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© septembre 2006. Reproduction interdite
Recherche
De l’intérêt des théories systémiques pour la recherche
appliquée aux soins Descriptif : L’approche systém ique const itue une base théorique supplémentaire au service des soignants, praticiens et chercheurs dans la recherche en soins. Elle s’inscrit dans une démarche globale et un prolongement du travail du soignant.
Marc Catanas, cadre de santé Marseille
La conception de l’homme telle qu’elle est exprimée par les courants de pensée
infirmiers est essentiellement érigée d’un point de vue systémique. La définition
proposée par Lynda Juall Carpenito en est l’illustration :
« Toute personne représente un système ouvert avec des modèles individuels
d’interaction. Ces modèles réagissent en fonction des processus vitaux
(physiologique, psychologique, socioculturel et spirituel), et influencent le
comportement et la santé du sujet ». Partant de cette définition, le soin infirmier ne
peut plus être réduit à une succession de gestes, mais devient un système d’actions
organisées répondant au besoin de santé d’un groupe ou d’un individu, ce dernier
étant considéré comme une personne dont les aspects biologiques, psychologiques et
socioculturels sont en interrelation entre eux et en interaction avec l’environnement.
L’idée de considérer les faits humains comme des systèmes a reçu son impulsion
décisive durant les années 1950-60.
Tout un courant de chercheurs [1] se sont intéressés aux rapports entre différents
mécanismes d’une machine et, par extension, de l’individu avec le système social
dans lequel il vit.
Ils ont mis en évidence des systèmes d’interactions individuelles par lesquels
l’individu devient un être social. Leur intérêt allait aux formes générales de la
transmission des savoirs et aux formes de la communication, et cela a ouvert la voie à
de nouvelles perspectives en sciences humaines et à de nombreuses innovations
thérapeutiques.
Les théories systémiques sont désormais largement utilisées en sociologie, histoire et
psychiatrie, et influencent de nombreux psychanalystes contemporains. La
psychologie cognitive peut être considérée comme un développement de la
systémique dans la direction du traitement de l’information. La pédagogie moderne
s’est également largement transformée grâce aux théories systémiques. En fait, il
n’existe pas un domaine impliquant les relations humaines qui soit soustrait à leur
influence.
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À côté de la psychanalyse et des théories comportementales, la systémique constitue
une des trois voies principales de tentative d’explication des faits humains. Leur étant
postérieure, elle adopte un grand nombre de leurs conclusions et tient compte de
leurs acquis.
Qu’est-ce que les théories systémiques et comment peuvent-elles servir la recherche
en soins ? C’est là l’objet de cet article.
Qu’est ce qu’un système ?
Un système est un ensemble relativement stable d’éléments en interaction, organisé
de telle façon qu’une modification d’un des éléments entraîne une modification de
tous les autres.
Il se définit par sa structure, c’est-à-dire son réseau de relations, ainsi que par son
caractère fonctionnel, et doit être considéré en soi, comme une totalité
communiquant avec l’extérieur par des entrées et des sorties.
La propriété la plus frappante des systèmes est l’homéostasie.Un système “sait”
s’autoréguler : il est capable de modifier certaines de ses réactions en fonction de
changements internes ou externes, de façon à maintenir sa stabilité.
Cette notion d’homéostasie résulte des recherches sur la cybernétique, c’est-à-dire
quand s’est posée la nécessité de construire des machines capables de se régler elles-
mêmes, de s’autoréguler, comme celles qui servent au pilotage automatique ou, plus
simplement, comme le thermostat d’un radiateur électrique.
L’organisme est le premier modèle de tous les systèmes, mais tous ne sont pas aussi
complexes. Pratiquement, comme l’a montré Joël de Rosnay, tout ensemble stable
peut être considéré comme un système et étudié de ce point de vue : une entreprise,
un hôpital, un service sont des systèmes.
La première implication de l’abord systémique est le changement. En effet, un
véritable changement implique, en premier lieu, une bonne connaissance du système.
Pour changer les règles, il faut d’abord les connaître. D’un point de vue pratique, une
fois les règles connues, il s’agit de trouver par où, en quel point du système et de
quelle façon intervenir en fonction des objectifs que l’on s’est donnés. Certains actes
seront vains, le système les englobera, d’autres le feront exploser, enfin, certains
pourront engendrer des effets pervers sans modifier de façon significative ni
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l’élément visé, ni le système.
À titre d’exemple, dans un service de soins, l’arrivée d’une infirmière ou son départ,
un changement dans les rapports médecin/ infirmière, créent un déséquilibre que
l’équipe soignante va forcément compenser pour exister en tant que telle.
Enfin, l’autorégulation constitue l’élément original de la théorie des systèmes. C’est la
boucle rétroactive ou feed-back : le système se modifie de façon à pouvoir continuer à
fonctionner le plus normalement possible en fonction des informations qu’il a reçu en
un temps donné. La rétroaction, qu’elle soit positive ou négative, représente un
changement du système par réponse-adaptation.
Systémisme, Individualisme et Paradoxe
L’abord systémique s’oppose à l’abord individualiste comme ce qui est externe et
interne. Plutôt que d’étudier les propriétés d’un individu comme des émanations de
sa nature, on étudie l’individu en tant qu’élément du ou des systèmes dont il fait
partie.
À partir de ce qui est observable, au lieu de faire des hypothèses sur sa structure
interne, on décrit la nature de ses échanges avec son milieu. On s’aperçoit alors que
ces échanges ou interactions sont bien plus importants que les propriétés
intrinsèques de l’individu et rendent mieux compte de la réalité.
Un système n’est jamais totalement fermé.
Il en résulte qu’il doit toujours être considéré comme faisant système avec son
contexte. Dans ce cas, il est capital de ne pas confondre un élément du contexte et un
élément du système.
Cette distinction est reliée à un fondement logique et s’appuie sur des paradoxes,
c’est-à dire une proposition contenant une double contradiction interne : au moment
où elle est vraie, elle est fausse, et inversement.
Le paradoxe le plus connu, emprunté aux sophistes grecs, est celui du menteur. En
disant : « Je suis un menteur », je mens en disant la vérité et je dis la vérité en
mentant. Il y a donc aporie, c’est-à-dire une contradiction dont on ne peut jamais
sortir.
La solution consiste à poser qu’un élément d’un ensemble ne peut jamais se situer en
même temps dans cet ensemble et à l’extérieur de cet ensemble. Cela est un point
important pour la recherche appliquée aux soins.
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Il existe en fait une fonction psychologique des paradoxes développée par l’école de
Palo Alto [2]. Alors que la logique est faite pour les éviter et les résoudre, ils
permettent d’expliquer des réalités psychologiques mystérieuses comme la folie, la
création, certaines formes irrationnelles de pouvoir.
Ils peuvent aussi revêtir une fonction thérapeutique et sont une donnée constante de
l’expérience humaine et de la communication.
Quelle application pour la recherche en soins ?
Une recherche menée par Alex Mucchielli souligne le point de vue de la
problématique soignante. Il fait le constat d’une analyse erronée de type “cause à
effet”, utilisée par les corps médical et soignant à l’hôpital pour l’analyse des
problèmes organisationnels et humains.
Montrant que les professionnels de santé « agissent sur les signes sans traiter leurs
véritables origines », il propose un traitement systémique, c’est-à-dire, s’attaquant en
même temps à plusieurs causes des dysfonctionnements de l’hôpital.
Effectivement, ce qui semble paradoxal, c’est que l’originalité des soins infirmiers
repose sur le fait qu’ils prennent en considération la globalité des personnes soignées,
donc leur complexité. Or, l’utilisation d’une méthodologie inductive ou déductive
reste le modèle dominant d’explication, “prêt à penser” des problématiques.
L’effet négatif serait, à ce titre, de passer à côté du problème ou de ne le résoudre
qu’en partie. Le recours à des batteries d’outils, tels les questionnaires, entretiens,
observations, devient souvent le tout de la recherche, laissant de côté des questions
fondamentales sur le sens même, l’essence de la recherche et son impact pour le
chercheur, les bénéficiaires directs ou l’organisation.
L’utilisation des théories systémiques appliquée à la recherche en soins se situe alors
dans la continuité du travail du soignant, puisque ces théories permettent de passer à
l’observation et à l’analyse des attitudes, comportements et relations (interactions), le
tout d’un point de vue holistique.
S’interroger sur le vécu d’un soin (interaction) plutôt que sur l’objet soin ou le sujet
soigné (éléments) s’inscrit dans une démarche systémique. Pour ce faire, la prise en
compte des dimensions socio-culturelles, psychologiques et institutionnelles de ceux
qui soignent et de ceux qui reçoivent le soin (environnement) est indispensable dans
la recherche d’une explicitation de ce vécu.
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Pour Jean-Claude Lugan, « le concept de système ne sert à rien, parce qu’il est si
vaguement défini que tout est système ; or un concept qui s’applique à n’importe quoi
est logiquement vide ».
Face à cette attaque, l’approfondissement épistémologique apporté par Edgar Morin
montre l’intérêt de l’approche systémique. Ainsi, selon cet auteur, la complexité d’un
système s’appréhende dans le caractère d’unité d’une part, et dans celui de diversité
d’autre part : le personnel d’un service a le même objectif, et chaque objectif
personnel est intéressant ; la finalité du groupe doit être la résultante des objectifs de
chacun et de tous.
Cette conception dia[lectique], dia[logique] est un moyen d’entrevoir une partie d’un
problème, toujours rattachée à une autre. On peut alors transposer ce modèle dans
l’explication d’une pratique avec l’aide de plusieurs théories, théories enrichissant la
pratique et réduisant les phénomènes.
Seulement, la recherche des théories ou lois universelles, des vérités et des
mécanismes généraux réduit ce dont elle s’occupe à quelques facteurs manipulables.
De plus, trop souvent dans le milieu soignant, on oppose théorie et pratique en
fonction du lieu (école ou stage) ou en fonction du discours (les théoriciens loin du
terrain et les professionnels de terrain). Or ce que les soignants nomment “théorie”
ne constitue que des savoirs spéculatifs déconnectés de la profession, qui en donnent
une image mécanique.
Si la recherche en soins, c’est-à dire une recherche universitaire dont le but est de
contribuer (par le choix de ses objets de recherche) à l’identité du corps soignant (et
infirmier) a de l’avenir et une mission sociale, c’est bien en mettant au jour certaines
des théories de, et pour la recherche.
Enfin, le dernier point à envisager est que le soignant travaille seul au lit du malade.
Ce rapport d’individu à individu devient rapidement un modèle valorisant dans la
relation, au détriment d’une distanciation nécessaire, afin de permettre de donner du
sens aux pratiques. Relier les différentes observations du soignant (éléments du
système) est un moyen pour la recherche en soins de donner des principes
d’intelligibilité des pratiques.
À ce titre, il s’avère désormais important de développer la recherche appliquée aux
soins. Ainsi, un institut de formation en soins devrait aujourd’hui être en relation
avec un centre de recherche. Cela permettrait aux soignants d’éviter de confondre la
recherche en soins et l’établissement d’un corpus de recettes, d’opérations à suivre à
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la lettre, de protocoles transmissibles et reproductibles, pensés en termes d’efficacité.
Plutôt que de conceptualiser, on rationalise encore et toujours des pratiques, et les
praticiens s’empressent et s’obligent à les appliquer sans réellement y croire. La
théorisation inhérente au processus de recherche en soins devient, de ce fait, un outil
de lecture de la pratique du soignant lui-même, lui permettant une autre façon de
faire, de voir, d’anticiper.
Les théories systémiques s’inscrivent dans cet éclairage et permettent de comprendre
d’une manière globale ce que l’on fait, de construire du sens dans la pratique et de la
transformer en praxis [3].
CONCLUSION
Pour le praticien ou le chercheur, les théories systémiques constituent un élément de
compréhension supplémentaire, qui lui permettent de construire du sens sur et dans
sa pratique.
La recherche produit des théories qui sont nécessaires mais non suffisantes pour
donner des réponses à ce qui pose problème dans la pratique. Ainsi, ces théories
constituent un élément de référence qui permet d’écrire un texte [4] sur la pratique
et, en développant un projet, de favoriser la créativité.
Elles s’inscrivent dans la méthodologie de recherche, en tant que discours ou science
qui va mettre sur la voie de la transformation, d’où évolution. Et, constituant un
système, celui-ci doit rester ouvert pour vivre et évoluer, mais cela est une autre
affaire... ?
P.S
Publié suite à l’autorisation de la Revue Soins Cadres n°44, novembre 2002, MASSON
Editeur http://www.masson.fr
RÉFÉRENCES
• Carpenito L. J., Diagnostics infirmiers, Medsi, 1993
• Lugan J.-C., La systémique sociale, Que sais- je, n° 2738, PUF, 1993
• Morin E., Introduction à la pensée complexe, ESF, 1990.
• Mucchielli A.,Hart J., Soigner l’hôpital. Diagnostics de crise et traitements de choc,
Lamarre, 1994.
• Mucchielli A., Soigner l’hôpital, Sciences Humaines, 1994 ; 44.
• Rosnay (de) J., Le macroscope, Points Seuil, 1975.
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Notes :
[1] L. Von Bertallanffy, G. Bateson, J.- L. Lemoigne [2] L’École de Palo Alto, créée dans les années 1950 en Californie (États-Unis), est une école de psychanalyse,
organisée au sein du Mental Research Institute Elle a développé la conception d’une approche systémique de la communication, dont la thérapie familiale, puis la thérapie brève et stratégique, furent les débouchés.
[3] Le terme “praxis” est ici utilisé dans le sens d’activité créatrice, qui ne se réduit pas à la simple production [4] Le terme “texte” est considéré ici dans son sens premier à savoir “tissu”, “tisser une toile” pour faire des liens.