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Déhiscence post-enterectomies: il vaut mieux prévenir que guérir! Toute chirurgie gastro-intestinale comporte un risque de déhiscence de plaie pouvant conduire à une péritonite mettant en jeu le pronostic vital avec un taux de mortalité de 50 à 80%. Des biopsies de l’intestin grêle réalisées dans un centre de référé sur 66 chiens se sont accompagnées de 12% de mortalité par déhiscence de plaie et péritonite secondaire (Shales et al. 2005). Une étude plus récente portant sur un nombre plus large de chiens et de chats rapporte un taux de déhiscence plus faible < 5% (Swinbourne et al. 2017). Le taux de mortalité après une seconde laparotomie sur une série de chiens présentant une péritonite récidivante causée par une déhiscence intestinale était de 56% (Barfield et al. 2016) et il s’avère donc impératif de s’assurer que tout est fait pour optimiser la cicatrisation lors de la chirurgie gastro-intestinale de première intention. Que dois-je connaître de la cicatrisation intestinale? L’intestin cicatrise rapidement et retrouve 80% de sa résistance élastique initiale en 14 jours. La cicatrisation du côlon est un peu plus longue, comparée au reste du tractus intestinal : 50% de son élasticité est récupérée en 14 jours. La déhiscence survient typiquement à la fin de la phase inflammatoire/phase de latence de la cicatrisation intestinale (jour 1-4) et avant que ne se mette complètement en place la période de prolifération et de réparation (jour 3 à 14) produisant le collagène. Une chirurgie atraumatique et une parfaite apposition des différentes structures tissulaires permet une cicatrisation optimale. Une inversion ou une éversion des parois, une éversion de la muqueuse ou une superposition des parois retardera la cicatrisation. Des sutures apposantes minimisent le rétrécissement de la lumière intestinale comparées aux sutures inversantes et causent moins d’adhérences que les sutures éversantes. Est-ce que la manière dont je manipule le tissu intestinal pendant la chirurgie peut faire la différence? L’exposition et la manipulation de l’intestin conduit à son dessèchement et son abrasion. Une mauvaise technique de manipulation de l’intestin augmentera l’inflammation et le risque d’adhérences, de troubles de la motilité ainsi que la production de fluide péritonéal. Même avec une technique chirurgicale précautionneuse, l’activité myoélectrique intestinale diminue pendant les premières 24 h post-opératoires. Les aiguilles et les fils utilisés en chirurgie intestinale Il convient d’utiliser une aiguille sertie ronde et un monofilament résorbable qui gardera une force suffisante au – delà des 14 à 21 jours nécessaires au tissu intestinal cicatriciel pour récupérer son élasticité et sa résistance normales, ex : PDS, Biosyn ou Maxon. Ces fils de suture sont résistants et à résorption lente et peuvent de ce fait être utilisés assez fins (1.5 décimale pour l’intestin grêle et le gros intestin) pour minimiser le traumatisme tissulaire avec toujours une bonne sécurité des sutures. D’autres monofilaments résorbables peuvent être utilisés avec succès pour les chirurgies gastro- intestinales mais le Monocryl perd 90% de la résistance en 14 jours et il convient donc d’être très prudent et de considérer tout facteur pouvant retarder la cicatrisation. Comment puis-je évaluer la viabilité du tissu intestinal?

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Déhiscence post-enterectomies: il vaut mieux prévenir que guérir!

Toute chirurgie gastro-intestinale comporte un risque de déhiscence de plaie pouvant conduire à

une péritonite mettant en jeu le pronostic vital avec un taux de mortalité de 50 à 80%. Des biopsies

de l’intestin grêle réalisées dans un centre de référé sur 66 chiens se sont accompagnées de 12% de

mortalité par déhiscence de plaie et péritonite secondaire (Shales et al. 2005). Une étude plus

récente portant sur un nombre plus large de chiens et de chats rapporte un taux de déhiscence plus

faible < 5% (Swinbourne et al. 2017). Le taux de mortalité après une seconde laparotomie sur une

série de chiens présentant une péritonite récidivante causée par une déhiscence intestinale était de

56% (Barfield et al. 2016) et il s’avère donc impératif de s’assurer que tout est fait pour optimiser la

cicatrisation lors de la chirurgie gastro-intestinale de première intention.

Que dois-je connaître de la cicatrisation intestinale?

L’intestin cicatrise rapidement et retrouve 80% de sa résistance élastique initiale en 14 jours. La

cicatrisation du côlon est un peu plus longue, comparée au reste du tractus intestinal : 50% de son

élasticité est récupérée en 14 jours. La déhiscence survient typiquement à la fin de la phase

inflammatoire/phase de latence de la cicatrisation intestinale (jour 1-4) et avant que ne se mette

complètement en place la période de prolifération et de réparation (jour 3 à 14) produisant le

collagène. Une chirurgie atraumatique et une parfaite apposition des différentes structures

tissulaires permet une cicatrisation optimale. Une inversion ou une éversion des parois, une

éversion de la muqueuse ou une superposition des parois retardera la cicatrisation. Des sutures

apposantes minimisent le rétrécissement de la lumière intestinale comparées aux sutures

inversantes et causent moins d’adhérences que les sutures éversantes.

Est-ce que la manière dont je manipule le tissu intestinal pendant la chirurgie peut faire la

différence?

L’exposition et la manipulation de l’intestin conduit à son dessèchement et son abrasion. Une

mauvaise technique de manipulation de l’intestin augmentera l’inflammation et le risque

d’adhérences, de troubles de la motilité ainsi que la production de fluide péritonéal. Même avec une

technique chirurgicale précautionneuse, l’activité myoélectrique intestinale diminue pendant les

premières 24 h post-opératoires.

Les aiguilles et les fils utilisés en chirurgie intestinale

Il convient d’utiliser une aiguille sertie ronde et un monofilament résorbable qui gardera une force

suffisante au – delà des 14 à 21 jours nécessaires au tissu intestinal cicatriciel pour récupérer son

élasticité et sa résistance normales, ex : PDS, Biosyn ou Maxon. Ces fils de suture sont résistants et à

résorption lente et peuvent de ce fait être utilisés assez fins (1.5 décimale pour l’intestin grêle et le

gros intestin) pour minimiser le traumatisme tissulaire avec toujours une bonne sécurité des sutures.

D’autres monofilaments résorbables peuvent être utilisés avec succès pour les chirurgies gastro-

intestinales mais le Monocryl perd 90% de la résistance en 14 jours et il convient donc d’être très

prudent et de considérer tout facteur pouvant retarder la cicatrisation.

Comment puis-je évaluer la viabilité du tissu intestinal?

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La couleur de la séreuse est très importante, les variations de couleur comme violet, gris, noir, vert

indiquent toutes un tissu non viable. La nécrose apparaît comme une paroi fine, violet-noir et une

ligne nette est visible entre la partie viable et la partie non-viable. Un autre moyen d’évaluer la

viabilité de l’intestin est de réaliser une petite incision de la séreuse et de regarder si un saignement

apparaît. La viabilité de l’intestin grêle est reconnue par la combinaison de la couleur de la séreuse,

de la texture de la paroi, du péristaltisme et de la qualité pulsatile des artères jéjunales. Les

méthodes de mesure objective de la nécrose tissulaire (ex : fluorescéine et oximétre de pouls) ne

sont pas plus précises que l’évaluation subjective et sont rarement disponibles.

Quelle partie d’intestin, et quelle longueur d’intestin puis-je réséquer?

Par chance, de larges segments d’intestin grêle peuvent être réséqués. Le syndrome de l’intestin

court (résection d’un segment intestinal si long qu’il est impossible pour le patient de compenser au

moins au début) est rarement décrit chez l’animal ; ce syndrome peut survenir chez l’animal

uniquement si 70 à 80% de l’intestin a été réséqué. Le fait qu’un animal va développer des signes

cliniques ou non, dépend multiple facteurs : la localisation, la longueur d’intestin réséqué, si la valve

iléocæcale est incluse ou non dans l’entérectomie, la viabilité et la récupération de l’intestin restant.

Il convient d’être très prudent avant de considérer une chirurgie qui concerne le canal cholédoque,

les canaux pancréatiques ou le duodénum proximal (qui partage sa vascularisation avec le lobe droit

du pancréas) car la résection de ces structures est un défi technique et peut être source de

complications supplémentaires.

Entérotomie

Une incision longitudinale est réalisée sur le bord opposé au mésentère jusqu’à entrer dans la

lumière intestinale. Si l’incision d’entérotomie est longue, la suture en sera plus rapide par un surjet

simple plutôt que par des points simples. Il convient de bien veiller à ce que chaque aiguillée passe à

travers la sous-muqueuse jusqu’à la lumière et de faire des points rapprochés (3-5 mm). L’étanchéité

de la suture d’entérotomie ou d’entérectomie peut être évaluée en occluant la lumière intestinale

près du site chirurgical (un assistant réalise l’occlusion directement avec ses doigts, ou en utilisant

des pinces de Doyen) et en injectant de l’eau stérile pour distendre partiellement la lumière.

Entérectomie (résection et anastomose)

Les vaisseaux mésentériques irriguant la portion d’intestin réséquée sont ligaturés avec les vaisseaux

de la bordure mésentérique. Placer les pinces de Doyen (utiliser le l’extrémité des pinces) à environ

1.5 cm à l’arrière de la zone à inciser. Réséquer la portion d’intestin avec une lame de scalpel soit

perpendiculairement soit en oblique selon la taille de l’intestin. Les points de suture sont placés à 3-

5 mm du bord de la plaie et espacés de 3 à 5 mm avec le nœud à l’extérieur de la lumière. L’excès de

muqueuse peut être réséqué si besoin. Les points de suture traversent toute la paroi intestinale

jusqu’à la lumière, ce qui permet de s’assurer que la sous-muqueuse (couche assurant la solidité de

la suture) est incluse dans chaque point. La cicatrisation intestinale sera meilleure avec une des

sutures apposantes. Une différence de diamètre peut être résolue en plaçant les points de sutures

plus rapprochés sur le segment intestinal le plus étroit, en coupant le segment le plus étroit selon un

angle de 45 à 60°, et/ou en incisant la bordure anti-mésentérique du segment le plus étroit pour

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« l’élargir ». Une série de points simples ou un surjet apposant ou une combinaison des deux

convient à toute chirurgie intestinale.

Comment puis-je rendre mon entérectomie plus solide?

Omentalisation

Enrouler l’omentum autour de la plaie apporte une vascularisation supplémentaire au site de

chirurgie gastro-intestinal, favorise le drainage lymphatique et aide à contrôler les infections.

L’omentum adhère au site chirurgical et aux zones d’inflammation.

Adossement séreux

L’adossement séreux permet un support plus solide que l’omentum mais n’est pas nécessaire aussi

souvent. Il a été prouvé expérimentalement que cette technique permet d’obturer de petites

perforations chez des chiens présentant des plaies gastro-intestinales. La bordure anti-mésentérique

d’une anse saine de jejunum est suturée en amont, en aval et sur la longueur de la ligne de suture en

question.

Antibiothérapie pour la chirurgie intestinale

De nombreuses chirurgies intestinales sont considérées comme des chirurgies « propre-

contaminées ». La chirurgie est dite « contaminée » en cas de fuite importante de contenu intestinal

et est dite «sale » lorsqu’une péritonite est présente. Dans toutes ces situations, une antibiothérapie

péri-opératoire est justifiée. Il est facile de justifier qu’un animal sain subissant une chirurgie

intestinale simple et de courte durée, comme des biopsies gastro-intestinales, n’a pas besoin

d’antibiotiques. Une antibioprophylaxie est justifiée chez un animal affaibli ou instable, en occlusion

intestinale, présentant un ulcère gastro-intestinal, ou un animal devant subir une chirurgie du côlon

ou toute situation où la chirurgie est prévue pour être longue.

Puis-je utiliser les AINS pour une chirurgie intestinale?

Les AINS peuvent être utilisés chez des animaux sains, présentant une pression artérielle et une

volémie normales, sans signe d’ulcération, sans prédisposition aux troubles de l’hémostase, sans

atteinte rénale ou hépatique. Bien qu’expérimentalement les AINS sont susceptible de réduire la

circulation sanguine au niveau de la muqueuse, il n’existe aucune donnée indiquant qu’il faille

interdire ces médicaments chez des patients admis pour une chirurgie gastro-intestinale non

compliquée, en l’absence d’ulcère, d’érosion ou de lésion gastro-intestinale sévère. En cas de doute,

il suffit d’attendre que l’animal en post-opératoire soit alerte, mange et boive, avant d’administrer

un AINS.

Quand dois-je nourrir mon patient après une chirurgie intestinale?

L’alimentation doit commencer dès que le patient est suffisamment réveillé et est capable de/veut

manger, le plus souvent 12 à 24h après la chirurgie (Ralph et al. 2003). Il est contre-indiqué de

nourrir un patient qui est toujours sous sédatif car cela augmente le risque de régurgitation et de

pneumonie par aspiration. La réalimentation stimule la motilité et améliore la circulation dans le

tractus intestinal réduisant le risque d’iléus et d’adhérences.

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Comment puis-je détecter si une déhiscence apparaît?

La déhiscence survient 2 à 5 jours après la chirurgie, lorsque la fibrinolyse se traduit par une

diminution de la solidité de la cicatrice et que le nouveau collagène n’est pas encore produit en

quantité suffisante. Si l’animal est rendu à ses propriétaires avant les 5 jours post-opératoires, il est

essentiel que ces derniers soient avertis des risques et reçoivent des conseils sur les signes cliniques

à surveiller à la maison au cas où une péritonite se développerait. Les signes cliniques à surveiller

incluent : vomissement, anorexie, température, rythme cardiaque, respiration, couleur des

muqueuses, temps de remplissage capillaire, qualité du pouls, abattement → tachycardie, pouls

filant, muqueuses pâles, temps de remplissage capillaire augmenté, pyrexie, douleur et distension

abdominales. Le diagnostic de certitude est fourni par la cytologie : les neutrophiles apparaissent

dégénérés et contiennent des bactéries intracellulaires. Il est important de savoir reconnaître la

cytologie d’un sepsis comparée à celle d’un patient non –septique en post-opératoire, où sont

visibles de nombreux macrophages et des neutrophiles non dégénérés.

References and further reading

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