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DG/2005/129 Original : français ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L’EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE Discours de M. Koïchiro Matsuura Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) à l’occasion de la remise du Prix international Melina Mercouri pour la sauvegarde et la gestion des paysages culturels (UNESCO-Grèce) UNESCO, le 7 septembre 2005

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DG/2005/129 Original : français

ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L’EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE

Discours de

M. Koïchiro Matsuura

Directeur général de

l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

(UNESCO)

à l’occasion de la remise du Prix international Melina Mercouri pour la sauvegarde et la gestion des paysages culturels

(UNESCO-Grèce)

UNESCO, le 7 septembre 2005

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Monsieur le Vice-Ministre de la culture de la Grèce, Monsieur l’ambassadeur de la Grèce, Monsieur l’ambassadeur de la République islamique d’Iran, Excellences, Mesdames et Messieurs,

J’ai grand plaisir à décerner ce soir cette quatrième édition du Prix international Mélina Mercouri pour la sauvegarde et la gestion des paysages culturels, UNESCO – Grèce. Ce prix symbolise à merveille, dans la perspective de la « longue durée » des historiens, les idéaux de paix que nous avons pour mission de faire prévaloir dans la communauté internationale d’aujourd’hui. Le village traditionnel et son terroir agro-pastoral dont la préservation est récompensée ce soir témoigne de manière toujours vivante d’un paysage qui a sans doute bien peu changé depuis l’époque où, il y a quelque 2500 ans, les « Histoires » d’Hérodote et les tragédies d’Eschyle racontaient la compétition farouche que se livraient alors les deux grandes puissances de l’Antiquité classique, Athènes puis la Macédoine d’une part, l’empire perse d’autre part, pour l’hégémonie de la Méditerranée.

C’est donc par un heureux retournement de l’histoire que ce paysage culturel réunit aujourd’hui à cette tribune la Grèce et l’Iran pour une cérémonie consacrée à la coopération internationale et à la protection d’un patrimoine dont nous avons compris aujourd’hui qu’il doit nous rassembler car il nous est commun. Ce geste de paix et de fraternité, c’est à Mélina Mercouri que nous le devons, dont le prix que je vais remettre ce soir porte si bien le nom.

La promotion du patrimoine culturel, de son intégrité, de son caractère vivant, original et créatif était en effet pour Mélina Mercouri un des moyens de concilier un nécessaire humanisme et la fierté légitime de chaque culture et de chaque peuple. Consciente des enjeux de toute nature que recouvrait la notion de patrimoine, elle a plaidé pour sa nécessaire redéfinition et, en particulier, pour que prévalent les notions de témoignages matériels, topiques et vivants des cultures.

De cette approche résolument humaine est issu le Prix international Melina Mercouri pour la sauvegarde et la gestion des paysages culturels, UNESCO - Grèce.

Préserver et savoir faire vivre les sites marqués par l’action de l’homme, c’est d’abord restituer les liens invisibles qui unissent l’œuvre et son créateur. C’est aussi assurer une médiation essentielle entre la nature et la culture, entre la mémoire intellectuelle et la mémoire sensible, entre l’homme individuel et l’homme social.

De plus, en adoptant en 2003 la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, les Etats membres de l’UNESCO ont souligné la nécessité de

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reconnaître et protéger de façon égale les patrimoines tangible et intangible, qui constituent ensemble la substance culturelle des sociétés humaines. Or le patrimoine intangible est au cœur des paysages culturels, œuvres combinées de l’homme et de la nature, mais façonnées par l’être humain avec tout le répertoire de ses modes de vie, de ses savoir-faire, de ses croyances et de ses représentations.

A la suite des réflexions conduites au sein du Comité du patrimoine mondial sur la notion alors nouvelle de paysage culturel et grâce à une offre généreuse de la Grèce, ce Prix est le premier à récompenser des actions exemplaires de sauvegarde et de mise en valeur des grands paysages culturels du monde. En adoptant les statuts du Prix à sa 146e session, le Conseil exécutif a ouvert la voie à cette reconnaissance internationale. J’ai ensuite invité tous les Etats membres de l’Organisation à me présenter des candidatures, qui ont été examinées par un jury international présidé par Monsieur l’Ambassadeur George Anastassopoulos, Délégué permanent de la Grèce, composé de trois éminents spécialistes des sciences de l’environnement et du patrimoine : les professeurs Yaï, Ambassadeur, Délégué permanent du Bénin auprès de l’UNESCO, Jean-Robert Pitte, Président de l’Université de Paris IV, Gloria Montenegro Chirouze, ainsi que de mon représentant, Laurent Lévi-Strauss, et assisté de Mme Judith Klein, Docteur en géographie humaine.

Conformément à la recommandation du jury, j’ai décidé de décerner pour 2005 le Prix international Melina Mercouri pour la sauvegarde et la gestion des paysages culturels, UNESCO - Grèce au village historique de Maymand (République islamique d’Iran).

Maymand, village de la province de Kerman, est situé à l’ouest du plateau iranien, à plus de 2 200 mètres d’altitude. Cet ensemble architectural remarquable de maisons creusées à même la roche dans le massif du Kerman est entouré de jardins soigneusement entretenus et de champs cultivés, certains en terrasses, s’égrenant le long de cours d’eau saisonniers. Au-delà des jardins, des boisements de pistachiers sauvages, d’amandiers de montagne, d’érables, de figuiers sauvages, de cerisiers ou encore de saules dans le fond des vallées composent un paysage végétal sur lequel le village tranche par sa blancheur. Autour de cette oasis s’étendent les terrains de parcours des bergers semi-nomades qui habitent Maymand en hiver. Le paysage devient alors celui d’une pelouse piquetée d’arbres et de buissons, dont l’aridité contraste nettement avec la verdeur des jardins.

Le paysage de Maymand, composé d’un village de grottes, de jardins et de pâturages, est celui de l’agro-pastoralisme, caractérisé par l’association de l’élevage, qui prédomine ici largement, et de cultures, irriguées pour la plupart du fait des conditions climatiques. C’est au printemps et en été que l’on peut lire le mieux le paysage, alors que les troupeaux paissent autour du village et que les habitants, qui ont quitté les cavités creusées dans la montagne pour un habitat temporaire en pierre,

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bois ou tissu, travaillent dans les champs et les jardins quand la migration vers les pâturages d’été est achevée. En hiver, l’espace occupé est réduit au village où l’ensemble de la population, un peu moins de 150 personnes aujourd’hui, se rassemble.

L’ensemble des éléments du paysage, qu’il s’agisse de l’architecture ou de végétation, témoigne de l’adaptation fine aux contraintes du milieu et de l’interaction complexe entre l’homme et son environnement. A ce titre, Maymand est un paysage culturel évolutif vivant, qui a atteint sa forme actuelle par association et en réponse à son environnement naturel et qui conserve un rôle social actif dans la société contemporaine, étroitement associé au mode de vie traditionnel.

L’adaptation à l’aridité est par exemple un élément essentiel de ce paysage. Elle est à l’origine de la construction d’un bâti hydraulique particulier : deux qanats, canalisations souterraines creusées par l’homme qui, amenant l’eau depuis les montagnes, permettent à la fois l’irrigation des cultures et l’adduction d’eau potable dans le village. Ils pallient le régime faible et irrégulier des précipitations et par conséquent le niveau très variable, selon la saison, des deux sources d’eau vive et des cours d’eau qui s’écoulent à proximité de Maymand.

L’association de dynamiques naturelles et de l’action de l’homme se lit par ailleurs dans la végétation : les boisements résultent à la fois de plantations et d’une dynamique naturelle. Certains arbres, par exemple les pistachiers, ont un caractère sacré et sont plantés lors d’occasions particulières ; mais ils ne l’ont pas tous été et les dynamiques naturelles expliquent leur extension sur le territoire. Parmi d’autres essences, l’arbre à jujubes est utilisé pour les charpentes et est devenu un élément à part entière du savoir architectural.

Maymand et ses environs constituent un paysage d’autant plus remarquable que l’occupation de la région est ancienne et que les formes de mise en valeur de l’espace se sont maintenues sans subir de dégradation ni de transformation majeures. Le village aurait été fondé il y a 2 000 à 3 000 ans. L’occupation de la forteresse est attestée sous les dynasties parthe et sassanide, époques pendant lesquelles elle était un important centre économique et commercial. Si les villageois sont moins nombreux aujourd’hui que par le passé, ceux qui restent ont, à plusieurs égards, le même mode de vie que leurs ancêtres. Ce mode de vie attire des touristes, qui sont nombreux à venir visiter Maymand, conservatoire vivant d’une société rurale largement disparue où l’homme et la nature vivaient en harmonie, où l’environnement a été transformé sans être dégradé et les prélèvements effectués n’ont pas nui à l’équilibre écologique.

C’est à l’initiative de l’Organisation iranienne pour le patrimoine culturel et le tourisme que le « Grand Projet » du village historique de Maymand a vu le jour en 2001. Depuis cette date ont été mis en place plusieurs programmes alliant recherche

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scientifique et protection du site. Des bâtiments ont été restaurés, notamment les bains, l’érosion des sols a été traitée de manière préventive, un centre de documentation et un magasin d’artisanat ont été créés, une politique de communication a été lancée.

L’action de cette Organisation ne se conçoit pas sans la participation active des villageois aux différentes entreprises de sauvegarde du patrimoine et de sa mise en valeur. C’est là que réside la clef du succès du grand projet de village historique, qui loin de n’être qu’un sanctuaire d’une histoire rurale révolue, est un conservatoire vivant de pratiques agro-pastorales. C’est pourquoi j’ai voulu ce soir rendre hommage aux initiateurs du projet, à ses artisans et aux habitants de Maymand, et cela d’autant plus que l’agro-pastoralisme et les paysages qu’il a contribué à créer sont aujourd’hui en voie de disparition, alors que pendant des millénaires ils ont constitué un des principaux modes de vie de l’humanité.

[Le Directeur général lit le texte du diplôme et remet le chèque au représentant du lauréat]

[Le protocole donne la parole au représentant du lauréat, pour remercier le Directeur général et la Grèce]