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Directeur de la publication Jacques Richardson

Collaboration rédactionnelle de Charles Marine

Abonnement annuel [A] 32 F Le numéro [A] 9,50 F

Adressez les demandes d'abonnement aux agents généraux (voir liste), qui vous indiqueront les tarifs en monnaie locale.

Toute notification de changement d'adresse doit être accompagnée de la dernière bande d'expédition.

Les articles paraissant dans impact expriment l'opinion de leurs auteurs, et non pas nécessairement celle de l'Unesco ou de la rédaction.

Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, 7. place de Fontenoy 75700 Paris (France)

Le thème de ce numéro ainsi que quelques-uni des articles ont été empruntés au Colloque sur la science dans le monde contemporain et le rôle de la jeunesse qui s'est tenu pendant quatre jours à Trieste (Italie) en septembre 1974. Ce colloque était placé sous les auspices du Centre international de physique théorique et de l'Unesco. Deux réunions concernant le m ê m e sujet sont prévues, l'une cette année (en octobre) à Téhéran (Iran), l'autre l'année prochaine en Asie. Des détails sur ces réunions peuvent être obtenus auprès du Spécialiste du programme Unesco S C / S O C , 7 , place de Fontenoy 75700 Paris (France).

Imprimerie Oberthur, Rennes

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Nigéria

O

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Sénégal

République-Unie de Tanzanie

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La scienceget la technologie rivalisent avec les plus anciennes structures sociales sur le plus « jeune » continent du m o n d e

Avec son ensemble complexe de systèmes socio-culturels, l'Afrique, continent qui, autant qu'on sache, a été le premier berceau de l'humanité, est celui qui a accédé le dernier à la civilisation sans cesse changeante de la science et de la technique. N o n seulement de nombreux pays d'Afrique doivent choisir entre une économie fondée sur la science et le m o d e de vie agraire traditionnel, mais ceux qui choisissent la première voie doivent avancer à marches forcées pour ne pas sombrer dans le gouffre technique qui sépare les pays avancés des pays en voie d'indus­trialisation l. La sagesse traditionnelle des civilisations africaines per-mettra-t-elle d'éviter les erreurs commises par les pays qui ont participé à la révolution industrielle, tout en profitant des avantages de cette révolution ? La jeunesse d'Afrique, en particulier, a-t-elle à gagner ou à perdre à la poursuite de l'évolution scientifique et technique en cours ? Dans les pages qui suivent, divers spécialistes qu'intéressent les problèmes des jeunes devant la science présentent des faits et des opinions qui peuvent aider à répondre à ces questions.

Frontispice.'Première page, en haut à droite, étudiant utilisant un dyna­momètre pendant un cours de physique (Congo). En haut à gauche, élève professeur au tableau noir (Rwanda) . En bas, un cours de chimie dans un laboratoire (Nigéria). Deuxième page, en haut à gauche, des étudiants en première année de zoologie font de la dissection (Républi­que-Unie de Tanzanie). En haut à droite, des élèves professeurs de mathématiques (Sénégal). En bas à gauche, cours de botanique (Mali). En bas à droite, étudiant à la table de manipulation dans un laboratoire de chimie (Soudan).

Photos: F. Caracciolo-F. Banoun; E. Schwab; Almasy-Vauthey; E. Schwab; A . Tessore; J. Bois; R. Greenough. © Unesco.

1. Voir les études sur le thème « La science et le sub-Sahara » dans Impact : science et société, vol. XXIII, n° 2.

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Vol. XXV, n° 4 / octobre-décembre 1975

La jeunesse devant la science

Dharamjit Singh

Présentation 289

Michael Sha/lis et Philip Hills

L'image de marque du scientifique chez les jeunes 293

Román de Vicente

Dialogue et continuité dans la science 297

Lech Witkowski

La jeune génération et la « crise de la science » 305

Dorothy Griffiths

Science et technologie : libération ou oppression ? 315

Namik Kemal Pak

La jeunesse des pays en voie de développement à l'ère de la technique 327

Vladimir A. Zoubkov

La science et la jeunesse en U R S S 333

Amin S. El Nawawy

Comment préparer les jeunes à faire face à la crise mondiale de la faim 343

William B.Stapp

Éducation en matière d'environnement : la dynamique du programme Unesco-P N U E 353

Lettres 357

Appel aux lecteurs

Nous serons heureux de publier des lettres contenant des avis motivés - favorables ou non - sur tout article publié dans impact ou présentant les vues des signataires sur les sujets traités dans notre revue. Prière d'adresser toute correspondance à : Rédacteur, impact : science et société, Unesco, 7 , place de Fontenoy. 75700 Paris (France). © Unesco 1975

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AVIS AUX LECTEURS

Impact : science et société est publié régulièrement en espagnol par la Oficina de Educación Iberoamericana, avenida de los Reyes Católicos, Ciudad Universitaria, Madrid 3 (Espagne). La revue est également publiée en arabe par le Centre de publications de l'Unesco au Caire (Unesco Publications Centre in Cairo), 1 Talaat Harb Street, Tahrir Square, Le Caire (Egypte).

Les lecteurs désireux de s'abonner à impact dans l'une de ces deux langues peuvent entrer en contact directement avec ces bureaux.

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Présentation

Historien, écrivain, correspondant spécial, photographe, spécialiste de /'audio-visuel, épicurien et homme du monde, Dharam/it Singh est né à Lahore (Inde) et a travaillé dans toute l'Europe et l'Amérique du Nord. Dans ¡'editorial ci-dessous, l'auteur s'exprime sur ce qui l'intéresse personnellement dans la psychologie de l'Inde et du monde occidental à propos de ce qu'on appelle la condition humaine. Actuellement, D. Singh travaille à un livre dans lequel il compare les sources de connaissance de l'Occident et de l'Inde et où il propose des solutions possibles à cette science et cette idéologie qui mènent à ce que Lewis Mumford a appelé « le terminus ultime ». Les remarques qui suivent, concernant la jeunesse et la science, viennent en partie d'un dialogue entre l'auteur et le regretté Zakir Husain, président de l'Inde. On peut joindre l'auteur c\o Rédaction t/'impact : science et société.

J'aimerais m'étendre sur la confrontation de la jeunesse avec la science en tant que problème de société global - problème sur lequel tant d'autres prétendent avoir beaucoup à dire -mais je préfère limiter m e s remarques au domaine que je connais le mieux : la science en Inde (y compris le Pakistan et le Bangladesh contemporains) et la façon dont les jeunes Indiens d'aujourd'hui considèrent les aspects technico-scientifiques d'une civilisation vieille de 5 500 ans.

« J'avais un ami sanskritiste, a écrit Robert B. Oppenheimer, qui disait souvent en plaisantant 'si la science avait la moindre valeur, [la vie] pour un h o m m e instruit devrait être plus facile qu'elle ne l'était il y a une génération'. C'est parce qu'il pensait que le m o n d e était fermé. » Si l'ami d'Oppenheimer avait été indien, il aurait dit beaucoup plus. Mais au sujet des croyances passionnées, des convictions à propos de la science, de la source du savoir, que les Indiens identifient à leur destinée et à tout leur passé, vous n'auriez pas entendu un m o t

Impact : science et société, vol. X X V (1975), n° 4 289

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C e silence est dû au fait que l'Occident edulcore la science indienne, met en doute ses apports et ne cesse de saper sa vigueur. Mais cela peut changer, une fois de plus.

Pour comprendre le jeune Indien d'aujourd'hui, il faut comprendre son héritage scientifique, représentant toutes les forces de la personnalité collective d'une civilisation et les rapports de cet héritage avec la société indienne. C'est une société qui, excepté durant les trois derniers siècles, a toujours été sensible aux lois de la croissance, une société qui s'est fondée sur - et qui a évolué grâce à - une interrogation objective du savoir, d'un sérieux sans égal.

La jeunesse actuelle de l'Inde trouve la science moderne (c'est-à-dire une science mâtinée d'influence occidentale) étroite, mesquine, dépourvue de charité. Elle est hostile au m o n d e , elle stérilise ce qu'elle n'aime pas, elle castre ce qu'elle ne peut expliquer. La science n'a pas de relation suffisante avec l 'homme, avec la nature, ni avec l'expérience humaine; elle n'est pas assez capable de communiquer. C'est d'une nouvelle épistémologie universelle que nous avons besoin, tirée à la fois de sources indiennes et occi­dentales.

Le paradoxe d e la pensée occidentale

N o n seulement la science entretient le mythe de la m é g a ­mécanique, mais elle tient à avoir le dernier mot... sur tout. La « survivance du plus apte », de Darwin, était en réalité une thèse contre la liberté humaine. Sa croyance en « la préservation de races favorisées dans la lutte pour la vie » est la preuve d'une étroitesse d'esprit, c o m m e l'est la Volonté générale de Rousseau.

M ê m e Karl Popper a proclamé que toute connaissance est humaine, tout ce que nous pouvons faire, c'est chercher la vérité en tâtonnant, et elle est peut-être hors de notre portée; cependant l'idée que toute autorité est sujette à la critique lui est une consolation. Popper, c o m m e tous les penseurs occidentaux, s'accroche à des normes « objectives » de criticisme.

Les jeunes Indiens sont étonnés par cette attitude, et par le paradoxe des penseurs occidentaux qui accumulent les attaques contre leurs propres sources de savoir; par exemple Platon, qui a reçu le m ê m e traitement que les autres dissidents occidentaux (Pelage1, Érasme, Nicolas de Cuse, Nietzsche).

1. Déclaré hérétique par l'Église romaine en 431 ap. J . - C , Pelage proclamait que le libre arbitre signifie la possibilité de rechercher, sans secours, son salut et d'acquérir la < grâce divine » nécessaire.

290 Dharamjit Singh

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C'est la m ê m e polémique qui a été entretenue pour rejeter la science indienne et son épistémologie.

Cependant un fait demeure : « la plupart des grandes découvertes et inventions dont s'enorgueillit l'Europe » n'ont été rendues possibles que grâce au développement des mathématiques par les Indiens védiques et autres; ce sont eux, probablement, qui ont développé le système décimal en mathématiques et le zéro qui ont été plus tard transmis par les Grecs, les Coptes et les Arabes aux lointaines contrées autour de la Méditerranée. La géométrie a aussi été un important don culturel des Védas, et c'est Aryabahatta (le père de l'astronomie scientifique) qui établit la valeur de pi. O n pourrait continuer à citer des réalisations en trigonométrie, chimie, métallurgie, chirurgie, etc. Cette éternelle marée montante de la science se basait sur des idées vivantes, sur une vue synoptique de toute vie, sans réserves ni préjugés.

L'Inde devint le premier foyer de philosophie, d'épistémo-logie, du naturalisme qui plus tard leva le voile du mysticisme et lutta contre le rationalisme de Bacon et de Descartes. La pensée indienne a réfuté la notion que la nature est la révéla­tion de la volonté divine, ou qu'on y voit la main d'un être transcendantal. Aucune autorité surnaturelle, aucune force travaillant derrière la scène n'est admise; aucun pouvoir caché n'est impliqué dans la vie ou dans ce qui la gouverne.

Caractère et sagesse

C e que firent ces anciens penseurs, ce fut d'arriver aux vérités centrales, avec noblesse, sans tomber dans le pessimisme, le désespoir ou un prosélytisme plein de zèle.

Ils trouvèrent un pivot central dans la pureté de caractère qui, disaient-ils, n'était pas suffisante si elle n'était pas assortie de sagesse {janana). Ils réfutèrent le plus grand argument rationaliste de Bacon selon lequel « la vérité est manifeste», soutenant que la vérité ne peut être manifeste qu'après que les êtres humains se soient voués à une cruelle discipline. A u lieu d'essayer de dominer la nature par la force, les Indiens naturalistes cherchent l'adaptation à l'environnement, par l'esprit, avec maturité et individualisation psychologique. L ' h o m m e gagne ainsi sa liberté et son libre arbitre. Il s'élève au-dessus de n'importe quel tourment, n'importe quelle erreur, pour atteindre... la paix.

M a propre solution à ce problème auquel la science indienne et la science occidentale nous ont toutes deux conduits, est la suivante : nous devons élaborer un rationalisme qualitatif au lieu d'un rationalisme quantitatif et apprendre.

Présentation 291

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pour le bénéfice de notre condition c o m m u n e , à utiliser consciemment notre esprit dans sa « totalité », et non pas simplement notre intellect.

Vous apprendrez peut-être avec surprise que vous trouverez beaucoup de cet esprit dans les articles ci-après de ce numéro d'Impact : science et société consacré au thème « La jeunesse devant la science ». Le biologiste espagnol R o m á n de Vicente y exprime, dans son allégorie, une grande partie de ce que j'ai essayé de dire dans les paragraphes ci-dessus. Et l'article suivant, écrit par le jeune mathématicien polonais Lech Witkowski, renforce considérablement l'apologue conté par de Vicente. L'analyse faite par la sociologue britannique Dorothy Griffiths cherche à comprendre pourquoi le « potentiel libératoire » de la science ne semble pas encore s'être réalisé.

Se situant quelque part entre « l'Est » traditionnel et « l'Ouest » iconoclaste, un physicien turc, Namik Pak, explique ce qui se passe lorsque les manifestations tangibles de la science - sous forme de technologie industrielle et de consommation commerciale - font irruption dans le grand courant culturel de la société traditionnelle. Deux autres h o m m e s de science, Michael Shallis et Philip Hills, relatent le résultat de leurs efforts pour déterminer quelles sont les attitudes courantes des jeunes devant la science et les travailleurs scientifiques, tandis que l'historien soviétique Vladimir Zoubkov, parle des nombreux débouchés offerts dans son pays aux jeunes faisant preuve de talent et d'esprit d'invention et qui sont attirés par la science et la technique. Enfin, un microbiologiste égyptien spécialisé dans l'alimenta­tion, Amin El IMawawy, fait faire un tour complet à la roue épistémologique quand il propose un modèle tout à fait pragmatique pour faire face à un problème social plus ancien m ê m e que l'antiquité intellectuelle indienne : nourrir l'huma­nité, aujourd'hui et demain.

Vous pouvez être en désaccord avec certains articles de ce numéro, ou avec beaucoup d'entre eux. Dans ce cas, pourquoi ne pas l'écrire au directeur de cette revue?

Dharamjit Singh (Traduit de l'anglais par Liliane Lassen)

292 Dharamjit Singh

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L'image de marque du scientifique chez les jeunes Michael Shallis et Philip Hills

¿es auteurs d'un questionnaire de portée générale sur le statut de la science et le

prestige des scientifiques expliquent les résultats de leur enquête et leur signification

probable. Ils ont fait fond, dans leur travail, sur la grande expérience des diverses

techniques de communication que possédait chaque membre de l'équipe.

O n croit c o m m u n é m e n t que la science a perdu sa magie auprès des jeunes; si c'est vrai, on doit trouver le reflet de cette désillu­sion dans leur attitude à l'égard des scienti­fiques.

Nous avons récemment publié un question­naire dont l'objet était d'étudier les attitudes à l'égard de l'image du scientifique. L'analyse des résultats obtenus nous a permis d'établir une comparaison entre les jeunes et les autres groupes d'âge, ainsi qu'entre les scientifiques et les non-scientifiques. Nous avons constaté, chez les jeunes non-scientifiques, une certaine hostilité à l'égard de la science et avons vu, dans cet état d'esprit, un symptôme de désil­lusion; au contraire, les jeunes scientifiques ont une attitude optimiste et m ê m e enthou­siaste à l'égard de la science. Nous allons examiner de plus près ces deux réactions, caractéristiques, à notre avis, de l'attitude générale des jeunes.

L'enquête a été lancée dans deux hebdoma­daires, New Scientist et New Society, le 8 mai 1975. Sur une période de six semaines, 1 559 questionnaires ont été remplis et renvoyés par leurs lecteurs; 24 % des réponses provenaient de scientifiques et 27 % de non-scientifiques. Les répondants étaient des élèves ou étudiants dans la proportion de 31 %, dont les deux tiers étaient des élèves de sciences et les autres des technologues. Le tableau 1 ventile les répondants par groupes d'âge et selon le degré d'avancement de leurs études.

Tableau 1. Ventilation des répondants selon l'âge et les études

Groupes d'âge Études

Moins de 20 ans 19,6 Encore scolarisés 14,3 20-29 ans 35,1 Études supé­

rieures en cours 16,6 18,9 Grade universi­

taire 30,8 12,6 Grade universi­

taire de niveau supérieur 27,1

9,2 Divers 11,2 4,6

30 -39 ans

40-49 ans

50-59 ans 60 ans ou plus

O n notera que les groupes de répondants ne constituent pas un échantillon représentatif de la population; ils ne correspondent qu'à l'autosélection qui s'est opérée chez les lec­teurs des deux périodiques qui ont publié le questionnaire. U n e analyse plus complète des résultats est parue dans le New Scientist du 28 août dernier.

Une image se dessine

Trois images principales du scientifique se dégagent de cette étude. La première corres­pond à l'impression générale notée par l'ensemble des groupes interrogés, et que nous appellerons l'image « neutre » : on voit dans le

impact : science et société, vol. X X V (1975), n° 4 293

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scientifique une personne calme, réaliste et circonspecte. D e plus, dans l'esprit de la plupart des gens, le scientifique est athée et l'on s'accorde à lui reconnaître de l'intelligence et un bon niveau d'instruction. D e façon générale, on lui. reproche de ne pas expliquer ses travaux au public et on le juge souvent réservé ou distant.

La première rubrique du questionnaire permettait au répondant d'évoquer librement l'image qu'il se faisait d'un scientifique. Il s'agissait de compléter la phrase : Lorsque je pense à un scientifique, je pense à ... 23 % de répondants se sont arrêtés sur l'aspect physique. Le stéréotype du chercheur, < un h o m m e à lunettes, en blouse blanche, qui travaille dans un laboratoire », constituait la réponse la plus fréquente, notamment chez les non-scientifiques et dans les catégories les plus jeunes. Plusieurs réponses étaient cepen­dant assorties d'autres observations, par exemple : « En réalité, je connais beaucoup de scientifiques et ils ne ¡>ont pas du tout c o m m e ça ». O n voit la force du stéréotype qui s'est im­posé à certains répondants, alors qu'ils n'étaient pas nécessairement convaincus de sa réalité.

La proportion ci-dessus est à rapprocher des. 9 % qui ont été d'avis que « les scientifiques constituent une catégorie très diversifiée d'individus dont il n'y a pas de stéréotype ». Cette dernière opinion n'est donc pas partagée par la majorité de nos répondants, ni appuyée par d'autres études ou par les travaux des psychologues, d'où il ressort que les scienti­fiques ont en c o m m u n certaines caractéris­tiques et antécédents (voir Science Journal, vol. 7 . n° 1 ,1971, p. 85) .

• Autoportrait d u scientifique

La deuxième image du scientifique, que nous appellerons l'image « sympathique », est celle que les scientifiques se font d ' e u x - m ê m e s . C'est également ainsi que les voient les étu­diants en sciences et un groupe de non-scien­tifiques particulièrement bien disposés à l'égard de la science. Les scientifiques se considèrent c o m m e des gens simples, sociables, faciles d'abord, et aussi sans préjugés. Ils se flattent de s'intéresser à toutes sortes de choses et de jouir d'une certaine « popularité ». La majorité des répondants de ce groupe de sympathisants estiment que « la plupart des scientifiques cesseraient leur travail s'ils pensaient qu'un mal quelconque puisse en résulter ».

La catégorie des non-scientifiques s y m p a ­thisants a été déterminée d'après la réponse â la première rubrique du questionnaire. D e façon générale, ils avaient une attitude optimiste à l'égard de la science, en laquelle ils voyaient un moyen de résoudre des problèmes. D e nombreux répondants ont affirmé que les scientifiques étaient « les seules personnes capables de résoudre les problèmes du m o n d e » et aussi qu'ils « étaient capables de donner à la société beaucoup plus qu'elle attendait d'eux ».

A l'opposé se situait le groupe « hostile », qui correspond à notre troisième image. Les répon­dants étaient surtout des non-scientifiques et des élèves ou étudiants de disciplines non scientifiques qui voyaient dans le chercheur un être distant et impopulaire. Les non-scien­tifiques s'accordaient à penser, d'une manière générale, que < les scientifiques tendent à traiter l ' homme c o m m e un simple élément d'une statistique », et contestaient que « la plupart des scientifiques cesseraient leur travail si un mal quelconque devait en résulter ». U n e minorité de ce groupe a manifesté pour la science une hostilité particulière et a surtout reproché aux scientifiques de n'avoir pas le sens de leurs responsabilités morales. Certaines réponses ont m ê m e affirmé que les scienti­fiques « avaient perdu toute autorité morale en prostituant la science au service de la guerre » et qu'ils étaient < souvent inconscients des

Tableau 2 . Qualificatifs appliqués au scienti­fique selon les deux types de réaction

Contraires Réponses des Réponses des scientifiques non-scientifiques

(%) (%)

Sociable Replié sur lui-

m ê m e Distant D'abord facile Ouvert Renfermé Conformiste Anticonformiste Intérêts très divers Intérêts peu diver­

sifiés Populaire Impopulaire

54

42 29 67 53 43 34 57 61

33 59 32

30

67 61 35 34 61 63 33 35

61. 42 54

294 Michael Shallis et Philip Hills

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conséquences désastreuses de leurs tra­vaux ».

Le m ê m e courant de sympathie ou d'hostilité se retrouve tout au long des questions aux­quelles ont répondu les interrogés. Le tableau 2 compare les réponses à différentes questions, fournies par des scientifiques et des non-scientifiques.

Les trois groupes ainsi dégagés correspondent de près aux trois catégories d'images relevées par Margaret M e a d et Rhoda Metreaux dans une enquête qu'elles ont faite aux États-Unis (Science, vol. 126, 1957, p. 384) et qu'elles ont dénommées l'image « officielle », l'image « positive » et l'image « négative » du scienti­fique. Cette correspondance générale de nos résultats avec ceux de l'enquête M e a d -Metreaux et avec les conclusions de Beardsley et O ' D o w d (Science, vol. 133, 1961, p. 997) nous apporte une certaine assurance quant à leur validité, surtout si l'on songe que notre échantillon n'a pas été «c tiré », mais s'est constitué spontanément.

Les réponses des étudiants en sciences ont à peu près le m ê m e profil que celles des scien­tifiques, à cela près que les premiers ont eu tendance à insister sur l'aspect « sérieux », « passionnant » et « important » de la tâche du scientifique et sur son sens du devoir. En revanche, ils ont moins évoqué le côté < m o n o ­tone », c solitaire » et « ennuyeux » de cette tâche que l'on fait les scientifiques.

• Science et objectivité

Cette étude a bien mis en lumière l'intérêt enthousiaste des étudiants en sciences pour leur discipline, et aussi leur optimisme invétéré qui confinait parfois à l'absence de sens critique (« la science conduira l'humanité vers un nouvel âge d'or »). Les ressemblances entre l'attitude des étudiants et celle des scientifiques confirment les résultats d'un travail de recherche présentés par Eiduson et Beckman dans Science as a career choice ( N e w York, N . Y . , Russell Sage Foundation, 1973) : les jeunes qui se destinent à une carrière scientifique se font de l 'homme de science une image qui les séduit et à laquelle ils s'attachent à ressembler. Après être entrés dans la carrière, ils conservent cette m ê m e image, à peine modifiée par leur expérience, m ê m e si elle garde un côté subjectif.

Le décalage apparaît, en particulier, lorsqu'on évoque l'image classique de la recherche « objective ». La grande majorité des répondants

scientifiques ou autres a qualifié d'« objectif » le travail d'un scientifique, encore que les jeunes aient moins insisté sur ce terme. Et pourtant, plusieurs auteurs ont étudié le caractère subjectif de la science, notamment lan M i troff, dont l'étude sur les explorateurs de la Lune à l'occasion du programme « Apollo » concluait que l'idée de l'objectivité scientifique pure n'existait pas dans la « science réelle » (New Scientist, vol. 160, n°878 ,1973 , p .900) .

Cela incite à penser que l'objectivité de la science est en partie un mythe entretenu par les scientifiques. Il se peut du reste que ce mythe leur soit imposé par le public lui-même mais, à notre avis, cette notion d'objectivité fait partie de l'image que projettent les scien­tifiques, qu'adoptent les jeunes attirés par la science et qui se perpétue par une sorte de mécanisme cyclique. Il n'est pas non plus impossible que, étant donné le caractère assez fermé de la communauté scientifique, celle-ci fasse pression sur ses membres pour qu'ils se conforment à son image de marque, renfor­çant ainsi son mécanisme de perpétuation.

L'influence de l'âge des répondants

Il est ressorti de notre analyse des résultats du questionnaire par groupes d'âge que les groupes intermédiaires (30 à 39 et 40 à 49 ans) manifestaient moins d'enthousiasme pour la science et faisaient preuve de plus de retenue dans l'ensemble de leur réponse. Par exemple, la proportion de répondants employant les mots « sérieux », « passionnant » et « original» est plus faible dans ces deux groupes que dans les autres. La m ê m e retenue apparaît dans la réaction à des propositions telles que < la plupart des scientifiques travaillent à améliorer les conditions de vie et la sécurité dans le m o n d e » et « la plupart des scientifiques cesse­raient leur travail s'ils pensaient qu'un mal quelconque puisse en résulter». Les répondants les plus âgés ont souscrit à la première affirma­tion (sans grande vigueur), mais non à la seconde, à la différence des autres groupes d'âge.

Ces réactions témoignent d'une certaine désillusion à l'égard de la science dans les groupes d'âge intermédiaires, désillusion qui ne se retrouve pas dans les avis exprimés par les moins de vingt ans. Mais cela tient à ce que ce dernier groupe compte une forte proportion d'étudiants en sciences qui, on l'a vu, sont particulièrement passionnés par leur

L'image de marque du scientifique chez les jeunes 295

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discipline. C'est seulement quand on fait u n e distinction entre les jeunes orientés vers la science et les autres qu 'on observe une diver­gence d'attitude qui, lorsqu'elle apparaît, est plus marquée qu'entre scientifiques et n o n -scientifiques des groupes plus âgés.

La minorité de répondants extrêmement hostiles contient plus de 1 5 % du total des étudiants non scientifiques, alors que la propor­tion de réponses très hostiles est inférieure à 7 % du total des répondants. Cette hostilité, selon nous, n'exprime que dans une mesure limitée le sentiment des jeunes déçus par la science. O n notera que le groupe en question fournit les proportions les plus élevées de personnes caractérisant les scientifiques par une image physique stéréotypée et les quali­fiant de «distants ». Faut-il y voir l'indice d 'une insuffisance sur le plan général de l'éducation dans l'enseignement de la science à l'école? L'absence d 'une initiation de la jeunesse à ce que Warren W e a v e r a appelé « la beauté et la signification spirituelle de la science » ?

• Quelques conclusions

W e a v e r a souligné en termes très clairs l'impor­tance d 'une juste interprétation de la science {Impact, science et société, vol. XVI , n° 1", 1 9 6 6 ) , et les résultats de notre enquête nous ont permis d'observer deux secteurs de popula­tion en contraste où cette importance n'est pas pleinement comprise.

Les jeunes qui se destinent à une profession scientifique se font d u chercheur une idée en partie inexacte; de leur côté, les étudiants non scientifiques n'ont de la science, semble-t-i!, qu 'une idée schématique banale et erronée.

En essayant de mieux comprendre les scienti­fiques et les mécanismes de la science, et en s'attachant à faire partager le plus possible cette compréhension au public - en particulier aux jeunes - on peut combler le fossé creusé par les préjugés qui séparent la culture scienti­fique de la culture non scientifique dans notre société. U n tel effort devrait venir au premier rang des préoccupations des scientifiques et des éducateurs.

• Michael Shallis et Philip Hills

Michael Shallis est inscrit à l'Université cf Oxford, où il fait des travaux de recherche sur la physique solaire et l'astrophysique expérimentale. Après avoir été producteur et réalisateur dans l'industrie du film, notamment pour la télévision, M. Shallis a fait des études scientifiques à l'Université du Surrey. Il a donc une expérience directe des deux aspects des « deux cultures ».

Philip Hills, maître de conférences pour l'enseignement des sciences à l'Université du Surrey, s'intéresse à l'étude des systèmes d'auto-enseignement. Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur la chimie, l'enseignement de la chimie et les techniques pédagogiques. On peut les joindre à l'adresse suivante ; c\o University of Oxford, Department of Astrophysics, South Parks Road. Oxford 0X1 3RQ (Royaume-Uni).

Pour avoir un avis différent sur le scientifique, à la fois positif et négatif, émanant d'une autre partie du monde : voir Maria Luisa Rodriguez Sala de Gomezgil c L'image du scientifique chez l'adolescent mexicain », Soc. studies of science, vol. 5, n° 3, août 1975 [NDLR].

2 9 6 Michael Shallis et Philip Hills

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Dialogue et continuité dans la science R o m á n de Vicente

La connaissance pénètre dans les esprits non développés, relativement incultes, et

se répand parmi íes individus, à travers la société et les sociétés voisines - dans une

même génération et dans les générations successives. Jusqu'à ce qu'elle devienne

universelle. La connaissance parcourt une sorte de circuit fermé des vieux aux

Jeunes, puis des Jeunes aux vieux. Partie de ceux qui savent, elle parvient aux

ignorants et retourne aux premiers. Ce que nous devons comprendre, c'est que

l'esprit est inculte par rapport à la connaissance qu'il n'a pas, bien qu'il puisse

déborder de la plus haute sagesse. L'histoire d'Andrenio et Critilo est racontée ¡ci.

A u lieu m ê m e qui, en un temps encore proche, a servi de cadre à un dialogue mortel et où le bruit des armes faisait taire les conversa­tions courtoises, se trouve ce qui a été les ruines d'un prestigieux centre de recherche dont la bibliothèque riche et bien entretenue a été vidée de ses livres, qui ont été empilés sur les parapets où ils ont été détruits. A proximité des amphithéâtres où l'on enseigne aujourd'hui les sciences de la vie et l'art de soigner, dans l'enceinte de l'Université d'Alcalá de Henares, près des facultés de pharmacie et de médecine et dans ce qui fut le no man's landau front de Madrid pendant la guerre civile, s'élève sur un tapis de gazon un m o n u m e n t d'aluminium qui est intitulé Les porteurs de torches. Son symbolisme, dû en grande partie à la philosophie populaire, car les vers inscrits sur le piédestal ne corres­pondent pas exactement à ce que le m o n u m e n t est censé représenter, est tout à fait en har­monie avec le thème qui nous intéresse -tant par le lieu où est érigé ce m o n u m e n t que par sa signification. O n peut l'interpréter c o m m e suit :

U n cavalier habile, jeune et vigoureux, qui a pour selle une peau non tannée, arrête un

instant le galop de sa monture sans bride ni harnais pour prendre la flamme sacrée du savoir que lui tend avec peine un vieillard courbé par le poids des ans. C'est le flambeau de la fidélité au savoir, que chaque génération passe à la suivante pour assurer, à travers les siècles, le progrès ininterrompu de la culture qu'elle a reçue de la génération précédente et qu'elle a enrichie par son travail créateur.

C'est là l'héritage de la culture, qui ne cesse de s'enrichir. C'est la torche d'une course de relais : toujours vivante, toujours nouvelle, ne se répétant jamais. Car la flamme de la culture, qui va vers la perfection, n'est pas rallumée de temps à autre et ne s'éteint pas dans la mémoire des h o m m e s , c o m m e la flamme d'Olympie. O n ne l'entretient pas en lui apportant les m ê m e s aliments et en accomplissant des cérémonies liturgiques qui la feraient brûler de manière monotone, c o m m e le feu des vestales; elle ne s'éteint pas non plus à la mort de l'individu qui la possède. Car, sur la voie de la perfection, cette conception humaine de la Beauté, de l'Être et de l'Action (créée par l'intelligence, conformément à la vérité, ou de manière ambiguë, imparfaite ou erronée) — ce que nous appelons la culture - est, c o m m e la

Impact : science et société, vol X X V (1975), n» 4 297

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force vitale qui l'a suscitée, quelque chose de vivant et de permanent dans sa continuité et sa vigueur.

C o m m e la vie que nous sentons en nous et qui emplit les champs, les airs et les eaux de la nature, la culture se transmet entre les h o m m e s dans une séquence parfaite, par des relais ininterrompus, en m ê m e temps qu'elle s'enri­chit chaque jour grâce à l'heureux bourgeonne­ment du génie : l'audace d'une nouvelle pensée, une idée neuve, un nouveau besoin ou une découverte. Les animaux se fient principalement à l'instinct pour le bon déroule­ment de leur vie et les plantes à une physiologie

qui reste immuable; en d'autres termes, les plantes ont besoin d'une niche écologique tandis que l 'homme possède la raison.

Cette raison est, au début, vide de tout contenu, aussi nue que l'enfant qui vient de naître; et, par crainte de ce qui se situe au-delà du présent, l 'homme résiste à l'instruction tout c o m m e il lui répugne d'affronter la vie. Mais le pouvoir de la raison lui fait faire volte-face; une fois qu'il a acquis la connaissance et le sentiment de la vie, il aime son savoir autant ou plus qu'il aime sa vie. Ainsi, lorsque le m o m e n t est venu pour lui de perdre la vie, il ne sait pas ce qu'il regrette le plus : de mourir

298 R o m á n de Vicente

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ou d'être obligé d'oublier et d'être oublié pour toujours. Il pense, non sans une lueur d'espoir, que son savoir et son action future lui échappent en m ê m e temps que sa vie.

• La nécessité de c o m m u n i q u e r

Le naufragé Cri tilo, battu par les vagues et le vent et voyant sa fin prochaine, gémit avec désespoir sous la plume évocatrice de Baltasar Gracián, brillant écrivain aragonais du Siècle d'or espagnol et auteur de El Criticón (1651 ) :

« O vie, tu n'aurais pas dû commencer, mais maintenant que tu as c o m m e n c é , tu ne devrais pas finir... La nature s'est révélée être une marâtre pour l 'homme, car la connaissance qu'elle lui a enlevée à sa naissance, elle la lui rend à sa mort - dans le premier cas, parce qu'il n'est pas conscient des biens qu'il reçoit et dans le second, parce qu'il a conscience des m a u x à conjurer... O sort, ô ciel, ô fortune I Je pourrais encore croire que je suis quelque chose puisque tu m e persécutes ainsi. Puisse m a valeur nulle m e valoir en cette occasion de renaître pour l'éternité. »

N e rien valoir, être quelque chose, renaître pour l'éternité : c'est la lueur d'espoir, le senti­ment de la perte, le désir de durer.

Dans son angoisse et son souci de s'exprimer, parce que la solitude n'est pas bonne et aussi en raison de sa sensibilité et de l'obligation morale qu'il ressent de restituer avec intérêts ce qu'il lui a été permis de connaître, d'acquérir par l'expérience et m ê m e de deviner (car, quel qu'en soit le prix, le savoir ne coûte jamais ce qu'il vaut), l 'homme éprouve le suprême besoin de communiquer avec autrui, d'apprendre et de transmettre son savoir et son expérience. La connaissance pénètre dans les esprits non développés et peu cultivés et se répand, c o m m e dans des vases communicants, parmi les individus d'une société et des sociétés voisines, dans une m ê m e génération et dans les générations successives, jusqu'à ce qu'elle devienne universelle. La connaissance parcourt un circuit fermé des vieux aux jeunes, puis des jeunes aux vieux; partie de ceux qui savent, elle parvient aux ignorants et retourne aux premiers. Ainsi nous devons comprendre, c o m m e le sage,, que l'esprit est inculte par rapport à toute connaissance qu'il ne possède pas, bien qu'il puisse déborder de la plus haute sagesse.

C'est pour cela que l'érudit Critilo, qui a été sauvé par Andrenio, habitant solitaire d'une Ile déserte, se sent obligé à la fois d'instruire

l'insulaire ignorant et de s'informer lui-même de la façon de vivre dans une nature sauvage. Mais nous ne devons pas penser que c'est purement par amitié, admiration, respect ou obéissance qu'Andrenio veut s'instruire. N o n . Son attitude est marquée - avec toute la « vivacité de son esprit » - par la curiosité et le désir de savoir, de ressentir et de comprendre quelque chose de plus que les hurlements des bêtes sauvages, la peur des tempêtes et le chant des oiseaux. Ce que Critilo transmet à Andrenio, ce n'est pas du tout ce que ce dernier aurait choisi, de prime abord, de savoir sur les choses, leur valeur et leurs effets, c'est-à-dire la situation et la valeur des choses. C e n'est pas non plus la connaissance encyclopédique, universelle, toute sagesse.

Ce que Critilo enseigne à Andrenio, c'est simplement ce qu'il sait : une petite partie, personnelle et incomplète, de l'immense diversité de la s o m m e du savoir. Ce qu'il sait est conditionné par ses capacités, limité au champ d'action de son intelligence, amélioré par l'expérience, adapté aux apports de son jugement et de son discernement et borné à ses sources d'informations et aux coutumes de son milieu social et culturel. C'est, en bref, le savoir de son temps et de son milieu, qu'il a reçu et perfectionné par ses efforts.et son talent.

• M i e u x penser et agir

Par comparaison, ce qu'Andrenio assimile n'est pas tout ce qu'il entend et voit dans ce qui lui est enseigné; c'est plutôt ce qui lui plaît, ce qu'il saisit le mieux, ce qui l'attire et qu'il trouve utile ou qui lui semble pouvoir lui servir éventuellement à quelque chose. Sa capacité d'engranger de l'information dans son esprit en sommeil dépend principalement de son attention, laquelle dépend (du moins au début) d'un ensemble complexe de qualités et de défauts divers, dont un élément est plus saillant et mobile que l'autre : vivacité ou curiosité, amour du confort ou paresse, égoïsme ou conformisme, volonté - qui comprend nécessairement l'intelligence - et ce qui est essentiel, la connaissance acquise pendant les jours de liberté et de choix non entravé. Le savoir d'Andrenio est aussi un savoir personnel, individuel : un savoir tout à fait sui generis. Il y a ici, en fait, deux formes superposées de savoir.

En d'autres termes, Andrenio a reçu une instruction supplémentaire (peut-être, pendant longtemps, une simple illustration) qui a recou-

Oialogue et continuité dans la science 299

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vert son premier fonds de connaissances, le savoir initial qu'il a acquis sans théories ni conseils, dans le milieu naturel, grâce à son instinct animal et à sa raison rustique, par l'observation, le plaisir et la douleur. Le principal facteur de son comportement ultérieur - son savoir premier, originel - aura un caractère dominant. L'enseignement qu'il aura reçu aura un caractère récessif et c'est seulement le cours des ans, le contact continu avec la civilisation et les rapports avec ceux qui lui appartiennent et en suivent les coutumes, qui renforceront graduellement sa capacité de penser et d'agir.

Andrenio et Critilo, deux personnages ima­ginaires rendus célèbres par Menéndez Pelayo, Schopenhauer et d'autres écrivains estimés, constituent à l'origine deux pôles opposés et à la fin deux lignes convergentes. Ils repré­sentent, à m e s yeux, deux types humains tout à fait modernes, maintenant que les masses ont accès aux domaines de la science et de la culture qui leur étaient fermés dans le passé. Ces deux types d'individus se trouvent chaque jour face à face, avec leurs conceptions diffé­rentes de la vie. Certains sociologues et le grand public en sont venus à voir dans cette confrontation un problème de générations. Mais il y a une différence : ceux qui pensent c o m m e Andrenio sont plus nombreux aujour­d'hui, alors que, précédemment, ceux qui pensaient c o m m e Critilo étaient la majorité.

Hier, Critilo supportait Andrenio mais, aujourd'hui, sa conduite l'exaspère; hier, Andrenio, qui paraissait soumis, dissimulait sa ruse, tandis qu'aujourd'hui le formalisme de Critilo l'irrite. Il y a effectivement un pro­blème de générations, mais non entre généra­tions actuelles. Deux ou trois générations devront passer avant que les deux attitudes à l'égard de la vie trouvent place dans un système c o m m u n de pensée et d'action. Beaucoup des Critilo d'aujourd'hui ont été hier des Andrenio en ce qui concerne tant les rapports familiaux que la façon de voir personnelle.

Deux styles de vie différents

Critilo et Andrenio. Le premier représente le savoir classique, le comportement impeccable; il prend son temps, est méticuleux et s'est développé dans les limites de ses connais­sances. Il a une ferme volonté, une intelligence brillante, des goûts raffinés; il ne m a n q u e pas de générosité mais il est vaniteux, hautain et sûr de son influence (bien qu'il soit moins

influent qu'il le croit). Il ne descend de son piédestal que s'il se trouve vraiment en difficulté ou s'il essuie de graves mécomptes ; cela lui ouvre les portes de la cordialité, par lesquelles il donnera et recevra beaucoup. Pour parodier les psychanalystes, nous pouvons dire que Critilo présente le « complexe de Gracián », car la personnalité de son créateur se reflète en lui.

Le second personnage, qui n'est nullement fustigé par Gracián, représente le bon sens pratique. Les formes impatientent Andrenio et le laissent indifférent; il préfère l'essence à la méthode, car la première est une nécessité et la seconde un luxe. Il ne se fie qu'aux impulsions, fléchit devant les difficultés et s'épanouit quand il triomphe. Rustre dans ses propos et brusque dans les controverses, il est plein du désir de réussir mais moins prêt à agir. Atable, c'est un épicurien. Il est circonspect et prudent. Il flatte les puissants mais il se réfugie parmi la foule qu'il essaie de diriger. Ayant grandi dans un milieu qui n'était pas propice à l'effort intellectuel - pas nécessaire­ment inculte, modeste ou pauvre, mais souvent aisé et néanmoins simplement matérialiste -il est ébloui par I'« omnipotence » de la science. Cependant, il finit par découvrir après de nombreuses expériences purificatrices que l'estime de soi et le succès qui résulte du savoir se trouvent au point de rencontre du mérite personnel et de l'appréciation d'autrui.

Pour revenir à notre parodie de la recher­che psychologique, Andrenio représente le complexe du consommateur moderne qui devrait refréner ses impulsions, m ê m e si elles peuvent être utiles dans certains aspects de la vie scientifique et culturelle, ou les réserver pour la rue, parce que sa conduite trahit, pour employer le langage ironique d'Einstein, un < complexe de plante grimpante ». Mais les plantes grimpantes ne constituent pas une forêt, ni une science.

Critilo et Andrenio n'en représentent pas moins deux styles de vie, deux types de savoir, deux forces complémentaires qui se rapprochent dans l'unité de la connaissance, grâce à l'harmonie dans le dialogue. La paix et la compréhension entre les h o m m e s résident dans l'harmonie qui consiste à savoir communiquer, de m ê m e que le bonheur doit être trouvé dans l'harmonie qu'est le fait de savoir vivre en paix. Il existe aussi une harmonie dans le dialogue entre la vie et le savoir : tandis que la vie devient insipide sans le plaisir de savoir, le savoir est enrichi par une vie pleine et n'a

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aucune force sans la vie, sous ses milliers d'aspects.

Et parce qu'il y a beaucoup de modes de vie, il existe de nombreuses formes de savoir. D'où l'harmonie dans le dialogue et dans les ressemblances entre le savoir et la vie orga­nique, reflet fidèle du développement de la vie intellectuelle. Vie et savoir, d'origine atavique - provenant, l'une, d'un germe et, l'autre, d'une idée première - présentent un parallélisme parfait dans leurs activités, leur développement, leur diversité, leurs rapports, leur continuité et leur évolution.

La vigueur du savoir

Avec sa pluralité d'expressions, ses réalités fantastiques et ses secrets, avec sa richesse de pensée et ses nombreux accomplissements, dont les facettes infinies et multicolores scin­tillent parmi les multiples rouages qui consti­tuent le mécanisme complexe du savoir, la culture est aussi variée que les espèces qui peuplent la Terre. C o m m e les espèces, la culture est créée, renouvelée, détruite; elle tombe malade, guérit, évolue vers de nouvelles formes et expressions. N'étant pas la propriété de l'individu, elle appartient à l'ensemble de la collectivité. Elle va et vient, et rassemble des h o m m e s différents par la mentalité, qu'elle remplit d'idéaux c o m m u n s , tout c o m m e la combinaison des arbres, des buissons, des fougères, des fleurs et des oiseaux remplit de vie les bois. Néanmoins, c o m m e la vie de l'oiseau ou de l'arbre, le savoir est aussi indivi­duel. D e m ê m e que Critilo et Andrenio, chacun a son genre de savoir.

Chez certains, le savoir est vigoureux, chez d'autres, il est faible, tandis que chez d'autres encore, il est maladif; car le savoir est nourri par le flux de l'expérience et il subit l'influence de l'environnement selon des lois tout à fait authentiques et semblables à celles qui régissent l'écologie et la nutrition des espèces vivantes. Certains se nourrissent de savoir avec anxiété, d'autres ont une simple faim de savoir; certains n'ont aucun appétit, d'autres ressentent des nausées. Le savoir revigore certains et leur donne une force accrue; les indolents attendent passivement d'en recevoir les reflets et d'autres se mettent à l'abri de ce qu'ils considèrent c o m m e ses rayons nocifs.

C e que chaque personne tire de son savoir dépend de l'effort accompli, de la nourriture reçue et des caractéristiques du milieu. L'effort physique produit l'athlète, l'effort intellectuel

le savant; mais il y a de nombreux degrés de prooesse physique entre l'athlète et l'individu chétif, et de connaissance entre le savant et l'ignorant. C'est ainsi que dans l'écologie et dans la pluralité et l'individualité m ê m e s du savoir, il est possible de discerner de multiples m o d e s de connaissance. Il existe des savoirs primitifs, supérieurs ou sublimes, des savoirs locaux, nationaux, continentaux ou universels, des savoirs c o m m u n s ou érudits, des savoirs intellectuels, artistiques, artisanaux ou c o m m e r ­ciaux, le savoir du hors-la-loi et m ê m e celui de l'ignorant. A u s o m m e t , au-dessus de toutes ces formes, se trouve la plénitude du savoir.

• Savoir et dialogue

Plénitude du savoir : une multitude de formes différentes de connaissance qu'aucun être humain ne peut maîtriser. C'est pourquoi la sagesse ne consiste pas à maîtriser, ou m ê m e à essayer de maîtriser toutes les branches du savoir ni m ê m e à en maîtriser quelques-unes; chacun doit cultiver sa part de savoir. C'est là que la science et la culture sont fermement unies. Et cela ne peut être obtenu que par la force de la parole et de l'écrit, gouvernés par la raison consciente et présentés avec courtoisie et compréhension. Tel est le sens du don de l'expression qui se manifeste dans le dialogue mesuré. < U n dialogue, a dit Antonio M a c h a d o , suppose que l'on pose d'abord une question et que l'on écoute ensuite. » Et j'ajoute, c o m m e je l'ai fait dans d'autres occasions : « Après cela vient le raisonnement sur la base des raisonnements des autres. »

Dans l'ordre naturel du savoir, le dialogue est nécessaire pour régler le rythme du progrès et pour stimuler l'extension de la culture. Mais cette forme de compréhension acquiert sa plus haute valeur dans la science, ce grand accomplissement du savoir, qui est peut-être aujourd'hui la plus universelle et la -plus spécialisée de toutes les branches du savoir. C'est parce que la science recherche la vérité par la détermination systématique d'innombrables vérités partielles dans le domaine de l'absolu.

Ainsi, le dialogue occupe une large place dans le processus de la création scientifique et devient finalement un des trois traits essentiels de l'activité scientifique, qui sont la curiosité, l'expérimentation et le dialogue. Le dialogue ne se trouve pas seulement dans les congrès, les colloques et autres réunions, ni dans les visites et les échanges entre scientifiques. Il

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existe sous la forme de contacts quotidiens dans les laboratoires, m ê m e dans, le silence d'une expérience, quand les yeux se substi­tuent aux oreilles et les gestes aux paroles. O n le trouve dans le silence de l'exemple, dans les modèles muets de travail bien fait, dans la mille et unième répétition de la m ê m e expé­rience. A vrai dire, le scientifique débutant doit apprendre, outre la science, l'art d'être patient. Louis Pasteur, paralysé du côté gauche à l'âge de quarante six ans, a entretenu un dialogue quotidien avec ses assistants pendant vingt ans, dirigeant patiemment le déroulement des recherches qui ont conduit à ses découvertes les plus célèbres.

La communication directe par lettres est aussi un dialogue, c o m m e la lecture attentive de livres et d'autres documents, et l'interpré­tation des diverses formes de données graphiques qui figurent dans les publications scientifiques. Lorsqu'un auteur expose à ses lecteurs ses expériences et ses impressions personnelles, il leur donne la possibilité de dialoguer avec lui et de recevoir son enseigne­ment. Cette possibilité ne dépend pas de la proximité relative, car la communication peut s'établir à des milliers de kilomètres de distance et à travers plusieurs siècles. « Les sages de jadis, nous dit Gracián, sont toujours vivants et nous parlent chaque jour dans leurs écrits éternels. » Quand nous lisons, nous écoutons et, quand nous relisons, nous posons des questions. Et je m e rappelle qu'un illustre collègue, Robert N . G o o d m a n de l'Université du Missouri, m ' a dit dans m o n laboratoire combien il aimait rencontrer les chercheurs sur leur lieu de travail, car c'est un des meilleurs moyens d'arriver à connaître et à comprendre une personne.

< Les gens ne peuvent pas ne pas avoir quelque langage c o m m u n pour exprimer leurs besoins et leurs goûts », pense Critilo. Il se propose d'apprendre à Andrenio à parler et de partager avec lui son savoir. « En parlant, les sages engendrent d'autres sages et, par la conversation, nous acquérons insensible­ment la sagesse », affirme Critilo; et Andrenio saisit ce qu'il veut dire. Critilo et Andrenio parlent la m ê m e langue, dans le cadre du m ê m e savoir : le langage c o m m u n découle du savoir c o m m u n .

• Jeunesse, âge et communicat ion

Le m o n d e de la science a besoin d'un langage c o m m u n ainsi que d'un savoir c o m m u n pour

son activité'créatrice et pour transmettre la création. Je pense ici au langage de la sincérité, que la recherche de la vérité requiert et que le culte de la vérité exige - et qui devrait être employé par toute personne digne d'estime qui aspire à guider la pensée scien­tifique. Le langage de Socrate, serein et raisonnable, luttant pour la vérité, est le seul qu'un h o m m e de science, quels que soient son âge ou sa situation, puisse utiliser pour dialoguer et transmettre le flambeau dans la course du relais. (Le sort de Socrate n'a pas d'importance, car de nombreux autres exemples ont montré au cours des siècles qu'une telle destinée est la meilleure preuve de la fidélité dans l'action et dans la trans­mission du flambeau.)

N o n , il n'y a pas de dialogue si l'on ne parle pas la m ê m e langue. Le dialogue est une porcelaine fragile qui se brise facilement quand l'égoisme l'emporte, quand l'honneur fait défaut, quand la confiance est trahie, quand l'intransigeance règne et quand le dogmatisme triomphe. Il est difficile de dialo­guer avec les êtres hautains, vaniteux, envieux ou impatients; avec ceux qui croient avoir le don d'ubiquité et peuvent être en m ê m e temps au service de la politique, de l'administration et de la science. Le dialogue est impossible avec ceux qui, au lieu de servir la science, se servent d'elle. Diaz Pines rappelle, dans un petit livre qui a été publié récemment, ces paroles du poète allemand Schiller : « Pour certains, la science est une déesse céleste et, pour d'autres, elle est la vache qui leur donne du lait et du beurre. »

Le chemin que doit suivre la science pour avoir quelque efficacité est sujet à controverse et, lorsqu'une controverse survient, les esprits peuvent s'échauffer. U n e situation désagréable peut être ainsi créée, mais elle ne devrait pas durer longtemps si la controverse a opposé des h o m m e s de science honorables et c o m p é ­tents. L ' h o m m e de science honorable, celui qui parle vraiment le langage de la science, justifie par des raisons valables ce qu'il croit savoir et comprendre; il ne s'abaissera jamais à l'emploi d'une argumentation fausse. Bien plus, s'il est convaincu de son erreur, il saura accepter la défaite avec noblesse. Ainsi, la controverse peut accroître la valeur du dialogue.

Quand je parle de la transmission du savoir, élément créateur qui s'étend insensiblement dans toutes les directions, je ne mets pas l'accent sur la transmission de génération en génération. C'est parce que nous avons

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tendance, en parlant de générations, à penser aux différences d'âge, à distinguer les jeunes et les moins jeunes, les vieux et les moins vieux - ce qui est une erreur. La force du savoir est sans âge. L'âge n'a pas d'importance. Jeunes et vieux sont également utiles s'ils s'appliquent de la m ê m e façon. U n e intelli­gence de premier ordre ne vieillit pas. Elle reste fraîche et neuve, se développe avec le temps selon le rythme de la raison et du travail créateur, et par l'expérience acquise.

La mort a emporté Archimède à 75 ans, tandis qu'il travaillait encore. Einstein est mort à 76 ans. Cicerón a péri de mort violente à 73 ans, alors qu'il combattait encore par la parole, avec les armes de son habile dialec­tique. Socrate avait 71 ans au m o m e n t de sa fin cruelle. Platon est mort à 81 ans (pendant qu'il était occupé à écrire), Aristote à 6 2 ans, Goethe à 83 ans, Tolstoï à 82 ans. L'aveugle

Milton a été surpris par la mort à 66 ans. R a m ó n y Cajal a disparu à 84 ans (alors qu'il corrigeait un manuscrit) et son brillant disciple Fernando de Castro est mort dans les m ê m e s circonstances à 72 ans. Copernic a atteint 70 ans. Pasteur 73 ans, Picasso plus de 90 ans et Goya plus de 80 ans (il venait d'achever son chef-d'œuvre, La laitière de Bordeaux). Le génie ne vieillit pas. La créativité exige peut-être la lente action du temps pour que le génie porte ses fruits, grâce à la perfec­tion constante de la pensée et à une observa­tion plus aiguë.

• Le savoir é c h a p p e à la sénescence

Toute création, y compris la création scien­tifique, est l'œuvre d'une vie entière. L'activité créatrice peut nécessiter la collaboration d'une équipe spécialisée. Le temps et l'équipe sont

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en raison inverse : meilleure est l'équipe et moins il faut de temps. Dans The act of creation (1964) (dont la traduction française s'intitule Le cri d"Archimède), Koestler cite une étude statistique de L. Moulin dont il ressort que l'âge m o y e n auquel on reçoit un prix Nobel est de 51 ans. Autrement dit, le talent créateur du scientifique semble se manifester plus tôt que celui de l'artiste ou de l'écrivain ; en règle générale, le scientifique atteint l'apogée de sa faculté d'invention avant 4 0 ans.

Il se peut qu'il en soit ainsi. Mais les facteurs qui entrent en jeu dans la création, la d é m o n s ­tration et la diffusion (pour ne pas parler de l'acceptation) d'une idée sont si nombreux et si variés et il existe proportionnellement si peu de titulaires du prix Nobel que l'âge auquel ils ont obtenu leur prix ne m e paraît pas être une base suffisante pour pouvoir formuler des affirmations aussi catégoriques. Et je ne pense pas que Copernic, dont les idées ont attendu 150 ans avant d'être acceptées, ou Mendel, dont les idées sont devenues acceptables 35 ans après leur publication (et 16 ans après la mort du généticien), soient des exceptions à cette règle curieuse.

Pensons aussi à ceux qui n'ont pas de génie, aux êtres ordinaires qui ont la volonté de continuer à étudier et à produire quoti­diennement, exploitant jusqu'à un âge avancé leur esprit pénétrant et fécond. Nous rencon­trons partout des exemples de ces h o m m e s et de ces femmes de tout âge et de toute condition, qui ignorent l'égoîsme et qui sont les véritables porteurs de la flamme du savoir.

Le savoir cependant ne vieillit pas et ne connaît pas de repos. Parce que la pire maladie de l 'homme consiste à traverser le temps à la rencontre de la vieillesse, il faut cultiver et dispenser le savoir. Lorsque vient le temps, le savoir ne peut pas être le bâton de vieillesse sur lequel s'appuie un Andrenio décrépit et inutile. Il devrait être plutôt le bâton de la vieillesse créatrice, celui qui est donné à Critilo pour le récompenser de ce qu'il a appris, enrichi et transmis par le dialogue, ce dialogue constructif et sublime qui faisait dire à Socrate : « Voyons, [cher ami, si tes pensées sont semblables aux miennes, car de là sortiront, je le crois, des lumières qui nous éclaireront dans notre recherche... »

• R o m á n de Vicente

Román de Vicente, docteur en biologie. s'intéresse à l'histoire et à la philosophie des sciences, ainsi qu'aux relations entre enseignant et disciple à la fois dans la recherche et dans l'enseignement des sciences. It est actuellement professeur à /'Instituto Jaime Ferren de Microbiologia, Joaquin Costa 32, Madrid 6 (Espagne).

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La jeune génération et la « crise de la science » Lech Witkowski

Contrairement à ce que son titre pourrait faire croire, l'article qui suit s'efforce de

substituer une attitude positive à l'état d'esprit antiscientifique qui est actuelle­

ment de mise, surtout chez les jeunes des pays très industrialisés, et qui consiste

à rendre la science et la technologie responsables de presque tous les maux de

l'humanité, en les accusant de réduire l'homme à l'esclavage et de le vouer à l'anéan­

tissement - idées qui s'expriment par la révolte et par des appels anarchistes en

faveur du retour aux sources. Ce serait commettre une erreur de Jugement et faire

gravement injure à l'ensemble de la jeunesse que de croire que ces voix militantes

expriment l'opinion de la jeune génération tout entière.

Il est inexcusable de laisser la génération qui nous succédera

aussi profondément ignorante et aussi dénuée de compréhen­

sion et d'esprit de solidarité que nous le s o m m e s nous-

m ê m e s . C . P. S n o w

Je commencerai par préciser qu'une attitude c positive » n'est pas pour autant une attitude aveugle : il serait en effet difficile de nier l'existence de nombreux phénomènes inquié­tants tels que : a) la menace que l'avancement de la science fait peser sur tout le genre humain; b) les problèmes nouveaux créés par la science dans la vie quotidienne de l 'homme; c) l'incapacité où se trouve la science de résoudre les problèmes et de satisfaire les besoins actuels au fur et à mesure qu'ils apparaissent; d) son attitude d'isole­ment et le cloisonnement qui se manifeste à l'intérieur m ê m e de chacune des disciplines qui la composent; e) le fait que personne, à commencer par l 'homme de science, n'est capable de suivre la cadence à laquelle est produite l'information scientifique.

Je pense néanmoins qu'une réflexion appro­fondie des caractères de notre époque, et par conséquent de la science [1] l, ne conduit pas nécessairement à un pessimisme sans nuance ou au refus de la science ; les problèmes dont on rend celle-ci responsable lui sont souvent étrangers, mais un lien intime les unit. Ce lien, ce sont les h o m m e s de science et leur éthique qui le créent. C'est là qu'il faut chercher l'origine de beaucoup des tensions provoquées par la présence de la science dans notre vie. Je vais essayer de démontrer qu'il faut mettre en cause l'état actuel de la science, et m'efforcer en m ê m e

1. Les chiffres entre crochets renvoient aux notes à la fin de cet article.

Impact ; science et société, vol. X X V (1975), n° 4 305

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temps d'évoquer les moyens qui pourraient la régénérer.

Je préciserai encore un point : ce n'est pas un hasard si, proposant un substitut positif à l'attitude de la jeunesse envers la science, je vais citer des opinions exprimées par des membres des générations précédentes ; en effet, je m e suis aperçu que c'est là, dans la pensée des plus grands esprits de ce temps, que se trouve la solution.

Reconnaissons tout d'abord que le X X s siècle a fait définitivement justice d'un certain • nombre de mythes touchant le développe­ment. Désormais, on ne considère plus le progrès des techniques et le développement économique c o m m e des fins en soi, en faisant abstraction de leurs conséquences et sans chercher à savoir à qui ils profitent O n a cessé d'admettre que le développement scien­tifique devait bénéficier d'une priorité absolue et inconditionnelle; son influence sur la vie est trop profonde; elle se fait sentir non seulement sur les individus, mais sur des sociétés entières et m ê m e , en définitive, sur toute la civilisation, c o m m e c'est le cas pour la pollution de l'environnement.

Cependant, contrairement à ce qu'on pense généralement, le progrès scientifique et l'accé­lération qu'il provoque dans le rythme de l'existence constituent moins un déni et une menace pour les valeurs humanistes et les idéaux humains qu'une preuve de l'importance que revêt une conception humaniste du progrès et des risques que peut présenter son absence, les frayeurs que provoque la dévastation de l'environnement ayant montré qu'on ne doit pas se lancer dans des entreprises techno­logiques sans en peser les conséquences dans les domaines autres que celui de l'éco­nomie, et que le bien-être d'une société dépend aussi de la qualité de l'environnement où elle vit.

O n notera aussi que, dans un m o n d e où les h o m m e s de science (par exemple les géné­ticiens) arrachent des secrets à la nature et apprennent à la manipuler, et où la société est structurée et organisée de telle manière qu'elle engendre des groupes (par exemple les h o m m e s politiques) dotés d'immenses pouvoirs et' de vastes possibilités d'action, la valeur morale de ces individus prend une importance qu'elle n'avait jamais eue aupara­vant. A la vérité, cette constatation découle d'une évidence : presque toutes les activités humaines peuvent être détournées de leur fonction légitime et mises au service du mal.

Or la science a accru considérablement les moyens dont on dispose pour faire le bien ou le mal. Rapidité et spécialisation caracté­risant tous les domaines de l'existence, les relations humaines doivent de plus en plus se fonder sur la confiance et le crédit qu'on accorde à l'honnêteté, à l'intégrité, à la loyauté, à la sincérité et à la compétence d'autrui. Il faut donc d'autant plus nous pénétrer de l'idée que tout ce que nous exigeons des institutions, des organisations et des pouvoirs publics - voire de la science elle-même — nous devons aussi l'exiger des éléments individuels qui les composent.

L'attitude qu'adoptent les h o m m e s de science tant à l'égard de la science que des gens qui les entourent - c'est-à-dire de la société - influe directement sur la place qu'occupe la science dans cette société. Très souvent, c'est précisément cette attitude qui expose la science au risque d'être utilisée à des fins contraires aux intérêts de l 'homme.

• U n problème moral

Prenons l'exemple des rapports entre la science et la politique [2]. Ici se pose le problème de l'importance morale du rôle que doit jouer l 'homme de science face aux responsables politiques. C'est désormais un lieu c o m m u n de dire que, m ê m e avec la meilleure volonté du m o n d e , les h o m m e s politiques ne peuvent prémunir la société contre les erreurs qu'ils courent le risque de commettre s'ils ne possèdent pas le savoir indispensable. Ils doivent donc agir en collaboration avec les h o m m e s de science, car c'est le seul moyen pour eux d'accéder aux connaissances dont ils ont besoin.

Mais, dans certains cas, les h o m m e s poli­tiques ne cherchent pas à obtenir des h o m m e s de science une information objective; ils leur demandent seulement d'avaliser leurs décisions et d'apporter la caution de la science et des actes qui, en réalité, se justifient fort peu sur le plan scientifique. O n a vu aussi des savants disposés à légitimer, quand on le leur d e m a n ­dait, n'importe quelle thèse qui faisait l'affaire du pouvoir établi, sans se soucier de l'abus dont ils se rendaient complices au détriment de la .science. O n a vu assez souvent deux opinions antithétiques ou deux idéologies antagonistes se réclamer simultanément de fondements scientifiques [3] ; on ne s'aviserait pas non plus de contester l'affirmation de Stephen Cotgrove selon laquelle « la tradition

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remonte loin, qui cherche à justifier l'inégalité, le conflit, la hiérarchie, la domination et la concurrence en appliquant, de façon sommaire, des notions biologiques à la dynamique sociale » [4].

D e m ê m e , N o a m Chomsky fait observer que « les élites politiques utilisent la termino­logie des sciences sociales et des sciences du comportement pour soustraire leurs actions à l'analyse critique » [5],

Compte tenu de ces remarques, il est évident que les réponses données à deux questions : c L ' h o m m e de science a-t-il le droit de s'abstraire de la réalité et de se mouvoir uniquement dans l'univers des concepts? », < N e doit-il pas chercher à savoir comment les résultats qu'il obtient sont appliqués et interprétés hors du domaine scientifique, ou simplement dans une autre discipline que la sienne? » - et. partant, la position adoptée quant à l'éthique du savant - ont un rapport direct avec les possibilités d'utilisation abusive de la science.

O n pourrait aisément citer bien d'autres exemples de cette interrelation. Le défaut d'humilité et un sentiment déplacé de supé­riorité enfantent des technocrates qui perçoivent des structures, des modèles et des stéréo­types, mais ne voient pas la place qu'y occupent les individus, alors que les problèmes du m o n d e moderne, m ê m e ceux qui semblent purement techniques, sont indissolublement liés aux valeurs et aux aspirations humaines.

Rien ne prouve du tout que cette attitude, ce mépris des obligations envers l'individu et la société, encore répandus et considérés c o m m e normaux par de nombreux h o m m e s de science, procèdent de la nature m ê m e de la science. Bien au contraire, les plus grands savants considèrent que cette attitude est la négation m ê m e de l'esprit scientifique. En voici des exemples :

Eugène P. Wigner (prix Nobel de physique 1963) :

« Je combats l'idée que les scientifiques forment une caste privilégiée. Ils ont les m ê m e s obligations sociales et politiques que les autres membres de la société. C'est seulement lorsqu'ils sont mieux informés sur une question que la plupart de leurs concitoyens qu'ils ont l'obligation ' spéciale ', et le privilège de communiquer leur savoir [6]. »

Et, un peu plus loin dans le m ê m e article : « J'espère du moins que les scientifiques, h o m m e s et femmes, sauront demeurer

modestes. Nous ne devons pas dicter aux autres leurs désirs, ni décider de leurs plaisirs. »

Jan Tinbergen (prix Nobel d'économie 1966) : « Les scientifiques ne devraient pas ignorer l'utilisation qui peut être faite de leurs travaux, et ils devraient se demander s'ils l'approuvent; dans la négative, il ne leur resterait plus qu'à chercher un autre emploi. D e façon plus générale, le scientifique devrait jouer un rôle actif dans la vie poli­tique, c o m m e citoyen d'abord, et parfois en qualité de scientifique [7]. »

Alfred Kastler (prix Nobel de physique 1966), à qui l'on demandait s'il pensait que les scientifiques avaient le devoir de faire connaître à la société les résultats nuisibles éventuels que risque d'entraîner l'application pratique de leurs découvertes, répondait :

« Oui. Mais... ils doivent être prudents, veiller à l'objectivité, éviter toute surenchère sentimentale [8]. »

M Essayer d e c o m p r e n d r e

Le grand Albert Einstein, à qui l'on demandait si les h o m m e s de science devaient axer leurs travaux sur des fins pratiques ou s'attacher seulement à l'idéal abstrait de la recherche de la vérité, a répondu :

« Pour m a part, l'aspiration à la connaissance est l'une de ces fins absolues sans lesquelles aucun être pensant ne peut adopter une attitude consciente et constructive devant l'existence. D e par sa nature m ê m e , cette soif de savoir apparaît c o m m e un effort à la fois pour embrasser l'expérience dans toute sa complexité et pour découvrir une hypothèse fondamentale, simple et économique. Qu'il soit possible de faire coexister ces deux objectifs, c'est là pour nous, à ce stade primitif de nos recherches scientifiques, un article de foi [c'est moi qui souligne, L W . ] . Sans une telle foi, je ne saurais avoir, pour m a part, la convic­tion ferme et inébranlable de la valeur absolue de la connaissance [9]. »

Trop de ceux qui se considèrent c o m m e des h o m m e s de science n'ont malheureusement pas assez médité cette profonde pensée d'Einstein; et Régis Jolivet a certainement raison d'affirmer que les h o m m e s de science sont e u x - m ê m e s en grande partie responsables de la confusion qui règne dans leurs disci­plines [10].

Stephen Cotgrove exprime lui aussi cette

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idée avec force : « Il est difficile d'en vouloir à la science si certains de ses chauds partisans essayent de s'annexer la culture humaine. Si certains h o m m e s de science ont vu dans la science un moyen de favoriser l'avènement du m o n d e dont ils rêvent, d'un m o n d e où 'la liberté et la dignité' seraient oubliées, ou dans lequel les impératifs biologiques se substitueraient à la recherche - maladroite et désordonnée peut-être - de l 'homme qui cherche un sens et une finalité à son existence, ils ne doivent pas s'étonner que cette mentalité 'anti-scientifique' pousse certains non-scien­tifiques à avancer de puissants arguments contre la science [4]. »

L'une des cibles principales des attaques dirigées contre la science est la conviction qu'ont presque tous les h o m m e s de science que celle-ci doit être indépendante et affranchie de toute orientation extérieure. Les accusateurs les plus véhéments imputent à la science elle-même les conséquences de cette attitude sans songer qu'il faut chercher la clé du problème ailleurs, dans l'éthique des h o m m e s de science. A la vérité, m ê m e eux n'arrivent pas à suivre les changements provoqués par leurs travaux et leurs découvertes et continuent à raisonner en fonction de catégories qui ne correspondent plus à la réalité de la situation qu'ils ont e u x - m ê m e s créée.

D e m ê m e que la nécessité de préserver l'environnement naturel de l 'homme nous a fait comprendre qu'il fallait réviser notre conception de la technologie et a révélé - ce dont personne ne s'était avisé jusqu'ici -son interrelation essentielle avec l 'homme et son environnement; de m ê m e l'influence de la science sur tous les aspects de la vie, qui transcende la capacité d'adaptation de l 'homme, a montré la nécessité de donner à la science sa vraie dimension en la haussant au rang d'une activité centrée sur l 'homme. Il ne s'agit pas d'invoquer un anthropocentrisme qui remettrait en honneur la vision médiévale du m o n d e , mais de faire en sorte que la science retrouve sa véritable place, celle d'une activité humaniste qui proclame la grandeur de l 'homme aux prises avec les mystères de l'univers.

Si l'on étudie de plus près la nature de la science, on s'aperçoit qu'elle a été déshuma­nisée — c'est-à-dire dépouillée de ses valeurs humanistes - par l 'homme lui-même, dans sa quête aveugle de profit et de pouvoir, qui risque aujourd'hui de le conduire à sa perte. Les h o m m e s de science ont beaucoup contri­

bué - souvent sans le vouloir - à créer cet état de choses, et il est grand temps que leur conscience s'éveille. Les plus grands d'entre eux, c o m m e le montre l'exemple des lauréats des prix Nobel, l'ont parfaitement compris. Le problème est de savoir quel devrait être le modèle de l 'homme de science et c o m m e n t < il conviendrait de redéfinir actuellement sa mission.

• Orientation de la recherche

D e nombreux problèmes du m o n d e moderne appellent une action immédiate. Il faut donc orienter la recherche dans certaines directions. Néanmoins, il n'y a aucune contradiction entre la liberté de la recherche et l'encadrement du développement scientifique par l'attribution de priorités et de missions ; le fait est simple­ment que cela ne correspond pas au modèle actuel du savant. Admettre la liberté de la recherche scientifique, ce n'est pas accepter que les h o m m e s de science soient libres de toute contrainte et soient déchargés de toute responsabilité quant à l'orientation de leurs travaux, aux méthodes qu'ils emploient ou à toutes les conséquences, prévues ou impré­vues, de leurs découvertes [11]. Il n'est que d'évoquer l'appel célèbre lancé par un certain nombre de généticiens américains [12] pour se convaincre que cette opinion ne contredit en rien le concept de science; seuls la sensibi­lité et le réalisme de chacun décideront de l'acceptation ou du rejet de ce concept.

Une chose est sûre : le m o n d e ne peut se permettre de souscrire à une nouvelle version, quelle qu'elle soit, de la profession de foi des fanatiques de la justice absolue, qui substituent la science à la justice : pereat mundus, fiat scientia (qu'advienne la science, dût le m o n d e en périr) [11].

Dans ce contexte, l'opinion de John Ziman prend une valeur particulière. Proposant de redéfinir l'idéal de l 'homme de science, pour le rendre davantage responsable de ses actes, il écrit en effet : « La responsabilité sociale n'est pas une matière du programme... Il s'agit au contraire d'une attitude d'esprit, d'une forme de sensibilité inhérente au système d'enseigne­ment, aux relations personnelles, à la politique institutionnelle [13]. »

O n notera, à ce propos, que les opinions exprimées dans le présent article généralisent et développent la thèse de Harold A . Foecke [14], selon laquelle les ingénieurs sont responsables des effets de l'application des découvertes

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scientifiques, et qu'il faut considérer les projets technologiques dans leur: contexte général humain et social. Cela dit, la distinction qu'il fait entre les ingénieurs, qui s'occupent d'application, et les « scientifiques purs », qui parcourent les étendues encore inexplorées ' des abstractions, est artificielle et erronée, car la frontière qui les sépare devient de plus en plus floue. Surtout, ce n'est pas parce que la science « peut être utilisée pour faire le bien ou faire le mal » qu'elle « est, par nature, amorale » (ce qui dégagerait ses adeptes de toute responsabilité).

A u contraire, cela prouve simplement que le modèle moderne de l 'homme de science - indifférent à la réalité, isolé du reste du m o n d e - est inacceptable précisément parce que l 'homme de science court le risque de devenir, à son insu, un instrument entre les mains de divers groupes politiques poursuivant des buts et des idéaux qui leur sont propres. Archimède et Léonard de Vinci avaient tous deux mis leur talent et leur savoir au service de leurs maîtres, mais il a fallu attendre le stade actuel du progrès scientifique pour voir combien cette attitude était immorale et inadmissible - on imagine aisément c o m m e n t aurait tourné la deuxième guerre mondiale si quelque « scientifique pur », spécialiste de la fission de l'atome et capable de fabriquer une b o m b e A , avait offert ses services aux nazis.

Cependant, Foecke a raison de dire que « la solution des problèmes humains de tous ordres » doit « répondre à une inspiration humaniste », et que « les solutions humanistes ne peuvent être trouvées que par des h o m m e s de métier, nourris de la tradition humaniste, fidèles aux idées humanistes, disposant de l'information technique nécessaire et voués à l'étude des problèmes de ce genre ».

• Les savants et les g e n s d e bien

Toute réflexion sur le rôle et la position de la science dans la société conduit inévitablement à s'interroger sur l'action et les effets du savoir sur l 'homme. Il fut un temps où la science était élitiste, et où l'on pensait que le savoir suffisait à ennoblir l 'homme, qu'il le rendait meilleur. Plus tard, au Siècle des lumières, on a émis, sur la validité de cette conception, des doutes qui ont trouvé leur expression la plus célèbre dans le fameux Discours sur les sciences et les arts, de J.-J. Rousseau, où on peut lire : « Depuis que les savants ont

c o m m e n c é à paraître parmi nous,... les gens de bien se sont éclipsés... [15]. »

A u siècle dernier, la science a fait boule de neige, et tant de phénomènes inquiétants se sont manifestés dans la vie quotidienne que peu d'esprits se risqueraient aujourd'hui à affirmer qu'elle ennoblit. Albert Schweitzer, ce grand humaniste de notre temps, est allé jusqu'à dire que le progrès des connaissances et des techniques n'a fait progresser l'huma­nité que dans les domaines qui ne touchent pas à l'essentiel, et que l'essentiel était de devenir des êtres humains meilleurs et plus profonds [16].

En les rapprochant de l'affirmation de Bertrand Russell selon laquelle le progrès du savoir doit s'accompagner d'un progrès de la sagesse pour que la civilisation scientifique soit utile à l'humanité, ces remarques porte­raient à penser qu'il y a là, inévitablement, une antinomie qui hypothèque lourdement l'avenir du genre humain, de sorte que la jeunesse d'aujourd'hui ne peut s'attendre qu'à la catastrophe [17].

Mais, je n'en crois rien; non que ces grands h o m m e s soient dans l'erreur, mais parce qu'il importe de comprendre qu'une analyse des causes de cette grave situation n'implique pas nécessairement le rejet de la science elle-même - tout ce qu'on peut dire, c'est que la façon dont on tire parti de la science à notre époque est de plus en plus inadmis­sible.

Les « militants qui cherchent à améliorer le m o n d e » oublient souvent de faire cette distinction, de m ê m e qu'ils ne comprennent pas, pour citer de nouveau Cotgrove, qu ' « on peut faire remarquer (non sans raison) que la science est et peut être un instrument de répression utilisé contre l 'homme, sans aller jusqu'à prétendre qu'elle est une force qui pousse irrésistiblement le troupeau humain à se précipiter tête baissée vers l'abîme qui le détruira [4]. »

Rien ne saurait arrêter les progrès de la connaissance. L ' h o m m e continuera à apprendre toujours davantage sur lui-même. L'essentiel est donc de faire en sorte que la connaissance l'enrichisse de nouvelles valeurs et l'aide à remporter la victoire sur lui-même.

Bertrand Russell l'avait compris quant il écrivait : « L'univers des valeurs se situe hors du domaine de la science, sauf dans la mesure où celle-ci vise à acquérir des connais­sances... U n e nouvelle morale est nécessaire, où la soumission aux puissances de la nature

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cède le pas au respect de ce qu'il y a de meilleur dans l 'homme. C'est quand ce respect est absent que la technique scientifique est dangereuse. Tant qu'il est là, la science, qui a affranchi l 'homme d'une nature dont il était l'esclave, peut l'aider à se délivrer des restes d'esclavage qui subsistent en lui [17]. »

C o m m e n t donc créer cette attitude nouvelle, plus comprehensive, envers la science? Il faudrait commencer par admettre, semble-t-il, que le concept de connaissance défini c o m m e l'accumulation d'une certaine s o m m e d'infor­mations, et non c o m m e une partie intégrante de la, personnalité constituée au cours du processus par lequel l 'homme se situe par rapport à son savoir, est en contradiction avec le concept humaniste de la science. Cette idée doit donc se refléter dans l'enseigne­ment des disciplines scientifiques et dans la façon dont la science est vulgarisée.

• La connaissance et son but

Tout cela nous conduit à examiner le caractère et le rôle particuliers des universités. Dans presque tous les cas, elles gavent les étudiants de connaissances (c'est-à-dire d'information) sur des « faits scientifiques établis » et leur font assimiler quantité de modèles, de formules et de schémas censés leur être utiles. Il est rare qu'au cours de ces « études » on s'inté­resse sérieusement à la finalité de cet effort ou à la mesure dans laquelle il contribue au progrès de l 'homme.

Cette pratique est si universelle et paraît si naturelle - il est en effet plus facile de résumer un gros volume que de l'analyser assez en profondeur pour juger de la valeur de son contenu - qu'on le considère c o m m e la norme (« Voilà la science qu'il vous fautl »). C e n'est pas de la vulgarisation, dit-on, mais la conséquence naturelle du progrès scientifi­que, de l'accélération du rythme de la vie, etc.

O n rejette encore de façon générale - et à tort - les idées exprimées par John Ziman lorsqu'il dit que « les aspects interdisciplinaire, technologique, historique et économique de nos disciplines scolaires et universitaires doivent faire l'objet d'un enseignement régulier, orga­nisé, coûteux et de longue durée. Nous devons aussi tenir compte des questions politiques et morales qui sont liées à la science... Nous devons multiplier les occasions de discussion et de confrontation sur tous ces problèmes - dans les salles de cours, autour d'une tasse de café, dans les débats, les groupes d'études.

les entretiens universitaires - autant d'apports > vivifiants aux étudiants avant leur entrée dans le m o n d e d'adultes où ces questions se poseront réellement » [13].

L'absence des conditions évoquées par Ziman explique en partie l'existence du « fossé entre les scientifiques et les littéraires purs », cause de ce que C . P. S n o w a appelé les « deux cultures » [18] (voir l'épigraphe).

N'ayons pas peur de la vérité : il y a certaine­ment plus de scientifiques aujourd'hui - et leur nombre ne cesse de croître - que l'huma­nité ne compte d ' h o m m e s et de femmes sages, sensibles et d'esprit droit. Pratiquement, le futur chercheur ne doit réunir qu'un petit nombre de qualifications. Souvent, tout ce qu'on lui demande est d'avoir assimilé une certaine s o m m e d'informations et d'avoir choisi un domaine de recherche suffisamment étroit dans la g a m m e de ses aptitudes - autre raison pour ne pas attribuer un mérite excep­tionnel à ceux qui font profession de science, du moins sous sa forme actuelle, et pour rejeter leur prétention à l'indépendance totale.

Autre constatation : Andrew G . van Meisen évoque les rapports de la science et de la culture en partant du principe que l'évolution historique des sciences physiques et de la technologie a été essentiellement déterminée de l'intérieur, alors que presque toute la science moderne s'est développée sous la pression de forces extérieures toujours plus contraignantes [19]. La pratique qui consiste à entreprendre des recherches sur instruction des h o m m e s politiques, des militaires ou des h o m m e s d'affaires ne date pas d'hier. La recherche scientifique a partie liée avec le système social sur le plan financier, institu­tionnel et administratif, phénomène qui a déjà influé sur l'orientation et le dynamisme de la recherche. La science a cessé d'être une sphère d'activité autonome et est en passe de devenir partie intégrante de presque tous les domaines d'activité sociale, ou du moins leur prête son n o m . Ces liens, ces interdépendances résultent de l'évolution histo­rique de la science, et sont par conséquent inévitables [20]. Par contre, nous devons dénoncer impitoyablement les distorsions qui n'apportent aucun profit à l'humanité ou qui lui font indéniablement du mal : la course aux armements, la dilapidation des ressources naturelles et la pollution de l'air et de l'eau en sont des exemples flagrants.

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• U n curieux paradoxe

Passons au problème de la spécialisation. Nous constatons maintenant l'existence d'un curieux paradoxe qui remet sérieusement en question le droit qu'aurait l 'homme de science de limiter à l'extrême le domaine qu'il choisit, condition censée nécessaire d'une véritable étude en profondeur : certes, on ne peut aller au fond d'un problème sans lui consacrer son attention exclusive, mais on ne peut en saisir l'essence que dans le contexte plus large des disciplines connexes. « Le spécialiste d'aujourd'hui a besoin d'un savoir à la fois plus approfondi et plus étendu [21]. » John Ziman souligne également que « la science a besoin de généralistes non seulement pour la direction de grosses sociétés ou la politique, mais aussi pour la science m ê m e [13], »

Le « scientifique » contemporain qui se spécialise dans un domaine de la dimension d'une tête d'épingle n'a guère plus de valeur - pour la science et pour la société - que la tête d'épingle elle-même. Il est temps que les « spécialistes » confinés dans un domaine étroit prennent conscience de la valeur objec­tive de la recherche pluridisciplinaire, car c'est ce dont le m o n d e a besoin aujourd'hui. Dénonçant la persistance, dans la science actuelle, de modèles de pensée et de spécia­lisations taxonomiques, Magorah Maruyama exprime la m ê m e chose ici avec encore plus de force : « Cette approche taxonomique... fait croire aux gens que la science se subdivise en ' domaines de spécialisation ' distincts les uns des autres, alors que la réalité étudiée ne se prête pas à la catégorisation... il faut établir des programmes non disciplinaires, décloisonner la science et créer la transpécia-lisation qui consiste à conserver une optique contextuelle tout en se concentrant sur des points et des détails particuliers. » Il souligne que beaucoup d'esprits, surtout dans les sciences sociales « s'imaginent à tort qu'ils sont les 'experts' de la communauté qu'ils étudient » [22].

Il faut tenir compte d'un autre aspect impor­tant du problème de la science qui, sous sa forme actuelle, constitue un exemple parfait des préoccupations extra-scientifiques des milieux scientifiques. C'est le problème de l'internationalité de la science, qui apparaît avec une netteté particulière quand on met en regard les affirmations de ceux qui voient dans la science une entreprise apolitique, indépendante et non engagée, et des faits

tels que ceux-ci : a) de nombreux travaux de recherche se font dans le secret et l'on en tait les résultats pour protéger des intérêts privés; b) on diffère ou on avance la publica­tion de certains résultats pour des raisons purement privées; c) on n'admet pas les équi­valences de titres et de grades universitaires soit par préjugé politique, soit parce que, dans divers pays, les critères d'attribution des diplômes et des distinctions laissent à désirer; d) beaucoup de milieux scientifiques, surtout

' dans les universités, ont l'esprit de clocher, sont hostiles à tout échange plus large de personnes et d'idées, et se retranchent dans leurs bastions; les scientifiques « en place » font preuve d'immobilisme, et ne cherchent qu'à préserver un confortable statu quo en freinant l'évolution des nouvelles idées et les progrès des jeunes qui voudraient aller de l'avant

Cette dernière considération est particulière­ment importante, car ce phénomène de subor­dination et de dépendance localisées, lié à des facteurs extra-scientifiques, gêne souvent beaucoup l'action de ceux qui voudraient faire disparaître un système hiérarchisé consacré par la tradition et le souci de la dignité du savoir (assimilé à tort à la sagesse), et qui n'est en réalité qu'une hiérarchie de pouvoirs fréquemment sans rapport avec le mérite ou les principes d'une science vraiment humaniste.

Tout bien considéré, il reste évidemment beaucoup à faire à cet égard. Heine von Alemann définit heureusement le sens à donner à l'action : « le maintien d'un degré élevé d'internationalité dépend, dans une large mesure, du développement de contacts per­sonnels entre les scientifiques du m o n d e entier » [23].

• Quels progrès peut-on espérer?

Les développements qui précèdent donnent, m e semble-t-il, une image de la science qui, sans être inspirée par une apologie aveugle, paraîtra acceptable aux nombreux jeunes qui ne font pas chorus à ceux qui se lamentent et ne souscrivent pas à ce qu'on a appelé la « xénophobie » des ennemis de la science.

A u séminaire qui s'est tenu à Salzbourg en 1968 sur la philosophie de la science, le professeur Jakko K. Hintikka a fait la remarque suivante à propos des communications où l'on déplorait les dangers inhérents à la science contemporaine : « C e qui donne à la science la prééminence dont elle jouit actuelle-

La jeune génération et la < crise de la science » 311

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m e n t et ce qui donne indirectement aux scientifiques ce qu'ils peuvent avoir d'influence concrète, ce sont les possibilités immenses de bien, et pas seulement de mal, que la science a ouvertes à l'humanité... Les menaces que fait planer un mauvais usage de la science sont évidentes et effroyables. Mais jamais aucun des siècles qui ont précédé le nôtre n'a eu - tant s'en faut - les immenses possibilités techniques d'éliminer la souffrance dont nous disposons aujourd'hui; jamais les obstacles qui s'opposent au bien-être au moins matériel de l'humanité n'ont eu un caractère aussi profondément social et poli­tique (la technologie mise à part) qu'à notre époque. O n n'a pas su faire comprendre cette vérité aux h o m m e s politiques et au grand public, et créer cette compréhension est peut-être, à m o n avis, le principal devoir des h o m m e s de science d'aujourd'hui. N e songer qu'aux abus auxquels la science peut donner lieu lorsqu'on évoque les responsabilités des scientifiques n'est pas seulement se placer dans une perspective à courte vue, c'est faire preuve de légèreté [24]. »

Je voudrais, en terminant, rappeler en quelques mots l'argumentation qui m ' a conduit à conclure c o m m e je l'ai fait.

Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, les dangers dont s'accompagne le développement du potentiel d'action de l 'homme - lui-même lié au progrès de la science - rendent indispensable d'orienter le développement scientifique dans le sens de principes humanistes. L'autonomie de l'acti­vité scientifique, position qu'on pouvait encore soutenir au XIXe siècle, doit céder le pas, à l'âge atomique, à la nécessité de l'autocensure morale dans le domaine de la science. Il est aussi irréaliste qu'irresponsable d'espérer que la science retrouvera son rôle de « voie vers la lumière » si l'on ne repense pas la mission du scientifique. L'impulsion qui permettra de retrouver cette voie ne peut venir de l'extérieur, les scientifiques doivent contribuer à la donner e u x - m ê m e s . Les grands savants sont de plus en plus nombreux à préconiser une transfor­mation des relations entre les scientifiques et la société, et entre les scientifiques et la science elle-même. Cette saine tendance doit être renforcée et systématiquement encouragée dans le m o n d e . Les jeunes peuvent contribuer considérablement à cette action.

3 1 2 Lech Witkowski

• Lech Witkowski

Né en 1951. L. Witkowski est un mathématicien spécialiste de la topologie algébrique. L'intérêt qu'il porte aussi à d'autres questions l'a conduit à s'interroger sur la philosophie de la science, qu'il . enseigne maintenant au département de philosophie de l'Université de Torûn, à titre de maître-assistant. L'auteur estime que « dans les réflexions des grands esprits des générations précédentes, on peut découvrir une perspective différente, réellement humaniste, dont les jeunes gens pourraient s'Inspirer dans leur approche de la science ». Son adresse est la suivante: Slowackiego 23a¡25 m . 13, 87100 Torûn (Pologne).

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NOTES

1. Par € science », on entend ¡ci à la fois la science pure et la science appliquée, I la fois la recherche et ses résultats.

2 . c Moralnosé i polityka » [Morale et politique], Styka, n« 10, 1972.

3. P. Frank, « Present role of science », A m ' del XII Congresso Internationale di Filosofía (vol. I, Relazioni introduttive), p. 5-17, Florence, Sansoni, 1958.

4 . S . Cotgrove. « Objections to science », Nature, vol. 250, 1974, p. 764-766.

5. N . Chomsky, « The role of the Intellectual », dans : Peter Worsley (dir. publ.). Problems of modern society. Harmondsworth, Penguin, 1972.

6. E Wigner, « L'éthique des rapports entre la science et la société », Impact : science et société, vol. XXII, n» 4, 1972, p. 309.

7. J. Tinbergen, « U n impératif social : organiser les structures et les applications de la science », Ibid.. p. 315.

8. A . Kastler, < Humilité et responsabilité dans la science », Impact : science et société, vol. X X , n» 2 , 1970, p. 121.

9. A . Einstein, « De l'asservissement politique de. l 'homme de science », Impact : science et société, vol. XXII, n" 1-2, 1972, p. 5 .

10. R. Jolivet, « Le rôle de la science », Attidel XII Congresso Internationale di Filosofia (vol. Il, L'uomo e la natura), p. 221-231, Florence, Sansoni, 1958.

11. B . Suchodolski, Labirynty wspólczesnosci [Les labyrinthes de la modernité], Varsovie, PIW, 1972.

12. Nature, vol. 250, 30 août 1974., 13. J. Ziman, t Répercussions de la responsabilité

sociale sur la science », Impact : science et société, vol. XXI, n» 2. 1971, p. 131-141.

14. H . Foecke, t L'Ingénierie et la tradition humaniste », Impact: science et société, n'2. 1970, p. 135-146.

15. J.-J. Rousseau, cité dans : Trzy rozprawy z filozofii spolecznej [Trois discours sur la philosophie sociale], p. 22, Varsovie, P W N , 1956.

16. A . Schweitzer, cité dans Zycie (titre original en allemand : Die Lehre von der Ehrfurcht vor dem Leben), p. 44 , Varsovie, Inst W y d . Pax. 1974.

17 . B . Russell, The scientific outlook. Londres, Allen and U n win, 1931.

18. C . S n o w , The two cultures: and a second look. N e w York, The N e w American Library, 1960.

19. A . Van Meisen, Science and technology, Pittsburgh, Duquesne University Press, 1961.

20. 2 . Kowalewski (dir. publ.), Z. Badám nad spofèczna funkcja nauki [Recherches sur la fonction sociale de la science], Ossolineum, P A N (Zaklad historii nauki I techniki), 1974.

21. V : Mshevenieradze, Aspects épistémologiques des sciences sociales et biologiques. Rev. int. Sc. soc. vol. XXVI, n" 4 ,1974 , pi 635.

22. M . Maruyama, « Paradigms and communication », Technological forecasting and social change, vol. 6, 1974, p. 3-32.

23. H . Von Alemann, « Quelques problèmes relatifs à l'internationalité de la science », Rev. int. Sc. soc, vol. XXVI, n» 3 ,1974 , p. 487-429.

24. P. Weigartner; G . Zecha (dir. publ.). Induction, physics and ethics, p. 377-378, Dordrecht D . Reidel.

La jeune génération et la « crise de la science » 313

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NOTE A L'INTENTION DES LECTEURS

ET DES BIBLIOTHÉCAIRES

Le volume à'Impact : science et société qui paraîtra l'année prochaine (vol. 26), ne comprendra que trois numéros (étant donné l'importance inhabituelle des deux premiers numéros de la série). Les numéros et leurs thèmes seront les suivants : n° 1-2 : « La science et la guerre »; n° 2 -3 : « La science et le monde islamique » ; n° 4 : « Utilisation rationnelle des ressources sanitaires - 2 ». Le numéro 1 - 2 sera distribué vers le 10 février 1976. [NDLR]

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Science et technologie : libération ou oppression ? D o r o t h y Griffiths '

Dans cet article, la sociologue Dorothy Griffiths expose certaines des critiques qui

sont adressées aujourd'hui à la science et à la technologie et essaie de porter un

jugement à leur sujet. Elle cherche à déterminer les raisons pour lesquelles la science

ne semble pas avoir eu l'effet libérateur qu'elle promettait de produire et examine

plusieurs aspects des solutions que le socialisme et la contre-culture proposent au

problème.

M Exposé du problème

L'avènement de la société moderne, au début du XVIs siècle, a marqué le commencement d'une période de grand optimisme à l'égard de la science. Fondée sur l'observation et l'expérience, la science nouvelle allait être pour l'humanité une force de libération. Francis Bacon, qui fut à bien des égards le père ou plus exactement peut-être l'accoucheur de la révolution scientifique en Grande-Bretagne, a écrit : « Le but véritable et légitime des sciences n'est autre que d'assurer à l'humanité de nouvelles découvertes et de nouveaux pouvoirs. » Dans la Nouvelle Atlantide il décrit une utopie, une société idéale dans laquelle la science vise à accroître le bien-être de l'humanité et à la combler de ses bienfaits, et où le dévouement des h o m m e s de science â cette cause peut leur conférer (et leur confère effectivement) le pouvoir.

Pour Bacon, la science nouvelle incarnait donc deux vertus - l'utilité et le progrès -grâce auxquelles l'humanité serait dotée < de méthodes nouvelles, d'instruments nouveaux et de pouvoirs nouveaux ». Deux cents ans plus tard, Macaulay formulait l'idée suivante : < Quelle était donc la finalité de la philosophie de Bacon ? C'était, c o m m e il le disait lui-même dans des termes frappants, porter des 'fruits'.

C'était multiplier les joies de l 'homme et alléger ses souffrances; c'était porter remède à la condition humaine [1]* ».

Longtemps auparavant, la tradition judéo-chrétienne avait été à l'origine de la notion de clivage entre l 'homme et la nature. La science nouvelle donnait enfin à l'humanité le moyen de maîtriser la nature et de l'exploiter dans son propre intérêt au lieu d'être victime de ses exigences. L'espoir de la science était donc de permettre à l 'homme d'échapper à la faim, à la maladie, aux besognes pénibles et à une exis­tence que Hobbes devait qualifier plus tard de « misérable, brute et brève ».

Depuis l'avènement de la science nouvelle, l'activité scientifique en est venue à jouer un rôle essentiel, voire dominant, dans la société. A notre époque scientifique et technologique, les progrès de la médecine ont produit des résultats spectaculaires dans la lutte contre la maladie. La mortalité infantile a baissé considé­rablement tandis que l'espérance de vie ne

1. L'auteurtient à remercier M . Bob Young et M m * Sandra D a w s o n , qui ont bien voulu lui faire tenir leurs observa­tions sur cet article, ainsi que M m * Hilary Rose et M M . Brian Easlea, Nick Maxwell, Steven Rose et Chris Ryan, dont les travaux ont été pour elle une source d'inspiration. 2 . Les chiffres indiqués entre crochets renvoient aux notes figurant à la fin de cet article.

Impact : science et société, vol. X X V (1975), n° 4 315

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cessait de croître. La « révolution verte » a fait naître de nouveaux espoirs dans la lutte contre la faim. Les machines épargnent au travailleur de lourdes tâches. La technologie des transports et des communications a établi entre les peuples des contacts plus étroits et plus faciles que jamais auparavant. Et voilà que maintenant nous explorons les autres planètes de notre système solaire.

Je pourrais citer bien d'autres clichés de ce genre, mais tous prouveraient la m ê m e chose : notre vie, sous presque tous ses aspects, subit d'une manière ou d'une autre l'empreinte de la science et de la technique dont nous voyons partout les résultats. Est-ce à dire que les espoirs suscités par la science nouvelle se sont réalisés? A-t-il été porté remède à la condition humaine ? Sommes-nous entourés des « fruits » promis par Bacon ? A ces questions, des gens de plus en plus nombreux, h o m m e s de science ou profanes, à tous les échelons de la société, commencent à donner des réponses ambiva­lentes.

Deux niveaux de critique

Nous vivons dans un monde qui court le risque d'être détruit par une catastrophe nucléaire, un monde dans lequel l'environne­ment est e n d o m m a g é , un monde de bébés-éprouvettes et de techno-génétique, où plus de la moitié de la population souffre de malnutri­tion sous une forme ou une autre et où les deux tiers des êtres humains vivent dans la misère. Devant ces réalités, nombreux sont ceux qui commencent à remettre en question le rôle de la science et de la technologie et m ê m e l'Organisation de coopération et de développement économiques reconnaît le « désenchantement » croissant du public à leur égard [2].

A m o n sens, les critiques dont la science et la technologie sont actuellement l'objet se situent sur deux plans : le plan matériel et celui de la conscience. Sur le plan matériel, on leur reproche ce qu'elles ont engendré - ainsi que les problèmes qui en sont les séquelles - ou ce qu'elles n'ont pas réussi à produire. Dans l'allocution qu'il a prononcée à l'occasion de l'ouverture du colloque sur la civilisation et la science, organisé par la Fondation Ciba, Hubert Bloch a résumé ainsi l'essentiel de ces critiques :

« [ Les raisons des critiques adressées à la science et à la technique] sont claires : c'est la contribution de la science à la détériora­

tion de notre planète - ou plutôt l'application incontrôlée de la technologie scientifique débouchant sur les problèmes bien connus de la pollution de l'environnement, c'est l'utilisation de la science à des fins de guerre et de destruction, les répercussions sur la société des effets secondaires et des retom­bées du progrès de la médecine - le fait que, de l'avis de beaucoup de gens, la science et la technique n'ont pas réussi à nous rendre plus heureux et à enrichir notre vie [3].»

A ce niveau, les critiques consistent donc habituellement à récapituler les diverses façons dont la science et la technique ont contribué à détériorer l'environnement humain.

Le second type de critique est plus difficile à cerner en quelques phrases. Essentiellement, ce qu'on reproche à la science c'est d'avoir, par le succès de son approche rationnelle, soumis notre m o d e de pensée et notre compor­tement à la domination de la « rationalité ». C'est parce que nous s o m m e s tombés sous l'emprise d'un m o d e de pensée et de comporte­ment scientifique que la science a fini par nous opprimer et que nous souffrons d'une forme de conscience diminuée. Dans un ouvrage marquant intitulé Où finit le désert, Theodore Roszak présente ainsi ce phénomène d'oppression :

« [ Ceux qui] seront capables d'adopter une solution radicale en ce qui concerne la technocratie... verront que la spécialisation devant laquelle nous nous inclinons dérive d'une forme de conscience diminuée. Ils reconnaîtront que l'idéal de l'objectivité scientifique est notre aliénation c o m m u n e magnifiquement déguisée sous le masque d'une épistémologie respectable. Dans leur poursuite d'une réalité justement propor­tionnée à la pleine dimension de notre na­ture humaine, ils en viendront à comprendre que c'est de la culture de la science que nous devons nous libérer si nous voulons être des esprits libres, car la science ne peut mesurer qu'une partie de ce que l 'homme est capable de connaître. Notre connaissance tend à embrasser le sacré; ce qui lui barre la route nous condamne à être prisonniers du mensonge empirique [4]. »

• Critiques d'ordre matériel

Le thème des critiques du premier type nous est probablement le plus familier. Dans ce contexte général, on peut cependant distin-

316 Dorothy Griffiths

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guer plusieurs éléments distincts' auxquels différents groupes ont tendance à accorder plus ou moins d'importance. C e serait donc une erreur de voir dans les critiques formulées à ce niveau une attaque massive contre la science et la technologie. Je distinguerai quatre types de reproches caractéristiques : les applications militaires de la science et de la technique, ce qu'elles coûtent à la société (surtout par la dégradation de l'environne­ment), le fait qu'elles laissent les problèmes sociaux sans solution et enfin, qu'elles posent des dilemmes moraux que l'absence de prin­cipes directeurs ne nous permet pas de trancher.

L'utilisation de la science et de la technique à des fins militaires est depuis longtemps une source d'inquiétude. L'humanité possède désor­mais les moyens de s'anéantir plusieurs fois en déclenchant une guerre nucléaire, biolo­gique et chimique. Il suffirait de quelques bombes atomiques bien placées pour éliminer toute vie de notre planète. Or, pour beaucoup d'entre nous, la découverte d'armes encore plus perfectionnées qui servent à s'entre-tuer n'est pas une manifestation de l'effet libéra­teur que peut avoir la science. [Le prochain numéro à'Impact traitera plus amplement des applications de la science à des fins mili­taires.]

Et maintenant nous devons faire face à la détérioration de l'environnement dont la science et la technologie sont tenues pour responsables. Certes le développement indus­triel, favorisé par le progrès scientifique et technique, a eu de nombreux effets béné­fiques, mais il a pollué notre planète tout en pillant ses ressources. Les techniques nouvelles mises au point depuis une trentaine d'années exigent dit-on, davantage de ressources et produisent une pollution plus grave que celles auxquelles elles se sont substituées. Nous ne savons que trop que les insecticides chimiques menacent la vie des oiseaux et des autres animaux. La « révolution verte » ne paraît pas verte si l'on songe qu'elle ne peut être réalisée qu'au prix d'une utilisation croissante d'en­grais synthétiques et de pesticides fort coûteux. A u Japon, des déchets industriels toxiques ont provoqué un empoisonnement par le mercure : c'est l'effroyable « maladie de Minimata ». Nous avons peut-être e n d o m m a g é irrémédia­blement - à notre insu, certes - les systèmes qui assurent le maintien de la vie sur notre planète.

O n pensait auparavant que tout progrès scientifique et technique était bénéfique pour

l'humanité. Or, en reconnaissant que nombre des avantages que nous en avons retirés depuis deux ou trois cents ans ont été obtenus au prix de la pollution de notre planète et du pillage de ses ressources, nous avons été amenés à douter de plus en plus des bienfaits intrinsèques de la science et de la technologie.

U n autre élément des critiques d'ordre matériel adressées à la science est la prise de conscience qu'en dépit de trois siècles de science nouvelle une grande partie de l'huma­nité attend encore que la science et la techni­que lui permettent d'échapper à une existence « misérable, brute et brève ». Le décalage entre les réalisations techniques et les problèmes sociaux ne fait que croître chaque jour davan­tage. Alors que nous nous s o m m e s montrés capables d'un exploit technique extraordinaire en envoyant plusieurs de nos congénères sur la Lune, nous s o m m e s encore incapables, semble-t-il, de faire en sorte qu'une très large proportion de nos semblables soient convena­blement nourris, vêtus et logés.

L'isolement socio-culturel de la recherche

O n reproche enfin à la science et à la techno­logie d'avoir donné naissance à la transplanta­tion d'organes, aux bébés-éprouvettes, à la techno-génétique et d'avoir ouvert la voie aux autres dangers que comporte le développement de la biologie moderne. D e tels phénomènes posent des problèmes éthiques que nos philosophies sociales, morales ou religieuses ne nous permettent pas de résoudre aisément Voilà ce qui se passe dans une société où la science et la morale se développent séparé­ment : les scientifiques mènent leurs travaux dans un isolement socio-culturel et ne songent guère aux prolongements éthiques de leurs recherches, dont s'effraient les « moralistes » qui, de leur côté, ne comprennent pour ainsi dire rien à la science.

Telles sont donc certaines des raisons qui expliquent cette dénonciation de la science et de la technique. Les critiques formulées à ce niveau consistent en général à reprocher aux sociétés industrielles avancées de posséder un nombre croissant d'aspects néfastes, qui ont tous un rapport avec la science et la technolo­gie. Toutefois, cette attaque m e paraît essen­tiellement mal dirigée, car la science et la technique ne sont pas indépendantes de la société. Il n'existe pas d'impératif scientifique ou technologique; la science et la technologie ne bondissent pas en avant sous l'impulsion

Science et technologie : libération ou oppression? 317

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d'une mystérieuse force interne. D e m ê m e qu'on ne peut plus affirmer qu'elles sont béné­fiques par excellence, il est tout aussi naïf de croire qu'elles possèdent des qualités intrin­sèques capables d'engendrer le fatras d'horreurs devant lequel se trouve placée l'humanité.

Tout développement scientifique et tech­nique exige des ressources que seule la société dans son ensemble peut fournir et dont la répartition est décidée par elle seule. Si nous voulons comprendre pourquoi les espoirs de Bacon ne se sont pas encore réalisés, nous ne devons pas nous borner à considérer les manifestations concrètes - bonnes ou m a u ­vaises - de l'activité scientifique et technique. Nous devons considérer les rapports de la science et de la technique avec la société et chercher à comprendre leur rôle social.

C'est ce que commencèrent à faire les scien­tifiques marxistes des années trente, m o u v e ­ment qui a atteint son apogée en 1939 avec la publication de l'ouvrage fondamental de J. D . Bernai The social function of science [1]. Les activités de ce groupe de scientifiques, dont il est amplement rendu compte ailleurs [5], n'en étaient pas moins celles d'une minorité. Leurs pairs ne se sentaient ni particulièrement inquiets ni responsables des applications de la science; pour eux, elle n'obéissait à aucune valeur, elle était objective et suivait une voie prédéterminée par la nature. Cette théorie allait devenir plus tard le mythe de la neutralité de la science.

Les tenants de ce mythe distinguaient entre l'activité scientifique et l'application de la science : la première était du ressort des chercheurs, la seconde intéressait la société. La science proprement dite échappait au domaine des valeurs; seules ses applications en relevaient. Les théories ne pouvaient être que justes ou fausses, et non pas bonnes ou mauvaises. C e n'était pas la faute du chercheur si d'autres décidaient d'exploiter ses travaux à des fins peu souhaitables, voire destructrices, ou si leurs applications avaient des consé­quences inattendues, pour ne pas dire fâcheuses. C o m m e le pensait l'un des lauréats du prix Nobel, sir Ernst Chain, « ... dans la mesure où elle se limite à l'étude descriptive des lois de la nature, la science n'a aucun caractère moral ou éthique » [6],

• M a i s les attitudes changent. . .

La mise au point de la b o m b e atomique et les explosions qui ont eu lieu à Alamagordo,

Hiroshima et Nagasaki ont probablement porté à la sagesse traditionnelle un coup plus rude que tout autre événement U n pas irréversible a été franchi, cette nuit de juillet 1945 dans le désert du Nouveau-Mexique, en ce qui concerne les rapports entre la science, les scientifiques et la société. Nombre de cher­cheurs qui avaient cru à la neutralité de la science se trouvèrent incapables de souscrire plus longtemps à cette thèse. Devant l'horrible dévastation causée à Hiroshima et Nagasaki, beaucoup de gens remirent en question l'idée auparavant très répandue que progrès scienti­fique signifiait progrès pour l'humanité. J'ajou­terai que la b o m b e atomique annonçait aussi l'ère de la méga-science, qui coûte si cher et qui explique en partie certains des problèmes analysés ¡ci.

A u x États-Unis, la b o m b e atomique, puis en Grande-Bretagne la guerre chimique et biolo­gique troublèrent la conscience des scienti­fiques libéraux qui estimaient ne plus pouvoir demeurer isolés et assister à l'exploitation abusive de la science par la société. Ils se sentaient tenus d'assumer une certaine respon­sabilité à l'égard de la société quant aux conséquences de leurs travaux. C'est de cette prise de conscience des obligations découlant d'une activité scientifique qu'est issu le m o u ­vement pour « la responsabilité sociale des scientifiques ».

Les scientifiques socialement responsables affirment que la science n'a foncièrement rien de mauvais puisque, après tout, elle est neutre. S'il en est fait un usage abusif, c'est qu'elle est appliquée à des fins peu souhaitables ou que les conséquences de certaines découvertes ont été mal comprises :

Trop souvent les procuits de la science ont été exploités inconsidérément, générale­ment sans une connaissance lucide de toutes les conséquences possibles, notam­ment de leurs nombreux « effets secon­daires» [7].

Ainsi la science a été détournée de son rôle novateur, libérateur et bienfaisant. L ' h o m m e de science socialement responsable a donc le devoir de mettre la société en garde contre les dangers de certains types de recherche et de développement C'est là une responsabilité dont seuls les scientifiques peuvent s'acquitter puisqu'ils sont seuls à pouvoir saisir les consé­quences possibles de leurs recherches. Les chercheurs libéraux, qui ont une attitude essentiellement bienveillante et optimiste à l'égard de la société c o m m e des motivations

3 1 8 Dorothy Griffiths

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de ses dirigeants, pensent, eux, qu'il suffit d'une mise en garde pour prévenir toute nouvelle utilisation abusive de la science; ils sont convaincus que nul ne poursuivrait un type de recherche dont on sait qu'if aurait vraisemblablement des effets fâcheux sur la société.

En 1969, lors d'une réunion de la Royal Society, fut fondée la British Society for Social Responsability in Science ( B S S R S ) . Dans sa déclaration de principes étaient énoncés les objectifs suivants :

a) Faire prendre conscience aux scienti­fiques de la portée sociale de la science et des responsabilités sociales qui leur incombent, tant individuellement que collectivement;

b) Appeler l'attention de tous sur les pres­sions politiques, sociales et économiques qui influent sur le développement de la science;

c) Attirer l'attention du public sur les réper­cussions et les conséquences du déve­loppement de la science, et former ainsi un public éclairé qui puisse exercer un choix en la matière;

d) Favoriser à l'échelon international des échanges d'idées sur ces questions avec des groupes similaires d'autres pays.

En examinant la façon dont les scientifiques s'acquittent en fait de leurs responsabilités sociales, la B S S R S s'aperçut de plus en plus clairement que le processus qui consistait à étudier, à analyser et à critiquer le rôle de la science et de la technologie relevait essen­tiellement et inévitablement de la politique et que la question centrale à se poser était la suivante : Quelle politique suivre dans la conduite de nos activités scientifiques et dans la critique que nous en faisons ?

En 1973, en partie sans doute par réaction contre le « radicalisme » croissant de la B S S R S , est apparue en Grande-Bretagne une nouvelle

Il devrait être beaucoup plus facile de maîtriser l'orientation de la science, le rythme auquel elle s'incorpore à la technologie et la cadence de l'ensemble de la production industrielle dans une société qui n'est pas m e n é e par l'appât du gain. Certes les régimes socialistes se heurtent

organisation de scientifiques libéraux appelée Council on Science and Society (CSS) . La liste des membres de cette société, parmi les­quels figurent d'anciens membres de la B S S R S , se présente c o m m e un annuaire des h o m m e s de science libéraux et conscients de leurs responsabilités. Le C S S conçoit son rôle c o m m e celui d'un « système d'alarme » scien­tifique, non politique. U n groupe d'« experts » évaluera les orientations manifestes ou pos­sibles de la recherche scientifique et technique qui pourraient avoir des répercussions fâcheuses sur la société. Cette évaluation permettra d'appeler l'attention du grand public c o m m e des autorités sur des problèmes particuliers. A u public ainsi éclairé ou au gouvernement ainsi averti de prendre alors les mesures voulues pour prévenir toute nouvelle exploitation abu­sive de la recherche scientifique.

• ... en dépit d e l'ignorance et d u hasard

La thèse fondamentale sur laquelle repose l'idée de responsabilité sociale est que si la science et la technologie se sont fourvoyées, c'est à cause de l'ignorance dans laquelle se trouve la société des incidences possibles de certaines orientations de la recherche. Par responsabilité sociale, il faut entendre la réaction d'abord des chercheurs et maintenant des ingénieurs devant l'exploitation abusive et fortuite de leur activité qui, à leur avis, procède de l'ignorance.

Mais est-ce vraiment l'ignorance et le hasard qui ont conduit aux horreurs du m o n d e moderne? N o m b r e d'entre nous répondraient à cette question par la négative, estimant qu'on invoque l'ignorance et le hasard parce qu'on n'a pas compris que, dans les sociétés indus­trielles avancées, l'activité scientifique et technique est une manifestation des relations politiques, économiques et sociales. Les sociétés dont je parle reposent toutes sur le

de leur côté à l'inertie de systèmes de planification bureaucratiques. Mais l'absence de pressions commerciales devrait néanmoins conférer une plus grande souplesse sociale à la maîtrise du processus industriel en régime socialiste.

Robert L. Heilbroner [9]

Processus technologique et souplesse sociale

Science et technologie : libération ou oppression? 319

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capitalisme proprement dit ou sur un capita­lisme d'État [8] ; ce sont des économies de marché ou des économies socialistes plani­fiées. C'est dans ce contexte, en fonction de la société dans laquelle elles s'insèrent, qu'il convient d'examiner la science et la technique.

C'est parce qu'elle a reconnu le rôle parti­culier de l'activité scientifique et technique que la B S S R S a abandonné sa position libérale initiale pour adopter l'attitude intransigeante qui est actuellement la sienne. Jonathon Rosen-head a présenté ainsi ce raidissement : « Nous avons été amenés à vouloir comprendre non pas seulement tel ou tel usage abusif, mais le régime social qui, malgré le potentiel d'action bénéfique de la science, engendre en fait un abus après l'autre [10]. »

La science et la technique dépendent, nous l'avons vu, des ressources fournies par l'en­semble de la société. C e sont maintenant des activités onéreuses et, dans les sociétés capi­talistes, les seuls groupes qui ont les moyens de les financer sont ceux qui détiennent le pou­voir et qui, évidemment, orientent ces activités vers des objectifs favorables aux intérêts de leur propre classe. Les espoirs de Bacon ne se sont pas réalisés parce que la science et la technologie sont devenues des instruments des classes dirigeantes dans les sociétés capita­listes, des moyens d'exploiter et d'opprimer une grande partie de l'humanité au lieu de la libérer. L'utilisation abusive de la science et de la technique n'est ni fortuite ni, la plupart du temps, le fait de l'ignorance : elle procède directement du système de classes. Je vou­drais illustrer cette thèse en examinant certains des objectifs que visent la science et la techno­logie et certains des usages qui en sont faits dans le m o n d e capitaliste.

La Grande-Bretagne dépense environ un milliard de livres par an pour la recherche et le développement. Le gros de cette s o m m e est dépensé par le complexe défense-industrie. L'armée exploite depuis longtemps la science et la technique pour mettre au point des armes de plus en plus efficaces qui, loin de contribuer au progrès de l'humanité, ne font que menacer sa survie. Récemment, on a appelé l'attention sur le perfectionnement de techniques per­mettant de maîtriser des populations civiles « insurgées », par exemple l'emploi de gaz neutralisants et de balles en caoutchouc, et la torture par privation sensorielle telle qu'elle est pratiquée par l'armée britannique en Irlande du Nord [11].

La recherche industrielle a pour premier

objectif de favoriser les intérêts de l'organisme qui la finance soit en augmentant ses bénéfices, soit en facilitant sa croissance [12]. Pour cela, on essaie de mettre au point des méthodes de fabrication plus efficaces, on invente des produits nouveaux ou l'on rationalise les procédés, ou encore on « améliore » les pro­duits existants. Bien souvent cette « améliora­tion » ne revient qu'à modifier l'emballage pour donner l'impression qu'il s'agit d'un produit nouveau, meilleur ou différent Or, quels que soient les moyens employés, l'innovation et la différenciation introduites dans les produits doivent servir à maintenir le niveau de consom­mation et, partant, le niveau des bénéfices ou le rythme de croissance.

• Le problème d e la satisfaction des besoins

O n dit qu'une innovation est heureuse si une possibilité technique coïncide avec un besoin, ce dernier étant déterminé par une société ou par l'État. Dans les pays occidentaux, ces, besoins sont créés et entretenus par des c a m ­pagnes publicitaires intensives. Mais de quelle sorte de besoin s'agit-il ? Les vrais besoins -les besoins sociaux - demeurent souvent insatisfaits, car ils n'offrent pas suffisamment de chances de profit; aussi invente-t-on de faux besoins qui remplissent cette condition. O n pourrait affirmer, par exemple, qu'il existe un besoin réel (social) d'installer un système d'alarme grâce auquel les logements de per­sonnes, âgées seraient reliés à des services sociaux, ou de fournir des appareils de prothèse aux handicapés. Or ces problèmes ne retiennent guère l'attention. Pourquoi? La réponse est simple : les vieillards et les handicapés sont souvent pauvres et n'ont pas les moyens d'acquérir de tels dispositifs; l'État ne les achètera pas à leur intention; ces appareils n'étant pas « économiques », on ne s'occupe pas de les mettre au point.

Toutes les activités scientifiques et tech­niques favorisent d'une manière ou d'une autre, les intérêts de la classe dirigeante. M ê m e la recherche fondamentale n'est pas financée pour elle-même. La sagesse traditionnelle veut qu'en dernière analyse toutes les activités de recherche appliquée et de technologie dépendent de la recherche fondamentale. Par conséquent priver la recherche fondamentale d'un minimum d'appui compromettrait l'avenir de la recherche appliquée. Les études fonda­mentales consacrées à la nature de la matière

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ne font pas exception : c'est en effet la recherche dans ce domaine qui a débouché sur la b o m b e atomique et l'énergie nucléaire. Qui sait ce qu'elle permettra de découvrir encore ?

La recherche médicale est un autre secteur caractéristique de la façon dont la science et la technologie des sociétés capitalistes sont mises au service de la classe au pouvoir. En Grande-Bretagne, on se préoccupe davantage des maladies cardiaques que du problème tout aussi grave des maladies professionnelles. L'asbestose, la silicose et le cancer provoqués par l'exposition à des substances chimiques toxiques ne frappent pas ( c o m m e la crise cardiaque) les bourgeois corpulents d'âge m û r ; ces problèmes ne présentent donc pas d'urgence ni d'importance particulières pour la recherche médicale.

O n n'a pratiquement pas encore c o m m e n c é à étudier les effets à long terme de l'exposition aux dangers que comportent les substances chimiques synthétiques dont le nombre s'accroît rapidement (par exemple, le chlorure de vinyle) et qui sont employées quotidienne­ment dans l'industrie [13]. La diversité des risques auxquels sont exposés les travailleurs, l'ignorance générale quant à leurs effets possibles (il n'a m ê m e pas été fixé de seuil pour l'exposition à nombre de substances chimiques) et l'indifférence des organisations capitalistes à l'égard d'un problème d'une si vaste ampleur montrent clairement où réside le pouvoir. Si les patrons venaient à être victimes des maladies qui affligent leurs employés, la recherche médicale ne tarderait pas à prendre une nouvelle orientation [14],

Sous un régime capitaliste la science et la technique servent à exploiter et à opprimer. Il suffit de voir le rôle qu'elles jouent dans le tiers m o n d e : 9 8 % des fonds consacrés à la recherche et au développement en dehors du bloc des pays dits socialistes sont investis par les pays riches. Or, 99 % de ces 98 % sont destinés à servir leurs intérêts personnels. Par conséquent il n'y a guère d'activités de recherche et de développement visant à résoudre les innombrables problèmes intéres­sant directement les populations des nations pauvres qui, cependant, constituent les deux tiers de la population mondiale. Aussi les connaissances scientifiques et techniques actuelles dans les domaines qui présentent la plus grande importance pour les pays en voie de développement comportent-elles des « lacunes ».

Les pays pauvres, ou plutôt leurs classes

dirigeantes, ont une grande confiance dans la science et la technologie, qu'elles considèrent c o m m e faisant partie intégrante du processus de développement et d'industrialisation et, par là m ê m e , c o m m e un facteur d'enrichisse­ment des classes au pouvoir. La science et la technologie locales d'une nation pauvre étant rarement adaptées à un modèle occidental d'industrialisation, les pays en voie de déve­loppement sont obligés de s'adresser aux pays riches et d'importer leur technologie; ils se placent du m ê m e coup dans une situation de dépendance technologique où ils sont exploités.

• Non-contribution au déve loppement

La technologie des pays avancés exige d'énormes capitaux, elle est complexe et s'applique à grande échelle. Or les pays pauvres, qui ont une main-d'œuvre abondante, souffrent d'une grave pénurie de capitaux; ils n'ont pas suffisamment de techniciens et de cadres pour modifier, développer, voire exploiter les usines qu'ils achètent; enfin, les dimensions réduites de leurs marchés ne justifient pas le volume de production des usines les plus modernes. Il arrive fréquemment qu'un petit pays paie très cher à une société occidentale des procédés techniques inadaptés à ses besoins, ce qui, loin de contribuer au développement du pays, va m ê m e jusqu'à le compromettre : le niveau de l'emploi baisse, les sorties de bénéfices accroissent la pénurie de capitaux, etc. Le pays se trouve ainsi encore plus étroitement tributaire qu'avant des nations riches puisqu'il doit importer des pièces détachées ou du personnel de service et d'entretien. L'économie est encore plus perturbée du fait que les entre­prises locales qui fabriquaient les produits remplacés par ceux qui sortent de l'usine hau­tement perfectionnée se voient évincées.

Ce n'est pas par souci humanitaire que des sociétés industrielles s'implantent dans les pays en voie de développement Ce sont leurs intérêts financiers qui leur dictent de développer leurs activités à l'étranger; et c'est leur intérêt, et non pas celui du pays d'accueil, qui prime. La technologie est devenue ainsi un produit que les classes capitalistes des pays riches vendent aux pays pauvres - exploitant les masses de ces pays (mais non, il est vrai, leurs dirigeants) [15].

La crise de l'environnement peut et doit être vue dans le m ê m e contexte. Le m o n d e doit faire face à une pénurie de ressources non renouve-

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labiés et à la contamination de l'environne­ment sous de multiples formes. Ce n'est pas que le progrès technique conduise logiquement au bouleversement de l'environnement. Si nous s o m m e s aux prises avec ces problèmes, c'est parce que les technologies en cause ont été mises au point dans le contexte du capita­lisme et conçues pour favoriser les intérêts de la classe capitaliste ( m ê m e au prix de la pollution). Si nous employons, par exemple, des engrais chimiques plutôt qu'organiques, c'est parce que nous devons soutenir l'indus­trie pétrochimique.

Les ressources non renouvelables ne tarde­ront pas à s'épuiser parce que le développement industriel vise à produire toujours davantage, non pas pour répondre à d'authentiques besoins humains, mais pour maintenir le niveau de la consommation et faire ainsi tourner les rouages du système économique capitaliste. La pollution, l'appauvrissement des ressources, les risques professionnels ne sont pas simple­ment les conséquences fortuites ou fâcheuses du progrès de la technique moderne. C e sont les séquelles logiques de la mainmise qu'une classe unique exerce sur le progrès dans son intérêt personnel.

Là encore le caractère oppressif de la science et de la technologie modernes s'explique par la structure sociale dans laquelle elles s'insèrent Ni la gauche traditionnelle ni la « nouvelle gauche » n'ont vu la plupart du temps comment le rôle social de la science et de la technique s'articule sur le système capitaliste. Elles ont eu trop souvent tendance à isoler la science et la technologie de ce système, prenant ainsi pour hypothèse qu'elles conserveraient la m ê m e forme dans la société socialiste future. L'analyse radicale de la science et de la technologie qui a été entreprise en Grande-Bretagne par des groupes c o m m e la B S S R S et le Radical science journal, et aux États-Unis (par le mouvement Scientists and Engineers for Social and Political Action), a montré que cette hypothèse n'était pas valable.

La nature de la science et de la technologie dans une société socialiste d'où toute forme d'exploitation et d'oppression serait exclue n'est donc pas une évidence. Je reviendrai plus tard sur la forme qu'elles pourraient prendre. C e qu'il importe de reconnaître, c'est qu'une attaque lancée isolément contre la science et la technologie, ce que constituent essentielle­ment les critiques d'ordre matériel dont elles font l'objet, est une attaque mal dirigée. La science et la technologie sont des outils de

notre société et en contester les produits devrait consister à remettre en question la structure sociale, économique et politique dans laquelle ils ont vu le jour.

• Critiques au niveau de la conscience

Passons maintenant au second type de critique qui est plus directement « antiscientifique ». Il s'agit non pas tant du rôle oppressif que joue la science dans la société contemporaine que de la nature oppressive du m o d e de conscience scientifique. Roszak, à qui nous devons une grande partie des arguments avancés ci-après, affirme que dans les sociétés avancées la science domine la culture [4], Il n'existe désormais qu'une forme orthodoxe de cons­cience, la conscience objective (scientifique). Les seules expériences dont nous nous per­mettons de reconnaître la réalité sont celles qui peuvent être prouvées scientifiquement et se voir ainsi attribuer une existence indépendante et objective. Il ne nous est plus permis d'utiliser nos sens c o m m e base d'expérience.

Nous voici donc assujettis au « principe de réalité » qui ne nous autorise qu'une « vision simple ». Roszak appelle cette forme d'oppres­sion, domination par le « mythe de la conscience objective ». D'autres ont fait la m ê m e observa­tion en s'élevant contre le « scientisme » : un m o d e de pensée qui ne reconnaît de valeur sûre qu'aux données de l'expérience et aux statistiques [16]. Dans une société urbaine, hautement industrialisée, le m o n d e se ramène alors à l'image qu'en donnent les faits et les abstractions quantitatives de notre science mécaniste, réductionniste. La vision simple -qui devient la nôtre dès lors que nous souscri­vons à l'orthodoxie de la conscience objec­tive - sert désormais de frontière à la conscience humaine.

Mais peut-on en fin de compte réduire toutes les émotions et les expériences humaines à une page de symboles mathématiques? Peut-on vraiment expliquer la pensée en termes de réac­tions physiques et chimiques? [17]. Pouvons-nous découvrir nos possibilités et celles du m o n d e dans lequel nous vivons en nous bornant à explorer cette forme de conscience ? Ceux qui répondraient non à ces questions estiment que notre confiance aveugle dans le m o d e de conscience scientifique nous opprime, car elle nous ferme l'accès à un autre m o n d e d'expérience.

Le problème posé par Roszak est celui de la relation entre le m o n d e objectif, « là-bas »,

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et le m o n d e subjectif, « ¡ci » : entre la ratio­nalité et le romantisme, entre l'intellect et l'émotion. C'est là un conflit que connaissent nombre d'entre nous, c o m m e Robert Pirsig l'a montré de façon si émouvante dans son roman Zen and the art of motorcycle maintenance [18]. Cet ouvrage, qui n'a pas tardé à devenir un bestseller, traite du clivage qui apparaît dans notre culture et dans notre concept de réalité entre ce que l'auteur appelle la qualité classique (réalité intellectuelle) et la qualité romantique (réalité émotionnelle).

L'apparition de la contre-culture est une autre manifestation de ce conflit. Phénomène largement associé à la jeunesse, la contre-culture repose sur l'idée que le m o d e de conscience scientifique doit devenir un m o d e , et non pas le m o d e d'expérience. La jeunesse qui adhère à la contre-culture prône l'élimi­nation de l'industrialisme urbain et du « style psychique qui en fait la force ». La vision simple qui découle de la domination de la conscience objective - et la société urbano-industrielle, matérialiste, rationnelle et indifférente dont elle é m a n e - doit être rejetée pour faire place à une conscience qui nous permette de faire l'expé-

Notre foi dans la science et la technique a d'autres prolongements plus directement politiques. La société urbano-industrielle est devenue, selon Théodore Roszak, « une citadelle de la spécialisation qui, en tant que telle, est essentiellement technocratique ». Nous nous tournons vers la science et la technologie pour résoudre tous nos problèmes; qui plus est, nous attribuons ces problèmes à l'application incomplète ou mal coordonnée des connaissances scientifiques. Leur solution exige bien entendu des connaissances encore plus approfondies et c'est ainsi que nous nous entourons d'un nombre croissant d'experts spécialisés dans un nombre croissant de domaines. Tous les secteurs de l'activité humaine peuvent être soumis à l'examen des experts. Le scientisme, c'est-à-dire l'application des méthodes rationnelles de la science à des domaines qui ne leur conviennent pas, a tout envahi à mesure que nous cherchions à entourer toutes nos activités d'un halo de rationalité. Le tout dernier objectif.

o- rience du m o n d e tout en apprenant à le et connaître. Il faut laisser les émotions humaines nt redevenir un moyen de communiquer avec le l'a m o n d e qui nous entoure [19]. an Nous pouvons donc comprendre l'appel aux ! ] . qualités r o m a n t i q u e s , n o n intellectuelles, a u jn « pouvoir des fleurs », aux messages d'amour ns et de paix lancés par les hippies, et les expé-té riences de drogues qui élargissent le c h a m p té de la conscience. Nous pouvons comprendre té l'attrait que présentent pour les Occidentaux

les religions « mystiques » de l'Orient, la ne popularité des enseignements de D o n Juan, la rie c r o y a n c e d a n s u n e science holistique et vita-e - liste et le pouvoir d e la découver te d e soi. N o u s de comprenons mieux la nécessité d'une révolu-le, tion libératrice dans la conscience de l'individu, se car la conscience, une fois libérée, débouchera )i- sur « le royaume du rêve, du mythe, de l'extase 'le visionnaire, sur le sens sacramentel de la réalité île et sur le symbole transcendant » [4], ce Certes, ces solutions sont dignes de respect, le, mais elles demeurent personnelles et individua­lle listes et elles ne se suffisent pas à elles-mêmes, ne Le problème est de savoir c o m m e n t les situer é- dans un vaste mouvement social.

c'est la prise des décisions dans la « science » de l'élaboration des politiques : d'où l'apparition de stratégies c o m m e l'évaluation technologique. Cette dernière vise à donner une évaluation rationnelle des différentes options qui s'offrent quant à l'évolution future de la technique et, par là m ê m e , à rationaliser le choix à opérer [20].

Roszak, Herbert Marcuse et Jürgen Habermas ont signalé le danger que cette « scientisation de la politique » (pour reprendre l'expression d'Habermas) constitue pour la démocratie. Des décisions d'ordre essentiellement social ou politique peuvent être présentées au public c o m m e des décisions techniques, que l'on justifie en invoquant la neutralité et l'objectivité de la science et de la technique. Le public ne peut guère contester de telles décisions, car seuls les experts peuvent attaquer les décisions d'experts. N'étant pas expert, le public ne détient aucun pouvoir de contestation...d'où le danger qui menace la démocratie.

La domination du scientisme

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Problème social ou débat technique ?

La politique c o m m e n c e à servir de tribune à des débats techniques dotés d'une apparence de rationalité. Dans la controverse suscitée récemment en Grande-Bretagne par l'avenir de l'énergie nucléaire, par exemple, la question socio-politique qui aurait dû être l'enjeu du débat, c'était la politique énergétique du pays. Autrement dit, quelle quantité d'énergie nous faut-il et quelles sont les sources possibles d'énergie? Or la question, telle qu'elle a été présentée au public, s'est ramenée à une discussion d'experts quant aux qualités techniques de différents réacteurs. Voilà un exemple qui montre bien c o m m e n t fonctionne le processus de décision dans la société technocratique.

• V e r s la libération

C o m m e n t répondre à la question de savoir pourquoi les espoirs que plaçait Bacon dans une science qui se voulait être une force libéra -trice ne semblent pas s'être réalisés? J'ai proposé deux réponses à cette question. La première, c'est que la science est devenue un facteur d'oppression parce qu'elle est aux mains et sous le contrôle des classes capita­listes des sociétés industrielles avancées, qui l'utilisent dans leur intérêt personnel. La deuxième, c'est que la science est devenue un facteur d'oppression parce que le m o d e actuel de pensée scientifique ne nous laisse qu'une conscience diminuée.

Peut-on secouer le joug de cette oppression et orienter enfin la science vers la libération de l ' h o m m e ? Les deux mouvements consi­dérés nous offrent l'un et l'autre des solutions qui impliquent une révolution sous une forme ou une autre. Pour les socialistes, la solution consiste à refondre la structure sociale dans laquelle s'insère l'activité scientifique. Tant que les intérêts de classe prévaudront, la science et la technique continueront à exploiter les masses. C'est seulement lorsque les intérêts des oppresseurs et des opprimés auront été conciliés que, dans une société socialiste, une science pourra être instituée « pour le peuple ».

Cette science serait je pense, orientée vers une série d'objectifs différents, déterminés par les intérêts de tous, et non pas simplement par

Cependant, la société dans laquelle nous vivons n'est pas une forme pure de la société technocratique qu'envisageait Francis Bacon. Elle en est une forme abâtardie : les experts « appartiennent » à la classe dirigeante, qui les m a n œ u v r e dans son intérêt personnel. Le savoir est une nouvelle source de pouvoir, unique peut-être, et l'on manipule les experts pour dépolitiser la prise de décision. Dans notre société, je cite de nouveau Roszak, « la rationalité sert les intérêts de commissaires, de capitalistes ou de bureaucrates au pouvoir ». Les décisions sont censées servir « les intérêts véritables, dûment établis et scientifiquement sains du public ». Or ce qu'elles servent, bien entendu, ce sont les intérêts véritables, dûment établis et financièrement sains de la bourgeoisie.

ceux d'une minorité. Ce serait un outil pour résoudre des problèmes humains urgents et

oir non pas un m o y e n d'exploiter le peuple pour ns des raisons de classe, de race ou de sexe. Elle •a - viserait à met t re a u point d e s t e c h n o l o g i e s l'ai contrôlées par le peuple et non pas axées sur la La domination du peuple. C e serait une science un orientée vers la libération de l ' h o m m e , ux Pour les tenants de la contre-culture, la ta- solution consiste à révolutionner la conscience ]ui et â créer une société conçue essentiellement La dans un sens anarcho-libertaire. La « science un d'intellect rhapsodique », préconisée par jel Roszak, nous permettrait de faire l'expérience ne du m o n d e au lieu d'en avoir une connaissance

purement intellectuelle, on Ces deux solutions - révolution socialiste on et révolution de la conscience - sont souvent si- considérées c o m m e antithétiques. Elles le sont ns effectivement. Néanmoins une action poli-ne tique qui n'impliquerait pas de changement d e on la conscience reviendrait à reproduire l'auto-ns ritarisme et la hiérarchie de la société contem-ue poraine, m ê m e dans un contexte nominalement et socialiste. Inversement, une transformation de

les la conscience qui ne déboucherait pas sur Its une action politique serait tout aussi peu ;té valable. La symbiose est difficile à réaliser entre ne les scientifiques « radicaux » et les tenants d e ». la contre-culture, et n o m b r e d'entre n o u s se

îrs livrent à une dialectique constante, oscillant >ar entre ces deux perspectives. En fin de c o m p t e >ar nous avons besoin des deux.

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Quel genre de société pourrions-nous donc créer? Il n'en existe actuellement, je le crains, aucune qui puisse nous servir de modèle, mais certaines tentatives ont déjà été faites pour instituer de nouvelles approches au sein des sociétés contemporaines. Le lecteur est déjà familiarisé avec une ou plusieurs de ces expériences : c o m m u n e s rurales et urbaines, écoles gratuites, anticours, projets de dévelop­pement communautaire, centres de quartier pour l'étude du droit, etc. C'est dans ce m ê m e mouvement que s'inscrit la tentative faite pour mettre au point une « autre technologie ». Ce mouvement a été fondé dans l'espoir de voir s'instaurer « une science 'nouvelle' et une technologie 'nouvelle' » [qui devraient] : n'exiger que peu d'énergie ; ne pas disperser irrémédiablement des ressources non renou­velables; exploiter des matériaux locaux, aisé­ment accessibles; recycler les matériaux sur place; ne pas produire de déchets plus rapi­dement qu'ils ne pourraient être absorbés par les cycles naturels; ne libérer de nouveaux composés chimiques qu'en quantité infini­tésimale; s'intégrer à la culture existante; satisfaire ceux qui sont chargés de les appli­quer; rester assujetties à leur contrôle; être assorties de garanties contre toute exploitation abusive [21].

L'autre technologie n'est pas devenue une réalité. Il lui m a n q u e un principe unificateur essentiel et ses impératifs fondamentaux sont souvent contradictoires : ainsi, il est louable de construire des moulins à vent pour produire de l'électricité, mais il faut bien que quelqu'un fabrique les mètres de fil de cuivre nécessaires aux machines.

Toutefois, d'autres mouvements plus encou­rageants se dessinent. L'un d'eux est le mouvement lancé par la B S S R S (entre autres) en faveur de la « science c o m m u n a u ­taire », qui cherche à « rompre l'ésotérisme de la science; à permettre à ceux qui ont affaire à l'industrie et aux pouvoirs publics de déve­lopper leurs connaissances techniques et à mettre au point une technologie nouvelle fondée sur les besoins humains et écolo­giques » [22]. Prenant pour assises l'usine et la collectivité, ce mouvement voudrait lever les barrières qui séparent le chercheur et son travail de l'action sociale et politique. Il débouchera peut-être sur une science et une technologie axées sur les besoins du travailleur et de la collectivité, évolution à laquelle peuvent participer les travailleurs, les chercheurs, les technologues et la communauté tout entière.

Il y a aussi le mouvement des « radtech » (technologues radicaux). Selon leurs propres termes, il s'agit pour eux de rassembler des gens possédant des connaissances scienti­fiques et techniques différentes pour former une collectivité au sein de la classe ouvrière. « Nous voulons, disent-ils, produire ce qui est utile aux travailleurs - qu'il s'agisse de nourri­ture, de logement, de transports ou de travail. Il ne faut pas voir dans cette entreprise un processus à sens unique, car elle ne peut réussir que s'il y a échange de connaissances et de compétences. Voilà qui contraste avec le technologue qui a peut-être une conscience sociale mais qui vit dans un secteur privilégié... et m ê m e avec les scientifiques radicaux... qui vivent dans le ghetto habituel de leur profes­sion [23]. »

Il m e semble qu'en fin de compte le problème est de savoir c o m m e n t changer la conscience, tant en théorie qu'en pratique : les socialistes se concentrent sur la prise de conscience de l'oppression matérielle tandis que la contre-culture s'attache à faire davantage prendre conscience de l'oppression spirituelle. Le clivage qui les sépare semblerait être une nouvelle manifestation de la dichotomie entre le corps et l'esprit. U n e révolution qui se ferait dans l'un de ces sens seulement serait incom­plète. Notre tâche consiste donc à chercher à créer une société dans laquelle les gens ne seraient soumis à aucune oppression, ni maté­rielle ni spirituelle, une société dans laquelle la science puisse enfin servir à libérer l 'homme.

Je terminerai en revenant au roman de Pirsig, Zen and the art of motorcycle mainte­nance, que j'ai mentionné précédemment. Pour beaucoup d'entre nous, y compris moi-m ê m e , cette œuvre décrit avec force et perspi­cacité les problèmes que nous avons rencon­trés en cherchant à comprendre qui nous s o m m e s et ce que nous s o m m e s , quel sens nous trouvons à notre existence, et c o m m e n t nous pouvons communiquer avec le m o n d e qui nous entoure à la fois sur le plan intellec­tuel et émotionnel. A la lecture de ce livre j'ai revécu une part de m a propre expérience. Pourtant, c'est là un ouvrage - une manière d'être - essentiellement individualiste qui, en tant que tel, peut provoquer un conflit intérieur intense si l'on se préoccupe égale­ment de l'exploitation et de l'oppression qui caractérisent la société actuelle. Notre véri­table problème et notre tâche primordiale sont donc de chercher à réunir ces deux sujets de préoccupation : être une personne et instituer

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une société plus juste. Tant que cette tâche ne sera pas achevée, il ne saurait y avoir de véritable libération.

• Dorothy Griffiths

socialistes il n'a été procédé à aucune redistribution significative des pouvoirs et que le capitalisme fondé sur la propriété privée a simplement été remplacé par un capitalisme fondé sur la propriété de l'État, c'est-à-dire par un capitalisme d'État Dans m o n analyse toutes les références au capitalisme et aux classes capitalistes

s'appliquent à toutes les sociétés industrielles avancées.

9. Dans An inquiry into the human prospect. N e w York; N .Y . , W . W . Norton and C o , 1974. Londres, Calder h Boyars, Ltd. Reproduit ici avec l'autorisation de ces éditeurs.

10. J. Rosenhead, « B S S R S towards a personalized definition », Science for the people, n° 18, 1972.

11. Pour une étude plus détaillée, voir : The new technology of repression : lessons from Ireland (paper n° 2) , Londres, B S S R S , 1974.

12. J. Galbraith a affirmé (dans Le nouvel État Industriel, Gallimard, Paris, 1974) que, dans les grandes sociétés (technostructures) de l'État industriel moderne, l'objectif de la maximisation des bénéfices avait été remplacé par celui de la croissance organique.

13. O n trouvera un rapport sur les préoccupations c o m m u n e s que les substances toxiques inspirent à l'industrie chimique, aux pouvoirs publics et aux spécialistes de l'environnement dans : L Gibney (dir. publ.), « Toxic substances control bill draws debate », Chem. and eng. news, 17 mars 1975 ( N D L R ) .

14. Pour une étude plus détaillée, voir : P. Kinnersly, The hazards of work : how to fight them, Londres, Pluto Press, 1973; et J. Stellman, S . D a u m , Work is dangerous to your health. N e w York, N .Y . , Vintage Books, 1973.

15. Pour un examen plus détaillé, voir : R. Müller, € The multinational corporation and the underdevelopment of the third world i, dans : C . Wilber (dir. publ.). The political economy of development and underdevelopment. N e w York, N .Y . , Random House, 1973; F. Sagasti, c Underdevelopment, science and technology : the point of view of the underdeveloped countries », Science studies, vol. 3 ,1973, p. 47-59 ; C . Cooper, c Choix des techniques et modifications technologiques c o m m e problèmes de politique économique », Revue internationale des sciences sociales, vol. X X V , n" 3 ,1973, p. 332-336.

16. Voir, par exemple, H . Marcuse, L'homme unidimensionnel, Paris, Éditions de Minuit 1968; J. Habermas, Toward a rational society, Londres, Heinemann, 1971.

17. O n trouve une réponse à cette question dans P. Anokhin, « La formation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle », Impact, science et société, vol. XXIII, n° 3, 1973 (NDLR).

18. R. Pirsig, Zen and the art of motorcycle maintenance, N e w York, N .Y . , William Morrow and Bantan Books; Londres, Bodley Head, 1974.

19. O n trouvera une autre interprétation, marxiste celle-là, de la portée sociale du progrès scientifique et technique dans P. Fedoseev, « Signification sociale de la révolution scientifique et technologique », Revue internationale des sciences sociales, vol. XXVII, n° 1, 1975 ( N D L R ) .

20. Pour un examen critique de l'évaluation technologique, voir : B. W y n n e , « Technology assessment ; superfix or superfixation », Science for the people, n° 24 ,1973.

21. P. Harper, € Transfiguration among the windmills », Undercurrents, n° 5, 1973, p. 4 .

22. « Community science », Science for the people, n° 20, 1973, p. 8.

23. < Radtech », Science for the people, n» 27, 1974, p. 11.

Dorothy Griffiths est une sociologue, chargée de cours sur la science, la technologie et la société à l'Impérial College of Science and Technology de l'Université de Londres. Elle est membre de la British Society for Social Responsibility in Science et de l'équipe de rédaction du Radical science journal et participe activement au Women's Movement. Son adresse est la suivante : Industrial Sociology Unit. Imperial College of Science and Technology, London S.W.7 1 NA (Royaume-Uni).

NOTES

1. Extrait de l'étude de Macaulay sur Bacon, cité dans J. Bernai, The social function of science, Londres, G . Routledge and Sons, 1939.

2. Science, croissance et société : une perspective nouvelle, Paris, Organisation de coopération et de développement économiques, 1971.

3 . H . Bloch, The problem defined (allocution d'ouverture au Colloque sur la civilisation et la science de la Foundation Ciba, dont les Actes ont été publiés par Elsevier, 1972, p. 3) .

4 . T . Roszak, Où finit le désert : politique et transcendance dans la société postindustrielle, p. 96, Paris. Stock, 1973.

5. Voir en particulier H . Rose et S . Rose, < The radicalisation of science », Part 1, Science for the people, n"> 22 ,1973 , et G . Wersky, f Making socialists of scientists », Radical science journal, n° 2 /3, 1975.

6. E. Chain, « The responsability of the scientist », New scientist, vol. 48, n° 724, 22 octobre 1970, p. 166.

7. Déclaration de principes de la British Society for Social Responsibility in Science, 1969.

8. Je suis convaincue que dans les États dits

326 Dorothy Griffiths

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La jeunesse des pays en voie de développement à l'ère de la technique Namik Kemal Pak

Une contre-culture ne naît que s'il existe un ensemble d'individus qui, par leur

situation sociale, se distinguent de ceux qui ont créé la culture dominante et qui

l'entretiennent. Il faut qu'il existe un groupe qui ait en commun des activités que le

système social en place ne légitime ni ne justifie. Ce groupe doit éprouver un malaise

en raison de l'écart qui sépare sa situation des objectifs sociaux existants. Dans de

telles conditions, il est probable qu'on verra apparaître une nouvelle réalité sociale

dont la nature dépendra de la situation écologique des hommes qui l'auront créée.

Je tenterai de décrire les répercussions des mutations techniques - qui sont elles-mêmes les conséquences naturelles du progrès scien­tifique - provoquées par l'industrialisation, dans une nation en voie de développement c o m m e la Turquie, sur l'ensemble de la struc­ture sociale et sur la jeunesse en particulier.

U n e évolution technique rapide entraîne des modifications dans la structure de la famille, de sorte que les jeunes jettent sur le m o n d e un regard neuf, inspiré de leur expérience i m m é ­diate plutôt que de la réalité sociale transmise par la génération précédente. La famille est l'une des institutions les plus socialisantes, et quand le milieu est relativement stable, quand il varie peu, les enfants trouvent dans l'expérience des parents des modèles auxquels ils peuvent se conformer puisque l'avenir a toutes chances d'être identique au passé. La famille est vraisemblablement autoritaire, de manière à pouvoir transmettre efficacement l'expérience d'une génération à la suivante. Quand la pratique et la situation sociales d'une génération donnée ressemblent à celles de la génération précédente, la réalité existante offre une image satisfaisante du m o n d e à la nouvelle génération.

A u contraire, dans un m o n d e qui se trans­forme, l'expérience des parents ne sera vrai­

semblablement pas utile à leurs enfants, car l'avenir peut alors être très différent du passé. Quand la situation évolue vite, la famille est plus démocratique : la distance sociale est moindre entre parents et enfants, l'autorité des premiers est relativement libérale et les seconds ne sont pas considérés c o m m e de simples objets appartenant aux parents et dépourvus de statut juridique propre et indé­pendant La famille démocratique est plus efficace en période de changement social, l'enfant étant relativement libre de s'adapter à des conditions nouvelles sans être entravé par des comportements traditionnels.

• Créer u n e réalité sociale nouvelle

U n e évolution sociale rapide, cependant, crée un abîme entre le vécu des parents et celui des enfants. L'expérience des parents ne vaut pas pour le m o n d e où s'inscrit l'existence de l'enfant. Leur système de valeurs n'offre pas de justification valable aux activités de leurs enfants. Parce qu'il est différent de ses parents, un adolescent tend à se constituer une réalité sociale nouvelle, issue de ses rapports avec ses pairs. C'est ce qui se produit, en particulier, si des individus ayant à peu près le m ê m e âge sont isolés de leur milieu familial et s'il existe

Impact : science et société, vol. XXV (1975), n° 4 327

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des institutions sociales pour les grouper par tranche d'âge (garderies, internats, colonies de vacances). La rapidité du changement social contribue alors à creuser le fameux fossé entre les générations.

En Turquie, dès les tout premiers temps de l'installation en Anatolie, la famille était autoritaire et elle n'a jamais connu de véritable fossé entre les générations. Pour que ce fossé apparaisse, il a fallu attendre les environs de 1950 et les mutations technologiques dues au passage d'une société agricole à une amorce d'industrialisation. Toutefois, le processus n'en étant encore qu'à ses débuts, la demande de main-d'œuvre n'est pas encore trop forte. L'individu passe donc par une phase d'ado­lescence, entre son enfance et le m o m e n t où, assumant un rôle d'adulte, il entre dans le système économique c o m m e travailleur. L'im­portance accordée à la scolarisation de tous les membres de ce groupe d'âge implique qu'une grande partie de leur activité passe par un réseau de relations entre pairs.

La plupart des jeunes de douze à vingt ans ne jouent aucun rôle dans cette société, l'une des fonctions tacites du système d'enseignement étant de tenir l'adolescent à l'écart du marché du travail. U n système d'enseignement qui met l'accent sur l'autorité et la discipline prépare les jeunes à répondre aux besoins d'une éco­nomie de croissance, mais il laisse l'adolescent dans une position étrange. C e dernier se voit refuser une fonction économique réelle (puis­qu'il n'y a pas d'emplois disponibles) et, n'ayant aucun rôle économique, il n'est pas « pris au sérieux ». D u point de vue sociolo­gique, par conséquent, l'adolescence n'a pas accès aux rôles d'adultes si décisifs pour l'acceptation de soi dans notre société, à savoir une fonction économique réelle dans le cadre d'un emploi et un rôle sexuel limité au mariage. Or les adolescents ne s'insèrent ni dans une profession ni dans l'institution du mariage.

Cela étant, il est apparu vers la fin des années soixante une culture de jeunes, axée autour des grandes classes de l'enseignement secondaire, qui joue un rôle de tampon entre les adolescents et le m o n d e extérieur. Cette culture de jeunes, cependant, loin d'être en opposition avec la société actuelle, est encou­ragée et acceptée par les adultes. Elle s'articule autour de la notion d'« âge bête », mettant l'accent sur l'automobile, l'acceptation sociale, le dernier cri de la m o d e vestimentaire, la danse et les surprises-parties. A bien des

égards, en réalité, la participation à cette-culture de jeunes est une bonne préparation à une existence de consommateur dans une grande ville. Il est donc facile de montrer que cette culture est en fait contrôlée par les intérêts économiques turcs (simple prolonge­ment du grand capital occidental). La situa­tion est exactement la m ê m e qu'aux États-Unis d'Amérique dans les années cinquante.

• Contestation de la structure sociale

La jeunesse est une nouvelle catégorie humaine créée par les sociétés d'abondance modernes; nous avons vu qu'elle est psycholo­giquement adulte sans participer réellement aux institutions des adultes. Être jeune, c'est être psychologiquement adulte et sociologi-quement semblable à un adolescent. Puisque le jeune n'a pas d'activité professionnelle, son statut social reste indéfini et sa situation sociale ne confère à ses yeux aucune signification essentielle aux valeurs matérialistes du capi­talisme industriel.

Pendant cette période, les jeunes passent par une crise d'identité et commencent à se forger une idéologie à leur propre usage. Pour plusieurs raisons, dont certaines sont de nature très locale, l'université devient alors une nécessité dans leur existence. N'étant attachés aux institutions sociales par aucun intérêt et n'étant pas requis de jouer des rôles d'adulte, les jeunes seront par conséquent enclins à contester les structures actuelles et les rapports qu'ils entretiennent avec elles.

Étant donné qu'un dixième seulement des jeunes de dix-huit ans accèdent à l'enseigne­ment supérieur, le fait d'être à l'écart de la population active à cet âge n'a donc rien de général. Il s'agit d'un luxe réservé surtout aux enfants de l'élite, bien que l'accès de l'univer­sité soit subordonné à un examen centralisé et apparemment honnête. En fait seule une petite minorité des individus de dix-huit à trente ans reste en dehors des institutions d'adultes pendant toute cette période. G é n é ­ralement inscrits dans des universités, ou attendant d'y entrer, ces jeunes gens sont encouragés à jeter un regard critique sur le m o n d e .

Ainsi, pendant cette période, les jeunes mettent en question la validité des institutions sociales qui les entourent et le rapport qui les unit à elles. Si les individus qui passent par cette phase de jeunesse prolongée ne sont qu'une minorité, ils augmentent en nombre

3 2 8 Namik Kemal Pak

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absolu. Cette année 280 000 candidats se sont présentés à l'examen d'entrée aux univer­sités, mais 80 000 seulement ont pu être admis. La Turquie compte un demi-million d'étudiants1, c'est-à-dire 300 000 qui sont déjà admis et 200 000 qui attendent leur tour.

A u début de la période d'industrialisation des pays aujourd'hui développés, le moteur prin­cipal du changement social était la population laborieuse, avec ses syndicats et ses organisa­tions. Cependant, la classe laborieuse a fini par se fondre dans l'ensemble de la population en raison de l'amélioration des conditions de travail, perdant ainsi une grande partie de son caractère contestataire. Une plus grande abon­dance permettait en outre de mieux satis­faire les besoins fondamentaux de la société, ce qui a mis davantage en lumière les besoins de l'individu. Mais, pour pouvoir étudier les problèmes que posent les besoins individuels, il faut avoir des loisirs. C'est en ce sens que les étudiants, plus que les travailleurs, sont bien placés pour formuler une critique sociale.

• La m o n t é e d 'un groupe d'intérêt

D e ce point de vue, nous avons en Turquie pris un meilleur départ que la plupart des pays. La critique des institutions sociales, au sens vrai du mot critique, a commencé à se déve­lopper parmi les étudiants vers la fin des années cinquante. Depuis lors, les individus âgés de plus de dix-huit ans qui ne font pas partie de la population active sont devenus assez nombreux pour constituer un important groupe d'intérêt à l'intérieur de la société turque. Comparons, par exemple, les chiffres mention­nés ci-dessus aux 36 000 étudiants de 1955 : en 1973, il y a deux ans seulement, cet effectif s'était élevé à 200 0 0 0 2 , pour atteindre 500 000 cette année. Jusqu'à un certain point, on peut affirmer que ces étudiants constituent le plus grand groupe d'intérêt du pays3. En d'autres termes, l'évolution technique a mis un grand nombre de jeunes gens en situation d'interaction avec d'autres individus ayant à peu près le m ê m e âge et, de ce fait, un certain nombre de problèmes c o m m u n s s'imposent à eux dans leurs rapports avec le système écono­mique.

La population étudiante compte aussi- un nombre croissant d'individus de vingt-cinq à trente ans qu'on peut difficilement considérer c o m m e des adolescents; ils sont nous l'avons vu, psychologiquement adultes, mais encore

libres de toute fonction adulte dans la société. Cette masse de jeunes gens est le noyau d'un mouvement social qui commence à réagir aux problèmes apparemment inhérents à toutes les sociétés industrielles et à chercher les moyens de changer les structures sociales existantes. La télévision et les autres moyens de grande information ont eu pour effet de rapprocher ce demi-million de personnes qui ont ainsi pris davantage conscience de leurs intérêts et problèmes c o m m u n s . A partir de 1960 environ, ces jeunes gens ont peu à peu acquis le senti­ment de former un groupe distinct.

Ce sentiment d'identité est dû à une division de la population en deux camps qui, selon certains, aurait été voulue par les intérêts économiques du pays. Avant d'analyser ce phénomène, je dois constater une grande diffé­rence entre les étudiants turcs et ceux d'Europe et d'Amérique du Nord. Si le fait d'écarter la jeunesse du marché du travail dans une société d'abondance équivaut à un luxe, dans notre pays la plupart des personnes qui se trouvent dans cette situation entrent dans une période de pénurie (sauf pour une petite minorité, une période d'études prolongée est un fardeau ; le groupe qui le ressent n'appartient pas à la classe des oisifs). A mesure que l'industria­lisation se poursuit, les classes élevées et les couches supérieures des classes moyennes s'accroissent A cet accroissement s'ajoute une nouvelle génération d'adolescents dont l'exis­tence est axée sur les écoles secondaires et qui connaît une véritable aisance. N e travaillant pas et à l'abri de la plupart des soucis d'ordre économique, ces jeunes gens passent une grande partie de leur temps à rencontrer des personnes de divers milieux et à fréquenter des discothèques et des cafés. Divertissement et liberté leur tiennent lieu de m o d e de vie, de valeurs socio-culturelles et m ê m e de dieux.

U n e population nombreuse et aisée, dont les besoins matériels sont satisfaits et qui observe une attitude critique à l'égard de la structure sociale, commence inévitablement à chercher les moyens de satisfaire les besoins de l'indi­vidu. Puisque nos institutions actuelles ne permettent pas de satisfaire ces besoins, on

1. Rapport du Central College Entrance Examination Committee (diffusion restreinte), juin 1975. 2 . National Statistics Institute of Turkey, Annals (volume spécial du cinquantenaire) n° 691, 1973. 3 . La population totale du pays est approximativement de 35 millions d'habitants, dont 3 5 % d'analphabètes environ. La jeunesse universitaire représente donc une fraction substantielle de la population alphabète.

La jeunesse des pays en voie de développement à l'ère de la technique 329

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c o m m e n c e à chercher de nouveaux types de comportement. U n e nouvelle réalité sociale prend corps. Mais les valeurs adoptées par la nouvelle < culture » ont en fait leurs racines dans l'histoire des sociétés occidentales. En d'autres termes, la nouvelle réalité sociale ne nait pas de l'air du temps : elle est un produit de la situation particulière de la classe moyenne, moteur de l'activité économique, qui est elle-m ê m e le résultat de l'évolution scientifique et technique.

• La minorité exploite la majorité

La Turquie est donc aujourd'hui divisée, c o m m e presque tous les pays en voie de développement, en deux grands camps sociaux. L'aile droite politique, représentée par 6 5 % des membres du Parlement, semble être organisée et appuyée par l'élément commercial et industriel du pays, groupe qui constitue peut-être moins de 0,1 % de la population. Cet élément sait exactement commen t exploi­ter la majorité de la nation, toujours prête à soutenir la religion officielle, le patriotisme et la morale conventionnelle.

Dans un pays semi-agraire c o m m e le nôtre, il est naturel que les enfants soient, jusqu'à un certain âge, les répliques exactes de leurs parents. S'ils sont admis à l'université, souvent après une période orageuse et agitée, ils peuvent choisir entre deux voies : soit rallier l'aile droite (qui n'est pas trop éloignée de la manière dont ils ont été élevés), soit soutenir l'aile gauche (moins attrayante pour des jeunes gens de vingt ans parce qu'elle implique des sacrifices et un avenir moins prometteur et moins enrichissant). Étant donné les considéra­tions qui précèdent, il n'est plus paradoxal, d'une manière générale, de constater que l'on insiste davantage sur la liberté d'expression et le droit de n'être pas d'accord dans les couches aisées de la population que parmi les éléments moins favorisés.

La contre-culture chez les jeunes est apparue tout d'abord dans les universités qui étaient alors les plus prestigieuses, l'Université d'Is­tanbul et l'Université technique de cette m ê m e ville, vers la fin des années cinquante. Elle s'est développée chez les éléments les plus aisés sous forme d'un mouvement patriotique de droite pour s'étendre finalement à la plus grande partie de la jeunesse. Elle s'est ensuite divisée en deux grands camps, respectivement de droite et de gauche au sens politique des termes.

Nous avons vu qu'il faut s'attendre à des mouvements d'étudiants dans les sociétés où l'autorité traditionnelle se désintègre sous l'influence de l'industrialisation et de la moder­nisation, là où les familles adhèrent à la culture établie. La modernisation creuse un fossé entre les valeurs familiales et celles de la société. Les mouvements de jeunes se développent pour faciliter l'adaptation aux conditions créées par l'industrialisation et faire accepter les valeurs du rationalisme, de la démocratie, etc., ce que n'avait pas permis la famille agraire traditionnelle.

Nous avons également noté que le nouveau système de valeurs se fonde sur un excédent de jeunes diplômés qui risquent de se trouver en chômage en raison d'une insuffisance de débouchés dans les domaines auxquels ils se sont préparés. L'autorité politique, pour sa part, établit un système universitaire pour assurer le progrès technique mais résiste aux changements culturels indispensables à l'entrée d'une société dans l'ère industrielle. La jeunesse perçoit les nouvelles valeurs culturelles et les traduit en mouvements sociaux orientés vers l'avenir.

• La création d e valeurs pour l'avenir

La détérioration culturelle, un excédent de diplômés, des régimes politiques réaction­naires et la situation générale de l'enseigne­ment supérieur se conjuguent donc pour provo­quer l'agitation de la jeunesse dans les sociétés qui passent d'une économie agricole à une économie technologique. D e ce point de vue, on s'attendrait que les mouvements de jeunesse prennent fin à partir du m o m e n t où un pays parvient à un état industriel stable. Mais cette prévision semble contredite par l'activité de la jeunesse dans les nations industrielles avancées.

O n pourrait supposer alors que les m o u v e ­ments de jeunes représentent dans les pays développés une tentative de création d 'un ensemble de valeurs pour une nouvelle période historique; que ces mouvements, loin d'être régressifs, pourraient bien annoncer le type de système culturel qui finira par prédominer dans la société postindustrielle. La jeunesse aisée de la société industrielle avancée pourra m ê m e se trouver devant un fossé entre les valeurs familiales et la « réalité » sociétale, analogue à celui que l'on constate en Turquie ou dans tout autre pays en voie de développe­ment. Cependant, il s'agit moins d'opposition entre les systèmes de valeurs traditionnelles et

330 Namik Kemal Pak

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industrielles qu'entre les valeurs industrielles et les valeurs humanistes.

O n sait que les sociétés industrielles ont formé trop de professeurs, d'ingénieurs et de docteurs (es sciences) pour les emplois dispo­nibles. Quand non seulement les emplois font défaut ou ne correspondent pas aux qualifi­cations mais encore quand les rémunérations extrinsèques perdent de leur pertinence dans une société d'abondance et que les familles affichent un scepticisme humaniste, les jeunes deviennent incapables de se situer par rapport aux institutions sociales existantes. U n e nou­velle culture de la jeunesse apparaît alors pour combler un vide.

A u x États-Unis, par exemple, la guerre d'Indochine, l'échec du mouvement des droits civils dans la lutte pour une égalité complète des Noirs et la découverte que l'abondance n'inaugure pas une ère de bonheur, ont conduit la jeunesse à contester les postulats du capi­talisme industriel. D e ce point de vue, la jeunesse turque porte la lourde responsabilité de conduire la nation, à travers cette période chaotique de transformation, vers le système économique qui lui convient, quel que puisse en être le prix.

Namik K. Pak

M. Pak, spécialiste de physique théorique attaché à l'Université Haceteppe d'Ankara, nous précise que l'article ci-dessus est, de ceux qu'il a .écrits, le premier quine soit pas directement lié à sa spécialité. Son adresse est la suivante : Département de physique (83), Université Haceteppe, Ankara (Turquie).

La jeunesse des pays en voie de développement à l'ère de la technique 331

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La science et la jeunesse en URSS Vladimir A . Zoubkov

L'influence de la révolution scientifique et technique se fait diversement sentir su

les peuples et les États du monde; leurs réactions sont différentes selon qu'ils

appartiennent à tel ou tel système économique et social. Certains prédisent un avenir

sombre à l'humanité, tandis que d'autres, s'efforçant de mettre sur le même pied le

développement des divers systèmes économiques et sociaux, voient dans la science

et la technique la panacée qui guérira tous les maux et toutes les tensions sociales.

Le problème du rôle des scientifiques et de l'intelligentsia scientifique et technique

retient tout spécialement l'attention, et le progrès continu de la science et de la

technique confère un rôle particulièrement important aux scientifiques de la jeune

génération.

C'est à la lumière de ce qui précède, que nous allons traiter quelques questions touchant au rôle et à la situation des jeunes scientifiques en U R S S .

L'Union soviétique a obtenu des succès particulièrement spectaculaires dans le déve­loppement des sciences et de l'éducation, succès qui sont maintenant connus dans le m o n d e entier. Le Parti communiste et le gouvernement soviétique n'ont cessé, depuis les premières années du pouvoir soviétique, de s'intéresser au développement des sciences. Leurs efforts sont aujourd'hui couronnés par l'existence de tout un système d'institutions scientifiques, à la fois extrêmement diversi­fiées et organiquement liées, qui comprend plus de 5 300 institutions scientifiques, dont 842 établissements d'enseignement supérieur. Cette réussite dans le développement des sciences est due à la valeur des cadres scien­tifiques. Depuis le début du pouvoir sovié­tique, le nombre des scientifiques en U R S S a presque centuplé et à la fin de l'année 1971 il s'élevait à 1 002 900 personnes.

C'est pendant la période qui a suivi la guerre que le potentiel scientifique de l'Union

soviétique s'est le plus rapidement développé. D e 1950 à 1971 le nombre des institutions scientifiques a été multiplié par 1,5, celui des instituts de recherche scientifique et de leurs filiales étant multiplié par le coefficient 2,3. Pendant la m ê m e période, le nombre des scientifiques a plus que sextuplé tandis que le budget consacré à la science est passé d'un milliard de roubles en 1950 à 13 milliards en 1971.

S'il est évident que le nombre des scienti­fiques et le budget consacré à la science ne peuvent continuer à s'accroître au rythme des vingt dernières années, la société a tout intérêt à ce que le développement de l'activité scienti­fique se poursuive. C'est pourquoi la question se pose actuellement du passage d'un déve­loppement essentiellement extensif des sciences à un développement intensif : efficacité accrue de la recherche scientifique, application plus rapide de ses résultats à l'activité économique, perfectionnement des scientifiques, accroisse­ment notable des infrastructures matérielles et techniques des institutions scientifiques, orga­nisation optimale de l'activité scientifique et de sa gestion.

Impact : science et société, vol. XXV (1975), n° 4 333

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• Les jeunes constituent la majorité

C'est du niveau du développement des sciences et des techniques que dépendent dans une grande mesure le succès de nos plans écono­miques, le perfectionnement graduel de tout le système des relations sociales et la formation d'un h o m m e nouveau, alors que l'accroisse­ment du nombre des scientifiques est dû principalement à l'afflux des jeunes.

En 1971, sur 930 000 scientifiques, le quart était en âge d'appartenir aux jeunesses c o m m u ­nistes (moins de 29 ans). Il faut noter en m ê m e temps que le niveau de formation professionnelle des jeunes scientifiques et des jeunes cadres techniques est en amélioration constante. A titre d'exemple, le nombre des « candidats » es sciences âgés de moins de 30 ans employés dans les instituts scienti­fiques de l'Académie des sciences de l 'URSS a été multiplié par près de 1,4 entre 1966 et 1970. U n autre exemple significatif, l'âge moyen des chercheurs de l'Institut d'optique de l'atmo­sphère de la section sibérienne de l'Académie des sciences de l 'URSS, qui vient d'être fondé à Tomsk, est de 28 ans et celui des membres du Conseil scientifique de ce m ê m e institut dépasse à peine 30 ans. La tendance au rajeunissement du personnel scientifique se maintiendra dans l'avenir.

« O n peut dire que maintenant les jeunes constituent la majorité des chercheurs, écrit l'académicien M . V . Keldych, ancien président de l'Académie des sciences de l 'URSS. Bien sûr, les jeunes scientifiques ne pourraient pas travailler sans leurs aînés, mais ceux-ci ne pourraient pas non plus se passer des jeunes. La jeunesse est animée par un esprit de recherche, de création, de renouvellement, de sacrifice de soi au service du peuple. » L'académicien I. V . Kourtchatov a dit à juste titre de nos jeunes scientifiques qu'ils étaient le « trésor de la science ». Dans les sciences c o m m e ailleurs, la jeunesse soviétique s'efforce d'être à l'avant-garde et de se consacrer entièrement à une activité créatrice. C'est pourquoi les jeunes scientifiques jouent un rôle très important dans les découvertes scien­tifiques réalisées en Union soviétique. Notre pays compte un grand nombre de scientifiques qui, à un âge relativement précoce, ont acquis de la notoriété non seulement en U R S S mais également à l'étranger. Tel est le cas d'un jeune physicien très connu, Alexandre Skrinski, d'Akademgorodok, près de Novossibirsk, qui, de simple attaché de recherche (sans titre ni

grade), est devenu en sept ans membre de l'Académie des sciences, lauréat du prix Lénine.

Récemment, un jeune « aspirant » (étudiant de 3 * cycle) de la filiale de Leningrad de l'Académie des sciences de l 'URSS, Youri V . Matiassévitch, obtint à 2 2 ans des résultats brillants, ce qui le mit au rang des mathématiciens modernes les plus connus. Il est intéressant de noter que Matiassévitch avait été admis à l'Université de Leningrad avant la fin de ses études secondaires grâce à sa victoire aux Olympiades internationales de mathématiques. Dès ses premières années d'université, il fit un certain nombre de découvertes et présenta une communication sur l'une d'entre elles au Congrès international des mathématiciens de 1966 ; commençant son 3 e cycle il réussit à soutenir sa thèse de « candidat » es sciences dès la première année, en développant un travail antérieur sur la logique mathématique.

En 1970, le Prix de la jeunesse communiste a été attribué à Mourat Khamraev, docteur es lettres âgé de 28 ans. Il est extrêmement rare de voir à cet âge une œuvre exceptionnelle dans les sciences humaines. Diplômé de la Faculté des études orientales de l'Université de Tachkent, Mourat Khamraev entreprit des études de 3 e cycle; un an et demi plus tard il soutenait sa thèse de « candidat » et quatre ans plus tard sa thèse de doctorat. Khamraev est aujourd'hui un turcologue distingué.

• U n nouveau statut social pour les scientifiques

D e m ê m e , il n'a fallu que trois ans à Youri Erchov, de Novossibirsk, pour passer de l'état d'étudiant à celui de professeur; quelques années plus tard ses travaux sur l'algèbre lui ont valu de devenir membre correspondant de l'Académie des sciences de l 'URSS. O n pourrait multiplier les exemples.

La situation des jeunes scientifiques dans la société socialiste et leur rôle dans le développe­ment des sciences et des techniques sont déterminés par les avantages du socialisme qui permet un développement sans précédent de la science, confère un prestige social élevé à la profession de scientifique et offre des condi­tions particulièrement favorables à la recherche scientifique et technique dès les plus jeunes années. Le Parti communiste et l'État sovié­tique sont animés du souci constant de former et d'instruire des jeunes scientifiques, de créer

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les conditions nécessaires à leur perfection­nement et à leur participation aux décisions concernant les grands problèmes de la science et de la technique.

C'est ainsi que dans notre pays les jeunes scientifiques participent à l'égal de leurs aînés, à tous les domaines de la vie politique et sociale, prennent une part active à la lutte pour la paix sur la terre et pour l'humanisme de la science, afin que ses résultats ne puissent jamais être utilisés au détriment de l'humanité. Les jeunes scientifiques jouissent de tous les droits qu'accorde la loi soviétique aux h o m m e s de science en général ; en outre, ils bénéficient d'un certain nombre d'avantages qui ont pour but de stimuler leur intérêt et d'assurer leur perfectionnement.

Les conseils de jeunes scientifiques contri­buent, dans une grande mesure, au perfec­tionnement des jeunes h o m m e s de science et les aident à se faire une conception scientifique du m o n d e et à acquérir de hautes qualités morales. Les organismes publics et les organi­sations sociales récompensent par des prix et des médailles les résultats les plus remar­quables obtenus par les jeunes scientifiques.

L'Union des jeunesses communistes joue un grand rôle dans l'éducation des jeunes scientifiques et fait participer la jeune généra­tion au progrès scientifique et technique. Ces dernières années, les éditions soviétiques ont vu s'accroître sensiblement le nombre de publications consacrées aux jeunes scienti­fiques, à leur formation et à leur éducation. O n peut citer des ouvrages tels que Le trésor de la science ; La jeunesse et les horizons de la science ; La personnalité de l'étudiant [1,2,3] \

Récemment , les éditions Molodaja Gvardja ont publié un ouvrage intitulé Vozrastpoznani/a [L'âge de la connaissance] dans lequel douze grands savants soviétiques, membres de l'Aca­démie, étudient et analysent en détail des problèmes tels que la place et le rôle de la jeunesse dans la recherche scientifique de notre pays, la formation et l'éducation des jeunes scientifiques, les aspects psycholo­giques de la créativité scientifique, la personna­lité du chercheur, etc. [4].

Dans un texte adressé à la jeunesse, M . V . Keldych, ancien président de l'Académie des sciences de l 'URSS, écrit que le travail de recherche éveille en lui ce sentiment de bonheur dont a très heureusement parlé le compositeur Edward Grieg. Alors qu'il se promenait à la campagne, le musicien entendit une jeune paysanne chanter un air qu'il avait

composé; il comprit alors que sa musique était devenue une partie de l'âme de cette jeune fille, que ce qu'il avait créé avait pénétré au fond de l'âme populaire. Eh bien, c'est cette m ê m e joie que ressent le chercheur lorsqu'il constate que ce qu'il a inventé transforme la vie. Tout jeune scientifique peut accéder sans restrictions à ce type de bonheur.

• Équipes de chercheurs; chercheurs individuels

Le Parti communiste et le gouvernement sovié­tique accordent une grande attention à l'action menée auprès des jeunes scientifiques, à la mise en place des conditions les plus favo­rables à leur perfectionnement et à leur parti­cipation à la vie politique et sociale du pays. Les organismes directement responsables de cette action sont le Comité d'État du Conseil des ministres pour la science et la technique, le Ministère de l'enseignement supérieur et de l'enseignement secondaire spécialisé, l'Aca­démie des sciences de l 'URSS, les académies des sciences de chacune des républiques fédérées et les académies spécialisées. L'Union, des jeunesses communistes de l'Union sovié­tique joue également un grand rôle dans l'action menée auprès des jeunes scientifiques. C'est ainsi que l'Union des jeunesses communistes à institué des prix pour récompenser les jeunes scientifiques. Ces prix sont attribués tous les ans par le bureau du Comité central des jeunesses communistes à la date du 29 octobre, jour anniversaire de la fondation de cette orga­nisation.

Qu'ils soient l'œuvre de chercheurs indivi­duels ou d'équipes de recherche, les travaux admis à concourir pour l'obtention de ce prix doivent être d'un haut niveau soit dans le domaine de la théorie, soit dans celui des sciences appliquées. La limite d'âge des candidats est de 33 ans. Quant aux travaux, ils doivent avoir été réalisés dans le courant de l'année précédente. Ils sont examinés par une commission composée de représentants du Comité d'État mentionné ci-dessus de l'Aca­démie des sciences de l 'URSS; du Ministère de l'enseignement supérieur et de l'enseigne­ment secondaire spécialisé de l 'URSS et du Conseil des jeunes scientifiques du Comité central de l'Union des jeunesses communistes. Les lauréats primés reçoivent des diplôm s,

1. Les chiffres entre crochets renvoient à la bibliogra­phie à la fin de l'article.

La science et la jeunesse en U R S S 335

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des médailles et une s o m m e de 2 000 roubles; en outre leur n o m est inscrit au livre d'or de l'Union des jeunesses communistes (c'est en 1967 que ce prix a été attribué pour la première fois.)

Les travaux des lauréats doivent être non seulement originaux mais représenter de véri­tables découvertes. C'est ainsi que l'ensemble des recherches de bio-énergétique du jeune biologiste de Moscou Vladimir Skoulatchov a ouvert toute une voie nouvelle en biochimie. D e m ê m e , deux jeunes informaticiens de Kiev, Victor Chkroub et Vladimir Kouznetsov ont réalisé le système Lvov, premier système de gestion automatique et rationnelle des entre­prises réalisé en U R S S .

Ernst Gaouchous, candidat es sciences techniques, a trouvé les formules mathéma­tiques qui permettent de guider les stations automatiques cosmiques; il a ainsi doté les ingénieurs d'une méthode qui leur permet de simplifier sensiblement le guidage des satellites automatiques. Il est intéressant de noter qu'Ernst Gaouchous n'est pas mathé­maticien de profession; les mathématiques sont pour lui un violon d'Ingres, auquel il s'adonne pendant ses loisirs, attitude caracté­ristique de beaucoup de jeunes chercheurs qui, dès l'âge scolaire, ont été éduqués dans un esprit de respect et d'intérêt pour les choses de la science.

Le prix de l'Union des jeunesses communistes récompense aussi des équipes de chercheurs. C'est ainsi qu'en 1971, il a été décerné, pour un travail intitulé « Mise au point de méthodes accélérées de recherches optico-électroniques et leur application à la radio-physique quan-tique et à l'optique non linéaire », à quatre jeunes chercheurs de l'Académie des sciences de l 'URSS (Institut de physique Lebedev), Vladlen Korobkine, Alexandre Maliouguine, René Serov et Mikhail Chevelev. Il suffit de préciser que pour la seule année 1971 les 157 meilleurs travaux des centres de recherche de toutes les républiques fédérées et régions de l 'URSS ont concouru pour l'obtention du prix.

• Sciences exactes et sciences h u m a i n e s

Parmi les lauréats figurent également des membres du personnel des établissements d'enseignement supérieur. C'est ainsi que pour l'année 1972, on compte douze lauréats parmi cette catégorie de chercheurs. Citons, à titre d'exemple, deux scientifiques issus de

l'Université de Leningrad : Alexandre Vassiliev, titulaire de la chaire de théorie du noyau et des particules élémentaires, qui a reçu un prix pour son travail sur « les aspects algébriques de la théorie quantique du c h a m p », Serge Inge-Vetchtomov, jeune docteur es sciences qui fait fonction de directeur du Département de géné­tique et de sélection et qui a reçu un prix pour son travail intitulé « Recherche sur la structure et la fonction du gène dans le système du génotype. » Pour la seule période 1967-1973, 79 prix ont été attribués par l'Union des jeu­nesses communistes dans le domaine des sciences, de la technologie et de l'économie. Ces prix ont été partagés par 182 chercheurs individuels et 24 équipes de recherche tra­vaillant aussi bien dans l'industrie que dans des établissements d'enseignement.

Le grand savant N . V . Bassov, membre de l'Académie des sciences, président de la commission du Comité central de l'Union des jeunesses communistes chargée de l'attribu­tion des prix pour les sciences, la technique et l'économie, a déclaré à ce sujet : « Les travaux primés représentent un apport signi­ficatif aux recherches fondamentales de phy­sique, de mathématiques, de chimie, de biologie et de géologie; leurs applications industrielles sont également de la plus grande importance. »

Les concours de sciences sociales ont égale­ment attiré de nombreux candidats. Ils se font en deux tours : pour y prendre part, il faut présenter soit une publication (livre, brochure, article, essai, ouvrage didactique), soit un manuscrit sur la philosophie marxiste-léniniste, le communisme scientifique, l'économie poli­tique, l'économie appliquée, l'histoire du Parti communiste de l 'URSS, l'histoire de l'Union des jeunesses communistes, le Mouvement international de la jeunesse, le droit, la psycho­logie, la pédagogie ou les problèmes de l'édu­cation de la jeunesse dans l'esprit du c o m m u ­nisme. La limite d'âge est fixée à 33 ans.

En 1973, l'Académie des sciences de l 'URSS a organisé un concours pour l'attribution de trois médailles accompagnées de prix d'une valeur de 200 roubles chacun aux meilleurs travaux de recherche dans les trois domaines suivants : mécanismes de gestion, géologie, problèmes sociaux et économiques de la société socialiste avancée. Les conseils de jeunes scientifiques jouent également un grand rôle dans le travail et l'activité sociale de ces derniers.

En avril 1973, le Comité d'État du Conseil

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des ministres de l 'URSS pour la science et la technique, le Ministère de l'enseignement supérieur et de l'enseignement secondaire spécialisé et le bureau du Comité central de l'Union des jeunesses communistes ont approuvé un nouveau règlement sur les conseils de jeunes scientifiques (ou cadres techniques) des organismes de recherche scientifique, des bureaux d'études, des instituts de technologie et des sections scientifiques des établissements d'enseignement supérieur. C e nouveau règlement, qui est une synthèse des expériences acquises dans ce domaine, a permis de développer et de préciser les buts, les principes d'action, la fonction et les droits des conseils de jeunes scientifiques (ou cadres techniques).

• Objectifs des conseils

Les conseils ont essentiellement pour buts : D e contribuer au perfectionnement scientifique,

technique et culturel des jeunes scientifiques et cadres techniques;

D'éveiller l'intérêt des jeunes scientifiques et des cadres techniques pour le progrès scientifique et technique de manière à en accélérer le rythme et à lier la théorie à la pratique de la production;

D e développer chez les jeunes cadres scien­tifiques et techniques le besoin d'étudier constamment la théorie marxiste-léniniste et l'aptitude à appliquer cette théorie à leur activité scientifique et sociale;

D e participer à la diffusion des connaissances politiques et des résultats des recherches scientifiques et techniques de pointe auprès des travailleurs et des jeunes;

D e faire participer les jeunes cadres scienti­fiques et techniques à l'organisation du travail scientifique et technique des écoliers, des élèves des écoles professionnelles et des écoles secondaires spécialisées, des étudiants et des jeunes ouvriers.

Des conseils de jeunes scientifiques sont constitués dans tout organisme comptant au moins dix jeunes scientifiques ou cadres techniques. L'action des conseils s'adresse aux jeunes scientifiques ou cadres diplômés âgés de moins de 33 ans.

Les conseils agissent sous le contrôle direct des organismes du parti ou des jeunesses communistes et de la direction de l'organisa­tion ou de l'établissement d'enseignement compétent auquel ils se rattachent Les conseils sont élus annuellement par l'Assemblée géné­

rale des jeunes cadres scientifiques et tech­niques. Des commissions spécialisées sont créées au sein des conseils, ou y sont rattachées. Leur compétence correspond aux domaines qui relèvent du conseil ou à une branche d'activité donnée. Les membres des conseils élisent leur président et les présidents de commission. Le directeur de l'organisme désigne, sur une liste d'éminents scientifiques et spécialistes, des conseillers chargés d'assister les conseils de jeunes cadres.

Les droits de ces conseils sont très étendus. En particulier, ils ont le droit d'étudier la manière dont les jeunes cadres scientifiques ou techniques sont répartis au sein de l'orga­nisme où ils travaillent, de faire des proposi­tions à la direction ou aux organismes c o m p é ­tents sur les conditions de travail, les avantages sociaux et l'organisation des loisirs des jeunes, cadres, d'organiser des tests pour vérifier les progrès de la formation scientifique et pro­fessionnelle des cours, des séminaires, des colloques sur des sujets techniques ou scien­tifiques, des concours et des expositions sur les meilleures réalisations scientifiques et techniques des jeunes, de conseiller la direction sur les stages accomplis par de jeunes scien­tifiques dans des entreprises ou des établisse­ments nationaux ou étrangers, en vue d ' a m é ­liorer leur qualification professionnelle et d'approfondir leurs connaissances, de prendre part aux travaux des commissions du personnel chargées de la notation, de la promotion ou de la rétrogradation des jeunes cadres, ou encore de leur mutation dans un autre lieu de travail; ils contrôlent également le travail des boursiers de recherche.

Les conseils de jeunes cadres peuvent parti­ciper à l'élaboration des plans à court terme ou à long terme de créations d'emplois pour jeunes cadres scientifiques et techniques, peuvent aider les établissements d'enseigne­ment supérieur et les écoles techniques à améliorer la formation professionnelle des jeunes spécialistes et vérifier s'ils sont bien utilisés et répartis.

• D e s réunions renforcent l'activité des conseils .

Il incombe aux conseils de jeunes cadres de procéder au choix des travaux qui seront présentés à la commission d'attribution du prix de l'Union des jeunesses communistes dans le domaine des sciences, de la techno­logie et de l'économie, du prix de l'Académie

La science et la jeunesse en U R S S 337

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des sciences de l 'URSS et des prix attribués par des organisations sociales en matière scientifique ou technique. C e sont eux qui recommandent les travaux admis à faire partie de l'exposition des réalisations scientifiques et techniques de la jeunesse de l ' U R S S 1 .

Les conseils de jeunes scientifiques ont un représentant au sein du conseil scientifique ou scientifico-technique de l'établissement d'enseignement supérieur ou de l'institut de recherche où ils travaillent. Des fonctions analogues, avec quelques variantes, sont attribuées aux conseils de jeunes cadres techniques des entreprises (industrie, construc­tion, transports, communications, services, etc.). Tant dans les entreprises que dans les instituts scientifiques, les conseils jouent un grand rôle dans le perfectionnement des jeunes diplômés des établissements d'enseigne­ment supérieur.

Les conférences de jeunes scientifiques sont très répandues. Elles sont organisées par les jeunes e u x - m ê m e s qui y invitent des scienti­fiques éminents; ceux-ci leur portent la contra­diction, analysent leurs exposés, et présentent eux -mêmes des communications consacrées aux tendances principales de l'évolution scien­tifique et aux découvertes récentes. C'est ainsi qu'à l'Institut de l'énergie atomique Kourtcha-tov, les académiciens A . P. Alexandrov, I. K. Kikoïne, M . D . Millionschikov ont présidé des conférences de ce type. D'autres réunions analogues sont organisées à Novossibirsk, Sverdlosk, etc. Pour la seule année 1970/71 les conseils de jeunes cadres scientifiques et techniques ont organisé un total de 728 confé­rences scientifiques et techniques, dont 14 au niveau de l 'URSS ou d'une des républiques fédérées.

C e ne sont là que quelques-uns des éléments principaux qui caractérisent la situation des jeunes scientifiques dans la société soviétique et leur rôle au service de la science et de l 'homme.

Depuis quelques années l'activité de l'élé­ment le plus jeune de la « corporation » des scientifiques soviétiques, à savoir les étudiants, s'est considérablement développée. Il s'agit là d'un phénomène original, tant en ce qui concerne le statut du groupe intéressé que l'âge de ses membres. Alors qu'il n'y a pas très longtemps, le nombre des étudiants qui prenaient part à la recherche scientifique était de l'ordre de 500 000, il s'élève actuellement à plus de 1 100 000 jeunes gens et jeunes filles, soit près d'un tiers du nombre total des

étudiants à plein temps. L'activité scientifique fait maintenant organiquement partie du cursus des études; elle dépasse le cadre strictement universitaire, un rapport étroit ayant été établi avec les diverses branches de l'activité économique du pays. Pour la seule décennie 1960-1970, plus de 7 000 articles écrits par des étudiants ont été publiés dans des recueils ou des revues scientifiques.

C e qui est le plus remarquable, c'est la participation des étudiants au développement économique : de 1970 à 1972, parmi les certi­ficats et brevets déposés, plus de 3 500 avaient des étudiants c o m m e co-auteurs; d'autre part, les étudiants ont participé à plus de 49 000 tra­vaux d'application à la production. Ajoutons que les travaux scientifiques présentés par les étudiants au Concours général des réalisations scientifiques et techniques de l 'URSS s'ac­croissent en nombre et sont en amélioration constante. Depuis 1974 les meilleurs travaux de recherche scientifique dus à des étudiants, sélectionnés par les commissions d'experts de ce concours, peuvent recevoir des médailles spéciales, instituées par l'Académie des sciences de l 'URSS, à la demande du Comité central de l'Union des jeunesses communistes et du Ministère de l'enseignement supérieur et de l'enseignement secondaire spécialisé de l'URSS.

• La raison d'être d u concours

Pour inciter les étudiants à faire de la recherche, le Conseil des ministres de l 'URSS a institué 300 médailles destinées à récompenser chaque année des travaux scientifiques et techniques. En outre, pour leurs travaux, les étudiants peuvent recevoir des médailles et des prix en espèces attribués par le Presidium de l'Acadé­mie des sciences de l 'URSS, par les académies des sciences de chacune des républiques fédérées, par l'Exposition permanente des réalisations de l'économie de l 'URSS et par les ministères de l'enseignement supérieur et de l'enseignement secondaire spécialisé de cha­cune des républiques fédérées. Pous stimuler la recherche scientifique personnelle des étudiants, le Ministère de l'enseignement supé­rieur et de l'enseignement secondaire spécialisé

1. Le lieu où se tient cette exposition est appelé Vistavka Dostijhenii Narodnogo Khoziaistva S S S R ( V D N K h S S S R ) ou Exposition des réalisations techniques du peuple soviétique, dont les stands de démonstration changent régulièrement Les touristes visitant Moscou trouveront l'exposition, boulevard Mira, au nord de la capitale soviétique ( N D L R ) .

338 Vladimir A . Zoubkov

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de l 'URSS organise régulièrement des concours pour le meilleur travail scientifique réalisé par des étudiants des écoles scientifiques et techniques et des expositions sur les résultats du Concours général des réalisations de l'éco­nomie de l 'URSS.

Pour le seul Concours général consacré à la célébration du 100 e anniversaire de la naissance de Lénine, les 3 8 commissions spécialisées dans chacune des branches scien­tifiques et techniques ont examiné 7 067 tra­vaux présentés par 512 établissements d'en­seignement supérieur; 1 023 étudiants ont été récompensés. Depuis huit ans, le nombre des participants à ce concours a été multiplié par 4 , notamment dans les disciplines suivantes : mathématiques, physique, chimie, biologie énergétique, électronique, cybernétique, infor­matique et construction d'instruments.

Le Ministère de l'enseignement supérieur et de l'enseignement secondaire spécialisé de l 'URSS et le Comité central de l'Union des jeunesses communistes ont décidé d'organiser de novembre 1973 à octobre 1974 une olympiade pour les disciplines scientifiques générales ainsi que pour certaines disciplines spécifiques sur le thème « Les étudiants et le progrès scientifique et technique ». Cette olympiade, organisée à l'échelon de l'Union soviétique, a permis aux étudiants d'appro­fondir et de mieux assimiler les connaissances modernes, d'acquérir le goût du travail personnel, et l'intérêt pour la spécialité choisie.

D'autre part, la participation des étudiants aux concours portant sur les sciences sociales et sur l'histoire de l'Union des jeunesses communistes et du mouvement international de la jeunesse est en sensible augmentation. Près d'un étudiant sur deux a participé au quatrième concours de sciences sociales et d'histoire de l'Union des jeunesses c o m m u ­nistes et du Mouvement international de la jeunesse. O n voit que les jeunes étudiants portent un intérêt croissant à l'étude person­nelle des sciences sociales. D e m ê m e , des médailles et des prix ont été institués pour les meilleurs travaux de recherche en pédagogie, psychologie, éthique et esthétique. Le Minis­tère de l'éducation de l 'URSS et l'Académie des sciences pédagogiques de l 'URSS attri­bueront chaque ' année ces récompenses à trois étudiants qui se seront particulièrement distingués.

Le Ministère de l'agriculture de l 'URSS et l'Académie Lénine des sciences agricoles de l 'URSS ont institué 5 médailles dotées de

prix de 150 roubles chacune, pour des étudiants ayant réalisé les meilleurs travaux de recherche agricole. Ces prix seront attribués chaque année par le Presidium de l'Académie des sciences agricoles de l 'URSS.

Cette activité scientifique des étudiants est très souvent tournée vers l'exécution de contrats avec des entreprises industrielles, des bureaux d'études et autres. Il existe aussi des bureaux d'études et d'autres organisations du m ê m e genre, dont le fonctionnement est assuré par des étudiants. En participant à leur activité, les étudiants se familiarisent avec les problèmes concrets et pratiques, mettent en application leurs connaissances théoriques et développent leurs capacités d'organisation.

• Le p h é n o m è n e de la recherche chez les étudiants

L'Institut étudiant de recherches scientifiques rattaché à l'Institut du pétrole d'Oufa, qui a reçu en 1974 le prix de l'Union des jeunesses communistes, est un exemple de ce type d'organisation. La constitution de cet Institut étudiant de recherches scientifiques a été rendue possible par les hautes capacités créatrices des étudiants soviétiques et par les efforts qu'ils déploient pour perfectionner et développer des formes plus traditionnelles de coopération scientifique entre enseignants et étudiants. Cet institut a été créé en 1971 à la Faculté de technologie de l'Institut du pétrole d'Oufa. Il comprend cinq sections, un bureau de recherches et un bureau d'études. Le plan de travail a été établi sur la base de crédits publics et de contrats avec l'industrie. La direction scientifique est assurée par 3 docteurs es sciences et 58 candidats es sciences. Chaque année plus de 200 étu­diants des cycles supérieurs participent en tant que chercheurs aux travaux de cet institut.

C o m m e on peut le lire dans ses statuts « L'Institut étudiant de recherches scientifiques a pour fonction d'améliorer la formation des futurs diplômés de l'Institut du pétrole, de les faire participer activement à un travail de recherche scientifique personnel ainsi qu'à un travail d'application technique, en liaison organique avec le processus d'enseignement ». L'Institut étudiant de recherches scientifiques permet en outre l'établissement de relations enseignants-étudiants plus étroites et plus fécondes que dans les salles de cours. Il se crée des rapports entre partenaires égaux, car il n'y a pas une « grande » science, d'une part.

La science et la jeunesse en U R S S 339

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et une « petite » science, d'autre paît, réservée aux étudiants. Chaque enseignant a de trois à cinq élèves.

L'existence de cet institut a eu d'heureuses répercussions sur le niveau des mémoires de diplômes et sur leur adaptation aux besoins de l'industrie. Depuis sa fondation, 197 projets de diplômes ont fait l'objet de la part de la Commission des examens, d'une recomman­dation tendant à les appliquer à la production. A u cours des trois dernières années, les chercheurs de cet institut ont reçu 147 brevets et publié un recueil de travaux et 474 articles divers. L'existence de cet institut a permis d'intensifier toute l'activité de recherche des étudiants. Leur participation aux recherches développe chez les futurs spécialistes le sens de l'initiative non seulement en matière scientifique et technologique, mais également en matière d'organisation. Ils participent en effet directement à la planification, à la préparation, à l'organisation et à l'exécution de la recherche.

Dans les principaux établissements d'en­seignement supérieur du pays, la participation des étudiants à la recherche est appelée à se développer puisque les plans d'études font une place à la recherche scientifique et technique. C'est ainsi que dans le programme d'enseignement de l'Institut de génie chimique de Moscou , des heures spéciales sont prévues pour la recherche dans 60 sujets d'études sur 251. A l'Institut énergétique de Moscou , ce travail de recherche est obligatoire et fait partie du programme d'études de toutes les spécialités. Il se fait dans les laboratoires où les étudiants passent un semestre entier à faire de la recherche sous la direction d'un enseignant.

L'Institut aéronautique de Moscou a intro­duit récemment un nouveau système d'en­seignement avec, d'une part, un enseignement plus individualisé et, d'autre part, la participa­tion obligatoire des étudiants à la recherche, à l'activité des départements et aux cercles d'étudiants. A l'Institut de technologie Len-soviet de Leningrad l'organisation des études se rapproche au m a x i m u m de celle des univer­sités. Telles sont quelques-unes des formes principales que revêt la participation des étudiants au développement de la science.

• Quelques possibilités pour l'avenir

En conclusion, et dans le cadre du programme relatif à « l'influence du progrès scientifique et technique sur l'humanité », plus spéciale­

ment en ce qui concerne le rôle des jeunes scientifiques, les recommandations suivantes peuvent être formulées : 1. Création d'un groupe de travail spécial

chargé d'étudier l'influence du progrès scientifique et technique sur les jeunes cadres scientifiques et techniques' et d'analyser leur rôle et leur situation dans la société.

2 . Étude de l'expérience acquise par l 'URSS dans le domaine de la formation de cadres scientifiques et techniques hautement qualifiés, l'activité des conseils de jeunes cadres scientifiques et techniques et les formes d'encouragement prévues pour les jeunes scientifiques.

3 . Organisation de plusieurs colloques et conférences sur les thèmes suivants : « Situation et rôle des jeunes scientifiques dans la société »; « Science et morale »; « Rôle de la jeunesse dans la défense de l'environnement », etc.

4 . Étude de l'expérience de l 'URSS en matière d'initiation des élèves des écoles à la recherche scientifique et technique, d'organisation d'olympiades et de con­cours; élaboration de recommandations sur l'exploitation de cette expérience.

5. Organisation, dans des groupes de pays, d'olympiades pour l'enseignement secon­daire et l'enseignement supérieur dans les disciplines scientifiques fondamentales.

6. Étude de l'expérience de divers pays en matière de formation générale des jeunes cadres techniques et élaboration de recommandations en vue de l'amélioration de cette formation.

7 . Institution, par l'Unesco ou d'autres orga­nisations internationales, d 'un prix destiné â récompenser des jeunes scientifiques (âgés de moins de 33 ans) pour des travaux de premier plan accomplis dans les domaines des sciences sociales, des sciences exactes et naturelles et des sciences de l'ingénieur.

8 . Coopération avec les divers types d'orga­nisation de jeunes scientifiques, de manière à les faire participer activement à l'explication du rôle de la science dans la société, à la lutte pour la paix, la démocratie et le progrès social.

9. Organisation, sous les auspices de l'Unesco, d'une exposition des réalisations scientifiques et techniques de la jeunesse et octroi de médailles récompensant les meilleurs travaux.

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10. Réalisation et diffusion, sous les auspices de l'Unesco, de films documentaires et de films de télévision sur le thème « L ' h o m m e devant la révolution scientifique et tech­nique ». O n pourrait notamment réaliser un film à partir du livre d'Alvin Toffler : Le choc du futur.

11 . Élaboration de programmes et de recom­mandations visant à améliorer l'éducation de la jeunesse dans un esprit de respect pour la science et le travail scientifique, dans un esprit humaniste et internationa­liste.

12. Organisation d'une rencontre internatio­nale de spécialistes sur les problèmes suivants : « Spécialité et spécialisation : leur contenu et leurs rapports avec la formation théorique générale »; « Les méthodes modernes d'enseignement et leurs perspectives d'avenir ».

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• Vladimir A . Zoubkov

Historien, Íauteur est à la fois professeur d'histoire et vice-prorecteur de l'Université d'État de Leningrad. Le professeur Zoubkov s'est spécialisé dans l'histoire des organisations de jeunesse et des mouvements d'étudiants autonomes. Son article est une version abrégée et modifiée d'un document plus important qu'il a présenté i année dernière lors d'un colloque international sur « La science et le rôle de la jeunesse ». Cette réunion était organisée par ¡'Unesco et le Centre international de physique théorique de Trieste (Italie). L'adresse de l'auteur est la suivante : Leningradskii O.L. Gosudarstvennii Universitet, Universitetskaia nab. 7/9, Leningrad 191964 (URSS).

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La science et la jeunesse en U R S S 341

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Comment préparer les jeunes à faire face à la crise mondiale de la faim Amin S . El N a w a w y

On a dit et écrit beaucoup de choses sur la menace de famine qui va planer sur

l'humanité dans les années qui viennent. Les générations qui seront les plus touchées

par ce problème sont celles qui font actuellement leurs études, viennent de naître,

ou vont bientôt venir au monde. C'est au moment où elles commenceront à jouer

un rôle dans la société qu'elles devront lutter contre la famine dont d'autres souffri­

ront si elles y échappent elles-mêmes. C'est à nous tous qu'il incombe aujourd'hui

de les préparer à cette tâche. L'auteur de l'article ci-après, spécialiste de cette

question, expose la façon la plus rationnelle d'arriver à des résultats, en nous présen­

tant un modèle sociologique très complet dont peuvent tirer parti aussi bien les pays

industrialisés que les pays en voie de développement.

Parmi les conférences internationales consa­crées aux problèmes de population et d'alimen­tation, il s'en est tenu deux d'une importance particulière l'an dernier : la Conférence m o n ­diale de la population, qui a eu lieu en août à Bucarest (Roumanie), et la Conférence inter­nationale de l'alimentation, qui s'est réunie trois mois plus tard à R o m e (Italie). Ces deux grandes rencontres ont été, pour les organismes nationaux, régionaux et inter­nationaux intéressés, le point de départ d'un dialogue qui se poursuivra certainement jusqu'à la fin du siècle.

Il devra exister d'ici l'an 2000, des techni­ciens et des scientifiques en nombre suffisant pour s'attaquer au problème ' complexe, à la fois technique et social, de la population et de ses besoins alimentaires. Ils font aujourd'hui leurs études ou commencent à peine une carrière scientifique. Les générations plus âgées ont donc le devoir de les préparer à leur tâche, le seul moyen de le faire étant de leur assurer une éducation bien conçue et une formation utile. Je m'efforcerai, dans les pages qui vont suivre, non pas d'évoquer

tous les aspects d'un problème très complexe, mais de jeter quelques clartés sur le phénomène de la faim et ses diverses faces, pour suggérer ensuite quelques solutions. Je dirai aussi quelques mots de certaines idées sur l'éduca­tion et la formation qui ont un rapport avec le problème de la faim.

• Quel est vraiment ce problème?

Le créateur de la Terre l'a certainement dotée de ressources alimentaires suffisantes pour nourrir ses habitants, mais il incombe à l 'homme de les étudier pour trouver les moyens d'en tirer le meilleur parti. La science a un rôle important à jouer dans l'étude de ces ressources et des techniques permettant de les transformer et de ne pas les gaspiller.

Les ressources alimentaires que nous avons pu créer ne suffisent pas à nos besoins; bien plus, le taux d'accroissement prévisible pour la production alimentaire est inférieur à ce qu'il est pour la population mondiale. Certes, la situation générale des disponibilités alimentaires dans le monde n'a été excellente

Impact : science et société, vol. X X V (1975), n° 4 343

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à aucun momen t de son histoire, mais il a fallu attendre notre époque pour comprendre les astreintes qu'Imposent les limitations de la capacité productive de la terre et celles de l'aptitude de l 'homme à s'organiser. La super­ficie des terres est immense - plus de 13 000 millions d'hectares - mais un hectare sur dix seulement est cultivable et cultivé. M ê m e au prix d'un travail considérable et d'investissements nouveaux, on ne peut envisager de mettre en culture qu'un autre hectare sur dix dans des régions actuellement couvertes d'herbages ou de forêts [1 ] * .

A la Conférence mondiale de la population de Bucarest, il s'est engagé un débat signifi­catif sur les priorités à établir pour faire face au problème de la faim. Les pays développés ont fait valoir qu'un ralentissement de la poussée démographique était le moyen prin­cipal d'en trouver la solution; en revanche,, plusieurs pays en voie de développement (l'Algérie, le Brésil, le Chili, la Chine et le Sénégal) - dont la superficie et les ressources naturelles sont considérables au regard de leur population - se sont déclarés opposés à toute campagne qui viserait à limiter l'accroissement de la population.

Il semble du reste que les mesures visant à limiter cet accroissement risquent de n'avoir guère d'effets appréciables. Les dispositions les plus radicales de régulation des naissances ne modifieront pas sensiblement les chiffres prévus pour la population des régions les moins développées (2 500 millions d'habi­tants en 1985), le chiffre actuel étant de I 000 millions. M ê m e si la poussée démogra­phique était maîtrisée dans les pays les moins développés, il faudrait que les disponibilités alimentaires augmentent de 8 0 % en 1985 par rapport à 1962, accroissement qui ne permettrait d'améliorer la ration individuelle ni en qualité ni en quantité. U n e augmentation du pouvoir d'achat pendant la période consi­dérée ferait encore progresser la demande de 4 0 % [2]. Cela signifie qu'il faudrait arriver à un accroissement annuel de la production alimentaire de 3 ,9% au lieu des 2,7 % réalisés en 1966. D e plus, si la situation n'évolue pas de façon favorable, les pays en voie de développement industriel devront importer davantage de produits alimentaires. II faudrait alors que l'Asie, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord obtiennent de l'étranger 90 millions de tonnes de céréales, ou mettent sous culture 100 millions d'hectares pour les produire.

La concurrence

Les pays industrialisés concurrencent les pays en voie de développement pour l'importation de céréales. En 1973 par exemple, sur un total d'importations mondiales de 107,8 millions de tonnes, 65,6 millions sont allés aux pays développés, dont quatre (la République fédérale d'Allemagne, l'Italie, le Japon et le Royaume-Uni) ont absorbé 41 %, c'est-à-dire autant qu'ont pu importer les pays en voie de développement [2].

D'autre part, la composition par âge de la population a une incidence encore plus directe sur l'offre et la demande de produits alimentaires. A u Moyen-Orient par exemple, la proportion de jeunes est très élevée, la population active représentant en moyenne 25 % des populations nationales, alors que la proportion d'enfants de moins de. 15 ans est voisine de 5 0 % . Cette jeunesse de la population crée une demande de produits alimentaires plus élevée qu'elle le serait pour une population plus âgée.

Il faut songer aussi qu'il existe une nette corrélation entre le revenu, le taux de croissance économique et la consommation alimentaire. Les pays développés, avec 30 % de la popula­tion mondiale, consomment 54 % de la produc­tion de céréales et 7 0 % de celle de protéines; les 7 0 % qui restent consomment donc 46 % de la production de céréales et 3 0 % de celle de protéines. La consommation de céréales par habitant aux États-Unis dépasse le quintuple de ce qu'elle est dans la plupart, des pays en voie de développement. En outre, dans un m ê m e pays, la migration des zones rurales vers les villes entraîne un accroissement de la consommation alimentaire.

• M o y e n s de remédier à l'insuffisance des denrées alimentaires

Voici ce qu'on pourrait faire pour atténuer la gravité du problème que pose, pour certains pays, l'insuffisance des disponibilités alimen­taires.

1. Perfectionner l'agriculture, en généra­lisant la culture de nouvelles variétés de céréales, en introduisant des techniques de fertilisation, d'irrigation et de mécanisation meilleures et plus productives, et en réalisant une réforme agraire. Les rendements s'en

1. Les chiffres entra crochets renvoient à la bibliographie à la fin de l'article.

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trouvent accrus; la « révolution verte » a permis ces dix dernières années à quelques pays, c o m m e l'Inde et le Pakistan, d'accroître leurs ressources alimentaires, à d'autres, c o m m e les Philippines, de pourvoir intégrale­ment à leurs besoins ou m ê m e (cas de l'Iran) d'exporter [3]. O n est fondé aussi à espérer que la révolution verte sera génératrice non seulement de progrès technique, mais aussi de transformations sociales.

2 . Accroître la production de diverses sources de protéines. O n ne cesse de s'y attacher. La production mondiale de poisson devrait doubler d'ici à 1985, et l'on prévoit aussi un accroissement de la production de volailles. L'exploitation de nouvelles sources de production de protéines (par exemple carbohydrate ou à substrat de paraffine) fait actuellement l'objet de recherches très pous­sées; j'y reviendrai.

3. Organiser de meilleurs systèmes de pro­duction, de traitement et de stockage des produits alimentaires, qui devraient permettre de pourvoir aux pénuries en période de disette. O n a estimé que 10 à 2 0 % de la production céréalière d'Afrique sont dévorés par les insectes au lieu d'être consommés par l 'homme. D e meilleurs systèmes de stockage et de traitement, doublés de bons moyens de transport, permettraient d'accroître les disponibilités alimentaires de 4 0 à 5 0 % .

4 . Grâce aux progrès des sciences de la nutrition, au dialogue qui s'est établi sur les bilans alimentaires et à la révision des normes nutritionnelles - qui ont contribué à mieux faire connaître les exigences de la diététique et à accroître les disponibilités alimentaires -on va peut-être découvrir qu'il n'y a pas vraiment de pénurie, mais plutôt un mauvais usage de ces produits et un déséquilibre de leur distribution dans le m o n d e . Les nutrition­nistes estiment maintenant que 40 grammes de protéines par jour suffisent à pourvoir aux besoins physiologiques d'une personne en bonne santé, au lieu des 61 grammes précé­demment recommandés. Autrement dit, la quantité nécessaire à un adulte en bonne santé serait réduite de 30 % m ê m e en conser­vant une certaine marge de sécurité [4],

Il faut aussi espérer que les pays en voie de développement dont beaucoup ont acquis leur indépendance au cours des vingt-cinq dernières années, après avoir été sous le joug impérialiste pendant plusieurs siècles, pourront jouer un rôle plus actif qu'auparavant dans le développement de leur production

alimentaire. A u lieu de n'être que des pour­voyeurs de matières premières et des débou­chés pour les produits alimentaires fabriqués dans les pays développés, les pays moins, développés devront faire comprendre aux pays industrialisés que l'aide au développe­ment, loin d'être une œuvre de charité, est absolument indispensable si l'on veut que le m o n d e entier vive dans la paix.

Des programmes de formation organisés entre pays en voie de développement d'une m ê m e région rendraient possible une politique de développement scientifique visant à répondre à ces exigences. O n estime par exemple qu'une action, judicieuse de développement agricole menée conjointement par les pays arabes leur permettrait de pourvoir aux besoins en céréales de toute la région d'ici à 1985, et m ê m e d'exporter près de 10 millions de tonnes de grains, alors qu'ils doivent actuelle­ment en importer la m ê m e quantité. U n e expérience de coopération de cette ampleur aurait une grande portée, m ê m e si elle devait être réalisée par l'intermédiaire d'organismes internationaux tels que la » F A O ou le Pro­g ramme des Nations Unies pour le développe­men t

• Le rôle de l'éducation

L'un des moyens essentiels d'arriver aux diverses solutions évoquées plus haut est de consacrer plus de soin à l'éducation des géné­rations nouvelles qui auront bientôt la responsabilité du bonheur de l'humanité. Des parents d'un certain niveau d'instruction se laisseront plus facilement persuader de l'intérêt de la planification familiale. En outre, c o m m e la malnutrition est la conséquence d'une sous-alimentation, ou d'une suralimen­tation, et existe aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement [5] la connaissance de l'hy­giène alimentaire préparera à mieux vivre, dans un m o n d e où chacun ou presque saura mieux qu'auparavant ce qu'il doit manger, quand il doit manger et quelle quantité il doit consommer. O n devra aussi faire comprendre le rôle de l'environnement et les incidences de sa pollution sur la production, le traitement et la consommation des denrées ainsi que sur les besoins nutritionnels. D'autre part, des travaux de recherche restent nécessaires pour bien préciser la relation entre la nutrition et le comportement humain.

Il faudrait créer, dans tous les pays où il n'en

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existe pas encore, un conseil national de l'alimentation [6] qui aurait essentiellement pour tâche d'élaborer sur des bases scienti­fiques, des programmes de nutrition à court et à long terme. Il devrait comprendre des experts de l'éducation à différents niveaux, ainsi que des spécialistes de l'agriculture, de la santé publique, de la planification écono­mique et du développement rural, des départe­ments universitaires et des instituts de recherche spécialisés dans les sciences de la nutrition, des représentants d'associations féminines et déjeunes, des délégués d'associa­tions scientifiques et des statisticiens d é m o ­graphes. En bref, ce conseil aurait pour mission d'élaborer un programme national destiné à ménager aux générations suivantes de meilleures conditions de vie.

Cette planification au niveau national devrait tenir compte des aspects ci-après de l'enseignement général et de la formation spécialisée.

Tendances générales

Améliorer, les habitudes alimentaires d'une population exige un gros effort d'information et d'éducation auprès de tous les groupes sociaux, y compris les jeunes mères. Il faudrait encourager ces dernières à nourrir leurs bébés le plus longtemps possible [7], car l'allaitement est' la meilleure forme d'alimentation des enfants jusqu'à la fin de leur deuxième année. En effet, le lait maternel apporte naturellement à l'enfant une quantité importante d'éléments nutritifs essentiels que ne contiennent pas les aliments qui lui sont donnés après le sevrage; on sait, par ailleurs, combien la nutrition influe sur le développement mental au cours de la première enfance. La mère qui a nourri son enfant au sein a besoin de plusieurs mois pour retrouver un état de santé normal, c'est pourquoi il est de l'intérêt de la mère et de l'enfant qu'il s'écoule deux à trois ans entre les grossesses.

Il faudrait faire état dans les programmes des écoles primaires et aussi dans le régime des écoliers des principes les plus élémentaires de la nutrition, de l'hygiène et de la santé. Le système d'enseignement peut contribuer puissamment à assurer à toute la famille une bonne hygiène alimentaire; on sait en effet que si l'on supprime la principale cause de malnutrition chez les jeunes enfants (les carences protéiques et caloriques), ils devien­dront des adultes pleins de santé.

Il faudrait organiser dans tous les pays le plus grand nombre possible d'écoles de nutrition analogues à l'établissement modèle créé en Amérique centrale [8]. Elles devien­draient des centres de diffusion des connais­sances de diététique et d'informations sur les bilans alimentaires dont nous avons parlé.

Bien qu'on sache que la plupart des aliments locaux traditionnels ont une grande valeur nutritive, l'urbanisation a conduit à en diminuer la production. Il faudrait leur consacrer des études et des enquêtes approfondies, et, après en avoir déterminé la valeur nutritive réelle, n'épargner aucun effort pour en encourager la production. O n pourrait charger de ce travail des centres spécialisés dans la réadaptation des sujets souffrant de mal­nutrition. Il faudrait également organiser, au niveau national, des programmes destinés à encourager la production et la consommation des aliments traditionnels.

Il arrive que certains produits soient c o n s o m ­m é s pour des raisons étrangères au souci de s'alimenter et essentiellement liées aux cou­tumes ou à la superstition. Bien que la nourriture doive être avant tout génératrice de force et de santé, on constate que des impératifs socio-culturels peuvent avoir une influence sur ce qui se m a n g e dans une famille et sur la répartition de la nourriture entre ses membres . Le succès de l'action engagée pour modifier un régime alimentaire dépendra à la fois de la mesure dans laquelle les produits nouveaux s'accordent avec les besoins et les habitudes, et des méthodes employées pour leur promotion (conditionnement, publicité, campagnes de vente). Là encore, l'existence de centres nationaux ou régionaux d'éducation nutritionnelle aidera à déterminer exactement les habitudes alimentaires d'hygiène de la p o ­pulation, et l'incidence d'autres déterminants (socio-économiques, culturels, religieux, etc.) de la consommation de tel ou tel produit

D e tels centres pourraient jouer un rôle très important en élargissant les possibilités de tra­vail consenties aux jeunes dans des domaines apparentés : sciences de l'alimentation, m é d e ­cine et soins infirmiers, action sociale, odon­tologie, biochimie, technologie de l'alimentaire et économie. Autrement dit, tous les spécia­listes intéressés devront conjuguer leurs efforts pour apprendre et enseigner à produire une nourriture meilleure par des moyens plus effi­caces, à la distribuer, à la commercialiser, à la préparer et à la servir c o m m e il convient et à éviter les pertes de produits alimentaires [8].

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Enseignement de la technologie alimentaire

U n effort plus soutenu dans ce domaine devrait aider à tirer le parti maximal des produits en améliorant leurs conditions d'entre­posage, en leur gardant leur qualité, en réduisant les pertes et en prenant à l'avance des mesures destinées à pallier les pénuries pouvant résulter de la sécheresse ou de trop fortes précipitations. Autrement dit, il faudrait que des programmes nationaux d'instruction générale et de formation professionnelle s'inspirent de la nécessité de résoudre les nombreux problèmes d'ordre alimentaire qui se posent dans le pays. S'ils disposent d 'un personnel possédant les connaissances spécia­lisées nécessaires, les pays en voie de déve­loppement pourront tirer profit de techniques mises au point dans les pays industrialisés en les adaptant à leurs besoins.

Les organismes des Nations Unies pourraient apporter un concours précieux à cet égard soit en fournissant des experts étrangers qui participeraient pendant quelque temps â l'exécution de projets d'enseignement et de formation, soit en aidant tel ou tel pays à se doter d'établissements d'enseignement et de recherche et à entreprendre des études. U n programme de formation bien conçu, destiné au personnel déjà employé dans l'industrie, les centres de recherche et de développement et les administrations publiques, serait des plus utiles.

• Pourquoi la formation doit faire u n e place à l'étude d e l 'environnement

Il importe de mettre en œuvre à différents niveaux un grand programme donnant une juste idée des rapports étroits qui existent entre les sciences fondamentales et l'étude de l'environnement et des ressources naturelles. C o m m e la pollution de l'air, de l'eau et du sol s'aggrave avec la progression du développe­ment industriel, il faut mettre en lumière combien un mauvais usage des techniques modernes altère l'environnement en raison de la pollution qui en résulte. Les pays en voie d'industrialisation devraient tenir compte de ces considérations lorsqu'ils élaborent leur politique de développement

Les denrées alimentaires étant exposées aux risques de pollution à tous les stades de leur manutention et de leur traitement, il faut faire très largement connaître les m o y e n s de déceler leur contamination [9], Il n'est sans

doute pas inutile de rappeler que la pollution peut intervenir au stade m ê m e de la production (du fait de rejets industriels tels que les composés organiques du mercure et du cadmium, de stimulants de la productivité tels que les engrais chimiques, ou d'additifs tels que les composés nitrofuranniques et les antibiotiques); qu'elle peut être imputable aux matériels de traitement (présence d'arsenic dans le lait en poudre), à des erreurs commises en cours de fabrication (intoxication par la karamycène) \ à des additifs tels que les bactéricides; elle peut enfin affecter des produits alimentaires de synthèse, c o m m e les protéines obtenues par fermentation de paraffines.

Il faut que les jeunes soient mis en garde contre une expansion illimitée de la techno­logie, car la vie des générations de demain sera caractérisée par une complexité technique inconnue des générations précédentes. Le Japon en offre un exemple frappant, car il constitue le premier « laboratoire vivant » d'expériences réalisées sur le corps humain en raison de la pollution de l'environnement, imputable à d'innombrables substances créées par la science et la technique. Le Japon en a tiré des enseignements mais au prix de misères et de souffrances humaines dont il faut absolument éviter le retour.

C'est pourquoi il est de l'intérêt de l 'huma­nité d'entourer l'éducation des jeunes d 'un certain climat scientifique et d'enseigner divers moyens de détecter les conséquences nocives de l'emploi abusif de toute technique. Pour ce qui est de la pollution, il importe que toute substance nouvelle créée pour l'usage de l ' homme fasse l'objet d'une étude approfondie avant que sa consommation soit autorisée. Par exemple, la protéine dérivée du pétrole, dont j'ai déjà parlé, est une souche de levure qui metabolise les paraffines et fixe la protéine dans son cours cellulaire. O n a prouvé au Japon que les métaux lourds tels que le plomb et le zinc contenus initialement dans la paraffine se retrouvent à une concentration bien plus forte dans cette protéine. O n a également démontré qu 'un composé appelé 2,4,5-benzopyrène était apparu au Japon

1. Contamination parla polychlorobiphényl (PCB) - un composé utilisé pour le chauffage — fuyant accidentelle­ment par les orifices de tuyaux rouilles au cours du processus de fabrication de l'huile de riz. Les personnes qui consomment cette huile contractent une dermatite grave connue sous le nom japonais de kanemi yusho.

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en une concentration suffisante pour qu'on puisse le détecter1.

C'est pourquoi le Groupe de recherche des femmes japonaises sur la pollution alimen­taire a réussi à faire cesser la production des protéines dérivées du pétrole (sauf les travaux effectuésjdans une petite installation'pilote[9]).

Les h o m m e s de science ont donc le devoir de diffuser toutes les informations dont ils disposent sur la pollution, et de le faire par tous les moyens : media audio-visuels, livres et autres supports imprimés, cours particuliers et instruction générale à tous les niveaux. U n enseignement portant sur l'environnement est donc nécessaire à tous, mais un effort spécial doit être fait pour qu'il touche de façon égale les jeunes du monde entier, notamment ceux des pays en voie de déve­loppement O n peut signaler deux initiatives qui ont été prises dans ce sens : les études de productivité du Programme biologique international et l'établissement de la carte mondiale des sols dans le cadre du Programme sur l 'homme et la biosphère. Ces deux pro­grammes de l'Unesco comportent également une participation active dans le domaine de l'éducation en matière d'environnement

• L'enseignement de la microbiologie appliquée

Bien que les pays! industrialisés aient déjà reconnu l'importance du rôle des applications de la microbiologie dans la solution du problème des pénuries alimentaires, les pays en voie de développement commencent seulement à en prendre conscience. Il faut donc modifier l'enseignement et la formation professionnelle de façon à pouvoir dispenser les connaissances nécessaires pour optimiser la production des denrées traditionnelles et des aliments nouveaux.

L'année 1963 a marqué le point de départ d'un effort international visant à développer l'enseignement de la microbiologie appliquée et à faire largement connaître le rôle qu'elle peut jouer dans le développement. Des conférences spéciales portant sur les incidences globales de la microbiologie appliquée (G IAM) se sont réunies à peu près tous les trois ans : à Stockholm en 1963, à Addis-Abeba en 1967, à Bombay en 1969 et à São Paulo en 1973. La prochaine aura lieu en 1976 à Kuala Lumpur. Bien que ces conférences aient pour but de faire prendre conscience aux dirigeants des pays en voie de développement de

l'importance de la microbiologie appliquée dans le processus de la croissance, je crains que leurs résultats n'aient pas entièrement répondu à l'attente.

E n . 1973, au cours de G IAM IV, deux spécialistes (Gyllenberg et Pietanen) ont présenté une communication sur l'avenir de la microbiologie dans les pays les moins développés [10]. Ils ont conclu que la conférence devrait encourager la création dejplusieurs groupes de travail chargés de développer les applications de la micro­biologie dans la région dont chacun serait chargé. O n espérait pouvoir ainsi analyser l'impact de la microbiologie dans ces régions. Une évaluation détaillée des besoins et des ressources existant dans ce domaine serait utile aux divers pays et aurait aussi l'avantage d'aider les organismes des Nations Unies à orienter leurs programmes et leurs décisions en ce qui concerne l'action à entreprendre dans le monde en faveur de la microbiologie appliquée.

Dès l'époque de G I A M III (1969), les recommandations suivantes avaient été adop­tées à propos de l'enseignement et de la formation spécialisée en microbiologie : 1. Eu égard à la grave pénurie de micro­

biologistes qualifiés et de spécialistes des questions de fermentation, une formation devrait être dispensée dans des centres régionaux disposant des moyens techniques nécessaires; il faudrait tirer de matières brutes locales des produits peu coûteux qui seraient une source de protéines micro­biennes pour la consommation humaine et animale.

2 . Il faudrait établir dans les zones tempérées ou humides un contrôle microbiologique rigoureux des aliments frais ou traités.

3. Il faudrait procéder à une évaluation exacte des agents pathogènes contenus dans les denrées alimentaires, m ê m e en une faible concentration, en utilisant les procédés standards recommandés notam­ment dans le cas des produits congelés expédiés par les pays en voie de développe­ment, de façon à minimiser la perte si le produit n'était pas accepté par l'acheteur.

1. Le benzpyrène (ou benzopyrène, C„,H„) est un hydrocarbure aromatique au noyau pentagonal insoluble dans l'eau, mais légèrement soluble dans l'alcool. Cette substance est présente dans la fumée de cigarette, le goudron de houille et aussi l'atmosphère (par suite d'une combustion incomplète). Elle peut être carcino­gens ( N D L R ) .

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4 . Il faudrait introduire l'étude approfondie de la microbiologie alimentaire dans les programmes de microbiologie générale, agricole, etc. Cet enseignement aurait pour but de former un personnel qualifié pour assurer le contrôle de la qualité microbiologique des produits alimentaires.

5. U n organisme international compétent devrait publier sur les toxines microbiennes et autres agents nocifs, une brochure dont le contenu serait communiqué aux agents d'encadrement et aux services de contrôle de la qualité des usines de produits alimen­taires des pays en voie de développement ainsi qu'aux dirigeants de ces établissements et aux fonctionnaires des administrations concernées.

6. Les associations professionnelles intéressées à la microbiologie devraient travailler activement à l'information du public, chacune dans son domaine particulier.

Avant de conclure, je citerai quelques exemples de la façon dont la microbiologie appliquée et les sciences apparentées pourraient aider à pourvoir aux besoins toujours croissants de produits alimentaires. Les jeunes lecteurs qui n'ont pas encore choisi le domaine où ils se recycleront ou la profession dans laquelle ils feront carrière pourront peut-être en tirer quelques idées.

La microbiologie et les produits alimentaires traditionnels

Il s'agit avant tout d'éviter les pertes de produits en luttant contre les maladies des plantes et les maladies animales contagieuses jusqu'à leur eradication, ce qui aurait pour résultat d'accroître le rendement de l'agri­culture et d'assurer ainsi une meilleure alimen­tation à des centaines de millions d'êtres humains dans le m o n d e entier. O n peut tirer parti de la microbiologie pour lutter contre les infestations d'insectes, les agents patho­gènes qui s'attaquent aux plantes et les autres ennemis des cultures, ainsi que pour prévenir ou soigner les maladies des animaux.

Il s'agit ensuite d'augmenter la production de denrées alimentaires. A cet effet, on devra fertiliser le sol et utiliser des bactéries (pour les légumes) et des algues (pour la riziculture) dans le processus d é n o m m é fixation biolo­gique de l'azote. D'autres organismes vivants et libres jouent aussi un rôle important dans la fixation de l'azote atmosphérique et la fertilité du sol, c'est-à-dire son aptitude à nourrir les

plantes qu'on y cultive [11], O n se préoccu­pera aussi de l'alimentation animale et des produits ou interventions qui peuvent a m é ­liorer l'emploi des antibiotiques dans l'alimen­tation des animaux, l'utilisation des végétaux, des épluchures et autres déchets alimentaires pour les ensilages, des algues et du phyto-plancton en pisciculture, pour ne citer que quelques exemples.

O n s'occupera en troisième lieu du traite­ment des produits alimentaires où plusieurs micro-organismes jouent un rôle important : cas des boissons fermentées et d'autres pro­duits (lait caillé, beurre, yaourt, fromage, levure, aliments fermentes traditionnels), cas également de certains additifs (vinaigre et acide citrique, acide lactique, extrait de levure, enzymes et adjuvants constitués par des acides aminés tels que la lysine).

Produits alimentaires de type nouveau

L ' h o m m e a, de tout temps, c o n s o m m é des micro-organismes, mais la pénurie croissante de ressources protéiques et d'autres ressources alimentaires qui sévit dans le m o n d e fait qu'on s'intéresse de plus en plus à l'emploi de ces organismes vivants c o m m e sources de nutriments. Certaines caractéristiques de ces micro-organismes justifient cet intérêt : la rapidité de leur prolifération, la facilité avec laquelle des produits bruts peu coûteux sont convertis en biomasse, la possibilité de les cultiver à grande échelle sur une surface très réduite, leur indépendance des conditions climatiques, et le fait qu'ils peuvent être c o n s o m m é s directement ou indirectement

La production de micro-organismes pour l'alimentation est généralement faite de pro­téines monocellulaires (en anglais S C P ) . D e nombreuses substances brutes fournissent des types spécifiques d'organismes, qu'il s'agisse de levures de bactéries ou d'algues. Les plus importantes de ces substances ont été d'abord les sous-produits et les déchets de l'agriculture, tels que les mélasses provenant de la canne à sucre ou de la betterave sucrière [12]. Toute­fois, depuis 1957 , les fractions paraffiniques du pétrole se sont révélées c o m m e étant des matières de base adéquates, ainsi que d'autres coupes pétrolifères c o m m e le méthane et le methanol. L'utilisation des protéines m o n o ­cellulaires extraites des produits de fractionne­ment du pétrole présente néanmoins certains risques, c o m m e je l'ai dit plus haut.

O n voit donc que les protéines m o n o -

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cellulaires peuvent contribuer notablement à pallier la pénurie de protéines. C'est pourquoi l'éducation et la formation spécialisée axée sur la production de ces substances ont une grande importance. Il appartiendra aux géné­rations nouvelles de fixer la mesure dans laquelle on pourra utiliser cette source d'ali­ments non traditionnels et l'adopter avec ou sans traitement préalable.

• L'information en matière d'alimentation et l'avenir

Face au problème de la faim, l'éducation et la formation professionnelle devraient nous aider tous à approfondir notre connaissance de la nutrition, à améliorer les facteurs économiques qui influent sur la disponibilité de produits alimentaires après leur production et leur distribution et à développer en nous, en tant qu'individus et membres d'un groupe, la faculté et le désir d'adaptation qui nous per­mettront de modifier si besoin était nos habi­tudes alimentaires.

La malnutrition a donc des causes multiples; un moyen efficace et scientifique de résoudre ce problème est d'en charger des équipes pluridisciplinaires [8]. Car l'alimentation est, en s o m m e , le facteur de l'environnement le plus important qui touche le bien-être phy­sique, mental et social de l 'homme.

Apprendre et enseigner la façon de produire des denrées de meilleure qualité à l'aide de moyens techniques plus perfectionnés est très certainement un élément essentiel du bagage éducatif des jeunes gens d'aujourd'hui et de demain, qu'ils soient ou non des scientifiques ou des ingénieurs. Malheureusement l'anal­phabétisme nutritionnel risque de s'aggraver faute d'un nombre suffisant d'enseignants.

Il faut donc faire appel à tous les moyens possibles d'instruction et de formation pour apprendre commen t perfectionner la façon de produire, de distribuer, de préparer et de servir les denrées alimentaires, d'en rationaliser la demande et d'éviter les pertes. C'est là une nécessité pour toutes les générations à venir.

• Amin el Housiny Sayed el N a w a w y

L'auteur est titulaire de diplômes de l'Université du Caire en statistique, en agronomie, en microbiologie et en micro­biologie industrielle. Il a fait paraître plus de cinquante publications. Il est actuellement professeur et directeur de recherche à la Section d'études sur la fermentation du Centre de recherche agricole établi près du Caire ; // est en m ê m e temps secrétaire général de la Egyptian Society of Applied Microbiology ainsi que de la Troisième Conférence sur la microbiologie (qui s'est tenue du 3 au 6 novembre). On peut entrer en contact avec lui à l'adresse suivante : Agricultural Resarch Centre, Guiza (Egypte).

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350 Amin S. El Nawawy

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P O U R A P P R O F O N D I R LE SUJET

BRITISH B R O A D C A S T I N G C O R P O R A T I O N - T V . Rich man, poor man: food. Londres, B B C - T V et Paramus, N.J., Time-Life Films, 1972. En couleur, 52 minutes. Examine le problème de l'alimentation dans les pays en voie de développement en tant que problème économique.

CONSEIL É C O N O M I Q U E ET SOCIAL D E S N A T I O N S UNIES. Évaluation : situation alimentaire actuelle et dimensions et causes du problème de la faim et de la malnutrition dans le monde; ampleur du problème de l'alimentation dans l'avenir et méthodes pouvant être appliquées a la recherche d'une solution. N e w York, N.Y. , Nations Unies, 8 mai 1974 (Document préliminaire, multigraphié).

KHURI , F. The cultural determinants of food habits in the Middle East. Rapport présenté au premier séminaire sous-régional sur la nutrition dans l'enseignement patronné conjointement par la F A O , l 'OMS, l'Unesco, l'Unicef, et le gouvernement du Soudan, Khartoum, 19-24 janvier 1974.

MILADI, S . The nature and scope of food problems in the Near East region. Rapport présenté au m ê m e séminaire.

P R A V E , P. Bakterien und Hefen als Eiweissquelle. Umschau In Wissenschaft und Technik, vol. 75, n° 13,1 " juillet 1975. Le manque de protéines ira croissant au cours de la prochaine décennie.

R A O , S . ; G U A S S E M I , H . Panorama of malnutrition in the eastern Mediterranean region. Rapport présenté au séminaire de Khartoum mentionné ci-dessus.

SPIVEY. J. World food supply: a global development case study. N e w York, N.Y. , Management Institute for National Development, 1974 (multigraphié).

Les jeunes face à la crise mondiale de la faim 351

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Éducation en matière d'environnement : la dynamique du programme Unesco-PIMUE William B . Stapp

On ne peut guère espérer trouver de solution valable et durable aux problèmes

actuels de l'environnement si la population dans son ensemble - c'est-à-dire

jeunes et adultes - n'est pas engagée directement dans la recherche d'une solution

au problème de l'éducation dans ce domaine, tant sur le plan scolaire que sur le plan

extrascolaire. C'est ce qui ressort clairement de la conférence de Stockholm (1972)

qui a confié à ¡'Unesco la responsabilité particulière d'animer la mise en œuvre d'un

programme international d'éducation en matière d'environnement, en collaboration

étroite avec les autres institutions des Nations Unies et les organisations interna­

tionales concernées.

Dans l'œuvre qu'ils ont entreprise conjointe­ment, l'Unesco et le P N U E (Programme des Nations Unies pour l'environnement) s'appuient sur l'idée fondamentale suivante : toute personne qui œuvre à la solution d'un problème d'environnement est engagée dans un travail d'éducation. Celui qui débute en ce domaine découvre rapidement que pour aboutir à des décisions sensées, il est nécessaire de tenir compte de toute une série de facteurs tels que : fondements scientifiques et techniques exis­tants (ce qui suppose des études sérieuses), systèmes de valeurs individuels et sociaux, moyens financiers, organes de décision au niveau de l'État, impératifs locaux, et d'autres encore (parmi lesquels l'expérience scolaire et extrascolaire).

• Plan de p r o g r a m m e .

L'Unesco a donc été conduite à réunir des représentants dés institutions spécialisées, des organisations internationales non gouverne­mentales et de chaque région du monde en vue d'établir un cadre d'action et de tracer les lignes directrices d'un programme conjoint d'éduca­tion en matière d'environnement au niveau

international, c'est-à-dire de renforcer dans leur ensemble les programmes existants et en m ê m e temps de susciter de nouvelles initiatives

internationales. Se fondant sur les résultats de cette réunion,

•'Unesco prépara un projet sur trois ans, qu'elle soumit au P N U E et qui fut approuvé en janvier 1975. C e programme Unesco -PNUEse fixe les tâches suivantes :

Faciliter la coordination, la planification conjointe et la préprogrammation des activités essentielles au développement d'un programme international d'éducation en matière d'environnement;

Promouvoir les échanges internationaux d'idées et d'informations se rapportant à l'éducation en matière d'environnement;

Coordonner la recherche visant à une meilleure compréhension des divers phénomènes qui se manifestent lorsqu'on donne un ensei­gnement ou qu'on le reçoit;

Élaborer et diffuser des méthodes, des matériels et des programmes nouveaux pour l'éduca­tion en matière d'environnement (scolaire et extrascolaire; pour les jeunes et pour les adultes) ;

Former et recycler des enseignants pour les

Impact : science et société, vol. X X V (1975), n» 4 353

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programmes d'éducation en matière d'envi­ronnement;

Fournir aux États membres des services de consultation pour l'éducation en matière d'environnement.

• Processus d y n a m i q u e

Le plan général d'application du programme prévoit les stades suivants : a) préparation de documents pour un stage international d'études pratiques; b) stage d'études pra­tiques à Belgrade (octobre 1975) ; c) sémi­naires régionaux; d) conférence internationale (si possible en U R S S , au printemps 1977) ; e) orientation et évaluation de l'éducation en m a ­tière d'environnement au sein de l'enseignement traditionnel (premier, deuxième, troisième de­grés) et des programmes extrascolaires (pour jeunes et pour adultes) ; f) mise au point de programmes de formation et de recyclage d'en-d'enseignants-animateurs.

Tous ces stades sont considérés c o m m e les séquences d'un processus dynamique, cha­cune d'elles alimentant la suivante tout en tirant sur la précédente. Le personnel chargé d'appliquer le programme déploie ses efforts pour obtenir la participation de tous ceux qui sont concernés, dès le début de chaque stade, et met au premier plan son propre apprentissage au cours du processus.

Phase I

Les documents préparatoires au stage de Belgrade comportent 14 études sur l'orien­tation actuelle de l'éducation en matière d'environnement (voir p. 356) avec un exposé sur les besoins et les priorités en la matière, dans chacun des 135 États membres . Ils constituent pour tous les participants au stage une documentation qui cerne l'état des connaissances actuelles dans ce domaine. Quatre cents lettres ont été envoyées de par le m o n d e pour relever tout ce qui a été écrit sur le sujet Les réponses ont été envoyées directement à J. David Lockard pour compila­tion d'une Working international bibliography on trends in environmental education, 1975. qui a été mise à la disposition de chacun des auteurs des 14 études précitées.

Pour permettre une évaluation des besoins et des priorités, des questionnaires ont été adressés aux ministres de l'éducation des États membres, qui confièrent à des équipes qualifiées le soin d'y répondre. En août dernier

on dénombrait 70 % de réponses. C e résultat sans précédent était dû pour une bonne part aux consultants envoyés dans toutes les régions du m o n d e , auprès des autorités de 43 pays en voie de développement, afin de les aider à répondre au questionnaire. (En outre, chaque consultant rédigea urfrapport détaillé sur l'état de l'éducation en matière d'environ­nement dans le pays visité.) Les informations ainsi recueillies seront analysées, puis publiées en un volume qui sera mis à la disposition des 120 participants au stage de Belgrade.

Phase II

Entre-temps le stage de Belgrade aura étudié les documents de travail et formulé des direc­tives et des recommandations pour la mise en œuvre de l'ensemble du programme interna­tional d'éducation. Les études sur l'état et l'orientation actuelle des connaissances -révisées immédiatement après le stage -serviront avec les directives et les recomman­dations, de documents de travail aux sémi­naires régionaux qui se tiendront dans les diverses parties du m o n d e . U n e fois mises à l'épreuve et affinées, elles serviront à leur tour de documents de travail principaux pour la conférence internationale prévue en 1977. Cette conférence, qui groupera surtout des personnalités responsables en matière de poli­tique de l'éducation, aura pour objet de faire des recommandations aux gouvernements sur les politiques à suivre dans le domaine de l'éducation en matière d'environnement

Phase III

Des programmes pilotes d'éducation auront été entrepris dans la phase précédente et seront multipliés après la conférence internationale; ils seront établis et évalués tant dans le cadre des systèmes scolaires habituels - du niveau primaire au niveau universitaire - que dans le cadre*!de structures extrascolaires destinées aux jeunes et aux adultes. Ces projets pilotes comprendront en m ê m e temps des programmes de formation et de recyclage pour les ensei­gnants et les animateurs.

Ces diverses actions impliquent que le programme U n e s c o - P N U E d'éducation en matière d'environnement mette sur pied un réseau d'ensemble, avec des jonctions mul­tiples sous la forme d'un bulletin international de liaison qui pourrait avoir pour titre Connexion.

354 William B . Stapp

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Connexion, le bulletin trimestriel du programme Unesco-P N U E , aura pour symbole la figure ci-dessus : un h o m m e qui saisit et tient un arc-en-ciel au sein de l'écosphère.

• William B . Stapp

Le professeur Stapp est diplômé en biologie et en écologie, et titulaire d'un doctorat en conservation des ressources naturelles. Après avoir présidé, à l'Université du Michigan, le Programme d'éducation en matière d'environnement et d'activités de plein air, il est actuellement, à ¡'Unesco, chef de l'Unité de l'éducation relative à l'environnement et responsable du programme décrit ci-dessus.

Éducation en matière d'environnement : programme U n e s c o - P N U E 355

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Documents de travail présentés au stage de Belgrade

1. The nature and philosophy of environmental education : Goals and objectives. Allen A . Schmieder, U . S . Office of Education, Division of Educational Systems Development, 7th and D Sts. S . W . , R o o m 3052, Washington D C . 20202(États-Unis d'Amérique).

2. Environmental education at the preschool and primary level. Jinapala Alles (Sri Lanka) et A . Chiba (Japon), Unité Unesco-RSE, Département de la planification et du financement de l'éducation, Unesco, 7, place de Fontenoy 75700 Paris (France).

3. Environmental education at the secondary school level. Arturo Eichler, Apartado 256, Merida (Venezuela).

4 . Environmental education programmes for out-of-school youth. David Withrington, 6 Sutton Court Mansions, Grove Park Terrace, London W 4 (Royaume-Uni).

5. Environmental education at the tertiary level for general students. Edward W . Weidner, Chancellor, The University of Wisconsin at Green Bay, Green Bay W l 54302 (États-Unis) et Robert Cook, Associate Professor of Environmental Control, The University of Wisconsin at Green Bay.

6. Environmental education at the tertiary level for teachers. Saber Selim, Director, Science Dept., A L E C S O , Dokki Square, 109 Tahrir St., Cairo (Egypte).

7. Environmental studies for specialists in non-environmental fields. Michel Maldague, Université Laval, Programme interdisciplinaire en aménagement

du territoire et développement régional. Cité universitaire, Québec 102 (Canada).

8. Environmental education programme for adults. Lars Emmelin, Environmental Studies Programme, Helgonavaegen 5, 22362 Lund (Suède).

9. Methodologies of environmental education. David Wolsk, Faculty of Education, University of Victoria, Victoria, British Columbia (Canada).

10. Instructional resources for environmental education. Jan Cerovsky, Statni Ustav Pamatkove Pece. A Ochrany Prirody, 118 01 Praha 1, Mala Strana, Valdstejnske, N a m C.1 . (Tchécoslovaquie).

11. Learning environments for environmental education. Johannes Goudsward, The Netherlands State Committee on Environmental Education, Jan van Loonslaan 20a, Rotterdam-3001 (Pays-Bas) et Mirta de Teitelbaum (Argentine), consultant. Unité de l'éducation relative à l'enseignement, Unesco, Paris (France).

12. The evaluation of environmental education materials and learning. Dean Bennett, Maine Environmental Education Project, Intermediate School District, Yarmouth M E 04096 (États-Unis d'Amérique).

13. National procedures for implementing environmental education :A comparative study. Keith Wheeler, City of Leicester College of Education, Scroptoft, Leicester, LE7 9 S U (Royaume-Uni).

14. International and regional cooperation. Hubert Dyasi, Science Education Programme for Africa, P .O. Box 9169 Airport, Accra (Ghana).

356 William B. Stapp

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Lettres

• La simplicité, la science et les para sciences

Dans la lettre ci-après, M. David W. Hughes évoque le thème du n" 4 du volume XXIV d'impact, à savoir : les « parasciences ». M. Hughes est maître de conférences à l'Université de Sheffield, où ses spécialités sont l'astronomie et la physique spatiale. Il précise qu'il fait aussi des recherches sur les radiométéores, le nuage de poussière du système solaire et la désagrégation des comètes. Son adresse est la suivante : Department of Physics, The University of Sheffield, Sheffield S3 7RH (Royaume-Uni).

La « règle de la simplicité » en matière de recherche scientifique peut être résumée c o m m e suit : les chercheurs et les théoriciens fondent chaque théorie scientifique sur des postulats aussi simples et aussi peu nombreux que possible. Si nous avons à choisir entre le simple et le complexe, nous choisissons le simple, qu'il s'agisse d'exécuter des expériences, de tirer des conclusions de leurs résultats ou - sur un plan plus élevé - de chercher à établir « la vérité absolue » au sujet de la nature.

Pourquoi cette conviction intime que la vérité naturelle est nécessairement simple? Pourquoi admirons-nous la simplicité de l'équation E = m e 2 , par exemple, tandis que les résultats des recherches sur les particules élémentaires nous laissent désagréablement perplexes, et obsédés par l'idée qu'il doit bien exister une solution simple - le tout étant de savoir la découvrir?

Le problème, c'est que cette règle de la simplicité parait refléter les capacités - ou les incapacités - de l'intelligence humaine bien plutôt que l'essence des vérités naturelles.

L ' h o m m e déteste tout ce qui dérègle ou c o m ­plique sa vie de tous les jours; il préfère de beaucoup l'ordre et la simplicité. C o m m e il trouve désagréable et déroutant de prendre en considération trop de faits ou d'idées à la fois, il a tendance à attribuer la m ê m e aversion à la nature et à faire sienne la règle d'or de la philosophie newtonienne en disant que « la nature aime la simplicité » : en réalité, c'est nous qui l'aimons, et qui cherchons à rendre la science et la nature conformes à nos propres limitations.

Nous retenons donc en général la théorie ou l'hypothèse la plus simple qui s'accorde avec les faits observés, étant entendu toutefois que les théories doivent en m ê m e temps être en accord avec des faits de types aussi divers que possible.

Cette tendance est liée à une autre « règle » de la science, connue sous le n o m de « principe de parcimonie » ou de « rasoir d 'Occam ». Selon Guillaume d ' O c c a m , théologien et philo­sophe anglais du XIVs siècle, il ne faut pas multiplier inutilement les entités (entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem)* -en d'autres termes, il faut fonder les théories sur un nombre aussi réduit que possible d'hypothèses, et n'en faire intervenir de nouvelles qu'en cas de nécessité absolue. O n a tort d'inventer une hypothèse simplement pour éliminer une difficulté, surtout si l'hypothèse n'est pas corroborée par d'autres caractères des phénomènes étudiés et ne peut absolument pas être vérifiée.

Ces deux règles de la simplicité et de l'éco­nomie de moyens ont-elles quelque chose à voir avec l'attitude adoptée par la communauté scientifique à l'égard des parasciences? Je le crois. Les scientifiques d'aujourd'hui ont été formés à l'école de la simplicité et de la < parcimonie », et nourris, pour ainsi dire.

Impact science et société, vol. X X V (1975), n° 4 357

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de ce lait de notre mère la science. Cela ne les prépare guère à s'occuper de recherches psychiques, car notre pensée scientifique hésite à s'aventurer dans l'insolite. Nous s o m m e s convaincus, semble-t-il, qu'il doit exister une explication simple des manifestations mysté­rieuses de la parascience. C o m m e O c c a m , nous s o m m e s convaincus que les capacités de perception et les types de forces dont nous disposons déjà nous suffisent, si bien que nous nous refusons à avoir recours à d'autres pour expliquer les phénomènes psychiques.

David W . Hughes

• Les f e m m e s scientifiques

L'auteur de la lettre reproduite ci-après commente l'un des articles parus dans le numéro cTImpact : science et société, consacré au thème « La science, un monde masculin ». // s'agit du professeur Knut Faegri. phytogéographe et directeur du musée de botanique de l'Université de Bergen, qui écrit : « Ma femme et mol exerçons chacun notre activité hors du foyer; pendant trente-cinq ans, nous nous sommes partagé les tâches domestiques - sauf en ce qui concerne la gestation où mon rôle a été très modeste. » L'adresse de notre correspondant est la suivante : Universitet i Bergen, Botaniste Museum, Botanlsk Hage, Postboks 12, 5014 Bergen (Norvège).

M e s félicitations à M m e Jacqueline Feldman, auteur de l'article paru dans impact (vol. X X V , n° 2 ) , pour son numéro de haute voltige intellectuelle. C o m m e déformation de la vérité, son texte est un modèle du genre. Puisqu'il serait impossible - à moins d'y consacrer un volume entier - de faire des commentaires sur toutes les aberrations que renferme son article, je m e bornerai à en relever deux.

Selon l'auteur, les savants (du sexe m a s ­culin, voir p. 135) estimeraient qu ' « il s'agit de populariser au minimum le savoir scien­tifique, popularisation à laquelle on a donné le n o m dévalorisant de vulgarisation ». Cela est manifestement faux : depuis ses débuts, la science moderne n'a jamais cessé de faire connaître ses résultats par l'inter­

médiaire de la popularisation. Le nombre de publications répondant à cet objectif est infini. Je m e trouve être le rédacteur en chef d'un périodique vieux de près d'un siècle, fondé (malheureusement) par des h o m m e s . En parcourant les archives, je relève très peu de noms de femmes parmi les auteurs, moins, m e semble-t-il, que ne le laisserait normalement supposer la proportion entre les deux sexes.

Nous qui travaillons dans ce domaine, savons mieux que quiconque combien le résultat de nos efforts pour populariser les idées de la science (par opposition aux produits de la technique) demeure insuffisant. Mais c'est pécher gravement contre la logique et l'honnêteté intellectuelle que d'introduire cet argument dans la discussion d'un problème aussi important que celui des femmes dans la science.

Quant au rôle des épouses, qu'elles aient ou non reçu une formation scientifique, M m e Feldman a-t-elle jamais songé que le mariage est un contrat librement conclu et qui peut revêtir n'importe quelle forme souhaitée par le couple? S'il ne renferme pas de stipulations détaillées, cela signifie que l'on a accepté la « formule standard », c o m m e dans le cas de tout autre contrat. Le fait de n'avoir pas assez réfléchi au contrat dès le début n'est pas une raison suffisante pour le modifier en cours de route.

Les opinions de M m a Feldman sont un excellent exemple de la tendance à vouloir gagner sur tous les tableaux, qui,. malheu­reusement aussi, caractérise bien des aspects du féminisme.

Knut Faegri

• M m e Feldman répond

Voici la preuve que nous ne nous battons pas contre des moulins à vent. M . Faegri est l'image m ê m e du scientifique gobant sans hésiter toute l'idéologie dominante, dans toute sa transparence : libre choix, égalité, bien-fondé de la popularisation [de la science]; ceci pour finir par reconnaître que ces efforts de « popularisation » sont bien mal récompensés. Peut-être pourrait-il partir de là et s'interroger sur les résistances des non-scientifiques à recevoir la bonne parole.

J. Feldman

358 Lettres

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Les Presses de ¡'Unesco Vient de paraître

Guide mondial des centres de documentation et d'information techniques 515 p. 60 F 2» édition revue et augmentée.

Bilingue : anglais/français. (Documentation, bibliothèques et archives : bibliographies et ouvrages de référence. 2).

La première édition de ce guide, en 1969. a été épuisée très rapidement, démontrant ainsi qu'il existe un besoin impérieux pour ce genre de pu­blications. U n nombre considérable de centres de documentation tech­nique ayant été créés depuis sa parution, en particulier dans les pays en voie de développement. ¡'Unesco a décidé de publier une nouvelle édi­tion augmentée et révisée de ce guide qui présente la liste des centres nationaux de 93 pays ainsi que celle des centres internationaux. Il c o m ­prend, de plus, une liste des répertoires internationaux, régionaux et nationaux des centres de documentation et d'information techniques.

Tendances nouvelles de l'enseignement de la chimie Vol. IV

168 p. 20 F Basé sur les documents de travail préparés pour discussion au Congrès international pour l'amélioration de l'enseignement de ¡a chimie. Wroclaw. Pologne. 17-22 septembre 1973. (L'enseignement des sciences fondamentales).

Ruralité, éducation, développement par Louis Malassis, professeur d'économie rurale à l'École nationale supé­rieure agronomique de Montpellier. Délégué scientifique à l'Institut agro­nomique méditenanéen. Avant-propos du président Edgar Faure.

Le problème de l'éducation est, dans de nombreuses régions du m o n d e , un problème d'éducation rurale. U n problème plus général est cependant posé : celui d'une conception de la culture et de la formation fondée sur l'analyse des processus de développement et tenant compte des modèles de société en devenir. Thèmes traités : Développement et édu­cation: Intégration du m o n d e rural au processus de développement: Intégration du m o n d e rural au système éducatif global; Planification quantitative de la formation professionnelle agricole.

127 p. 39 F Coédition : Masson/Les Presses de l'Unesco. Distri­bution exclusive en France, Belgique. Suisse. Canada : Masson, 120. bd. Saint-Germain, Paris.

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Dans le prochain numéro d'impact

La science et la guerre

Sean McBríde, ONU

Déploiement nucléaire sans crainte de condamnation

John Stares, Stockholm

La course aux armements nucléaires stratégiques et l'oubli

M. V. Koulich, Moscou

Force armée et guerre politique

K. Erik Solem, Ottawa

Sources d'énergie et stratégie de défense

Ali M. Mazrui, Kampala

Si la femme était passée au pouvoir en Afrique

Charles C. Price, Philadelphie

Les armes de destruction massive et la politique des États

Bernard T. Feld, Londres

Comment un atomiste voit « la bombe »

Johan Galtung, Oslo

Trois méthodes réalistes pour instaurer la paix

et d'autres spécialistes analysent la folie que représente l'application de technolo­gies scientifiques au règlement des différends internationaux.

Dans le vol. XXVI, n° 1 d'impact : science et société

A l'agent général pour mon pays

(ou à l'Unesco, PUB-Ventes, 7 , place de Fontenoy, 75700 Paris, France) :

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Grèce

Van Schalk's Bookstore (Pty.) Ltd.. Libri Building, Church Street P . O . Box 724, PRETORIA. N . Sh . Botimeve Nairn Frasheri, T IRANA. Institut pédagogique national, 11, rue Ali-Haddad (ex-rue Zaâtcha), A L G E R . Société nationale d'édition et de diffusion (SNED) , 3, boulevard Zirout-Youcef, A L G E R . Verlag Dokumentation, Pössenbacher Strasse 2 , 8000 M Ö N C H E N 71 (Prinz Ludwigshõne). c Le Courrier », édition allemande seulement : Bahrenfelder Chaussee 160, H A M B U R G ­B A H R E N F E L D . C C P : 27 66 50. Pour les cartes scientifiques seulement: Geo Center D 7 S T U T T G A R T 80, Postfach 800830. Librairie c Au Boul 'Mich' », 1, rue Perrinon et 66, avenue du Parquet 972 F O R T - D E -F R A N C E (Martinique). G.C.T . Van Dorp & C o . (Ned. Ant) N.V., W I L L E M S T A D (Curaçao N A ) . Editorial Losada, S.A. , Alsina 1131. B U E N O S AIRES. Publications: Educational Supplies Pty. Ltd., Box 33, Post Office, B R O O K V A L E 2100. N . S . W . Périodiques : Dominie Pty. Ltd., Box 33. Post Office. B R O O K V A L E 2100, N . S . W . Sous-agent: United Nations Association of Australia, Victorian Division, 6th Floorr, 134-136 Flinders St., M E L B O U R N E 3000. Verlag Georg Fromme & Co. , Arbeitergasse 1-7, 1051 W I E N . Jean De Lannoy. 112, rue du Trone, BRUXELLES, 5. C C P 708-23. Trade Corporation no. (9), 550-552 Merchant Street R A N G O O N . Los Amigos del Libro : casilla postal 4415, LA P A Z ; casilla postal 450, C O C H A B A M B A . Moreno 26, S A N T A C R U Z ; 6 de Octubre esq, Junin, O R U R O . Fundação Getúlio Vargas, Serviço de Publicações, caixa postal 21120, Praia de Botafogo 188, RIO D E JANEIRO (GB). Hemus, Kantora Literatura, bd. Rousky 6, S O FIJA. Librairie Albert Portail, 14, avenue Boulloche, P H N O M - P E N H . Information Canada, O T T A W A (Ont). Librairies : 640 Ouest rue Sainte-Catherine. M O N T R É A L 111 (Qué.); 1683 Barrington St.. HALIFAX (N.S.); 393 Portage Ave» WINNIPEG (Manitoba); 171, rue Slater, O T T A W A (Ont); 221 Yonge S u T O R O N T O (Ont) ; 800 Granville St, V A N C O U V E R (B.C.). Editorial Universitaria. S.A., casilla 10220, SANT IAGO, f M A M ». Archbishop Makarios 3rd Avenue, P.O. Box 1722, NICOSIA. Librería Buchholz Galería, avenida Jiménez de Quesada 8-40, apartado aéreo 49-56, B O G O T A . Distrilibros Ltda., carrera 4.*, n " 36-119 y 36-125, C A R T A G E N A . J. Germán Rodríguez N., calle 17, 6-59, apartado nacional 83. G I R A R D O T (Cundinamarca). Le c Courrier » seulement : Editorial Losada Ltda., calle 18A, n.°* 7-37, apartado aéreo 58-29, apartado nacional 931, B O G O T A . Sous-dépôts : Edificio La Ceiba, oficina 804, MEDELLIN. Calle 37, n." 14-73, oficina 305, B U C A R A M A N G A . Edificio Zaccour, oficina 736, CALI.

Librairie populaire, B.P. 577, BRAZZAVILLE. Korean National Commission for Unesco, P.O. Box Central 64, S É O U L . Librería Trejos. S A , apartado 1313, S A N J O S É . Teléfonos : 2285 y 3200. Centre d'édition et de diffusion africaines, B.P. 4541. ABIDJAN PLATEAU. Instituto Cubano del Libro. Centro de Importación, Obispo 461, LA H A B A N A . Librairie nationale, B.P. 294, P O R T O N O V O . E]nar Munksgaard Ltd.. 6 Norregade, 1165 K O B E N H A V N K. Librería Dominicana, calle Mercedes 45-47-49, apartado de correos 656, S A N T O DOMINGO. Librairie Kasr El Nil, 38, rue Kasr El Nil, LE C A I R E . National Centre for Unesco Publications, 1 Talaat Harb Street Tahrlr Square, C A I R O . Librería Cultural Salvadoreña. S A . calle Delgado n.» 117, S A N S A L V A D O R . Casa de la Cultura Ecuatoriana, Núcleo del Guayas, Pedro Moncayo y 9 de Octubre, casilla de correo 3542, G U A Y A Q U I L Toutes les publications: Ediciones Iberoamericanas. S A , calle de Oñate 15 , M A D R I D 20 . Distribución de Publicaciones del Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Vitrubio 16, M A D R I D 6. Librería del Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Egipciacas 15 , B A R C E L O N A . c ¿s Courrier» seulement Ediciones Liber, apartado 17. O N D A R R O A (Viscaya). Unipub, A Xerox Education C o m p a n y , Box 433, Murray Hill Station, N E W Y O R K , N . Y . 10016. National Commission for Unesco. P . O . Box 2996, A D D I S A B A B A Akateeminen Kirjakauppa, 2 Keskustatu, HELSINKI. Librairie de l'Unesco, 7 , place de Fontenoy, 75700 P A R I S ; C C P 12598-48. Presbyterian Bookshop Depot Ltd., P . O . Box 195. A C C R A Ghana Book Suppliers Ltd. P . O . Box 7869. A C C R A The University Bookshop of Ghana , A C C R A The University Bookshop of Cape Coast. The University Bookshop of Legon, P . O . Box 1, L E G O N . Anglo-Hellenic Agency, 5 Koumpari Street ATH1NAI 138.

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Guatemala

Haiti Haute-Volta

Hong-kong

Hongrie

Inde

Indonésie

Irak

Iran

Irlande Islande

Israël

Italie

Jamaïque Japon Kenya

Koweït Lesotho

Liban Libéria

arabe libyenne Liechtenstein Luxembourg Madagascar

Malaisie Mali

Malte Maroc

Maurice Mexique

Monaco Mozambique

Nicaragua

Niger Nigéria

Norvège

Nouvelle-Calédonie Nouvelle-Zélande

Ouganda Pakistan

Rép.

Comisión Guatemalteca de Cooperación con la Unesco, 6.* calle 9.27, zona 1, apartado postal 244, G U A T E M A L A . Librairie c A la Caravelle ». 36, rue Roux. B .P . 111, P O R T - A U - P R I N C E . Librairie Attie, B.P . 64, O U A G A D O U G O U . Librairie catholique c Jeunesse d'Afrique »,

OUAGADOUGOU. Federal Publications Division, Far East Publications Ltd,, 5 A Evergreen Industrial Mansion, W o n g Chuk Hang Road, A B E R D E E N , Swindon Book C o . , 13-15 Lock Road, KOWLOON. Akadémiai Kõnyvesbolt Václ u. 22, B U D A P E S T V. A.K.V. Kônyvtárosok Boltj'a, Népkõz-társaság utja 16, B U D A P E S T VI. Orient Longman Ltd.: Nicol Road, Ballard Estate, B O M B A Y I; 17 Chhtaranjan Avenue. C A L C U T T A 13 ; 36A Anna Salai. Mount Road, M A D R A S 2 ; B-3 /7 Asaf Ali Road, N E W DELHI I. 80/1 Mahatma Gandhi Road, B A N G A L O R E - 560001 ; 3-5-820 Hyder-guda. H Y D E R A B A D - 500001. Sous-dépôts Oxford Book and Stationery Co. , 17 Park Street C A L C U T T A 16, at Scindia House, N E W DELHI. Publications Section, Ministry of Education and Social Welfare, 72 Theatre Communication Building, Connaught Place, N E W DELHI I. Bhratara Publishers and Booksellers. 29JI. Oto Iskandardinata III, JAKARTA. Gramedia Bookshop, Jl. Gadjah Mada 109, JAKARTA. Indira P.T., Jl. Dr. Sam Ratulangie 37, J A K A R T A . McKenzie's Bookshop, Al-Rashid Street 'BAGHDAD. University Bookstore. University of Baghdad, P.O. Box 75. B A G H D A D . Commission nationale iranienne pour l'Unesco, avenue Iranchahr Chomali n» 300, B.P. 1533, T É H É R A N . Kharazmie Publishing and Distribution Co„ 229 Daneshgahe Street, Shah Avenue, P.O. Box 14/1486, T É H É R A N . The Educational Company of Ireland Ltd ; Ballymount Road, Walkinstown, DUBLIN 12. Snaebjôrn Jonsson & Co. . H.F., Hafnarstraeti 9, REYKJAVIK. Emanuel Brown, formerly Blumstein's Bookstores: 35 Allenby Road et 48 Nachlat Benjamin Street, TEL AVIV; 9 Shlomzion Hamalka Street, J E R U S A L E M . LICOSA (Librería Commissionaria Sansoni S . p A ) , via Lamarmora 45, casella postale 552,50121 FIRENZE. Sangster's Book Stores Ltd., P . O . Box 366, 101 Water Lane, K INGSTON. Eastern Book Service Inc., C . P . O . Box 1728, T O K Y O 100 92. The ESA Ltd.. P .O . Box 30167, NAIROBI. The Kuwait Bookshop C o . Ltd.. P .O. Box 2942. K U W A I T . Mazenod Book Centre, P.O. M A Z E N O D . Librairies Antoine A . Naufal et Frères, B.P. 656, B E Y R O U T H . Cole & Yancy Bookshops Ltd., P .O. Box 286. M O N R O V I A . Agency for Development of Publication and Distribution, P .O. Box 34-35, TRIPOLI. Eurocan Trust Reg.. P .O. Box 5, S C H A A N . Librairie Paul Brück, 22, Grand-Rue, L U X E M B O U R G . Commission nationale de la République malgache. Ministère de l'éducation nationale, TANANARIVE. Federal Publications Sdn Bhd.. Balai Berita, 31 Jalan Riong, K U A L A L U M P U R . Librairie populaire du Mali, B.P. 23. B A M A K O . Sapienza's Library, 26 Kingsway, VALLETTA. Toutes les publications: Librairie « Aux belles images », 281, avenue M o h a m m e d - V , R A B A T (CCP 68-74). c Le Courrier » seulement [pour les enseignants): Commission nationale marocaine pour l'Unesco, 20, Zenkat Mourab'rtine, R A B A T (CCP 324-45). Nalanda C o . Ltd., 30 Bourbon Street P O R T - L O U I S . ' Sauf pour les périodiques : CILA (Centro Interamericano de Libros Académicos), Sullivan Z\bis. M E X I C O 4, D F . British Library, 30, boulevard des Moulins, M O N T E - C A R L O . Salema & Carvalho Ltda., caixa postal 192. BEIRA. Librería Cultural Nicaraguense, calle 15 de Septiembre y avenida Bolivar, apartado 807, MANAGUA. Librairie Mauclert B .P . 868, N I A M E Y . The University Bookshop of Ife. The University Bookshop of Ibadan, P . O . Box 286. I B A D A N . The University of Nsuka.The University Bookshop of Lagos. The A h m a d u Bello University Bookshop of Zaria. Toutes les publications: Johan GrundtTanum, Karl Johans gate 41/43, O S L O 1. c Le Courrier » seulement: A / S Narvesens Utteraturtjeneste, Box 6125, O S L O 6. Reprex S . A . R . L . B .P . 1572, N O U M É A . Government Printing Office, Government Bookshops; Rutland Street P . O . Box 5344, A U C K L A N D ; 130 Oxford Terrace, P . O . Box 1721, C H R I S T C H U R C H : Alma Street P . O . Box 857, H A M I L T O N ; Princes Street P . O . Box 1104,DUNEDIN;MulgraveStreet Private Bag, W E L L I N G T O N . Uganda Bookshop, P . O . Box 145, K A M P A L A . The West-Pak Publishing C o . Ltd« Unesco Publications House, P . O . Box 374, G . P . O « L A H O R E . Showrooms: Urdu Bazaar, L A H O R E , at 57-58 Murree Highway, G / 6 - 1 .

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Paraguay Pays-Bas

Pérou

Philippines Pologne

Portugal Rép. dém. allemande

Rép. unie du Cameroun

Rhodesia du Sud Roumanie

Royaume-Uni

Sénégal

Singapour Somalie Soudan

Sri Lanka Suède

Suisse Rép. arabe syrienne

Rép.-Unie de Tanzanie Tchécoslovaquie

Thaïlande

Togo

Tunisie Turquie

U R S S Uruguay

Venezuela

Rép. du Sud-Viêt-nam Yougoslavie

Zaïre

I S L A M A B A D . Pakistan Publications Bookshop: Sarwar Road. RAWALPINDI ; Mirza Book Agency, 65 Shahrah Quald-e-azam, P . O . Box 729, L A H O R E - 3 . Melchor García, Eligió Ayala 1650, A S U N C I O N . N.V. Martinus Nijhoff, Lange Voorhout 9, ' s - G R A V E N H A G E . Systemen Keesing, Ruys-daelstraat 71-75. A M S T E R D A M . < Le Courrier » seulement Editorial Losada Peruana, apartado 472, UMA. Autres publi­cations: Distribuidora INCA. S.A. , Emilio Althaus 470. Unce, casilla 3115, LIMA. The Modern Book Co., 926 Rizal Avenue, P.O. Box 632, M A N I L A . Osrodek Rozpowszechniania Wydawnictw Naukowych P A N , Palac Kultury i Nauki, WARSZAWA. Dias & Andrade Ltda., Livraria Portugal, rua do Carmo 70, LISBOA. Librairies Internationales ou Maison Buchhaus Leipzig, Postfach 140, LEIPZIG. Le Secrétaire général de la Commission nationale de la République unie du Cameroun pour l'Unesco, B.P. 1061, Y A O U N D E . Textbook Sales (PVT) Ltd., 67 Union Avenue, SALISBURY. ILEXIM, Romlibri, Str. Biserica Amzei n° 5-7, P .O .B . 134, BUCURESTI . Abonnements aux périodiques: Rompresfilatelia, calea Victoriei nr. 29, BUCURESTI . H . M . Stationery Office, P . O . Box 569. L O N D O N , SEI 9 N H . Government bookshops: London, Belfast, Birmingham, Bristol, Cardiff, Edinburgh Manchester. La Maison du livre, 13, avenue Roume. B.P. 20-60, D A K A R . Librairie Clairafrique, B.P. 2005, D A K A R . Librairie « Le Sénégal », B.P. 1594, D A K A R . Federal Publications Sdn Bhd., Times House, River Valley Road, S I N G A P O R E 9. M o d e m Book Shop and General, P.O. Box. 951, M O G A D I S C I O . AI Bashir Bookshop, P . O . Box 1118, K H A R T O U M . Lake House Bookshop, Sir Chittampalam Gardiner Mawata, P .O.Box244, C O L O M B O 2. Toutes les publications: A / B C . E. Fritzes Kungl. Hovbokhandel, Fredsgatan 2 , Box 16356, 103 27 STOCKHOLM 16. t Le Courrier» seulement.'Svenska FN - Fõrbundet, Skolgrãnd 2, Box 15050, S-104 65 STOCKHOLM. Europa Verlag, Rämistrasse 5. ZURICH. Librairie Payot, 6, rue Grenus, 1211 G E N È V E 11. Librairie Sayegh, Immeuble Diab, rue du Parlement B.P. 704, D A M A S . Dar es Salaam Bookshop, P .O. Box 9030, D A R ES S A L A A M . SNTL,Spalena51,PRAHA1 (£xpoiÄ/<W7pewianenre).Zahran[cniliteratura,11 Soukenicka, P R A H A 1. Pour la Slovaquie seulement: Alfa Verlag, Publishers, Hurbanovo nam. 6, 893 31 BRATISLAVA. Nibondh and Co. Ltd., 40-42 Charoen Krung Road. Siyaeg Phaya Sri. P .O. Box 402. B A N G K O K . Suksapan Panit, Mansion 9, Rajdamnem Avenue, B A N G K O K . Suksit Siam Company, 1715 Rama IV Road. B A N G K O K . Librairie évangélique, B.P. 378, L O M É . Librairie du Bon Pasteur, B.P. 1164, L O M E . Librairie moderne, B.P. 777, L O M É . Société tunisienne de diffusion, 5, avenue de Carthage, TUNIS. Librairie Hachette, 469 Istiklal Caddesi, Beyoglu, ISTANBUL. Mezhdunarodnaja Kniga, M O S K V A G-200. Editorial Losada Uruguaya, S.A. / Librería Losada, Maldonado 1092 M O N T E V I D E O . Librería del Este, avenida Francisco de Miranda 52, Edif. Galipan, apartado 60337 C A R A C A S . Librairie-papeterie Xuân-Thu, 185-193. rue T u - D o . B.P. 283, S A I G O N . Jugoslovenska Knjiga,Terazije 27, B E O G R A D . Drzavna Zalozba Slovenije, Mestni Trg. 26, L J U B L J A N A . La Librairie, Institut national d'études politiques, B.P. 2307, K INSHASA. Commission nationale de la République du Zaïre pour l'Unesco, Ministère de l'éducation nationale, KINSHASA.

B O N S D E LIVRES D E L ' U N E S C O

Utilisez les bons de livres de l'Unesco pour acheter des ouvrages et des périodiques de caractère éducatif, scientifique ou culturel. Pour tout renseignement complémentaire, veuillez vous adresser au Service des bons de l'Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris.

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Dans les numéros précédents

loi. X X V (1975), n° 1

Science et bon sens

'réservation, par Hans Selye. Extraits du premier numéro j'impact : science et société. _es trois niveaux de la science, dans la société, aar V .V . Raman. La science et la responsabilité du scientifique, aar Moisey A . Markov. L'échec du désarmement : principal obstacle au développement? par S . Oluwole Awokoya. L'emploi de la science pour « fabriquer » des technologies, par Jorge A . Sabato. Dilemmes de la science et de la médecine modernes - le remède est-il chinois? par Joseph Needham. La recherche organisée et le bon sens, entretien avec Abdus Salam. SPINES : U n nouvel ordre moral par les sciences et les techniques, par Mário Tomelin. La science de la langue et le problème de la conscience, par Bogdan-Daniel Arapu.

Vol. X X V (1975), n° 2

La science, un m o n d e masculin?

La femme et la vie professionnelle dans la Pologne contemporaine, entretien avec Halina Lewicka. Répartition par sexe des principaux prix scientifiques. La vulgarisation scientifique : h o m m e s et femmes développent ensemble ce nouveau métier, par Jacqueline Juillard.

Vol. XXV (1975), n° 3

L'utilisation rationnelle des ressources sanitaires

Présentation, par Siegfried Haussier. La planification sanitaire dans les pays en voie de développement, par Frank Schofield ( O M S ) . L'école de médecine dans la société moderne, par G . L Monekosso. La recherche en physiologie médicale clinique : signification et organisation dans les pays en voie de développement, par Daniel J. Goldstein. Les personnels des services nationaux de santé : besoins, planification, mise en place, par Tamás Fülöp ( O M S ) et ses collaborateurs. Médecine de l'adolescence, à la manière de Sri Lanka, par Buddhadasa Bodhinayake. Principe et mode d'action de la médecine orthomoléculaire, par Abram Hoffer. Recherches thérapeutiques sur les maladies dont l'étude n'est pas jugée rentable, par Silvio Garattini. L'ingénierie médicale moderne et les systèmes d'information sanitaire, par John F. Davis. Médecine traditionnelle et médecine moderne en Chine, par Frederick F. Kao et John J. Kao.

Présentation, par Dolly Ghosh. La créativité scientifique chez la femme, par Lucia Tosi. La femme et la science : une voie semée d'obstacles, par Deborah Shapley. Le savant et la sage-femme, par Jacqueline Feldman. Les femmes dans la population active Situation générale. Bureau international du travail. Les rapports d'une femme de science avec ses collègues h o m m e s , par Monique de Meuron-Landolt. Les femmes universitaires « publient moins que les h o m m e s », par Annabel Ferriman.