3
PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 21 AMC pratique n°202 novembre 2011 Dénervation rénale par radiofréquence dans l’hypertension artérielle résistante O. Steichen 1,2, M. Sapoval 3,4 , M. Frank 5 , G. Bobrie 5 , P.-F. Plouin 3,5 , M. Azizi 3,5,6 1 Université Pierre et Marie Curie-Paris6, Paris 2 Service de médecine interne, Hôpital Tenon, Paris 3 Université Paris-Descartes, Paris 4 Service de radiologie cardiovasculaire, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris 5 Unité d’hypertension artérielle, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris 6 INSERM, CIC 9201, Paris [email protected] publié (étude de phase 3) [1, 2]. Elle consiste à interrompre les filets nerveux sympathiques qui cheminent dans l’adventice de l’artère rénale par un courant de radiofréquence de faible intensité [3]. Procédure de dénervation rénale Les conditions anatomiques idéales pour l’in- tervention sont une artère rénale principale unique de chaque côté, suffisamment longue (2 cm) et large (4 mm), sans sténose, avec des vaisseaux iliaques et une aorte sans lésion athéromateuse instable (plaques ulcérées, anévrisme, dissection,…). Elles sont vérifiées avant le traitement par angio-TDM ou angio- IRM. La procédure de dénervation réalisée en salle d’angiographie est douloureuse et néces- site une analgésie sédation en présence d'un anesthésiste, ce qui suppose une consultation pré-anesthésique au moins 48 heures avant le geste. Le système de dénervation comporte un cathéter à usage unique, le Symplicity Catheter System ® (Ardian-Medtronic), couplé à un générateur de radiofréquence réutilisable. Un radiologue ou un cardiologue interventionnel traite successivement les deux artères rénales, en une seule séance (tableau 1). Il n’existe à l’heure actuelle aucun critère morphologique ou fonctionnel attestant en cours de procé- dure du succès primaire de la dénervation rénale. La procédure complète dure moins d'une heure, suivie d’une surveillance hospita- lière de 24 heures (dont 2 heures en salle de surveillance). Le lever est autorisé le lendemain HTA résistante Environ 15 à 20 % des hypertendus ont une HTA résistante, c'est-à-dire non contrôlable par une trithérapie synergique et bien dosée comportant un diurétique. Avant tout, la résis- tance doit être avérée en automesure ou en MAPA. Après avoir écarté les problèmes liés aux médicaments (mauvaise observance, prise de traitements interférents), un bilan d'HTA secondaire permet de trouver une cause dans 30 % des cas environ, justiciable d'un traite- ment spécifique. Pour les HTA essentielles résis- tantes, trois modalités thérapeutiques sont à envisager : renforcement des règles hygiéno- diététiques (notamment régime limité en sel et perte de poids), intensification pharmaco- logique (notamment spironolactone) et traite- ments interventionnels. Traitements interventionnels de l'HTA Les traitements interventionnels de l'HTA sont séduisants en raison des difficultés à faire respecter les règles hygiéno-diététiques et à garantir la bonne observance d'un traitement pharmacologique complexe et pourvoyeur d'effets indésirables. La stimulation électrique des barorécepteurs carotidiens a obtenu des résultats encourageants dans de petites séries non contrôlées (études de phase 2). La déner- vation rénale par voie endovasculaire est à un stade plus avancé de son évaluation, avec un essai comparatif randomisé récemment

Dénervation rénale par radiofréquence dans l’hypertension artérielle résistante

  • Upload
    m

  • View
    215

  • Download
    3

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Dénervation rénale par radiofréquence dans l’hypertension artérielle résistante

PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES

© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 21AMC pratique n°202 novembre 2011

Dénervation rénale par radiofréquence dans l’hypertension artérielle résistante

O. Steichen1,2, M. Sapoval3,4, M. Frank5, G. Bobrie5, P.-F. Plouin3,5, M. Azizi3,5,6

1Université Pierre et Marie Curie-Paris6, Paris2Service de médecine interne, Hôpital Tenon, Paris3Université Paris-Descartes, Paris4Service de radiologie cardiovasculaire, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris5Unité d’hypertension artérielle, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris6INSERM, CIC 9201, [email protected]

publié (étude de phase 3) [1, 2]. Elle consiste à interrompre les filets nerveux sympathiques qui cheminent dans l’adventice de l’artère rénale par un courant de radiofréquence de faible intensité [3].

Procédure de dénervation rénale

Les conditions anatomiques idéales pour l’in-tervention sont une artère rénale principale unique de chaque côté, suffisamment longue (2 cm) et large (4 mm), sans sténose, avec des vaisseaux iliaques et une aorte sans lésion athéromateuse instable (plaques ulcérées, anévrisme, dissection,…). Elles sont vérifiées avant le traitement par angio-TDM ou angio-IRM. La procédure de dénervation réalisée en salle d’angiographie est douloureuse et néces-site une analgésie sédation en présence d'un anesthésiste, ce qui suppose une consultation pré-anesthésique au moins 48 heures avant le geste. Le système de dénervation comporte un cathéter à usage unique, le Symplicity Catheter System® (Ardian-Medtronic), couplé à un générateur de radiofréquence réutilisable. Un radiologue ou un cardiologue interventionnel traite successivement les deux artères rénales, en une seule séance (tableau 1). Il n’existe à l’heure actuelle aucun critère morphologique ou fonctionnel attestant en cours de procé-dure du succès primaire de la dénervation rénale. La procédure complète dure moins d'une heure, suivie d’une surveillance hospita-lière de 24 heures (dont 2 heures en salle de surveillance). Le lever est autorisé le lendemain

HTA résistante

Environ 15 à 20 % des hypertendus ont une HTA résistante, c'est-à-dire non contrôlable par une trithérapie synergique et bien dosée comportant un diurétique. Avant tout, la résis-tance doit être avérée en automesure ou en MAPA. Après avoir écarté les problèmes liés aux médicaments (mauvaise observance, prise de traitements interférents), un bilan d'HTA secondaire permet de trouver une cause dans 30 % des cas environ, justiciable d'un traite-ment spécifique. Pour les HTA essentielles résis-tantes, trois modalités thérapeutiques sont à envisager : renforcement des règles hygiéno-diététiques (notamment régime limité en sel et perte de poids), intensification pharmaco-logique (notamment spironolactone) et traite-ments interventionnels.

Traitements interventionnels de l'HTA

Les traitements interventionnels de l'HTA sont séduisants en raison des difficultés à faire respecter les règles hygiéno-diététiques et à garantir la bonne observance d'un traitement pharmacologique complexe et pourvoyeur d'effets indésirables. La stimulation électrique des barorécepteurs carotidiens a obtenu des résultats encourageants dans de petites séries non contrôlées (études de phase 2). La déner-vation rénale par voie endovasculaire est à un stade plus avancé de son évaluation, avec un essai comparatif randomisé récemment

Page 2: Dénervation rénale par radiofréquence dans l’hypertension artérielle résistante

22 AMC pratique n°202 novembre 2011

PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES Dénervation rénale par radiofréquence dans l’hypertension artérielle résistante

DO

SSIE

R

(principalement des complications locales au point de ponction).Plusieurs limites relativisent les résultats de cette étude (tableau 3). La proportion de patients répondeurs, quantifiée par la différence entre le pourcentage de patient diminuant leur PA après dénervation (84 %) et le pourcentage observé sans dénervation (35 %), est de 50 %. Aucun facteur prédic-tif de réponse au traitement n'a pu être mis en évidence. Les faibles effectifs des études publiées ne permettent pas d'évaluer les événements indésirables rares, dont certains pourraient être graves. Les événements péri-procéduraux les plus sérieux ont été des dissections d'artère rénale et des faux anévrysmes de l'artère fémorale [2]. Les contrôles radiologiques des artères rénales à six mois n'ont pas trouvé d'anomalie dans les zones traitées et la fonction rénale est restée stable.

de la procédure. Une visite post-intervention-nelle est assurée avant la sortie par le médecin ayant pratiqué le geste.

Résultats

La procédure a été évaluée au cours d’un essai contrôlé randomisé ouvert [1]. Cent six patients souffrant d'HTA résistante (pression artérielle systolique à 180 mmHg en moyenne malgré un traitement par pentathérapie) ont été randomisés dans un groupe avec ou sans dénervation. Les traitements antihyperten-seurs initiaux mis en place avant la dénervation ont été poursuivis sans modification jusqu'à l'évaluation des résultats tensionnels à 6 mois, très favorables à la dénervation (tableau 2).Il n'y avait pas de différence significative entre les deux groupes à 6 mois en termes de fonction rénale ou d'événements indésirables

Tableau 1. Étapes de la dénervation rénale en salle d'angiographie.

- Un désilet 5F est introduit par voie artérielle fémorale après anesthésie locale.- Après héparinisation, le cathéter, qui comporte à son extrémité la sonde radiofréquence, est montré sur un guide souple à travers le désilet jusque dans une des artères rénales principales.- La sonde de radiofréquence est placée près du hile rénal au contact de la paroi artérielle, sous contrôle scopique et impédancemétrique.- L’énergie de faible intensité délivrée par radiofréquence se dissipe sous forme de chaleur dans la paroi artérielle. L'adventice, où cheminent les filets nerveux, est chauffée à 50°C alors que l'intima est refroidie par le flux sanguin. Chaque séquence d’impulsions dure 2 minutes, modulées en fonction de paramètres physiques enregistrés en continu et visualisés sur la console du générateur (impédance, puissance délivrée et température atteinte).- La sonde est retirée de 5 millimètres le long de l'artère puis réappliquée avec un décalage de 60 à 90° pour la séquence suivante. Une série de 4 à 6 séquences permet de dénerver en pastilles toute la circonférence de l'artère, suivant un motif hélicoïdal.- L'artère rénale principale controlatérale est traitée.- Une aortographie globale avec temps tardif permet de contrôler l’intégrité des artères (dissection) et du parenchyme rénal (emboles ou infarctus) en fin de procédure.- Le cathéter et le désilet sont retirés et un dispositif de fermeture est mis en place.

Tableau 2. Résultats tensionnels à 6 mois dans les deux groupes de l’étude randomisée sur la dénervation rénale par radiofréquence.Résultats en mmHg exprimés en moyenne ± écart type, résultats catégoriels exprimés en nombre de patients (pourcentage).

Avec procédure (inclus n = 52) Sans procédure (inclus n = 54) p

Mesure clinique (évaluables n = 49) (évaluables n = 51)

Variation de la PA -32 ± 23/-12 ± 11 +1 ± 21/0 ± 10 < 0,0001/< 0,0001

PAS < 140 mm Hg 19 (39 %) 3 (6 %) < 0,0001

�PAS > 10 mm Hg 41 (84 %) 18 (35 %) < 0,0001

Automesure (évaluables n = 32) (évaluables n = 40)

Variation de la PA -20 ± 17/-12 ± 11 -2 ± 13/0 ± 7 < 0,0001/< 0,0001

MAPA des 24 h (évaluables n = 20) (évaluables n = 25)

Variation de la PA -11 ± 15/-7 ± 11 -3 ± 19/-1 ± 12 < 0,006/< 0,014

PA : pression artérielle ;PAS : pression artérielle systolique ;MAPA : mesure ambulatoire de la pression artérielle.

Page 3: Dénervation rénale par radiofréquence dans l’hypertension artérielle résistante

23AMC pratique n°202 novembre 2011

PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUESO. Steichen et al.

DO

SSIE

R

Perspectives

Malgré toutes les réserves mentionnées, la dénervation rénale offre des perspectives cliniques et scientifiques tout à fait intéres-santes et mérite un effort de recherche struc-turé (tableau 4).

Déclaration d’intérêt : les auteurs ont participé à l’essai HTN2 financé par la Société Ardian Inc.

Références[1] Esler MD, Krum H, Sobotka PA, Schlaich MP, Schmieder

RE, Bohm M. Renal sympathetic denervation in patients with treatment-resistant hypertension (The Symplicity HTN-2 Trial): a randomised controlled trial. Lancet 2010;376:1903-9.

[2] Symplicity HTN-1 Investigators. Catheter-based renal sympa-thetic denervation for resistant hypertension: durability of blood pressure reduction out to 24 months. Hypertension 2011;57:911-7.

[3] Steichen O, Sapoval M, Frank M, Bobrie G, Plouin PF, Azizi M. Dénervation rénale endovasculaire par radiofréquence dans l’hypertension artérielle résistante. La prudence reste encore de mise à ce jour. Presse Med 2011 (accepté), doi : 10.1016/j.lpm.2011.05.009

Applications cliniques

Le dispositif de radiofréquence pour la déner-vation artérielle rénale a obtenu le marquage CE 2008, ce qui permet sa commercialisation dans tous les états membres de l'Union. Ce marquage répond à des exigences de produc-tion et de sécurité, mais pas de bénéfice clinique. Cependant, le dispositif et l'acte ne sont pas remboursés en France, en l'absence d'avis du Comité économique des produits de santé. Les bénéfices et les risques de la procé-dure restent encore à évaluer, en particulier compte tenu des coûts de la procédure.Il paraît aujourd'hui injustifié de proposer la dénervation rénale en routine sans s'être assuré au minimum : de la résistance vraie (automesure ou MAPA) à une trithérapie synergique incluant un diurétique ; de l'ab-sence d'HTA secondaire après une enquête complète ; d'un effet insuffisant ou d'une intolérance à la spironolactone. De plus, la procédure devrait être réalisée dans des centres spécialisés avec des radiologues ou des cardiologues interventionnels expérimentés et formés, disposant d'un plateau technique suffisant pour la prise en charge d’éventuelles complications.

Tableau 3. Limites méthodologiques de l'étude randomisée.

- Patients peu représentatifs des hypertendus résistants en général

• PA très loin du contrôle,• majorité d'obèses,• pas d'exclusion des HTA secondaires.

- Prise en charge et évaluation en ouvert (biais de performance et d'évaluation).- Données manquantes en automesure et en MAPA.- Suivi de courte durée.- Absence de données de morbimortalité cardiovasculaire.

Tableau 4. Perspectives de recherche ouvertes par la dénervation rénale par radiofréquence.

- Mécanismes de la diminution de PA induite par la dénervation rénale.- Efficacité tensionnelle dans des sous-populations de patients bien définies selon l'ancienneté de l'HTA, sa sévérité ou son terrain (sujets jeunes, obèses, diabétiques, ou avec un syndrome des apnées du sommeil).- Efficacité sur le retentissement au niveau des organes cibles (masse ventriculaire gauche, épaisseur intima-media carotidienne, vélocité de l'onde de pouls aortique, microalbuminurie).- Efficacité sur la morbimortalité cardiovasculaire et rénale.- Efficacité dans d'autres contextes pathologiques que l’HTA impliquant également une hyperactivité du système sympathique (insuffisance cardiaque, fibrillation auriculaire, insuffisance rénale, cirrhose décompensée, résistance à l'insuline, syndrome des ovaires polykystiques).