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Immuno-analyse et biologie spécialisée (2010) 25, 62—65 CAS CLINIQUE Découverte fortuite d’une infection à Plasmodium falciparum Plasmodium falciparum infection, diagnosed by haphazard discovery F. Balédent , V. Vergé Laboratoire d’hématologie, centre hospitalier de Saint-Denis, 2, rue du Docteur-Delafontaine, 93205 Saint-Denis, France Rec ¸u le 27 aoˆ ut 2009 ; accepté le 14 octobre 2009 Disponible sur Internet le 21 janvier 2010 KEYWORDS Malaria; Leukocyte associated malaria hemozoin; Hemozoin Summary Malaria is one plague in the world. Each year, 350 to 500million cases of malaria occur worldwide and one to three million people die, including more than one million children before they are five years old. The main cause of death malaria is a late medical diagnosis, so every sign which permits an early diagnosis of malaria must be considered. We present the case of a Plasmodium falciparum infection, diagnosed by haphazard discovery of malaria hemozoin in peripheral blood leukocyte. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. MOTS CLÉS Paludisme ; Leucocyte mélanifère ; Hémozoïne Résumé Le paludisme représente un fléau mondial avec 350 à 500 millions de cas déclarés par an et un à trois millions de décès annuels dont plus d’un million avant l’âge de cinq ans. Les décès sont le plus souvent dus à un retard diagnostique, aussi, tout élément permettant de poser rapidement le diagnostic de paludisme doit être pris en compte. Nous présentons l’observation d’une infection à Plasmodium falciparum, découverte de fac ¸on fortuite à partir de la mise en évidence de leucocytes mélanifères dans le sang périphérique. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Observation Madame J., 48 ans, originaire de Guyane, est régulière- ment suivie pour une infection liée au VIH, diagnostiquée en 2001 à l’occasion d’une tuberculose pulmonaire. Elle est traitée par trithérapie (Kivexa ® , Viread ® et Kaletra ® ) depuis 2005. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Balédent). Un bilan de suivi est effectué le 30 juillet 2008, compor- tant un hémogramme, un typage lymphocytaire et une étude de la charge virale VIH. L’examen clinique est nor- mal. L’hémogramme, effectué sur automate (ADVIA 2120 - Société Siemens), montre une anémie normochrome, normocytaire avec anisochromie, peu régénérative (hémo- globine : 9,7 g/dL, réticulocytes : 96,2 × 10 9 /L), des leucocytes à 6,34 × 10 9 /L avec polynucléaires neutro- philes : 51,3 % (3,25 × 10 9 /L), polynucléaires éosinophiles : 0,3 % (0,02 × 10 9 /L), polynucléaires basophiles : 0,3 % (0,02 × 10 9 /L), lymphocytes : 39,6 % (2,25 × 10 9 /L), mono- 0923-2532/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.immbio.2009.10.001

Découverte fortuite d’une infection à Plasmodium falciparum

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AS CLINIQUE

écouverte fortuite d’une infectionPlasmodium falciparum

lasmodium falciparum infection, diagnosed by haphazard discovery

. Balédent ∗, V. Vergé

aboratoire d’hématologie, centre hospitalier de Saint-Denis, 2, rue du Docteur-Delafontaine, 93205 Saint-Denis, France

ecu le 27 aout 2009 ; accepté le 14 octobre 2009isponible sur Internet le 21 janvier 2010

KEYWORDSMalaria;Leukocyte associatedmalaria hemozoin;Hemozoin

Summary Malaria is one plague in the world. Each year, 350 to 500 million cases of malariaoccur worldwide and one to three million people die, including more than one million childrenbefore they are five years old. The main cause of death malaria is a late medical diagnosis, soevery sign which permits an early diagnosis of malaria must be considered. We present the caseof a Plasmodium falciparum infection, diagnosed by haphazard discovery of malaria hemozoinin peripheral blood leukocyte.© 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Résumé Le paludisme représente un fléau mondial avec 350 à 500 millions de cas déclarés

MOTS CLÉSPaludisme ;Leucocytemélanifère ;

par an et un à trois millions de décès annuels dont plus d’un million avant l’âge de cinq ans.Les décès sont le plus souvent dus à un retard diagnostique, aussi, tout élément permettantde poser rapidement le diagnostic de paludisme doit être pris en compte. Nous présentonsl’observation d’une infection à Plasmodium falciparum, découverte de facon fortuite à partir

leuco. Tou

Hémozoïne de la mise en évidence de© 2009 Elsevier Masson SAS

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adame J., 48 ans, originaire de Guyane, est régulière-

ent suivie pour une infection liée au VIH, diagnostiquée

n 2001 à l’occasion d’une tuberculose pulmonaire. Elle estraitée par trithérapie (Kivexa®, Viread® et Kaletra®) depuis005.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (F. Balédent).

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923-2532/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits roi:10.1016/j.immbio.2009.10.001

cytes mélanifères dans le sang périphérique.s droits réservés.

Un bilan de suivi est effectué le 30 juillet 2008, compor-ant un hémogramme, un typage lymphocytaire et unetude de la charge virale VIH. L’examen clinique est nor-al.L’hémogramme, effectué sur automate (ADVIA 2120

Société Siemens), montre une anémie normochrome,ormocytaire avec anisochromie, peu régénérative (hémo-

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lobine : 9,7 g/dL, réticulocytes : 96,2 × 10 /L), deseucocytes à 6,34 × 109/L avec polynucléaires neutro-hiles : 51,3 % (3,25 × 109/L), polynucléaires éosinophiles :,3 % (0,02 × 109/L), polynucléaires basophiles : 0,3 %0,02 × 109/L), lymphocytes : 39,6 % (2,25 × 109/L), mono-

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Découverte fortuite d’une infection à Plasmodium falciparu

cytes : 8,4 % (0,53 × 109/L). Les plaquettes sont normales(317 × 109/L).

Deux alarmes sont notées sur l’automate :

• une alarme « cellules atypiques » avec augmentation desLUC (large unstained cells) : 9,1 %, soit 0,58 × 109/L(valeurs normales inférieures à 0,50 × 109/L) ;

• ainsi qu’une alarme « blastes » : 2,8 % pour une valeur nor-male inférieure à 1,5 %.

L’examen du frottis, coloré au May Grünwald Giemsa,confirme les résultats de la formule sanguine et retrouve laprésence d’une myélémie (1 %), composée de myélocytes.Un blaste ayant été observé sur le frottis, la lame est revuepar un biologiste qui valide la formule et met en évidencela présence de monocytes mélanifères (7 % des monocytes).

La présence de ces cellules oriente alors le diagnosticvers un paludisme et permet la mise en évidence de raresgamétocytes et très rares trophozoïtes de Plasmodium fal-ciparum (parasitémie 0,02 %).

L’examen du frottis est complété par une goutte épaissequi confirme le caractère isolé de l’espèce plasmodiale(P. falciparum). La recherche d’antigène (NOW-Malaria®,Fumouze) est positive pour P. falciparum.

Évolution

La patiente, qui était déjà partie, est convoquée mais ne seprésente que le 4 août 2008.

L’interrogatoire retrouve la notion de voyage en Haïti,trois mois auparavant, sans prophylaxie, le retour datantdu 16 juin 2008. Il est par ailleurs noté un épisode fébrile— fièvre « bizarre » au dire de la patiente — avec troublesdigestifs à type de vomissements survenus fin juin 2008.

Le bilan de ces troubles avait comporté une gastrosco-pie mettant alors en évidence la présence d’Helicobacterpylori.

Les signes digestifs ayant été attribués à une gastriteliée à ce germe, la patiente était rentrée chez elle avecun traitement antisécrétoire et antibiotique.

L’hémogramme

L’hémogramme du 4 août 2008 montre une hémoglobine :9,5 g/dL, des leucocytes : 5,17 × 109/L, dont polynucléaires

efcr

Tableau 1 Suivi biologique.

30 juillet 2008 4 août 2008

Hémoglobine 9,7 9,5Plaquettes 317 308Leucocytes 6,34 5,17Poly neutrophiles 4,12 3,58Lymphocytes 1,52 1,16Ly. activés Rares 0,07Monocytes 0,63 0,41Myélémie 0,06 0,05Parasitémie (%) 0,02 (G+T) 0,24 (T)Goutte épaisse Positive (G+T) Positive (T)

G : gamétocytes ; T : trophozoïtes ; ly : lymphocytes.

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eutrophiles : 69,2 % (3,58 × 109/L), lymphocytes : 22,4 %1,16 × 109/L) et monocytes : 7,9 % (0,66 × 109/L).

Les plaquettes sont toujours normales : 308 × 109/L.’automate ne présente pas d’alarme.

’examen du frottis

’examen du frottis permet de retrouver une myélémie :% (0,05 × 109/L) et quelques lymphocytes activés, de très

ares monocytes mélanifères (moins de 1 % des monocytes),lors que la parasitémie est de 0,24 %, constituée de tropho-oïtes de P. falciparum.

La patiente est traitée par Malarone® (atova-uone/proguanil : 250 mg/100 mg) à raison de quatreomprimés par jour, pendant trois jours.

Les bilans suivants (Tableau 1) montrent l’apparition’une neutropénie et la diminution progressive de laarasitémie avec disparition des trophozoïtes puis des gamé-ocytes le 1er septembre 2008.

La parasitémie du 8 août 2008 est à 0,01 % avec présencee trophozoïtes et gamétocytes de P. falciparum.

L’hémogramme montre alors une neutropénie1,36 × 109/l) avec présence de lymphocytes activés% (0,07 × 109/l) et une myélémie persistante de 4 %omposée de myélocytes et métamyélocytes.

L’hémoglobine et le nombre de plaquettes restentnchangés.

La patiente est ensuite revue le 12 août 2008, la gouttepaisse est encore positive avec présence de gamétocytes.

Le bilan du 1er septembre 2008 est négatif (frottis etoutte épaisse).

iscussion

u cours du paludisme, l’analyse des frottis sanguins permete mettre en évidence, outre la présence de plasmodiumdifférents stades de maturation, la présence inconstante

e pigment malarique, dans les hématies parasitées et leseucocytes phagocytaires [4].

De couleur brun-doré, parfois presque noir, de taillet de forme variables, ce pigment peut se présenter sousorme de grain unique ou de multiples granulations intra-ytoplasmiques. Lorsqu’il est retrouvé dans les hématies, ileprésente un élément d’orientation diagnostique d’espèce

8 août 2008 12 août 2008 1er septembre 2008

9,6 10,5 10,6283 388 3303,67 4,26 3,861,36 1,75 2,221,43 1,79 1,240,07 0 0,030,66 0,55 0,360,15 0,13 00,01 (G+T) 0,01 (G) NégatifPositive (G+T) Positive (G) Négative

64 F. Balédent, V. Vergé

Figure 1 Monocyte mélanifère : deux granulations fines.

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igure 2 Monocyte mélanifère : granulations intracytoplas-iques, en partie sur le noyau.

lasmodiale. Le pigment peut également être retrouvé dans

e cytoplasme des leucocytes : monocytes (Fig. 1—4) ouolynucléaires neutrophiles (Fig. 5), permettant d’affirmere diagnostic de paludisme.

igure 3 Monocyte mélanifère : granulations de tailleariable.

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igure 4 Monocyte mélanifère : nombreuses et volumineusesranulations.

e pigment malarique

e pigment malarique, ou hémozoïne, provient de la dégra-ation de l’hémoglobine par le parasite, à l’intérieur de saacuole digestive [2].

L’hème polymérase transforme l’hème, toxique pour learasite, en hémozoïne atoxique, stockée dans la vacuolelimentaire du parasite sous forme de polymères de grou-ements héminiques.

Ce phénomène est unique, spécifique au genre Plasmo-ium, mais non spécifique de P. falciparum. Il n’existe pase pigment dans la babésiose [7].

Le pigment est visible au microscope lorsque’hémoglobine est activement dégradée. Accumulé danse cytoplasme du schizonte, le pigment est relargué lorse la libération des mérozoïtes et est phagocyté par leseucocytes, polynucléaires neutrophiles et monocytes.

Le pigment est retrouvé de facon croissante en taille etn abondance avec l’évolution de la maladie.

L’hémozoïne est pyrogène et provoque une inhibitione l’érythropoïèse par action inhibitrice sur les précur-

eurs et dérégulation de la synthèse d’érythropoïétine6].

Elle déclenche une cascade de réactions aboutissant à’activation de l’inflammasome, complexe multiprotéique

Figure 5 Polynucléaire neutrophile mélanifère.

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Découverte fortuite d’une infection à Plasmodium falciparu

provoquant la production d’interleukines bêta (IL-bêta,médiateur de la fièvre) et d’IL18 [5].

La présence d’hémozoïne dans les leucocytes est associéeà la sévérité de la maladie et il existerait une corrélationentre la présence de pigment malarique intraleucocytaireet la mortalité au cours du paludisme grave [9].

La proportion de polynucléaires neutrophiles mélanifèresserait un meilleur indicateur de sévérité clinique et decharge parasitaire totale, que la parasitémie. En revanche,les monocytes mélanifères ne semblent pas être corrélés àune forme clinique particulière.

La présence isolée de leucocytes mélanifères est spé-cifique du paludisme, sans pouvoir préjuger de l’espèceplasmodiale en cause.

La présence de polynucléaires neutrophiles pigmentéscorrespondrait à une infection palustre plus récente, alorsque les monocytes mélanifères témoigneraient d’une infec-tion plus ancienne.

Les signes biologiques indirects habituels

Les signes biologiques indirects habituels de primo-invasionpalustre sont, le plus souvent sur l’hémogramme, unethrombopénie, une anémie avec stigmates d’hémolyse, uneleuconeutropénie, une population lymphocytaire activée[3,6]. La présence d’une hyperleucocytose peut être obser-vée au cours des accès pernicieux.

L’association de ces éléments est particulièrement évo-catrice chez un patient revenant d’un séjour en zoned’endémie.

Une hypocholestérolémie, une hypertriglycéridémie sontégalement décrites [3], ainsi qu’une hypoglycémie dans lescas graves : une glycémie inférieure à 2,2 mmol/L corres-pond à l’un des critères de gravité du paludisme définis parl’OMS [1,8].

Dans notre observation, le propositus ne présentaitpas de signes cliniques et n’avait pas mentionné sonvoyage récent en Haïti où elle se rendait régulièrement.L’hémogramme initial montrait une anémie associée à unemyélémie, une neutropénie. La présence significative delymphocytes activés n’est apparue que secondairement. Lesplaquettes sont restées normales. La glycémie était égale-ment normale.

L’alarme blaste sur automate génère la réalisation sys-tématique d’un frottis chez tout nouveau patient, quel que

soit son âge. Il est possible, lors de l’examen d’un frottis,de retrouver une cellule d’allure blastique, dans un contextede myélémie.

Le contexte clinicobiologique et la surveillance des frot-tis sur des numérations de contrôle permettent d’éliminer

[

65

ne pathologie hématologique, ce qui était le cas de notrebservation.

onclusion

es automates de cytologie apportent de nombreuses infor-ations mais les frottis restent toujours d’un apportrécieux.

Lors de l’examen d’un frottis, outre l’analyse des élé-ents ayant fait pratiquer le frottis, l’observation desifférents éléments figurés du sang doit être systématique :laquettes, hématies et leucocytes, avant de réaliser leécompte d’une formule sanguine.

Dans le cas de notre observation, alors que les pre-iers éléments de l’hémogramme pouvaient orienter vers

ne pathologie hématologique, le fait d’avoir vu eteconnu le pigment malarique, d’avoir cherché et trouvée plasmodium, nous a permis de poser de facon for-uite, le diagnostic d’infection à P. falciparum, qui auraitu se manifester cliniquement plus tard de facon plusruyante.

onflit d’intérêt

ucun.

éférences

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