce qui détruirait l’argument principal en faveur du relativisme méta-éthique.

Afi n de répondre à cette objection, commençons par remarquer que l’on peut décrire une situation exactement analogue faisant intervenir le concept de mouvement. Reprenons en effet le dialogue (5) :

— Pierre : Jean est en mouvement. — Jean : Non, je ne suis pas en mouvement.

L’approche minimaliste fournit les conditions de vérité suivantes (32) : «Jean est en mouvement» est vrai si et seulement si Jean est en mouvement; (33) : «Jean n’est pas en mouvement» est vrai si et seulement si Jean n’est pas en mouvement. Ces conditions de vérité ne sont pas relatives à quoique ce soit, puisque nous utilisons, dans la partie droite du si et seulement si , un concept absolu de mouvement pour les décrire 12 . Comme précédemment, il y a donc une proposition, la proposition selon laquelle Jean est en mouve-ment, que Pierre accepte et que Jean rejette. On devrait donc, selon le principe de non-contradiction, en inférer que l’un des deux a raison et que l’autre a tort.

Cette dernière conclusion n’est pas nécessairement incorrecte, ni bien entendu gênante pour la conception relativiste du mouvement. Nous savons, car nous connaissons la physique galiléenne, que même si nous utilisons couramment l’expression «être en mouvement» comme désignant une pro-priété monadique — si donc, en ce sens, nous l’utilisons de façon absolue —, la propriété d’être en mouvement est en réalité relative : on ne peut parler de mouvement que relativement à un repère. Néanmoins, à une relation binaire correspondent autant de propriétés monadiques qu’il y a de façons de spécifi er l’un de ses relata . Ainsi, à la relation être le père de correspondent les proprié-tés monadiques d’être le père de Jean, d’être le père de Marie, d’être le père de Pierre, etc. De la même façon, à la relation binaire d’être en mouvement rela-tivement à correspondent autant de propriétés monadiques qu’il y a de façons de fi xer un repère inertiel relativement auquel un état de mouvement peut être attribué à un système. Il existe donc bien une propriété monadique d’ être en mouvement relativement au référentiel constitué par la planète Terre , et l’on peut suggérer que la grande majorité des usages de l’expression «être en mou-vement» peuvent être interprétés comme désignant cette propriété. Selon cette analyse, c’est Pierre qui a littéralement raison dans le dialogue. Littéralement,

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Jean a tort. Cependant, on peut lui attribuer la propriété d’être en repos relativement au référentiel constitué par le train ; comme cette propriété ressemble à la propriété d’être en repos relativement au référentiel consti-tué par la Terre à de nombreux égards 13 , il est légitime que Jean soutienne ne pas être en mouvement. On peut donc comprendre l’intuition selon laquelle aucun des interlocuteurs n’est en faute dans la situation épistémique du dialogue 14 .

Cette analyse s’applique également aux jugements moraux. Selon l’interprétation minimaliste du relativisme méta-éthique que je propose, on peut interpréter cette théorie comme soutenant que les propriétés morales fondamentales sont des propriétés relationnelles qui sont représentées linguistiquement comme des propriétés monadiques. On peut facilement ré-interpréter les suggestions des principaux tenants de la position relativiste dans ce cadre théorique. Repre-nons, à titre d’illustration, les suggestions de Jesse Prinz ( 2007 ). Conformément à l’esprit de son approche, nous pourrons dire qu’une action est mauvaise moralement si et seulement si elle est l’objet d’un sentiment de désapprobation dans une certaine communauté linguistique — en soulignant cependant qu’il ne s’agit pas là de l’analyse linguistique de l’expression «être une action moralement mauvaise», mais plutôt d’une analyse métaphysique de la propriété d’être une action moralement mauvaise . Comme dans le cas du mouvement, la relation d’être l’objet d’un sentiment de désapprobation dans une certaine communauté linguistique produit autant de propriétés monadiques qu’il y a de façons de fi xer la communauté linguistique en question. Il me semble que le relativiste méta-éthique sera du coup bien armé pour répondre à l’objection présentée ci-dessus. Reprenons une nouvelle fois l’exemple du désaccord moral entre Pierre et Jean (29) :

— Pierre : Il est mal d’avorter. — Jean : Non, il n’est pas mal d’avorter.

Si Pierre et Jean appartiennent à la même communauté linguistique, le désaccord ne peut être interprété comme radical : l’un des deux interlocuteurs a raison, et l’autre a tort. En revanche, si Pierre et Jean appartiennent à des communautés linguistiques différentes, il est possible de comprendre le désaccord comme radical : en attribuant à l’action d’avorter la propriété d’être mauvaise, Pierre, dans son idiolecte, lui attribue en fait la propriété d’être l’objet de désapproba-tion dans la communauté de référence C 1 ; Jean en revanche, dans son propre idiolecte, nie que cette action possède la propriété d’être l’objet de désap-probation dans la communauté de référence C 2 . Ni Pierre ni Jean ne sont nécessairement en tort du point de vue épistémique. Pourtant, leur désaccord reste sérieux, car rien dans les règles linguistiques qu’ils maîtrisent l’un et l’autre n’indique que la propriété désignée par le concept moral «être une mauvaise action» peut être analysée métaphysiquement comme une propriété relationnelle.

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8. Mon but dans cet article n’était pas de défendre le relativisme méta-éthique, mais d’en proposer une nouvelle interprétation. J’ai commencé par développer plusieurs arguments contre l’interprétation indexicale de cette position, inter-prétation la plus répandue. Ces arguments montrent que cette interprétation n’est pas plausible. J’ai ensuite proposé de prendre modèle sur l’analyse que l’on peut faire de la relativité de certaines propriétés physiques comme le mouvement ou le poids. Cela m’a conduit à proposer une version minimaliste de la position relativiste. Selon cette version, les concepts moraux sont utilisés de façon absolue — de la même façon d’ailleurs que nous utilisons le concept de mouvement dans notre physique naïve. Il est cependant possible d’analyser les propriétés que désignent ces concepts comme des propriétés relationnelles, exactement de la même façon qu’il est possible (et même souhaitable selon la physique galiléenne) d’analyser la propriété que possède un système lorsqu’il est en mouvement comme une propriété relationnelle.

Notes 1 Cette interprétation commune est présentée par exemple dans Dreier ( 1990 ). Plus

récemment, Prinz ( 2007 ) en propose une défense détaillée. C’est en général à la présentation de Prinz ( 2007 ) que nous nous référerons.

2 Sur la philosophie du désaccord, voir Feldman et Warfi eld ( 2010 ); sur les désaccords moraux fondamentaux, voir tout particulièrement Tersman ( 2006 ).

3 L’argument d’ensemble de Prinz ( 2007 ) constitue un bon exemple d’une justifi cation du relativisme méta-éthique par une inférence à la meilleure explication.

4 Cf. Dreier ( 1990 ), Prinz ( 2007 ). On parle souvent de position «contextualiste», dans la littérature sur le relativisme, pour désigner ce que je décris comme l’interprétation « indexicale» du relativisme méta-éthique. Voir Brogaard ( 2008 ), ainsi que la discussion générale très utile de Boghossian ( 2006 ).

5 En toute rigueur, il faudrait distinguer deux versions de l’interprétation indexicale. Selon la première version, les expressions morales elles-mêmes se comportent comme des indexicaux. De la même manière que l’adjectif «local» paraît désigner indexicalement une relation de localité relative à un lieu saillant au moment de l’énonciation, un adjectif comme «bon» désigne selon cette version une certaine relation, dont un des relata est déterminé indexicalement à partir du contexte d’énonciation. Selon la seconde version, la relativité contextuelle des jugements moraux ne s’explique pas par le caractère indexical des expressions morales elles-mêmes, mais plutôt par la présence de constituants implicites, cachés, ou inarticulés, qui bien que présents dans la forme logique des énoncés, n’ont pas de réalisation phonologique. Une des sources principales de cette idée de constituants cachés est Partee ( 1989 ).

6 Je suis sur ce point Boghossian ( 2006 ), qui essaie lui aussi de clarifi er la position relativiste à l’aide d’une comparaison entre les concepts moraux et le concept de mouvement.

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7 La discussion des données linguistiques s’inspire de la discussion critique du contextualisme développée dans Cappelen et LePore (2005).

8 Sur tous ces points, voir Kaplan ( 1989 ). 9 Prinz ( 2007 ) discute des exemples semblables, mais arrive à des conclusions

exactement opposées aux miennes. 10 Voir en particulier MacFarlane ( 2005 , 2007 ), Kölbel ( 2004 ) et Lasersohn ( 2005 ).

Voir également Stojanovic ( 2007 ) pour une comparaison entre contextualisme et relativisme.

11 Comme le souligne Kölbel ( 2004 , p. 53), il est nécessaire, pour qu’il y ait bien désaccord, que les croyances (ou les jugements) des deux interlocuteurs soient contradictoires.

12 Je suis en désaccord, sur ce point, avec Gilbert Harman qui, dans Harman et Thomson ( 1996 ), soutient que les énoncés portant sur le mouvement ont des conditions de vérité relatives. Comme le remarque cependant Boghossian ( 2006 ), accepter une telle thèse reviendrait à abandonner le principe de décitation, ce qui n’est guère souhaitable. Selon Harman, les utilisateurs du concept commun et absolu de mouvement commettent une erreur systématique, puisqu’ils utilisent un concept absolu pour désigner une propriété relative. C’est pour éviter de devoir postuler l’existence d’une telle erreur que Harman introduit le concept de conditions de vérité relatives : selon lui, les conditions de vérité des énoncés portant sur le mouvement sont relatives, sans que les utilisateurs de ces énoncés en soient conscients. Mais comme le montre notre discussion, la thèse de l’erreur systématique n’est pas justifi ée : il existe bel et bien une propriété monadique de mouvement, la propriété d’être en mouvement relativement à la Terre, dont on peut penser qu’elle est dénotée par le concept absolu dans la quasi-totalité de ses usages. On peut donc affi rmer à la fois que les conditions de vérité des énoncés attribuant des états de mouvement à des systèmes physiques sont absolues, que ces énoncés parlent bien, comme l’indique leur forme logique, d’une propriété monadique, et qu’ils sont pour la plupart corrects.

13 Nous savons pourquoi ces deux propriétés se ressemblent autant : la propriété d’être en mouvement relativement au référentiel constitué par la Terre et la propriété d’être en mouvement relativement au référentiel constitué par le train comportent en effet toutes les deux la relation d’être en mouvement relative-ment à _ comme constituant. C’est d’ailleurs ce qui fait la force du relativisme en physique : il est capable d’expliquer la ressemblance entre ces deux propriétés par le fait qu’elles sont toutes les deux constituées à partir d’une unique relation.

14 L’idée juste derrière le concept de conditions de vérité relatives mis de l’avant par Gilbert Harman dans Harman et Thomson ( 1996 ) me semble la suivante : même si notre concept commun de mouvement, qui est un concept absolu, désigne une propriété monadique, cette propriété comporte une relation comme constituant — de la même manière que la propriété d’être le père de Wittgenstein comporte, comme constituant, la relation d’être le père de _ . Cela ne rend pas pour autant les condi-tions de vérité des énoncés portant sur le mouvement relatives ; mais cela permet de comprendre l’intérêt qu’a une description relativiste (au sens galiléen) de ces conditions de vérité.

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