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DG/98/24Original: français

ORGANISATION DES NATIONS UNIESPOUR L’EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE

Discours deM. Federico Mayor

Directeur général del’Organisation des Nations Unies

pour l’éducation, la science et la culture(UNESCO)

à l’occasion de la réunion“L’Afrique face à la mondialisation:

les défis de la démocratie et la gouvernance”(DEMOS AFRICA)

Maputo (Mozambique), 2 juillet 1998

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Monsieur le Président de la République,Excellences,Mesdames, Messieurs,

Permet tez-moi tout d'abord de rendre hommage à SonExcellence Monsieur Joaquim Alberto Chissano, président de laRépublique du Mozambique, qui n'a, à aucun moment, ménagé sonsoutien à la réalisation de cette rencontre et nous faitl’honneur d’être parmi nous aujourd’hui.

Je souhaiterais aussi remercier les personnalitésmozambicaines qui ont contribué à la préparation de cette réunionet tous c eux qui ont accepté de venir, de toutes les régions ducontinent, pour participer à nos travaux.

Dans la s ituation actuelle du monde et de l'Afrique, on nesaurait s ouligner assez l'importance de cette réunion, tant parla qualité des participants que par l'importance du thème.

Sur les développements en cours et souh aitables en Afrique,l'UNESCO a déjà mené une réflexion collective dont les tempsforts ont été les Assises de l'Afrique, réunies à Paris en 1993,et la Conférence internationale sur la culture de la paix et lagouvernance, organisée ici même à Maputo en 1997.

Au cours des Assises de l'Afrique, il a été reconnu que leproce ssus de démocratisation mis en marche sur le continent aindiscutablement connu des succès éclatants. En effet, ceprocessus a permis à des peuples hier encore enfermés dans lemutisme, la résignation et la soumission de se faire entendre etd’exprimer leur volonté. Cependant, ce processus se déroule assezsouvent dans un contexte de fragilité e xtrême, à cause notammentde la prégnance de modèles importés (où les principesdémocratiques s’incarnent dans des formes et des procéduresspécifiques), de la vivacité d’antagonismes ethniques, desdisparités économiques et éducatives, de l’exploitation desressources naturelles du pays par des e ntreprises étrangères, dela lenteur des mécanismes judiciaires, de la faiblesse desnouveaux parlements, de la persistance de manifestationsd’extrémisme et de violence, etc. Les Assises de l’Afrique ontexploré des approches nouvelles selon lesquelles les Africainspourraient eux-mêmes repenser la démocratie et instaurer uneculture de la paix en Afrique.

En 1993, l'UNESCO a lancé en Amérique latine une réflexionsur les rapports entre le développement démocratique, lamodern isation des économies et l'exclusion sociale. La réuniontenue cette année-là à Antigua (Guatema la) a bien montré l’appuique les p ays de la région attendent de l’Organisation dans leurtravail d’approfondissement et d’élucidation des problèmes degestion politique face aux défis du XXI ème siècle. C'est dans cecontexte qu'est né le projet DEMOS, dont la première réunion a

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eu lieu à Contadora (Panama) en 1995. En suivant les débats dugroupe des politiciens et intellectuels de la région, j'ai étépersuadé que l'UNESCO se devait d’appuyer cette démarche. C'estainsi que, entre 1995 et 1996, nous avons organisé cinq“laboratoires” d'analyse politique et sociale.

Le Sommet régional pour le développement politique et lesprincipes démocratiques (Brasilia, 1997) marque l'aboutissementde cette mobilisation créatrice des acteurs et responsablespolitiques de l'Amérique Latine et des Caraïbes. Le Consensus deBrasilia témoigne de la volonté de la communauté des nationslatino-américaines d'assumer solidairement les défis de lagouvernance démocratique mondiale. S'appuyant sur les principesuniv ersels de justice, de liberté, d'égalité et de solidarité,le Consensus de Brasilia est un appel de l'humanisme moderneanxieux de réaffirmer la place des hommes et des femmes dans lasociété planétaire par l'épanouissement de leurs capacités.

En 1997, ici-même, la Conférence internationale sur laculture de la paix et la gouvernance a adopté la Déclaration deMaputo. C elle-ci recommande, entre autres, une réflexion sur lagouvernance et les principes démocratiq ues s’inspirant du projetDEMOS qui existe déjà en Amérique latine et aux Caraïbes. Ilrevient donc maintenant aux personnalités politiques,universit aires et intellectuelles que vous êtes de débattre, entoute indépendance et avec imagination, des questions quesoulèvent aujourd'hui en Afrique la gouvernance démocratique.

Mesdames, Messieurs,

Le processus actuel de mondialisation, s'il offre desopportunités nouvelles, crée aussi des distorsions et desinégalités si graves que leur perpétuat ion menacerait l'harmonieet la paix du monde, voire la survie même de l'espèce humaine.Il s’agit d’une mondialisation, ou glob alisation, partielle danslaquelle - qu’il s’agisse des communications ou des réseauxcommerciaux - les “globalisés” sont bien plus nombreux que les“globalisateurs” et les exclus, encore plus nombreux que les deuxcatégories réunies.

L'Afrique se trouve particulièrement fragilisée dans cecontexte. Ce continent, riche, immense, apparaît marginalisé surle plan économique et financier. En même temps, le maintienaveugle des injustices, la persistance, voire l'aggravation, dela pauvreté, l’exode constant des talents, la non-satisfactiondes besoins fondamentaux du plus grand nombre créent des tensionset entretiennent des conflits qui compr omettent le développementsocial et économique aussi bien que l'instauration d’unedémocratie authentique. Le poids croissant de l'endettement quidécoule du cercle vicieux des emprunts-remboursements effectuésà des conditions rigides et souvent inappropriées exposent les

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pays aux exigences et aux injonctions d’investisseursinternationaux peu soucieux des intérêts à long terme des peuplesafricains. L'Afrique se trouve ainsi enfermée dans des systèmesqui la condamnent, au mieux, à un mimétisme stérile.

Malgré l' effondrement et le rejet de régimes despotiques àl'éc helle du continent, beaucoup reste encore à faire pourqu'émergent et se consolident des mécanismes garantissant lapart icipation effective des citoyens à la gestion des affairespubliques, des administrations et des services publics solides,des régimes politiques jouissant d'une légitimité incontestableainsi que des systèmes judiciaires performants et acceptés partous. A cet égard, la liberté d’expression, essentielle, auxtermes de l’Article premier de l’Acte constitutif de l’UNESCO,à la construction de la paix, constitue un préalableindispensable.

L'Afrique se trouve donc confrontée aujourd'hui à une doubletrans ition, à la fois économique et politique. Autant sous lapoussée des demandes internes multiples des populations que sousla pression des bailleurs de fonds et des investisseurs privés,elle s'efforce d’une part d'accomplir la difficile transition d'uneéconomie coloniale, fondée sur les matières premières, à uneéconomie de marché maîtrisée, productive et susceptible de setransformer et, d’autre part, d’instaurer la démocratie.

Face à l’expansion du système néo-libéral, nous voyonsactuellement se développer dans le monde deux types de projetsconcurrents:

C le projet nationaliste de retour sur soi, de repli etd'isolement, qui peut s'opérer sur des bases nationales,mais aussi ethniques, locales et même religieuses;

C le projet de solidarité mondiale, qui s’inscrit dans latradition universelle des droits de l'h omme et dont la miseen oeuvre exige une prise de conscience planétaire desinsuffisances de la mondialisation.

Dans ce contexte mondial en pleine méta morphose, quelle estla place qui revient à l'Afrique ? Le moment est venu, me semble-t-il, pour l'Afrique de sortir des voies qui lui sont imposéesde l'exté rieur et qui accroissent sa dépendance. Il est de plusen plus évident que son salut repose sur sa volonté d'assumerenfin elle-même son destin. Mais, pour ce faire, il est essentielque ses p opulations puissent décider, en pleine connaissance decause et en toute liberté, des objectifs du développement et desvoies par lesquelles ce développement d oit être conduit. Ce sontdes femmes et des hommes libres, déterminés et solidaires,sachant où ils vont et pourquoi ils y vont, qui seuls peuventchanger le cours de leur histoire. Dans cette marche en avant,

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ce ne sont pas seulement les succès qui comptent, mais aussi lesenseignements qu'on peut tirer des échecs.

C'est ainsi que l'Afrique peut apporter sa pleinecontribution intellectuelle à l'élucida tion et à la solution desproblèmes que pose le développement global de l'humanité.Longtemps tenue à l'écart des grands centres de pensée et desgrands mouvements de réflexion sur le devenir commun del'hum anité, l'Afrique doit désormais y trouver une place à lamesure de l'engagement de ses dirigeants et de la qualité destravaux de ses chercheurs. Car la réflexion sur les problèmesgénéraux de développement de l'humanité est inséparable de cellequi doit être conduite sur l'Afrique, sa situation et sondevenir, ainsi que sur l'action à mener sur le terrain.

Mesdames, Messieurs,

Tout au long de notre siècle, les peuples africains se sontbattus pour leur émancipation, avec l'a mbition de construire desEtats-nations. Cette marche s'est constamment heurtée à lapersistance, à la résurgence, voire à la naissance departicularismes de toute nature - ethni ques, tribaux, claniques,régionalistes, locaux, religieux... Elle est aussi confrontée auxmultiples phénomènes transfrontaliers qu'implique lamondialisation. Quel avenir les Africains veulent-ils réserverà l'Etat national ? Cette difficile question est d'autant plusurgente que, dans plusieurs parties du monde, les Etats seregroupent de plus en plus en vue d'org aniser leur développementsocio-économique et de supprimer les racines des conflits.D'ailleurs ne constate-t-on pas, en Afrique même, que lesregroupements sous-régionaux semblent repartir sur des basesnouvelles ?

L'un des drames de l'Afrique aujourd'hui est lamultiplication des conflits, tant à l'intérieur des Etatsqu'entre les Etats. Ce sont toujours les peuples qui paient leplus lourd tribut. Le développement économique s'en trouvedurablement compromis, de même que la paix civile, car la haineet le ressentiment perdurent. Quelle part les Africains ont-ilsdans le déclenchement et la perpétuation de ces conflits ? Quelsmécanismes efficaces peuvent-ils élaborer pour les résoudredurablement ?

Une chose est sûre: si l’idée démocratique obéit partout auxmêmes pri ncipes, elle peut s’incarner dans des formes diverses.Une dans ses valeurs, la démocratie est multiple dans lesmécanismes qui la font exister dans telle société, dans telleculture.

C'est à juste titre que les peuples africains exigent lareva lorisation de leurs cultures, dont on constate chaque jour

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les potentialités, la force créatrice et les capacités derenouveau. Aucune culture ne reste jamais figée. Partout, lescultures naissent, dépérissent, s'enrichissent et se renouvellentcons tamment. Aucune vision des choses ne saurait se développerdurablement dans une société si elle ne s'intègre pas à laculture propre de cette société. Mais la défense de l'identitéculturelle ne saurait, non plus, être invoquée pour justifier despratiques anti-démocratiques.

La démocratie est une valeur qui renferme l'inextinguiblesoif, l'i naliénable vocation de la personne à prendre en chargeson développement, tant au plan individ uel qu'au plan collectif.Elle est une dynamique qui dépasse le simple aménagement desrapports sociaux et politiques et qui, loin de se limiter à uneforme d'organisation politique, embrasse aussi le champéconomique, social et culturel.

Une société démocratique doit être gouvernée de tellemanière que les individus professant des opinions différentes,voire opposées, vivent dans la concorde. Quand une société nepeut tolé rer que ses membres usent ouvertement de leur droit dedonner leur opinion, elle montre sa faiblesse et tend às'affaiblir davantage. Elle encourage inévitablement ladiss imulation et la flatterie. La dissociation entre lesconvictions intimes et les opinions exprimées devient constanteet s’intègre au quotidien. D’où la corruption de toutes lesrelati ons sociales. Plus la société restreint la liberté deparole, plus elle se contraint à gouver ner par la violence. Plusles citoy ens se méfient de leurs gouvernants, de leurs juges etde leurs fonctionnaires, plus l'exercice de la liberté paraîtmenacer la cohésion de la société. Par un retournement pervers,le sens civique devient une menace pour le corps social,puis qu'il représente la dénonciation vivante d'un ordre qui nese maintient qu'en flattant la cupidité et en semant la division.Une telle société est condamnée au déch irement, à l'intolérance,à la haine et, en fin de compte, à la dissolution.

Mesdames, Messieurs,

Dans la littérature politique comme dans l'acceptionpopulaire, démocratie et gouvernance entretiennent un rapportsémantique logique.

La gouvernance est fortement imprégnée de la démocratie. Lesprinc ipes qui la sous-tendent et la nourrissent l’attestentclairement. Citons, par exemple, le principe de responsabilité(ou le devoir de rendre compte), le principe de participation (pouvoir de formulation, de structuration et de contrôle reconnuaux citoyens), le principe de transparence - qui induit desprocédures compétitives, un domaine public ouvert, des

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informations fiables-, et le principe d'efficacité (oul'obligation de résultat).

La mise en oeuvre de ces principes comporte des implicationspratiques, qui sont notamment la redéfinition des rôles de l'Etatet le partage des rôles entre l'Etat et la société civile, etl'élargis sement de la participation populaire, garantissant auxcitoyens des pouvoirs réels sur la gestion de leurs affaires.

La reconnaissance de tels rôles et prérogatives aux citoyensnéces site des garanties: elle implique donc un Etat de droit.L'Etat de droit est au centre de la gou vernance. Il peut en êtreconsidéré comme la pierre angulaire, car les réformes politiqueset instit utionnelles auxquelles la gouvernance a donné lieu onttoutes visé à asseoir un système d'Etat de droit avec, comme cléde voûte du système, une justice indépendante et compétente etune société civile forte.

L'Etat de droit démocratique est sans aucun doute lemeilleur moyen d’assainir la situation économique et financièredes pays africains et d’assurer un développement socio-économiquesout enu et durable. Le slogan "l'Afrique aux Africains" nesignifie pas que les autres peuples soient exclus; il signifieque les A fricains veulent se gouverner eux-mêmes et définir euxmêmes leur voie de développement.

Au plan politique, cela implique le refus de reproduiremécaniquement les idées, les pensées, les actes et les modèlesdes autres. Au plan économique, cela implique un réexamen totalde la nature et des modes de fonctionnement des économiesafrica ines. En effet, à qui appartiennent les ressources del’Afrique, de plus en plus largement ex ploitées ? Cette questionest centrale dans une réflexion sur la mondialisation, ladémocratie et la gouvernance. Car, si économiquement, l'Afriquen'appartient pas aux Africains, comment ceux-ci pourraient-ilsdéfinir l ibrement, souverainement, et en accord avec leur géniepropre, leurs propres formes de gouvernement démocratique etleurs propres voies de développement ?

Monsieur le Président de la République,Excellences,Mesdames, Messieurs,

L'Afri que des nouvelles générations nous écoute. Elle estcelle qui refuse que ce continent ne soit qu'une source dematières premières et un réservoir de main d'oeuvre bon marché,celle qui refuse de voir ses meilleurs talents s’expatrier.

L'Afrique des nouvelles générations veut la gouvernance etla démocratie, mais refuse qu'on les lui impose. Elle veutpromouvoir l'Etat de droit par une synthèse créatrice entre sa

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propre ex périence et l'expérience des autres, entre ses propresvaleurs et les principes universels.

L'Afrique des nouvelles générations veut assurer la pleinemaît rise de sa culture. Elle n'est pas tournée nostalgiquementvers le passé: elle veut voler de ses propres ailes vers unavenir de bonheur. Le bonheur de partager. Le bonheur de compter,d’être pris en compte.

L'Afrique des nouvelles générations veut “l'Afrique auxAfricains”. Elle attend de vous, personnalités politiques etmorales, hommes et femmes d'expérience, intellectuels et membresdes associations réunis à Maputo pour lancer DEMOS AFRICA, quevous lui indiquiez le plus clairement possible les enjeux de lamondia lisation pour l'Afrique et les solutions les plusimaginati ves pour demain. Comment passer de la soumission et del’imitation à l’autonomie ? De la force et de la contrainte audialogue et à l’entente ? De la culture de la violence et de laguerre à la culture de la compréhension et de la paix ? Cesquestions mobilisent nos rêves. Elles sont aussi notreengagement.