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DG/92/11 ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L'EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE Discours de M. Federico Mayor Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) à la huitième session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement Cartagena, Colombie, 21 février 1992 Document produit par reconnaissance optique de caractères (OCR). Des erreurs orthographiques peuvent subsister. Pour accéder au document d'origine sous forme image, cliquez sur le bouton "Original" situé sur la 1ère page.

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DG/92/11

ORGANISATION DES NATIONS UNIESPOUR L'EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE

Discoursde

M. Federico Mayor

Directeur généralde

l'Organisation des Nations Uniespour l'éducation, la science et la culture

(UNESCO)

à la huitième session de la Conférence des Nations Uniessur le commerce et le développement

Cartagena, Colombie, 21 février 1992

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DG/92/11

Monsieur le Président,Monsieur le Secrétaire général,Mesdames, Messieurs,

Qu'il me soit permis tout d'abord de féliciter le Président pour la grande compétenceavec laquelle il dirige les travaux de cette Conférence et de remercier le Secrétairegénéral et le gouvernement colombien de m'avoir invité à y prendre part.

La diffusion des idées, des connaissances et de leurs applications à l'échelleplanétaire n'a cessé de se renforcer au cours des dernières décennies.

La géographie agricole, industrielle et politique du monde, de même que la géographieinternationale des services, ont changé - mais, si ce n'est dans quelques pays, lacirculation intense des techniques n'a pas contribué à faire reculer la pauvreté.

Diffusion internationale massive des produits du savoir et persistance de la pauvreté,voilà le paradoxe. Il faut pourtant propager les connaissances pour maîtriser, adapteret choisir la technologie et entretenir les équipements. Il n'y a pas de scienceappliquée sans science à appliquer. Les pays ont au moins besoin de récepteurs car àquoi servent les milliers d'émissions véhiculées par les ondes s'ils n'ont pas de quoiles capter ?

Des progrès ont été réalisés. Si l'on s'en tient à l'un des indicateurs les pluspertinents, l'analphabétisme, il apparaît que depuis la fin de l'année 1990, le nombredes analphabètes diminue de jour en jour. Les besoins sont cependant toujours énormesdans le domaine social à l'échelle du monde. Le concept de développement humain élaboréessentiellement par le Programme des Nations Unies pour le développement constitue uneheureuse synthèse des approches antérieures, à savoir le développement intégré et ledéveloppement endogène, et le développement durable.

La croissance économique est indispensable mais elle n'est pas suffisante et ne doitpas avoir pour corollaire un coût social et politique excessif. Il faut prendre encompte, dans les diagnostics comme dans les remèdes, l'extrême diversité des pays etdes moments de l'histoire où les stratégies sont conçues et appliquées. Les solutionsspécifiques ne se trouvent pas dans les formules toutes faites mais dans l'étude dechaque cas en particulier. "Les malades ont toujours tort" disait le médecin de Molièrequi traitait ses patients en conséquence. Ce n'est pas une meilleure pratique qued'appliquer le même mode d'ajustement structures à des pays dont les caractéristiquespolitiques, sociales, naturelles et culturelles, et les niveaux de développement sontdifférents. Les structures doivent être adaptées aux tâches à accomplir et nonl'inverse.

Il apparaît chaque jour davantage que la mise en valeur des ressources humaines et laconstitution d'une infrastructure scientifique et technique sont primordiales pouraccélérer le développement et renforcer la compétitivité au niveau international. Dansle document qu'il a établi pour la

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présente Conférence, le Comité administratif de coordination (CAC) souligne quel'utilisation et la mobilisation effectives et efficaces des ressources économiques ethumaines sont nécessaires et évoque l'opportunité de promouvoir la croissanceéconomique, les capacités techniques et le développement accéléré. Comment promouvoirles ressources humaines et les capacités techniques si l'on commence par réduirel'effectif du corps enseignant, sans que soit appliquée une stratégie bien définie danschaque cas et fondée sur une estimation adéquate des besoins, et si, comme cela seproduit parfois, le renforcement de l'éducation de base entraîne une restriction desactivités universitaires, pierre angulaire de tout le système éducatif ? Le CACpréconise encore de promouvoir les ressources humaines de qualité pour renforcer lescapacités techniques, améliorer les compétences en matière de gestion et favoriserl'esprit d'entreprise et d'innovation. Où promouvoir et améliorer les compétences,encourager et développer l'esprit d'entreprise si ce n'est dans l'enseignementsupérieur ?

Ce qu'il faut, c'est une université où le travail intellectuel soit rigoureux etl'administration transparente ; une université dont l'enseignement soit diversifié etqui propose des titres et diplômes intermédiaires, une formation permanente intensiveet des passerelles entre les programmes ; une université non formelle et adaptée aurythme et à la nature de notre époque ; une université pilote qui forme desprofessionnels de qualité dont le travail soit compétitif dans le secteur de laproduction et surtout, de plus en plus dans celui des services, lequel fournit etfournira à l'avenir la plupart des emplois.

En cette période de transition historique, il incombe aux pays industrialisés desubstituer à une culture de la guerre une culture de la paix et de réaffirmer leurengagement d'accorder aux pays les moins avancés une assistance extérieurequalitativement et quantitativement suffisante pour les aider à décoller : le mondeindustrialisé ne saurait en effet se soustraire à ses responsabilités internationales.Il convient toutefois de ne pas oublier que si l'aide extérieure peut susciterl'action, ce sont les pays eux-mêmes qui, à travers des accords avec l'Etat, doiventplacer l'éducation de tous niveaux au premier rang des priorités nationales.

Le monde est un ou n'est pas. Comme je l'ai dit à la dernière Conférence générale del'UNESCO, le moment est venu de renouveler les engagements, y compris ceux qui onttrait au système des Nations Unies. Certes, il faut améliorer la gestion, certes, ilfaut éviter la corruption avec la collaboration de tous et en sachant bien que lecorrupteur est toujours pire que le corrompu ; certes, il faut mettre de l'ordre dansles administrations et les rendre plus efficaces et plus transparentes, mais aux finsde quel modèle de développement ? De quelle forme d'assistance ? Avant de déterminercombien et comment, ce qui importe véritablement c'est de savoir quoi et qui etsurtout pourquoi, si l'on veut réaliser, dans l'optique du développement humain, lacitoyenneté à part entière, la participation, la démocratie - ce qui suppose que lacirculation de moyens financiers, de technologies, de produits et de compétences sefasse sans discrimination aucune. En fait, et c'est ce qui compte en définitive, leSud verse au Nord des dizaines de milliards de dollars par an et lui donne sesmeilleurs cerveaux.

Dans le discours qu'il a prononcé lors de la cérémonie d'ouverture de la présenteConférence, le Président de la République de Colombie a invité les pays industrialisésà comprendre que leur intérêt à long terme exige qu'ils assurent le progrèséconomique, l'amélioration des conditions sociales et la stabilité politique dans lespays les moins avancés du monde. Paradoxalement - a-t-il souligné - alors que le Sudavance avec un enthousiasme grandissant sur la voie du libre échange et de la réformeéconomique, les pays industrialisés font marche arrière, élevant des barrièresprotectionnistes et imposant de nouvelles formes de restrictions commerciales.

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Sans accès aux marchés et sans libre échange, le niveau de développement économiqueindispensable pour éliminer la pauvreté et promouvoir un climat de paix dans le mondene sera jamais atteint. Il appartient donc à la CNUCED d'étudier le problème et dedénoncer la duplicité d'une morale qui consiste à appliquer sélectivement lesprincipes du libre échange au bénéfice des uns et au détriment des autres.

Il faut donc réduire sans tarder les facteurs de multiplication des prix entre lestade de la production des matières premières et celui de la consommation qui ont dequoi faire rougir. Que coûte une rose à Sucre ou le kilo de café au Costa Rica et quelest le prix demandé pour ces deux denrées aux habitants aisés du Nord ? Le caractèrealéatoire et imprévisible du cours des matières premières pèse plus lourd que la detteextérieure.

Au déséquilibre des courants d'échange et des flux financiers s'ajoute, comme je l'aidéjà indiqué, l'asymétrie de la circulation, des compétences, de connaissances, quiconstituent la principale ressource de tout pays. La plupart des nations endéveloppement ont mis en oeuvre des politiques de l'éducation qui ont permis de formerun grand nombre de diplômés dans les différentes disciplines. Pourtant, l'éventail etla nature des qualifications ainsi que l'absence, en général, d'encouragements de lapart de l'Etat et des entreprises n'ont pas permis d'accéder au seuil technique requis.

La concertation sociale nécessaire pour forger les instruments et les méthodesqu'exigent la formation et le recyclage, notamment dans le domaine si utile del'apprentissage technique, a souvent brillé par son absence. La société se tourne versles milieux de l'éducation et l'administration au lieu de s'examiner elle-même.

L'éducation est l'affaire de tous, pour toujours et pour tous. Comme je l'ai indiqué,les modèles universitaires anachroniques et excessivement formels qui étaient adaptés àd'autres temps, à une autre dynamique et à un autre rythme, ont contribué à un manquede rigueur scientifique qui se paie toujours très cher ; c'est ainsi que l'universitéproduit assez souvent des jeunes au bagage restreint qui pourraient quand mêmeaccomplir efficacement d'autres tâches. Ce n'est pas que les modèles et les méthodessoient inefficaces, c'est que nous sommes incapables de les modifier et de lesaméliorer. Le chômage des diplômés traduit cette inadéquation des contenus del'éducation, ce manque de diversification, cette absence d'incitations telles quel'attribution de bourses aux plus méritants, l'octroi de prêts pour la création decoopératives et de petites entreprises ou la prestation de services, et aussi cettedéviance du système démocratique qui consiste à tout attendre de l'Etat providence ounourricier.

L'exode des cerveaux constitue aujourd'hui dans beaucoup de pays l'exemple le plusflagrant et le plus préoccupant de l'utilisation déficiente de ressources humainesauxquelles tant d'efforts et de moyens économiques ont été consacrés. Cette hémorragiede scientifiques, d'ingénieurs et de techniciens sera ressentie avec une acuitéparticulière quand toutes les énergies nationales devront finalement être mobiliséespour réaliser les nouveaux objectifs du développement humain. Dans ce cas, comme danscelui plus général de l'émigration forcée due à la faim et à la misère, la solutionqu'on n'a pas su appliquer préventivement consiste à assurer des conditions minimalesacceptables permettant de vivre dignement dans le lieu d'origine, à encouragerl'établissement en milieu rural pour empêcher les départs vers les villes et d'autrespays. Il est plus facile et moins coûteux de résoudre les problèmes des campagnes queceux des villes, et c'est dans les campagnes qu'il faut agir pour prévenir la fuitevers la ville.

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Si les pays industrialisés ne sont pas capables de frapper à la porte des pays lesmoins avancés, ce sont ces derniers qui frapperont très fort à la leur. Je vois, pourma part, dans le transfert intensif de connaissances l'un des moyens d'atténuer cedévoiement que constituent l'émigration ou l'exode des compétences. L'UNESCO a retenudernièrement trois nouvelles formes d'action en la matière : la mise en place deréseaux de centres de recherche et d'universités à l'échelle sous-régionale,continentale ou intercontinentale ; l'octroi de bourses de courte durée qui permettentaux boursiers d'acquérir une formation intensive sans résider dans les pays qui leleur dispensent et enfin la création de chaires correspondant aux besoins pourtransmettre en quelques mois de façon efficace, intensive et rapide une sommeimportante de connaissances scientifiques et techniques à un grand nombre debénéficiaires autochtones.

Monsieur le Président, je n'aborderai pas ici les aspects stratégiques de la luttecontre la pauvreté qui ont trait à la croissance démographique ; je me bornerai àsouligner que les résultats obtenus dans des contextes culturels différents montrentclairement que l'éducation, en particulier celle des femmes, diminue sensiblement letaux de fécondité et les grossesses prématurées. L'éducation dote chaque femme desmoyens les plus nobles - ceux qui lui permettent d'exercer en toute conscience desfonctions biologiques et sociales. A cet égard, comme à beaucoup d'autres, ladimension culturelle du développement va sans dire.

L'éducation n'est pas un don, elle s'acquiert et se forge, elle se manifeste par descomportements et des attitudes. Il en est de même des relations entre l'environnementet le développement qui sont indissociables. Comment concilier société de consommationet développement durable ? Les pays riches doivent sans tarder réduire leurconsommation de biens superflus. Ce n'est même plus une question de solidarité et dejustice mais de sécurité. La même remarque s'applique au dialogue interculturel et àla coexistence interethnique.

Monsieur le Président, la coopération internationale peut se ressentir de l'oppositionformelle entre la transition à l'Est et le développement au Sud, entre la protectionde l'environnement et la lutte contre la pauvreté, entre les aspirations du grandnombre et la limitation des ressources. Mais elle peut aussi être confortée par lesressources que la détente doit libérer, par la distribution des dividendes de la paixau bénéfice de l'innovation sociale et de la participation de tous au développement,fondées sur la reconnaissance universelle des valeurs démocratiques et sur une volontéinternationale de solidarité.

C'est de réunions comme celle de Cartagena que dépendent en grande partie les tempsfuturs et, partant, l'avenir de l'ensemble de la planète. Cartagena de Indias n'estpas seulement l'emblème d'un passé éclatant ; elle est aussi - et cela plus que jamaisà l'heure où l'on célèbre la rencontre de deux mondes - le symbole d'un avenir pluslumineux car s'il y a une force qui doit l'emporter sur toutes les autres, y compris,bien entendu, les forces du marché, c'est la capacité de créer, d'inventer etd'innover. C'est, en résumé, la force de l'esprit.

Je vous remercie Monsieur le Président.

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