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DES RITUELS DE L'AUTOMESURE NUMÉRIQUE À LA FABRIQUE AUTOPOÏÉTIQUE DE SOI Béa Arruabarrena et Pierre Quettier Lavoisier | Les Cahiers du numérique 2013/3 - Vol. 9 pages 41 à 62 ISSN 1622-1494 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-les-cahiers-du-numerique-2013-3-page-41.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Arruabarrena Béa et Quettier Pierre, « Des rituels de l'automesure numérique à la fabrique autopoïétique de soi », Les Cahiers du numérique, 2013/3 Vol. 9, p. 41-62. DOI : 10.3166/LCN.9.3-4.41-62 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Lavoisier. © Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 11/04/2014 22h02. © Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 11/04/2014 22h02. © Lavoisier

Des rituels de l'automesure numérique à la fabrique autopoïétique de soi

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DES RITUELS DE L'AUTOMESURE NUMÉRIQUE À LA FABRIQUEAUTOPOÏÉTIQUE DE SOI Béa Arruabarrena et Pierre Quettier Lavoisier | Les Cahiers du numérique 2013/3 - Vol. 9pages 41 à 62

ISSN 1622-1494

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-les-cahiers-du-numerique-2013-3-page-41.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Arruabarrena Béa et Quettier Pierre, « Des rituels de l'automesure numérique à la fabrique autopoïétique de soi »,

Les Cahiers du numérique, 2013/3 Vol. 9, p. 41-62. DOI : 10.3166/LCN.9.3-4.41-62

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© Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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DES RITUELS DE L’AUTOMESURE NUMÉRIQUE À LA FABRIQUE

AUTOPOÏÉTIQUE DE SOI

BÉA ARRUABARRENA

PIERRE QUETTIER

En l’espace de quelques années, la diffusion rapide des technologies mobiles et en particulier celle des Smartphones et de leurs applications, a fait advenir de nouveaux types de rituels connectés. En s’interfaçant avec le corps, ces technologies ont non seulement facilité la génération et l’enregistrement de traces de nos activités, mais ont également fourni en retour la possibilité aux usagers d’intervenir sur leur flux d’activités. C’est le cas des pratiques d’automesure numérique ; connues sous l’appellation de « mesure de soi », de « self-tracking » ou de « quantified self ». Pour la plupart, ces dispositifs permettent de capter des données corporelles et d’évaluer la condition de l’utilisateur (activité physique et intellectuelle, poids, sommeil, émotions, etc.). Dans une démarche compréhensive, cet article propose un éclairage sur les outils, sur les procédures pratiques et sur les processus sociocognitifs de génération et d’interprétation des données personnelles visant à produire du changement.

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1. Introduction

En l’espace de quelques années, la diffusion rapide des technologies mobiles et en particulier celle des Smartphones et de leurs applications, a fait advenir un nouveau type de rituels connectés. Comme le souligne Dominique Boullier, les technologies mobiles introduisent une mutation anthropologique de la communication dans leur couplage au corps (2011)1, avec un seuil d’usage bien plus accessible que l’ordinateur. En s’interfaçant avec le corps, ces technologies ont non seulement facilité la génération et l’enregistrement de traces de nos activités, mais ont également fourni en retour la possibilité aux usagers d’intervenir sur leur flux d’activités (Lifestream2).

C’est le cas des pratiques d’automesure numérique liées à la forme et à la santé, qui s’appuient de plus en plus sur des capteurs intégrés aux Smartphones, connues sous l’appellation de « mesure de soi », de « self-tracking » ou de « quantified self ». Pour la plupart, ces dispositifs connectés permettent de capter des données corporelles et d’évaluer la condition de l’utilisateur (activité physique et intellectuelle, poids, sommeil, émotions, etc.). Pour les utilisateurs, l’objectif est de collecter des données comportementales, de les partager et de les analyser afin d’acquérir des connaissances sur eux-mêmes, et d’opérer des changements dans leur vie quotidienne. L’engouement pour ces pratiques est de plus en plus perceptible. En témoigne une étude récemment publiée par le Pew Internet Research qui révèle que 21 % des adultes américains interrogés3 effectuent la mesure régulière de leurs propres indicateurs de santé à partir d’outils numériques4.

Les pratiques d’automesure ne sont pas nouvelles. Des expériences d’auto-expérimentation5 au self-tracking médical, elles sont aujourd’hui 1. Hubert Guillaud, Refaire société : la ville cyborg, Internetactu, 11/2011, http://www.internetactu.net/2011/11/15/refaire-societe-la-ville-cyborg/ 2. Lifestream : flux d’activité mémorisés par système numérique 3. Pew Research Center’s Internet & American Life Project. Voir les conditions de l’étude sur : Tracking for Health by Susannah Fox, Maeve Duggan 01/28/2013 http://www.pewinternet.org/Reports/2013/Tracking-for-Health.aspx. 4. Excel, sites web, applications et services mobiles. 5. Dont celle de la figure emblématique de Graham Bell, ingénieur américain chez Microsoft qui a procédé depuis 1995 à un enregistrement systématique de ses

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mieux connues. Les recherches technico-médicales ont montré que l’identification de patterns6 contribuait à améliorer la qualité des soins en médecine (Wiederhold, 2012), et en particulier dans ses aspects préventifs (Swan, 2009). Il reste que ces pratiques sont souvent appréhendées selon leur forme particulière de rapport à soi, en les rattachant à des manifestations de performance, d’exposition intime de soi ou encore de formes d’addiction numérique. Si l’étude de ces pratiques mériterait des investigations plus poussées sur les risques d’aliénation induits par les tensions d’une attention permanente à soi, cet article traitera uniquement des pratiques d’automesure dans leur rapport au changement, et en particulier au regard des incidences de la dimension sociale. Pour ce faire, nous nous sommes attachés à questionner le point de vue de l’usager afin de comprendre « comment » dans son quotidien, entre relations subjectives et objectives aux données, il élabore ses propres connaissances en santé. À cet égard, comme le rappelle Antonio Casilli en se référant à Foucault : le pouvoir médical en s’instituant a généré une différence entre le « corps soigné et étudié » et le « corps vécu », faisant table rase de la connaissance subjective des individus. On comprend dès lors qu’en arrière-plan, ces liaisons numériques (Casilli, 2010) impliquent des changements qui obligent à repenser la relation de savoir-pouvoir entre usagers et prescripteurs7. Comme le soulignait déjà Dominique Dupagne à propos d’E-santé, « l’empowerment8 du patient correspond à une demande plus générale de la société de démocratie sanitaire » (2010, 60) et « d’autonomie sociale par le biais de la technologie ». (Casilli, 2010, 170).

activités sur internet. Microsoft a par la suite développé un projet de recherche sur le self-tracking MyLifeBits. 6. Pattern au sens de modèle de comportement http://www.cnrtl.fr/definition/pattern 7. Nous utilisons le terme prescripteur au sens large de professionnel de santé : médecin, pharmacien, spécialiste, etc. 8. D’après Sylvia Zappi, « L’empowerment n’a pas de traduction adéquate – sinon le néologisme québécois « capacitation ». Venue des cités de Chicago dans les années 1930, reprise par les mouvements noirs et féministes dans les années 1970 puis par la campagne d’Obama en 2008, l’expression désigne le processus qui permet aux individus de prendre conscience de leur capacité d’agir et d’accéder à plus de pouvoir. » (LeMonde.fr, 7 février 2013) [note des auteurs].

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Il importe donc, au regard de la convergence numérique en cours entre le monde professionnel et celui des usagers9, d’appréhender les pratiques des individus dans l’élaboration de leurs propres connaissances en santé. Si l’on veut bien dépasser les manifestations extérieures pour s’intéresser à la dimension sociale de ces pratiques, il devient tout à fait pertinent de les interroger au regard de la notion de rite. En effet, ces pratiques ritualisées autour de la mesure, font partie de ces nouveaux rites d’interaction du quotidien (Goffman, 1984) qui, au-delà des apparences, ont toujours une utilité sociale Le rite s’inscrit dans un « ordre prescrit » qui vise à créer des liens entre individus, entre passé, présent et futur. Il institue les êtres (Bourdieu, 1980, 7) et œuvre au maintien de l’équilibre de la société. Comme le souligne Pascal Lardellier dans Les nouveaux rites, « les rites constitueraient des charnières symboliques dans notre quotidien, des petits moments répétitifs et privilégiés qui rassurent, et auxquels on revient incessamment, car ils assurent le passage et la transition, articulent du sens sur les choses, tout en produisant de la mémoire et de l’appartenance » (Lardellier, 2005, 8). En créant sa propre dimension spatio-temporelle selon des « séquences d’actions symboliques codifiées dans le temps » (Yannic, 2009, 11), le rite rend ainsi possibles les passages et les médiations. « Cette magie performative du social » (Bourdieu, ibid.) instaure un monde nouveau sensible au changement.

Dès lors, les rituels de l’automesure peuvent être appréhendés comme des « technologies de soi », que Michel Foucault définit comme des procédés d’objectivation. Ce sont des « pratiques réfléchies et volontaires » – telles que l’écriture de soi, le soin de soi, les relations aux autres, etc. – par lesquelles les individus « se fixent des règles de conduite, mais cherchent à se transformer eux-mêmes » (Foucault, 1984, 90). En cela, ces pratiques de « subjectivation » correspondent à un processus « d’objectivation » qui « transforme [l’être humain] en sujet » (Foucault, 1982, 30-35). Les théories de la subjectivation élaborées par Michel Foucault permettent de rompre avec la dichotomie subjectif-objectif pour passer à celle de l’intersubjectivité. Les technologies de soi sont 9. Selon la définition des systèmes de santé et de l’Organisation Mondiale de la Santé, l’usager est celui qui par définition a « un droit d’usage sur le service public, est au centre même du système de santé, celui pour lequel les investissement sont consentis, les professionnels formés, les équipements renouvelés et les priorités de santé définies ». (Bréchat et al., 2005, 57-73).

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directement liées à la conscientisation de soi, à la mémoire, et à l’identité narrative (Ricœur, 1998). Dans le même ordre d’idée, Marie-Ange Cotteret avec la métrologie personnelle et Jean-Louis Le Grand avec les histoires de vie, défendent l’idée que ces pratiques réflexives instituent les individus en tant qu’être social, culturel et historique. Comme le souligne Jean-Louis Le Grand, les histoires de vie sont « autopoïétiques » (Le Grand, 2007, 21).

Dans une perspective sociocognitive, en s’appuyant sur la notion meadéenne de Self qui caractérise les interactions entre l’individuel et le collectif (Mead, 1967), on peut faire l’hypothèse que ces pratiques rituelles de génération et de manipulation de données constituent des systèmes info-communicationnels autopoïétiques. En permettant de passer d’une « conscience pratique » à une « conscience discursive » de soi (Giddens, 1987, 97), elles rendent possibles, dans ce continuum entre monde physique et monde numérique, « des remaniements de soi » (Le Breton, 2004, 64-65) pour, à terme, produire des autorégulations permettant de maintenir une cohérence de soi-même.

Cet article propose un éclairage sur les outils, sur les procédures pratiques et sur les processus sociocognitifs de génération et d’interprétation des données personnelles visant à produire du changement. Dans une démarche compréhensive, nous nous sommes intéressés à l’automesure, en tant que phénomène anthropologique par lequel les actions humaines sont mobilisées au cours des interactions entre médiatisations technologiques et médiations sociales10.

2. Matériel et méthodes

Cette enquête est le résultat d’un travail de terrain réalisé auprès du collectif Quantified self 11 parisien de 2011 à 2013. Le mouvement 10. Dans cet article, nous utilisons la notion de « médiation » pour définir les relations intersubjectives, qui « se manifestent dans la confrontation et dans l’échange entre des subjectivités ». (Caune, 2000, 1-2). Nous utilisons par ailleurs la notion de « médiatisation » technologique pour définir l’ensemble des processus instrumentés de conception et de scénarisation logiciels. Cette distinction vise à la mise en évidence ultérieure des relations qui articulent ces deux dimensions. 11. Dans cet article, nous faisons référence à l’acronyme QS pour désigner la Quantification de Soi.

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Quantified self est apparu aux États-Unis en 2008 sous l’impulsion de Gary Wolf et Kevin Kelly12. Ce collectif très actif organise des rencontres régulières : les Quantified Self Show & Tell 13. Elles sont le lieu d’échanges et de témoignages sur des expériences personnelles de quantification entre utilisateurs, concepteurs, et autres acteurs du marché. Il existe une vingtaine de villes aux États-Unis qui organisent des rencontres QS. Ce phénomène récent gagne peu à peu du terrain, y compris en France14, où il compte actuellement 370 membres actifs15.

Pour l’étude des usages, nous nous sommes appuyés sur la méthode de l’observation participante (Lapassade, 2008, 22). Ayant personnellement des activités d’automesure en lien avec la santé, le sport et la productivité, nous avons pu dans diverses situations observer cette communauté en qualité de « membre » (Garfinkel et Sacks, 1984-85, 36)16.. Cette posture, qui repose sur le partage de sens commun, autrement dit sur le partage de connaissances et d’expériences des environnements socionumériques, nous a permis d’observer directement les interactions entre les membres. Dans une démarche compréhensive des usages, il s’agissait d'observer ces pratiques situées (Garfinkel, 2007, 51), afin d’accéder aux schémas d’interprétation résultant de « l'accomplissement pratique » des membres (Garfinkel, 2007, 61). Le recueil des données de terrain a été effectué selon une démarche ethnographique par la description des matériaux de terrain, du corpus de sites tels que DidThis, 42goals, Withings, Runkeeper, d’applications mobiles telles que Withings Compagnon Santé, Runkeeper, Isommeil et par la tenue d’entretiens non directifs17 auprès d’utilisateurs de 12. Ce mouvement est également réuni autour des questions de protection et de maîtrise de leurs écosystèmes de données. Ces enjeux, très liés aux problématiques d’assurance santé (très durement négociées aux États-Unis particulièrement) ne seront pas traitées dans cet article. 13. Voir le site web du Quantified self US : http://quantifiedself.com/ 14. En juin 2011, Emmanuel Gadenne, Denis Hascoat et Christophe Ducamp organisent la première rencontre QS à Paris. 15. Nombre d’inscrits sur le site Meetup QS Paris. Les Quantified self Show & Tell sont organisés via la plateforme sociale de ce site. 16. Selon Gafinkel et Sacks, la notion de membre ne se réfère pas à une personne mais à la « la maîtrise de la langue naturelle”. (Garfinkel et Sacks, 1984-85, 36) 17. Les entretiens non directifs se sont déroulés autour de conversations ouvertes sur les pratiques des usagers. Pour une partie, ces entretiens ont été enregistrés et retranscrits.

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dispositifs QS. La rencontre avec les personnes interviewées s’est faite par le biais des Meetups QS Parisiens et des communautés en ligne d’utilisateurs.

Nous présentons trois cas d’étude issus des entretiens, selon une démarche ethnographique visant à rendre compte de l’usage situé dans les relations médiatisées avec les outils et médiées entre utilisateurs. Dans cette optique, nous avons tenté, au travers des cas présentés, de reconstituer les pratiques QS à partir d’extraits d’entretiens, des info-visualisations et des tableaux de bord produits par les personnes interrogées.

3. Résultats

Cas 1. Se réapproprier ses données de santé pour améliorer sa qualité de vie

Ce premier cas présente un usager qui se quantifie depuis 5 ans. Cet homme de 40 ans, a subitement été atteint d’un trouble psychiatrique sévère, le contraignant à être hospitalisé à plusieurs reprises. Il a alors connu une période d’inactivité, une prise de poids conséquente, et une fatigue générale. Après avoir multiplié les visites chez des médecins-spécialistes, il a commencé à se quantifier en expliquant :

Cela a été le moyen de me prendre en charge là où la médecine ne pouvait rien faire pour moi. J’ai décidé de rétablir mon hygiène de vie et de retourner à une vie normale. J’ai commencé par quantifier les activités qui influaient directement sur mon état de santé : mon sommeil, mon alimentation, mon activité physique, mes prises de médicaments. J’ai commencé à tout noter d’abord sur des carnets papiers. En 2010, avec l’arrivée des Smartphones et des applications mobiles, j’ai pu automatiser mes mesures et accéder à des services tels que les réseaux sociaux comme Twitter et partager mes données.

Cet utilisateur maîtrise les technologies numériques et les combine habilement. Il utilise des applications mobiles tierces (Tactio-poids cible, Isommeil, Runkeeper), des objets connectés (balance Fitbit Aria et le podomètre Fitbit). Il se sert des services de visualisation de données de

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Runkeeper, Fitbit, et parfois Sen.se et mutualise ses données sur la plateforme mobile Didthis.

Tous les jours, je mesure mes pas (avec un podomètre Fitbit), mon sommeil (avec une application mobile Isommeil), mon poids (avec la balance Fitbit Aria), ensuite je compare les courbes sur la durée.

Figure 1. Dispositif Fitbit : Balance Fitbit Aria, application et visualisation des données sur Dashboard

Le cumul de données lui permet de disposer d’un tableau de bord riche en données faisant apparaître sous forme de données redondantes des modèles de comportement évoluant dans le temps. Il procède à une interprétation de ses résultats en effectuant des comparaisons de ses mesures sur la durée et en corrélant les activités mesurées entre elles.

Par la corrélation entre données représentées sur les info-visualisations et les tableaux de bord, cet utilisateur a pu repérer des variations

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récurrentes dans ses comportements, qu’il a interprétées en fonction de données déjà enregistrées :

La visualisation des données permet la corrélation entre données. À partir des résultats obtenus, je peux ajuster une variable en fonction d’une autre. Je peux également faire des ajustements en jouant sur la durée, en me reportant aux résultats déjà faits. Je peux corriger mes comportements, maitriser mon poids et améliorer ma qualité de vie. Je consulte mes données en faisant des allers retours réguliers entre la capture et la visualisation, mais la plupart du temps, j’analyse mes données en fin de semaine, pour me faire un programme à suivre la semaine suivante.

Au moment de l’entretien en 2011, cet homme semble en excellente forme physique et mentale. Il occupe un poste à responsabilités et mène une vie sociale active. En revanche, il explique qu’il a toujours les mêmes fragilités psychiatriques, mais grâce à l’autosuivi de ses activités et à l’analyse de ses données sur la durée, il est parvenu à agir sur des facteurs fondamentaux, tels que le sommeil, l’alimentation, les causes de stress et l’activité physique. En se servant des corrélations, les outils numériques lui ont permis de réguler son poids en fonction de sa marche, de son sommeil, de son stress, et surtout de réduire un traitement médicamenteux contraignant. En générant et en se réappropriant ses données, il s’est constitué un système informationnel personnel lui permettant de requalifier ses comportements. Sur la durée, cette expérience lui a permis de passer d’une pratique de santé « curative » à une pratique de santé « préventive ».

Cas 2. Motivation par partage de données

Ancien manageur des ventes, cet homme d’une trentaine d’années se quantifie tel qu’il le faisait dans son ancienne activité commerciale, en expliquant :

Quand on est manager, les chiffres des ventes sont des données agrégées chaque jour pour effectuer le suivi des ventes, des marges, ou du CA (chiffre d’affaire). C’est un rituel. On doit faire ses chiffres d’abord, c’est seulement ensuite qu’on analyse les résultats.

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L’usager rappelle là un principe simple de la quantification : elle n’est pertinente que sur la durée. Les agrégations statistiques de données sur le court terme n’offrent aucun point de comparaison et ne reflètent qu’un instant, une photographie d’une activité, ce qui peut donner lieu à des interprétations intuitives, arbitraires ou inductives ayant pour effet de décourager l’utilisateur. En cela, la production de données de soi en quantité représente une base essentielle pour l’analyse pertinente des données. Pour parvenir à une telle « production de soi », cet utilisateur trouve, par le biais des dispositifs numériques, les moyens de s’auto-motiver. Au moment de l’entretien, ses usages consistent à enregistrer le nombre de mots écrits par jour pour la rédaction d’un livre, le nombre de kilomètres effectués en vélo, ou encore les moments passés avec ses enfants. Pour la mutualisation de ses données, il utilise la plateforme DidThis qu’il associe à l’application Runkeeper à partir de laquelle il partage également ses données sur le réseau social Twitter :

Le partage de données (d’activités) me motive et me permet de motiver les autres en retour. Par exemple, l’autre jour, je suis allé courir, parce qu’en me levant, j’ai vu en ligne un ami (un utilisateur Runkeeper) qui avait couru et qui le partageait ; ça m’a donné envie !

Figure 2. Plateforme DidThis, partage et recommandations d’activités

Cet exemple montre que la quantification ne se limite pas à un acte de mesure individuel, mais qu’elle se construit également au travers des interactions entre utilisateurs. En effet, il ressort que le partage de données qui s’effectue soit par les plateformes QS et les réseaux sociaux, soit par la publication de résultats sur les systèmes de recommandations d’activités,

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est à la base des échanges entre individus. À ce titre, le partage de données a une fonction essentielle de motivation et d’automotivation dans la pratique d’automesure.

Figure 3. Exemples de partage de données via Twitter

Même si cette enquête n’a pas pu mettre en évidence les relations entre l’ensemble des utilisateurs du collectif QS, nous avons néanmoins observé de manière récurrente que pour chaque mesure, un nombre d’utilisateurs ayant le même objectif se regroupaient et se motivaient réciproquement sur la base du partage de données et d’activités. En cela, et sous réserve de confirmation par des études plus fines, nous pouvons dire à ce stade que les relations interpersonnelles jouent un rôle déterminant dans la construction de la mesure.

Cas 3. Agenda d’auto-évaluation de la douleur

Ce cas est particulier car, au moment crucial du processus de changement, l’automesure était tenue sur agenda papier, sans dispositif numérique. Il nous a néanmoins semblé intéressant à produire et analyser pour la mise en évidence des caractéristiques QS, car il constitue, pour partie, un exemple de quantification de données éminemment subjectives : les sensations physiques et les émotions.

Une femme de 35 ans est interrogée sur ses pratiques d’automesure effectuées dans le cadre d’un suivi hospitalier de gestion de la douleur. Elle raconte qu’à la suite d’une opération chirurgicale, on lui a diagnostiqué un dérèglement des mécanismes de sensation liés à la douleur, générant une maladie chronique pour laquelle il n’existe pas de traitement médical

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spécifique. Son parcours de soin à la recherche des causes de cette affection se traduit par de nombreux examens médicaux et une multiplication des intervenants : médecin généraliste, rhumatologue, kinésithérapeute, etc. Après quelques années, son médecin généraliste l’a orientée vers un centre antidouleur. Elle a accepté de suivre un protocole de soin, « sans trop de convictions » précise-t-elle, car elle ne comprenait pas comment le fait de « noter ce qu’elle faisait au quotidien » allait résoudre un problème de santé dont l’origine était attribuée à des dysfonctionnements internes. L’objectif du protocole était d’accompagner les patients dans la gestion de la douleur au quotidien en les aidant sur le plan médicamenteux, psychologique, mais surtout en leur proposant une auto-évaluation par la tenue d’un agenda décrivant l’intensité de la douleur18, la gêne dans la journée, les facteurs déclenchant, et d’éventuels traitements non-médicamenteux tels que la relaxation.

En interprétant ses données pendant une année, à la fois individuellement et avec le médecin lors des visites régulières, cette patiente a pu analyser l’intensité de la douleur au regard de ses autres activités (travail, tâches ménagères, marche, sommeil, etc.) et de ses états émotionnels (stress, contrariété) Les résultats ont dépassé ses attentes. D’une part, la mesure lui a permis de mieux évaluer sa douleur, car comme elle le dira :

Au début, on se rappelle ce que c’est d’être normale, et on arrive à se penser selon un avant et un après la maladie, mais au fil du temps on oublie l’avant, et l’après devient constant, on ne connaît que la sensation de la douleur. Du coup, on n’a plus de repère, et on a du mal à évaluer son propre niveau de douleur.

En outre, elle a ainsi pu comprendre le contexte dans lequel évoluait sa douleur au cours d’une journée et prendre conscience des facteurs déclencheurs. Contrairement, à ce qu’elle croyait, elle s’est alors rendue compte que son fonctionnement général sur une journée avait une réelle influence sur sa douleur. Parce qu’elle en évaluait mal le niveau, elle maintenait son rythme d’activités d’avant la maladie. Parce qu’elle ne 18. Il existe plusieurs types d’échelle de la douleur. Ce protocole utilise le système le plus simple et le plus courant de l’échelle numérique (EN) qui consiste à demander au patient d’évaluer sa douleur de 0 à 10, 0 étant l’absence de douleur et 10 la douleur maximale imaginable.

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prenait pas suffisamment en compte le niveau de la douleur, ses comportements finissaient invariablement par l’accentuer pour arriver à des pics en fin de journée, voire un épuisement complet en fin de semaine.

Figure 4. Extrait d’agenda de gestion de la douleur – Notes de février 2003

Je ne m’en rendais pas compte avant de noter dans cet agenda que j’enchaînais les activités, et que de cette manière je déclenchais, voire j’amplifiais mes douleurs.

En évaluant son niveau de douleur, les données lui ont permis d’accéder à ses seuils de douleur, lesquels sont alors devenus, une fois vus en contexte propre, des leviers d’action pour changer ses habitudes de fonctionnement. En somme, en comprenant son fonctionnement général en situation, elle a pu agir dessus, réaménager ses activités en les fractionnant dans le temps, et retrouver un équilibre cohérent entre son rythme d’activités physiques et son niveau de douleur.

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4. Discussion

4.1. L’interprétation ou la mise en perspective spatio-temporelle de soi

L’automesure constitue une nouvelle ritualité, qui trouve dans le numérique un environnement social, en phase avec les pratiques de mesure. Comme le montrent les trois cas présentés dans cet article, les ethnométhodes utilisées varient en fonction de la fréquence et du type de mesure. Mais, au-delà de ces variations, ces pratiques ont comme point commun d’être ponctuées dans le temps. Ces rituels personnels prennent forme en temps réel dans des allers retours réflexifs entre données et activités pour permettre aux usagers de produire, dans un travail continu d’interprétation, leur propre connaissance en santé. On peut distinguer deux grands types d’interprétation comparative : la comparaison de soi à soi dans le temps et la comparaison entre usagers.

La comparaison de soi à soi dans le temps consiste à effectuer des corrélations entre un ou deux types de mesures sur une échelle de temps. Il s’agit classiquement de comparer son poids à des moments différents, de manière à faire ressortir à partir des données les plus saillantes, des comportements redondants. La structuration et l’organisation des données via les tableaux de bord et les info-visualisations vont permettre d’accéder à différentes représentations symboliques de soi qui prennent forme dans le temps. Or, en envisageant, tel que l’a fait Bergson (1888), le temps comme une durée intérieure19, coïncidant aux états de conscience qui prennent forme dans l’action extérieure – quand « nous projetons le temps dans l’espace » (Ibid, p. 57) – on comprend qu’en se mesurant, les usagers spatialisent leurs vécus sur une échelle de temps, et perçoivent ainsi en retour ces représentations de soi, non pas par la simple juxtaposition d’évènements vécus, mais comme une modification de la totalité du flux de conscience, saisie de façon « intuitive » (Ibid, p. 47-48). Le discours des usagers en témoigne : les info-visualisations ne renvoient pas en premier lieu à des informations se référant à un lieu, à une date, ou encore à un 19. Pour Bergson, nous avons tendance à confondre le temps mesurable des « horloges » et le temps des expériences vécues qu’il définit comme une durée qui « est la forme que prend la succession de nos états de conscience quand notre moi se laisse vivre, quand il s’abstient d’établir une séparation entre l’état présent et les états antérieurs. » (Ibid, p. 56-57).

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événement en particulier, mais à une « spatialité de situation » (Merleau-Ponty, 1945, 129) matérialisée par le numérique.

La mise en perspective de ces redondances correspond à des différences spatio-temporelles de soi. D’un point de vue sociocognitif, cela sous-tend qu’en interprétant, l’individu perçoit d’abord la différence (Bateson, 1977, 236-245), en la ramenant immédiatement à son propre contexte i.e. à son stock de connaissances, de manière à la documenter, et à faire sens. La méthode documentaire d’interprétation, développée par Mannheim, puis reprise par l’ethnométhodologie de Garfinkel (2007, 150-185), repose sur l’idée que dans leurs activités routinisées, les membres interprètent les données nouvelles en les documentant selon leur propre contexte. Ils se référent à du connu, « typiquement similaire » à l'action passée et à leur situation « biographiquement déterminée » (Schütz, 1998, 61-64). De telle sorte qu’en collectant, des données, ils catégorisent et sémiotisent l’information, la faisant passer d’un statut subjectif à un statut objectif. Pour les usagers de dispositifs d’automesure, l’interprétation des données de santé va alors consister à créer une relation de sens entre les différentes représentations de soi cumulées dans le temps passé et le schéma corporel propre à chaque individu ; lequel renvoie d’une part à des expériences vécues (Merleau-Ponty, 1945, 129), et d’autre part à des « allants de soi » constitutifs des processus de constitution et d’évolution personnelle (Schütz, 1998, 61).

En numérisant des représentations passées et présentes de soi, il est alors possible de se projeter vers le futur, comme l’a expliqué Alfred Schütz. La pensée portée par une intentionnalité fonctionne sur le mode du potentiel : « Pour projeter mon action future telle qu’elle se déroulera, je dois me placer imaginairement en un moment futur où cette action aura déjà été accomplie, où l’acte résultant aura déjà été matérialisé» (1998, 55)20. De cette manière, graduellement, par l’accès à ces projections médiatisées de soi, les usagers opèrent une distanciation sur leurs propres conduites, et peuvent prévenir des situations critiques en autorégulant certaines de leurs conduites.

La mise en perspective spatio-temporelle de soi est ensuite renforcée par le second type d’interprétation de données : la comparaison entre usagers. 20. Schütz explique que « Tout projet d’action l’est à la fois sur le mode du passé et sur le mode du futur parfait, jusqu’à ce que l’action soit réalisée » (1998, p. 55).

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Les interactions entre usagers s’effectuent principalement à travers le partage de données et la gamification21, qui permet une mutualisation des données par le moyen des réseaux sociaux (généralistes tels que Twitter ou spécifiques aux plateformes de quantification telles que RunKeeper). La mise en commun des résultats leur permet de se comparer aux autres. Selon la métrologie universelle : « mesurer, c’est comparer, à l’aide d’un instrument de mesure, la valeur d’une grandeur A du monde physique, à une grandeur de référence A0, prise pour unité et supposée stable dans le temps, puis traduire cette comparaison par la valeur A/A0 résultat de la mesure » (Serres et al, 1997, 575-576). De façon similaire, le phénomène de comparaison sociale est décrit comme le fait de se comparer à un groupe que l’on juge identique ou proche de soi dans la comparaison pour estimer sa propre valeur. La mesure sportive de la performance en constitue un exemple probant : « on se compare pour tenter d’être le meilleur » (Friedmann, 2011, 13). La comparaison vise aussi à valider des idées, et à estimer dans les échanges la cohérence de sa propre pensée. Elle va inférer sur l’interprétation personnelle des données. Grâce à la comparaison, les mesures instaurent de nouvelles règles parce qu’elles sont socialement partagées. Dans ces rituels de partage, les usagers co-construisent leurs propres représentations sociales (Moscovici, 1984). Et même si les échanges, qui se concentrent principalement autour du partage de données, restent le plus souvent phatiques, et qu’ils ne servent pas directement un objectif informationnel précis, ils viennent renforcer par « des règles de réciprocité » les liens nécessaires au maintien du niveau de motivation dont chacun a besoin.

Par ailleurs, les échanges sont aussi fortement dynamisés par les Meetups réguliers, qui sont le lieu d’échanges entre utilisateurs, et de discussions sur les enjeux sous-jacents à ces pratiques. On y parle protection des données personnelles, modèles économiques, marketing, santé, etc. Même si ces événements se déroulent hors de la pratique numérique de quantification, ils sont néanmoins commentés et animés en temps réel, via les réseaux sociaux Facebook, Twitter. En cela, ces lieux d’interactions entre usagers, dans leur rapport répétitif à la mesure du quotidien, apportent un lien relationnel rituel qui vient soutenir le processus informationnel.

21. La gamification : un certain nombre de plateformes intègrent des systèmes de jeux par lesquelles les utilisateurs peuvent obtenir des récompenses ludiques sous forme de badges en fonction de leurs résultats.

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4.2. Les vertus auto-manipulatoires de l’automesure numérique

Les pratiques d’automesure sont conduites dans une démarche volontaire des usagers. On peut donc dire qu’en mesurant leurs activités, en documentant les situations, ceux-ci s’automanipulent, dans l’intention d’agir positivement sur eux-mêmes. À ce titre, « de nombreux rituels n’ont pas qu’une action symbolique. Ou plus exactement, le symbole a une fonction performative qui réalise une transformation de la réalité, la concrétise, la transmute en fait réel. Le mot ou l’objet symbolique devient la chose qu’ils représentent. La carte devient le territoire. » (Miermont, 2005, 42). On peut donc dire qu’en manipulant leurs données, les usagers ne se limitent pas à façonner des représentations symboliques d’eux-mêmes, mais qu’ils autodéterminent également les conditions de leur propre changement.

Ces rituels de l’automesure ont également une fonction performative, qui mobilise des processus « d’efficacité symbolique », et qui « [vont] aller jusqu’à générer des états de conscience modifiés » (Lardellier, 2005, 87-92). Or, comme l’ont mis en évidence les travaux de l’École de Palo Alto sur le changement systémique, l’insight précède le changement (Watzlawik, et al. 1972, 242). C’est en premier lieu l’apport de nouvelles informations en provenance de l’environnement, qui va obliger la personne à se repenser et à changer. La méthode du re-cadrage (Watzlawik, et al. 1975, 174), établie sur la base de ce raisonnement, est utilisée pour l’accompagnement au changement systémique, en agissant sur la relation qu’un individu a avec ses propres conduites. De même, les usagers de dispositifs d’automesure opèrent des changements de conduites, dès lors qu’ils se réapproprient les données générées, en les interprétant au regard de leur histoire personnelle et en les intégrant à leur discours ; ils changent de cadre de référence (Goffman, 1991). Autrement dit, en manipulant leurs données, ils interviennent directement sur leur propre perception et réalisent des auto-recadrages d’eux-mêmes, itératifs du fait de la connexion au réseau. Ceci explique par ailleurs, l’engagement des usagers dans leurs pratiques. Comme l’a mis en évidence la psychologie sociale, l’engagement ne résulte pas uniquement des motivations passées ; il relève d’abord du comportement des individus en situation. Robert-Vincent Joules et Jean-Léon Beauvois ont ainsi pu démontrer que l’engagement était à la base du changement, et qu’en vertu du principe de cohérence (Cialdini, 2012), il était possible, en intervenant sur les relations que les individus ont entre

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leurs pensées et leurs actes, de fausser leur perception et de les manipuler, mais aussi de les faire changer. Autrement dit, les usagers, en s’engageant, fabriquent les conditions d’une « soumission librement consentie » (Joules et Beauvois, 1999, 10). Ils interviennent par la mesure sur leurs relations avec eux-mêmes, s’auto-manipulent, et changent.

À l’instar du navigateur de l’ancien temps qui sécurisait son pilotage en faisant rituellement le point - point endogène en reportant sur une carte les données de sa navigation (position calculée en fonction d’un temps de progression à une certaine vitesse selon un cap et des courants), ou point exogène en se référant à la position du soleil à midi (et plus sûrement par les deux moyens) - les « aventuriers » du Quantified Self ritualisent des points personnels (endogènes) et des points sociaux (exogènes) de leur propre fonctionnement. Ces points leur permettent d’« arrêter le temps », de porter un regard distancié sur leur existence et de devenir meilleurs, car plus efficaces, pilotes d’eux-mêmes.

4.3. Vers une identité augmentée ou la fabrique autopoïétique de l’individu

L’automesure numérique n’est donc pas qu’une affaire de quantification, elle ne consiste pas à introduire « plus de données dans des processus sociocognitifs », mais à réintroduire de l’ordre en établissant un rapport info-communicationnel qualitatif à soi-même. Entre médiatisations technologiques et médiations humaines, ces pratiques produisent une mise en cohérence du Self (Mead, 1967, 205). En cela, ces pratiques peuvent être qualifiées de système autopoïétique, générant en lui-même ses propres capacités, notamment interprétatives, à retrouver en permanence l’équilibre (Varela, 1987, 87-89).

Pour les sciences de l’information et de la communication, si l’on considère comme Yves Winkin que « les rapports entre le Moi et Je, Soi et l’Autrui généralisé, sont rendus possibles par la communication » (1996, 45), alors les dispositifs d’automesure numérique en permettant la captation, la mémorisation et la visualisation des données dans le temps, matérialisent le Self et permettent une telle communication. Dans « l’attitude naturelle » (Schütz, 1998), nous avons l’illusion d’un Moi stable dans le temps, parce que nous « oublions » les représentations de nous-mêmes au fur et à mesure que nous accédons à de nouvelles

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représentations. C’est cette illusion, qui fait que nous ne nous « voyons pas » grandir, grossir, vieillir, etc. Le numérique produit de la mesure sociale : en nous permettant de nous objectiver, de nous documenter, dans une dimension ou une autre de nous-mêmes ou dans une conjonction de dimension de nous-mêmes, la « mesure de nous » nous permet de capitaliser ces informations et de nous représenter « nos autres nous-mêmes » et leur variation dans le temps. En matérialisant différentes représentations du moi générées socialement, le numérique favorise une interprétation en totale « interconnexion » (Mannheim, in Namer, 2006, 66) avec la situation de l’usager En ralentissant le flux des représentations du moi, ces rituels numériques visent à rendre visible le fonctionnement des individus, qui cesse alors de leur être transparent. Les usagers sont à la fois sujet et objet de leurs pratiques : le Moi réflexif se modifie dans la mesure où il « s’apparaît à lui-même ».

Comme le souligne David Le Breton, « Le soi est réflexif. Sujet et objet de la connaissance, il s’invente et se remanie au fur et à mesure de l’avancée de l’interaction. Il n’est ni dans l’esprit, ni dans l’objet mais dans l’entre-deux, dans le mouvement qui ne cesse de relier l’individu à l’objet ou à la situation » (2004, 64). Dans cet entre-deux du rituel (Yannic, 2009, 13), passage frontière de reconnaissance et de transformation, ces pratiques jouent un rôle « auto-éco-organisateur » (Morin, 2005, 59), « dans la formation de l’organisme dans son environnement » (Le Grand, 2007, 65). Parce qu’elles relient les individus à leurs données et, par elles, aux autres, ces pratiques constituent et entretiennent un système de relations « écologiques »22 permettant aux usagers d’accroître en permanence leurs possibilités d’action sur eux-mêmes. En définitive, ce qui se joue là rituellement, c’est un processus de socialisation, où s’expriment les identités sociales et qui conduit les individus vers une identité augmentée.

5. Conclusion

Par la mesure et le partage rituels de données et de connaissances, la quantification numérique ne se contente pas de fournir de nouvelles représentations de soi, elle crée une nouvelle façon de s’objectiver, de se raconter et d’agir sur soi, à la fois par la puissance de ses procédures et par 22. Au sens de Bateson (1977).

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les mises en commun des données. La production de données de soi est susceptible de faire évoluer la place de la « connaissance personnelle » dans la prise en charge de santé et représente ainsi un enjeu qualitatif pour la coordination des soins entre usagers et prescripteurs. À ce titre, il conviendra certainement de s’interroger sur les enjeux de l’organisation de ces connaissances en santé et sur les nouvelles perspectives qu’elles offrent pour les patients et pour les institutions.

Bibliographie

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Bergson H. (1888). Essai sur les données immédiates de la conscience. Les Classiques en Sciences Sociales. Université du Québec à Chicoutimi.

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62 Les cahiers du numérique – n° 3-4/2013

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