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Aufheben

Derrière l'Intifada du XXIe siècle

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Echanges et Mouvement

Octobre 2003

!;CHANGES Bulletin du réseau « Echanges et mouvement »

pour abonnement, informations et correspondance : BP 241, 75866 Paris Cedex 18, France

Abonnement : 60 FF ou f. 7 ,00 pour quatre numéros comprenant les brochures publiées dans l'année.

PRl:SENTATION

La tentative actuelle des Etats-Unis de lancer une offensive planétaire contre« la menace terroriste islamique» dans l'intérêt du capital occidental nous impose de comprendre le rôle qu'ils jouent au Moyen-Orient. Depuis la création du« nouvel ordre mondial » à la fin de la guerre froide, il est devenu crucial pour les impératifs stratégiques américains de trouver une solution au conflit israélo-palestinien. On ne trouvera pas de réponse au problème palestinien dans le soutien aux« nations oppri­ mées», dans le « droit à l'autodétermination», ou dans l'exigence de la création d'un état laie binational. Les deux formes de nationalisme, sioniste et palestinien, sont nés du besoin de récupérer et de réprimer la combativité du prolétariat.

Ce texte a été traduit en allemand sous le titre« Hintergründe der Intifada des 21. Jahrhunderts » dans le supplément à Wildcat-Ztrkular n° 62, février 2002.

Ce texte (septembre 2001) est paru dans la revue britannique Aufheben, n° 10, 2002.

Aufheben I Brighton & Hove Unemployed Workers Centre, 4 Crestwny Parade, Hollingdean. Brighton SNI 7BL, Royaume-Uni

Courriel : [email protected] Internet: www.geocities.com/aufheben2

BROCHURES DISPONIBLES Présentation du réseau << Echanges et mouvement » (Echanges et mouvement, septembre 2003, 1,50 euro)

Les grèves en France en mal-Juin 1968, Bruno Astarian (Echanges et mouvement, mai 2003, 3,50 euros)

Humanisme et soclallsme/Humanlsm and socialism, Paul Mattick (Echanges et mouvement, mai 2003, 2 euros)

L'Argentine de la paupérisation à la révolte. Une avancée vers l'autonomie (Echanges et mouvement, juin 2002, 2,50 euros)

Correspondance 1953-1954, ., Pierre Chaulieu (Cernêhns Castorladls)-Anton Pannekoek, présentation et commentaires d'Henri Simon (Echanges et mouvement, septembre 2001, 2 euros)

Pour une histoire de la résistance ouvrière au travail. Paris et Barcelone, 1936-1938, Michael Seidman (Echanges et mouvement, mai 2001, 1,50 euro)

Fragile prospérité, fragile paix sociale. Notes sur les Etats-Unis, Curtis Price (Echanges et mouvement, févrjer 2001, 1,80 euro) .,,.

La Sphère de circulation du capital, G. Bad (Echanges et mouvement, octobre 2000, 1,50 euro)

Les Droits de l'homme bombardent la Serbie, G. Bad (Echanges et mouvement, octobre 1999, 1,50 euro)

Entretien avec Paul Mattlck Jr., réalisé par Hannu Reime en novembre 1991. Ed. bilingue (Echanges et mouvement, septembre 1999, 1,50 euro) ,·

./ - .

! · • . Pourquoi les mouvements révolutionnaires du passé ont fait faillite. - Grèves. - Parti et classe. Trois textes d' Anton Pannekoek,

précédés de : Le Groupe des communistes internationalistes de Hollande, par Cajo Brendel (Echanges et mouvement, avril 1999, 1,50 euro)

Enquête sur le capitalisme dit triomphant, Claude Bitot (Echanges et mouvement, janvier 1999, 1,50 euro)

La Lutte de classe en France, novembre-décembre 1995. Témoignages et discussions sur un mouvement social différent (Echanges

et mouvement, mars 1996, 1,50 euro)

Les Internationalistes du « troisième camp » en France pendant la seconde guerre mondiale, Pierre Lanneret (éd. Acratie)

Mals alors, et comment 1 Réflexions sur une société socialiste (Echanges et mouvement, 1,50 euro)

Bilan d'une adhésion au PCF. Un témoignage ouvrier en mai 68 (Informations correspondance ouvrières, 1,50 euro)

La Grève généralisée en France, mal-Juin 1968. Témoignages ~ et réflexions (Informations correspondance ouvrières, juillet 1968, 2,20 euros.)

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Le« processus de paix » d'Oslo (1993-2000) p. 49 Le rôle policier de / 'OLP

Le processus de paix et la restructuration du capital israélien La classe ouvrière palestinienne La classe ouvrière juive

L'Intifada du XXI· siècle p. 55 Les Arabes israéliens L'Autorité palestinienne de plus en plus discréditée et la militarisation de la lutte

L'impact de la nouvelle Intifada

Conclusion : de la révolte à la guerre? p. 61

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Derrière l'Intifada du XXIe siècle

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction p. 5

La domination américaine p. 8 Les intérêts économiques de l'Amérique au Moyen-Orient Le nationalisme panarabe et le prolétariat de l'industrie du pétrole Le nationalisme palestinien, rejeton bâtard du sionisme travailliste

Histoire de deux mouvements de libération nationale : le sionisme travailliste et le mouvement national palestinien p. 14 Le sionisme travailliste et le militantisme de la classe ouvrière juive européenne. Naissance du sionisme travailliste en Palestine La stratification ethnique sioniste

La résistance de la classe ouvrière juive et l'impératif d'expansion Le boom d'après 1967 Les colonies et l'accord travailliste sioniste Les Panthères noires Israéliennes La crise inflationniste de 1978-1985 Les Etats arabes, l'expansion et les Etats-Unis Colonies et contradictions

La formation de la classe ouvrière palestinienne U11e terre ;ans peuple ? L'abolition de la bourgeoisie palestinienne locale « Le seul représentant légitime du peuple palestinien »

L'OLP contre l'activité autonome du prolétariat La Jordanie Le Liban

L'Intifada (1987 -1993) p. 37 Une lutte de« libération nationale» ? L 'Intifada en tant que lutte de classe et les luttes de classe dans l'Intifada La « révolte des pierres ,, La réaction de la bourgeoisie israélienne Les Islamistes La guerre du Golfe

La route d'Oslo

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INTRODUCTION

A LORS QUE nous mettons sous presse+ les Etats-Unis font un sérieux effort pour sauvegarder le « processus de paix » d'Oslo, effort qui constitue le cœur de leur straté­

gie, sous couvert de « guerre contre le terrorisme », pour mobi­ liser la bourgeoisie mondiale et lui imposer l'union. Ceci après une année pendant laquelle ils ont laissé Israël et les Palestiniens s'enfoncer dans un conflit unilatéral, déprimant et sanglant. La façon dont est perçue la caution américaine accordée au terrorisme d'Etat israélien contre les Palestiniens est une composante im­ portante de la réaction ambivalente, voire même du soutien, de nom­ breuses personnes au Moyen-Orient et ailleurs à l'égard du terrorisme qui a visé le cœur de la puissance militaire et financière américaine.

Ceci a brutalement mis en relief Je conflit israélo-palesti­ nien, rendant plus urgente que jamais l'analyse des forces motrices de l'Intifada. Au moment des attentats contre le World Trade Center de New York et le Pentagone à Washington, le 11 sep­ tembre 2001, ce que l'on a appelé« l'Intifada Al Aqsa » faisait rage depuis environ un an et semblait avoir réussi à saboter la tentative de paix bourgeoise incarnée par les accords d'Oslo. Elle a coûté très cher au prolétariat palestinien, qui a perdu beaucoup plus de vies et ramassé beaucoup plus de blessés que pendant l'Intifada de 1987-1993. C'est en particulier le nombre élevé de mor!JI parmi la population palestinienne en « Israël pro­ prement dit!>>"'1!ui fait la spécificité de cette Intifada, lorsque des localités comme Jaffa et Nazareth se sont soulevées avec des grèves générales et des émeutes, et lorsque la route principale qui traverse la Galilée du Nord a été semée de pneus enflammés dès les premiers jours du soulèvement. De l'autre côté de la Ligne verte, la politique israélienne d'assassinats a régulière­ ment ajouté au nombre de morts, chaque jour fournissant des té­ moignages encore plus choquants sur les horreurs du nationa­ lisme et de la répression.

Pourtant, ce qui différencie vraiment cette dernière Intifada de la précédente est l'existence d'un micro-Etat palestinien, dont le rôle de policier et le statut de client ont été mis en évidence par le soulèvement. L'Etat israélien a commencé à réoccuper les zones contrôlées par l'Autorité palestinienne, à première vue temporairement. Sans présumer des intentions à long terme de l'Etat israélien, ces incursions ont servi à rappeler brutalement à l'Autorité palestinienne qu'elle est la création d'Israël, et que

• Cc ICIIIC esr paru en zooz en Grande-Bretagne. (NDE.)

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( J) Elle a aussi tendance à nier le statut de «véritable» nationalisme du sionisme, en se concentrant sur son racisme d'exclusion. Bien que cela soit vrai du sionisme, elle oublie que le nationalisme est toujours basé sur ! 'exclusion et n'a donc rien à voir avec le communisme.

(2) The New Intifada : Israel, tmperiallsm and Pa/estinian résistance (La Nouvelle Intifada, Israël, l'impérialisme et la résistance palestinienne), brochure du Sociallst Worker, janvier 2001.

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les Israéliens peuvent aussi détruire ce qu'ils ont créé. Le but de ce texte n'est pas de prédire les développements futurs du conflit israélo-palestinien, mais de replacer la dernière Intifada dans son contexte historique et de la comprendre sous l'angle de la lutte de classe.

Beaucoup réagissent au problème palestinien en lançant des appels abstraits à la solidarité entre travailleurs arabes et juifs. En même temps, la gauche léniniste légitime 1 'idéologie natio­ naliste qui divise la classe ouvrière, en affirmant « le droit à ] 'autodétermination nationale» et en offrant son« soutien critique» à l'OLP (1). Au moment où nous écrivons {2001], l'Intifada ne semble pas vraiment à même de détrôner cette idéologie nationaliste. Les travailleurs arabes et juifs « s'unissent et luttent » - apparemment avec leurs bourgeoisies et les uns contre les autres. Cet article sou­ lignera certaines raisons matérielles pour lesquelles les exemples concrets de la solidarité prolétarienne entre Juifs et Arabes sont rares. La classe ouvrière juive a été matériellement avantagée par l'occupation et par la position inférieure des Pa­ lestiniens sur le marché du travail, tant en Israël que dans les territoires occupés. Depuis le milieu des années 1970, cet ac­ cord (que nous appellerons sionisme travailliste) a régressé, et les travailleurs juifs sont confrontés à l'insécurité économique. L'occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza était né­ cessaire pour loger la classe ouvrière juive en Israël. Les colonies dans les territoires occupés ont joué le rôle de logement social pour compenser l'insécurité économique croissante des travailleurs juifs, et sont devenues un problème insoluble 'auquel sont confrontés les architectes de la paix bourgeoise.

Une position typique de la gauche est d'appeler à la création d'un « Etat socialiste démocratique en Palestine dans lequel Juifs et Arabes pourront vivre en paix (2) ». Cela pourrait nous sembler relativement réformiste, mais un tel appel pour« un Etat binational, laïc et démocratique» est considéré en Israël comme une exigence follement révolutionnaire, même par des activistes relativement radicaux. Depuis le début du siècle, les luttes des deux groupes de travailleurs sont de plus en plus réfractées par le prisme du nationalisme. Toutefois, le spectacle désolant de prolétaires qui s'entretuent n'est pas prédéterminé: le nationa­ lisme au Moyen-Orient est apparu et est entretenu pour réagir au militantisme de la classe ouvrière. Pour nous, l'idéologie na­ tionaliste, telle qu'elle se manifeste au Moyen-Orient, ne peut se comprendre qu'en relation avec l'émergence d'un prolétariat r,MroHer et avee \a dom.ination américaine dans la région.

tionale entre les prolétaires et la petite-bourgeoisie soit plus forte que les liens de solidarité de classe entre travailleurs pa­ lestiniens et juifs. Les attaques des nationalistes palestiniens vi­ sent de plus en plus souvent toutes les manifestations de la do­ mination israélienne, surtout les colons eux-mêmes, et même des civils en Israël. Le danger physique dans lequel se trouvent les travailleurs juifs les pousse à soutenir les impératifs de sécurité del 'Etat israélien.

Aussi bien chez les Palestiniens que chez les Israéliens, on note des tendances à résister à leur incorporation dans les machines éta­ tiques opposées et leur logique de guerre. Mais en fin de compte, il est impossible de trouver, dans les limites de ce conflit étudié isolément, une transformation de ces tendances en mouvement so­ cial capable de sortir de l'impasse de deux nationalismes qui se renforcent mutuellement. Ou plutôt, une telle transformation est liée à la généralisation des luttes prolétariennes au Moyen­ Orient, et de façon vitale, en Occident. Selon l'intensité de la résistance de classe qu'elle générera, surtout à une époque de récession mondiale, « la guerre contre le terrorisme» ouvre au moins la perspective de cette généralisation.

Septembre 2001.

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défaite, c'est-à-dire 1ant que 111 forme de la valeur existera, alors le nationalisme se nourrira de cette division. Le capital est peut-être un, mais c'est un "un" différencié dont l'unité se construit grâce à la concurrence à un niveau international. Comme la concurrence sur le marché mondial est basée sur des produits moins chers, accepter "l'intérêt national" et consentir des sacrifices à la bourgeoisie nationale peut entraîner plus d'exploitation pour la classe ouvrière, la résignation à une vie de mort-vivant ou une véritable vie de chair à canon, mais cela augmente aussi la compétitivité du capital national sur le marché mondial, rendant sa réalisation plus probable, et contribuant ainsi à assurer aux deux classes un revenu futur. »

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(63) « Yugoslavia unravelled : class decomposition in the "New World Order" » (La Yougoslavie effilochée: la décomposition des classes dans le nouvel ordre mondial), A11j11eben n° 2, été 1993: « Le nationalisme reflète l'identité superflclell« des intérêts qui existent entre une bourgeoisie nationale donnée el le prolétariat de son pays tant que les relations sociales capitalistes perdurent. Identité d'intérêts, parce que la valorisation el la réalisation du capital fournissent à la rois aux capitalistes et aux travailleurs une source de revenus gr6ce auxquels, en tant que sujets indépendants sur le marché légalement séparé des moyens de production, on peut acheter des marchandises pour satisfaire ses besoins (quoique sous une forme aliénée). Superficielle, parce que, alors qu'il ne se présente pas spontanément comme tel, ce processus est celui del 'exploitation de classe el donc de l'antagonisme de classe. Dans la mesure où la bourgeoisie s'organise à un niveau national, et dans la mesure où parler d'économies nationales a encore du sens, le prolétariat se retrouve inclus dans une classe universelle divisée par les séparations nationales. Tant que nous demeurerons dans ln

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légitimité de l'OLP n'implique pas le rejet de toutes les formes de représentation, mais conduit plutôt à un soutien de masse pour une forme de représentation nationaliste plus militante, par exemple le Hamas.

En raison de la subordination de la bourgeoisie palesti­ nienne, de nombreux Palestiniens ont été obligés de travailler pour le capital d'Israël, soit à l'intérieur de la Ligne verte, soit dans la construction des colonies. Pour eux, le visage du patron est le gouvernement militaire israélien. li leur serait donc possible de s'identifier aux commerçants petit-bourgeois en tant que Pa­ lestiniens plutôt qu'en tant que prolétaires, car ces derniers su­ bissent les mêmes nombreuses humiliations et privations quoti­ diennes imposées par Israël. En l'absence d'une révolution, leurs vies de tous les jours en tant que travailleurs pourraient s'améliorer s'il existait une bourgeoisie palestinienne fonction­ nelle, capable d'investir dans des industries et de leur donner du travail, procurant ainsi un revenu aux deux classes.

Pour conclure, les appels rituels à une solidarité abstraite entre travailleurs juifs et palestiniens démontrent l'ignorance des divisions très concrètes dont les deux groupes font l'expérience quotidiennement.

Le« processus de paix» avait l'air prêt à s'attaquer partiel­ lement à ces divisions, en intégrant ) 'Etat israélien dans le reste du Moyen-Orient. Implicitement, ce processus était une agression contre la position retranchée des travailleurs juifs qui les obligerait à se fondre dans le reste de la classe ouvrière de la région, quoique dans une position relativement privilégiée. Ceci s'est heurté à la résistance de la classe ouvrière, comme dans cette grève chez Tempo Beers déclenchée par des Arabes et des Juifs israéliens, que la gauche israélienne a salué comme un exemple rare de solidarité de classe entre Juifs et Palestiniens. Comme nous l'avons fait remarquer dans le numéro 2 d'Aujheben, le soutien de masse en faveur du nationalisme exprime une « iden­ tité superficielle» d'intérêts de classe contradictoires (63).

Dans le cas des travailleurs juifs en Israël, la position privi­ légiée qu'ils occupent par rapport aux Palestiniens est née de leur combativité. La place des travailleurs juifs exige la domination du capital israélien sur les territoires occupés. La subordination de la bourgeoisie palestinienne a aiguisé les antagonismes de classe dans les territoires, c'est pourquoi elle doit retourner la colère prolétarienne exclusivement contre Israël. Parce que les deux classes palestiniennes partagent) 'expérience de la répres­ sion par les autorités israéliennes, il semble que ! 'alliance na-

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Par exemple, les formes prises par le nationalisme palesti­ nien - particulièrement l 'OLP- étaient une réponse concrète de la bourgeoisie palestinienne en exil à un prolétariat palestinien ouvertement rebelle. Le« processus cle palx » agenc! par les Etats-Unis naquit de la reconnaissance du rôle récupérateur del 'OLP dans l'Intifada, alors que l'écroulement d'Oslo et la montée ap­ paremment dramatique de l'hostilité islamiste à l'égard des Etats-Unis est liée à l'incapacité de l'OLP de satisfaire les exi­ gences même les plus basiques du nationalisme palestinien. C'est pourquoi il nous faut d'abord comprendre le contexte in­ ternational au Moyen-Orient, en particulier le rôle hégémonique des Etats-Unis dans la région.

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"En 1951, le Premier ministre iranien Mossadegh décida la nationalisation du pétrole. Opposé à cette politique, le chah Reza Pahlavi le destitua et le fil arrêter en 1053 (NDS).

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LA DOMINATION AMÉRICAINE

L A PREMIERE GUERRE MONDIALE, de 1914 à 1918, a démontré la valeur militaire du pétrole. Dans son sittage, l'influence del' Allemagne au Moyen-Orient se trouva considérable­

ment réduite, et il devint évident pour toutes les grandes puis­ sances que l'Empire ottoman ne pouvait plus se maintenir seul ( en partie à cause de la révolte arabe de 1917, favorisée par les Bri­ tanniques). La Grande-Bretagne et la France s'entendirent pour diviser le Moyen-Orient en sphères d'influence, la Grande-Bre­ tagne contrôlant la Palestine. Alors que le but affiché était d'em­ pêcher la Russie de pénétrer dans cette région, la Grande-Bre­ tagne avait aussi l'intention de contenir les ambitions françaises en Syrie et au Liban, de garantir l'accès au canal de Suez et de sécuriser l'écoulement du pétrole depuis l'Irak. Dès 1947, la po­ sition britannique en Palestine n'était plus tenable, en raison du déclin de la Grande-Bretagne comme puissance impériale. Epuisé par la seconde guerre mondiale, attaqué par les colons mi­ litants juifs, et de plus en plus diminué en politique étrangère par les Etats-Unis, le Royaume-Uni maintint une position chance­ lante jusqu'à ce que son « retrait » soit manigancé en 1948 lors de la création de l'Etat d'Israël.

Cette année-là vit l'expansion et la consolidation de l'Etat israélien par la guerre contre ses voisins arabes, et la domina­ tion des Etats-Unis en tant que puissance étrangère dominante dans la région. Les intérêts stratégiques des Etats-Unis étaient triples : stopper l'expansion de 1 'URSS en Méditerranée, protéger les gi­ sements de pétrole de la péninsule arabique identifiés à l'époque, et enfin entraver toute poursuite de l'influence bri­ tannique ou française au Moyen-Orient. Pendant les premières an­ nées de t 'après-guerre, les Etats-Unis considéraient les vieilles puissances européennes, et non l'URSS, comme leurs princi­ pales rivales au Moyen-Orient. En l 953, en Iran, le coup d'Etat de Reza Pahlavi soutenu par la CIA - en réaction à ta nationali­ sation par l'Iran des gisements de pétrole appartenant aux Bri­ tanniques* - eut pour effet le transfert de 40 % du pétrole britannique vers les Etats-Unis. Le coup d'Etat transforma l'Iran en Etat­ client des Etats-Unis dans le « ventre mou » de la frontière sud de l'URSS, en bastion de la « culture occidentale» au Moyen-Orient. o~ meme, p<mll1mt lil crtse de ~ucz ce l 9l6, les Etats-Unis em-

Conclusion. De la révolte à la guerre ?

L E (( PROCESSUS DE PAIX » mettait en évidence la prise de conscience par la bourgeoisie israélienne de ta nécessité de l'OLP pour contrôler le prolétariat palestinien. L'OLP se

retrouvait donc coincée entre la récompense qu'elle pouvait es­ pérer en faisant Je sale boulot et son besoin de conserver sa capacité idéologique de récupérer les luttes prolétariennes. L'éruption de la nouvelle Intifada a montré son échec sur ces deux points.

En Israël, les manifestations de ta résistance de la classe ou­ vrière à la rationalisation économique des années 1990 étaient plus feutrées qu'ailleurs., Egypte et Tunisie par exemple. Ce­ pendant, pour compenser l'insécurité accrue des travailleurs juifs, il fallait accélérer la construction des colonies, et donc, cela entraînait l'intransigeance de l'Etat israélien dans ses né­ gociations avec les Palestiniens. La construction de colonies en Cisjordanie se déroulait parallèlement à ta« judaïsation » de la Galilée en Israël proprement dit. Cela signifiait l'intensification du harcèlement contre les chômeurs et des démolitions des mai­ sons des Palestiniens israéliens pendant la période qui a débou­ ché sur une nouvelle éruption de l'Intifada en 2000.

Les signes d'une escalade de l'Intifada jusqu'à ce qu'elle de­ vienne un conflit militaire rangé n'ont pas entraîné la dispari­ tion totale, -des soulèvements civils. Certaines sections de la bourgeoisie palestinienne veulent imposer à nouveau des formes de lutte civile de masse pour essayer de désamorcer l'Intifada. Pour­ tant jusqu'à présent, elles n'ont pas réussi. L'Intifada a conduit à l'abandon par la bourgeoisie israélienne du « processus de paix»; mais la dépendance de cette bourgeoisie à l'égard des Etats-Unis, qui ont d'autres préoccupations au Moyen-Orient, a limité ses possibilité d'intensification de la répression du sou­ lèvement. Alors, dans quelle mesure l'Intifada est-elle l'ex­ pression modérée d'une guerre de classe, et dans quelle mesure est-elle une lutte de libération nationale? Et si les travailleurs n'ont pas de pays, pourquoi les travailleurs continuent-ils à soutenir le nationalisme ?

Souligner les attaques récentes des Palestiniens contre les formes établies de représentation politique n'est qu'une partie de la réponse, car on a souvent dit que ces représentants n'étaient pas assez nationalistes. Dans ce scénario, la crise de

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(62) l,t lo mojorilé du mouvement pour la paix n rendu l'Ame parce que « saos partenaire pour ln paix«.

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maliser » ses relations commerciales avec le reste du Moyen­ Orient. Elle a été rayée de ]'agenda avec ]'élection de Sharon. Toutefois, à présent que la bourgeoisie israélienne a abandonné le « processus de paix » (62), elle est plus dépendante que ja­ mais du bon vouloir de l'Occident, surtout du soutien financier des Etats-Unis qui doivent équilibrer leur soutien à Israël et leurs autres intérêts dans la région.

Cela rend la politique israélienne très peu claire : on envoie les tanks à Gaza et puis on ]es retire après s'être fait tirer les oreilles par les Etats-Unis. Une des principales tactiques de l'Etat israélien est ! 'assassinat de leaders palestiniens, souvent membres du Hamas. Chez les Palestiniens, la colère publique de masse chaque fois que cela se produit ne fait que souligner la profondeur de l'attrait populaire pour Je Hamas. Il est toutefois plus facile à la bourgeoisie israélienne de justifier ce genre de violence que le meurtre aveugle d'enfants (quoique les mili­ taires semblent incapables de« prendre ]es terroristes» sans tuer • d'autres personnes).

Malgré les limites imposées à ses actes par les Etats-Unis, 1 'Etat israé1ien peut se permettre pas ma] de massacres, grâce à l'absence de véritable réaction de la part de la classe ouvrière. Alors que 1 'Intifada a déclenché des révoltes chez les Arabes, à l'intérieur de la Ligne verte, comme dans d'autres parties du Moyen­ Orient, les travailleurs juifs semblent épouser les impératifs de sécurité, bien qu'on trouve des exemples de conscrits révoltés qui font passer des armes en contrebande« de l'autre côté», ce que l'armée met sur le compte de l'usage de stupéfiants dans l'armée. De toute évidence, les attentats suicides dans les bus, les boîtes de nuit, les magasins et autres endroits très fréquentés renforcent les divisions entre travailleurs juifs et palestiniens.

D'autres travailleurs juifs habitent dans les colonies, qui sont devenues des cibles légitimes pour les attaques de la guérilla palestinienne. S'ajoutant à la libération de toute la puissance de feu de l'armée israélienne contre les prolétaires des territoires occupés, l'armement des colons achève de monter les prolétaires les uns contre les autres.

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pêchèrent la Grande-Bretagne et la France de réaffirmer Jeurs intérêts nationaux en Egypte, obligeant ces vieilles puissances im­ périales à jouer les seconds violons de l'Amérique au Moyen­ Orient.

Cependant, une fois l'Egypte dans l'orbite soviétique, à la suite du coup d'Etat des Officiers libres en 1952, et de la signa­ ture d'une vente d'armes avec la Tchécoslovaquie en 1955, les Etats­ Unis comprirent que l'Union soviétique tentait de jouer les gros bras dans la région. L'endiguement de l'URSS devint alors le mot d'ordre officiel de la politique étrangère américaine, ce qui signifiait placer des obstacles sur la route de 1 'influence sovié­ tique au Moyen-Orient. La politique sous-jacente était la pro­ tection à tout prix des intérêts économiques américains.

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Les intérêts économiques de l'Amérique au Moyen-Orient

L'intérêt principal de l'Amérique dans la région est bien en­ tendu le pétrole. En même temps qu'elle plaça les Etats-Unis au sommet de la hiérarchie impérialiste, la seconde guerre mon­ diale confirma la position centrale du Moyen-Orient comme principale source de pétrole. Un rapport du Département d'Etat de 1945 qualifiait l'Arabie Saoudite de« source prodigieuse de puissance stratégique, et l'une des possessions les p]us importantes de l'histoire du monde». Peu de choses ont changé depuis, sinon que le pétrole acquit une valeur encore supérieure lorsque l'Amérique entra dans sa phase dynamique d'expansion for­ distè: .au cours des deux décennies qui suivirent la seconde guerre mondiale.

Lorsque la production automobile et l'industrie pétrochi­ mique remplacèrent la construction de voies ferrées comme lieux clés de l'expansion, le capital alla du charbon au pétrole, qui devint la matière première essentielle. Les sources d'appro­ visionnement en pétrole, surtout le Moyen-Orient avec ses énormes réserves, acquirent une importance cruciale. La valeur du pétrole ayant été soulignée par la crise énergétique des an­ nées 1970, les Etats-Unis ont utilisé tous les moyens possibles pour se procurer le pétrole de cette région avant et par-dessus tout le monde. Pour les Etats-Unis, une source de profits secondaires, mais non négligeables, est constituée par l'écoulement des pétrodol­ lars arabes vers l'Amérique du Nord sous forme d'achats de ma­ tériel militaire, de projets de construction, de dépôts bancaires et autres investissements, phénomène qui date des années 1970.

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(3) « Somalia and the "lslamic Threat" to Global Capital » (La Somalie et la «menace islamiste» pour le capital mondial),. Aufheben n°2, été 1993.

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Le nationalisme panarabe et le prolétariat de la production pétrolière

Au début, l'Etat d'Israël nouveau-né tenait très peu de place dans les préoccupations américaines. En fait, pendant la crise de Suez, l'Amérique s'était alliée à l'Egypte contre l'expansion­ nisme d'Israël. Ce ne fut que dans les années 1950, lors de l'émergence d'un nationalisme arabe plus affirmé, que les Etats­ Unis commencèrent à saisir le potentiel d'un partenariat straté­ gique construit avec l '« entité sioniste ». La croissance de la production pétrolière au Moyen-Orient avait amené des société autrefois traditionnelles à se moderniser rapidement. Une nouvelle bourgeoisie émergea de la classe militaire et bureaucratique, au service de l'accumulation nationale, favorable au modèle de dé­ veloppement capitaliste de l'URSS et hostile à I'« impéria­ lisme».

La forme d'anti-impérialisme la plus cohérente était le na­ tionalisme « panarabe ». Les origines du panarabisme se trou­ vent dans l'Empire ottoman, qui avait unifié les Arabes sous la­ férule turque, mais qui s'était écroulé à la suite de la première guerre mondiale. Les puissances impérialistes découpèrent alors le Moyen-Orient dans le but de conquérir et de contrôler de nou­ veaux marchés et des matières premières d'importance straté­ gique. Pourtant, ces nouvelles frontières allaient à l'encontre « du langage commun, des coutumes et des traditions » conser­ vés par les habitants del 'ancien Empire ottoman. Dans l'idéologie panarabe, une « communauté naturelle », basée sur l'idéalisa­ tion des relations sociales précapitalistes, sert à neutraliser les an­ tagonismes de classe. Au moyen d'un mouvement politique mo­ derniste, le panarabisme a pu utiliser cette « communauté naturelle » imaginaire pour faire avancer son projet de modernisation et pour récupérer la lutte de classe. En tant que mouvement na­ tionaliste, le panarabisme servit à diviser et à coopter la classe ou­ vrière de la région, favorisant ainsi la promotion du développe­ ment capitaliste. Malgré cela, son penchant pour l'URSS et ses tendances au capitalisme d'Etat menaçaient les intérêts du ca­ pital occidental (3). Bien que ces intérêts n'aient en aucun cas été semblables pour les différentes capitales occidentales, à long terme, les tendances au capitalisme d'Etat du nationalisme arabe risquaient d'empêcher le capital occidental d'accéder librement aux gisements pétroliers du Moyen-Orient.

Mais le nationalisme arabe, pendant les brèves périodes où il s'est incarné dans un panarabisme combatif, a été réduit en poussière par Israël. Et sur le plan économique, les bourgeoisies

du bon vouloir américain qui limite ainsi la liberté d'action d'Is­ raël pour écraser la révolte.

L'Intifada avait précipité la crise du Parti travailliste même avant sa défaite électorale écrasante, en particulier à cause du problème insoluble des colonies, comme on l'a déjà vu. Bien que Sharon ait contribué à mettre le feu aux poudres, la bour­ geoisie l'a réhabilité politiquement. Si sa réputation d'« homme dur» a fait de lui un choix naturel pour la droite, son statut de père fouettard n'a pas découragé certains électeurs plus libéraux dans le climat actuel d'urgence nationale.

Ce nouveau soulèvement a aussi entraîné de profonds chan­ gements de politique étrangère pour les Etats arabes. Disparu le ton conciliant envers Israël ; plus important encore, disparu aussi le consensus sur 1 'Irak que l'Amérique et la Grande-Bretagne maintenaient depuis 1991. Reconnu comme l'un des rares diri­ geants du panarabisme et partisan enthousiaste des palestiniens, Saddam Hussein est en train d'être réhabilité au Moyen-Orient, et le régime des sanctions est en passe de s'écrouler. Au moins jusqu'à une date récente, le désengagement partiel de Bush du processus de paix - en fait un soutien sans équivoque à la poli­ tique israélienne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza - signifiait qu'on voyait mal comment l'Intifada actuelle pourrait se termi­ ner rapidement.

L'opinion populaire arabe se durcissait contre les Etats­ Unis. A cause de l'Intifada et des troubles grandissants dans les pays arabes, en Egypte et en Jordanie par exemple, la bourgeoi­ sie arabe a été ê~ntrainte de réunir le premier sommet arabe de­ puis quatre ans, et d'autoriser! 'Irak à y participer. L'Egypte rappela son ambassadeur de Tel Aviv pour la première fois en dix-huit ans, et quatre Etats arabes ont mis fin à leurs relations diplomatiques. Pourtant, il est important de ne pas trop insister sur ce revirement : le Liban et la Jordanie tiennent toujours à construire les zones industrielles cofinancées pour tirer le maxi­ mum du dividende de paix, si elle se produit. La Jordanie et 1 'Egypte ont aussi interdit les manifestations anti-israéliennes.

En ce qui concerne la bourgeoisie occidentale, elle est divi­ sée au sujet de ses relations avec le Moyen-Orient en général. Ceci a été démontré par l'isolement des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne quand ils ont recommencé à bombarder l'Irak peu après l'accession à la présidence de George W. Bush. Les diplomates palestiniens cherchent des alliés européens, fort pro­ bablement la France. Pour le moment, la bourgeoisie israélienne a dû mettre au second plan son ambition à long terme de « nor- ·

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guerre de l'Etat », on ne peut pas en dire autant de la force de police palestinienne paramilitaire.

Une des conséquences qui en découlent est l'engagement d'un groupe représentatif de la population beaucoup plus res­ treint, les protagonistes étant surtout des hommes entre 17 et 25 ans. Une autre de ces conséquences est le nombre de morts palestiniens beaucoup plus élevé que lors de la dernière Intifada, ce qui permet à l'Autorité de récupérer un peu de crédibilité et de se débarrasser de quelques pauvres gens indisciplinés pour faire bonne mesure. Jusqu'à un certain point, la transformation d'un soulèvement populaire spontané en conflit quasiment militaire ren­ force t '« Etat embryonnaire» del' Autorité palestinienne. Après tout, un Etat présuppose la capacité de défendre ses frontières. D'autre part, la supériorité écrasante d'Israël conduit certains éléments de l 'OLP à essayer de désamorcer le conflit. Ces éléments tentent de réaffirmer le caractère civil de masse du soulèvement.

L'impact de la nouvelle Intifada

En dépit des tentatives israéliennes de remplacer les Palesti­ niens par des travailleurs immigrés, un des effets majeurs de la nouvelle Intifada est encore une forte crise de l'industrie de ta construction, en raison du tarissement de la source de main­ d' œuvre palestinienne bon marché. On s'attendait à ce que la croissance économique d'Israël baisse jusqu'à 2 % en 2001 alors qu'elle était de 6 % en 2000. Le prix des maisons à Jérusalem a déjà chuté de 20 % entre 2000 et 2001. "

Bien qu'on ait mis beaucoup de ces chiffres sur le compte des pressions mondiales exercées par le ralentissement écono­ mique, il est clair que l'Intifada aggrave les pressions mon­ diales, si on tient compte du fait que le chiffre du commerce is­ raélien avec les territoires, 2 milliards de dollars par an, est divisé par deux. Bien qu'on invoque les conditions sur le marché • mondial comme la raison officielle de la réduction de SO % des investissements étrangers cette année, il est certain que l 'Inti­ fada ne va pas attirer les investissements étrangers en Israël.

D'un autre côté, le secteur des start-up de Tel Aviv est tou­ jours florissant, ce qui souligne la force relative de l'accumula­ tion capitaliste en Israël ; ce secteur est protégé des nombreux im­ pératifs économiques normalement imposés au capital par une aide américaine de plus de 4 milliards de dollars par an. Toute­ fois, cette aide est une arme à double tranchant, car elle dépend

58 - !CHANGES

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des différents pays arabes ont, tôt ou tard, découvert qu'il était difficile de résister à l'énorme soutien économique qu'apporte­ rait un réalignement avec l'Amérique (4) Pour la bourgeoisie arabe (et l'OLP ne falt pas except:on), qu'elle solt ou non ou­

vertement panarabe, la difficulté, si elle ne voulait pas affronter des défis intérieurs, était de s'allier avec l'Amérique de façon crédible tout en paraissant maintenir en vie le rêve de l 'indé­ pendance arabe et la destruction d'Israël. En 1973, cette tension se traduisit par la hausse du prix du pétrole décidée par l 'Orga­ nisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), ressentie comme une réaction à la guerre d'octobre entre Israël et les Etats arabes. Cependant, les exigences du prolétariat de la production pétrolière signifiaient que, dans certains pays, on dépensait une part disproportionnée des augmentations du prix du pétrole im­ posées par l'Opep pour répondre aux besoins de la classe ou­ vrière, plutôt que pour atteindre les niveaux technologiques su­ périeurs nécessaires au développement industriel (S).

Les impératifs stratégiques de l'Amérique se durcirent au­ tour de deux objectifs: d'abord contenir la menace que repré­ sentait l'Union soviétique et, deuxièmement, écraser ou, là où c'était possible, coopter les expressions variées du nationalisme arabe qui déferlaient sur la région.

En plus de sa méthode habituelle d'intervention à l'étranger - c'est-à-dire soutenir avec enthousiasme la faction de labour­ geoisie pro-occidentale la plus crédible, coopter autant que pos­ sible tout mouvement populaire, et faire éliminer tes provoca­ tewts, impénitents - les Etats-Unis inventèrent un moyen raffiné de représenter le Moyen-Orient comme la partie du monde en crise permanente et, de toute façon, impossible à comprendre. La politique américaine devint donc « gestion de crise» et« ap­ port de paix à l'endroit le plus troublé du monde». Qu'importe la crise, le pétrole et les pétrodollars continuaient à s'écouler d'est en ouest, et les Etats-Unis n'ont pas eu à lutter beaucoup pour faire durer la paix bourgeoise dans la région (6).

Le nationalisme palestinien, rejeton batard du sionisme travailliste

Bien qu'Israël soit proche des gisements pétroliers du Moyen-Orient, il n'en possède pas, ce qui a accru sa vulnérabi­ lité stratégique par rapport à ses voisins. Pourtant, en tant que « bastion de la culture occidentale dans une mer de sous-déve­ loppement gouvernée par de petits despotes (7) », les Etats-Unis utilisent l'image d'Israël pour maintenir leur contrôle sur les gi-

(4) Contrairement à l'URSS qui, 11 celle !J)oque. avn:t lrls peu }. offrir à ses clients potentiels. li lui était impossible d'offrir les gigantesques encouragements financiers des Américains, et au lieu des mille et une manières d'aider un état arabe dont disposait le capital, l'Union soviétique ne pouvait offrir qu'une aide militaire et une assistance technique limitée. Contrairement aux Etats-Unis, la politique russe au Moyen­ Orient était rudimentaire, ne pouvant apponer qu'une protection extrêmement limitée, même 11 son plus proche allié, la Syrie.

(5)« Somalia and the "lslamic Tbreat" to Global Capital », A11jheben n°2, été 1993. Voir aussi: « When crusaders and assassins uni te, let the people beware » (Quand les croisés et les assassins s'unissent, que le peuple prenne garde), Mldnlght Notes, 1990.

(6) En 1979, le traité de paix israélo-égyptien ne faisait que souligner à quel point l'Egypte était entrée dans l'orbite américaine depuis la mort de Nasser.

(7) Voir : « Capistalist Carnage in the Middle East » (Carnage capitaliste au Moyen­ Orient), Wildcot n°6, 1983. -

tCHANGES - 11

sements pétroliers. Depuis la fin des années 1950 et par la suite, 1 'accroissement spectaculaire del 'aide financière et militaire si­ gnifiait de tout évidence que les Etats-Unis considéraient Israël comme un atout stratégique qui contrebalançait, et était en fait ca­ pable de dominer 1 'Egypte et la Syrie, Etats clients des Sovié­ tiques. Les guerres de 1967 et 1973 ont démontré au monde arabe toute la puissance acquise par l'Etat d'Israël. Il était devenu la superpuissance de la région.L'aviation israélienne, en parti­ culier, pouvait venir à bout de l'est de la zone Méditerranée.

Israël avait encore une autre utilité pour les responsables po­ litiques américains. Piqués au vif par leur expérience vietna­ mienne, et souvent empêchés d'intervenir comme ils l'auraient voulu dans les endroits politiquement sensibles du monde par leur opinion publique inquiète de leur réputation internationale, les Etats-Unis utilisèrent fréquemment Israël, surtout pendant les années 1970 et 1980, comme intermédiaire pour livrer de l'argent et des armes à divers mouvements contre-insurrection­ nels, ou persuadèrent Israël de le faire. Les classes dirigeantes du Zaïre, d'Afrique du Sud, d'Angola, du Salvador, du Guatemala et d'Indonésie, sont au nombre de celles qui bénéficièrent de l'aide opportune d'Israël lorsqu'elles cherchaient à se protéger de leurs opposants.

Alors que la bourgeoisie des Etats-Unis a toujours eu ten­ dance à être pro-sioniste, Israël n'a «jamais suffi» à garantir la sécurité de ses intérêts. Les Etats-Unis ont dû s'occuper sans in­ termédiaire des Etats arabes, ce qui s'est parfois révélé être une stratégie à hauts risques et ne leur a pas toujours été favorable. Quoique les Etats du Golfe et la Turquie n'aient jamais remis en question leurs rôles d'Etats clients, le nationalisme arabe, le« so­ cialisme» et l'islamisme ont tour à tour poussé différents pays arabes à une certaine intransigeance dans leurs relations avec les Etats-Unis, comme par exemple l'Egypte de Nasser, la Syrie de Hafez-el-Asad et l'Iran des mollahs.

En ce moment, deux problèmes donnent des insomnies aux responsables politiques américains. Le premier est la montée de l'islamisme, d'abord encouragé par les Etats-Unis pour contre­ balancer l'influence de l'URSS, mais qu'il est devenu presque im­ possible - ou du moins très compliqué pour les Etats-Unis et ses Etats clients - de récupérer. De la Syrie à la Jordanie et à l'Egypte, les prisons du Moyen-Orient sont remplies d'isla­ mistes radicaux anti-américains, Le deuxième problème est la question palestinienne récurrente. La création par Israël d'une importante diaspora palestinienne au sein du prolétariat de la

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en grève et la route principale qui traverse cette zone était jon­ chée de pneus enflammés

Les Arabes israéliens font aussi preuve de leur déception croissante à l'égard du processus électoral. 90 % d'entre eux avaient voté pour Barak lors de l'élection générale précédente, et on pense généralement que cela explique sa victoire. Pour l'élection de 2001, les« chefs communautaires» arabes ont mené une campagne concertée pour convaincre les Arabes is­ raéliens de voter pour Barak - n'importe quoi pour éviter Sharon -, mais la réaction fut un boycottage presque intégral de} 'élection. En vérité, la réponse de certains travailleurs palestiniens israé­ liens à« leurs » MK (membre de la Knesset, le parlement israé­ lien) arabes fut de les chasser des villages lorsqu'ils venaient y faire campagne (61).

':..

L'Autorité palestinienne de plus en plus discréditée et la militarisation de la lutte

Il faut considérer le rôle de l'Autorité palestinienne dans la lutte actuelle comme une tentative de contrôler et de tirer avan­ tage de la résistance de masse. Cette Intifada a encore un fort caractère de masse et l'Autorité palestinienne essaie de 1 'utiliser pour consolider - ou prendre - le contrôle de la « rue palesti­ nienne». L'autorité a aussi besoin de s'assurer que la loyauté de sa propre force de police lui est toujours acquise. De nom­ breux membres de la police palestinienne sont des militants du Fatah. Alors qu'ils n'ont pas d'états d'âme pour s'attaquer aux manifest!lÎipns contre l'Autorité, ils peuvent se montrer peu en­ clins à tirer lorsque les Palestiniens s'attaquent à l'Etat israé­ lien. D'autre part, ils préféreraient que la colère du prolétariat palestinien se retourne contre les flics et les soldats israéliens plutôt que contre eux.

Comme on l'a vu plus haut, l'été 2000 a été marqué par de violentes batailles entre la police de 1 'Autorité et la « rue», suite à l'enlisement des accords de Camp David entre Arafat et Barak, Les luttes prirent de l'ampleur quand la force de police armée de l'Etat se mit du côté des manifestants et tira sur l'IDF. A son tour, ceci offrit à l'IDF un prétexte pour tirer dans le but de tuer et donna tout son poids à la puissance militaire israélienne, y compris des hélicoptères armés, pour s'abattre sur la population palestinienne. A cause du rôle de 1 'Autorité palestinienne, cette Intifada, surtout si on la compare à la « révolte des pierres » de 1987, est grandement militarisée. Alors que les lanceurs de pierres de 1987 auraient pu se débarrasser de « la logique de

(61) Et pendant l'été 2000, un MK arabe fut accueilll par une pluie de pierres quand il vint parler au camp de réfugiés d' Al Baqaa (Jordanie).

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(59) La porticipotion des Arabes à l'intérieur d'Israël ne s'est pas Hmhcle oux Polestlnicns israéliens. Il y cul aussi une vague de démissions de soldats druzes (secte arobe, ils sonl censés servir dons l'armée israélienne) de l'IDF. Le village de l'un de ces soldats refusa de 1 'inhumer après sa morl dans des affrontements avec les Palestiniens.

(60) C'cst-â-dire dans les zones où sonl généralement abandonnés les immigrants juifs d'Ethiopie.

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Les Arabes israéliens Ajoutons que la Ligne verte a perdu de sa netteté avec la par­

ticipation plus importante des Arabes israéliens {59), qui est un élément caractéristique de cette Intifada. Les Arabes israéliens avaient bien participé à l'Intifada de 1987, mais ils y jouaient surtout un rôle de soutien pour les Palestiniens des territoires.

En dépit de leurs privilèges soi-disant « démocratiques», ils n'ont jamais été totalement intégrés dans l'Etat israélien. Cela ap­ parut clairement en 1976, lorsque plusieurs cultivateurs palestiniens israéliens furent fusillés alors qu'ils protestaient contre la confiscation des terres. On en vint à commémorer l'anniversaire de ce massacre sous le nom de« Jour de la terre» par des grèves générales annuelles. A la date du Jour de la terre de 1989, de jeunes Palestiniens israéliens bloquèrent les routes, jetèrent des cocktails Molotov sur les véhicules de police et crevèrent les conduites d'eau qui alimentent les colonies juives. C'est à cause de ce genre d'incidents survenus pendant! 'Intifada de 1987 que • certains éléments de la bourgeoisie israélienne commencèrent à considérer les Arabes israéliens comme une « cinquième co­ lonne» à l'intérieur de la Ligne verte et à exiger qu'ils soient ·. inclus dans le service militaire obligatoire, de façon à assurer leur loyauté envers l'Etat.

Pendant l'Intifada de 1987, les Palestiniens israéliens n'avaient affaire qu'à des balles en plastique. Cette fois-ci, on a fait monter les enchères pour eux : les forces de sécurité ont tué 12 Arabes israéliens pendant les tout premiers jours de l'Inti­ fada. En fait, l'une des principales causes de l'intensification de cette Intifada est la lutte des Arabes israéliens expulsés dans le sillage de la politique gouvernementale de «judaisation » de la Galilée (60). Presque chaque semaine, au cours de l'été 2000, on a démoli au moins une maison dans les villages de Galilée, et des villages entiers sortaient pour manifester leur soutien, les mettant en conflit plus ou moins permanent avec la police.

Cette politique de « judaïsation » de la Galilée implique le harcèlement des Arabes israéliens qui sont au chômage. A Nazareth, le bureau [de chômage] a été déplacé plus loin, les dossiers des gens se perdent ou sont trafiqués constamment - on connait un cas de radiation d'un village entier sous prétexte que ses habitants avaient refusé du travail qu'on ne leur avait jamais proposé! Ceci en­ traîne de grandes manifestations etdesbagarres avec la police. Une fois, une foule de Nazaréennes a tout cassé pour pénétrer dans le bureau des allocations de chômage. Pendant les premiers jours du soulèvement, des villages entiers de Galilée se sont mis

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production pétrolière au Moyen-Orient a conduit des sections de la bourgeoisie arabe à prendre des positions anti-américaines radicales. En tant que« chien de garde» de 1 'impérialisme amé­ ricain, Israêl a fourni la ménaoe extJr;euro qu: .. un:r..& les bour­

geoisies arabes naissantes et mobilisé les travailleurs arabes. Chaque fois que la bourgeoisie arabe s'est sentie menacée par l'hostilité prolétarienne, elle a pu retourner la colère du prolétariat contre« l'ennemi véritable» : Israël.

Après 1967, l'OLP est devenu le moyen d'expression principal du panarabisme. Face à l'hostilité panarabe, la bourgeoisie is­ raélienne a recherché des alliances militaires avec des pays is­ lamiques non arabes. Toutefois, le renversement de la dynastie Pahlavi en 1979 a coupé court à l'association d'Israël avec 1 'Iran. Le nouveau régime chiite fut, entre autres choses, encore plus violemment anti-occidental que les nationalistes arabes (8). Plus récemment, Israël a trouvé avec la Turquie un nouvel allié non arabe dans la région. Donc la forme de nationalisme pan­ arabe, qui fut la base idéologique du nationalisme palestinien, a été liée avec et entretenue par le sionisme (9). Tout comme son ennemi mortel, le sionisme était un mouvement politique natio­ naliste basé sur la« communauté naturelle » idéalisée, dans ce cas celle des Juifs (10). 11 est impossible de comprendre le soulève­ ment actuel, et l'idéologie nationaliste qui l'envahit, sans com­ prendre le nationalisme auquel il cherchait à s'opposer, c'est-à­ dire le sionisme. Jusqu'à assez récemment, on pouvait appeler sa forme dominante« sionisme travaiiliste », etc 'est à lui que nous allopll,nous intéresser maintenant.

(8) Tellement anti­ oecldental que le régime L.oool•to J•lrok~ paaarabo

mais antichiite, dut l!tre utilise! pour neutraliser l'Iran dans les années 1980.

(9) Bien sür, il s'agit là d'un anangement réciproque : le nationalisme israélien est renforcé par l'impression que (< les Arabes veulent nous balancer dans la mer».

(1 O)« La contradiction fondamentale du sionisme était de vouloir sauver le Juif en tant que Juif, c'est­ à-dire les relations communautaires datant de bien avant Je capitalisme moderne, en l'intégrant dans le monde le plus moderne. du capitalisme. » (« Avenird'unerévolte», Le Brisé-Glace, 1988.) Ainsi que nous Je verrons, la logique contradictoire de celle idéologie revêt en pratique la forme de lendanees qui sapent cette même identité, par exemple dans le cas où Israël s'intégrerait plus au Moyen-Orient.

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Histoire de deux mouvements de libération nationale :

le sionisme travailliste et le mouvement national palestinien

Le sionisme travailliste et le militantisme de la classe ouvrière juive européenne

L E SIONISME TRAVAILLISTE s'est traditionnellement construit autour de plusieurs grosses structures institutionnelles, principalement 1 'Histadrout et te Fonds national juif (FNJ).

L'Histadrout est un« syndicat» d'Etat et a aussi toujours été un employeur important. Même avant la création d'Israël, c'était un ministère de l'emploi et de ta solidarité embryonnaire, qui rem­ plissait également les fonctions d'un syndicat pour certains sec­ teurs de travailleurs juifs. Le FNJ fut créé en 1903 pour collecter les dons des sionistes. Sa fonction principale est l'administration du territoire national. Il a acheté de grandes quantités de terres au nom de« tous les Juifs », et a contrôlé la plupart des territoires gagnés lors du vol des terres de 1948. Les terres du FNJ ne pou­ vaient être cédées qu'à des Juifs et travaittées que par des Juifs, et devinrent propriété de l'Etat en 1948. 80 % des Israéliens vi­ vent sur des terres qui appartenaient autrefois au FNJ, et il en contrôle encore une grande partie.

Les premiers sionistes étaient un groupe de pression bour­ geois qui passaient leur temps à faire du lobbying auprès de plu­ sieurs dirigeants européens (y compris Mussolini). Contraire­ ment à la plupart des Juifs européens, ces sionistes se déclaraient anticommunistes. Ils reconnaissaient comme alliées des « antisémites honnêtes» qui leur donneraient des terres pour se débarrasser de la « menace révolutionnaire » juive. Ils cour­ tisaient aussi les Juifs européens capitalistes qui voulaient mettre fin à l'immigration des Juifs militants d'Europe de l'Est dans leurs pays respectifs (car ils pensaient .que ces militants compromettaient t 'assimilation et fàvorisaient l 'antisémi­ tisme) ; ils courtisaient aussi les Etats coloniaux qui leur don­ neraient ou leur vendraient des terres ( ce n'était pas obligatoirement, O. QQ liU\Qç, Ill fllllï;jtinli),

14 - ÉCHANGES

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L'Intifada du XXIe siècle

C ONNUE sous le nom d'Intifada Al Aqsa parce qu'elle est reliée à la visite provocatrice de Sharon à la Mosquée Al Aqsa en septembre 2000, elle fut, du moins au début,

spontanée - comme l'Intifada de 1987 -, « poussée plus par 1 'énorme frustration des Palestiniens que par une quelconque dé­ cision stratégique de la direction palestinienne (58) ». L 'étin­ celle qui mit le feu à la colère prolétarienne fut le meurtre de sept Palestiniens par la police israélienne« contre-insurrectionnelle» à la Mosquée Al Aqsa le lendemain de la visite de Sharon, ainsi que le meurtre très médiatisé d'un enfant de douze ans au carre­ four Netzarim de Gaza. Comme on l'a vu plus haut, les luttes sont presque continuelles dans la bande de Gaza et en Cisjorda­ nie. Toutefois, parce que c'est la révolte la plus soutenue depuis la dernière Intifada, celle-ci mérite aussi ce surnom d'« Inti­ fada ».

Comme on l'a déjà vu, cette lutte vient dans le sillage d'une période de conflit entre le prolétariat palestinien et la bourgeoi­ sie. Des heurts avaient déjà eu lieu entre les manifestants et la po­ lice palestinienne à Ramallah en septembre 2000, un mois avant le début de l'Intifada. Il était devenu opportun pour la bour­ geoisie palestinienne de détourner la colère prolétarienne de masse en direction du « véritable ennemi », comme ils disent. Le Hamas a ·contribué à restaurer la légitimité de 1 'OLP et de 1 • Autorité palestinienne dans sa circonscription en s'alliant avec la NIF*, le nouvel organisme qui couvre tous les organismes na­ tionalistes pour contrôler le soulèvement. La police palesti­ nienne qui forme la base du Fatah contribue aussi à faire en sorte que le soulèvement suive « la logique de guerre de l'Etat » en militarisant la lutte.

Pourtant, comme l'Intifada précédente, ce nouveau soulève­ ment n'est pas complètement ligoté par ta logique du nationa­ lisme, ni par le soutien aux bourgeoisies arabes. Il y a des ma­ nifestations de masse dans tout le monde arabe, et pas seulement parmi la diaspora palestinienne. En Jordanie, des heurts ont eu lieu entre l'armée jordanienne et 25 000 Palestiniens, qui se sont sol­ dés par l'interdiction des manifestations anti-israéliennes en Jordanie, et l'Egypte connaît ses manifestations étudiantes les plus importantes et les plus acharnées depuis les années 1970 ..

(58) Graham Usber : « Palestine : the Intifada this time » (Palestine: 1 'lntifoda actuelle), Race & Class, vol. 42 n• 4.

• National Intifada Force, NOT.

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vailleurs juifs. Pour le moment, Israël essaie de contourner le, problème en« judaïsant» des zones arabes à l'intérieur de la Ligne verte, politique directement responsable de l'engagement des Arabes israéliens dans l'Intifada actuelle.

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Cependant, le sionisme a toujours eu besoin d'être un mou­ vement de masse, et c'est pourquoi les premiers sionistes étaient volontiers souples dans leurs alliances politiques. A ses débuts,

. le sionisme était étranger A la plupart cles Jua's europJens Je 1a classe ouvrière, car ils s'alliaient plutôt au mouvement ouvrier révolutionnaire qui balayait alors le continent (11). Tout comme le prolétariat juif militant, de nombreux Juifs de la classe moyenne en Europe de l'Est pensaient que, face à l'antisémi­ tisme de droite, ils ne pouvaient être qu'à gauche. Afin de plaire à cet électorat, les groupes sionistes furent obligés d'accentuer leurs caractéristiques les plus« socialistes» (12).

Ces caractéristiques convergeaient avec le désir, exprimé dans le sionisme, de revenir à des liens communautaires pré-ca­ pitalistes, qui formaient la base même del'« identité juive». Les éléments plus sociaux-démocrates de la pensée sioniste de­ vinrent prédominants et s'imposèrent comme la forme domi­ nante du sionisme, etc 'est ce qui permit aux groupes sionistes de s'introduire dans le mouvement ouvrier juif.

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Naissance du sionisme travailliste en Palestine

Les premières colonies juives étaient plus ou moins des aventures commerciales qui avaient tendance à se terminer par l'em­ ploi de travailleurs arabes (souvent prolétarisés depuis peu, en rai­ son des achats de terres par les sionistes [13]). Les nouveaux im­ migr~s juifs qui cherchaient du travail se retrouvaient souvent à chercher un emploi précaire sur les mêmes bases que les Arabes (14). Les institutions du sionisme travailliste commencèrent à devenir puissantes dans la communauté juive palestinienne vers les· années 1920. Une lutte permanente avait cours depuis 1905, époque à laquelle de nombreux Juifs russes de gauche s'étaient tournés vers le sionisme après l'échec de la révolution de 1905. La seconde vague d'immigration sioniste était princi­ palement composée de Juifs de gauche, jeunes, éduqués, issus de la classe moyenne, qui voulaient revenir à la terre et travailler comme pionniers. Ils furent peu à peu déçus par la colonisation sioniste, qu'ils trouvaient trop capitaliste pour combler leurs es­ pérances. S'opposant aux capitalistes juifs, qui ne voyaient aucun inconvénient à utiliser une main-d'œuvre arabe tant qu'elle coûtait moins cher, ils introduisirent l'idée que seuls des Juifs pouvaient travailler sur les terres et dans les entreprises Juives.

Si une partie de l'antisémitisme moderne est un pseudo anti-

(11 )'L'une des principales organisations juives était le Buud (syndicat général des travoiUeursJulfs de Lituanie, de Pologne et de Russie), créé eu 1898 pour relier différents groupes de travailleurs juifs de l'empire tsariste. li fit brièvement partie du POSDR, le Pani ouvrier social-démocrate russe, qui scissionna plus tard en deux groupes : les mencheviks et les bolcheviks. En 1903, Je Bund comptait 40 000 adhérents. li était « une avant-garde dans le mouvement ouvrier russe » et« un soutien de la classe ouvrière beaucoup plus sincère » que tous les autres groupements de travailleurs d'Europe de l'Est (voir Nathan Welustock, Le Sionisme, faux messie. Paris, 1969). Bleu qu'11.rdemment opposé au sionisme organisé, le Bund connut toujours en son sein un débet pour savoir jusqu'à quel point il devrait soutenir ou encourager le nationalisme juif. li s'agissait de savoir si l'exigence d'un état juif briserait le solidarité de la classe ouvrière et l'éloignerait de le lutte de classe, et si les travailleurs juifs devaient s'organiser à l'écart des autres travailleurs. Tout en organisent les luttes ouvrières, le Bund réussit aussi à organiser la défense contre les pogroms en s'associent avec des non­ Juifs. Mais lorsque ses adhérents chutèrent de 40 000 à 500, il devint de plus en plus nationaliste.

(12) On dit même que

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David Ben Gourion (le premier Premier ministre d'Israël) avait un buste de Lénine sur son bureau, mettant en évidence ! 'influence du bolchévisme sur la classe ouvrière juive européenne.

(13) Le baron de Rothschild, qui était d'avis que la colonisation juive était une bonne façon de servir les intérêts français, parraina la première immigration sioniste en Palestine à la fin du xtx-siècle. Il avait sa propre administration qui pouvait« vaincre l'insubordination par la force ». Les colons devaient signer un contrat par lequel ils s'engageaient à« n'appartenir à aucune organisation non autorisée » et à reconnaitre qu'ils n'étalent que des « tllcherons » sur les terres du baron qui produisaient principalement du vin. Ce projet très coûteux exigeait plusieurs milliers de livres pour installer chaque famille de colon (Nathan Weinstock, le Sionisme, faux messie (op. cil.).

(14) « Des centaines d 'Arabes se rassemblent sur la place du marché, près de la résidence des travailleurs, ils attendent ici depuis l'aube. Ce sont des ouvriers saisonniers ... ilyenaàpeuprès 1500 chaque jour, et nous, quelques dizaines de travailleurs juifs, restons souvent sans travail. Nous aussi venons au marché pour trouver une offre d'emploi pour la journée» (ibid.).

(l~l YQir IG p11mphl1ïl ll1i Moshe Postone: Anti-

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capitalisme, dans lequel le Juif est assimilé au côté abstrait du sys­ tème marchand, travail abstrait et non concret, finance et circu­ lation « cosmopolites et sans racines », plutôt que production enracinée dans le sol national (15), d'une certaine façon le sio­ nisme constitue une réponse puisqu'il insiste sur le travail pro­ ductif et le retour à la terre.

On pensait que dans un Etat exclusivement juif, les Juifs ne seraient pas confinés dans certains métiers et professions, mais joueraient complètement leur rôle dans la division du travail ca­ pitaliste. C'est pourquoi leurs slogans disaient : « la conquête de la terre » et la « conquête du travail ». Ceci fut à 1 'origine d'un conflit entre les anciens colons et les nouveaux immigrés (16). Les syndicats sionistes installaient des piquets de grève devant les entreprises qui continuaient à employer de la main-d'œuvre arabe (17). Le conflit était atténué par l'organisation sioniste, qui utilisait une grande partie de ses fonds pour subventionner les salaires juifs afin qu'employer des Juifs ne soit pas plus coûteux que d'employer des Arabes. Malgré tout, il y avait encore des grèves.

En réaction, l'opposition de droite organisa un« syndicat na­ tional » de « jaunes » avec 1 'aide d'immigrés petits-bourgeois polonais, de riches fermiers et de propriétaires d'usines. Ils s'at­ taquaient aussi aux organisations de la classe ouvrière (18). Ce­ pendant, les sionistes de l'aile gauche« conquête du travail » furent grandement encouragés par les grèves générales palesti­ niennes de 1936, lorsque des ouvriers juifs brisèrent les grèves palestiniennes. Dès les années 1920, l'Histadrout organisait plus des trois quarts des ouvriers juifs et était le principal employeur après le gouvernement britannique. Il dirigeait aussi les agences pour l'emploi et entretenait des liens très étroits avec les co­ opératives de production et de vente. Avec une telle structure, l 'Histadrout était une base vitale pour les organisations sionistes « presque gouvernementales » qui organisaient l'éducation, l'immigration, les affaires économiques et culturelles. Donc, même avant 1948, l'Etat sioniste s'enracinait dans des formes social-démocrates corporatistes ( 19).

La stratification ethnique sioniste Après la confiscation massive des terres en 1948, le pro­

blème de la pénurie de main-d'œuvrejuive apparut pour la pre­ mière fois. Les bourgeois juifs européens présentaient le sio­ nisme comme la solution au militantisme juif à ceux qui les finançaient et les soutenaient. Pourtant, on s'aperçut que la plu-

·-.

fasse empirer les conditions de travail de la classe ouvrière juive. Mais quand le Likoud essaya d'engager plus de privatisations, en 1996, il y eut une recrudescence des troubles dans la classe ouvrière juive.

Oslo représente une tentative supplémentaire pour continuer à fractionner 1 'économie israélienne en emplois bien rémuné­ rés et en emplois précaires mal payés, et pour renégocier le compromis de classe de l'après-1967. La tentative d'Oslo pour « normaliser» les relations commerciales avec le monde arabe ne peut qu'exposer la classe ouvrière en Israël à la concurrence des travailleurs moins bien payés dans les Etats voisins. C'est très rentable puisque leurs salaires sont encore plus bas que ceux des Palestiniens israéliens. L'accord de paix avec la Jordanie comportait des dispositions prévoyant la libre circulation des capitaux, donc les entreprises israéliennes délocalisèrent im­ médiatement en Jordanie pour utiliser la main-d'œuvre moins chère. Ce qui augmenta le chômage des ouvriers juifs dans des zones comme Dimona, et des travailleuses arabes du textile dans le Nord, dont le taux de chômage, de 8 %, est en augmen­ tation.

En même temps qu'il favorise les licenciements dans le sec­ teur privé, l'accord d'Oslo entraîne une insécurité économique croissante pour les travailleurs du secteur public. Un bon nombre de travailleurs juifs du secteur public ont maintenant des contrats à durée déterminée, particulièrement les femmes, les jeunes et les nouveaux immigrants, et la sous-traitance existe aussi dans le.secteur public où elle dégrade les conditions de travail. Les Juifs au chômage doivent prendre n'importe quel travail, une expérience que nous connaissons bien ici", L 'His­ tadrout couvre de moins en moins de travailleurs, s'appelle maintenant la « Nouvelle Histadrout », et effectue des sondages pour savoir pourquoi les gens ne lui font pas confiance. Ré­ cemment, un syndicat des chemins de fer indépendant a orga­ nisé une grande grève pour exiger que l'Histadrout le recon­ naisse. Les travailleurs intérimaires aussi ont tenté d'organiser un syndicat (57).

Pour tenter de faire taire la classe ouvrière juive, on a ac­ compagné ces mesures d'une accélération du rythme de construction des colonies dans les territoires occupés. Bien que chaque nouvel accord conclu par l'entremise de 1 'Amérique comporte une promesse israélienne d'arrêter la construction des colonies,-la bourgeoisie israélienne n'a pas d'autre choix que d'ignorer cés promesses pour tenir compte des besoins des tra-.

• En Grande-Bretagne, NOT.

(57) Cela concerne Kav la Oved (Workers'Hotline), l'un des nombreux groupes issus de la scission de Matzpen. lis soutiennent les travailleurs vulnérables devant les tribunaux, ils s'occupent surtout des prud'hommes politicards. Ils publient aussi dans la presse des infonnations telles que les reconduites à la frontière des travailleurs immigrés et les licenciements abusifs de travailleurs palestiniens.

tCHANGES - 53

(54) Pendanl les premiers jours de I' Autorüè palestinienne, le taux de chômage à Gaza avoil atteint 60 %, cl seuls 21 000 des 60 000 Palestiniens travaillant en Israël étaient autorisés à y entrer. Après des émeutes, Israël ferma 111 Bonde de Gaza pour une période indéterminée. Le taux de chômage s'aggrava lorsque Khadafi expulsa tous les Palestiniens de Lybie, dons un geste de solidorilé avec l'OLP !

(55) Cité dans Graham Usher, op. cil. Ces mesures sont porticulièremenl utiles puisqu'elles permeuent aux entreprises israéliennes de vendre leurs produits, par l 'Intermédiaire de sous­ traitants arabes, aux Etats arobes qui ne veulent pas avouer qu'ils commercent avec Israël,

(56) Dès le début de celle Intifada, le gouvememenl jordanien a demandé officieusement que le ministre de l'industrie el du Commerce établisse deux autres zones industrielles en Jordanie.

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vers les barrages pour se rassembler sur les « marchés aux es­ claves » à un carrefour de Jaffa, au lieu que les employeurs aillent chercher les travailleurs dans les « marchés aux es­ claves >> des territoires (54). Mais, comme Peres l'a dit en no­ vembre 1994, trois mois après les émeutes du check-point d'Erez, « si les Palestiniens ne peuvent plus travailler en Israël, nous devons créer les conditions qui amèneront des emplois aux travailleurs (55) ».

Ceci se fait de deux manières. Certains Palestiniens tra­ vaillent dans les nouvelles zones industrielles, et on en prévoit d'autres juste en deçà des frontières jordanienne et libanaise. (56) Beaucoup d'autres Palestiniens travaillent pour des sous­ traitants palestiniens. Les sous-traitants importent des matières premières israéliennes et versent des salaires très bas. Les mar­ chandises produites sont vendues au détail par des entreprises israéliennes, permettent aux patrons israéliens d'accroître leurs profits grâce aux niveaux des salaires palestiniens. Cette nou- · velle coopération entre les bourgeoisies arabe et israélienne n'a pas seulement détérioré les conditions de travail du prolétariat pa­ lestinien, elle a aussi étendu la prolétarisation de la petite-bour­ geoisie palestinienne. Par exemple, les investisseurs israéliens et palestiniens sont en train de monter une grande zone industrielle pour fabriquer des produits laitiers juste à l'intérieur de la fron­ tière, du côté de 1 'Autorité palestinienne, avec Tnuva, une des plus grandes entreprises agroalimentaires israéliennes. Ceci af­ faiblira et mettra sans doute en faillite la plupart des éleveurs laitiers palestiniens, qui emploient actuellement 13 % des tra­ vailleurs palestiniens dans les territoires.

La bourgeoisie palestinienne accepte sa subordination au ca­ pital israélien, d'abord parce qu'elle en profite, ensuite parce qu'un désengagement complet de l'économie israélienne l'ex­ poserait à la concurrence de capitaux voisins ayant accès à une main-d'œuvre moins chère. Cela entraînerait d'autres affronte­ ments avec la classe ouvrière. Toutefois, les bourgeoisies israé­ lienne et palestinienne (ainsi que la bourgeoisie jordanienne) ont toutes un intérêt commun à maintenir l'énorme réserve de main-d'œuvre bon marché des territoires pour attirer! 'investis­ sement israélien, palestinien et international.

La classe ouvrière juive Bien que les Palestiniens soient peu à peu exclus du marché

du travail israélien, les travailleurs immigrés ne sont pas la so­ lution idéale. Idéalement, il faudrait que le capital israélien

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...

part des Juifs ne voulaient pas aller en Israël et étaient plus atti­ rés par l'Amérique ou l'Europe del 'Ouest. Ce qui dissuadait les Juifs européens était la mauvaise situation territoriale de ce mi­ i_,uscule Btat face 4 ses vo:s:ns arabes J..ost;Jcs, qu; cntratnalt .\ son

tour l'obligation de s'étendre : contrairement à l'Egypte à l'ouest, et à la Syrie au nord-est, Israël ne pouvait pas se per­ mettre de perdre un seul hectare de terre.

La militarisation logique de la société israélienne découra­ geait encore plus les immigrants potentiels. Ce problème a été partiellement résolu par l'immigration des Juifs du Moyen­ Orient et d'Afrique du Nord. Cependant, de nombreux Juifs d'Orient n'avaient aucune envie de s'installer en Israël et s'op­ posaient même au sionisme parce qu'il rendait leur situation plus précaire, surtout dans les pays arabes. Une grande partie de la bourgeoisie arabe tentait de promouvoir le panarabisme en opposition au sionisme, et bien que les Juifs d'Orient n'aient pas été victimes d'un génocide systématique du niveau de !'Holo­ causte, il y a eu des pogroms dans certains pays du Moyen­ Orient.

La fondation d'Israël, la guerre de 1948 et la montée logique du nationalisme arabe déstabilisèrent encore plus la vie des Juifs d'Orient, et beaucoup d'entre eux émigrèrent en Israël (20). Les Juifs d'Orient furent souvent prolétarisés au cours de leurs mi­ grations. Ceux qui avaient des qualifications professionnelles s'aperçurent qu'elles n'étaient pas reconnues en Israël et que leurs avoirs personnels étaient souvent confisqués à l'arrivée. Les Jqi'ts d'Occident bénéficiaient d'un traitement préférentiel pour le

0logement et l'emploi et certains pouvaient utiliser

comme capital les dédommagements personnels de guerre versés par l'Allemagne, et le contraste était choquant. Et il arrivait aussi souvent que les Juifs d'Orient soient placés dans les camps de transit et les villes des zones de développement les plus proches des frontières, surpeuplées et dangereuses. Dans le cas des Juifs d'Afrique du Nord surtout, abandonnés dans des villes­ frontières comme Musrara, l'Etat feignit d'ignorer qu'ils occu­ paient les maisons des Arabes déplacés par la guerre expropria­ trice de 1948. Donc en réalité, les Juifs d'Orient finirent comme gardiens des frontières contre les Arabes.

Dans la pratique, le sionisme travailliste en Israël était basé sur la division ethnique de la classe ouvrière, pas seulement entre Juifs et Arabes, mais aussi entre Juifs d'Orient et d'Occi­ dent. Ce fut le travail des Juifs d'Orient, ajouté à celui des quelques Palestiniens qui restaient, qui devint la force motrice de

sémitisme et national­ soctalisme:

(16) « Ce problême fut le pJncli,a\ eonftll Jan• \a communauté des colons pendant les trois premières décennies du siècle. » (Op. ctt; p. 71.)

( 17) Ce genre d'action était courant chez les sionistes de gauche, par exemple ceux qui travaillaient dans les compagnies ferroviaires appartenatn aux Britanniques dans la Palestine sous mandat (une des plus grosses industries de Palestine à celle époque). Parmi ces Juifs de gauche, on parlait de solidarité de la classe ouvrière el on essayait de créer des syndicats juifs et arabes unhaires, Pourtant, en même temps, ils faisaient partie des piquets de grève et faisaient pression sur les employeurs britanniques pour qu'ils n'utilisent que de la main-d'œuvrejuive.

( 18) L'lrgoun Zwaï Leumi fut créée en 1931 par la milice de droite alors que la gauche était de plus en plus sous le contrôle de l'Haganab (la milice principale).

( 19) Nous n'utilisons pas ici le mot« corporatistes » comme les « antimondialisation » dans le sens de « domination de l'entreprise», etc. (voir cc Anlicapitalism as ideology ... and as movemenl? » (L 'anlicapita/isme en tant qu'idéologie ... et en tant que mouvement ?), A11jheben n° +O. Nous

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faisons allusion à des pratiques social­ démocrates telles que les accords tripartites entre l'Etat, les syndicats et les employeurs. Bien sûr, dons le cas du sionisme travailliste, l'Histadrout jouait en grande partie les trois rôles.

(20) Là où ce n'était pas le cas, l'Etat d'Israël y pourvoyait de diverses manières, y compris en s'arrangeant pour qu'une bombe explose dans une synagogue en Irak et en payant le gouvernement irakien pour chaque émigrant Juif en Israël.

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« l'éclosion du désert», et sa transformation en Etat capitaliste moderne.

Cependant Israël n'a jamais eu une économie capitaliste «normale» en raison du rôle disproportionné qu'y joue le sou­ tien financier de ) 'étranger. Depuis les années 1950, l' Alle­ magne de l'Ouest a envoyé environ un milliard de marks par an au titre des réparations collectives pour l'holocauste nazi. La contribution des Etats-Unis est plus importante encore. « En 1983, Israël avec seulement 300 000 habitants, recevait 20 % d'aide exclusivement américaine.» En d'autres termes, chaque famille israélienne recevait l'équivalent de 2 400 dollars du gouvernement américain. Mais en tant qu'Etat capitaliste le plus développé de la région, la bourgeoisie israélienne avait rassem­ blé ses propres fossoyeurs potentiels sous la forme d'une classe ouvrière combative.

La résistance de la classe ouvrière juive et l'impératif d'expansion

Contrairement à celle de nombreux autres pays du Moyen­ Orient, la classe ouvrière israélienne a toujours été concentrée dans un espace réduit. La stratification ethnique a empêché l'émer­ gence d'un prolétariat homogène face au capital israélien. Mais malgré cela, la classe ouvrière israélienne s'est montrée com­ bative. Le trait marquant de la lutte de classe à cette époque fut la contestation par les Juifs orientaux de leur position subor­ donnée dans la société israélienne. Les années 1950 ont été tra­ versées par des émeutes « pain et travail » dans les camps de transit, en grande partie peuplés de Juifs orientaux qui se re­ tournèrent fréquemment contre ta police. En 1959, les « émeutes Wadi Salib » débutèrent dans un quartier pauvre de Haïfa et s'étendirent aussitôt à d'autres endroits où vivait une importante population de Juifs marocains.

Comme dans les Etats d'Europe de l'Ouest, les institutions social-démocrates servaient de médiateurs dans les conflits de classe en Israël. Cependant de nombreux Juifs orientaux mili­ tants considéraient l 'Histadrout et le Parti travailliste comme des ennemis, et ils s'en prenaient donc souvent à ces institu­ tions. Une fois, en 1953, le bureau de I'Histadrout ·à Haïfa fut l'objet d'un incendie criminel de la part des mariiféstantsjuifs orien­ taux qui considéraient son pur corporatisme comme l'une des incarnations de leur subordination aux Juifs occidentaux. Au Clébut nes années l 960, l' économie israélienne était en réces-

Le processus de paix et la restructuration du capital israélien

Pour cette partie de la bourgeoisie israélienne qui cherchait un compromis avec les Palestiniens, Oslo représentait une troi­ sième voie, entre l'accumulation intensive des années 1970 et les rêves expansionnistes d'un Grand Israël. Si ce n'était pas par la conquête, ce serait par une plus grande intégration dans l 'éco­ nomie de la région que le capital israélien chercherait de nou­ veaux centres d'investissement. Il fallait cesser de contrôler les importations, augmenter la concurrence, et privatiser les grands conglomérats détenus par l'Etat, en étendant te rôle des sous­ traitants et des agences de placement privés. Pour l'Etat israélien, cela signifiait mettre la classe ouvrière israélienne au pas, tout en se débarrassant du fardeau politique du 'contrôle social de la classe ouvrière palestinienne au profit du nouveau mini-Etat pa­ lestinien.

Mais la panacée d'Oslo se heurta à l'opposition des prolé­ taires israéliens et palestiniens. En 1996, trois ans après que Yasser Arafat et Yitzhak Rabin se furent serré la main sur lape­ louse de la Maison Blanche, les tentatives du gouvernement du Likoud pour introduire la privatisation entraînèrent une vague de troubles sociaux, tandis que ta construction d'un tunnel à Jé­ rusalem déclencha des émeutes, ce qui causa le plus grand nombre de morts palestiniens en vingt ans d'occupation. Ce­ pendant, ces luttes n'étaient pas reliées, et les tentatives de ra­ tionalisation ~'é1;momique que représentait Oslo continuèrent dans l'indifférence générale.

La classe ouvrière palestinienne Grâce à Oslo, la bourgeoisie israélienne avait gagné du

temps pour remplacer la main-d'œuvre palestinienne, bon mar­ ché mais peu disciplinée, par une main-d'œuvre moins chère et moins volatile. Des milliers de Palestiniens furent licenciés pen­ dant la guerre du Golfe. Cela fut possible parce qu'on pouvait les remplacer par des travailleurs immigrés, comme on l'a vu précédemment. L'utilisation d'une main-dœuvre migrante a permis à Israël de mettre en place un blocus des territoires bien plus efficace que lors de la précédente Intifada. Les barrages im­ posés lorsque l'Autorité palestinienne arriva au pouvoir rendirent difficile voire impossible pour les Palestiniens d'aller travailler en Israël. Cela contribua à créer les conditions d'un chômage massif à Gaia, car les travailleurs devaient réussir à passer à tra-

tCHANGES - 51

(51) Beaucoup d'émeutes, surtout au pnssage d'Erez, furent déclenchées por les milliers de Palestiniens qui ne pouvaient pas aller travailler dans la zone industrielle, de l'autre côté de cc passage. Au cours d'une de ces émeutes, une station d'essence fui brûlée, des bus flambèrent sur un parking, 65 ouvriers agricoles palestiniens furent blessés cl 2 tués. La nouvelle police palestinienne échangea des tirs avec l'année israélienne et 25 soldats furent blessés. Le même mois, des travailleurs de Goza se heurtêrent à l'IDF pendant des émeutes pour le pain.

(52) Une des raisons d'insister sur la sécurité est de faire de lo place pour les cadres du Fatah, en leur donnant un travail.

(53) Les enseignants dans les zones sous Autorité palestinienne sont plus prolétarisés qu'en Occident en général, car leur salaire n'est pas suffisant pour vivre, et ils doivent travailler comme ouvriers agricoles, etc. pendant les vacances.

50 - tCHANGES

1 'avait espéré, et l'Autorité palestinienne se démena désespéré­ ment pour exciter la joie des masses à son retour d'exil. Les pro­ létaires de Gaza s'intéressaient plus au prix des nécessités de base. Les prix des légumes avaient grimpé de 250 % en raison des conditions relativement libres d'exportation vers le marché israélien accordées aux produits agricoles palestiniens sous l'égide du Protocole de Paris en 1994.

Israël contribua à envenimer la situation en fermant immé­ diatement la Bande de Gaza et en tuant des Palestiniens lors des émeutes qui s'ensuivirent (51). Pour se venger, le Hamas tua des Israéliens et la nouvelle Autorité palestinienne dénonça les attaques contre Israël et jura de coopérer avec Israël pour s'opposer à toute attaque future. Ceci entraina immédiatement de grands rassemblements pour protester contre la position de l'Autorité palestinienne. Pour Israël, l'Autorité palestinienne dans les zones les plus peuplées voulait dire faire passer le poids poli­ tique du maintien de l'ordre public sur les épaules de labour­ geoisie palestinienne, qui ne s'encombrait pas des contrôles mu­ tuels (entre la police et la justice) que les formes démocratiques occidentales de style européen imposaient à Israël. L'Autorité palestinienne dépense la plus grosse partie de son budget pour la sécurité, avec un policier pour trente Palestiniens, la plus grande partie de l'argent destinée aux réformes économiques« s'est perdue » grâce à une Autorité palestinienne notoirement cor­ rompue (52). L'Autorité palestinienne a rétabli la peine de mort, utilisée pour mettre en scène des exécutions publiques de« col­ laborateurs » pendant la nouvelle Intifada, et a emprisonné de très nombreuses personnes sans procès, généralement ses ad­ versaires politiques.

Malgré la répression exercée dans les zones contrôlées par l'Autorité, il y eut des manifestations et des grèves générales pour protester contre la manière dont étaient traités les militants du Hamas. Dans les camps de réfugiés de Gaza, dont tout le monde sait qu' Arafat n'avait aucune envie de les visiter, il y eut plusieurs bagarres pendant l'été 2000 avec la sécurité de l'Auto­ rité ; des opposants furent arrêtés et emprisonnés sans procès. 200 enseignants quittèrent leur syndicat, trop proche de l'Auto­ rité palestinienne, organisèrent un nouveau syndicat, fermèrent les écoles et s'engagèrent dans une longue grève reconductible (53). Beaucoup d'entre eux sont en prison. Dernièrement aussi, vingt universitaires et membres des professions libérales qui vivent dans les zones contrôlées par l'Autorité ont publié et distribué un manifeste critiquant l'Autorité palestinienne.

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sion, en partie à cause du tarissement des réparations de guerre allemandes, qui avaient fourni au capital israélien son élan ini­ tial. Beaucoup d'immigrants qui étaient venus en Israël dans l'espoir d'une vie mellleure se retrouvalent malntenant l'ace,\ un chômage croissant. Les travailleurs juifs continuèrent à

. mener la vie dure à la bourgeoisie israélienne, avec 277 grèves pour la seule année 1966 (21 ). En brûlant le drapeau rouge ( qui symbolisait l'hégémonie du Parti travailliste}, action de routine lors des manifestations de dockers, il était clair que les formes so­ cial-démocrates du sionisme travailliste étaient incapables de récupérer les luttes des travailleurs juifs.

(21) Voir« Deux guerres locales », Internationale situattonniste n° Il, p. 13, avril 1967.

Le boom d'après 1967 Après la guerre de 1967, l'Etat israélien se retrouvait non

seulement encore entouré d'Etats arabes hostiles, mais aussi dans l'obligation de contrôler la population palestinienne des territoires occupés. Un tiers de la population contrôlée par l'Etat israélien était alors palestinienne. Face à ces menaces internes et externes, la survie permanente del 'Etat sioniste exigeait} 'unité de tous les Juifs israéliens, occidentaux et orientaux. Mais unir tous les Juifs derrière l'Etat israélien supposait l'intégration des Juifs orientaux, auparavant exclus, au sein d'une vaste colonie de travail sioniste. Comme par hasard, ces mêmes circonstances qui exigeaient l'expansion de la colonie de travail sioniste of­ fraient aussi les conditions nécessaires pour mener à bien une restruçturation sociale de cette importance.

Premièrement, la guerre de 1967 avait obligé les Etats-Unis à s'engager en faveur d'Israël pour faire contrepoids au natio­ nalisme panarabe croissant qui s'alignait sur l'URSS. Deuxiè­ mement: l'occupation de la Cisjordanie fournissait à Israël une réserve importante de main-d'œuvre palestinienne hautement exploitable. Ce furent cette main-d'œuvre palestinienne bon marché ainsi que la perfusion financière de plus en plus consé­ quente mise en place par les Etats-Unis qui fournirent les condi­ tions préalables vitales pour l'expansion rapide de l'économie israélienne au cours des dix années suivantes. Après 1967, l'Etat israélien eut les moyens de suivre une politique de keynésia­ nisme militaire et les dépenses militaires s'élevèrent à 30 % du PIB dans les années 1970. La hausse des dépenses publiques, fi­ nancée par un budget gouvernemental en déficit croissant, alimentait le boom économique. C'est ainsi que le gouvernement put créer imabondan! réservoir d'emplois, pas seulement directement par l'augmentation du nombre d'emplois dans le secteur public,

tCHANGES - 19

mais aussi indirectement, car le secteur privé se développait pour satisfaire la demande croissante de l'armée.

Les besoins croissants de l'armée israélienne en armements high-tech offraient des profits sûrs aux cinq principaux conglo­ mérats qui dominaient l'économie d'Israël depuis les années 1950 et qui étaient dominés par la bourgeoisie juive occidentale. Cependant l'armée israélienne exigeait aussi la construction de bases militaires, de casernes et d'installations qui amenaient des affaires à la petite-bourgeoisie juive orientale émergente qui pouvait réaliser d'importants profits en employant la main­ d'œuvre palestinienne bon marché. En plus de satisfaire aux be­ soins domestiques, les armes devinrent l'exportation la plus im­ portante d'Israël. Une grande partie du secteur public étant à présent destinée à l'accumulation militaire, seuls ceux qui étaient éligtbles pour le service militaire pouvaient travailler dans ces industries. Même les « citoyens » arabes israéliens étaient exclus de ce privilège douteux, sans parler des Palesti­ niens des territoires, et donc les industries« stratégiques» (qui payaient mieux) étaient par définition accessibles aux seuls Juifs (souvent orientaux). Alors que la militarisation de l'éco­ nomie favorisait l'intégration des Juifs orientaux, elle renfor­ çait la subordination des travailleurs non juifs. En pratique, Is­ raël avait maintenant un marché du travail à deux niveaux : juif et palestinien.

On peut remarquer que l'occupation de ces territoires par Is­ raël s'était arrêté juste avant la pure annexion de droit. Celle-ci aurait supposé qu'on accordât les mêmes droits limités de ci­ toyenneté aux Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza, droits qui avaient été accordés aux Palestiniens qui avaient réussi à rester dans les frontières de 1948 jusqu'en 1966. L'occupation permettait au capital israélien, surtout dans l 'agri­ culture et la construction, d'utiliser le surplus de main-d'œuvre palestinienne sans compromettre la judéité del 'Etat. Les Pales­ tiniens n'étaient pas intégrés dans la société israélienne: ils tra­ vaillaient en Israël le jour, et ils étaient censés retourner dans leurs dortoirs de Cisjordanie et de la Bande de Gaza le soir. Tan­ dis que la main-d'œuvre palestinienne bon marché alimentait le boom de la construction des deux côtés de la Ligne verte, l'éco­ nomie israélienne était encore renforcée par la subordination des territoires en tant que marché captif pour-fes produits de consommation israéliens. De plus, grâce au contrôle des contrats gouvernementaux, aux impératifs de sécurité nationale, et au dé­ Y"loppcmcnt militaire et à la construction, l'Etat d'Israël pouvait

20 - tCHANGES

le « processus de paix >>

d'Oslo (1993-2000)

D 'ABORD connus comme les « accords Gaza-Jéricho », les ac­ cords d'Oslo étaient une reprise des transactions que l'OLP rejetait depuis des années. On offrit à l'OLP d'ad­

ministrer Gaza et Jéricho, dans un premier temps. Bien qu'on ait accordé, avec mauvaise grâce, un territoire plus étendu, Israël contrôle toujours les frontières, la politique étrangère, etc. Tou­ tefois, la transaction était si humiliante pour l'OLP que même Israël s'inquiétait d'avoir eu la main trop lourde. Au Caire, le ministre de l'environnement israélien a prévenu qu'une OLP «vaincue» n'était pas plus dans l'intérêt d'Israël qu'une OLP victorieuse. « Quand on tord le bras d' Arafat au nom de la sécu­ rité, il faut faire attention de ne pas le casser. Avec un bras cassé, Arafat ne pourra pas garder le contrôle de Gaza et de Jéricho (50). »

On a souvent comparé cet accord au système des « bantous­ tans » qui existaient en Afrique du Sud. La poursuite de la colo­ nisation et la construction de routes réservées aux seuls colons ont renforcé cette similitude. La plupart des groupes nationa­ listes palestiniens s'opposèrent aux accords d'Oslo dès le départ mais décidèrent de s'en tenir à leur rôle d'« opposition loyale». Le Hamas poursuivit ses attaques contre les Israéliens mais pas contre I 'Autorité'palestinienne. Au début du règne de l'Autorité palestinienne, 1~ Hamas déclara : « Nous accueillons les forces de sécurité palestiniennes comme des frères » et jura de « ré­ duire les jours d'appel à la grève séparée pour alléger le fardeau économique de notre peuple. » Des groupes léninistes, princi­ palement le FDLP (Front démocratique pour la libération de la Pa­ lestine) et le FPLP (Front populaire de libération de la Pales­ tine) reçoivent moins de soutien que le Hamas et semblent inefficaces. Ils s'opposent à Oslo mais n'ont pas préconisé une lutte active contre l'Autorité palestinienne ou même contre Israël, du moins jusqu'au début de l'Intifada.

(50) Graham Usber, op. cil.

Le rOle policier de l'OLP Malgré son rôle« d'opposition loyale», la résistance en Cis­

jordanie et à Gaza ne disparut pas lorsque l'Autorité palesti­ nienne arriva au pouvoir.L'arrivée d' Arafat à Gaza le l"' juillet 1994 ne fut pàs l'accueil triomphal réservé à un héros, comme il

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et financiers de la diaspora étaient alors plus enclins à accepter l'offre d'un mini-Etat palestinien appauvri. Après tout; ils n'avaient pas besoin de terres pour faire des profits et, contrai­ rement à la petite-bourgeoisie locale, ils n'affrontaient pas les réa­ lités quotidiennes de la domination israélienne. D'autre part, ils auraient pu mettre en danger la sécurité relative de leur position en s'engageant trop avant contre le « nouvel ordre mondial».

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suivre une politique d'industrialisation rapide et de substitution à l'importation.

Protégé de la concurrence étrangère par des barrières doua­ nières élevées et de généreuses subventions à l1ex11ortAtion, \1in­ vestissement était canalisé vers le développement d'une indus­ trie manufacturière moderne. Ceci permettait à Israël de remplacer les importations de fabrication étrangère par des pro­ duits fabriqués localement, politique qui allait faire d'Israël une économie industrialisée relativement avancée dès la fin des an­ nées 1970. Les politiques de keynésianisme militaire et d'in­ dustrialisation rapide aboutirent à un énorme déficit de la ba­ lance des paiements, puisque la demande des consommateurs ainsi que celle de l'industrie précédaient l'offre. Ce déficit de la balance des paiements devait s'élever à 15 % du PIB. Il ne pouvait être financé que grâce à une généreuse aide américaine.

Donc l'expansion économique rapide et le développement d'Israël dans les dix ans qui suivirent la Guerre des Six Jours procurèrent les conditions matérielles nécessaires à l'expansion de ta colonie de travail sioniste. Alors qu'en 1966 le chômage en Israël se chiffrait à 11 %, l'économie pouvait presque, à pré­ sent, assurer le plein-emploi. L'Etat sioniste pouvait alors of­ frir du travail et un niveau de vie en hausse dans une économie moderne à ) 'occidentale à tous les Juifs qui choisissaient d'y vivre.

Les colonies et l'accord travailliste sioniste Dèpuis la fin de ta Guerre des Six Jours, la politique consis­

tant à établir des colonies juives dans les territoires occupés est un élément important de l'extension de la colonisation tra­ vailliste sioniste pour inclure les Juifs orientaux auparavant ex­ clus. Bien entendu, le but immédiat de l'installation des colo­ nies était de consolider le contrôle d'Israël sur les territoires occupés. Cependant, la politique de colonisation offrait aussi aux franges pauvres de la classe ouvrière juive un logement et des emplois qui leur permettaient d'échapper à leur position su­ bordonnée en Israël proprement dit. Ceci était particulièrement important dans les années 1970, quand la pénurie de logements corrects poussait certains Juifs orientaux sans abri à squatter des bâtiments vides dans les faubourgs riches des Juifs occidentaux. Les colonies proposaient une alternative à cette appropriation directe hostile, en dirigeant cette hostilité ailleurs. - Ces colonies plaçaient la classe ouvrière juive en première ligne, dans une relation directe et hostile avec le prolétariat pa-

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lestinien potentiellement insurrectionnel. Ils étaient ainsi liés à l'Etat sioniste, qui protégeait leurs privilèges récemment acquis des revendications des Palestiniens. En 1971, il y avait déjà 52 colonies.

Les Panthères noires lsrat!liennes Pourtant, tout le monde n'était pas intégré dans la colonisa­

tion du sionisme travailliste, et les luttes de classe continuaient. De nombreux Juifs orientaux jeunes étaient exclus des « bien­ faits » de l'occupation parce qu'ils avaient des casiers judi­ ciaires et ne pouvaient donc obtenir le travail bien payé et les logements corrects qui étaient censés être un droit de naissance pour tout Juif en Israël. Le boom de l'après-1967 conduisit à l'embourgeoisement de villes qui, comme Musrara, avaient été des villes-frontières. Ceci en chassa les Juifs pauvres d'Afrique du Nord.

Là était la raison de la naissance d'un nouveau mouvement: les Panthères noires israéliennes. On peut soutenir que leur base sociale était plus marginale que celle des mouvements des an­ nées 1960. Pourtant leur manifestation de 1971 contre la ré­ pression policière attira des dizaines de milliers de personnes, entraîna 171 arrestations et 35 personnes furent hospitalisées suite à des heurts avec la police. Ils flirtaient aussi avec des an­ tisionistes de gauche, et certains envisagèrent même d'entamer des pourparlers avec l 'OLP. Certains tracts étaient écrits par des membres ou des sympathisants du Matzpen (groupe antisioniste peu nombreux mais célèbre) et il y eut parfois des alliances. Le discours des Panthères noires reflète un positionnement de classe en train d'émerger:« Ils ont besoin de nous chaque fois qu'ils font la guerre»,« Je ne veux pas penser à ce qui arrivera quand il y aura la paix », « Si les Arabes avaient un peu de bon sens, ils laisseraient les Juifs régler leurs comptes entre eux. >>

Cependant leur critique de la société israélienne était affai­ blie par certains éléments qui cherchaient une place au sein du sio­ nisme travailliste, et qui n'étaient donc pas d'accord pour tisser des liens avec la gauche antisioniste ou, pire encore, avec ces parias de la société, les Palestiniens. On offrit à plusieurs membres éminents des Panthères noires de meilleurs logements et des emplois et ils quittèrent le groupe, qui fut de plus en plus accaparé par des scissions internes. Mais l'insatisfaction que ressentaient les Juifs orientaux à l'égard de l'establishment tra­ vailliste sioniste demeurait forte, et le fait de coopter des Juifs ra­ cticuux comme ces personnalités influentes des Panthères noires

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pomme de discorde dans la société israélienne, car on pense gé­ néralement qu'ils ont trouvé leur place aux dépens des autres travailleurs juifs. On relie les augmentation de loyers dans les « zones désirables >>, qui mettent à la rue les Juifs les plus pauvres et accroissent la demande d'extension des colonies, à la nécessité d'intégrer l'afflux d'immigrants russes. Ce ressenti­ ment, auquel s'ajoute une inquiétude générale au sujet de la dé­ térioration du caractère exclusivement juif de l'Etat, a nourri des rumeurs concernant le manque d'authenticité de « l'identité juive» des nouveaux immigrants.

Ces inquiétudes sont encore alimentées par l'emploi de plus en plus généralisé de travailleurs immigrés non juifs d'Europe de l'Est et du Pacifique. Originaires surtout de Roumanie et des Philippines, quoique certains d'entre eux viennent de Jordanie et d'Egypte, ces travailleurs immigrés sont généralement em­ ployés par l'intermédiaire d'agences comme Manpower. Ils su­ bissent de très mauvaises conditions de travail et de logement et il y a de nombreux cas de maltraitance physique par les em­ ployeurs ( 48). L'agence conserve systématiquement les passeports des travailleurs, ce qui les lie à leur travail s'ils veulent rester dans le pays. Beaucoup d'employeurs retiennent leurs salaires, et font reconduire leurs employés à la frontière s'ils essaient de les exiger. Récemment, on a obligé des travailleurs à payer une caution aux agences, qu'ils ne récupèrent que s'ils terminent leurs contrats. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que de nombreux travailleurs migrants décident qu'il vaut mieux tra­ vailler illégalement (4~):,

La plupart des ouvriers migrants de sexe masculin travaillent dans la construction et dans l'agriculture, mais surtout dans la construction. L'industrie de la construction a constamment be­ soin de plus de travailleurs immigrés et le gouvernement limite sans cesse le nombre de visas accordés, créant ainsi un marché pour les travailleurs immigrés illégaux. Les travailleurs immigrés tra­ vaillent pour moins cher que les Palestiniens d'Israël et des ter­ ritoires, et, dans un cas, ce fut la cause d'un pogrom dans une ville palestinienne de Galilée contre des travailleurs squatters jordaniens et égyptiens.

Le chômage palestinien massif, la remise en cause de l'au­ torité par le Hamas et l'isolement d'Arafat en raison de son sou­ tien à l'Irak pendant la guerre du Golfe, tous ces éléments contribuèrent à l'affaiblissement de la force de négociation de l'OLP. Alors que la-montée du Hamas représentait la politique de rejet de la petite-bourgeoisie locale, les capitalistes marchands

(48) Voir Kav la Oved (Workers'Hotliue) http ://www.kavlaoved. org.il//index_en.html).

(49) Il y a environ 100 000 travailleurs étrangers en Israël. Plus de 66 000 travaillent dans ln construction (sur un total de 160 000 ouvriers du bâtiment). Dans la construction, environ 51 000 de ces travailleurs étrangers sont déclarés et 15 000 sont illégaux

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avait des effets secondaires mortels, elle fournit aussi un pré­ texte à l'IDF pour exercer de dures répressions au printemps 1993. Ce fut Gaza qui essuya le plus fort de 1 'attaque, car elle était considérée comme une« base du Hamas». A J 'occasion de .. cette vague de répression générale, Israël imposa aussi la fer­ meture des territoires « pour une période indéterminée », au pré­ texte« d'antiterrorisme ». Cela signifiait l'impossibilité d'aller travailler en Israël pour 189 000 Palestiniens.

La politique de fermeture avait été utilisée sporadiquement pen­ dant les années 1990, comme « punition collective» après des at­ tentats suicides ou d'autres attaques. Après la fermeture des ter­ ritoires occupés en mars 1993, qui créa des pénuries de main-d'œuvre dans la construction et l'agriculture, le gouver­ nement donna le feu vert à l'emploi de travailleurs immigrés. C'est ainsi que l'Intifada obligea la bourgeoisie israélienne à mettre fin au monopole des Palestiniens au bas de l'échelle du mar­ ché du travail, et à trouver une source de main-d'œuvre bon mar- • ché moins volatile. A cause de leur position retranchée, il serait problématique de forcer les travailleurs juifs à occuper cette _ place. Au début de 1 'Intifada, des chantiers de construction à Jé­ rusalem avaient tenté sans succès de recruter de )a main­ d'œuvre juive pour le double du salaire normal palestinien. De toute évidence, les travailleurs juifs ont tendance à être plus loyaux envers l'Etat, et auraient tendance à épouser les impératifs de sécurité. Mais, pour les pousser au bas de l'échelle du marché du travail, il faudrait renégocier le compromis de classe de l'après-1967, et il y avait déjà une pénurie de main-d'œuvre juive. Dans les années 1980, les Juifs quittaient Israël en plus grand nombre qu'ils n'y entraient. L'écroulement de l'URSS semblait fournir la solution, sous la forme d'une nouvelle vague d'immigrés potentiels. Celan 'allait pas sans problèmes, car les nouveaux immigrés avaient désiré aller en Amérique et pour se dédommager d'être coincés en Israël, ils exigeaient leur part du gâteau sioniste. Le bas de l'échelle du marché du travail était bien loin des carrières professionnelles que beaucoup d'entre eux avaient eues en URSS.

De plus, Israël avait besoin de! 'aide américaine pour absor- - ber les nouveaux immigrants, et parce que les atermoiements d'Israël sur les colonies agaçaient la bourgeoisie américaine, Bush père avait menacé de ne pas renouveler les prêts en 1991, et déclara clairement qu'Israël ne pourrait pas absorber les nou­ veaux immigrants sans progresser sérieusement dans la résolu­ tion de l'Intifada. Les immigrants russes sont devenus une

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émanait d'un climat dans lequel les travailleurs juifs en général s'attendaient à avoir un meilleur niveau de vie que leurs parents. . La nécessité de garantir le plein-emploi pour tous les Juifs renforçait le rapport de forces en faveur des trll.v!l.illêur!l jujfg dans les négociations salariales, ce qui commençait à créer des problèmes d'inflation pour l'économie israélienne. Ces pro­ blèmes n'affectaient pas seulement Israël: l'Europe de l'Ouest et 1 'Amérique affrontaient aussi leurs prolétariats qui, au lieu de se contenter des « gains » de l'après-guerre, les utilisaient pour imposer des restrictions supplémentaires à ! 'accumulation du capital. En Israël, ces problèmes étaient compliqués par les li­ mitations imposées à une accumulation intensive et par les im­ pératifs de sécurité.

Etant donné ce retranchement sur ses positions de la classe ou­ vrière juive, la politique d'expansion économique intensive basée sur la substitution des importations avait commencé à at­ teindre les limites des confins étroits de l'économie israélienne dès la fin des années 1970. La croissance économique de plus de 10 % par an du début des années 1970 redescendit à un modeste 3 %. Ce ralentissement devait précipiter une crise inflationniste qui vit les prix grimper de 100 000 % en à peine sept ans. Cette crise ne pouvait se résoudre qu'en affaiblissant sérieusement le pacte social sioniste avec son salaire relativement généreux.

•,

La crise inflationniste de 1978-1985 Le plein-emploi dans une économie dominée par quelques

grands c~i:Îglomérats, protégés de la concurrence étrangère par d'im­ portantes barrières douanières, est une recette classique pour ) 'inflation. L'indexation de 85 % des contrats salariaux sur l 'in­ flation des· prix, ainsi que diverses aides sociales et autres formes de revenu, signifiait que toute augmentation des prix se traduisait rapidement en augmentation des salaires, qui à leur tour entraînaient la hausse des prix, comme le coût des salaires plus élevés se répercutait sur le consommateur. C'est pourquoi l'économie israélienne était hautement sujette à un cercle vi­ cieux salaires/prix. Le keynésianisme militaire avait abouti à un taux d'inflation compris entre 30 % et 40 % pendant la plus grande partie des années 1970.

Cependant, en maintenant le taux de change fixe de la livre is­ raélienne avec le dollar américain (malgré l'effondrement du système de taux de change fixe de Bretton-Woods en 1973), le gou­ vernement israélien put contenir l'inflation. La hausse des prix intérieurs était compensée par le fait qu'avec un taux de change

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fixe, les importations demeuraient meilleur marché qu'elles n'auraient dû l'être, ce qui servait à maintenir l'indexation des prix à un niveau bas, puisque l'augmentation des salaires é_tait basée sur elle. Bien entendu, des prix intérieurs en hausse dans un régime de taux de change fixe rendaient l'industrie israé­ lienne peu compétitive, mais cela pouvait être compensé par des barrières douanières plus élevées, en augmentant les subven­ tions à l'exportation et en dévaluant de façon ponctuelle et contrôlée la livre israélienne.

Toutefois, le ralentissement de 1 'économie, combiné à la si­ tuation politique instable au Moyen-Orient, entraîna un chan­ gement décisif de politique économique qui allait déclencher une crise économique dans les années 1980. Ce changement sur­ vint en 1978 avec l'élection du gouvernement du Likoud, qui mit fin à trente ans de règne du Parti travailliste. Le réaligne­ ment de la droite, ainsi que les scissions dans le Parti tra­ vailliste, permirent au Likoud de bénéficier électoralement de l'insatisfaction permanente des Juifs orientaux à l'égard des tra­ vaillistes. Pourtant, les politiques déflationnistes du Likoud ne pouvaient être mises en œuvre qu'en affrontant la classe ou­ vrière juive, dont les positions retranchées avaient contribué à la crise inflationniste et au déclin des profits de certaines franges de la bourgeoisie israélienne. Le Likoud affrontait aussi une ac­ tion d'arrière-garde contre certaines de ses politiques émanant de 1 '« establishment travailliste » de la bourgeoisie occidentale, alors que l'Histadrout s'efforçait d'étouffer les luttes de la classe ouvrière israélienne, comme par exemple lesviolents pi­ quets de grève des cantonniers.

Les Etats arabes, l'expansion et les Etats-Unis La victoire décisive d'Israël lors de la guerre de 1973 avait enfin

brisé l'unité des Etats arabes. La position d'Israël au Moyen­ Orient était maintenant à l'abri d'une menace extérieure en pro­ venance d'une alliance arabe hostile. Toutefois, le réalignement ultérieur de l'Egypte sur tes Etats-Unis fit quelque peu douter de ) 'engagement à long terme des Etats-Unis pour financer Is­ raël. Si les Etats arabes s'alignaient sur les Etats-Unis, pourquoi les Etats-Unis devraient-ils continuer à déverser des milliards de dollars en Israël? De plus, l'Egypte étant neutralisée au sud, la voie était libre pour l'expansion israélienne vers le nord et l'est.L'annexion des territoires occupés de Cisjordanie et la su­ bordination économique de la Jordanie et du Liban offraient un rnoycm uc sontr Clos rcstrrcuons croissantes imposées à l'accu-

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La route d'Oslo

Puisque les Etats-Unis jouissaient d'une position hégémo­ nique absolue sur le Moyen-Orient suite à la guerre du Golfe, et puisque la menace du militantisme islamiste était pour le mo­ ment endiguée par les bourgeoisies indigènes, notamment en Egypte et en Syrie, le seul problème des Etats-Unis était les Pa­ lestiniens. Le soutien populaire à la première Intifada menaçait sans aucun doute les intérêts américains, et le « processus de paix» d'Oslo, à un niveau rhétorique, n'était rien moins qu'un coup d'arrêt aux années de conflit et à une gestion de la crise que les administrations américaines successives avaient été obligées d'entreprendre.

Puisque les alliés arabes de l'Amérique avaient passé avec succès le test de loyauté crucial de la guerre du Golfe, le « nou­ vel ordre mondial » ouvrait la perspective de la mise au rancart d'Israël en tant que principal atout stratégique des Etats-Unis dans la région, alors qu'une bonne partie de la bourgeoisie arabe était consentante, et que l'incapacité d'Israël à résoudre le pro­ blème palestinien menaçait cette nouvelle ère de paix bour­ geoise qu'on annonçait partout.

Pour ) 'Etat israélien, faire des concessions aux Palestiniens impliquait l'éventualité de devoir affronter sa propre classe ou­ vrière. Mais, comme l'économie du pays n'était pas encore remise de la crise et de l'Intifada, les Israéliens avaient encore besoin de l'aide américaine, qui pouvait servir de moyen de pression pour que l'Etat israélien signe un accord avec les Palestiniens. En 1989, les Etats-Unis se montraient de plus en plus agacés par la stagnation dans le dénouement de l'Intifada. Israël était censé être l'un de leurs gendarmes régionaux. Mais Israël avait un sou­ lèvement intérieur sur les bras qui menaçait de déstabiliser la région, à cause de la diaspora palestinienne.Le Premier ministre Yitzhak Shamir n'était pas en mesure de résoudre le problème, surtout parce qu'à ce moment-là ) 'union gouvernementale s'était écroulée et qu'il subissait les pressions de ses partenaires de la coalition d'extrême droite.

Avec l'élection d'un gouvernement travailliste qui s'enga­ geait à accélérer le « processus de paix », le Hamas voulut consolider sa base en tant que principale alternative« de rejet » à l'OLP. Le meurtre de six soldats israéliens en décembre 1992 par les guérilleros du Hamas était la preuve que l'entretien de 1 'Islam politique par Israël comme contrepoids à l 'OLP avait été payant, mais pas comme il ! 'avait espéré. Si la montée du Hamas

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Finalement, la guerre du Golfe ébranla les illusions relatives à un « nationalisme progressiste » soutenu par l'URSS, qui n 'exis­ tait plus. En même temps, les attaques de Scud sur Israël ren­ forcèrent en Occident son image publique de bastion de la 'dé­ mocratie entouré « d'Etats voyous» agressifs.

En dépit de la nouvelle réalité mondiale résultant de l'écrou­ lement de 1 'URSS, Israël reste un atout stratégique vital pour le capital américain. Les quelques Etats arabes qui s'étaient tour­ nés vers Moscou avaient dû entre-temps entreprendre un réali­ gnement hésitant sur l'Occident pour trouver un nouveau spon­ sor. Presque simultanément, une occasion de faire preuve de leur compréhension du« nouvel ordre mondial » s'offrit aux bourgeoisies arabes récalcitrantes, avec la possibilité de prendre le parti de la coalition contre l'Irak. Presque toutes les capitales arabes de quelque poids politique firent ce choix. De plus en plus, la guerre du Golfe apparaît comme une occasion pour 1 'Amérique, tout à coup libérée des contraintes de la guerre froide, de démontrer de la façon la plus brutale et la plus arbitraire 1 'étendue de sa domination sur les puits pétroliers du Moyen- _ Orient. Et, à la minute où« l'Etat voyou client» se trouva réel­ lement menacé par un soulèvement kurde au nord et par une ré­ volte chiite au sud, les Etats-Unis relâchèrent leur pression, préférant un régime arabe qu'ils pouvaient diaboliser et punir périodiquement à 1 'éventualité de devoir eux-mêmes écraser une révolution sociale, ce qui aurait pu intensifier les sentiments anti-américains au Moyen-Orient.

La guerre du Golfe participa à la recomposition générale de la classe ouvrière de la région. L'expulsion massive des tra­ vailleurs palestiniens du Koweït contribua à l'appauvrissement général du prolétariat palestinien, dont une partie avait bénéfi­ cié d'un niveau de vie supérieur même à celui de leurs voisins juifs, grâce aux salaires virés par des membres de leurs familles établis au Koweït. Le couvre-feu intégral imposé par Israël pendant la guerre accrut les difficultés économiques dans les territoires. Il offrit aux patrons israéliens l'occasion de licencier de nombreux travailleurs palestiniens parce qu'ils avaient respecté le couvre­ feu, ou parce qu'ils ne l'avaient pas fait ou devraient le faire dans l'avenir. Ceci, à son tour, exacerba les antagonismes de classe dans les territoires, entraînant le vol et l'illégalité géné­ ralisée. Pendant le couvre-feu, les magasins surpris à gonfler leurs prix étaient attaqués et contraints de les baisser.

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mulation intensive. Mais ces politiques allaient contre les inté­ rêts des Etats-Unis. Alors que ces derniers voulaient faire d'Is­ raël leur chien de garde impérialiste au Moyen-Orient, ils ne voulaient pas que ce chien cle sarcle clJstabiJise Ja r.&slon ot

contrarie les riches alliés pétroliers de l'Amérique, comme par exemple l'Arabie Saoudite. La politique du Likoud consistant à créer un Grand Israël nécessitait donc un relâchement des chaînes dorées de 1 'aide américaine.

La fuite des capitaux des économies occidentales, à la fin des années 1970, et la croissance ultérieure du capital de la fi­ nance internationale fournirent l'occasion de réduire la dé­ pendance d'Israël vis-à-vis de ! 'aide américaine. En suivant une politique économique de libéralisation et de dérégulation, on espérait qu'Israël pourrait puiser dans le flux de capitaux internationaux et réduire ainsi sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Cette politique de libéralisation dont se réclamait le Likoud était aussi en phase avec une grande partie de la bourgeoisie israélienne qui, devant la baisse de ses profits, voulait plus de libertés pour trouver des champs d'investisse­ ment profitables.

Voilà pourquoi, dans les semaines qui suivirent l'accession au pouvoir du Likoud, Milton Friedman - un des pionniers de ce que l'on connaît à présent sous le nom de« néo-libéralisme» - fut convoqué pour élaborer un programme de libéralisation. Sur les conseils de Friedman, le nouveau gouvernement israélien supprima les droits de douane sur les importations et les sub­ ventions à l'exportation, relâcha ses contrôles sur la circulation des devises vers l'extérieur et à l'entrée du pays, et abandonna le taux de change fixe de la livre israélienne avec le dollar améri­ cain. Quelques semaines après sa déconnection du dollar, la livre israélienne avait perdu un tiers de sa valeur. Le prix des marchandises importées monta en flèche, élevant ! 'indexation des prix. En quelques mois, l'indexation des salaires avait fait mon­ ter le taux d'inflation à plus de 100 %. A la suite de cette accé­ lération de l'inflation, on remplaça la livre israélienne par le shekel en tant que monnaie d'Israël, à un taux de 10 livres pour l shekel.

Cependant, la politique de libéralisation, combinée à une coupe sombre dans les salaires réels dont la cause était l'in­ dexation des salaires à la traîne derrière l'accélération de l'inflation des prix, fit grimper les profits et aboutit à une relance de la "croissance (22). A cause de cela, l'année 1981 vit l'économie israélienne renouer avec les taux de croissance du début des an-

(22) La plupart des salaires étaient réévalués tous les six mois. Une augmentation du taux d'inflation signifiait une diminution du salaire réel jusqu'à ce que les salaires soient relevés. Ce décalage dans la ré­ évaluation des salaires avait donc tendance à transférer un revenu des salaires vers les profits.

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nées 1970. En vérité, à l'époque, la crise mondiale n'étant pas en­ core terminée, on pouvait dire que les taux d'inflation élevés d'Israël n'avaient pas d'importance. Comme la valeur extérieure du shekel mesurée en dollars chutait aussi vite que l'inflation grignotait sa valeur intérieure, on pouvait dire qu'en termes du dollar, 1 'inflation était plus ou moins nulle. En vérité, la nullité du taux d'inflation en termes du dollar, comparée à des taux d'inflation beaucoup plus élevés aux Etats-Unis et ailleurs, im­ pliquait une compétitivité internationale croissante de l'industrie israélienne. Cet optimisme ne dura pas longtemps.

Alors que la croissance économique commençait à faiblir et Je déficit public à s'accroître, suite à l'invasion du Liban, on commença à craindre sérieusement que les taux d'inflation éle­ vés ne basculent aisément dans une hyperinflation incontrô­ lable. C'est pourquoi le gouvernement de Menahem Begin mit en place de nouvelles mesures de politique économique desti­ nées à réduire progressivement le taux d'inflation. On combina des coupes dans les dépenses publiques et une politique de li­ mitation de la chute du taux de change du shekel par rapport au dollar américain à 5 % par mois. En même temps, on tenta de li­ miter l'indexation des revenus. La politique de limitation de la chute du shekel eut l'avantage, immédiat pour la popularité du gouvernement, de rendre moins chères les importations de biens de consommation. Mais elle rendit aussi les exportations israé­ liennes non compétitives. Incapables d'être concurrentielles, de plus en plus d'entreprises israéliennes commencèrent à faire faillite et le chômage commença à monter. En même temps, les tentatives d'écraser les salaires entraînèrent de plus en plus de conflits sociaux.

Suite à la démission de Begin à l'automne 1983, la crainte que le gouvernement soit incapable d'empêcher une chute im­ portante de la valeur du shekel conduisit à une ruée sur les banques, car les épargnants cherchaient à changer leurs shekels en dollars. Le gouvernement fut obligé de nationaliser les prin­ cipales banques et de laisser chuter le shekel par rapport au billet vert. Afin de rassurer les marchés financiers, le gouver­ nement israélien dut annoncer d'importantes réductions des dé­ penses publiques et des mesures sévères de politique monétaire. Ces nouvelles mesures se heurtèrent à l'opposition résolue aussi bien de l'Histadrout que des capitalistes influents dans l'« esta­ blishment travailliste », L'Histadrout appela à une succession de grèves qui paralysèrent le pays. Incapable d'écraser les sa­ tatres, la torsion de la spirale des prix et des salaires résultant

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veaux, le Hamas et le Jihad Islamique. Pour essayer de mettre en place un contrepoids à l 'OLP authentiquement palestinien, Israël avait encouragé la croissance de la confrérie musulmane au début des années 1980. La confrérie ayant fait preuve de ses sentiments anti-classe ouvrière en brûlant une bibliothèque qu'elle jugeait être un« foyer communiste», Israël commença à leur fournir des armes (46). Parce qu'ils croyaient qu'on ne pourrait renverser la domination israélienne que lorsque tous les Palestiniens seraient de vrais croyants musulmans, il semblait que leur croissance pourrait étouffer la résistance à l'occupa­ tion. Toutefois, c'est pendant l'Intifada que les Islamistes se po­ litisèrent, en tant que Hamas et Jihad Islamique.

Pour essayer d'être visibles, et pour contester 1 '0LP, les Is­ lamistes organisèrent des jours de grève qui ne suivaient pas le calendrier de l'UNLU. Ces « grèves contre le processus de paix » les confirmaient dans leur rôle « d'opposition de masse authentique et indigène (47) » à l'OLP. Pourtant, si le Hamas voulait affaiblir l'OLP, il ne voulait pas la remplacer. Sa concur­ rence « je suis plus militant que toi » avec le Fatah (l'aile mili­ taire de l'OLP) était plutôt destinée à lui assurer un rôle déci­ sionnel dans la nature du futur Etat palestinien. Il rejetait non seulement le « processus de paix » et ses compromis avec Israël, mais aussi l'idée même d'un Etat laie bourgeois. En dépit de sa position « de rejet», le Hamas finit par rechercher un compromis avec l'OLP, parce qu'il voulait agir sur la forme de l'Etat pa­ lestinien.

Les phasëè initiales de ! 'Intifada comportaient une part de révolte contre Î'institution de la famille patriarcale. Les femmes palestiniennes avaient refusé leur invisibilité sociale et avaient affronté l'armée. A Ramallah, un groupe de filles lapidèrent leurs parents qui voulaient les empêcher de participer à l'émeute! Pour le Hamas, un Etat palestinien devait être mu­ sulman, ce qui supposait d'imposer la charia pour restaurer ces mêmes formes de « contrôle social basse intensité» que 1 'Intifada avait remises en question.

La guerre du Golfe Le « processus de paix » traîna encore en longueur à cause

de la crise du Golfe, qui mit en doute les loyautés opposées d 'Arafat. Alors qu'une grande partie de la bourgeoisie arabe était du côté des Etats-Unis, Arafat ne pouvait pas se le per­ mettre à-cause de la position propalestinienne de l'Irak et du soutien pafestinien massif dans son conflit avec les Etats-Unis,

(46) Voir Andrew Rigby, op. c/t. L'islamisme est un mouvement politique moderniste, mais qui se réfère à des formes précapitalistes. Ainsi, comme le fascisme, il peut se positionner à la fois contre le communisme el contre le capitalisme (son opposition au capitalisme est en réalité une opposition morale à « ! 'usure » : l'intérêt). Comme certaines formes d'antisémitisme el d'anti­ américanisme, c'est un faux anlicapilalisme.

(47) D'après Graham Usher. Palestine ln crisis : the str11ggle for peace and political lndependence after Oslo (Le Palestine en crise : la lutte pour la paix et l'indépendance après Oslo), Pluto Press, 1995.

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plus en plus de pressions internationales pour qu'ils mettent fin à leur boycott diplomatique del 'OLP. Alors que les instincts du Likoud le portaient à la répression ouverte, il y avait des limites à ce qu'on pouvait accomplir par la force brute et par la terreur, étant donné la pression croissante des Etats-Unis et le peu de goût des conscrits israéliens pour une orgie de meurtre. En outre, c'était la « Main de fer» qui avait d'abord contribué à créer les conditions de la révolte.

Quand les Etats-Unis acceptèrent de reconnaître l 'OLP à condition que le conflit régresse, ce qui nécessitait que l'OLP reconnaisse Israël, le Premier ministre israélien Yitzhak Shamir dut faire des concessions. Son offre « d'élections libres et dé­ mocratiques » aux délégués palestiniens qui « négocieraient pour un intérim assuré par une administration auto-gouvernée » posait aussi la condition del 'apaisement des troubles. Bien que l'OLP ait formellement reconnu« le droit à l'existence» d'Israël dès décembre 1988, le processus de reconnaissance de l'OLP · par Israël était loin d'être achevé. Le processus pour amener Is­ raël et l 'OLP à la table des négociations se retrouva rapidement ~ dans une impasse, ne dépassant jamais les pourparlers au sujet des pourparlers, et la tactique israélienne de manœuvres politiques dilatoires (tout en continuant à assassiner des Palestiniens) sem­ blait payante.

L'économie israélienne, soutenue par l'aide américaine, put absorber le premier choc de la perturbation économique ; mais plus cela durait, plus l'Intifada s'épuisait. Avec le temps, ce qui sub­ sistait del 'économie palestinienne fut détruit. Pendant ce temps, le capital israélien pouvait rechercher d'autres sources de main­ d'œuvre bon marché, pour contourner les Palestiniens et les ex­ clure du marché de l'emploi israélien.

Les Islamistes On vit aussi le début d'un âpre conflit pour le contrôle d'un

territoire et pour savoir qui allait être le chien de garde en chef • dans les rues palestiniennes. Les bandes nationalistes répétaient déjà leur futur rôle de gardiens de la loi, de l'ordre bourgeois et de la propriété privée. Avec l'épuisement du soulèvement, le - prolétariat des territoires occupés était décimé par des combats entre factions et des « meurtres de collaborateurs », et au printemps 1990, plus de Palestiniens étaient tués par d'autres Palestiniens que par les forces israéliennes. Beaucoup de ces « collabora­ teurs » étaient des pilleurs ou des militants de la lutte de classe. D'autres participants appartenaient à des groupes relativement nou-

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de la chute importante du shekel causa une accélération del 'in­ flation des prix.

A la veitte de l'élection de juillet 1983, le taux d'inflation avoislnait les 400 %. Comme l 'au5mcntation des salalrcs avaJt du

retard sur l'augmentation des prix, cette accélération de l'infla­ tion avait pour résultat une diminution de 30 % des salaires réels. Le Parti travailliste et le Likoud perdirent tous deux nombre de soutiens lors de l'élection et durent s'allier pour for­ mer un gouvernement d'« unité nationale», avec Shimon Peres, le chef du Parti travailliste, comme Premier ministre. Usant de son influence auprès de l'establishment travailliste, Peres proposa un programme composé de mesures d'urgence. On imposa un prélèvement de 10 % sur les salaires, on devait suspendre l'indexation et on devait imposer un gel de trois mois des salaires et des prix. Ces mesures devaient être soutenues par un programme sans précédent de réduction du déficit budgétaire à partir de 20 % du PIB. Lorsque le programme fut présenté à l'automne 1983, après de longues négociations au cours de l'été, le taux d'inflation avait atteint 1 000 %.

Le programme de Peres se révéla une réussite partielle. Face à la forte opposition de l'Histadrout, le gouvernement du Likoud avait renoncé à toucher à ) 'indexation des salaires et des autres revenus. Pourtant, intervenir dans 1 'indexation des salaires sem­ blait plus légitime aux yeux de l '« establishment travailliste » lorsque c'était proposé par une figure de proue influente du Parti travailliste. Dès mai 1985, le taux d'inflation avait été ramené à 400 '% tandis que, malgré une opposition croissante, le déficit budgétaire avait été réduit à 15 % du PIB. Peres annonça alors un autre train de mesures. Un gel supplémentaire de trois mois des prix et'des salaires allait être accompagné d'une autre série de ré­ ductions des dépenses publiques afin de diviser de nouveau par deux le déficit budgétaire du gouvernement. En même temps, on dévaluait le shekel de 19 % et on allait ensuite maintenir un taux de change fixe avec le dollar américain. Toutefois, alors qu'il aurait été possible de rallier l '« establishment travailliste » à ces mesures d'austérité, l'hostilité des travailleurs juifs, sommés de se serrer encore plus la ceinture, menaçait de se libérer des contraintes que lui imposait la récupération de l'Histradrout.

Face à une augmentation des grèves sauvages, l 'Histadrout appela à une grève générale qui obligea le gouvernement à au­ toriser un« rattrapage» limité des salaires avant le gel des prix

- et des salaires, mais cela n'aida guère à faire passer la perte de 20 % sur les salaires réels et la hausse brutale du chômage issues

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du premier train de mesures d'austérité de Peres. En fin de compte, les mesures draconiennes du gouvernement de coali-. tion Likoud-Parti travailliste sauvèrent Israël del 'hype_r-infla­ tion. Dès 1986, le taux d'inflation était tombé au niveau res­ pectable de 20 %.

Pourtant, en mettant fin à la crise inflationniste, Peres avait sérieusement affaibli le pacte avec le sionisme travailliste. Alors que les salaires réels commencèrent à augmenter lentement après 1986, le chômage avait atteint des niveaux inégalés depuis la récession du début des années 1960 et il resta élevé pendant les années 1980 et le début des années 1990. La poursuite des mesures d'austérité pendant les années 1980 réduisit encore le budget d'aide sociale et rogna les garanties sociales. Ces mesures fu­ rent imposées à la classe ouvrière juive, avec l'aide de l'Hista­ drout. Les hommes politiques des deux principaux partis com­ mencèrent alors à se rallier à des pratiques « néo-libérales », malgré la lenteur initiale de la mise en place effective de la dé­ régulation et de la privatisation des entreprises nationales, en partie grâce à la résistance de l 'Histadrout, propriétaire de bon nombre des gros conglomérats. Mais le chômage, la précarité et la flexibilité des conditions de travail allaient devenir le lot de franges de plus en plus larges de la classe ouvrière israélienne. A cause du démantèlement des aspects les plus sociaux du sionisme tra­ vailliste suite à la crise inflationniste des années 1980, la politique d'installation de colonies dans les territoires occupés est deve­ nue un élément de plus en plus important pour souder la classe ou­ vrière à 1 'Etat sioniste. En réalité, et le Likoud le reconnaît, les colons ont apporté un soutien populaire à la construction à terme d'un Grand Israël, dans lequel certaines fractions de labour­ geoisie israélienne voient un moyen d'échapper à la stagnation chronique de l'économie israélienne depuis la fin des années 1970.

Jusqu'à un certain point, les colonies ont débarrassé le gou­ vernement du poids politique de l'occupation, surtout lorsqu'il s'agissait d'un gouvernement travailliste. On pouvait attribuer à l'intransigeance et à l'extrémisme des colons la mauvaise vo­ lonté d'Israël à faire des concessions aux Palestiniens. Car les colons étaient obligés d'intégrer les impératifs de sécurité à un degré bien plus élevé que le plus « belliciste » des gouverne­ ments. D'autre part,! 'accélération de la construction des colo­ nies représente un compromis secondaire avec les franges de la bourgeoisie israélienne qui préconisent ! 'annexion de droit des terrnotres occupés. Parce que la crise ne pouvait se résoudre

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l'Egypte et la Syrie, et voilà qu'on leur ordonnait de tirer à balles réelles sur des gosses armés de pierres ! Ceci contribua à un renouveau dans le mouvement de l'« objection de conscience» (45). Les pierres étaient un facteur égalitariste im­ portant, car c'était des armes auxquelles tout le monde pouvait avoir accès. Au sens propre du terme, le prolétariat palestinien était en train de prendre la lutte en main, après des années d'ap­ pels déçus pour obtenir l'aide de la bourgeoisie arabe. Une nou­ velle génération de jeunes prolétaires, qui avaient grandi sous l'occupation, était en première ligne dans la lutte. Mais, comme un soulèvement prolétaire spontané se transformait en mouve­ ment national sous les auspices del 'UNLU, l 'lntifada finit par de­ venir l'expression d'une alliance précaire entre le prolétariat et la petite-bourgeoisie.

{4S} On peut exagérer, et c'est souvent le cas, l'imponance ou la taille de ce mouvement, qui a toujours été assez réduit.

la réaction de la bourgeoisie israélienne Dans les années 1970-1980, le gouvernement israélien refu­

sait absolument d'avoir affaire à l'OLP. Ce consensus politique englobait la « gauche » du mouvement La paix maintenant. Pourtant, les « ligues villageoises » de toute évidence fantoches étaient tout à fait incapables d'incarner une direction palesti­ nienne différente de l'OLP avec laquelle ils auraient pu négo­ cier.L'Intifada a poussé le mouvement La Paix maintenant dans une direction plus radicale, parce que des groupes pacifistes plus petits établissaient déjà des contacts avec les Palestiniens, généralement sous forme de soutien « humanitaire ». La straté­ gie à long ~èrr-ie du camp de la paix avait besoin d'un« parte­ naire pour la paix», et l'échec des« ligues villageoises» faisait del 'OLP le seul interlocuteur possible.

De plus, la· bourgeoisie israélienne commençait à manquer d'options, car celle de transférer les Palestiniens en masse en Jordanie, idée avec laquelle ils jouaient depuis le milieu des an­ nées 1980, était irréalisable. La Jordanie avait déjà son propre pro­ blème palestinien et, à la fin des années 1980, la dernière chose que voulait le roi Hussein était d'avoir plus de Palestiniens à gérer. Les bureaucrates palestiniens dans les territoires occupés, nommés par la Jordanie ou par Israël, avaient dû démissionner ou affronter la justice révolutionnaire. Au cas où cela exprimerait à quel point ses futurs sujets préféraient le régime jordanien à Is­ raël, le roi Hussein s'empressa d'abandonner son droit sur la Cisjordanie.

Malgré tous ces éléments, ! 'aile Likoud du gouvernement d'union était intransigeante, mais les Etats-Unis subissaient de

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(43) Par exemple en partageant la tribune avec Meretz (parti israélien du centre gauche).

(44) Voir:« Avenir d'une révolte « (le Brise-glace, 1988).

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en Israël. Ceci coïncidait avec la récolte des agrumes, qui em­ ploie des Palestiniens pour un tiers de sa main-d'œuvre. Cela coûta 500 000 dollars au service de commercialisation agricole israélien pendant les deux premiers mois du soulèvement, car les commandes destinées au marché britannique furent perdues. De nombreux Palestiniens travaillaient aussi comme journaliers dans un autre secteur clé, l'industrie de la construction des deux côtés de la Ligne verte. Ils purent accomplir ce dont l'OLP et le mouvement pour la paix ne pouvaient que rêver : arrêter d'un seul coup la construction des colonies.

La « révolte des pierres » Voici un récit de discussion pendant l'Intifada. Quand cer­

taines personnes essayèrent d'affirmer leur autorité en préten­ dant être des leaders de l'Intifada, un garçon de quatorze ans montra la pierre qu'il tenait et dit:« C'est ça, le leader de l'In­ tifada.» Tant pis pour l'UNLU ! De soi-disant leaders se fai- .. saient attaquer par les Palestiniens dans les manifestations lorsqu'ils devenaient trop modérés (43). Les tentatives actuelles • de l'Autorité palestinienne pour militariser l'Intifada d'au­ jourd'hui sont une tactique pour éviter que cette« anarchie» ne se reproduise. L'utilisation répandue des pierres comme armes contre l'armée israélienne signifiait qu'on avait compris que les Etats arabes étaient incapables de vaincre Israël au moyen d'une guerre conventionnelle, sans parler de la « lutte armée » de l 'OLP. Le désordre civil « désarmé » rejetait obligatoirement « la logique de guerre de l'Etat ( 44) » (bien qu'on puisse aussi le considérer comme une réaction à une situation désespérée, dans laquelle mourir en« martyr» pouvait sembler préférable à vivre dans l'enfer de la situation présente). Jusqu'à un certain point, le fait de lancer des pierres déjouait la puissance armée de l'Etat d'Israël. Afin de conserver le soutien politique et financier des Etats-Unis, Israël devait respecter les apparences en tant que dé­ mocratie en difficulté assiégée par des hordes barbares, et il était dangereux de tuer trop de civils désarmés, au moment où la po­ sition pro-américaine de l'Egypte risquait d'affaiblir le rôle d'atout stratégique d'Israël.

Ce qui ne veut pas dire qu'il l'a fait: dès la mi-juin 1988, l 'IDF avait déjà tué 300 Palestiniens. Cependant, les cas de conscience personnels que provoquait 1 'expérience d'affronter, munis d'armes létales, des civils désarmés, s'ajoutaient aux pressions qui s'exerçaient sur le moral des soldats israéliens. Ils étaient censés appartenir à cette puisante armée qui avait vaincu

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qu'en détruisant le caractère de salaire social du pacte du sio­ nisme travailliste, les colonies devinrent à la fois une forme de compensation sociale pour les Juifs pauvres, et une forme d'an­ nexion de fait, pour r6aJlser J., rAvo .:1•un ÔranJ lsra:l> par

d'autres moyens. Mais Israël n'est toujours pas libéré de sa dé­ pendance envers l'aide américaine et doit donc modérer ses excès expansionnistes.

Colonies et contradictions Beaucoup de gens dans les classes moyennes israéliennes qui

soutenaient Peace Now (La Paix maintenant) s'opposaient à la construction des colonies et cela corsait les problèmes de la bourgeoisie israélienne (23). L'occupation de Gaza et de la Cis­ jordanie joue un rôle vital dans le compromis de classe en Israël depuis 1967. Grâce à la subordination des travailleurs palesti­ niens et à l'aide américaine, les Juifs de la classe ouvrière pou­ vaient exiger de meilleurs salaires que leurs voisins palestiniens et éviter les travaux les plus ingrats. A cause de l'occupation des terres, les Juifs de la classe ouvrière, qui n'avaiënt pas les moyens de vivre dans les zones urbaines, pouvaient obtenir des logements subventionnés (construits par des travailleurs pales­ tiniens peu payés). Donc, on avait abandonné les Juifs de la classe ouvrière dans ce qui était en fait une zone tampon de sé­ curité dans les territoires occupés. Ces mesures étaient vitales pour réduire le militantisme du prolétariat juif, mais elles suscitaient la résistance immédiate des classes moyennes libérales et, de façon', ~ncore plus significative, des Palestiniens.

A ce moment-là, pour la bourgeoisie israélienne, le problème était de savoir comment préserver le compromis avec la classe ou­ vrière juive sans trop provoquer les Palestiniens. Parce que la population palestinienne dense était entassée dans un espace de plus en plus encombré par l'empiétement des colonies où nombre de Palestiniens étaient obligés de travailler, le début des années 1970 a connu des révoltes dans les camps de réfugiés de Gaza qui ont été {au sens propre) écrasées par les tanks de Sha­ ron. Depuis lors, Gaza est relativement calme. Mais pour combien de temps?

La bourgeoisie israélienne a pu faire des concessions aux tra­ vailleurs juifs, mais elle n'a utilisé que la répression pour paci­ fier les Palestiniens. Toute concession accordée aux Palestiniens était susceptible d'affaiblir le pacte du sionisme travailliste. En 198_5, les territoires occupés faisaient les frais de la crise. Le sauvetage du capital israélien impliquait le renforcement de la su-

(23) En 1978, l'opposition au Likoud des classes moyennes travaillistes ,;anÏale• •~ e1>neonint!• sur la construction des colonies. La « lettre des officiers » s'opposait à cette expansion car elle menaçait le « caractère juif et démocratique de l'Etat». Cet« écart croissant entre les pratiques démocratiques occidentales et celles d'Israël » constituait la base idéologique du Mouvement pour la paix. Celui-ci oubliait un peu vite que les colonies avaient commencé alors que le Parti travailliste était au pouvoir. Cette disparité, sur laquelle il avait facilement fermé les yeux avant 1967, devenait de plus en plus visible avec l'occupation. Les éléments plus radicaux du Mouvement pour la paix étaient confrontés à quelque chose de presque impensable dans la société israélienne : le refus frontal du service militaire. En raison du caractère essentiel du service militaire obligatoire dans. la reproduction de la société israélienne, ce refus créait des divisions très importantes dans le mouvement. Son aile dominante, La Paix maintenant, dénonça une lettre envoyée par des réservistes au ministère de la Défense, dans laquelle ils menaçaient de refuser de défendre les colonies. « L'objection dé conscience » gagna en légitimité en 1982, car l'invasion du Liban remettait en cause.ce que de nombreux sionistes travaillistes considéraient

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comme le rôle exclusivement défensif de 1 'IDF (lsraeli Defence Force; Force de défense israélienne). 160 soldats furent condamnés pour avoir refusé de prendre part à l'invasion. Pourtant, la consommation de marijuana dans) 'année et la crise économique menaçaient bien plus I 'effort de guerre au Liban que I '« objection de conscience». Jusqu'à un certain point, on pouvait intégrer cette dernière en autorisant le nombre relativement réduit de refuseniks à plaider la folie et en les retirant des zones de combat. La manifestation de 400 000 personnes contre les massacres de Sabra et Chatila en 1982 est généralement considérée comme l'empreinte la plus importante du mouvement israélien contre la guerre. La guerre au Liban n'avait pas été la victoire rapide qu'on attendait, et beaucoup de parents devaient envisager de voir revenir leurs enfants dans des secs mortuaires.

(24) Le ministre de la Défense israélien, Yitshak Rabin, en 1985.

(25) « The agonizing transformation of the Palestinien peasents into proletarians » (La douloureuse transformation des paysans palestiniens en prolétaires), p. 1, International Library of the Communist Left, http://www.sinistra. net/lib/upt/compro/liqe/li qemcibue.html

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bordination de la bourgeoisie palestinienne, en lui refusant les au­ torisations « pour étendre toute entreprise agricole ou indus­ trielle susceptible de concurrencer l'Etat d'Israël» (24). A-cause de la hausse du chômage dans les territoires, les travailleurs pa­ lestiniens étaient davantage obligés de trouver du travail à l 'in­ térieur de la Ligne verte ou dans la construction des colonies juives qui s'étendaient pour suppléer à la pénurie de logements abordables pour les travailleurs juifs dans les zones urbaines« d'Is­ raël proprement dit ».

Alors que la construction des colonies procurait un revenu aux travailleurs palestiniens, eJJe était aussi une source de ran­ cœur, et la résistance qu'elle provoquait fournissait au gouver­ nement militaire la logique qui justifiait un répression accrue. La « Main de fer » de 1985, destinée à contenir la résistance dans les territoires occupés, allait main dans la main avec des mesures d'austérité destinées à contenir la crise en Israël. La « Main de fer » intensifiait les mesures répressives, comme par exemple les« détentions administratives» de militants palesti­ niens et les punitions collectives contre la population dans son en­ semble. Tel était l'arrière-plan de l'Intifada de 1987-1993. Avant de nous en occuper, il faut étudier l'organisation en classes des Palestiniens ...

La formation de la classe ouvrière palestinienne

Une terre sans peuple ? Le mythe des pionniers sionistes atterrissant dans un désert

dépeuplé et le transformant en vignobles luxuriants masque une transformation plus banale : celle des paysans palestiniens en prolétaires.« Le "paradis" dans le désert du Neguev, la culture flo­ rissante des agrumes et des avocats sur la plaine côtière ainsi que le boom industriel (même à l'échelle d'un tout petit pays) pré­ supposent la spoliation totale des paysans palestiniens (25). »

Ce processus était déjà en cours lorsque les premiers colons juifs arrivèrent, et il n'est toujours pas terminé. Le développement capitaliste pénétra pour ta première fois au Moyen-Orient dans les années qui suivirent la fin des guerres napoléoniennes. L'Empire ottoman qui dominait la région déclinait déjà depuis un siècle, même s'il devait durer un siècle encore, et le réajuste­ ment de l'équilibre du pouvoir consécutif li. la défaite de la 'Prance el de Napoleon, formalisé après le Congrès de Vienne,

mieux placée pour essayer de transformer une attaque contre toutes les formes d'autorité bourgeoise en tentative « natio­ nale ~> concertée de créer un embryon d'Etat palestinien. Ce­ pendant, à cause de 1 'intransigeance de) 'Etat israélien, cela pré­ supposait de rendre les territoires ingouvernables, situation qui pouvait facilement dégénérer. Un mois après le jour du soulè­ vement, l'UNLU publia son premier communiqué, s'adressant d'abord à « la classe ouvrière palestinienne courageuse», en­ suite aux « commerçants militants courageux », et saluant en l 'OLP « le seul représentant légitime du peuple palestinien ( 40) ». Un an plus tard, le prolétariat et la petite-bourgeoisie fu­ rent mis dans le même sac et baptisés « les masses héroïques de notre peuple», mais dans tous les communiqués, l'OLP reste « le seul représentant légitime (41} ».

Malgré la soi-disant unité interclasses proclamée par l'UNLU, il fallait souvent intimider la petite-bourgeoisie pour que les magasins ferment les jours de grève. Parfois, il suffisait d'un enfant tenant une allumette enflammée devant un magasin pour rappeler que les magasins pourraient faire l'objet de repré­ sailles. Elle subissait aussi la pression des militants prolétaires qui se trouvaient en première ligne et lui déclaraient : « Nous sommes prêts à donner nos vies pour la lutte, est-ce trop vous demander de renoncer à une part de vos profits? (42) » Il serait pourtant faux de penser qu'il a fallu entraîner la petite-bour­ geoisie par la force dans l'Intifada, bien que cela se soit parfois produit. Des propriétaires de magasins et d'ateliers se virent confisquer leÙrs biens pour avoir refusé de payer l'impôt au gouvernement militaire, et des commerçants de Beit Sahour lan­ cèrent une « grève commerciale » de trois mois pour protester contre ces mesures. Pour pouvoir se développer en tant que vé­ ritable bourgeoisie, ils avaient besoin de leur propre Etat et d'une quantité de terres adéquate. En pratique, au lieu de favo­ riser leur évolution vers une bourgeoisie à part entière, les confiscations de biens pour refus de payer l'impôt accélérèrent leur prolétarisation. Les « grèves commerciales » ne servirent qu'à conduire les marchands palestiniens à ta faillite.

Bien que, jusqu'à un certain point, toutes les classes aient eu la possibilité de jouer un rôle dans la perturbation de l'écono­ mie israélienne, en refusant de payer l'impôt sur le revenu au gouvernement militaire ou en boycottant ses produits, la per­ turbation la plus tangible del 'économie israélienne fut le fait de la classeouvrière, Pendant la grève générale sauvage de dé­ cembre 1987, 120 000 travailleurs ne se rendirent pas au travail·

(40) D'après« Cali no 2. The united national leadership for escalating the uprising in the occupied territories, January 10, 1988 » (Appel n°2. La direction nationale unitaire pour l'extension du soulèvement dans les territoires occupés, 10 janvier 1988), No voice ts louder than the voice of the uprlsing, !bal Publisbing Ltd, 1989.

(41) D'après« Cali no 32. The call ofrevolution and continuation, January 8, 1989 » (Appel n° 32. L'appel à la révolution et à sa poursuite, 8 janvier 1989), op. cil.

(42) Cité par Andrew Rigby, Living Intifada (Vivre l'Intifada), Zed Books 1991.

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(38) Ropporl de l'IDF, cité dans op. cil.

en faveur de la création d'un Etat palestinien, les premiers jours du soulèvement suggèrent autre chose. Quand l'IDF (Israeli De­ fence Force= Force de défense israélienne) interrogea les cent premiers émeutiers qu'elle avait arrêtés, elle découvrit que ces prolétaires étaient « incapables de répéter les slogans les plus courants utilisés par la propagande habituelle de l'OLP, et que même le concept central de la lutte palestinienne - le droit à l'autodétermination - leur était totalement étranger (38) ». Quel scandale 1

(39) Ibid.

L'Intifada en tant que lutte de classe et les luttes de classe dans l'Intifada

La subordination de la bourgeoisie palestinienne prit la forme de l'abolition de l'accumulation de capital palestinien par l'Etat israélien, afin que la bourgeoisie palestinienne soit inca­ pable de développer correctement ses forces productives. Si cer­ tains Palestiniens étaient employés dans des ateliers palesti- • niens, dans des fermes ou des petites usines, ces établissements étaient confinés dans des secteurs qui ne concurrençaient pas le • capital israélien. Donc une proportion excessive de l'argent de la bourgeoisie palestinienne était dépensé comme un revenu en consommation personnelle, plutôt que comme capital de consommation productive.

La réalité du chômage de masse et de la pauvreté des prolé­ taires côtoyant la richesse ostentatoire de la « lumpen-bour- _ geoisie » attisa les antagonismes de classe, qui passèrent au pre­ mier plan pendant les premiers jours du soulèvement de 1987. A Gaza, pendant les premiers jours du soulèvement, on vit des mil­ liers de prolétaires piller les récoltes des propriétaires terriens voi­ sins. De nombreux propriétaires durent annoncer des réductions massives des loyers. Les plus riches des gens du coin firent appel à l 'IDF pour protéger leurs biens. Le cri de guerre des émeutiers était « d'abord l'armée, ensuite Rimai 1 (39) »

Rimai était un riche faubourg palestinien de la ville de Gaza. • Quand les autorités israéliennes émirent de nouvelles cartes d'identité afin de désamorcer le soulèvement, c'est l'endroit qu'elles choisirent comme bonne poire pour faire passer leur - projet. Heureusement pour l'OLP, elle était suffisamment unie pour prendre pied dans le soulèvement, grâce à l'émergence de l'UNLU (United National Leadership of the Uprising= Direction nationale unitaire du soulèvement). Elle était basée dans les ter­ ritoires et était donc plus crédible pour récupérer les militants locaux que« l'OLP 5-étoiles » basée en Tunisie. Elle fut donc la

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ouvrit la voie à une nouvelle exploitation de la région, au mo­ ment même où la révolution industrielle prenait de la vitesse en Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne et l'Autriche, malgré leurs rivalités ailleurs, se mirent d'accord sur la nécessité de soutenir l'Empire ottoman pour en faire un obstacle à l'expan­ sionnisme russe dans l'Est de l'Europe. Plus tard, l'Allemagne devint le principal soutien de l'Empire ottoman.

A cette époque, certaines parties du Moyen-Orient se re­ trouvèrent envahies par le nouveau mode de production capita­ liste. Dans cette région, l'industrie textile indigène, surtout en Egypte, fut détruite par les textiles anglais bon marché dans les années 1830 et, dès les années 1860, les fabricants britanniques avaient com­ mencé à cultiver le coton le long du Nil. En 1869, on ouvrit le canal de Suez dans le but de faciliter le commerce britannique et fran­ çais. Conformément à cette modernisation, on peut dater les ori­ gines de l'accumulation primitive en Palestine à la loi de l'Em­ pire ottoman de 1858 sur la propriété terrienne qui remplaçait la propriété collective par la propriété individuelle de la terre. Les chefs de village tribaux se transformèrent en classe de proprié­ taires terriens qui vendaient leurs titres aux marchands libanais, syriens, égyptiens et iraniens. Pendant toute cette période, le modèle de développement fut surtout celui d'un développement inégal, avec une bourgeoisie étrangère qui prenait des initiatives et une bourgeoisie indigène, si l'on peut dire, qui restait faible et politiquement inefficace. En même temps, on laissait à l'abandon de vastes-régions du Moyen-Orient dont on ne voyait pas l'inté­ rêt économique, et là, les traditions de cultures de subsistance et le nomadisme perduraient.

Sous le Mandat britannique, de nombreux propriétaires ab­ sentéistes furent rachetés par l'Association de colonisation juive, entraînant) 'expulsion de métayers et de fermiers palesti­ niens. Etant donné que « les fellah dépossédés devaient devenir ouvriers agricoles sur leurs propres terres », une transformation décisive des relations de production commençait, conduisant aux premières apparitions d'un prolétariat palestinien (26). Ce pro­ cessus eut lieu malgré une violente opposition de la part des Pa­ lestiniens. Le grand tournant dans une succession de révoltes fut le soulèvement de 1936-1939. Son importance réside dans Je fait que« la force motrice de ce soulèvement n'était plus la paysan­ nerie ou la bourgeoisie, mais, pour la première fois, un proléta­ riat agricole privé de moyens de travail et de subsistance, asso-

- cié à un embryon de classe ouvrière concentrée principalement dans les ports et dans la raffinerie de pétrole de Haifa-(27). » Ce (27) Op. cit., p. 3.

(26) Op. 'cit. p. 3 (( Fellah » signifie paysan.

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soulèvement entraîna des attaques contre des propriétaires pa­ lestiniens ainsi que contre des colons anglais et sionistes, et obligea la Grande-Bretagne à limiter l'immigration juive en ?a­ lestine pendant quelques années.

Bien que ce soit l'armée britannique qui ait tiré, avec un peu d'aide du Haganah, la milice sioniste de gauche, les chefs tri­ baux locaux jouèrent aussi un rôle essentiel dans la défaite de la rébellion. On peut considérer que la « nakba » (catastrophe) de 1948 - l'exode des Palestiniens et la création d'Israël - comme ! 'héritage de cette défaite. Bien que le soulèvement de 1936- 1939 ait montré l'émergence d'un prolétariat en Palestine, la po­ pulation palestinienne en Israël était toujours, à cette époque, en grande partie paysanne.

Le nouvel Etat utilisa l'appareil légal du Mandat britannique pour poursuivre l'expropriation des Palestiniens. De par cette loi, les paysans qui fuyaient, ne serait-ce qu'à quelques mètres, pour échapper à un massacre, étaient considérés comme des « absentéistes » et on confisquait leurs terres. Cependant, le peu d'entre eux qui réussirent à rester à 1 'intérieur des frontières de 1948 reçurent des droits de citoyenneté pour compenser leur sé­ paration forcée d'avec leur outil de production. La prolétarisa­ tion de la paysannerie palestinienne s'étendit lors de l'occupa­ tion de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza en 1967. Cette nouvelle vague d'accumulation primitive ne se fit pas sous la seule forme de l'accaparement des terres. Elle entraina aussi le contrôle autoritaire des réserves d'eau de la Cisjordanie par le ca­ pital israélien, en creusant des puits plus profonds que ceux des Palestiniens. Conséquemment, la population palestinienne ré­ fugiée hors de la juridiction israélienne fut coupée de ses terres, alors que seule une minorité de ceux qui se trouvaient sous la juridiction israélienne possédaient encore de la terre. Dans les deux régions, la population palestinienne est devenue majoritaire­ ment prolétaire.

L'abolition de la bourgeoisie palestinienne locale Alors que! 'expropriation de la paysannerie palestinienne en­

traînait la formation d'un prolétariat, on mettait fin à l'émer­ gence d'une bourgeoisie industrielle indigène. Là où elle existait, elle était désespérément faible et incapable de concurrencer le capital israélien, en dépit du fait que« les salaires que versaient les patrons arabes étaient encore plus misérables que ceux que payaient leurs maîtres sionistes ». Les Palestiniens des terri­ toues nvntcm le statut le plus bas sur le marché du travail israé-

32 . ....: tOHANGES

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L'Intifada (1987-1993)

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L ES HABITANTS du camp de réfugiés Jabalya à Gaza furent à l'ini­ tiative de l'Intifada, et non l'OLP, basée en Tunisie et com­ plètement surprise. De la part des résidents de Jabalya, ce fut

une réaction de masse spontanée au meurtre de travailleurs pa­ lestiniens par un véhicule israélien, réaction qui se propagea ra­ pidement au reste de la bande de Gaza et à la Cisjordanie. A long terme, 1 'Intifada a permis de parvenir à la réhabilitation diplo­ matique de l'OLP (35). Après tout, l'OLP pourrait bien être un moindre mal comparée à l'activité autonome du prolétariat. Ce­ pendant, la force de négociation de l'OLP dépendait de sa capa­ cité, en tant que « seul représentant légitime du peuple palesti­ nien», à contrôler sa circonscription, ce qui nepouvait jamais être garanti, surtout alors que sa stratégie de lutte armée s'était ré­ vélée infructueuse. Il était donc difficile pour l'OLP de récupé­ rer un soulèvement à l'initiative des prolétaires, peu intéressés par le nationalisme, et qui haïssaient la « lumpen-bourgeoisie » palestinienne presque autant que ! 'Etat israélien.

Une lutte de " libération nationale » ?

Le bulletin n° l Worldwide Intifada de 1992 tente de contrer l'optique gauchiste conventionnelle à propos de l'Intifada en soulignant les contradictions entre les différentes classes de Pa­ lestiniens (36). Alors que l'optique de ce n° l d' Worldwide In­ tifada est de toute évidence supérieure au soutien de la « libéra­ tion nationale », sa démonstration fait preuve de certaines faiblesses. Bien que ce bulletin identifie correctement « les germes de la défaite» que renferme le nationalisme de l'Intifada de 1987, il parle du nationalisme comme d'une abstraction, comme s'il s'agissait d'une sorte de farce psychologique jouée à la classe ouvrière palestinienne et à la bourgeoisie palesti­ nienne (37). Il est vrai que le nationalisme est une idéologie. Mais cette idéologie est plus qu'une simple tromperie: elle a du pouvoir parce qu'elle a une base matérielle dans la vie quoti­ dienne. Il est toutefois clair que de nombreux aspects de cette Intifada allaient bien au-delà du nationalisme.

Alors que de nombreux commentateurs considèrent pour ac­ quis que, dès le point de départ, ! 'Intifada était une campagne

(35) A peu près à cette époque, les différentes factions nationalistes s'étaient unies, avec l'aide de médiateurs russes, et le PCP (Parti communiste palestinien) était membre à part entière de l'OLP. ll faut remarquer à ce stade que cette réconciliation a eu lieu sous la pression des Palestiniens des territoires, de plus en plus assiégés par les nouvelles colonies.

(36) Voir : « Palestinian autonomy ? Or the autonomy of our class struggle ? » (Autonomie palestinienne ? Ou l'autonomie de notre lutte de classe ?), Worldwide Intifada n• 1, 1992.

(37) Voir:« Intifada : uprising for nation or class? »(L'Intifada: soulèvement nationaliste ou de classe ?), op. cit,

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en quête d'un« Etat dans l'Etat» ne pouvait pas co-exister avec les impératifs d'Israël au Liban. La présence massive de Pales­ tiniens gênait ses intérêts stratégiques, et le souhait d'Israël de déloger l'OLP conduisit à l'invasion de Beyrouth en 1982.

Ce qui rendait le nationalisme de l'OLP séduisant était sa vo­ lonté de s'engager dans une lutte année contre l'Etat israélien. Mais son expulsion de Jordanie, puis du Liban, montrèrent sa fai­ blesse face à la puissance militaire israélienne. Son évacuation humiliante de Beyrouth confirma qu'elle avait échoué à concré­ tiser sa stratégie de lutte armée. On reproduisit ensuite le même scénario qu'en Jordanie, l'expulsion de l'OLP laissant le champ libre pour le massacre des Palestiniens dans les camps de réfu­ giés de Sabra et Chatila par les Phalangistes, avec l'aide de l'armée israélienne. L'invasion israélienne de Beyrouth fut aussi humiliante pour le « camp anti-impérialiste». L'Egypte se trouvant alors dans l'orbite américaine, la Syrie était la princi­ pale puissance pro-URSS dans la région. Pourtant, non seule- • ment l'OLP fut remise au pas par l'invasion israélienne, mais l'armée syrienne dut se retirer.

Chaque confrontation signifiait de plus en plus clairement que les Palestiniens n'avaient pas grand-chose à attendre des Etats arabes. Les guerres de 1967 et de 1973 avaient efficace­ ment affaibli le panarabisme et confirmé Israël dans Je rôle de super-puissance militaire de la région. Les Etats arabes man­ quaient de volonté politique pour attaquer Israël. Malgré son rapprochement avec Israël, l'Egypte fut mieux reçue quel 'OLP au sommet d'Amman de 1987, preuve que les Etats arabes se tournaient de plus en plus vers les Etats-Unis. Le roi Hussein snoba Arafat, et il était clair que la guerre Iran-Irak était plus importante pour les délégués que les Palestiniens. Ceci confirma l'impression très répandue parmi les résidents des territoires oc­ cupés qu'ils étaient seuls capables de renverser la domination israélienne.

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lien, inférieur même à celui des Palestinien possédant la ci­ toyenneté israélienne. Suite à la guerre de J 967, les Palestiniens qui travaillaient en Israël furent considérés comme des collabo­ rateurs par les nationalistes palestiniens (28). Cependant, les lois d'Israël interdisaient la création d'entreprises palesti­ niennes susceptibles de concurrencer les entreprises israé­ liennes, donc les nationalistes les plus endurcis finirent par re­ connaître que la seule source de revenus pour de nombreux Palestiniens était de travailler en Israël.

On peut diviser la bourgeoisie palestinienne en trois grou­ pes (29). Certains des réfugiés les plus riches formaient une bourgeoisie marchande et financière au Liban, en Syrie, en Egypte et dans d'autres pays arabes. La bourgeoisie locale, si l'on peut dire, était composée de petits entrepreneurs, d'artisans propriétaires et de fermiers. La main-mise d'Israël sur le capital productif empêchait la bourgeoisie locale de développer ses forces productives. Ceux qui tentaient l'expérience formaient une petite-bourgeoisie misérable qui partageait les mêmes nom­ breuses privations quotidiennes et les mêmes humiliations que leurs voisins prolétaires des territoires occupés, sauf une: la sépara­ tion d'avec leur outil de production (30). D'autres sont devenus une« lumpen-bourgeoisie », enrichie grâce à l'OLP, qui a dé­ versé un demi-milliard de dollars d'aide dans les territoires oc­ cupés entre 1977 et 1985. Ils ne dépensaient leur argent que pour leur consommation personnelle, ce qui leur a attiré la rancune du prolétariat et de la petite-bourgeoisie palestinienne. C'est la bourgeoisie 4~P.lacée par la diaspora qui a formé la classe de base de l'OLP et de« l'Etat palestinien en exil».

« Le seul représentant légitime du peuple palestinien »

Même alors que le panarabisme gisait vaincu suite à la guerre de J 967, les germes de sa renaissance ( certes sous une forme moins virulente) prenaient naissance dans la nouvelle co­ hérence et l'organisation du nationalisme palestinien et parti­ culièrement de l'OLP. Cette situation et la première Intifada ( 1987-1993) entretiennent les flammes de 1 'anti-américanisme au Moyen-Orient et remettent en cause la légitimité de la bour­ geoisie pro-occidentale dans toute la région.

Pourtant les actions de l 'OLP, représentant la bourgeoisie palestinienne en exil, furent, comme on pouvait s'y attendre, souvent en contraction avec les besoins des prolétaires dont les luttes secoùaient les pays producteurs de pétrole.

(28) En 1973, 52 % travaillaient dans la construction et 19 % dans l'agriculture, les secteurs les plus mal payés.

(29) Voir« The Palestinien proleteriat is spiling ils blood for a bourgeois state » (Le prolétariat de Palestine verse son sang pour un Etat bourgeois), Revo/11/ionary Perspectives n° 20 ,hiver 2001 (revue de la CWO, Communist Workers' Organizatlon ).

(30)/bid.

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L'OLP contre l'activité autonome du prolétariat

60 % de la population palestinienne se retrouva dans les camps de réfugiés hors d'Israël et des territoires occupés. Le processus qui avait transformé la plupart d'entre eux en prolétaires les dispersa aussi dans tout le Liban, la Jordanie, le Koweït et la Syrie. Ceux qui émigraient dans les riches Etats du Golfe comme le Koweït pouvaient exiger des salaires élevés, même par rapport à ceux des travailleurs juifs en Israël. La plupart eu­ rent moins de chance et devinrent les catalyseurs des conflits de classe dans toute la région. Ce furent les dirigeants arabes (ainsi que la bourgeoisie marchande et financière palestinienne} qui favorisèrent la création de l 'OLP en 1964, comme outil de contrôle de cette diaspora. Parce qu'elle ne put pas empêcher la nakba de 1948 et fut impuissante face à la puissance militaire d'Israël en 1967, la bourgeoisie arabe affronta des révoltes dans les pays qu'elle gouvernait.

La Jordanie En Jordanie, les réfugiés palestiniens étaient maintenant

armés à cause de la guerre, et étaient plus nombreux que la po­ pulation jordanienne, de faible densité. Bien qu'on ait vu dans l 'OLP un Etat dans ) 'Etat, même elle ne pouvait pas gouverner les ré­ fugiés palestiniens. A la fin des années 1960 et au début des an­ nées 1970, les camps de réfugiés étaient armés et indépendants de 1 'OLP, et la police ne pouvait pas y pénétrer. De plus, l 'OLP utilisait la Jordanie comme base pour ses attaques contre Israël et l'Etat jordanien était donc exposé aux représailles d'Israël.

Les luttes du prolétariat palestinien en Jordanie se terminè­ rent par le massacre de 30 000 Palestiniens lors du « Septembre noir » perpétré par ) 'armée jordanienne à Amman en 1970. Ce massacre fut facilité par 1 'accord de l 'OLP avec le régime ha­ chémite : conformément aux conditions négociées avec l'Etat jordanien, l 'OLP se retira d'Amman, autorisant ainsi le mas­ sacre des prolétaires restés dans la ville.

Le Liban Parmi les survivants, beaucoup s'enfuirent au Liban et la

bourgeoisie arabe affronta alors un prolétariat combatif concen­ tré dans des camps de réfugiés surpeuplés. 14 000 Palestiniens se retrouvèrent dès 1972 au Liban, à Tel-al-Zaatar, dans une région :n.1u,.tr:-11- <t"': 00n,c,nqi, ~? 111 (1011ne1um1c ltllanaise. En 1969

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les réfugiés et d'autres prolétaires s'emparèrent d'armes, occu­ pèrent les usines et tentèrent de transformer Tel-al-Zaatar en « zone interdite libérée de l'armée libanaise et de l'Etat» (31). Puisque l'Etat libanais, si l'on peut dire, essaya pendant toutes les an­ nées 1970 de casser le pouvoir de la classe ouvrière, les prolétaires syriens, palestiniens et libanais participèrent à des bagarres avec la police libanaise à coups de kalachnikov.

« La présence des armes permettait des grèves qui aboutirent à la destruction de la vie industrielle libanaise (32). » Il y eut aussi un mouvement limité de conseils ouvriers. En raison de la faiblesse et de la division de la bourgeoisie libanaise, une grande grève del 'industrie de la pêche culmina dans une guerre civile prolongée, qui devint le champ de bataille des ambitions stratégiques concurrentes des Etats-Unis et de l'URSS, par l'en­ tremise de leurs intermédiaires respectifs, Israël et la Syrie.

Expulsée de Jordanie, l 'OLP tentait alors de créer un autre « Etat dans ) 'Etat » au Liban. Cependant, les luttes autonomes de réfugiés palestiniens pour s'émanciper de l'enfer de leur existence prolétarienne intéressait peu l 'OLP qui voulait au contraire maintenir ses liens avec les bourgeoisies libanaise et sy­ rienne. L'instabilité générale et la faiblesse de l'Etat libanais rendirent inévitable l'écrasement de la force du prolétariat par les troupes syriennes et phalangistes, avec l'appui de la marine is­ raélienne (33). S'accrochant toujours à leurs ittusions désespé­ rées sur le nationalisme, les Palestiniens appelèrent à l'aide l'OLP.

Bien entendu, l 'OL.P .n'avait aucun intérêt à aider cette lutte qu'elle considérait comme une diversion dans« la lutte contre l'en­ nemi véritable, Israël ». « Quand les combattants demandèrent de l'aide militaire pour la tune à Tel-al-Zaatar, la direction du Fatah répondit : ''Al Naba'a et Salaf et Harash ne sont pas comme Haga, Haïfa et Jérusalem qui sont occupées" (34) ».En exer­ çant son« droit à la non-ingérence», l 'OLP fit en sorte que la ré­ volte soit écrasée et que la « zone interdite » devienne un cime­ tière pour prolétaires. Malgré son rôle dans la contre­ insurrection à Tel-al-Zaatar, un Etat libanais plus fort était la dernière chose que voulait Israël. Au contraire, Israël et la Syrie cherchaient tous deux à promouvoir la « balkanisation » du pays afin d'améliorer leur position stratégique. Le morcellement de la bourgeoisie libanaise en factions ennemies fournissait le pré­ texte pour! 'intervention dans la guerre civile de ces deux puis­ sances voisines. Dans le cas d'Israël, il y avait un motif supplé­ mentaire d'intervention au Liban: la présence de l'OLP. L 'OLP

(31) cc ln memory of the proletarian uprising in Tel-Al-Zatar » (En mémoire du soulèvement prolétarien de Tel-al­ Zaatar) : Worldwide Intifada n°1, été 1992.

(32)/bid.

(33) Les Phalangistes étaient des milices chrétiennes, soutenues par Israël.

(34) cc ln memory of the proletarian uprising in Tel-Al-Zatar », op. cit.

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