5
DG/2003/074 Original anglais ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L'EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE Discours de M. Koïchiro Matsuura Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) à la deuxième Conférence internationale sur le thème "L'éducation pour la tolérance, le cas de l'antisémitisme résurgent" UNESCO, 12 mai 2003

DG/2003/074 Original anglais ORGANISATION DES …unesdoc.unesco.org/images/0013/001302/130276f.pdf · ... ministre français de l'intérieur qui, de par ses ... reflet d 'Auschwitz"

Embed Size (px)

Citation preview

DG/2003/074 Original anglais

ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L'EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE

Discours de

M. Koïchiro Matsuura

Directeur général de

l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture

(UNESCO)

à la deuxième Conférence internationale sur le thème "L'éducation pour la tolérance, le cas de l'antisémitisme résurgent"

UNESCO, 12 mai 2003

DG/2003/074

Excellences, Mesdames et Messieurs,

C'est pour moi un honneur et un plaisir de vous accueillir chaleureusement à l'UNESCO ce soir. A mes yeux, l'UNESCO est véritablement le lieu de la tolérance au sein du système des Nations Unies, et c'est à bon droit que cette Conférence se trouve réunie en ses murs. Nous nous félicitons de l'occasion qui nous est donnée de coopérer une fois de plus avec le Centre Simon Wiesenthal, qui a organisé cette soirée. La Conférence promet d'être fort intéressante et enrichissante, et son thème, "L'éducation pour la tolérance, le cas de l'antisémitisme résurgent", est de toute évidence important pour nous tous.

Le Centre Simon Wiesenthal porte le nom d'un homme qui, pendant des décennies, n'a pas cessé de lutter contre l'impunité et l'oubli de l'Holocauste. Simon Wiesenthal jouit d'une grande considération pour ses investigations sur les crimes de guerre et sa quête de justice. Vous voudrez bien noter que l'année dernière il a reçu, avec le Centre Wiesenthal, la mention d'honneur du Prix UNESCO-Madanjeet Singh pour la promotion de la tolérance et de la non-violence pour avoir "dénoncé les crimes perpétrés par les nazis pendant la seconde guerre mondiale et avoir oeuvré à l'éducation pour la tolérance et la non-violence".

Je tiens à relever le caractère tout spécial de cette séance d'ouverture. Nous avons parmi nous l'ancien refuznik soviétique, M. Natan Sharansky, qui est maintenant ministre israélien des affaires de la diaspora. Je salue également la présence de M. Nicolas Sarkozy, ministre français de l'intérieur qui, de par ses fonctions, a un rôle essentiel à jouer dans le maintien de la stabilité et de la civilité entre les communautés au sein du pays hôte. Nous avons aussi dans nos rangs le plus haut responsable des droits de l'homme à l'ONU, le Haut Commissaire aux droits de l'homme, M. Sergio Vieira de Mello, qui a une expérience personnelle importante de la reconstruction de sociétés brisées au Kosovo, au Timor-Leste et ailleurs. Nous avons également le plaisir d'accueillir M. Robert Beauprez, député du Colorado, qui représente ici les Etats-Unis d'Amérique. Enfin, je souhaite la bienvenue au rabbin Marvin Hier, doyen et fondateur du Centre Simon Wiesenthal de Los Angeles, en Californie.

Mesdames et Messieurs,

Je me permettrai de faire un bref historique pour resituer la présente Conférence dans son contexte. En 1991, M. Simon Wiesenthal s'est rendu à Paris et est venu à l'UNESCO pour évoquer le phénomène alors nouveau des jeux électroniques antisémites néonazis qui se répandaient en Europe. A la suite de cette visite, le Centre Wiesenthal a été invité à organiser la première Conférence internationale sur le thème "L'éducation pour la tolérance, le cas de l'antisémitisme résurgent", qui s'est tenu au Siège de l'UNESCO en juin 1992. Ultérieurement, le Centre a invité l'UNESCO, en la personne du Directeur général de l'époque, à inaugurer son Musée de la tolérance à Los Angeles (février 1993).

En 1994, le Centre Simon Wiesenthal a établi des relations officielles avec l'UNESCO, ce qui a facilité notre collaboration par la suite. C'est ainsi que trois conférences ont été organisées par le

DG/2003/074 - page 2

Centre sous les auspices de l'UNESCO dans les années qui ont suivi : "De la xénophobie à la tolérance : juifs et musulmans en Europe et au-delà" (Paris, 1995), "Phobie des immigrés, phobie des Caucasiens et antisémitisme" à Moscou en 1996 et "Le Kosovo, reflet d'Auschwitz" à Vienne en 1997.

En juillet 2002, à notre Siège de Paris, j'ai rencontré le rabbin Abraham Cooper, vice-doyen du Centre Wiesenthal, pour étudier les relations de coopération du Centre avec l'UNESCO. Nous avons convenu à cette occasion d'organiser une conférence de suivi pour faire le point sur l'antisémitisme et proposer des normes pour en contenir l'expansion.

Cette deuxième Conférence ne se contentera pas d'étudier le phénomène de l'antisémitisme, elle s'interrogera aussi sur les responsabilités des parlementaires, enseignants et universitaires, organisations non gouvernementales (ONG) et prestataires d'accès à l'Internet en tant que parties prenantes de la campagne pour la tolérance. Des exemples de bonnes pratiques seront présentés pour montrer ce que l'on peut faire ; par exemple le projet d'éducation pratique "Tools for Tolerance" en Californie, la campagne "SOS Vérité-Sécurité" de sensibilisation des banlieues parisiennes, le Réseau européen contre le racisme en tant qu'organisation contre la haine, et la méthode préconisée par un pasteur allemand pour amener les skinheads du Brandebourg à changer de comportement.

De surcroît, d'éminents ecclésiastiques et représentants d'organisations de laïques traiteront du thème "La tolérance comme acte de foi : des cheminements différents, un même dessein", pour convenir de normes éthiques dans ce domaine. Ce débat cadrera parfaitement avec le rôle de l'UNESCO en tant que forum d'un dialogue interculturel fécond orienté vers l'édification d'un avenir meilleur.

Nous comptons sur les experts invités pour étudier, dans une optique éducative, les diverses expériences visant à promouvoir la tolérance et la compréhension mutuelle et, en particulier, les bonnes pratiques qui contribuent efficacement à lutter contre l'intolérance et la discrimination.

Nous espérons que la Conférence contribuera à alerter la conscience du grand public, du monde scientifique et culturel, les médias, les institutions de la société civile et des décideurs face à la résurgence de l'antisémitisme et à ses effets pernicieux sur l'éducation des enfants et des jeunes. Cela devrait aboutir à l'élaboration de propositions et recommandations concrètes qui seront soumises à l'UNESCO et à d'autres organisations internationales, ONG et institutions nationales.

Un effort sera fait pour diffuser les résultats de cette Conférence dans le public et, par la même occasion, pour sensibiliser les décideurs aux niveaux national et international, notamment l'ensemble du système des Nations Unies, à l'importance de débattre des effets pervers de l'antisémitisme. Cette Conférence devrait permettre à l'UNESCO et à ses Etats membres de mieux anticiper les principaux dangers prévisibles de l'antisémitisme, du racisme, de l'intolérance et du fanatisme pour faciliter l'élaboration de stratégies et politiques d'alerte avancée et être en mesure de réagir à temps.

Mesdames et Messieurs,

Pour sa part, l'UNESCO continuera de s'opposer au développement de l'antisémitisme. A cet effort, nous avons contribué dans tous nos domaines de compétence, qu'il s'agisse de l'éducation, de la culture, des sciences, de l'information ou de la communication. Mais c'est surtout l'éducation qui, à nos yeux, est le moyen clé pour promouvoir et renforcer la tolérance non seulement en tant que valeur mais en tant que pratique. L'éducation pour la paix, la tolérance et la compréhension

DG/2003/074 - page 3

mutuelle est un instrument essentiel pour encourager chez tous les apprenants, en particulier les jeunes, l'acquisition de connaissances, valeurs, attitudes et compétences pertinentes. Bien menée, une éducation qui vise à "apprendre à vivre ensemble" devrait aider les apprenants à faire leurs propres découvertes, à juger par eux-mêmes et à penser par eux-mêmes. Pour l'UNESCO, ces considérations sont au coeur même de ce qui fait la qualité de l'éducation. Cette Conférence acquiert en outre une importance accrue si elle est perçue comme une contribution à la Décennie internationale de la promotion d'une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde (2001-2010), pour laquelle l'UNESCO est l'institution chef de file.

Depuis sa création, l'UNESCO se voue à lutter contre l'antisémitisme dans le cadre de ses efforts pour faire en sorte que l'ignorance, les préjugés, le soupçon et la méfiance ne transforment le monde en champ de bataille. Notre souci traditionnel d'oeuvrer à la tolérance et à la compréhension mutuelle entre les personnes, communautés et peuples est aussi vif que jamais. Aujourd'hui, il se manifeste de diverses façons, mais sans doute plus particulièrement en cultivant le dialogue entre les civilisations, cultures et religions.

La tolérance, dimension essentielle de tout dialogue interculturel, est un principe moral fondamental qui, pour être pleinement compris, doit aussi apparaître comme un état d'esprit, comme une forme concrète de comportement quotidien et comme une adhésion active à la différence humaine. Aujourd'hui, le mot de "tolérance" ne désigne pas seulement, comme on l'entend d'ordinaire, le désaccord éclairé ou l'acceptation réticente "d'autrui" fondée sur l'indulgence. La "Déclaration de principes sur la tolérance" que les Etats membres de l'UNESCO ont adoptée à la 28e session de la Conférence générale (novembre 1995) précise que "la tolérance n'est ni concession, ni condescendance, ni complaisance". En un sens plus positif, la tolérance est au contraire "le respect, l'acceptation et l'appréciation de la richesse et de la diversité des cultures de notre monde, de nos formes d'expression et de nos manières d'exprimer notre qualité d'êtres humains". En tant qu'"harmonie dans la différence", la tolérance se définit comme étant "avant tout, une attitude active animée par la reconnaissance des droits universels de la personne humaine et des libertés fondamentales d'autrui".

C'est cette conception de la tolérance qui ressortait du discours de Simon Wiesenthal à l'Assemblée générale des Nations Unies en sa qualité de délégué de l'Autriche à la session extraordinaire consacrée à l'Année de la tolérance (1995). Dans son intervention, il a défini la tolérance comme "point de départ minimal", c'est-à-dire comme premier pas vers la reconnaissance mutuelle qui, une fois franchi, doit être mis à profit pour assurer le respect de la dignité humaine "d'autrui".

Mesdames et Messieurs,

L'Histoire nous apprend que, si l'on ne s'y oppose pas, l'intolérance et la haine peuvent avoir des conséquences calamiteuses. En avril 2001, j'ai visité les camps de concentration d'Auschwitz-Birkenau en Pologne, désormais consacrés à la mémoire des centaines de milliers de personnes qui y sont morts et y ont souffert. Cette visite m'a particulièrement ému, et je ne l'oublierai jamais. C'est si l'on se place du point de vue de l'Holocauste que la résurgence récente de l'antisémitisme est particulièrement inquiétante. Ce phénomène, qui prend diverses formes, nous rappelle que l'antisémitisme n'est pas une maladie qui se guérit toute seule, mais qu'il faut la traiter directement et résolument si l'on ne veut pas qu'elle se répande.

A cet égard, il est essentiel que toutes les communautés - ethniques, religieuses ou diasporas - à l'intérieur d'un même pays bénéficient du droit de coexister dans l'harmonie sociale quels que soient les conflits entre les pays auxquels elles peuvent s'identifier pour des raisons affectives,

DG/2003/074 - page 4

spirituelles ou sentimentales. Les relations intercommunautaires doivent être dissociées des affinités ou conflits internationaux ; c'est là la première étape pour empêcher la propagation de l'antisémitisme, de l'islamophobie et d'autres expressions de la haine et de l'intolérance.

Ce qu'il faut réellement, c'est que se développent tangiblement le dialogue et la courtoisie entre les différentes communautés, cultures, civilisations et religions. En novembre 2001, alors que prenait fin l'Année des Nations Unies pour le dialogue entre les civilisations, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution sur le "Programme mondial des Nations Unies pour le dialogue entre les civilisations". L'Assemblée générale compte en particulier sur l'UNESCO pour encourager et faciliter le dialogue entre les civilisations et concevoir des moyens de promouvoir ce dialogue dans les divers domaines d'activité de l'ONU. Je puis vous assurer que nous nous acquittons diligemment de cette responsabilité de diverses manières, comme la présente Conférence en offre l'illustration.

J'espère sincèrement que cette réunion contribuera à nous éclairer sur la route qui mène vers plus de compréhension et de confiance mutuelles.

Je vous remercie.