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Colloque sur les populismes en Europe
18 décembre 2013, 14H15
Intervention de M. le Président Claude Bartolone
Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues,
Mesdames et Messieurs, chers militants, chers amis,
Le Parti socialiste organise aujourd’hui un colloque sur les populismes. Je
m’en félicite : il est attendu sur ce thème, il est dans son rôle. Pas simplement
parce qu’il y a devant nous, en 2014, des échéances électorales qui seront un
défi pour les socialistes. Mais encore parce que la tectonique politique en
France et en Europe laisse présager des secousses profondes, brutales et
douloureuses, si nous ne faisons rien. La question n’est pas seulement de
garder le fortin de la gauche.
C’est, plus fondamentalement, de maintenir debout les murailles qui
protègent la démocratie et les valeurs de la République.
Cela fait plus de quinze ans que l’on constate en Europe une montée des
populismes. Alors, en cette fin 2013, rien de nouveau sous le soleil, me direz-‐
vous. Eh bien si, le contexte fait que, ce qui était hier encore une tendance
électorale devient, aujourd’hui, un fait politique aux conséquences
dramatiques.
Depuis sa fondation en 1972, le Front national est désormais bien ancré
en France. Et, quoiqu’en disent ses responsables, il n’y a pas de rupture entre le
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Front des années 1980 et celui de la décennie 2010 : derrière l’image de
respectabilité qu’il se forge, le FN avance avec le même carburant de haine, de
repli et de xénophobie. Marine Le Pen, ce n’est pas une Marine Durant, ou une
Marine Dupont. C’est une Le Pen, une digne héritière de son père.
Le populisme en France n’a pas changé de nature mais il a changé
d’intensité : il y a cinq ans je n’aurais pas dit que la vie politique française se
recompose autour de trois courants : une extrême droite, une droite et une
gauche. Aujourd’hui il y a ce risque : le Front national veut prouver, déjà aux
municipales et surtout aux européennes de 2014, qu’il est capable d’engranger
des scores qui le hissent au niveau des partis de gouvernement. Il en a les
moyens, notamment aux scrutins européens, où les sondages donnent déjà ce
parti au coude à coude avec le PS ou l’UMP.
Vous mettrez à profit cet après-‐midi pour mieux cerner le phénomène
populiste. Je veux vous en donner mon interprétation. N’est pas populiste celui
qui s’adresse au peuple ou celui qui défend mieux le peuple. Non. Celui-‐là je
l’appelle le vrai politique. Celui-‐là, je le trouve dans ma famille de pensée, la
vôtre, la Gauche, qui a la passion de l’égalité, que les injustices rebutent, qui a
l’ambition du progrès et d’un monde meilleur possible.
Pour moi, le populiste est un politique au stade primaire de son
évolution. Il maîtrise le verbe, harangue, flatte, invective. Il a le talent du
langage. Mais quand vient le temps de l’action, ses mots n’ont aucune prise sur
le réel, ou alors, s’il en a, c’est pour le nier, pour l’anéantir. Quand le nuage de
fumée se dissipe, on voit le populiste figé, la bouche ouverte et les bras
ballants. Ou alors, gonflé de passions et de haine, on voit ce populiste sauter
dans le précipice et entraîner la société avec lui. Le populiste n’a que deux
visages : celui de l’impuissance ou celui du fanatisme.
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Prenez le discours des partis d’extrême droite en Europe. Les populistes
prennent la défense des plus faibles, des ouvriers, des mineurs, des métallos,
des sans grade, pour reprendre la terminologie qui réussit aux Le Pen. Fort
bien, et je reconnais que cette rhétorique fleurit lorsque les partis de
gouvernement ne montrent pas assez d’intérêt pour les plus fragiles.
Mais quelle conséquence en tirent-‐ils ? D’abord ils opposent les uns
contre les autres, les vrais Français aux immigrés, ceux qu’ils appellent les
assistés ou les profiteurs du système. Ainsi ils instillent la haine et la division
dans la société. Ensuite ils érigent des barrières en pariant qu’elles régleront les
problèmes du pays.
Ce sont d’abord des barrières physiques, celles que les populistes
voudraient ériger aux frontières, comme si la France était une forteresse
assiégée et qu’il y avait encore, dans un monde ouvert, la possibilité de trouver
refuge derrière des lignes Maginot. Ce sont ensuite des barrières identitaires,
comme s’il y avait un peuple de France, de souche, éternel et sans mélange.
Bien sûr, dans leur esprit, ce peuple-‐là est blanc et culturellement homogène.
Comme si dans nos veines ne coulait pas du sang venant de nos anciennes
colonies, du Sud et de l’Est de l’Europe. Comme si l’identité française n’était
pas un produit du métissage. Bref les populistes parlent d’une France
imaginaire dans un monde rêvé. Ce genre de rêve qui est brutalisé par la
réalité, celle d’une planète ouverte, mobile, globalisée.
Politiquement, les populistes tirent de leurs illusions des solutions
désastreuses : le protectionnisme et le repli, qui plusieurs fois au XXème siècle,
ont déchaîné des catastrophes. En 1907, une crise bancaire déjà, avait attisé
des crispations nationales et préparé la Première guerre mondiale. Dans les
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années 1930, la Grande dépression, en Europe, au lieu conduire à un New Deal
comme aux Etats-‐Unis, a fait le lit du nazisme et des atrocités de la Deuxième
guerre mondiale.
Aujourd’hui, qu’est-‐ce que les populismes européens ont en commun ?
De vouloir démanteler l’euro, de revenir sur les acquis de la construction
européenne, de faire vibrer les cordes nationalistes, identitaires et parfois
xénophobes. Par-‐delà les époques, c’est le même carburant, et les mêmes
dangers qui guettent.
Les faits sont connus : si, demain, la monnaie unique explose, la dette
française libellée en euro augmentera tout à coup de 20 à 30 %.
Si, demain, nous fermons nos frontières aux apports de la
mondialisation, finis les biens technologiques, les écrans plats, les
smartphones, les tablettes produits à l’étranger ; finis les investissements
étrangers en France, ceux qui produisent de la richesse et de l’emploi ; finie la
stabilité financière avec des risques démultipliés de spéculation.
Nous priver des apports extérieurs de population, c’est renier toute la
richesse que la France a reçue des outre-‐mer, depuis des siècles, empêcher les
futurs cerveaux nord-‐africains, asiatiques, latino-‐américains, de se former en
France, d’apprendre la langue française, d’apprendre à l’aimer, et enfin de
devenir nos meilleurs ambassadeurs dans leur pays.
Je reviens du Maroc et j’y ai vu le désastre provoqué par la circulaire
Guéant sur la jeunesse de ce pays. J’étais récemment au Sénégal, et j’ai vu
l’empreinte honteuse laissée par le discours de Dakar sur nos amis africains.
L’homme qui n’est pas encore entré dans l’histoire.
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Voilà les populismes : un romantisme politique fait de mythes, de
nostalgies et de détestations. C’est tout le contraire de la France ouverte et
généreuse que je connais, moi, l’enfant d’immigrés de la Méditerranée, moi,
l’élu de la Seine-‐Saint-‐Denis, mon département qui est à l’image du monde :
coloré, ouvert et métissé.
Avec la crise économique et financière de 2008, ces populismes ont
monté en intensité, considérablement. Le chômage, le sentiment de
déclassement, le désarroi de la jeunesse sont venus se déverser par brassées
dans le brasier des frustrations et du mécontentement. Ce n’était pas une
fatalité. C’est le résultat des politiques désastreuses, imposées en Europe par
les droites conservatrices, avec l’appui aveugle et consentant de la Commission
de Barroso et de ses enfants. Notre Europe, malade, tendait ses lèvres blêmes
vers le remède. Ces politiques lui ont administré les potions d’austérité. Elles
ont paralysé le corps européen au moment même où celui-‐ci devait tendre ses
muscles, pour réagir au plus vite contre l’incendie, au comble de la crise des
dettes souveraines.
Cette politique, je l’ai appelée dans un récent ouvrage, le consensus de
Bruxelles, le pacte passé entre le néo-‐libéralisme anglo-‐saxon et l’ordo-‐
libéralisme allemand. Qu’obtient-‐on à cause d’eux ? Une Europe dure à
l’intérieur et molle à l’extérieur. La discipline pour nos économies et le laisser-‐
aller pour la concurrence extérieure. Nous connaissions les jardins à la
française, géométriques et ordonnés, les jardins à l’anglaise, avec ses formes
irrégulières. Il y a maintenant les jardins à l’européenne, plantés de tuteurs très
rigides et battus par tous les vents. Je vous demande : « quelle plante peut
s’épanouir dans ce jardin ? » Il est l’ennemi de la vie.
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Est-‐ce populiste de dire cela ? Est-‐ce populiste que d’opposer des visions
de la construction européenne, projets contre projets ? Certainement pas.
Le populisme, c’est de laisser penser que le débat est entre ceux qui sont
« pour », et ceux qui sont « contre » l’Europe. C’est de croire qu’après nous
avoir apporté la paix, la sécurité, et la prospérité, l’Europe peut être traitée
comme un kleenex, à jeter aux ordures de l’histoire.
Le populisme, c’est de penser qu’il n’y a pas de réorientation possible de la
construction européenne, pour plus de croissance, plus de démocratie et plus
de solidarité. Le populisme, c’est de nier le destin commun de nos peuples
européens, alors qu’au-‐delà des mers, des océans et des montagnes, les
puissances économiques et politiques du XXIe siècle ont l’envergure des Etats-‐
continents comme la Chine, la Russie, l’Inde ou le Brésil. Le populisme, c’est
enfin d’imaginer que le salut viendra de la fermeture des frontières, ou de
penser que l’Europe pourrait, demain, se comporter comme une grande Suisse,
neutre, passive, indifférente aux changements du monde.
Or, c’est bien le point commun des populismes européens. 27 partis,
dans 18 pays européens, ont toutes les caractéristiques du populisme. Ils ont
recueilli des scores atteignant récemment 15 % des suffrages ou plus. Je
constate aujourd’hui avec beaucoup d’inquiétude leur montée en puissance, et
pas seulement sur fond de difficulté sociale : en Autriche, ces formations ont
recueilli récemment 28 % des suffrages alors que le chômage ne dépasse pas
5 %.
Cela étant dit, j’en viens à la question qui nous brûle tous les lèvres :
comment lutter contre les populismes en Europe ? Il faudrait plus d’une demi-‐
journée pour la traiter complètement. Pour ma part, je veux avancer quelques
pistes.
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-‐ D’abord, faire le ménage chez nous, en France. Je l’ai dit, c’est une très
bonne chose que le Parti socialiste organise un colloque sur les populismes.
Mais les populismes se combattent aussi sur le terrain : par l’action militante,
par la lutte, pied à pied, contre les idées toxiques diffusées par les extrêmes.
Que l’on tracte, que l’on débatte, que l’on oppose nos femmes et nos hommes
de talent à ceux qui se présentent aux électeurs sous l’étiquette du FN. Les
socialistes n’ont pas à craindre ce combat. Avant, à l’époque du RPR, de l’UDF à
côté du PS et du PC, le Front national tirait à vue sur la « bande des quatre ».
Maintenant, il voue aux gémonies « l’UMPS », en disant : « c’est les mêmes,
c’est tout pareil ». Ce qui est tout pareil, je vous le dis, c’est les salmigondis du
FN. Face à cela, le seul risque que nous prenons, c’est de sortir du lot, c’est de
montrer que nous, socialistes, nous sommes différents.
C’est en étant exemplaires dans ce combat que nous pourrons reconquérir les
Français tentés par les extrêmes. C’est l’honneur du Parti socialiste de livrer
cette bataille.
-‐ Ensuite, il faut être d’une totale clarté vis-‐à-‐vis du projet européen :
l’Europe est notre avenir, l’Europe est dans notre ADN de gauche. L’égalité
passe par l’Europe, la justice passe par l’Europe, le progrès passe par l’Europe.
Etre socialiste, c’est être européen. Il n’y a pas de choix entre plus d’Europe et
moins d’Europe, il y a un choix entre des offres politiques alternatives : l’Europe
des progressistes contre l’Europe des conservateurs, l’Europe des solidarités
contre l’Europe des disciplines, l’Europe de la croissance contre l’Europe de
l’austérité, l’Europe qui affirme sa confiance et sa puissance contre l’Europe
froide et dépolitisée des peuples qui ne font plus d’enfants et qui sacrifient leur
avenir à leur confort.
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-‐ Enfin, il y a l’urgence des résultats. Il est totalement vain de lutter
contre le populisme par la culpabilisation. Le vote FN, ce n’est pas un vote
d’idéologie, de morale, c’est un vote de souffrance.
Pour reconquérir l’électorat du FN, il faut lui donner la preuve que les
politiques que l’on mène sont capables de changer la donne. En France, c’est la
bataille pour l’emploi, qui est en train de se gagner. En Europe, c’est la
réorientation vers des politiques de croissance et de solidarité, que l’on va
négocier avec la Grande coalition allemande, où le SPD sera notre allié. Ces
combats se mènent les yeux rivés sur nos valeurs, qui forment la digue la plus
solide contre tous les extrémismes.
Cette urgence dont je vous parle, c’est l’urgence du combat militant. D’ici
les élections européennes, il reste à peine six mois pour convaincre les peuples
de ne pas sanctionner l’Europe, six mois pour conjurer le scénario catastrophe
d’une abstention massive qui ferait ressortir les voix eurosceptiques. Voilà
notre programme, voilà notre calendrier.
Je dis donc : « au travail ! », avec trois idées simples pour nous guider :
politiser l’Europe, lui demander des résultats, et refaire de la construction
européenne un grand projet progressiste. Je vous remercie.