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46 pratique ordonnance commentée Actualités pharmaceutiques n° 502 Janvier 2011 Le pegfilgrastim, molécule indiquée dans le cadre d’un cancer du sein, nécessite une surveillance clinique stricte. Le pharmacien d’officine doit multiplier les conseils à la patiente et l’inciter à consulter son médecin traitant dès l’apparition d’effets indésirables notables. L a prescription d’un facteur de crois- sance granulocytaire nécessite une surveillance étroite des constantes hématologique, hépatique et urologique. Profil de la patiente La patiente est une femme de 56 ans, mesurant 1,60 m pour 60 kg, mariée et mère d’un enfant. Antécédents pathologiques La patiente a utilisé durant 8 ans des patchs de Dermestril ® 50 g/24 heures (estradiol) pour éviter des bouffées de chaleur insup- portables dues à la ménopause. L’appa- rition d’une “boule” dans le sein et d’un point noir, grossissant peu à peu, sur le sein l’ont incitée à consulter son gynécologue. Un cancer du sein opérable, présentant un envahisse- ment ganglionnaire, lui a été diagnostiqué il y a un mois. Historique médicamenteux Le traitement hospitalier du cancer, avant chirurgie du sein, reposait sur : 75 mg/m² de docétaxel (Taxotère ® ) + 50 mg/m² de doxorubicine + 500 mg/m² de cyclophos- phamide (Endoxan ® ), toutes les 3 semaines pendant six cycles. Recevabilité de l’ordonnance L’ordonnance ( figure 1) émane d’un spécialiste hospitalier oncologue et/ou d’un spécialiste en hématologie comme l’impose la prescription de Neulasta ® . Ce médicament requiert, en effet, une prescription initiale hospitalière de 3 mois, le renouvellement pouvant être effectué par tout médecin. Sa prescription nécessite une surveillance clinique particulière, notamment un examen régulier du volume de la rate et une surveillance biologique (numération-for- mule sanguine et bilan hépatique). Il existe un générique pour le Monocrixo ® (tramadol), refusé par la patiente. Questions préalables indispensables « Prenez-vous d’autres traitements (même en automédication)? » Réponse : « Non. » « Y a-t-il eu des changements dans votre traitement ? » Réponse : « Oui, depuis un mois, le ciel m’est tombé sur la tête. » Analyse du traitement Neulasta ®  : le pegfilgrastim est un facteur de croissance granulocytaire. Monocrixo ® 100 mg : le tramadol est un analgésique opioïde d’action centrale. C’est un agoniste pur non sélectif des récepteurs morphiniques μ, delta et kappa, avec une affinité plus élevée pour les récepteurs μ. Les autres mécanismes participant à ses effets analgésiques regroupent l’inhibition de la recapture neuronale de noradrénaline et l’augmentation de la libération de séro- tonine. Le tramadol possède une action antitussive, mais pas d’effet dépresseur respiratoire ou modificateur de la motilité gastro-intestinale. Voltarène gel ®  : le diclofénac est un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) en gel, possédant des propriétés loca- les antalgiques et anti-inflammatoires liées à l’inhibition de la synthèse de prostaglandines. Effets indésirables Neulasta ®  : douleurs osseuses, augmen- tation du taux de lactate-déshydrogénase (réversible), douleurs au site d’injection, douleur thoracique (non cardiaque) et douleurs diverses, céphalées, arthralgie, myalgie, rachialgie, douleur des membres, douleurs osseuses et cervicalgie, aug- mentations de l’acide urique et des phos- phatases alcalines (réversibles). Monocrixo ®  : hypertension, palpi- tations, tachycardie, vertiges, somno- lence, nausées, vomissements, séche- resse buccale, sueurs, troubles digestifs, douleurs abdominales, fatigue, maux de tête, constipation, réactions allergi- ques cutanées, problèmes respiratoires, démangeaisons, rétention urinaire, vision floue, anxiété, cauchemar, euphorie, trem- blements et bourdonnements d’oreille. Voltarène gel ®  : irritations cutanées et photosensibilisation. Délivrer une ordonnance de pegfilgrastim point noir, grossissant peu à peu, sur le sein l’ont incitée à « Prenez-vous d’autres traitements (mêm en automédication)?  » Réponse : « Non. Figure 1. © Fotolia.com/Kristian Peetz

Délivrer une ordonnance de pegfilgrastim

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46pratique

ordonnance commentée

Actualités pharmaceutiques n° 502 Janvier 2011

Le pegfilgrastim, molécule

indiquée dans le cadre

d’un cancer du sein, nécessite

une surveillance clinique

stricte. Le pharmacien d’officine

doit multiplier les conseils

à la patiente et l’inciter

à consulter son médecin

traitant dès l’apparition d’effets

indésirables notables.

La prescription d’un facteur de crois-sance granulocytaire nécessite une surveillance étroite des constantes

hématologique, hépatique et urologique.

Profil de la patienteLa patiente est une femme de 56 ans, mesurant 1,60 m pour 60 kg, mariée et mère d’un enfant.

Antécédents pathologiquesLa patiente a utilisé durant 8 ans des patchs de Dermestril® 50 �g/24 heures (estradiol) pour éviter des bouffées de chaleur insup-portables dues à la ménopause. L’appa-rition d’une “boule” dans le sein et d’un

point noir, grossissant peu à peu, sur le sein l’ont incitée à

consulter son gynécologue. Un cancer du sein opérable, présentant un envahisse-ment ganglionnaire, lui a été diagnostiqué il y a un mois.

Historique médicamenteuxLe traitement hospitalier du cancer, avant chirurgie du sein, reposait sur : 75 mg/m² de docétaxel (Taxotère®) + 50 mg/m² de doxorubicine + 500 mg/m² de cyclophos-phamide (Endoxan®), toutes les 3 semaines pendant six cycles.

Recevabilité de l’ordonnanceL’ordonnance (figure  1) émane d’un spécia lis te hospitalier oncologue et/ou d’un spécia lis te en hématologie comme l’impose la prescription de Neulasta®. Ce médicament requiert, en effet, une prescription initiale hospitalière de 3 mois, le renouvellement pouvant être effectué par tout médecin. Sa prescription nécessite une surveillance clini que particulière, notamment un examen régulier du volume de la rate et une surveillan ce biologique (numération-for-mule sanguine et bilan hépatique). Il existe un générique pour le Monocrixo® (tramadol), refusé par la patiente.

Questions préalables indispensables « Prenez-vous d’autres traitements (même

en automédication)? » Réponse : « Non. »

« Y a-t-il eu des changements dans votre traitement ? »Réponse : « Oui, depuis un mois, le ciel m’est tombé sur la tête. »

Analyse du traitement Neulasta®  : le pegfilgrastim est un

facteur de croissance granulocytaire. Monocrixo® 100 mg : le tramadol est un

analgésique opioïde d’action centrale. C’est un agoniste pur non sélectif des récepteurs morphiniques μ, delta et kappa, avec une affinité plus élevée pour les récepteurs μ. Les autres mécanismes participant à ses effets analgésiques regroupent l’inhibition de la recapture neuro nale de noradrénaline et l’augmentation de la libération de séro-tonine. Le tramadol possède une action antitussive, mais pas d’effet dépresseur respiratoire ou modificateur de la motilité gastro-intestinale. Voltarène gel® : le diclofénac est un

anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) en gel, possédant des propriétés loca-les antalgiques et anti-inflammatoires liées à l’inhibition de la synthèse de prostaglandines.

Effets indésirables Neulasta® : douleurs osseuses, augmen-

ta tion du taux de lactate-déshydro génase (réversible), douleurs au site d’injection, douleur thoracique (non cardiaque) et douleurs diverses, céphalées, arthralgie, myalgie, rachialgie, douleur des membres , douleurs osseuses et cervicalgie, aug-mentations de l’acide urique et des phos-phatases alcalines (réversibles). Monocrixo®  : hypertension, palpi-

tations, tachycardie, vertiges, somno-lence, nausées , vomissements, séche-resse bucca le, sueurs, troubles digestifs, douleurs abdominales, fatigue, maux de tête, constipation, réactions allergi-ques cutanées, problèmes respiratoires, démangeaisons, rétention urinaire, vision floue, anxiété, cauchemar, euphorie, trem-blements et bourdonnements d’oreille. Voltarène gel® : irritations cutanées et

photosensibilisation.

Délivrer une ordonnance de pegfilgrastim

point noir, grossissant peu à peu, surle sein l’ont incitée à

« Prenez-vous d’autres traitements (mêmen automédication)? » Réponse : « Non.

Figure 1.

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ordonnance commentée

Actualités pharmaceutiques n° 502 Janvier 2011

Suivi du traitement Surveillance de toutes les lignées

sanguines et immunitaires (Neulasta®, Taxotère®, doxorubicine et Endoxan®) obligatoire et régulière. Suivi des fonctions hépatiques ALAT,

ASAT (Neulasta®) très régulier. Surveillance des concentrations

d’acide urique, phosphatases alcalines

et lactate-déshydrogénase (Neulasta®). Surveillance clinique du volume de la

rate (Neulasta®) obligatoire.

Médicaments d’automédication à proscrire avec ce traitementLe traitement administré à la patiente étant déjà lourd, il est préférable de proscrire toute automédication. Il convient d’infor-mer la patiente de la nécessité de ne pas abuser de médicaments à base de para-cétamol, car ceux-ci pourraient masquer la fièvre qui est un élément de surveillance de l’éventuelle survenue d’infections.De plus, il est préférable d’éviter l’alcool sous toutes ses formes, l’aspirine et tout fluidifiant sanguin, les sirops antitoux sèches contenant de la codéine ou des analogues, les anti-allergiques, ainsi que les sédatifs (Monocrixo®). Par ailleurs, il faut proscrire tout traitement (même homéopathique au-delà de 4 CH) à base de millepertuis, inducteur enzymatique qui réduit, au bout d’une dizaine de jours, l’effi-ca ci té de l’ensemble des traitements.

Chronobiologie du traitement (sauf indication médicale contraire) Neulasta®  : une dose de 6 mg est

recommandée pour chaque cycle de chimiothérapie environ 24 heures après la fin de la chimiothérapie cytotoxique.La solution doit être inspectée visuel-lement avant son administration par voie sous-cutanée. Seule une solution limpide et incolore peut être injectée. Une agitation excessive peut provoquer la formation d’agrégats de pegfilgras-tim la rendant biologiquement inactive. Enfin, la seringue préremplie doit être portée à température ambiante avant l’injection.Le conditionnement doit être conservé au réfrigérateur (entre + 2 °C et + 8 °C) et à l’abri de la lumière. Neulasta® peut cepen-

dant supporter d’être exposé à tempé-rature ambiante (sans dépasser + 30 °C) pendant une période unique maximale de 72 heures. Monocrixo® : la posologie sera adap-

tée en fonction des douleurs, jusqu’à 2 compri més toutes les 6 à 8 heures, pendant ou en dehors des repas. Voltarène gel® : en application locale

(massage doux et prolongé), 1 à 2 fois par jour, uniquement sur une peau saine et jamais sous forme de pansement occlusif. Il est important de se laver soigneusement les mains après utilisation.

Signes d’alerte nécessitant une orientation chez le médecin traitantLa patiente doit consulter son médecin trai-tant si certains symptômes apparaissent :– une infection virale, bactérienne, une mycose, une perte de poids, toute fièvre (Doxorubicine, Endoxan®, Taxotère®) ;– une allergie, des troubles respiratoires anormaux (Monocrixo®) ;– une toux, une dyspnée, une douleur au niveau de l’hypochondre gauche ou au sommet de l’épaule, une allergie de type anaphylaxie, rash cutané, urticaire, angio-œdème, dyspnée et hypotension qui nécessitent une consultation médicale rapide (Neulasta®).

À préciser à la patiente La prise de médicaments contre la

fièvre ou les douleurs ne peut se faire

qu’après avoir demandé conseil à un pro-fessionnel de santé. Les signes cliniques d’une éven-

tuelle infection tels que fièvre > 38 °C, frisson, toux, maux de gorge, etc., doivent être surveillés. Il en va de même pour tout symptôme nouveau anormal : œdèmes des extrémités, douleur dans la poitrine, tachycardie, problème au niveau des pieds et des mains, vomis-sement, ulcérations buccales… Le traitement doit être respecté stric-

tement et ne doit jamais être interrompu sans avis médical. Les contrôles sanguins doivent être

réalisés comme le médecin l’a demandé. Toute manifestation allergique cuta-

née ou respiratoire (tramadol…) doit être immédiatement signalée au médecin. Les douleurs ressenties au niveau

des  os sont fréquentes avec ce trai-tement  ; il convient néanmoins que la patiente en parle avec son médecin. En cas de douleur au flanc gauche ou

à l’épaule gauche, il est important que la patiente contacte son médecin. La prudence est requise lors de la

conduite de véhicules et de l’utilisation de machines car Monocrixo® peut entraî-ner vertiges ou somnolence. �

Françoise Couic-Marinier

Docteur en pharmacie,

Nancy (54)

[email protected]

Conseils associés L’hygiène buccale doit être rigoureuse. Elle repose sur un brossage des dents, effectué trois fois

par jour à l’aide d’une brosse à dents à poils souples.

L’alimentation doit également suivre des règles strictes. Il faut s’assurer que la nourriture

(notamment les viandes et les poissons) soit bien cuite, limiter la consommation de

crustacés, lait cru, œufs, pâtisseries à la crème, légumes ou fruits crus non épluchés,

manger équilibré et boire du thé vert. En revanche, les viandes rouges, le foie, la levure de bière,

qui contient des vitamines B, et l’huile de germe de blé riche en vitamine E anti-oxydante,

les céréales complètes, le poisson, les fruits et les légumes peuvent être recommandés.

Pour éviter les problèmes de constipation éventuels liés à la prise de tramadol, différentes

règles hygiéno-diététiques peuvent être conseillées : manger à heures régulières, privilégier une

alimentation riche en fibres, maintenir une activité physique quotidienne (gym, marche rapide…),

et, surtout, boire suffisamment d’eau pendant et entre les repas (au moins 1,5 litre par jour).

La patiente a tout intérêt à consulter une psychologue pour discuter de sa pathologie

si elle en éprouve le besoin.